HISTOIRE DE FRANCE

 

LIVRE II. — LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE LOUIS XVI.

CHAPITRE UNIQUE[1].

 

 

I. — VERGENNES.

LA seule politique extérieure devait réussir à Louis XVI. C'était une partie du gouvernement à laquelle il s'intéressait et travaillait volontiers. Il avait le respect des vieilles traditions diplomatiques, et le sentiment de la dignité nationale. Il souffrait de voir la France diminuée par la grandeur de l’Angleterre, par le démembrement de la Pologne et de la Turquie, et n'être plus qu'une suivante de l'Autriche. Pour l'aider à la relever, il eut le mérite d'appeler Vergennes aux Affaires étrangères, après la disgrâce de d'Aiguillon.

Né à Dijon en 1717, fils d'un président au Parlement de Bourgogne, Vergennes avait acquis une grande expérience dans les missions et les ambassades dont il avait été chargé auprès de l'électeur de Trêves en 1750, au Congrès de Hanovre en 1752, à Constantinople de 1754 à 1768, en Suède en 1771. C'était un honnête homme, d'aspect sévère, — il avait l'air magistrat, — qui ne recevait pas de visites, se levait à quatre heures du matin, se couchait à dix heures du soir, et travaillait dans son cabinet onze heures par jour. Il n'avait pas de génie ; ci l'accusait d'être routinier, solennel, gobe-mouches, et de verser du narcotique dans ses mémoires. Mais il savait les affaires à fond ; sa prudence ne l'empêchait pas d'être énergique aux moments décisifs. Il avait la passion du bien public et un profond patriotisme. Enfin, c'était un esprit net qui savait exactement ce qu'il avait l'intention de faire.

Il exposa son plan dans un mémoire du 8 décembre 1774. A la raison d'État, il opposait le principe de l'équité, à la loi du plus fort, le respect du droit. Il réprouvait la politique cynique de la triple alliance — Autriche, Russie, Prusse, — conseillait à Louis XVI une politique de probité, et déclarait les conquêtes plus à craindre qu'à ambitionner. Toute conquête, disait-il, est comme un poids qui, placé aux extrémités, rend le centre plus faible. Il ne voulait pas cependant désarmer, attendu qu'on n'est jamais mieux assuré de la paix que quand on est en situation de ne pas craindre la guerre. Mais il voulait donner à la France assez de considération pour grouper autour d'elle les puissances les plus faibles, et pour brider les grandes puissances, restaurer la vieille politique d'équilibre. Il prétendait contenir les ambitions de l'Autriche et celles de l'Angleterre. Jamais plan politique ne fut mieux approprié à une situation donnée que ce plan de Vergennes.

Pour se faire bien servir, Vergennes réorganisa le département des Affaires étrangères. De quatre bureaux, entre lesquels le travail était réparti, trois furent installés à Paris, quai des Théatins, et le quatrième à Versailles. Deux des bureaux de Paris, l'un désigné sous le nom de bureau du Nord, l'autre sous celui de bureau du Midi, recevaient les dépêches et traitaient les questions qui s'y rapportaient ; au troisième bureau ressortissaient les affaires de finances, grâces, pensions, brevets, passeports, lettres de crédit et privilèges. Le bureau de Versailles, établi dans un grand bâtiment, réunit toutes les pièces jusque-là dispersées de la correspondance diplomatique depuis 1598 ; il rédigea des inventaires, des tables, des résumés des négociations. Il reçut les collections géographiques de d'Anville, il dressa les cartes et plans des régions frontières. Vergennes voulut que ce bureau fut en état de mettre à toute heure sous les yeux du ministre l'ensemble des instructions données aux ambassadeurs français depuis deux cents ans. Vingt-trois commis ou surnuméraires suffirent au service des quatre bureaux. Ils étaient dirigés par quatre premiers commis ; un jurisconsulte assistait ces commis, pour les affaires contentieuses et le formulaire des actes. Un règlement fixait les heures de travail, la répartition des affaires, le dépouillement de la correspondance, les heures d'arrivée et de départ des courriers. Tout se traitait par écrit ; on analysait et on classait méthodiquement toutes les pièces. Chaque malin, les premiers commis soumettaient au ministre le travail de la veille ; chaque soir, ils expédiaient les correspondances. Deux fois la semaine, par des résumés oraux ou des mémoires, Vergennes mettait le Conseil au courant de sa politique. La Révolution et l'Empire devaient conserver cette organisation.

Les principaux auxiliaires de Vergennes furent : le chef du dépôt Sémonin, l'historiographe Prieur ; le chef du bureau du Nord, Hennin ; les deux frères Conrad et Joseph-Mathias Gérard de Rayneval, qui se succédèrent à la tête du bureau du Midi ; puis des ambassadeurs, Breteuil à Vienne, Juigné à Saint-Pétersbourg, Montmorin et Bourgoing à Madrid, Saint-Priest à Constantinople, Noailles à Londres. Le Roi, sûr de la probité de son ministre, content de sa modestie, en plein accord avec lui, lisait ses mémoires et ses notes et y mettait de judicieuses observations. Il avait soin de cacher à la Reine le travail de sa diplomatie ; Marie-Antoinette ne sut jamais où il mettait les papiers de Vergennes. Au contraire, confiant en la discrétion de Madame Adélaïde, et politiquement d'accord avec elle, il prenait ses avis, et se rendait pour cela chez elle par un escalier secret.

 

II. — L'AMBITION DE L'AUTRICHE ET L'ÉQUILIBRE CONTINENTAL.

L'AUTRICHE avait profité de l'alliance de 1756 pour s'agrandir aux dépens de la Pologne et de la Turquie. Mise en goût par les partages de 1772 et 1774, elle avait des vues à l'est sur la Moldavie, au sud sur les États de Venise, à l’ouest sur la Bavière, sur la Lorraine où avait régné le père de Joseph II, et sur l'Alsace, qui avait appartenu presque tout entière aux Habsbourg. Par la Bavière, l’Empereur aurait relié ses possessions d'Allemagne à celles de Lombardie. Il dominait déjà l'Italie, ayant à sa dévotion l'archiduc de Toscane et le duc de Modène, et les archiduchesses mariées aux Bourbons de Parme et de Naples. En outre l'Autriche ne renonçait pas à recouvrer son antique domination sur l'Allemagne ; une délaite de la Prusse la lui aurait rendue.

Bien qu'il affectât de répéter que l'alliance française était pour lui de peu d'intérêt, le cabinet de Vienne savait qu'elle lui était indispensable, aussi quand la mort de Louis XV mit en question l'alliance, Marie-Thérèse et Joseph II firent les plus grands efforts pour empêcher qu'il y fût porté atteinte. A cet effet, ils comptaient sur la Reine : Tout le monde croit, écrivait l'ambassadeur d'Angleterre, que la Reine prendra de l'influence sur l'esprit du Roi, et, dans ce cas, la cour de Vienne dirigera la France encore plus qu'auparavant.

La Reine était en correspondance fréquente (généralement une lettre par mois), avec sa mère et son frère : Soyez bonne Allemande, lui écrit Marie-Thérèse, n'est-ce pas le meilleur moyen d'être bonne Française ? Et n'est-ce pas contribuer à la prospérité de la France que d'assurer sa tranquillité ? L'intérêt des deux Etats exige que les souverains de France et d'Autriche se tiennent intimement liés ; et c'est pourquoi il convient que la Reine acquière et maintienne sur l'esprit du Roi un ascendant entier et exclusif. Marie-Antoinette était encouragée à prendre cette puissance par l'abbé de Vermond, son lecteur, qui revoyait toutes les lettres qu'elle écrivait à sa mère, et, chaque semaine, remettait à l'ambassadeur de l'Empereur un rapport sur ce qui se passait à Versailles dans l'entourage du Roi et de la Reine. De plus, la cour de Vienne avait organisé à Versailles un service d'espionnage, et elle s'était attaché une partie de la domesticité de Cour, des gens en place, des gens du monde, jusqu'à des commis des ministères. L'ambassadeur de l'Empereur dirigeait toute la manœuvre autrichienne.

Le comte de Mercy-Argenteau menait à Paris l'existence d'un grand seigneur. Il eut, sur le boulevard Richelieu, à partir de 1778, un hôtel superbe, et à Chennevières une délicieuse maison de campagne. On vantait sa cuisine, ses vins, son argenterie, son mobilier. Il avait les plus beaux équipages de Paris, et entretenait une fille d'Opéra très à la mode, la célèbre Rosalie Levasseur. Il fréquentait le salon de la marquise de Durfort, celui du banquier Laborde, voyait les financiers, les comédiens, et partout écoutait et observait Il était admis dans l'intimité des ministres, des princes, de la Reine et du Roi.

Contre cette sorte de complot autrichien agissaient Mesdames et leur entourage, des grands seigneurs comme Richelieu, adversaires d'une alliance qui avait valu autant d'humiliation à la France que de succès à l'Autriche. Choiseul, Beauvau, Besenval, Grammont, restaient fidèles au pacte de 1756, mais même un ami dévoué de Choiseul, Rayneval, convenait que l'alliance de 1756 avait dévié à notre préjudice, et bouleversé le système de l'Europe. Enfin les anciens agents de la diplomatie secrète, Favier et Broglie, conseillaient la rupture de l'alliance comme le seul moyen de sortir de la léthargie, et de rendre à la France, avec de nouveaux alliés, son ancienne prépondérance.

Vergennes voulait affranchir la politique française de toute sujétion à l'égard de l'Autriche, mais en évitant une rupture. Par déférence pour Marie-Thérèse, l'ambassadeur Louis dé Rohan, dont Kaunitz se plaignait, fut rappelé de Vienne, et on lui donna pour successeur Breteuil, en décembre 1774, mais Vergennes déclara à Breteuil qu'il entendait ramener l'alliance à son objet défensif, et, d'un système autrichien, refaire un système français. On aiderait l'Autriche à conserver tout ce qu'elle possédait, mais on s'opposerait à tout agrandissement eu Allemagne, en subordonnant l'alliance à l'intégrité territoriale des États secondaires. Louis XVI ne songeait pas d'ailleurs à revenir sur le partage de la Pologne, car, en se déclarant le vengeur des outrages faits aux droits de la justice et de la propriété, il aurait sans doute provoqué une guerre générale. Il laissa conclure, sans protester, les derniers arrangements relatifs au partage en mars 1775, en février et eu août 1776. Il ne s'opposa ni à l'annexion d'Azow par les Russes au traité de Kaïnardji, ni à celle de la Bukovine par les Autrichiens, en mai 1775. Mais Vergennes travailla à grouper les États secondaires en vue d'une politique défensive. En Italie, il resserra l'alliance entre la France et Gênes, et conclut le mariage de la sœur de Louis XVI, madame Clotilde, avec le fils du roi de Sardaigne, Victor-Amédée III, dont les sœurs avaient épousé les comtes de Provence et d'Artois. En Allemagne, où la Saxe était notre alliée depuis le mariage de Marie-Josèphe avec le Dauphin fils de Louis XV, il réussit à s'attacher le duc de Deux Ponts et l'Electeur Palatin, en leur servant des pensions ; il fit distribuer des cadeaux, des places, des grades militaires à de petits princes qui votaient à la Diète ; il essaya de gagner les électeurs ecclésiastiques. Dans le nord, il s’appuya sur la Suède, où Gustave III, avec l'aide de la France, venait de restaurer l’autorité monarchique, et s'efforça d'être en bons termes avec la Hollande. Il fit enfin des avances discrètes à la Prusse et à la Russie. C'était renouveler contre l'Autriche, redevenue redoutable, la politique du temps où elle était la principale ennemie de la France.

A Berlin, les avances de la France furent bien reçues. Frédéric s'était entendu avec l'Autriche pour les partages de la Pologne, mais il ne pouvait être son allié durable. Il avait à protéger contre elle les princes qu'elle menaçait, à défendre les libertés germaniques, et aussi à conserver ce qu'il avait acquis. Pour de nouveaux agrandissements, du côté de la Pologne, c’était sur l’amitié de la Russie qu’il comptait. Il fut séduit par l’idée de renouer avec la France, de se faire le courtier d'un rapprochement franco-russe, et de tirer parti de la France comme de la Russie contre l'Autriche. Son ambassadeur, de Goltz, était dans l'intimité de Maurepas. Beaucoup de Français tenaient pour l'alliance du roi de Prusse : les Philosophes, ses amis de la première heure ; des historiens, des publicistes, comme Duclos et Mably ; des politiques de coulisses, comme Favier ; des diplomates comme de Broglie. On s'imaginait une Prusse alliée naturelle de la France, renonçant à l'alliance russe, devenue l'alliée de la Suède, protégeant les Turcs et les Polonais, maintenant l’équilibre germanique, aidant à l'établissement d’un protectorat français dans l'Empire. Mais Vergennes n'avait pas de ces illusions. Il disait à Louis XVI que Frédéric était savant dans l'art de semer l'illusion et le prestige, amant jaloux et furieux de la Russie, qu'il ne voulait que brouiller la France et l'Autriche. Il fallait donc être très prudent dans les relations avec lui. Mais il fallait aussi se bien garder de vouloir l'affaiblir. Placé sur le flanc de l'Autriche, il la retenait dans nos liens. Si sa puissance était détruite, il n'y aurait plus de digue contre l'ambition autrichienne.

Pour disloquer la triple alliance, Vergennes entreprit un rapprochement avec la Russie. Catherine II n'aimait pas la France, qui avait essayé d'empêcher toutes ses entreprises, et son cabinet était acquis au système du Nord, c'est-à-dire à l'alliance de la Prusse et de l'Angleterre. Depuis 1772, la France n'avait plus à Pétersbourg qu'un chargé d'affaires. Vergennes laissa entendre à la Russie qu'il prenait son parti du partage de la Pologne, et demandait seulement le maintien du statu quo. Il amorça des négociations par l'intermédiaire de Lauzun, qu'une intrigue d'amour conduisait à Varsovie. Catherine accueillit ces ouvertures. Un nouvel ambassadeur, Juigné, alla donc à Saint-Pétersbourg, avec mission de réconcilier les deux Cours, de conclure un traité de commerce, et d'empêcher les levées de troupes que les Anglais faisaient en pays russe. Juigné n'obtint pas de résultats immédiats, mais il prépara une entente.

