I. — L'ÉMIGRATION PROTESTANTE. IL reste à faire plus encore qu'on n'a fait, écrivait Bâville au Contrôleur général le 15 octobre 1685, à la veille même de l'édit de Révocation. Le lendemain, c'était encore plus vrai. Jamais, quand ils existaient légalement, les Réformés n'avaient donné au gouvernement français autant de peine qu'ils lui en donnèrent après leur prétendue destruction. Au sujet de leur émigration, l'hésitation de la Cour se montre immédiatement après l'édit. Une ordonnance du 5 novembre inflige 3.000 livres d'amende et punition corporelle en cas de récidive à tous marchands, capitaines, pilotes ou autres qui auraient contribué directement ou indirectement à l'évasion des religionnaires. Mais une instruction, du 25 du même mois, aux Intendants, leur rappelle que le Roi n'a pas jugé à propos, malgré les propositions qu'on lui en a faites, de défendre aux N. C.[2] de sortir du royaume. L'opinion que Louis XIV et la plupart des ministres d'alors professent le plus volontiers, depuis la disparition de Colbert, est qu'il faut voir sans regret le départ de ces mauvais Français. C'est le sentiment que Louvois exprime à Boufflers (16 décembre 1687) : La grande quantité des N. C. qui sont sortis de Metz ne peut qu'être avantageux au service du Roi, et sans leur permettre de s'en aller, ni faire des vexations pour les y obliger, vous pouvez compter que le service du Roi requiert qu'il n'en reste pas un grand nombre. Mais, dans les Conseils du gouvernement, à côté du fanatisme aveugle, de l'orgueil entêté et de l'esprit de domination pour qui rien ne compte que l'obéissance, il y a tout de même le bon sens pratique et, parfois, un peu de pitié. Il se trouve à la Cour un Saint-Simon pour penser que c'est un effrayant spectacle, celui d'un peuple... proscrit, fugitif, nu, errant, sans aucun crime. On n'apprend pas sans dépit à Versailles tout ce que font alors, pour attirer et retenir les Protestants, surtout les artisans, le prince d'Orange et la Hollande, la Suisse, la Hesse, le Palatinat, la Souabe, le duché de Bade, le Hanovre, la principauté de Clèves, Hambourg, Francfort, et aussi le Brandebourg, jusqu'alors ami de la France, même l'Angleterre, sous Jacques II, pensionnaire du Roi[3] Seignelay, comme Colbert, ressent la perte de tous ces hommes de la R. P. R. qui passent dans les pays étrangers, s'engagent dans les équipages maritimes comme pilotes, calfateurs, canonniers, matelots, mariniers et pêcheurs, travaillent même à la construction des navires, confection des cordages et des toiles propres aux voiles. Bonrepaux, conseiller d'État et intendant général de la Marine, est chargé d'une mission en Angleterre précisément pour y redemander les matelots réfugiés, et, de là, il écrit des vérités sévères. Puis, en France même, des résultats apparaissent, sans tarder, de l'exode protestant. Ce qu'on peut ne pas voir, ce sont les pertes intellectuelles : hommes distingués, dans les beaux-arts, la médecine, les sciences, qui s'en vont ; — ce qu'on peut dédaigner, c'est le dom- mage moral : le départ brusque de cette minorité calviniste, qui, sur plusieurs points de la France, par la pureté des mœurs, l'active intensité de la vie religieuse, l'énergie du caractère, était véritablement une élite, dont l'âme avait été raidie peut-être et attristée, mais trempée par une persécution de cent ans. Mais ce qu'il fallait voir, et ce qu'on ne pouvait dédaigner, c'était l'immédiate diminution de la population. Dès 1686, d'Avaux écrit de Hollande qu'on y a constaté la présence de 75.000 Français immigrés. Dès 1687, Bouchu, en Dauphiné, peut compter 10.300 départs. De 1680 à 1720, le nombre des Français qui s'en vont peut être évalué à près d'un million[4]. Le commerce et l'industrie décroissent. Dans certaines provinces, comme la Normandie, tout de suite la baisse est visible. A Caen, dès le mois de janvier 1686, le prix d'adjudication des octrois tombe de 6 500 livres. A Saint-Quentin, en huit jours, trois marchands de la R. P. R., en se retirant, retirent de la ville, tant en marchandises qu'en argent, pour plus de 200.000 livres. Louvois, dès la fin de 1685, peut constater qu'Aubusson est à demi ruiné. La cassette royale est