I. — MONSIEUR LE DUC ET MADAME DE PRIE. QUAND le duc d'Orléans fut mort, le duc de Bourbon demanda le titre de Premier Ministre que Louis XV lui donna. Fleury, précepteur du Roi, ne jugeait pas que le moment fût venu pour lui de prendre le pouvoir, et le Duc était, parmi les Princes du Sang, le seul en état de l'exercer ; les bâtards s'en trouvaient écartés à tout jamais, et ni le comte de Charolais, frère du Duc, ni le prince de Conti, ni le fils du Régent, seulement âgé de vingt et un ans, ne pouvaient le lui disputer. Il avait trente et un ans. Il était grand et d'assez belle
tournure, mais très laid et de physionomie effrayante : il avait perdu un œil
par accident de chasse. Ses manières étaient hautaines et dures. Le marquis
d'Argenson, qui du temps de Inintelligent et incapable d'aucunes vues politiques, il
se montra surtout occupé de sa haine contre les Orléans. Sa grande inquiétude
était de voir Louis XV mourir, et le fils du Régent lui succéder. Il garda
les ministres qu'il trouva en fonctions : D'Armenonville, garde des Sceaux,
Dodun, contrôleur général, Fleurieu de Morville, secrétaire d'État des
Affaires étrangères depuis la mort de Dubois, Fleury croyait qu'il gouvernerait sous le nom du Duc ;
mais il eut à compter avec Mme de Prie. Elle était fille du financier
Berthelot de Pléneuf, et elle avait épousé un marquis ruiné, dont on avait
fait un ambassadeur à Turin. Elle avait tenu à la petite cour de Savoie un
grand état de maison ; mais La marquise était née en 1698 ; elle avait des yeux à la chinoise, vifs et gais, un air de nymphe, des cheveux cendrés ; elle était la fleur des pois du siècle, disait le marquis
d'Argenson, qui lui trouvait des je ne sais quoi qui
enlèvent. Étourdie quelquefois, mais fine, ambitieuse, elle gardait,
quoiqu'elle n'eût ni croyances ni mœurs, toutes les apparences de la décence
et de la modestie. Elle avait le goût de la politique et se croyait faite
pour gouverner l'État. Après d'inutiles tentatives sur le Régent, elle
s'était rabattue sur M. le Duc, dont elle devint la maîtresse en 1711. Elle le
poussa à prendre connaissance des affaires, le releva à ses propres yeux,
même aux yeux du public. Quand il devint premier ministre, elle lui montra
que, pour gouverner, il fallait se faire servir par d'autres gens que les roués. Elle fit de Paris Du Verney un secrétaire des commandements du duc ; et, avec ce
titre vague, Du Verney disposa d'une très grande autorité. Elle écarta du
gouvernement ses ennemis personnels, le comte d'Argenson à qui elle enleva la
lieutenance de Police pour la donner à un de ses parents, d'Ombreval ; Le
Blanc, à qui elle enleva le département de II. — L'ADMINISTRATION DE PÂRIS DU VERNEY (1723-1726). PÂRIS DU VERNEY est le troisième des frères Pâris. Originaires du Dauphiné, où leur père, à ce qu'on dit, avait tenu auberge sur la grande route de Lyon à Grenoble, dans la petite ville de Moirans, les Paris commencèrent leur fortune dans les fournitures de vivres à l'armée d'Italie, pendant la guerre de la ligue d'Augsbourg, en 1702, ils fournirent l'armée de Flandre, où ils firent des merveilles. Du Verney est l'inspirateur et le chef de ses frères. Il aime les affaires pour elles-mêmes, pas seulement pour y gagner de l'argent. Il manie des milliards, et laissera une fortune médiocre. Probe, mais rusé, mêlé dès sa jeunesse à toutes les pratiques des marchés, il était, pour ses fournisseurs, un objet d'admiration. La guerre de Il s'occupa d'abord des monnaies. La disproportion qui