Cependant l’Empereur passait à l'exécution de ses projets. En 1775, il envahissait la Bukovine et la Moldavie. Breteuil fit entendre à Vienne que la France garantirait à la Turquie l'intégrité de son territoire, et aussi qu'elle s'opposerait à toute acquisition de l'Autriche en Allemagne. Le chevalier de La Luzerne fut envoyé à Munich avec mission de surveiller les menées autrichiennes, tandis que Rulhière, envoyé auprès de Frédéric, lui exposait ce qu'on appelait la nouvelle tournure de l'alliance de 1756, c'est-à-dire comment l'alliance était subordonnée à une politique d'équilibre et de statu quo territorial. Frédéric affirma que ses intérêts et ceux de la France concordaient.

L'Empereur résolut d'aller réchauffer l'alliance par un voyage en France, au printemps de 1777. Il écrivit à Louis XVI pour lui exprimer la joie qu'il aurait à le voir, et à lui dire bien des choses qui ne peuvent s'écrire. Quoi qu'elle redoutât les sermons de son frère, — de Vienne on la grondait souvent, — la Reine se réjouit. Les amis de Choiseul rédigèrent pour elle un mémoire sur la nécessité d'une étroite union entre les maisons d'Autriche et de Bourbon. Mais Louis XVI et ses ministres savaient que l'Empereur voulait amener la France à tolérer l'annexion de la Bavière et un nouveau démembrement de la Turquie, l'Autriche, de son côté, nous cédant une partie des Pays-Bas. Celte proposition d'un agrandissement aux Pays-Bas était bien tentante. Elle séduisit un moment Vergennes ; dans un entretien confidentiel, il admit, dit-on, l'idée d'une entente avec Joseph II, si l'Empereur nous cédait toutes ses provinces belges. L'idée ne fit, sans doute, que traverser son esprit ; l'acquisition des Pays-Bas aurait amené une rupture avec la Hollande et avec la Prusse. Six jours avant l'arrivée de l'Empereur, il représentait au Conseil la nécessité de ramener l'alliance à son objet défensif, de soutenir le parti prussien en Allemagne, d'écarter le mirage des Pays-Bas, de rester fidèles à la politique de désintéressement et de paix.

Voyageant sous le nom de comte de Falckenstein, Joseph II arrive à Paris le 18 avril, chez l'ambassadeur Mercy. Le lendemain, il est à Versailles. Il ne ménage pas les avis à Marie-Antoinette, à laquelle il conseille une grande déférence envers son mari. Il se fait cordial et simple avec les princes, accueille gracieusement Choiseul et ses amis, multiplie les prévenances à l'égard de Maurepas et de Vergennes. Pour flatter la magistrature, il rend visite au Parlement, comme à une puissance, et parle avec mépris de Maupeou et de Terray. Pour plaire aux Philosophes, il assiste à des séances d'Académies, et refuse daller voir à Notre-Dame les saintes reliques. Les Parisiens s'émerveillent de sa simplicité, de l’intérêt qu'il prend aux arts utiles, de sa bienfaisance et de sa charité. Mais il ne tire de son voyage aucun profil politique. Le Roi s'est montré, à l'arrivée de son beau-frère, très gêné. Il s'étonne et s'impatiente de l'espèce de popularité parisienne dont l'Empereur se fait gloire. Toutes les fois que l'Empereur essaie d'aborder la politique, il est cuirassé. Au reste le comte de Provence, Mesdames et Maurepas se sont entendus pour laisser le moins possible en tête à tête avec le Roi et la Reine ce grand faiseur de protestations, qui, sous un air de franchise, ne veut que tirer les vers du nez et dissimuler ses sentiments propres, disait le comte de Provence. Après un mois et demi, Joseph II essaie avec Vergennes une conversation. Vergennes lui déclare qu'un roi de vingt-deux ans ne peut commencer son règne par une guerre d'ambition. L'Empereur objecte qu'il est difficile de toujours conserver la paix et que la France, d'ailleurs, tant que dure l'alliance, n'a rien à craindre ; mais Vergennes riposte : J'ose assurer Votre Majesté que la maison d'Autriche n'a rien non plus à craindre tant que durera notre alliance. Joseph quitta Versailles aigri et déçu.

L'entente de la France avec la Prusse se resserrait. Il fut décidé, en mai 1777, que le marquis de Jaucourt se rendrait auprès de Frédéric aux manœuvres de Poméranie. Des conférences secrètes se tinrent à Stargard, d'où l'envoyé français rapporta l'assurance que la Prusse se prêterait à contenir l'ambition de l'Autriche, soit du côté de la Turquie, soit du côté de la Ravière. Elle promettait sa neutralité bienveillante, au cas où une guerre viendrait à éclater entre la France et l'Angleterre. Cette promesse était d'autant plus précieuse à Vergennes qu'il était à la veille de se joindre aux Américains soulevés contre l'Angleterre, et qu'il avait le plus vif désir de ne faire la guerre que sur mer. Entre temps, le cabinet de Vienne essayait d'effrayer celui de Versailles. Il donnait à entendre à Breteuil que l'Autriche serait indulgente pour les coquetteries de la France avec la Russie, mais intraitable si la France devenait l'alliée de la Prusse ; il allait jusqu'à laisser supposer qu'un accord pourrait s'établir entre l'Autriche et l'Angleterre. Vergennes répondait que la politique française continuait de reposer sur l'alliance de l'Autriche, mais que, toutes choses devant être égales entre alliés, l'un ne pouvait accaparer tous les bénéfices, tandis que l'autre avait toutes les charges.

Joseph II n'en poursuivait pas moins ses desseins. L'Électeur de Bavière étant mort le 30 décembre 1777, il obtint du plus proche héritier, l'Electeur Palatin Charles-Théodore, une renonciation à une partie de la Bavière, le 3 janvier 1778, et, sur-le-champ, il occupa les districts cédés. Alors les Prussiens se concentrèrent sur la frontière de Bohême, et l'Empereur réclama de la France les secours stipulés par le traité de 1756. Mais Vergennes amena le Conseil à décider qu'on ferait tout pour éviter une guerre continentale. Le plus sûr moyen, disait-il, était de décliner toute proposition d'agrandissement ; à cette condition on pourrait refuser à l'Autriche le secours qu'elle demandait ; on la paralyserait ; en même temps, on empêcherait la forma-lion d une coalition protestante sous la main de la Prusse. Conservant l'équilibre entre les Prussiens et les Autrichiens, le roi de France pourrait faire pencher la balance à son gré. Mercy eut beau protester de la modération de Sa Majesté Impériale ; Louis XVI tint bon ; il osa même dire à la Reine : C'est l'ambition de vos parents qui va tout bouleverser ; ils ont commencé par la Pologne ; maintenant la Bavière fait le second tome ; j'en suis fâché par rapport à vous.

Breteuil lut à Kaunitz, le 24 mars 1778, une note verbale où il était déclaré en termes nets que les relations entre la France et l'Angleterre ne permettaient pas à Sa Majesté d'embrasser un autre parti que celui de la neutralité, dans la guerre qui pourrait éclater en Allemagne, et que, d'ailleurs, après l'examen le plus attentif et le plus scrupuleux des engagements de l'alliance, elle ne pouvait reconnaître le casus fœderis dans la conjoncture présente. Kaunitz interrompit la lecture et refusa de rendre compte à l'Impératrice du contenu de la dépêche à moins qu'on ne la lui laissât par écrit. Breteuil s'en excusa.

Marie-Thérèse avait déjà écrit à Marie-Antoinette, le 1er février, qu'un changement dans notre alliance lui donnerait la mort. Elle pressa sa fille d'intervenir encore. A Versailles, Mercy lui dicta mot par mot les paroles qu'elle devait dire, de peur qu'elle ne les habillât à sa mode. Elle vit, le 16 avril, Maurepas et Vergennes, qui objectèrent contre une guerre continentale l'état des finances. Elle entreprit ensuite le Roi, qui lui expliqua que la part de la Bavière réclamée par l'Autriche ne pouvait être comprise dans les possessions garanties par le traité d'alliance. Mais ses larmes troublaient le Roi. A ce moment, une grossesse, la première, s'annonça, qui donna plus d'autorité à la Reine. Vergennes expédia le 26 avril au Cabinet de Vienne une autre note verbale plus douce, où il l'informait que le Cabinet de Versailles était intervenu auprès du roi de Prusse pour l'engager à entrer dans les arrangements que Marie-Thérèse proposait pour prévenir la guerre. Mais la noie ne disait rien, comme le remarquait Kaunitz, sur la reconnaissance du casus fœderis. Pourtant Kaunitz espérait que la France pourrait être amenée à se déclarer, en cas de rupture définitive entre l’Autriche et la Prusse.

Entre les deux puissances rivales, Louis XVI était résolu de demeurer neutre. Il ne voulait ni élever la maison de Brandebourg sur les ruines de l'Autriche, ni aider l’Autriche à rompre à son profit l'équilibre de l’Allemagne. Au reste, il ne pouvait songer à s'engager dans une guerre en Europe au moment où s'annonçait un conflit avec l’Angleterre.

 

III. — LA PRÉPARATION DE LA GUERRE CONTRE L'ANGLETERRE (1774-1778)[2].

A France était unanime a vouloir la revanche de la guerre de Sept Ans. Dès le temps de Choiseul, les ambassadeurs de France à Londres, les comtes de Guerchy et du Châtelet surveillaient les premières manifestations du conflit américain. La diplomatie secrète de Louis XV avait accumulé des notes, des mémoires et des plans en prévision d'une guerre contre l'Angleterre. Vergennes croyait cette guerre inévitable. L'Angleterre, pensait-il, la désirait, parce qu'elle voyait avec une jalouse cupidité l’essor prodigieux de nos plantations en Amérique et de notre industrie en Europe. Si quelque chose la relient et lui impose, c'est la représentation de la France et de l'Espagne, c'est la certitude que le premier coup de canon qu'elle tirera contre l'une sera répondu par toutes les deux.

Mais Vergennes savait qu'une guerre avec les Anglais serait plus redoutable que ne l'imaginaient certains publicistes de l'école de Rousseau. Ceux-ci disaient l'Angleterre à la veille de sa ruine à cause de la mauvaise vie de ses hautes classes, de la corruption de son Parlement, des luttes violentes entre les partis politiques, de la turbulence sauvage de sa populace et de l'irréductible opposition des Irlandais. Ils comparaient l'Angleterre à la Pologne, et ils annonçaient que l'insurrection des colonies ferait crouler l'empire britannique. Vergennes, avant de s'engager, voulait être sûr des forces navales de la France, s'assurer du concours de l'Espagne, n'avoir plus d'inquiétude du côté du continent et savoir ce que deviendrait le conflit entre les colonies et la métropole.

Jusqu'à la guerre de Sept Ans, les Anglais avaient appliqué mollement à leurs colonies d'Amérique le monopole commercial et industriel qu'ils s'étaient toujours réservé. Les colons admettaient que la métropole fixât comme elle l'entendait les taxes d'entrée et de sortie des marchandises ; mais, en fait, ils se dispensaient le plus possible de les payer. L'énorme étendue des côtes rendait la contrebande facile, et fon calculait que l'Angleterre dépensait de 7 à 8.000 livres sterling pour ne percevoir que 1.000 à 2.000 livres sterling de droits de douane. Après le traité de Paris, George Grenville, devenu premier ministre, organisa la surveillance et la répression de la fraude. Il voulut aussi faire contribuer les colonies aux charges si lourdes de l'Angleterre par l'établissement de taxes intérieures. Or, la constitution anglaise défend de lever le moindre subside sur le peuple anglais sans le consentement exprès de ses mandataires. Les colons protestèrent qu'ils ne pouvaient être taxés par le Parlement métropolitain, où ils n'étaient pas représentés. Le ministère passa outre et fit voter en 1765 le Stamp Act qui imposait le papier timbré. Sur l’invitation du Massachusetts, où dominait l'esprit puritain et démocratique, les délégués de neuf colonies se réunirent en congrès à New-York et dénièrent au Parlement le droit de les imposer. Cet accord de colonies si différentes d'esprit, de mœurs et de sentiments était inquiétant. Le ministère Rockingham retira en 1766 le Stamp Act, mais il fit voter en même temps que le Parlement pouvait édicter des lois obligatoires pour les colonies. En 1767, Townshend, secrétaire des Colonies dans le ministère Chatham, tenant compte de la distinction laite par les Américains entre les taxes intérieures et les taxes extérieures, imposa à l'entrée en Amérique le verre, le papier, le thé et beaucoup d'autres produits ou marchandises. Les Américains contestèrent alors le droit de percevoir même des taxes douanières. Lord North rapporta les droits, mais en maintenant pour le principe le droit sur le thé.

Les opposants s'interdirent l'usage du thé. A Boston, capitale du Massachusetts, une cinquantaine d'hommes déterminés jetèrent à la mer, le 16 décembre 1173, sans que la police locale intervînt, des caisses de thé apportées par trois navires de la Compagnie des Indes. Le gouvernement anglais ordonna que le port de Boston serait fermé à partir du 1er juin 1774 jusqu'au châtiment des coupables, modifia la charte du Massachusetts, nomma le général Gage gouverneur de la colonie, et mit garnison dans Boston.

Ces mesures, qui frappaient toute une population pour la violence de quelques inconnus, soulevèrent l'indignation générale. Douze colonies sur treize nommèrent des délégués qui se réunirent le 5 septembre 1774 à Philadelphie. Ce Congrès protesta dans des adresses au roi et au peuple anglais du parfait loyalisme des Américains, mais il énuméra en termes éloquents leurs droits et leurs griefs. Il décida avant de se séparer, la réunion d'un autre Congrès en 1775, à moins que d'ici là les colons n'eussent reçu satisfaction.

Un Covenant fut signé, qui obligeait ses adhérents à s'abstenir de toute relation commerciale avec la Grande-Bretagne. Le populaire manifestait à sa façon, maltraitant les partisans de la politique anglaise, ou, comme on disait, les loyalistes. Tandis que la plupart des hommes dirigeants des Assemblées coloniales, et les classes riches, répugnaient à la rupture avec l'Angleterre, les violents y étaient décidés, et agissaient en conséquence.