assiégée par les municipalités aux abois. A ces résultats fâcheux, on espère parer, il est vrai, d'une façon très simple : en empêchant la sortie des richesses. Un Édit d'août 1669 avait ordonné la confiscation des biens des émigrants ; une Déclaration de juillet 1682 annulait les contrats de vente et autres dispositions que les P. R. pourraient faire de leurs immeubles un an avant leur retraite hors du Royaume. Mais ces dispositions, peu appliquées par les juges des lieux, étaient restées sans effet. Une Déclaration du 20 août 1685, donnant aux dénonciateurs des fugitifs la moitié de leurs biens, put assurément avoir plus d'effet. Malheureusement la proie laissée au Roi devient elle-même embarrassante, et à la question de la fuite des protestants s'ajoute la question des biens des fugitifs. Pour les biens mobiliers, un pillage initial simplifiait l'affaire. Une famille protestante s'enfuit. Les soldats, envahissant la maison délaissée, enlevaient souvent jusqu'aux verrous et aux serrures des portes. Les agents du fisc saisissaient ce qui restait. Mais, première difficulté, si, pendant ce temps, les fugitifs sont rattrapés avant d'avoir passé la frontière ? Les voilà tombant à la charge de l'État qui ne recouvrera pas aisément ni promptement des mains des officiers des finances de quoi entretenir ceux qu'il a dépouillés. Aussi doit-on stipuler, en 1685, que, sur les deniers provenant de la confiscation des effets, les fermiers des domaines n'auront qu'un tiers à prétendre et que le reste sera versé aux mains des intendants. Plus tard même (1688), il sera dit que les fermiers n'ont rien à y prétendre. Quant aux immeubles, ils sont confisqués, réunis au domaine. Mais l'administration par les gens du Roi en serait difficile. Il faut donc essayer de vendre. Mais la vente ne va pas toute seule. L'adjudication en est retardée par des procès de tous ceux qui prétendent des droits sur ces biens-fonds : mineurs, familles, ou même communautés ecclésiastiques catholiques qui invoquent des titres antérieurs à la Réforme. Ces procès, de peur de prévarications et compromis clandestins, le Roi est obligé de les évoquer à lui pour en être fait ensuite le renvoi aux juges à qui la connaissance en appartiendra : d'où bien des longueurs. — On arrive aux enchères. C'est l'occasion de malversations nouvelles, de pots-de-vin, de transactions dont le fisc est victime, dont les mécréants triomphent. A Sedan, les frais de recouvrement mangent au moins les deux tiers du produit des biens-fonds. De plus on ne peut pas toujours vendre. Les protestants émigrés laissent souvent derrière eux des enfants et il faut que l'État garde les propriétés qui lui donneront de quoi nourrir les abandonnés. De plus, on espère que les fugitifs reviendront. Or qu'est-ce qui peut mieux les rappeler que le regret de leurs biens et la perspective de les retrouver ? Et donc on leur conservera leurs biens (édit d'octobre 1685, lettres aux Intendants du 1er juillet 1686, édit de janvier 1688). Mais il faut les gérer : responsabilité périlleuse. Le service créé à cet effet, celui des Régisseurs généraux des biens des religionnaires fugitifs, donne de multiples soucis. Ces régisseurs sont des gens d'affaires, qui profitent de leur mandat officiel pour se livrer impunément à toutes les combinaisons de la spéculation malhonnête. Offerts à vil prix, les baux ne trouvent pas de fermiers. Il faut (novembre 1688-janvier 1689) plusieurs arrêts du Conseil pour arracher aux Commis de la Régie les sommes qu'ils en ont retirées. Dès lors, que l'on vende ou que l'on administre, on a pour peu de profit beaucoup de peine. Sans compter qu'en attendant que les Protestants rentrent en France, le Roi, dès le premier moment, a déclaré qu'il ne prétendait point augmenter ses revenus propres, ni profiter en quelque manière que ce soit de leurs dépouilles et il a disposé de la rente de leurs biens pour des usages pieux, pour l'accroissement de la véritable religion. Sur cette rente, comme sur un fonds certain et assuré, des pensions ont été données aux Nouveaux Convertis, des gratifications à des établissements catholiques, et c'est avec elle que l'on paie dans les couvents, hôpitaux ou