existait entre la valeur intrinsèque et la valeur nominale des monnaies lui paraissait
expliquer la crise commerciale et le haut prix des marchandises. Il abaissa
la valeur nominale des espèces et releva ainsi leur titre. Par l'arrêt du 4
février 1724, les louis passèrent de Cette opération coûta au Trésor une quarantaine de millions, et jeta partout la panique. Contrairement aux prévisions de Du Verney, et contrairement au bon sens, les prix, au lieu de baisser, s'élevèrent encore ; alors les ouvriers se coalisèrent pour obtenir des augmentations de salaires. On voyait bien que le rapport du titre et de la valeur nominale des monnaies était mieux proportionné que par le passé ; mais on redoutait que l'État ne revint aux pratiques anciennes et ne baissât le titre, après l'avoir élevé. Du Verney s'obstina. Pour mettre les salaires et le prix
des denrées d'accord avec la valeur nouvelle qu'il attribuait aux espèces, il
fit arrêter, emprisonner, sabrer des ouvriers récalcitrants. II publia des
tarifs officiels sur les denrées, non à Paris, où il craignait de
compromettre les approvisionnements, mais dans les provinces : à Libourne,
par exemple, la viande fut taxée à 9 sous la livre, et la douzaine d'œufs à 4
sous ; une couple de poulets ne put se vendre que 8 sous ; les souliers de
drap pour femme, On vit bientôt que le public avait eu raison de se méfier ; cédant à l'opposition qu'il rencontrait, Du Verney opéra en sens inverse et diminua la valeur des espèces. En février 1726, la livre descendit à 1 fr. 22 ; en mai, elle tomba à 1 fr. 02. Des peines furent édictées contre ceux qui conservaient les anciennes monnaies, plus riches en métal précieux : on confisqua ces monnaies ; en cas de récidive, on frappa d'amendes doubles de leur valeur ceux qui les détenaient ; on bannit les détenteurs ; on condamna aux galères les joailliers qui déformaient les monnaies pour les employer à leurs ouvrages, et au carcan quiconque les faisait fondre. Tandis que ces remaniements de monnaies rendaient le commerce plus difficile, Du Verney tentait d'assurer l'équilibre du budget. Avec 204 millions de recettes, contre 208 ou 210 millions de dépenses, il aurait pu y parvenir, s'il n'avait eu à solder les anticipations des années précédentes. Mais, au 1er janvier 1724, le déficit était de 43 millions pour les arrérages des rentes payables en 1722 et 1723 ; et en 1725, on devait encore 14 millions sur les arrérages de 1723, 8 sur ceux de 1724 ; en outre le payement des gages était en retard d'une trentaine de millions. De toute nécessité, le moment était venu de pourvoir au remplacement du Dixième, si imprudemment supprimé en 1717. La guerre, alors imminente entre la ligue de Hanovre et l'Espagne unie à l'Autriche, forçait le Gouvernement à se procurer de nouvelles ressources. A l'instigation de Du Verney, le contrôleur général Dodun
proposa donc de percevoir, pendant douze ans, une taxe d'un cinquantième de
tous les revenus des biens-fonds sans nulle exception, en nature sur les
produits de la terre, en argent sur les autres produits. Il invoqua l'exemple