Le gouvernement de la métropole, soutenu par l'opinion publique, persistait dans son intransigeance. Les colons furent déclarés rebelles par une proclamation de George III, le 25 août 1775. Déjà, les séparatistes d'Amérique avaient gagné du terrain. Ils chassèrent des gouvernements locaux la majorité loyaliste ; les milices prirent les armes ; 800 soldats anglais envoyés par le général Gage pour s'emparer d'un magasin d'armes à Concord, à dix-huit milles de Boston, furent au retour attaqués à Lexington, le 19 avril 1775, et n'échappèrent qu'avec peine. Ce fut le premier sang versé. Le nouveau Congrès de Philadelphie, où les délégués des treize colonies étaient venus, s'ouvrit le 10 mai. Il envoya des secours au Massachusetts, organisa la défense, leva des troupes et nomma des officiers généraux et un généralissime, Washington, qui avait commandé les milices américaines pendant la guerre de Sept Ans. Il continuait à protester de sa fidélité au Roi et à la métropole, mais on était près de la rupture. En novembre 1775, le Congrès élut un Comité chargé de correspondre avec les amis de l'Amérique en d’autres pays. Malgré ses préventions contre la France et les souvenirs de la guerre de Sept Ans, il fît partir un agent, Silas Deane, pour s'assurer des dispositions du Cabinet de Versailles et lui demander des armes et de l'argent. A la nouvelle que les Anglais louaient des troupes en Allemagne pour combattre les colons, les Américains s'indignèrent d'être menacés par la métropole d'une invasion de mercenaires. Le Congrès proclama l’indépendance des colonies, et il vota, le 12 juin, la Déclaration des droits, qui eut en Europe un grand retentissement. On y lisait :

La nature a fait tous les hommes également libres. Elle leur a donné des droits absolus, dont ils ne peuvent, quand ils entrent en état de Société, priver par aucun contrat leur postérité : ces droits se rapportent à la vie, à la liberté, aux moyens d'acquérir et de conserver la propriété, de poursuivre et d'obtenir le bonheur et la sécurité. — Tout pouvoir dérive du peuple, dont les magistrats ne sont que les mandataires et les serviteurs. — Un gouvernement est institué pour le bonheur du peuple ; s'il ne répond pas à cette fin, une majorité du peuple a le droit de l'abolir.

Avant même que Silas Deane fût arrivé à Versailles, Vergennes avait décidé de fournir des secours en dessous main aux colons. L'ambassadeur de France à Londres était alors le comte de Guines. Vergennes se défiait de ce personnage élégant et beau parleur. Il avait en Angleterre des agents secrets, l'un d'eux était Beaumarchais, qui s'était fait des relations dans le monde de la politique et des lettres, et parmi les brasseurs d'affaires. Dans un mémoire du 23 septembre 1775, il représenta que les colonies anglaises étaient irrévocablement perdues pour la métropole, et conseilla de prêter secrètement aux rebelles un million.

En ce moment se rendait en Amérique un ancien officier, Bon-vouloir, qui, sous le couvert d'une entreprise commerciale, devait se rendre compte des forces des insurgents, se mettre en relation avec leur comité de correspondance, et promettre au besoin la bienveillance de Louis XVI. Pour cacher son jeu, le cabinet de Versailles ordonnait de poursuivre les contrebandiers qui faisaient passer des armes et des munitions en Amérique.

Vergennes négociait avec l'Espagne pour s'assurer son concours en vertu du pacte de famille. Il eut, de ce côté, les difficultés les plus grandes. D'Aranda, ambassadeur d'Espagne à Paris, conseillait à son gouvernement de secourir les Américains, mais, en même temps, d'annexer le royaume de Portugal, avec qui l'Espagne était entrée en conflit pour la possession d'un territoire situé sur la rive droite du Rio de la Plata, en face de Buenos-Aires. Il promettait à la France le Brésil, possession portugaise, si elle entrait dans ces vues. Vergennes fit comprendre à Madrid qu'il fallait d'abord préparer la guerre et attendre que les Anglais fussent engouffrés dans les horreurs de la guerre civile. Il rappela de Londres le comte de Guines, dont les Espagnols se plaignaient. Cet ambassadeur s'était avisé de déclarer, sans autorisation, au ministre anglais et ensuite à Masserano, ambassadeur d'Espagne à Londres, que, dans le différend entre l'Espagne et le Portugal, la France n'assisterait pas l'Espagne, si l'Angleterre n'assistait pas le Portugal.

Vergennes continuait d'agir en dessous main. Il refusa à Silas Deane, arrivé à Versailles en juillet 1776, les deux cents pièces de canon, les armes, les munitions, les vêtements pour vingt-cinq mille hommes, que l'Américain demandait, mais il l'adressa à Beaumarchais.

Sous le nom d'Hortalez, Beaumarchais avait organisé une maison de commerce franco-espagnole, qui fournit aux Américains du matériel de guerre, de l'argent et des volontaires. D'autres intermédiaires opéraient. Des canons, des fusils, de la poudre et des effets d'équipement et de campement étaient expédiés par les arsenaux de France en Amérique. Les Américains manquant surtout d'officiers et d'ingénieurs, Du Coudray, adjudant général d'artillerie, alla organiser leur artillerie et leur génie. Les volontaires affluaient dans le bureau de Deane. C'étaient surtout de jeunes nobles, enthousiasmés par la cause de l'indépendance américaine, parmi lesquels La Fayette, son beau-frère Noailles, et son ami Ségur. Dès lors, l'intervention officielle de la France parut prochaine. Mais Vergennes. très prudent, ne se décidait pas ; après quelques succès au début, l'année 1776 tournait mal pour les Américains, et des complications étaient toujours à craindre sur le continent.

Le Congrès envoya en septembre 1776 à Paris des commissaires, parmi lesquels Benjamin Franklin. Tout Paris visitait Franklin dans sa maison de Passy. Admiré par les savants et les philosophes qui le comparaient à Socrate et à Newton, il charmait le populaire par sa bonhomie et par la simplicité de ses habits bruns et de ses gros souliers.

La politique de paix avait encore des partisans en France, surtout parmi les économistes, les financiers et la riche bourgeoisie ; mais les sentiments hostiles à l'Angleterre se manifestaient dans les provinces maritimes, dans les villes importantes et parmi la noblesse, la marine, l'armée. Il s’y joignait une sympathie ardente pour ce peuple qui voulait être libre. La prudence du gouvernement irritait l'opinion. Les chansonniers accusaient Vergennes de couardise. En 1777 les Américains menacèrent de s'entendre avec l'Angleterre, et les Anglais mirent le gouvernement français en demeure de fermer ses ports aux navires du Nouveau-Monde. Il fallait prendre un parti.

Vergennes persistait à ne pas vouloir engager les hostilités sans être certain du concours de l'Espagne. En 1776, les deux gouvernements avaient conclu une convention secrète par laquelle ils s'engageaient à entretenir une escadre d'observation en Amérique. Mais, en 1777, Charles III ayant fait ministre Florida Blanca, celui-ci ne voulut pas, dit-il, que le roi de France regardât son maître comme une sorte de gouverneur de province, et il suivit une politique à lui. Sous prétexte que l'Espagne manquait de ressources pour faire la guerre à l'Angleterre, et qu'Espagnols et Français pouvaient bien travailler séparément sans cesser d’être amis, il se mit à négocier avec les Anglais, et leur offrit la médiation de l'Espagne pour assurer la paix. Il se flattait de l'espoir qu'ils lui rendraient Gibraltar. Un nouvel ambassadeur français à Madrid, Montmorin, fit de vains efforts pour lui enlever ses illusions. Sur ces entrefaites, le Cabinet de Versailles, apprenant que les Américains avaient vaincu et fait prisonnière l'armée anglaise, commandée par Burgoyne, à Saratoga, le 16 octobre 1777, se décida. Il signa avec les États-Unis un traité de commerce, d'amitié et d'alliance le 6 février 1778. Le 15 mars, lord Stormont reçut l'ordre de quitter Paris ; l'ambassadeur à Londres, Noailles, fut rappelé, et le commissaire anglais qui, depuis 1763, était installé à Dunkerque, expulsé.

 

IV. — LA PREMIÈRE PHASE DE LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE AMÉRICAINE (1778-1780).

DEPUIS quinze ans, il n'y avait pas eu de grande guerre dans l'Europe occidentale, ni sur l'Océan ; on se demandait ce que vaudraient l'armée et la marine de la France récemment constituées. Les effectifs de cette marine n'étaient guère inférieurs à ceux de la marine anglaise ; elle comptait soixante-dix-huit vaisseaux de ligne, autant de frégates, et un grand nombre de bâtiments secondaires ; les arsenaux et les chantiers étaient aussi actifs en deçà qu'au delà de la Manche. Mais les bâtiments britanniques étaient mieux construits et mieux gréés que ceux de France ; ils étaient presque tous doublés en cuivre, plus rapides, et d'une précision de mouvement supérieure. Le système français de l’inscription maritime valait mieux pour le recrutement que le régime anglais de la presse, mais on a vu combien il était imparfait. En France, d'ailleurs, comme en Angleterre, pour suppléer à l’insuffisance des levées nationales, il fallait recruter des étrangers. Des deux côtés, les officiers se valaient, à cela près qu'il n'y avait pas en Angleterre, comme en France, deux corps d'officiers, se jalousant et se contrecarrant. Les amiraux des deux nations : les Anglais Keppel, Hardy et Byron, les Français d'Orvilliers, Guichen, Grasse, presque tous attachés aux méthodes tactiques consacrées, mettaient leur gloire dans les belles croisières, les évolutions savantes et l'art de se dérober. Mais la guerre allait faire surgir des hommes animés de la passion de combattre : en Angleterre Rodney, en France La Motte-Piquet et Suffren.

Le signal des hostilités fut donné par les Anglais, sans déclaration de guerre. Le 17 juin, la frégate anglaise Aréthuse attaqua la frégate française la Belle Poule, qui se défendit avec succès.

La France accepta avec joie la guerre commencée. Les femmes arborèrent des coiffures à la Belle Poule. Des corsaires coururent la mer ; le ministère étudia des projets de descente aux Iles Britanniques. Il se décida en principe pour une action combinée des flottes française et espagnole dans la Manche et le débarquement de 40.000 Français dans l’ile de Wight pour menacer de là Southampton, Portsmouth et Londres. Mais il ajourna l'exécution jusqu'à ce que l'alliance entre la France et l'Espagne fût définitivement conclue. En attendant, le maréchal de Broglie rassembla des troupes en Normandie, et le lieutenant-général d'Orvilliers concentrait à Brest une flotte de trente-deux vaisseaux de ligne.

On comptait sur les talents de ce marin, qui avait secondé Sartine dans ses réformes et servi sous les ordres de La Galissonnière ; mais il avait soixante-huit ans, et manquait d'audace. Sorti de Brest, le 8 juillet, il croisait au large d'Ouessant, quand il rencontra l'escadre anglaise commandée par Keppel. Il voulut se dérober ; mais ses lieutenants, le duc de Chartres et La Motte-Piquet, lui persuadèrent de risquer le combat. Après un vif engagement, les Anglais se retirèrent, le 17 juillet ; l'action restait indécise, mais l'effet moral en fut extraordinaire. Humiliés de n'être pas vainqueurs, les Anglais mirent leurs amiraux en jugement ; fiers d'avoir si bien résisté, les Français s'enthousiasmèrent.

L'année d'après, 1779, on pensa frapper un grand coup. Le Cabinet espagnol, n'ayant obtenu des Anglais ni l'acceptation de sa médiation ni la restitution de Gibraltar, signa avec la France le traité d'Aranjuez en avril, et déclara la guerre à l'Angleterre, en juin. On s'apprêta donc au débarquement.

Vergennes et Maurepas n'étaient pas favorables à la descente en Angleterre ; ils auraient préféré une campagne décisive dans les eaux d'Amérique. Mais le public, comme les militaires et les marins, voulait frapper l'Angleterre au cœur. La Fayette, revenu d'Amérique pour prendre part à l'opération, écrivait à Washington : Un coup se prépare qui fera tomber cette grandeur soufflée de l'Angleterre. Les patriotes voyaient déjà le drapeau blanc planté au milieu de l'insolente nation. Les Espagnols voulaient aussi qu'on marchât sur Londres ; quatre-vingts bataillons, disaient-ils, et cinquante escadrons auraient raison des miliciens anglais, et d'un trait de plume, on obtiendrait Gibraltar et Minorque.

Quarante mille hommes se réunirent donc à Saint-Malo et au Havre, sous les ordres du maréchal de Vaux. Ségur, Lauzun, La Fayette, étaient dans l'état-major. Quatre cents transports attendaient. Mon cœur, écrit un officier, appelle le vent du Sud, qui amènera d'Orvilliers. Les cabinets de Versailles et de Madrid avaient décidé que, pour tromper les Anglais, d'Orvilliers, avec l'escadre de Brest, rejoindrait l'escadre de Cadix, commandée par Cordova, aux îles Sisargas, près de la Corogne ; les deux flottes réunies feraient ensuite voile vers la Manche pour protéger le passage des troupes de débarquement.

Mais la flotte du septuagénaire Cordova était composée de lourdes machines et pourvue d'équipages inégalement instruits. Il arriva aux Sisargas avec cinquante jours de retard, le 23 juillet. Des vents contraires, un mois durant, immobilisèrent les deux flottes puis une épidémie de scorbut décima les équipages ; la flotte alliée après s'être arrêtée à Brest, se borna à d'incohérentes tentatives, tantôt du côté du cap Spithead, tantôt vers Falmouth ou les îles Sorlingues. Sartine sacrifia d'Orvilliers qu'on qualifiait d'amiral des Capucins, mais du Chafaut, qu'il mit à sa place, reconnut l'impossibilité de traverser la Manche en automne. Ainsi avorta le grand effort de cette Armada.