collèges, les pensions des enfants enlevés à des parents inconvertis ou mal convertis. Le jour où les émigrés reviennent, tous ces bénéficiaires de la confiscation souffrent malaisément que cette manne s'interrompe. De tout cela résulta, sans doute, la décision prise par le Roi, dans l'Édit du 9 décembre 1689, de généraliser une mesure qu'il avait déjà prise, en certains cas, à titre gracieux. Les biens délaissés par les émigrés seront immédiatement remis à ceux de leurs parents auxquels, suivant les lois et coutumes, ils eussent appartenu par la mort naturelle de ceux qui se sont ainsi retirés, afin qu'ils les partagent et possèdent en la même manière que s'ils les avaient recueillis par succession, à la seule condition de ne les vendre ni hypothéquer qu'après cinq années de jouissance. Cinq années, parce que l'on pense toujours à la sortie possible des possesseurs nouveaux, de même qu'à la rentrée probable des propriétaires anciens. Mais voici qu'ici encore cette rentrée, quand elle se produit, entraîne des démêlés inextricables. Les héritiers anticipés refusent de lâcher prise, et des plaideries en résultent qui dureront parfois jusque sous le règne de Louis XV. Et quand les émigrés ne reviennent pas, quand leurs héritiers jouissent de leurs biens, voici que de cette dernière solution apparaît avec le temps un grand inconvénient par rapport à la religion elle-même, comme l'écrit l'intendant Foucault. La plupart de ceux à qui le Roi accorde ces biens étant aussi calvinistes que ceux qui les ont abandonnés, ils leur en font passer le revenu, qui est gros. Rien que pour les Élections de Marennes et de la Rochelle, qui n'étaient pas étendues, Rulhière estimait plus tard à 2 millions et demi de livres les rentes annuelles qui retournaient ainsi aux Protestants enfuis. Aussi, en 1698, les évêques demandaient-ils unanimement le retrait de cette imprudente libéralité, et, en 1699, la Déclaration du 4 février décida qu'on en reviendrait au système antérieur de la Régie. — Sauf, toutefois, à l'abandonner de nouveau dans l'occasion, car, dans toutes ces mesures, rien n'est général ni suivi. Au fond, ce qu'il eût fallu, pour que les choses se passassent bellement, c'est que les Nouveaux Catholiques, — les catholiques improvisés par les abjurations forcées et par l'abolition légale de l'exercice de la Religion réformée, — consentissent à ne point s'en aller. Mais comment les retenir ? Au lendemain même de la Révocation, quelques bons conseillers prêchent l'unique remède : la douceur, la tolérance. L'ambassadeur Bonrepaux, en mai 1686, écrit de Hollande : J'ose encore prendre la liberté de dire à V. M., avec le profond respect que je lui dois, que si l'on traitait les N. C. dans toute l'étendue de son royaume de la même façon qu'ils le sont à Paris, à Rouen et sous les yeux de V. M., il n'en serait pas sorti la moitié de ce qui s'en est allé. A ces conseils, le gouvernement reste sourd. Dans les moments où il s'afflige ou s'irrite de la désertion, les moyens qui lui viennent les premiers, et le plus fréquemment à l'esprit, ce sont les moyens de violence. Un très bon procédé serait celui que propose l'intendant de Gourgues : généraliser l'enlèvement des enfants, pour les renfermer dans des couvents, hôpitaux et collèges. Étant renfermés ainsi, non seulement les parents n'enlèveront plus les enfants [pour les faire sortir du royaume], mais les enfants enlèveront, pour ainsi dire, leurs pères et mères à la passion et au dessein qu'ils auraient formé de quitter le royaume. Mais, pour l'entretien de ces enfants, il faut payer. La pure violence est moins dispendieuse. En octobre et en novembre 1685, Louvois stimule les commandants militaires. M. de la Trousse, en Dauphiné, pourra, sans forme ni figure de procès, faire pendre une partie de ceux qu'on prendrait voulant sortir du royaume, et mettre le reste à la chaîne, les envoyer aux galères. La rigueur des peines ira parfois jusqu'à punir ceux qui sont simplement suspects d'avoir voulu passer à l'étranger. Pontchartrain écrit, le 25 avril 1693, au gouverneur de la Bastille : Herpin, que le Roi a fait mettre à la Bastille, n'était prévenu d'aucun crime, S. M. ayant seulement appréhendé qu'il