de Les difficultés pratiques du recouvrement d'un impôt en nature ont sans doute fait appréhender les vexations des agents de l'État ; mais la cause principale du soulèvement contre le Cinquantième a été le retour d'un impôt de surcroît, qui rappelait le Dixième. D'ailleurs, le Cinquantième coïncidait avec une récolte mauvaise. Le Gouvernement qui avait proclamé l'abolition définitive du Dixième, paraissait le rétablir, en le dissimulant sous un nom nouveau et une forme nouvelle. Pressé par le besoin d'argent, Du Verney eut recours à un droit de l'époque féodale, le droit de confirmation ou de joyeux avènement, que le Régent et Dubois avaient intentionnellement négligé de faire valoir, et auquel M. le Duc avait eu l'imprudence d'annoncer qu'il renonçait. Un édit de juin 1725 en décida la levée ; une instruction officielle en régla l'assiette ; les seuls magistrats des cours souveraines en furent exemptés. Comme ce droit avait donné vingt millions en 1643, il semblait devoir produire bien davantage. On ne l'adjugea cependant que pour vingt-quatre millions à des traitants. Ils firent d'énormes bénéfices, d'autant plus que les ministres qui se succédèrent au pouvoir leur accordèrent des délais invraisemblables. Leurs comptes ne furent définitivement réglés que cinquante ans après l'établissement de la taxe, en 1773. A l'occasion du mariage de Louis XV, en 1725, un certain
nombre de maîtrises de métiers furent mises en vente au profit de Pour la ceinture de Peuples, mettez-vous à la gêne, Et tâchez de bien l'allonger ; Bourbon le borgne vous en prie, Car il voudrait en ménager Une aune ou deux pour La misère était générale en cette année La misère accrut le nombre des mendiants, au point qu'une fois de plus il fallut essayer des moyens législatifs contre la mendicité. Par ordonnance du 18 juillet 1724, les mendiants avaient été divisés en deux classes : ceux qui ne pouvaient travailler, ceux qui ne le voulaient pas. Les premiers seraient nourris dans les hôpitaux ; les seconds seraient enrôlés pour le service des ponts et chaussées ou employés à divers métiers qu'on installerait dans les hôpitaux. Attendu que le mendiant valide était un perturbateur public, volant le pain des infirmes et des vieillards, il serait marqué au bras de la lettre M à la première récidive ; à la seconde, il serait flétri d'une fleur de lys à l'épaule et condamné aux galères au moins pour cinq ans. La pénurie du Trésor rendit ces rigueurs inapplicables. Réduits à ne donner aux mendiants que le pain et l'eau et à les coucher sur la paille, les administrateurs d'hôpitaux favorisèrent l'évasion de ces misérables. Les troupes et la maréchaussée, prises de pitié, refusèrent de les arrêter. Il fallut que le Gouvernement recrutât des archers en Suisse pour cette besogne. La nouvelle force publique fut aussi haie que, naguère, les bandouliers du Mississipi. Une des meilleures idées de Du Verney fut de doter la monarchie d'une force nouvelle par l'institution des milices. Au moment où une alliance conclue entre Philippe V et l'Empereur fit appréhender une guerre européenne, il imagina de constituer, par l'ordonnance du 1er février 1724, une armée de seconde ligne, tirée du peuple, forte de 60.000 hommes, soumise à un service temporaire, mais conservant pendant la paix l'habitude des armes. L'idée n'était pas neuve. On a vu que Louvois avait
institué des corps de milice en 1688, mais ils n'avaient pas duré longtemps.