Dans les mers lointaines, ce fut, en 1778 et 1779, une alternative de succès et de revers. Les Anglais conquirent le Sénégal, Chandernagor et Pondichéry. D'Estaing, ancien brigadier d'infanterie, témérairement brave, détesté par les officiers rouges, adoré des bleus et des soldats, attaqua par mer Newport, en août 1774, dans l’État de Rhode-Island, pendant qu'une petite armée franco-américaine l'attaquait par terre. A la nouvelle de l'approche dune flotte anglaise, il gagna la haute mer pour aller la combattre. Une tempête l'en empêcha. Maltraité par cette tempête, il se retira à Boston pour réparer ses navires. En 1779, il opéra aux Antilles, s'empara des îles Saint-"Vincent et Grenade, battit, le 6 juillet, l'escadre de Byron, mais la laissa échapper. Il revint en France. La Motte-Piquet, qui commanda par intérim dans les Antilles, sauva la plus grande partie d'un convoi attaqué par une flotte anglaise quadruple de la sienne, en décembre 1779.

La France ne trouvait pas chez les insurgents le concours qu'elle avait espéré. Leurs chefs ne consentaient pas volontiers à lier leurs opérations à celles des flottes françaises. Ils avaient contre les deux nations catholiques de France et d'Espagne et contre les volontaires nobles, qui les secouraient, des préjugés qu'entretenait le parti favorable à une réconciliation avec l'Angleterre. Ils réclamaient le droit de pèche à Terre-Neuve, et la Floride, que Vergennes avait promise à l'Espagne pour prix de son concours. Les Français accusaient les Américains d'égoïsme, d'indiscipline, d'orgueil et d'hypocrisie. Ils commençaient à croire que l'alliance américaine était une duperie. Mais La Fayette, à son retour en France en 1778, remonta l'enthousiasme.

Ce jeune seigneur de vingt ans, au maintien grave, à la parole réservée, avait plu aux Américains par des qualités qui contrastaient avec le ton léger, les façons dédaigneuses et la pétulance de ses compagnons de bravoure. Il les avait gagnés par sa passion désintéressée et son culte de paladin pour la cause de la liberté. Malgré ses préventions contre les Français, Washington s'était pris à l'aimer, et il en vint à ressentir de la gratitude envers un pays qui produisait de tels hommes. Il fît donner à La Fayette un commandement ; pour les miliciens américains, La Fayette fut plus qu'un chef, il fut l'ami du soldat, soldier’s friend.

Il n'était pas moins populaire en France. Il mit sa popularité au service de l'Amérique. Il réclama pour Washington un corps de vieilles troupes et de l'artillerie. Franklin, de son côté, par la presse, les salons, les gens de lettres, travaillait l'opinion ; il persuada au ministère d'envoyer une armée dans l'Amérique du Nord.

Vergennes ne se faisait pas illusion sur la force de résistance des Américains ; à trente-trois mille Anglais, bien nourris et bien payés, qui occupaient les principaux points stratégiques de la côte, les Etats-Unis n'avaient à opposer que vingt-cinq mille miliciens indisciplinés, sans vêtements et sans solde ; ils ne vivaient que d'emprunts et leur papier-monnaie perdait 50 p. 100. Pour obliger l'Angleterre à traiter, le Roi se résolut à faire un plus puissant effort ; mais il fallait qu'il fût assuré du maintien de la paix en Europe.

 

V. — LE CONGRÈS DE TESCHEN (1779) ET LA LIGUE DE LA NEUTRALITÉ ARMÉE (1780)[3].

OR, la guerre semblait imminente. Joseph II voulait à tout prix garder la partie de la Bavière qu'il avait envahie. Il alla jusqu'à offrir au roi de Prusse les évêchés de Westphalie sécularisés ; Frédéric refusa. Marie-Thérèse négocia inutilement avec lui, à l'insu de l'Empereur ; à la fin de juillet 1778, la rupture parut inévitable. Le roi de Prusse fit appel à la tsarine ; des troupes prussiennes envahirent la Bohême et se trouvèrent en présence des Impériaux près de Sadowa.

Mercy venait de faire de nouvelles instances pour décider Louis XVI à s'expliquer sur le casus fœderis et à tenir au roi de Prusse un langage assez imposant pour le rendre plus facile à une conciliation. C'était vouloir que la France prît parti. Mais Vergennes ne voulait pas irriter le roi de Prusse, lequel, disait-il, méritait les plus grands égards à cause de ses liaisons intimes avec la Russie, et, si on l'irritait, serait porté à une alliance avec l'Angleterre, alliance dans laquelle il entraînerait peut-être la Russie. Le ministre, très embarrassé, pesait le pour et le contre ; ce fut la tsarine Catherine II qui précipita le dénouement. Elle fit avancer un corps de troupes sur les frontières de la Pologne pour appuyer le roi de Prusse, et somma la Cour de Vienne de convenir avec Frédéric d'un arrangement légal et à l'amiable de toute la succession bavaroise. Dès la fin d'octobre, elle avait d'ailleurs offert au roi de France de partager avec lui son rôle de médiatrice. Un congrès se réunit à Breslau el fut transféré à Teschen où la paix lut signée le 13 mai 1779. La Cour de Vienne abandonna à l'Électeur Palatin, duc de Bavière, tous les districts de la Bavière qu’elle avait occupés, sauf le territoire entre l’Inn et la Salza ou quartier de l’Inn, avec Braunau, quelle garda.

La France a retiré de la paix de Teschen des avantages immédiats. Elle a assuré l'équilibre et la paix en Europe ; elle s'est mise en état de conduire plus vigoureusement la guerre maritime contre l'Angleterre. Mais l'impératrice Catherine, qui avait inspiré la paix ou plutôt l'avait dictée, devenait garante du traité de Teschen, et, par conséquent, des traités de Westphalie qu'elle confirmait. Elle s'assurait par là le droit d'intervenir en Allemagne, où elle se fit une clientèle. Elle apparaissait comme l'arbitre de l'Europe. Puis, les Turcs payèrent le prix de la collaboration qu'elle avait donnée à la France. La Russie prétendait faire le commerce sur la mer Noire, et établir son influence en Crimée. Mais le Sultan résistait, et le conflit pouvait aboutir à une guerre. Catherine avait fait traîner les négociations à Breslau, tant qu'elle ne fut pas sûre d'avoir à Constantinople la paix aux conditions qu'elle avait fixées. L'ambassadeur de France Saint-Priest, travailla à réconcilier les Turcs et les Russes, c'est-à-dire à arracher aux Turcs des concessions pour hâter en Allemagne l'œuvre de la paix, La convention d'Ain-Ali-Qâvâq, du 21 mars 1779, facilita à la Russie le commerce de la mer Noire et consolida en Crimée le pouvoir du Khan Shah-In-Ghirei, son protégé.

Officiellement, Joseph II et Kaunitz remercièrent le Cabinet de Versailles de ses bons offices ; mais, au fond, ils ne lui pardonnaient pas de les avoir abandonnés. Joseph II résolut de s'allier à la Russie dont il venait d’éprouver la force. En juin 1780, il alla visiter la tsarine à Mohilew. Vergennes maintint l'alliance autrichienne quand même, estimant que le système de 1756, si ébranlé qu'il fût, conservait sa valeur défensive. A l'occasion, il rendait quelque bon service à l'Autriche, C'est ainsi qu'il soutint, malgré les récriminations de la Prusse et de la Saxe, la candidature de l'archiduc Maximilien, frère de Marie-Antoinette, à la succession éventuelle de l'électorat de Cologne. Le comte de Châlons, ministre de France à Cologne, triompha de la résistance du chapitre, et l'archiduc fut élu coadjuteur de l'électeur, en août 1780.

Cependant le roi de Prusse, inquiet des projets de Joseph II, aurait volontiers renoué avec la France l'alliance de 1741. Son ambassadeur, le comte de Goltz, déclarait adhérer sans réserves à la politique du cabinet de Versailles. Frédéric Il repoussait les avances de l'Angleterre, recevait les envoyés américains, parlait de reconnaître l'indépendance des États-Unis, ouvrait Dantzig- à leurs corsaires et favorisait l’enrôlement d'officiers destinés à instruire les insurgents. Mais Vergennes ne voulait pas de liaison étroite avec un prince dont il se défiait.

Il lui vint de Russie un concours inattendu.

Aussitôt après la déclaration de guerre, les Anglais s'étaient arrogé le droit de visiter les navires et d'y saisir les marchandises ennemies et la contrebande de guerre, dans laquelle, outre les armes, ils comprenaient les bois de construction, le goudron, les câbles nécessaires à la construction des navires, et même les grains et les légumes. Ils déclaraient en état de blocus, par simple décret d'amirauté, sans les faire garder par des forces suffisantes, les ports ennemis, où ils prétendaient empêcher les navires neutres d'entrer. Ils appliquaient en toute rigueur le droit de prise et le droit de visite, en un temps où les idées nouvelles commençaient à transformer les principes du droit maritime.

Vergennes, au contraire, reconnut, par une déclaration de juillet 1778, la liberté de la navigation pour les neutres : seule la contrebande de guerre, c'est-à-dire les armes et les munitions, pouvait être saisie ; l'état de blocus ne serait reconnu que si le blocus était effectif, et non pas un blocus sur papier. De ces dispositions, bénéficieraient les puissances neutres qui, dans les six mois, voudraient adhérer à ces principes et prendraient des mesures pour faire respecter leur neutralité.

La manœuvre était habile, mais les neutres hésitaient à se prononcer. La Hollande, qui, sur le conseil de l'ambassadeur de France, La Vauguyon, entreprit de faire convoyer ses navires marchands par des navires de guerre pour échapper à la visite, fut obligée, par les menaces de l'Angleterre, de renoncer au droit d'escorte. La Prusse seule adhéra à la déclaration française.

Catherine II avait pour les Anglais une sympathie que fortifiait la communauté d'intérêts : l'Angleterre exportait les trois quarts des produits russes, et importait en Russie les neuf dixièmes des marchandises européennes. Et elle ne se posait pas encore en protectrice de l'Empire Ottoman. Les cabinets de Saint-James et de Pétersbourg négociaient une alliance, qui eût laissé à la tsarine toute liberté d'agir contre les Turcs, moyennant l'engagement d'imposer sa médiation à la France et à l'Espagne.

Il sembla que cette entente anglo-russe fût sur le point de se resserrer. Les Espagnols ayant saisi deux vaisseaux russes dans les eaux de Malaga, Catherine arma. Le 27 février 1780, elle publia une déclaration, qu’elle proposa aux Puissances, aux termes de laquelle les vaisseaux neutres pourraient naviguer librement de port en port et sur les côtes des nations en guerre ; les effets appartenant aux sujets des puissances en guerre seraient insaisissables sur les vaisseaux neutres à l'exception des marchandises de contrebande. La tsarine faisait savoir que, pour protéger l'honneur de son pavillon, la sûreté du commerce et de la navigation de ses sujets contre qui que ce fût, elle ferait appareiller une partie considérable de ses forces maritimes. Dans la pensée de Catherine, la déclaration était tournée contre la France et l'Espagne. Mais ces deux puissances adhérèrent aux principes de la déclaration. L'Angleterre fit des réserves. Or, la tsarine, qui s'était rapprochée de Joseph II, après l'entrevue de Mohilew, n'avait plus besoin d'elle pour régler la question d'Orient ; elle se tourna contre les Anglais, qui s'obstinaient à repousser le principe de la liberté des mers. Après la France et l'Espagne, le Danemark, la Suède, les Provinces-Unies, la Prusse, l'Autriche, le Portugal et enfin les Deux-Siciles adhérèrent à la déclaration, de 1780 à 1783. La Russie, le Danemark et la Suède conclurent môme une ligue défensive et armèrent une flotte pour faire respecter leur neutralité. Catherine avait eu la gloire, qu'elle ne cherchait pas, de mettre à la raison les tyrans des mers.

Au reste, elle faisait peu de cas de sa déclaration, et n'attendait que la paix pour se rapprocher des Anglais. La neutralité armée, disait-elle à Harris, est une nullité armée, rendez-la plus nulle encore en faisant la paix.

 

VI. — LA SECONDE PHASE DE LA GUERRE DE L'INDÉPENDANCE AMÉRICAINE (1780-1783).

CEPENDANT la guerre continuait en Amérique et sur mer. Les corsaires de Dunkerque, Marseille, Nantes et Saint-Malo firent merveille ; le corsaire américain Paul Jones acquit une célébrité universelle à piller les navires et les ports anglais jusque dans la Manche. La Motte-Piquet enleva toute une flotte qui rapportait en Angleterre les dépouilles de Saint-Eustache, la plus riche des Antilles hollandaises, le 2 mai 1781[4].

Toute l'Europe fut attentive au siège de Gibraltar. Elliot commandait la place qu'assiégeaient par terre 15.000 Français et 25.000 Espagnols, sous le commandement de Grillon ; le chef d'escadre Baredo bloquait le port. Le 27 décembre 1779, Rodney pari d'Angleterre pour aller ravitailler Elliot. Cordoba demeure immobile à Cadix. Le 11 janvier 1780, Rodney disperse une escadre espagnole, et fait entrer un convoi dans Gibraltar. Guichen, parti de Brest, n'arriva à Cadix qu'après que Rodney avait quitté Gibraltar. En 1781, Darly, parti de Portsmouth en mars, croise entre Cadix et Gibraltar, pour surveiller Cordoba ; un de ses lieutenants ravitaille la place. En 1782, un grand effort est fait par les alliés ; les flottes de Guichen et de Cordoba arrivent le 12 septembre dans la baie d'Algésiras. Des batteries insubmersibles et incombustibles se rangent devant Gibraltar et ouvrent le feu. Dans une sortie de nuit sur chaloupes canonnières, les Anglais font sauter les batteries. Une autre nuit, l'amiral Howe ravitaille la place encore une fois. A peine les flottes ennemies échangèrent-elles quelques coups de canon, le 20 octobre, vers le cap Spartel, et ce fut la dernière opération devant Gibraltar.

Les grands armements des alliés ne leur procurèrent que la conquête de Mahon et de l'île de Minorque en 1782. Il est singulier, disait Joseph II, qu'avec de si grands moyens et de si grandes dépenses les Bourbons finissent toujours leurs campagnes par en promettre une plus brillante pour l'année prochaine. Aux Antilles, succès et revers se compensèrent. En Inde, au contraire, la France prit sa revanche des humiliations de la guerre de Sept Ans. Ce fut le théâtre où s'illustra Suffren.

Né en Provence, l'an 1726, Suffren avait débuté dans la marine royale en 1743. Entré dans l'ordre de Malte, il y eut la qualité de bailli. Il avait combattu pendant les guerres de la Succession d'Autriche et de Sept Ans. Audacieusement brave, il méprisait, comme Rodney, l'homme des coups d'audace et des coups de bonheur, la tactique routinière, les parades majestueuses, les élégances manœuvrières. Il multipliait les évolutions rapides, cherchait le point faible des ennemis, y poussait ses vaisseaux, engageait le combat à portée de pistolet, précipitait le tir, de manière à rendre l'action meurtrière, courte, décisive. Quand ses capitaines le secondaient mal, il les débarquait ; quand ses équipages n'étaient plus en nombre, il enrôlait des créoles, des Indous et des nègres, quand ses navires faisaient eau, ou avaient perdu leurs mâts à la bataille, il installait dans le premier port ou dans une rade foraine des chantiers de fortune. Dans l'Inde, il sut nouer des alliances, et ranimer les haines contre l’Angleterre ; on ne lui avait point destiné ce rôle, mais il le prit.

Envoyé tic France pour ravitailler la colonie hollandaise du Cap, dont les Anglais voulaient s'emparer, il s'acquitta de sa mission, puis se- rendit à l'Ile de France, où il arriva le 25 octobre. Apprenant qu'Haïder-Ali, ancien ministre du radjah de Mysore, qui s'était révolté contre son maître, s'était fait lui-même radjah, combattait la Compagnie anglaise depuis plusieurs années, et projetait d'envahir le Carnatic, il cingla vers l'Inde. Haïder-Ali témoignait de la sympathie à la France, et avait fait réorganiser son armée par des officiers français. L'escadre d'Hughes barrant l'accès de la côte à Suffren, celui-ci l'attaqua et l'obligea à se replier sur Ceylan en février 1782. Puis il conclut avec Haïder-Ali une convention qui lui permettait d'occuper Gondelour et les places du littoral. "Vainqueur dans deux combats, il s'empara de Trinquemalé à la fin d'août. En vue de la place, il battit de nouveau l'amiral anglais le 3 septembre. Les Anglais durent se retirer à Bombay, et l'armée d'Haïder-Ali alla affamer Madras. Mais Haïder-Ali mourut le 7 décembre, et Tippou-Sahib, son fils, menacé par des compétiteurs et par les Mahrattes, devint un allié plus embarrassant qu'utile. L'ancien compagnon de Dupleix, Bussy, reparut en Inde, mais se laissa cerner dans Gondelour. Suffren, pour le sauver, gagna une dernière victoire le 20 juin 1783. A ce moment-là, le sort delà guerre avait été décidé sur le continent américain.

Le 2 mai 1780 était partie de Brest une armée de secours que Louis XVI envoyait aux Américains. Elle était de six mille hommes, commandée par le lieutenant général comte de Rochambeau, qui s'était distingué dans la guerre de Sept Ans. Le 11 juillet, elle arrivait sur les côtes de Rhode-Island et commençait à débarquer à Newport, où malheureusement elle resta immobilisée un an.

Washington était paralysé par l'impuissance du Congrès à lui fournir des soldats et de l'argent. Les miliciens désertaient. Des régiments de Pennsylvanie se mutinaient, et les amis de la paix et de l'Angleterre complotaient. Un officier américain, Arnold, qui commandait à West-Point sur la rive droite de l'Hudson et tenait bloqué du côté de la terre dans New-York le général anglais Clinton, projetait de lui livrer ce Gibraltar américain. Il fut découvert à temps et s'enfuit ; mais l'alarme avait été chaude. Au sud, le général anglais Cornwallis avait battu l'Américain Green à Guilford dans la Caroline septentrionale, le 15 mars 1781, et pénétré dans la Virginie. Affaibli par sa marche et ses succès, il s'établit à Yorktown, dans une presqu'île, à l'entrée de la baie de Chesapeake, pour rester en communication avec la mer et les flottes anglaises.

De Newport, Rochambeau avait fait une marche de 800 kilomètres pour rejoindre Washington et attaquer l'armée de Cornwallis. Il avait contourné New-York, où Clinton était enfermé. Arrivé le 2 septembre à Chester, à vingt kilomètres au sud de Philadelphie, il apprit que le marquis de Grasse, après des succès remportés aux Antilles sur les Anglais, avait débarqué 3.000 hommes au cap Henry, sur la côte sud du chenal d'entrée de la baie de Chesapeake. Celte petite armée avait fait jonction avec 1.500 hommes, que commandait La Fayette, et occupé Williamsbourg à l'ouest de Yorktown. Washington et Rochambeau arrivant par le nord complétèrent l’investissement du côté de terre. Grasse, ayant repoussé la flotte anglaise de Hood, le 5 septembre, était maître de la baie de Chesapeake et de la voie de la mer. Cornwallis était bloqué. Il ne put tenir contre un bombardement, et se rendit avec vingt-deux drapeaux, 160 pièces de canon, 6.000 hommes et 1500 matelots, le 19 octobre 1781. La nouvelle causa en France un énorme enthousiasme. Quand La Fayette revint à Paris, le 21 janvier 1782, il fut couronné de fleurs à l'Opéra. Louis XVI le fit maréchal de camp. La pièce est jouée, disait La Fayette ; le cinquième acte vient de finir. Les Anglais conservaient encore Charlestown, Savannah et New-York ; mais l'impuissance de leur armée de terre était démontrée. En Angleterre, la consternation fut générale ; lord North ne sut que dire : Mon Dieu, tout est perdu ! Le ministère fut renversé et des négociations s'ouvrirent à Versailles. Une victoire remportée aux Antilles, entre la Dominique et les Saintes, par Rodney sur Grasse, qu'il fit prisonnier en avril 1782, ne changea rien au fond des choses.

 

VII. — LA PAIX DE VERSAILLES (1783), ET LA CONVENTION DE CONSTANTINOPLE (1784).

AUSSITÔT après la conclusion de la paix de Teschen, en mai 1779, l'Autriche et la Russie avaient offert leur médiation, que l'Angleterre et la France déclinèrent, l'une pour ne pas entrer en rapports avec ses sujets rebelles, l'autre parce qu'ayant à se venger des humiliations de la guerre de Sept Ans, elle voulait imposer la paix sans interposition d'arbitre. IL n'est pas sûr d'ailleurs que Catherine et Joseph II cherchassent sincèrement la gloire de faire cesser cette guerre maritime qui leur laissait toute liberté d'agir en Orient, et, s'ils avaient été investis de l'arbitrage, ils se seraient fait payer de leur peine au détriment des alliés de la France. De nouveau, quand ils eurent appris l'ouverture des négociations directes, ils offrirent leurs bons offices sans plus de succès. Aussitôt après la capitulation de Yorktown et la chute du ministère de lord North, des agents anglais, sans caractère officiel, vinrent s'assurer des dispositions du Cabinet de Versailles, et, celles-ci ayant paru modérées, les négociations commencèrent. Lord Shelburne, le premier ministre, voulait la paix. Vergennes mettait sa gloire à la conclure.

Les conférences s'ouvrirent à Paris, en octobre 1782. Il y eut trois négociations parallèles : entre la France, l’Espagne et l’Angleterre, entre l’Angleterre et les États-Unis, entre l’Angleterre et la Hollande La paix aurait été vite signée sans les prétentions de l'Espagne et des États-Unis. L'Espagne exigeait la restitution de Gibraltar ; les Américains réclamaient le droit de pêche à Terre-Neuve, la cession du Canada, la réciprocité commerciale dans les relations avec l'Angleterre ; ils voulaient même reculer leur frontière occidentale jusqu'au Mississipi, ce à quoi l'Espagne refusait de consentir.

Un incident faillit tout compromettre : les plénipotentiaires américains signèrent avec les Anglais des préliminaires séparés, le 30 novembre 1782. Il est vrai qu'ils firent ajouter à la convention une clause qui subordonnait la conclusion de la paix définitive entre l'Angleterre et les États-Unis à la signature de la paix générale. Mais le gouvernement anglais profita de son entente avec les Américains pour repousser toute proposition relative à Gibraltar. L'opinion publique en Angleterre s'opposait furieusement à la cession de cette place ; les Anglais offrirent à l'Espagne en compensation la Floride orientale, puis, en déclarant que ce serait leur dernier mot, toute la Floride. Le comte d'Aranda, ambassadeur d'Espagne en France, prit sur lui d'accepter l'arrangement, malgré les instructions qu'il avait reçues, offrant, disait-il, sa tête à sa patrie. D'autre part, la France et l'Angleterre signèrent leurs préliminaires de paix le 20 janvier 1783. Les négociations entre Angleterre et Hollande traînèrent jusqu'au 2 septembre. Le lendemain, le traité de paix fut signé à Versailles. Les Hollandais recouvrèrent toutes leurs colonies, sauf Négapatam dans l'Inde.

L'Angleterre reconnut comme États libres, indépendants et souverains les Treize États-Unis, dont la limite fut fixée au nord aux possessions anglaises du Canada, au sud à la Floride, devenue espagnole, à l'ouest, au cours du Mississipi. Elle céda à l'Espagne, outre la Floride, l'île de Minorque, mais garda Gibraltar.

La France et l'Angleterre se restituèrent mutuellement ce qu'elles avaient conquis dans les Indes Orientales et Occidentales. L'île de Tabago fat donnée à la France en échange de la Dominique, quelle prétendait garder. En Afrique, la France rentra en possession des comptoirs du Sénégal, quelle avait perdus au traité de Paris A Terre-Neuve, elle garda en toute propriété les îlots de Saint-Pierre et Miquelon, et échangea son droit de pèche sur la côte orientale de l'île depuis le cap Bonavista jusqu'au cap Saint-Jean contre le droit de pêche sur la côte Nord-est et Ouest depuis le cap Saint-Jean jusqu'au cap Raye, Elle obtint l’abrogation des articles du traité de Paris qui lui interdisaient de fortifier Dunkerque et l'obligeaient à y souffrir la présence d'un commissaire anglais. Un traité de commerce, à conclure dans l'espace de deux ans, réglerait les rapports économiques entre les deux puissances.

Les représentants de l'Autriche et de la Russie furent invités par pure courtoisie à mettre leurs signatures au bas des traités.

La paix fut vivement critiquée en France et en Angleterre. Le ministère Shelburne fut renversé. En France, on reprochait à Vergennes de s'être montré trop facile dans le règlement des affaires de l'Inde et d'avoir accepté, après les succès de Suffren, le rétablissement du statu quo ante bellum. La liberté de fortifier Dunkerque et le retrait du commissaire anglais, la possession en toute propriété des îles Saint-Pierre et Miquelon, l'acquisition de Tabago, celle des comptoirs du Sénégal qui paraissaient alors sans importance et sans avenir, étaient considérées comme une compensation insuffisante de cinq ans de guerre et d'une dépense de plus d'un milliard. On blâmait aussi le troc à Terre-Neuve d'une zone de pêche avantageuse contre une ligne de côtes plus étendue, mais moins poissonneuse. Mais Vergennes aurait pu répondre que la guerre avait coûté très cher, que les Espagnols étaient des alliés incommodes, que la pêche de la morue sur la côte orientale était une cause de querelles continuelles entre les marins anglais et français et de conflits possibles entre les deux gouvernements. Ses défenseurs célébraient les bienfaits de la paix, et la restitution des comptoirs d'Afrique et la gloire d'avoir délivré Dunkerque et le territoire de la présence et du contrôle d'un commissaire anglais. Au vrai, les intérêts coloniaux paraissaient à Vergennes comme à presque tous les hommes d'État français, de médiocre importance. L'essentiel pour lui était d'avoir relevé en Europe le prestige de la France. Et il voulait avoir les mains libres pour agir, autant qu'il était encore possible, contre les éternels perturbateurs de la paix en Orient[5].

Marie-Thérèse était morte le 29 novembre 1780, Débarrassé de l'autorité modératrice de sa mère, Joseph II s'abandonna aux impulsions de ses convoitises et de ses rêves. II s'entendit en 1781 avec la tsarine sur l'idée d'un démembrement de l'Empire ottoman. Pour prévenir l'opposition du Cabinet de Versailles et s'assurer son appui contre la Prusse, il refit le voyage de France, passa une semaine à Paris et à Trianon du 29 juillet au o août 1781 ; il laissa croire qu'il projetait d'épouser madame Elisabeth, sœur du Roi, mais ne put l'aire sortir de leur réserve ni Louis XVI ni Vergennes.

De son côté, Catherine envoya à Versailles le grand-duc héritier Paul et sa femme. Le grand-duc passait pour avoir des sympathies françaises. Le comte et la comtesse du Nord, comme ils se qualifiaient en leur incognito, furent accueillis avec bonne grâce. La Cour multiplia les fêtes en leur honneur aux mois de mai et juin 1782 ; mais ils n'emportèrent pas à Pétersbourg le blanc-seing qu'ils étaient venus chercher.

Catherine n'en écrivit pas moins à Joseph II la fameuse lettre du 10 septembre 1782, où elle exposait son plan de partage de l'Empire Ottoman. La Russie prendrait la Crimée, le Kouban, le littoral entre le Dniester et le Boug, une ou deux îles de l'Archipel. On constituerait avec la Moldavie, la Valachie et la Bessarabie un État nouveau, la Dacie, qui aurait un souverain de religion grecque. L'Autriche prendrait la Serbie, la Bosnie, l'Herzégovine et obligerait Venise à lui céder l'Istrie et la Dalmatie en échange de la Morée, de Chypre et de Candie. Si les Turcs étaient chassés de Constantinople, l'Empire byzantin serait rétabli en faveur du grand-duc Constantin, petit-fils cadet de l'Impératrice ; ce prince renoncerait à tous ses droits à la succession de Russie. Sans perdre de temps, la tsarine envoya des troupes en Crimée pour y rétablir son protégé le Khan Shah-In-Gheraï, que des troubles, fomentés, disait-elle par les Turcs, en avaient chassé. En 1783, elle fil occuper militairement la Crimée, le Kouban et l'île de Taman, et invita l’empereur à se procurer lui-même un agrandissement.