Ils ne figurèrent pas dans la guerre de Mais, dans une société fondée sur le privilège et sur l'inégalité des charges, le recrutement des milices ne pouvait s'effectuer de façon équitable ; la classe des miliciables se réduisait à celle des petites gens et presque exclusivement aux habitants des campagnes. En dépit de l'ordonnance qui déclarait qu'aucune paroisse ne pouvait être dispensée de contribuer aux milices, nombre de villes parvinrent à s'y soustraire. A ce vice près, qui était grave, les milices furent un premier essai des armées de réserve, et elles annoncèrent le système de la conscription. III. — APRÈS la mort de Louis XIV, les Protestants s'étaient
repris à célébrer leur culte, surtout en Languedoc, en Dauphiné, en Guyenne,
en Poitou. Dès Elle vise particulièrement les assemblées d'hérétiques, les prédicants, les mariages d'hérétiques, l'éducation de leurs enfants. Tout homme convaincu d'avoir assisté à une assemblée illicite devra être puni des galères perpétuelles, toute femme de la détention perpétuelle ; les biens de l'un et de l'autre seront confisqués. Les prédicants seront punis de mort. Nul ne pourra contracter mariage hors des solennités prescrites par les canons, à peine de nullité du mariage. Les gens ayant professé la religion prétendue réformée, ou ceux dont les parents l'auront professée, seront astreints à faire baptiser leurs enfants par les curés, dans les vingt-quatre heures qui suivent la 'naissance ; les sages-femmes sont tenues de donner avis des accouchements aux curés. Il est enjoint aux parents suspects d'hérésie d'envoyer leurs enfants aux catéchismes jusqu'à quatorze ans, aux instructions qui se font les dimanches et fêtes jusqu'à vingt ans et aux curés de veiller à l'instruction des dits enfants. Il est interdit, sous peine d'amende, de faire élever ses enfants à l'étranger. Il est prescrit aux prêtres catholiques de visiter les nouveaux convertis quand ils sont malades, de les voir en particulier et sans témoins, de les exhorter à recevoir les sacrements de l'Église, et au cas où, s'y étant refusés, ils reviendraient à la santé, le Roi ordonne à ses procureurs de les poursuivre, aux baillis et sénéchaux de les juger ; ce sont des relaps, et, du fait de leur apostasie, ils doivent être bannis à perpétuité ; leurs biens seront confisqués. Ces mesures rappelaient les procédés de la persécution des protestants par Louis XIV. Sur certains points, les rigueurs du XVIIe siècle furent aggravées. Louis XIV avait voulu que l'apostasie fût constatée par des officiers de justice qui s'enquéraient du fait en interrogeant les accusés. Louis XV établit en 1724 que le fait serait tenu pour constaté par la seule déposition des prêtres. Voulons, dit-il, que le contenu au précédent article (bannissement à perpétuité et confiscation des biens) soit exécuté, sans qu'il soit besoin d'autre preuve que le refus qui aura été fait par le malade des sacrements de l'Église offerts par les curés, vicaires ou autres ayant charge d'âmes.... sans qu'il soit nécessaire que les juges du lieu se soient transportés dans la maison des dits malades pour y dresser procès-verbal de leur refus,.... dérogeant à cet égard aux déclarations des 29 avril 1686 et 8 mars 1715.... L'incapacité des religionnaires à exercer des fonctions publiques fut répétée une fois de plus : Ordonnons que nul de nos sujets
ne pourra être reçu en aucune charge de judicature dans les cours,
bailliages, sénéchaussées, prévôtés et justices, ni dans celles des hauts
justiciers, même dans les places de maires et échevins et autres officiers
des hôtels de ville,.... dans celles de greffiers. procureurs, notaires,
huissiers et sergents,.... et généralement dans aucun office ou fonction
publique, soit en titre ou par commission, sans avoir une attestation du
curé, en son absence du vicaire de la paroisse,.... de l'exercice actuel
qu'ils font de La persécution recommença principalement dans le diocèse
de Nîmes, dans celui d'Uzès, et en Dauphiné. Les États généraux de Hollande
réclamèrent en faveur de leurs coreligionnaires ; IV. — LA grande affaire extérieure du ministère Bourbon fut le mariage de Louis XV ; elle faillit mettre le feu à l'Europe. Quand M. le Duc arriva au ministère, l'Infante avait six
ans. Il fallait laisser passer une dizaine d'années avant de la marier ; mais
Louis XV aurait alors vingt-trois ans, et c'eût été attendre bien longtemps.