Joseph II, que la situation de ses États obligeait à plus de prudence, voulait s'assurer l'appui de la France. Le 15 avril 1783, Mercy avait parlé à Vergennes du démembrement de l'Empire Ottoman comme d'une tentation à laquelle la Russie ne pourrait pas résister ; il avait ajouté qu'il y aurait place pour tout le monde au partage. Vergennes répondit en soupirant qu'il désirait mourir avant cet événement. Mercy reprit que l’Egypte serait un morceau très convenable pour la France ; mais Vergennes répliqua que la France n'avait pas besoin de conquêtes. Mercy revint à la charge le 9 juin ; il déclara que l'Empereur demanderait une cession de territoire équivalente à celle que prendrait la Russie. Vergennes objecta que le roi de Prusse à son tour réclamerait une compensation. Mercy insinua que le seul moyen de maintenir l'équilibre européen serait de partager l'Empire ottoman entre plusieurs puissances et que la part de la France pourrait être fort belle. Vergennes riposta par un projet de concert entre la France, l'Autriche et la Prusse pour agir sur ou contre la Russie, et il offrit ses bons offices à l'Autriche auprès du Cabinet de Berlin. Il fît remettre à Vienne, le 1er septembre 1783, un mémoire où le Roi se déclarait nettement contre le système des compensations :

 

La considération que l'intérêt de la maison d'Autriche lui conseille de s'étendre en raison de ce que la Russie peut acquérir serait un exemple funeste, dont cent ans de guerre n'expieraient peut-être pas la fatale erreur. Si la crainte que la puissance russe ne gravite un jour sur la puissance autrichienne est un titre suffisant pour se compenser aux dépens d'un tiers innocent, ne doit-on pas prévoir que d'autres puissances, craignant avec autant de raison que la puissance autrichienne ne gravite à son tour sur les leurs, s'autoriseront de l'exemple des deux Cours impériales pour se procurer des accroissements et des compensations aux dépens de qui il appartiendra ? Où en serait l'Europe si jamais, ce qu'à Dieu ne plaise ! ce monstrueux système venait à s'accréditer ? Tous les liens politiques seraient dissous ; la sûreté publique serait détruite et l'Europe n'offrirait bientôt plus qu'un théâtre de troubles et de confusion.

En terminant, le Roi annonçait qu'il allait se concerter avec le roi de Prusse pour prévenir les malheurs dont l'Europe serait menacée en cas d'une guerre en Turquie et il invitait l'Empereur à partager avec lui un soin aussi désintéressé. Mais Vergennes ne trouva pas d'écho à Berlin. Peut-être Frédéric II espérait-il qu'une guerre de l'Autriche contre la Turquie lui permettrait, comme en 1772, de se dédommager en Pologne et d'annexer Thorn et Dantzig. En tout cas, il poussait les Turcs à la guerre. Vergennes, déçu, baissa le ton, et, pour adoucir l'Empereur et la Reine, expliqua que dans une circonstance aussi grave il était bien naturel d'avoir voulu connaître l'opinion du roi de Prusse.

La Russie vint à déclarer qu'elle se contenterait de ce qu'elle avait conquis, et Vergennes usa de toute son influence à Constantinople pour amener les Turcs à céder. Le comte de Saint-Priest, ambassadeur de France auprès du Sultan, fit conclure la convention de Constantinople, le 8 janvier 1784, qui donnait aux Russes la Crimée, le Kouban et l'île de Taman.

La France abandonnait donc la Turquie, comme elle avait abandonné la Pologne, comme elle abandonnera, trois ans après, la Hollande. La victoire qu'elle avait remportée sur l'Angleterre coûtait cher. Mais Vergennes trouvait des raisons de se consoler. L'Autriche, inquiète des dispositions de la Cour de Versailles, n'avait pas marché. Le roi de Prusse ne pourrait prétendre à aucune compensation. L'équilibre de l'Europe centrale était maintenu. Au moins, disait le ministre, l'Empereur n'a rien eu, et la satisfaction de la Cour de Pétersbourg, qui, à la vérité, pèse éminemment sur les Turcs, n'est d'aucun préjudice pour la France. C'était faire bon visage contre mauvaise fortune. L'occupation de la Crimée par la Russie, cliente commerciale de l'Angleterre, était nuisible aux armateurs français, qui jusque-là faisaient presque tout le commerce de la mer Noire.

 

VIII. — LA FIN DE VERGENNES (1784-1787)[6].

L'AMBITION de l'Autriche donna de nouveaux soucis à Vergennes. Joseph II, trompé dans ses ambitions en Orient par l'accord conclu à Constantinople entre la Russie et la Turquie, cherchait vers les Pays-Bas une compensation. Il réclama des Hollandais la réouverture de l'Escaut, dont un article de la paix de Munster en 1648 avait ordonné la clôture afin de ruiner Anvers, le grand port rival d'Amsterdam. La Hollande arma. Toute l'Europe s'émut. Frédéric II, inquiet d'un progrès de la puissance impériale aux Pays-Bas, envoya en France son frère, le prince Henri, dont le succès fut grand à la Cour et à la Ville. Mirabeau, dans ses Doutes sur la liberté de l'Escaut, représenta le danger d'une Autriche devenue grande puissance commerciale, et fit un devoir à la France de défendre la Hollande, dont il admirait l’héroïque histoire :

Je conseille une guerre prompte et vigoureuse, pour conserver une république dont les habitants ont formé le sol qu'ils occupent, les terres qu'ils cultivent, les rivières qui les arrosent ; habitants industrieux, honnêtes, paisibles, courageux, qui ont acquis l'aisance et la liberté qu'on leur envie, par une continuité d'efforts dont l'histoire des hommes n'offre pas un autre exemple, par quatre-vingts ans de victoires dans toutes les parties du monde.

Vergennes fut très embarrassé. La Reine soutenait l'Empereur de toutes ses forces. On raconte qu'un jour elle dit au ministre : Enfin, monsieur, songez toujours que l'Empereur est mon frère, et que le ministre répondit : Je m'en souviendrai toujours, madame ; mais je penserai surtout que Monseigneur le Dauphin est votre fils. Il ne pouvait, sans ruiner le crédit de la France en Europe, abandonner la cause hollandaise. Mais il redoutait une guerre générale, sachant qu'il ne pouvait compter ni sur la Prusse, ni sur l'Espagne, ni sur les vieux alliés traditionnels, la Pologne démembrée, la Turquie décrépite et la Suède disetteuse. Or, la guerre parut inévitable, après que les Hollandais, le 8 octobre 1784, eurent tiré sur un brigantin de commerce portant pavillon autrichien, qui descendait l'Escaut. L'Empereur annonça qu'il allait se faire justice, par une armée de 80.000 hommes. La Hollande, avec laquelle la France négociait un traité d'alliance, somma le Cabinet de Versailles de se décider. Comme, au même moment, l'Angleterre offrait aux Hollandais un traité de commerce et l'assistance contre l'Empereur, Vergennes se décida. Le 20 novembre partit de Versailles une note, retardée cinq jours par l'opposition de la Reine. Louis XVI exigeait que l'Empereur renonçât à l'ouverture de l'Escaut, et lui offrait son entremise pour concourir à éteindre dans le principe le feu d'une guerre dont les suites pouvaient être incalculables. Le jour même où cette note fut signée, l'Empereur, qui savait qu'il n'aurait pas d'alliés, la Russie lui ayant fait entendre qu'elle ne le soutiendrait que par des dépêches, avisait le cabinet de Versailles qu'il traiterait avec la Hollande, pourvu qu'il fût indemnisé des droits qu'il croyait avoir sur Maastricht, et qu'il avait revendiqués au début du conflit. On marchanda longtemps sur le chiffre, et on finit par convenir qu'il serait de dix millions de florins, dont la France paierait quatre millions et demi. Le 8 novembre 1785. le traité de Fontainebleau fut signé entre l'Empereur et la Hollande, sous la médiation de la France. Deux jours après, la France et la Hollande concluaient un traité par lequel elles se garantissaient leur état territorial. Vergennes, que la faction impériale accusait de duplicité, avait sincèrement cherché à empêcher un grand conflit et il y avait réussi.

Un autre conflit s'était annoncé au cours même des négociations sur la question de l'Escaut. Joseph II avait parlé d'un échange de ses possessions des Pays-Bas contre la Bavière ; il s'était entendu avec l'Électeur Palatin, Charles-Théodore, duc de Bavière, qui était sans enfants légitimes, et il pensait obtenir l'assentiment de Charles II, duc de Deux-Ponts, et de son frère, le prince Maximilien, héritiers de Charles-Théodore. Mercy-Argenteau soumit le projet d'échange au cabinet de Versailles, le 30 novembre 1784. C'eût été, aux yeux de l’Empereur, la solution de la question de l'Escaut, puisqu'il n'aurait plus eu d'intérêt à l'ouverture du fleuve. Mercy donna à entendre que la France recevrait, pour prix de ses bons offices, le Luxembourg et le Namurois, distraits des Pays-Bas autrichiens. Vergennes fut tenté par l’offre et il accepta le principe de l'échange, mais avec de prudentes réserves. Le Conseil tenu le 1er décembre 1784 conclut que S. M. n'y voit au premier coup d'œil rien qui semble blesser ses intérêts directs ; mais considérant que cette affaire intéresse immédiatement l'Empire et par conséquent tous ses membres, S. M. demande si l'Empereur a des indices et même des sûretés que le Corps germanique s'y prêtera et que le roi de Prusse n'y apportera pas d'obstacle. La Cour de Vienne aurait voulu que la France négligeât les convenances du roi de Prusse et travaillât à faire agréer l'échange par le duc de Deux-Ponts et le prince Maximilien. La Reine essaya d'obtenir l'adhésion du Roi et de Vergennes dans mie conversation, à la fin de décembre 1784. Mais Vergennes, revenu à son principe de n'accepter aucun agrandissement territorial, persistait à vouloir s'assurer, avant d'aller plus avant, si le roi de Prusse n'était pas hostile à l'échange. La Reine lui fit une algarade — le mot est d'elle — ; Vergennes offrit sa démission, que le Roi refusa. En janvier 1785, le duc de Deux-Ponts, sûr de l'appui de la Prusse et de la bienveillance de la France, refusa de consentir à l'échange, et l'affaire en resta là.

La perpétuelle ambition de l'Empereur décida Frédéric II à grouper contre lui les princes allemands. Le 23 juillet 1785, il signa avec l'Électeur de Saxe et l'Électeur de Hanovre — George III, roi d'Angleterre — une confédération, le Fürstenbund, pour le maintien des lois de l'Empire, des traités et des droits des États. Les ducs de Saxe-Weimar, de Gotha, de Deux-Ponts, de Mecklembourg, la maison de Hesse, le margrave de Bade, l'Électeur de Mayence, etc., y adhérèrent. Ainsi la Prusse avait réussi a réunir autour d'elle une grande partie de l'Allemagne. Cet État, devenu la première puissance militaire de l'Europe, prenait le rôle que s'étaient attribué jusque-là des princes étrangers, de protecteur des libertés germaniques. Le bruit courut qu'un article secret du traité mettait les forces alliées sous le commandement du roi de Prusse. La Russie s'inquiéta. La tsarine fit dire à Frédéric que les traités dont le contenu était inconnu engendraient de l'inquiétude. Mais comme ses vues étaient alors tournées vers la Turquie, elle se contenta de récriminer. La France, qui avait essayé un moment de démontrer les inconvénients et l'inutilité de la Ligue, avait fini par inviter le duc de Deux-Ponts à y entrer. Frédéric II s'appliqua à rassurer la France et la Russie par des prévenances. Il n'avait plus de griefs contre la politique française, depuis qu'il la voyait occupée à contenir l'ambition autrichienne.

Les relations avec l'Angleterre étaient pacifiques. Un ministre de vingt-quatre ans, le fils de lord Chatham, William Pitt, estimait la paix nécessaire pour diminuer la dette anglaise qui était énorme, réorganiser les forces navales et développer le commerce et l'industrie. Il n'entendait pas d'ailleurs que le recueillement de l'Angleterre fût une abdication. Il ouvrit à son pays les marchés d'Europe par toute une série de conventions. Il signa avec la France le traité du 26 septembre 1786, qui devait permettre, comme on le verra[7], aux produits manufacturés anglais de conquérir le marché français. Il essaya d'empêcher l'Espagne de conclure avec la France un traité de commerce, qui fut néanmoins signé en juin 1786. Il resserra l'alliance de l'Angleterre et du Portugal, et se servit de l'Irlandais John Acton, favori de la Reine Marie-Caroline, pour établir son crédit à la Cour du Bourbon qui régnait à Naples, Ferdinand IV.

Mais, en Hollande, l'Angleterre et la France étaient rivales. La lutte, depuis si longtemps commencée entre les partisans du stathoudérat et ceux des libertés provinciales et municipales, durait toujours. Comme le stathouder, Guillaume V, était petit-fils de George II, les Orangistes comptaient sur le gouvernement anglais pour transformer le stathoudérat en monarchie héréditaire. La France appuyait leurs adversaires les Républicains et les Patriotes. Les Républicains se recrutaient dans la grosse bourgeoisie marchande, qui dominait aux États généraux ; ils détenaient les charges municipales, les principales fonctions ; c'était une aristocratie commerçante. Les Patriotes étaient un parti plus avancé de petits bourgeois.

Les Républicains et les Patriotes entreprirent d'amoindrir le stathoudérat. Ils entrèrent en conflit avec Guillaume V à propos du droit qui appartenait au stathouder de nommer les magistrats des villes. Les États de la province de Hollande le suspendirent de sa fonction de capitaine général en septembre 1785. C'était le moment où se négociait le traité de Fontainebleau. L'ambassadeur de France à La Haye, de Vérac, promit aux Patriotes l'appui de son gouvernement, et des officiers français passèrent en Hollande, où Ils formèrent une légion batave. Mais le stathouder comptait sur l'Angleterre et sur la Prusse. Marié à une nièce de Frédéric II, il était le beau-frère de Frédéric-Guillaume II, qui succéda en 1786 au Grand Frédéric. Inquiet du conflit possible, Vergennes négocia avec la Prusse un accommodement entre le stathouder et les États de Hollande. Guillaume V refusa en décembre 1786 d'accepter le compromis sur lequel s'étaient entendues la France et la Prusse. Vergennes fut préoccupé, les derniers mois de sa vie, du danger d'une crise hollandaise.

D'autre part, il assistait au déclin de la puissance française dans l'Europe orientale. Catherine II ne pardonnait pas au Cabinet de Versailles d’avoir entravé ses projets contre les Turcs et la Suède, et elle refusait de payer aux négociants français les indemnités auxquelles ils avaient droit, pour les pertes subies dans la dernière guerre d'Orient. Il semble, écrivait Vergennes, qu'on se fasse un plaisir de nous désobliger. Lorsqu'il nomma un nouvel ambassadeur à Saint-Pétersbourg, il lui prescrivit d'observer de simples égards envers l'Impératrice. Mais la préoccupation des intérêts économiques français, l'opinion qu'on pouvait sauvegarder l'équilibre en Occident au prix de sacrifices en Orient, le déterminèrent à faire quelques avances. Il se rapprocha des Austro-Russes.

L'agent de cette politique nouvelle fut un homme de beaucoup d'esprit et de talent, le comte Philippe de Ségur. Ses flatteries plurent à l'Impératrice ; il devint le familier du palais impérial. Le gouvernement russe avait grand intérêt à n'être pas gêné par la diplomatie française. Il accorda à la France un traité de commerce, le 11 janvier 1787, qui ouvrit le marché russe aux vins et aux savons français, facilita les relations de Marseille avec les ports de la mer Noire, et concéda aux négociants de France les mêmes avantages qu'à ceux d'Angleterre. Dans un voyage que Ségur fit sur le lac Ilmen avec l'Impératrice, il se donna le plaisir d'écrire cette convention désagréable à l'Angleterre avec une plume et un encrier empruntés à son collègue, l'ambassadeur anglais. En retour, la diplomatie française renonçait à ses traditions. Ségur, grand seigneur philosophe, était gêné par les plaisanteries des Russes sur la protection que la France accordait à la barbarie turque ; il promettait que son gouvernement empêcherait les Ottomans de commencer la guerre. A Constantinople, l'ambassadeur de France, Choiseul-Gouffier, un philanthrope et un philhellène, préparait les Turcs à toutes les concessions. Il faisait venir une mission militaire pour réorganiser leur armée, et mettre leurs places en défense ; mais il rejetait leurs propositions d'alliance et il secondait l'ambassadeur russe Boulgakof. Aussi la Turquie refusait au commerce français les concessions qu'elle faisait, aux Russes ; elle annulait les effets d'une convention par laquelle les beys d'Egypte ouvraient aux Français la mer Rouge.

Vergennes mourut le 13 février 1787. Le grand acte de son ministère avait été la guerre aux Anglais, qui fut pour la France ; après la triste guerre de Sept Ans, une réparation d’honneur avec quelques profits appréciables. Dans cette guerre, de nobles sentiments nouveaux, inspirés de l'esprit du temps, s'étaient mêlés aux vieux sentiments héréditaires de haine contre l'Angleterre. Sur le continent, Vergennes, sans jamais rompre avec l'Autriche, l'a contrecarrée partout. Il a contribué à l'empêcher de prendre la Bavière, d'assurer ainsi sa domination sur l'Allemagne du Sud et de commander les routes de l'Italie, d'ouvrir l'Escaut et de fonder ainsi entre France et Hollande une puissance commerciale rivale de celles des deux États, dont l'ancienne alliance fut renouvelée à cette occasion. Dans sa politique à l'égard de l'Autriche, il marcha d'accord avec la Prusse. En Orient, il voulut empêcher un nouveau démembrement de la Pologne et la destruction de la Turquie. Le statu quo fut maintenu en Pologne ; mais la France ne put empêcher les Russes de poursuivre leurs progrès au détriment des Turcs.

Vergennes fut un négociateur de traités de commerce. Il en conclut avec l'Angleterre, la Hollande, les États-Unis, l'Espagne et la Russie. La politique économique convenait à ce pacifique, qui ne voulait point de conquêtes et qui s'employait à prévenir les guerres. Il faut tenir compte, pour être juste envers lui, des grands changements survenus dans le monde, depuis que l'Angleterre avait conquis l'empire des mers, que la Prusse était née, que la colossale Russie avait commencé d'intervenir dans les affaires de l'Europe, que la Hollande était descendue à l'état de puissance secondaire, que la Pologne attendait le coup de grâce, et que la Turquie avait beaucoup de peine à se défendre elle-même. Il semble bien que Vergennes ait fait tout ce que l'état de la France et de l'Europe lui permettait de faire. Son grand mérite fut d'avoir vu le possible, et suivi, à travers tant de difficultés, une politique très sage et très honorable en même temps. Il s'indignait de voir prévaloir dans la politique de la Prusse, de l'Autriche et de la Russie à l'égard de la Turquie, de la Pologne et de la Suède ce qu'il appelait un monstrueux système, destructeur de la sécurité publique, et qui devait faire de l'Europe un théâtre de troubles et de confusion. Il ne voulut pour la France aucun agrandissement qu'il eût fallu acheter par des compromissions avec les ambitions autrichiennes ou prussiennes, ou russes. Il félicitait Louis XVI d'être un pacifique, un roi citoyen, comme il le lui dit un jour ; car Vergennes était pénétré de l'esprit du siècle, et quelque peu disciple des philosophes.

 

IX. — LE MINISTÈRE DE MONTMORIN (1787-1789)[8].

A VERGENNES succéda Montmorin, qui avait représenté la France à Trêves et à Madrid, esprit éclairé, de jugement droit, appliqué au travail, mais timoré. Il permit à la Reine et aux ambassadeurs d'entremêler leurs combinaisons aux siennes. Plus encore que Vergennes qui était connu de l'Europe, où l'on jugeait la France incapable d'intervenir dans les affaires autrement que par des avis non suivis d'effets, il fut gêné par l'état misérable des finances. En Hollande, l'Angleterre poussait le stathouder à la résistance et les dispositions de la Prusse encourageaient Guillaume V. Frédéric-Guillaume II n'aimait pas la France. Il renvoya de Berlin les artistes, les savants, les administrateurs que Frédéric II y avait attirés. La Cour prussienne affectait de ne plus parler qu'allemand et de mépriser les mœurs de Versailles. Hertzberg, le principal ministre prussien, pensait que la Prusse pourrait, avec l'alliance de l’Angleterre, jouer un très grand rôle en Europe. Il voulait détruire l'influence française en Hollande et en Allemagne. La Prusse, qui jusque-là s'était montrée conciliante dans les affaires de Hollande, saisit donc la première occasion de faire volte-face.

Les commissaires des États de la province de Hollande ayant fait rebrousser chemin, le 28 juin 1787, à la princesse Wilhelmine, femme du stathouder et sœur de Frédéric-Guillaume H, qui se rendait à La Haye pour provoquer une manifestation populaire orangiste, Frédéric-Guillaume sen plaignit comme d’un affront personnel, et demanda réparation. Il concentra vingt mille hommes à Wesel. Les Anglais se préparèrent aussi à intervenir en faveur du stathouder ; leur ambassadeur demanda à Montmorin, le 4 juillet, des explications sur ses engagements à l'égard des Patriotes. Pitt fît armer à Portsmouth six vaisseaux de ligne, mais il déclara qu'il n'avait pas d'intention de guerre et qu'il souhaitait un arrangement. Montmorin louvoya entre deux écueils comme il put. Il promit en août aux Patriotes qu'en cas d'agression étrangère il les soutiendrait ; mais, trompé par l'espérance d'un accommodement, il ne fit aucun préparatif, et rappela l'ambassadeur de France à La Haye, qui s'était trop compromis par son action contre les Orangistes. Il convint avec Pitt de limiter au chiffre de six vaisseaux les armements maritimes réciproques de la France et de la Grande-Bretagne, et, pour donner aux Prussiens une preuve de ses dispositions pacifiques, il ne massa point de troupes à la frontière des Pays-Bas. Frédéric-Guillaume fut convaincu que la France n'oserait pas affronter à la fois une guerre maritime et une guerre continentale, au moment où elle semblait près de la banqueroute.

Montmorin avait envoyé à Berlin un agent chargé de proposer une médiation franco-prussienne ; mais, avant même que celui-ci fût arrive, le ministre prussien à La Haye, Thulemeyer, avait présenté un ultimatum aux États généraux, et, le 13 septembre, l’armée prussienne avait pénétré dans les Provinces-Unies. L'aristocratie républicaine abandonna les Patriotes ; les villes ouvrirent leurs portes ; Amsterdam seule résista quelque temps. Le stathouder fut rétabli dans ses prérogatives, et gouverna en maître, sous la protection de l'armée prussienne et de la flotte anglaise.

La France ressentit vivement l'affront. Les étrangers furent surpris qu'un grand État pût prendre et trahir l'engagement de secourir ses alliés. La France, disait Hertzberg, a perdu, avec l'alliance hollandaise, le reste de son prestige en Europe ; et Joseph II se réjouissait : La France vient de tomber, dit-il ; je doute qu'elle se relève.

Le rétablissement du stathouder changea l’équilibre des forces dans le système politique de l’Europe occidentale. Le 15 avril 1788, les Anglais et les Hollandais, à La Haye, et, le même jour, les Prussiens et les Hollandais, à Berlin, signèrent des traités d'alliance défensive, où les parties contractantes déterminaient les secours qu'elles se donneraient en cas de guerre maritime ou continentale. Puis l'Angleterre et la Prusse s'engagèrent par le traité de Berlin, le 13 août 1788, à maintenir la constitution de la République des Provinces-Unies telle quelles l'avaient établie.

La Prusse tenta détendre le Fürstenbund aux États rhénans, pour les soustraire à l'influence française. Elle célébra très haut sa victoire aux Pays-Bas. Quelques-uns de nos régiments, disait un de ses envoyés au grand-vizir, ont suffi pour intimider les Français, et mettre la Hollande à la raison. L'Angleterre avait reconquis en Europe sa situation d'avant la guerre d'Amérique. Alliée de la Hollande, ne voulant pas plus qu'elle que l'Escaut lut libre, maîtresse du Hanovre, alliée de la Prusse, et s'assurant par là une clientèle en Allemagne, tantôt ménageant et tantôt brusquant le Danemark et la Suède, en vue d'enlever à la France sa part de trafic dans la Baltique, menaçant l'Espagne par sa colonie continentale du Portugal, balançant dans la Méditerranée l'influence française, et disputant à la France le commerce du Levant, elle n'aurait pas mieux demandé que d'avoir avec ce pays, devenu d'ailleurs, depuis le traité de commerce de 1786, un de ses principaux marchés, de bonnes relations, mais le cabinet de Versailles se défiait de la Cour d'Angleterre : Cette Cour nous jalouse et nous hait, écrivait Montmorin ; si nous nous rapprochons d'elle, elle voudra nous dominer.

La Russie et l'Autriche avaient profité des embarras de la France pour rouvrir la question d'Orient. Quand la tsarine était allée visiter, en 1786, la Grimée, sa récente conquête, elle avait passé à Kherson sous des arcs de triomphe, qui portaient cette inscription : Chemin de Byzance. D'accord avec l'Autriche, elle invita les Turcs à reconnaître l'indépendance de la Géorgie et l'autonomie des Moldo-Valaques. Mais, bien qu'en assez mauvais termes avec la France protectrice des Turcs, ni l'Angleterre ni la Prusse ne pouvaient être indifférentes à ces événements. Sous l'influence de Hertzberg, le roi de Prusse prétendait régler à sa convenance la question polonaise et la question turque. Il projetait de soulever contre la Russie les Polonais et les Suédois, contre l'Autriche, les Belges et les Hongrois, et contre toutes deux, les Turcs. Puis il interviendrait comme médiateur, amènerait le sultan à céder aux Autrichiens la Moldavie et la Valachie, aux Russes les côtes de la mer Noire jusqu'au Danube. Il ferait restituer à la Pologne par les Autrichiens la Galicie et recevrait lui-même de la Pologne, en récompense de ses bons offices, Thorn et Dantzig. Secondé par l'Angleterre, il commenta par pousser les Turcs à la guerre. Ceux-ci, le 26 juillet 1787, sommèrent les Russes de leur restituer la Crimée et d'abandonner le protectorat de la Géorgie ; le 13 août, ils emprisonnèrent l'ambassadeur russe.

Ainsi commença une nouvelle guerre entre la Turquie et la Russie. Joseph II se déclara obligé par les traités à soutenir les Russes. Il manqua une entreprise sur Belgrade, et déclara la guerre au sultan en février 1788. Montmorin ne vit point autre chose à faire, et il ne pouvait en effet faire autre chose que de prescrire à Choiseul-Gouffier de prêcher à Constantinople la résignation. Il prévint le désir que la tsarine lui fit exprimer par Ségur d'intervenir encore une fois auprès de la Porte par ses exhortations. Sur la demande de l'Autriche, il rappela les Français, ingénieurs, artilleurs, marins, qui étaient au service de la Turquie. Louis XVI défendit en môme temps à la jeune noblesse de rejoindre les troupes de l'Empereur. La France voulait rester neutre et vantait à tout le monde les bienfaits de la paix.

Pour parvenir à la découverte de l'intention des deux Cours impériales (Russie et Autriche) au moyen des réponses que chacune d'elles lui ferait séparément, Montmorin fit proposer à Saint-Pétersbourg un concert et à Vienne une nouvelle alliance ou le renouvellement de l'alliance de 1756. A Vienne, on se défendit de rêver le renversement de l'Empire Ottoman, que l'Empereur Joseph II déclarait impossible à effectuer. Il redoutait, d'ailleurs, une entente entre Berlin et Versailles qui l'eût paralysé et obligé de faire à la Prusse une nouvelle part en Pologne. Or, une acquisition faite en Pologne par le roi de Prusse, écrivait Joseph II, ne fût-elle que d'un seul village, me serait plus nuisible que ne pourrait m'être avantageuse celle de toute une province turque. Mercy expliquait à Montmorin qu'une entente entre la Russie, l'Autriche et la France était facile, à condition que, s'il s'établissait un accord de convenances sur le partage des dépouilles ottomanes, le roi de Prusse en fût exclu, dans l'intérêt de l'Autriche, et l'Angleterre, dans celui de la France. Quant à la tsarine, que Montmorin avait priée de s'expliquer avec confiance sur ses intentions, et de mettre par là le Roi en état... de pouvoir prendre une détermination ultérieure en pleine connaissance de cause, elle fit répondre qu'elle était on ne peut pas plus disposée à s'unir intimement avec le Roi Très Chrétien, mais elle ajournait les explications qui ne pouvaient guère avoir lieu, à ce qu'il semble, au point où en étaient les choses et avant que l’on ait pu en conférer avec l'Empereur.