II était prudent de le marier au plus vite, pour sauvegarder ses mœurs, et
aussi pour avoir des héritiers directs de Le 10 janvier 1724, Philippe V abdiqua la couronne par scrupule de dévot débile. Son fils Louis Ier, le gendre du Régent, lui succéda ; mais, après s'être épuisé en exercices violents, à la chasse et au jeu de paume, il mourut subitement le 31 août, et Philippe V reprit la couronne. La fille du Régent, dès lors, n'était plus qu'une reine veuve, et l'Espagne se trouvait seule retirer un bénéfice de l'arrangement de 1721. Il fut donc résolu dans le Conseil de rompre le mariage
espagnol, et de chercher une autre reine pour Le 29 octobre 1724, dans un conseil secret, le renvoi de
l'Infante fut décidé. On avait convenu d'attendre, avant d'informer Aussitôt la nouvelle connue dans Madrid, les Espagnols entrèrent en fureur ; ils promenèrent par les rues, en l'outrageant, l'effigie de Louis XV. Les Français craignirent pour leur sûreté ; sur la frontière des Pyrénées, les bergers des deux pays se menacèrent. Philippe V ordonna, en mars 1725, à l'abbé de Livry et aux consuls de France, à la veuve de Louis Ier et à sa sœur, Mlle de Beaujolais, promise à Don Carlos, de sortir d'Espagne. L'Infante fut mise en route. Elle emportait les pierreries et les présents qu'elle avait reçus, à son arrivée en France. On parvint, parait-il, à lui cacher la cause de son départ ; elle crut qu'elle allait seulement faire une visite à sa famille. Parmi les jeunes filles que le comte de Morville estimait les plus dignes du choix de Louis XV, figuraient deux filles du prince de Galles, une fille du roi de Portugal, une princesse de Danemark, la fille aînée du duc de Lorraine, la fille du roi dépossédé de Pologne, Stanislas Leczinski, la fille du tsar Pierre lu, une fille du roi de Prusse, quatre autres princesses allemandes, enfin les propres sœurs de M. le Duc, Mlles de Sens et de Vermandois. L'idée d'un manage de Louis XV avec une demoiselle de Bourbon déplaisait à Fleury. D'ailleurs, le duc craignait qu'on ne lui imput4t tout l'odieux du renvoi de l'Infante dès qu'on y verrait l'intérêt de sa maison. Fleury pensa qu'un mariage avec une princesse d'Angleterre conviendrait le mieux, bien qu'il impliquât la volonté d'exclure à jamais le Prétendant du trône d'Angleterre. On chargea donc le comte de Broglie de pressentir George Ier. C'était au moment où l'abbé de Livry gagnait Madrid. M. le Duc se croyait sûr du succès. Le portrait du jeune Roi, envoyé à Londres, avait fait sensation. Mais il est surprenant que ni lui, ni l'entourage, n'aient compris que la religion serait un obstacle insurmontable à l'alliance projetée ; ils mettaient comme condition que la princesse anglaise se convertirait au catholicisme, alors que la dynastie de Hanovre occupait le trône d'Angleterre en vertu de sa qualité d'hérétique. Le 17 mars, au moment où parvenaient à Versailles les premières dépêches de Livry rendant compte de son entrevue avec Philippe V, une lettre de Broglie apporta la nouvelle du refus de George Ier, accompagné de ses regrets, il est vrai. Pendant que M. le Duc s'irritait d'une mésaventure qui fut
connue de toute l'Europe, il reçut une offre singulière : l’impératrice de
Russie, Catherine Ire, lui proposa de marier Louis XV avec sa fille
Elisabeth, et de le marier lui-même avec Marie Leczinska. M. le Duc serait
devenu le candidat de Cependant un agent secret, le sieur Lozillières, ancien secrétaire d'ambassade à Turin, avait parcouru l'Allemagne, sous le nom de chevalier de Méré, prenant sur les princesses à marier des renseignements qu'il envoyait à Versailles. Il s'était présenté au château des Leczinski, à Wissembourg, comme un artiste en voyage. Il y avait vu la fille de Stanislas, et avait fait sur elle un rapport. Il louait sa physionomie, son instruction, sa piété, sa charité, sa douceur, sa belle santé qui promettait la fécondité. Il est vrai qu'elle avait sept. ans de plus que le Roi, qu'elle n'était point belle, qu'élevée monastiquement elle n'avait pas de monde, qu'elle était pauvre, sans alliances, sans crédit en Europe. Mais une raison détermina sans doute M. le Duc et Mme de Prie : cette reine leur devrait une si belle couronne inespérée qu'ils pourraient compter sur sa reconnaissance. Il parait que Fleury refusa son avis sur le mariage ; le Roi donna son consentement, le 2 avril 1725, sans se montrer ni mécontent, ni empressé. Dès qu'ils furent avisés de la résolution prise, Leczinski
et sa fille allèrent s'établir à Strasbourg, où ils attendirent la venue des ambassadeurs
extraordinaires, MM. d'Antin et de Beauvau, délégués pour demander la main de
Marie Leczinska, et le duc d'Orléans qui, par procuration, devait l'épouser.