Entre temps, l'ambassadeur de France et les ministres russes causaient. Ségur, très choyé par Catherine, qui faisait jouer devant elle la tragédie de Coriolan dont il était l'auteur, ne défendait les Turcs que par acquit de conscience. En France, un parti russophile se formait. Catherine était populaire, comme l'avait été Frédéric II, parmi les écrivains et les philosophes qui s'imaginaient une Russie de roman, combattant pour la civiliser. On parlait, d'ailleurs, de faire à la France sa part ; l'Egypte, Candie ou Chypre. Une alliance de la Cour de Versailles avec les Cours impériales empêcherait les mauvais desseins de la Prusse contre la Pologne.

Mais Montmorin aimait mieux n'entrer dans aucune combinaison. Il avait fait les avances, et il ne répliquait pas aux réponses. Kaunitz, impatienté de ces façons, demandait : Voulait-on, ne voulait-on pas ?

Cependant la guerre continuait sans grand effet, des épidémies paralysant les Russes en Crimée et les Autrichiens sur le Danube. Toute l'Europe était occupée à des négociations enchevêtrées. La tsarine, qui avait essayé de s'entendre avec l'Angleterre, finit par proposer une quadruple alliance — Russie, Autriche, France, Espagne — pour imposer la paix aux Turcs, et s'opposer à la Triple Alliance — Angleterre, Prusse, Hollande. — Montmorin accepta l'idée, qui fut discutée à Versailles, le 27 janvier 1789. Mais la France avait alors autre chose à faire et à penser. Necker parla de la détresse financière. Le Conseil décida qu'il ne serait pas raisonnable, même en persistant dans le projet d'alliance avec la Russie, de la précipiter dans ce moment-ci. Comme l'Empereur était las de la guerre, il consentit que Choiseul-Gouffier négociât secrètement un traité entre l'Autriche et la Turquie sur la base de l'uti possidetis. Le seul rôle approprié aux moyens de la France était celui de médiatrice.

 

 

 



[1] SOURCES. De Martens, Recueil des principaux traités depuis 1761 jusqu'à présent, Göttingue, 1817-1835, 8 vol. Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France, p. p. le ministère des Affaires étrangères (vol. Autriche, Bavière, Prusse, Russie, Sardaigne). Mably, Le droit public de l'Europe fondé sur les traités, Genève, 1748, rééd. p. Roussel, Paris, 1852, 3 vol. De Ségur, Politique de tous les cabinets de l'Europe pendant les règnes de Louis XV et de Louis XVI, Paris, 1801, 3 vol. Josef II und Graf L. Cobenzt, ihr Briefwechsel, p. p. Béer et von Friedler (Fontes rerum Austriacarum, 1901). Lauzun (duc de), Mémoires, Paris, 1822, 2 vol. Chateaubriand, Mémoires d'Outre-tombe, éd. Biré, Paris, 1898-1908, 4 vol. Journal de Corberon, p. p. Labande, Paris, 1901, 2 vol.

OUVRAGES A CONSULTER. De Flassan, Histoire générale et raisonnée de la diplomatie française, Paris, 1811, 7 vol. Bonneville de Marsangy. Le comte de Vergennes, son ambassade en Suède (1771-1774), Paris, 1898. De Bourges, Vergennes, ses débuts diplomatiques, dans la Rev. des quest. hist., 1898. Tratchewsky, La diplomatie de Vergennes ou la France et l’Allemagne sous Louis XVI, dans la Rev. Hist., t. XIV à XVI. Doniol, Le comte de Vergennes et P. M. Hennin, Paris, 1898. A. von Arneth, Joseph II und Katharina von Russland, Vienne, 1869. Droysen, Geschichte der preussischen Politik, Berlin, 1855-56, 14 vol. Exner, Frankreich und Niederrhein, Berlin, 1856. J. Ranke, Die deutschen Mächte und der Fürstenbund, Leipzig, 1872, 2 vol. Hermann, Geschichte des Russischen Staates, Gotha, 1860, au t. VI (t. XXXII de la coll. Gesch. der Europ. Staaten). Waliszevski, Le roman d'une impératrice, Paris, 1898. Léger, Histoire de l’Autriche-Hongrie, Paris, 1879. Sorel, La question d'Orient au XVIIIe siècle, Paris, 1889. Dauvila, El reinado de Carlos III, Madrid, 1894-96, 6 vol. Duro, Armada española, Madrid, 1899, au t. VII. Green, Histoire du peuple anglais, trad. Monod, Paris, 1888, au t. II.

[2] Sur la guerre de l'Indépendance américaine, consulter, outre les documents et ouvrages généraux indiqués en tête du chapitre :

SOURCES. Histoire de la participation de la France à l'établissement des Etats-Unis d'Amérique, correspondance diplomatique et documents, p. p. Doniol, Paris, 1886-92, 5 vol. Correspondance de Jefferson, dans Jefferson's complète Works, New-York, 1853-54, 2 vol. Lafayette, Mémoires, correspondance et manuscrits, Paris, 1837-88, 6 vol. Rochambeau, Mémoires militaires, historiques et politiques, Paris, 1809, 2 vol. Correspondance et écrits de G. Washington, p. p. Jared Sparks, trad. fr., Paris, 1851. Franklin, Works, p. p. Jared Sparks, rééd. Londres, 1881, 10 vol. Correspondance politique et littéraire de B. Franklin (1753-1790), Paris, 1817. The Life of B. Franklin, written by himself, nouv. éd. p. Bigelow, Philadelphie, 1875, 3 vol. The diplomatie Correspondence of the American révolution, p. p. Jared Sparks, Boston, 1829-80, 12 vol. Facsimiles of manuscripts in European archives, p. p. Stevens, Londres, 1890.

OUVRAGES A CONSULTER. Les Histoires des États-Unis de Bancroft (trad.fr. p. de Circourt), Paris, 1876, 10 vol., et de Moireau, Paris, 1892, 2 vol. Winsor, Narrative and critical history of North-America, t. VI et VII, Boston, 1888. Charavay, Le général Lafayette, Paris, 1898. Le marquis de Lafayette et la Révolution d'Amérique, Paris, 1908. Noailles (vicomte de), Marins et soldats français en Amérique pendant la guerre de l'Indépendance des Etats-Unis (1778-1788), Paris, 1903. Tower, Le marquis de Lafayette (trad. fr. p. Mme G. Paris), Paris, 1908. De Witt, Histoire de Washington, Paris, 1859. Doniol, Les préliminaires de l'intervention de la France en Amérique, au t. CXIX des Séances et trav. de l'Ac. des sc. mor. et pol. E. Haie, Franklin in France, Boston, 1887, 2 vol. Les articles biographiques des principaux personnages Américains et Anglais dans la Library of American Biography, p. p. Jared Sparks, et dans l’English national Biography. Fitzmaurice, Life of Shelburne, Londres, 1876. Parton, Life of Franklin, New-York, 1864, 2 vol.

Une bibliographie plus détaillée se trouve dans : Bushnell Hart et Channing, Guide to the study of American history, Boston, 1896, et au t. VII, ch. X de l'Histoire générale, publiée sous la direction de Lavisse et Rambaud, 2e éd., 1910.

[3] SOURCES. Recueil des Instructions données aux ambassadeurs (vol. Autriche, Prusse, Russie), Recueils de Martens (t. VI) et de Clercq (t. I), la Politique de tous les Cabinets de l'Europe. De Martens, Actes diplomatiques concernant le congrès de Teschen (Société impériale, t. LXV). A Collection of public acts and papers relating to the principes of Armed Neutrality, Londres, 1801. Aklenstücke die Bewaffnete Neutralitæt betreffend (dans le Recueil de Herzberg, t. I). Recueil de documents diplomatiques concernant la Neutralité armée tirés des Archives de Moscou, Moscou, 1859. Un diplomate français à la cour de Catherine II (1775-1780) ; Journal intime du chevalier de Corberon, p. p. Labande, Paris, 1901, 2 vol. Comte de Ségur, Mémoires ou Souvenirs et anecdotes, Paris, 1824-1826, 3 vol.

OUVRAGES. De Flassan (t. VI), Léger, d'Arneth, Sorel, Tratchewsky, Droysen, Exner, Waliszevski, déjà cités. Beer, Zur Geschichte des Bayerischen Erbfolgekrieges (Hist Zeitschrift, t. XXXV) ; id., Die Sendung Thuguts an den Preussisch-Œsterreichischen Verhandlungen, Francfort, 1890. Koser, Kœnig Friedrich der Grosse, Stuttgart, 1893-1903, 2 vol. Unzer (Adolf), Der Friede von Teschen, Kiel, 1903. Fauchille, La diplomatie française et la ligue des Neutres, Paris, 1898. Bergholm, Die Bewaffnete Neutralitæl, Berlin, 1884. Doniol, L'Introduction par la France du droit des Neutres..., Paris, 1880. Eichelmann, Der Bewaffnete Neulralitœlsbund Russlands (Russische Revue, 1888).

[4] Les Anglais, qui appliquaient rigoureusement leurs principes de droit maritime aux Hollandais, leur déclarèrent la guerre le 20 décembre 1780, pour prévenir leur adhésion à la Ligue de neutralité armée. Les Etats généraux, toujours lents, ne la volèrent que le 3 janvier suivant, et les Neutres, alléguant ce retard, refusèrent de prendre parti pour les Provinces-Unies contre l'Angleterre.

[5] Sur les affaires d'Orient :

SOURCES. Correspondance de Catherine II avec le Grand-Duc pour son voyage. (Société impériale d'histoire russe, t. IX, et le t. XII des Œuvres de l'Impératrice Catherine II.) Recueil des Instructions (vol. Russie, Prusse, Autriche). Joseph II und Katharina von Russland : Ihr Briefwechsel, p. p. von Arneth. Maria Theresia und Joseph II ; Ihre Correspondenz, sammt Briefen Joseph's an seinen Bruder Leopold (1761-1789), publié par le même, Vienne, 1867-68, 3 vol.

OUVRAGES. Rambaud, Histoire de Russie, Paris, 1878. Sorel, La question d'Orient au XVIIIe siècle, Paris, 1889, et L'Europe et la Révolution française, t. I, IIe édition, Paris, 1908.

[6] SOURCES. Comte de Mirabeau, Histoire secrète de la Cour de Berlin, s. l., 1789, 2 vol. Id., La Monarchie prussienne sous Frédéric le Grand, Londres, 1788, 8 vol. Id., Aux Bataves, sur le Stathoudérat, Paris, 1788. Mémoires sur Mirabeau et son époque, Paris, 1824, 4 vol., t. IV. Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein, ambassadeur de Suède en France (1783-1799), p. p. Léouzon Le Duc, Paris, 1881.

OUVRAGES. De Flassan (t. VII), Tratchewsky, de Nolhac (La reine Marie-Antoinette), déjà cités. Blok, Geschiedenis van hel Nederlandsche volk, t. VI, Groningue, 1904. Sorel, Vergennes et sa politique (Revue historique, t. XIV, 1881). Magnette, Joseph II et la liberté de l'Escaut, Bruxelles, 1896. De la Rocheterie, Marie-Antoinette et le différend de Joseph II avec la Hollande (Revue des Quest. hist., 1893). Coquelle, L'Alliance franco-hollandaise, contre l'Angleterre (1735-1788), Paris, 1902. Welschinger, La Mission secrète de Mirabeau à Berlin (1786-1787), Paris, 1890. Ségur (comte de), Le Maréchal de Ségur (1784-1801), Paris, 1895. Pingaud, La France en Orient sous Louis XVI ; Choiseul-Gouffier, Paris, 1887. Wolf (G.), Œsterreich und Preussen (1780-1790), Vienne, 1880. Ranke, Die Deutschen Mæchte un der Färstenbund, Leipzig, 1871-1872, 2 vol. Erdmannsdœrffer, Aus den Zeiten des Deutschen Fürstenbundes, Heidelberg, 1885. Wittichen, Preussen und England in der europæischen Politik, 1785-1788 (Heidelberger Abhandlungen zur mittleren und neueren Geschichte).

[7] Ci-dessous, liv. III, chap. V.

[8] SOURCES. Correspondance de lord Auckland, Londres, 1861-1862. 4 vol. Mirabeau, Aux Bataves sur le Stalboudérat, Paris, 1788. Correspondenz Josephs II mil seinem Minister in den österreichischen Niederlanden Traulmansdorf, p. p. Schlitter, Vienne. D'Arneth, Joseph II and Katharina v. Russland, déjà cité.

OUVRAGES. De Flassan (t. VII), Geffroy (Gustave III), Coquelle, Tratchewsky, Pingaud (Choiseul-Gouffier), Welschinger, Wolf, Sorel (L'Europe et la Révolution française), comte de Ségur (Le maréchal de Ségur) déjà cités. Stanhope, Life of W. Pitt, traduction Guyot, Paris, 1889, 3 vol. De Sybel, Histoire de l'Europe pendant la Révolution française, trad. Bosquet, Paris, 1869-1876. 3 vol. De Witt, Une invasion prussienne de la Hollande en 1787, Paris, 1886. Masson (Frédéric), Le département des Affaires étrangères pendant la Révolution (1787-1804), Paris, 1877. Barral-Montferrat, Dix ans de paix armée entre la France et l'Angleterre (1783-1793), Paris, 1898. Pingaud (L.), Les Français en Russie et les Russes en France, Paris, 1886. Flammermont, Le second ministère de Necker (Rev. hist., t. LVI). Hausser, Deutsche Geschichte vom Tode Friedrichs des Grossen bis zur Gründung des Deutschen Bundes, 1858-1860, 4 vol. Zinkeisen, Geschichte des Osmanischen Reiches, Gotha, 1859, t. V. Russel, The life and times of Ch. Fox, 1886. Salmon, La politique extérieure de Pitt (English hist. Review, 1896).