Le mariage fut célébré le 15 août, dans la cathédrale de Strasbourg, décorée
des tapisseries de Puis l'on se mit en route pour Fontainebleau, où le Roi devait DE STRASBOURG se rendre. Arrivée à Metz, Marie Leczinska reçut les échevins, la compagnie des cadets formée de jeunes gens de grandes familles, le Parlement', et toutes sortes de députations. L'Hôtel de Ville lui offrit des bottes de mirabelles et de framboises ; les Juifs, deux coupes de vermeil et un vase de cristal de roche, enrichi de pierreries ; ils la comparèrent à Esther, à Judith et à la reine de Saba. Le peuple était dans l'enthousiasme ; les cloches sonnaient à toute volée ; on chantait des Te Deum ; les rues s'illuminèrent. Le voyage s'attrista dans les plaines de Champagne. Des
pluies continuelles avaient défoncé les routes ; on avait requis les paysans pour
les réparer, partout où devait passer Le Roi alla au-devant de Le mariage, en effet, vint tout à point pour donner crédit
à un aventurier du nom de Ripperda, Hollandais devenu Espagnol, protestant
devenu catholique, qui représentait à Vienne Il fit aux Impériaux des offres invraisemblables. Il ne
parlait de rien moins que de les aider à reprendre l'Alsace, les Trois-Évêchés,
Son entente avec l'Empereur eut ce résultat précis : faire
comprendre à V. — CES actes furent les derniers du ministère de M. le Duc.
Depuis le premier jour, il était surveillé de près dans toute sa conduite par
Fleury. Il essaya de s'appuyer sur Louis XV ordonna aussitôt à M. le Duc de rappeler le
prélat qui revint à Versailles. Sûr de son crédit, Fleury représenta au Duc
et à En attendant que le ministère fût remanié, les Pâris
furent exilés. Du Verney s'en alla en Champagne, et bientôt fut mis à |
[1] SOURCES. Roussel, Lamberty, D'Argenson (t. I), Barbier (t. I), Duclos, déjà cités. Hénault (Président), Mémoires, Paris, 1855. Voltaire, Œuvres, Paris, 1830-1840 (Ed. Bouchot), 72 vol., notamment le Précis du siècle de Louis XV (t. XXI).
OUVRAGES
A CONSULTER. Lemontey, Lacretelle (t. II), Michelet (t. XV et XVI),
Jobez (t. II), Rocquain, Bailly, Clamageran (t. III), Houques-Fourcade, Marion,
de Janzé, Coxe, Baudrillart (Alf.), Perey déjà cités. Clément, Portraits
historiques (Les Frères Pâris), Paris, 1855. Rey, Un intendant de
province à la fin du XVIIe siècle, 1686-1705 (Bull. de l'Académie delphinale,
4e série, t. IX, Grenoble, 1895). Costes, Les institutions monétaires de
[2] Le 21 mai 1725, le
comte de Morville écrivit au ministre de France à Saint-Pétersbourg pour
excuser