ne sortit du royaume. Pour cette appréhension, Herpin resta trois mois sous les verrous. — D'autres fois on emprisonnait les parents de ceux qui étaient partis jusqu'à ce que ceux-ci fussent revenus. En même temps, on essaie de mettre la France sous clef. Un vaste cordon de factionnaires monte la garde aux frontières. Sur les côtes, dans tous les lieux d'embarquement possible, on place des corps de garde, que des patrouilles visitent toutes les nuits, tandis qu'en mer, des traversiers croisent, et, parfois, vont jusque dans les eaux anglaises, capturer un vaisseau anglais porteur de fugitifs. On intéresse la population à cette surveillance : pour chaque protestant arrêté au passage, dix pistoles, plus sa dépouille, et Louvois garantit en sus que l'on dissimulera les vols faits aux fugitifs. Mais il y a des ennuis. Les commerçants des ports murmurent contre cet espionnage gênant des croisières. Dans les procès contre les fugitifs rattrapés, quand les preuves authentiques manquent, les Parlements craignent à la fois de condamner et de relâcher les inculpés. — Ce fut pis après qu'eût été prise, comme nous le verrons, en 1688, la décision de chasser du royaume ceux qui y étaient encore sans avoir fait abjuration. Comment faire alors avec les fugitifs ? Logiquement, il eût fallu les féliciter plutôt de se conformer spontanément aux ordres du Roi. Enfin et surtout, les efforts intermittents du pouvoir pour retenir les religionnaires échouaient contre leur volonté déterminée de partir. Les lettres de leurs frères déjà partis, sans les tromper sur les difficultés et les peines de l'exil, les engagent cependant, toujours, à venir chercher à l'étranger une vie qui, pour les riches, sera plus pénible, mais qui, pour les hommes du peuple, sera souvent plus rémunératrice et plus douce que celle que la France leur offre. Les exhortations des pasteurs exilés, bourrées de textes de la Bible, d'exemples de l'histoire juive, sont intarissables sur ce thème qu'il faut, pour peu qu'on le puisse, sortir, pour sauver son âme de la captivité de Babylone. Les complaintes populaires chantent le même appel. Dans les provinces frontières, c'est par masses qu'on émigre avant la Révocation, et même un peu après. Des bandes de deux à trois cents hommes et femmes, avec des mulets portant les enfants et les hardes, avec le bétail et les meubles, passent les cols des Alpes. En Saintonge, des flottilles de chaloupes descendent la Seudre. Des caravanes d'émigrants campent sur les sables de l'île d'Arvert. On se bat au besoin. Les femmes font parfois les premières le coup de pistolet ; il arrive qu'on en parle à la Cour. Quand, vers 1687, ces sorties en nombre sont devenues impossibles, les individus font pour s'échapper des prodiges d'endurance et de ruse. Une femme se fait lier et charroyer plusieurs lieues dans un convoi de verges de fer. Même, avec l'expérience, l'évasion des protestants en vient à s'organiser de façon régulière. Dijon, Lyon, Beaucaire, Nîmes, Castres, Cette, Montpellier, Bordeaux, certains petits ports de la Saintonge, de l'Aunis, de la côte normande et picarde, sont des lieux de renseignements et de rendez-vous. Les émigrants y trouvent des hôtelleries spéciales où ils sont en sûreté. A Paris, il y a pour eux une sorte de Bureau d'adresse. On s'y groupe, à la grâce Dieu, de façon à former une famille, père, mère, enfants et domestiques. On s'y procure de faux passeports, des itinéraires, des guides. Ces guides se tiennent, du reste, à la descente des messageries, flairant les voyageurs à tournure huguenote. Les prix sont élevés mais réglés ; les itinéraires souvent bizarres, à cause des détours qu'il faut prendre, afin d'éviter, ici, une garnison qu'on sait vigilante, là, une municipalité taquine, un gouverneur féroce, un Hôpital général dont les rabatteurs sont alertes. Sur le Rhône, les ponts sont gardés et bien qu'il y ait près de La Voulte et du Pouzin, des pêcheurs qui la nuit sont passeurs, le mieux est de tourner le fleuve, et alors il faut, pour gagner la Suisse, passer par Carcassonne, Cahors, Limoges, Nevers, Autun, Châlons, Orbe. — Sur les côtes, les pilotes transportent les émigrants à bord des vaisseaux étrangers en rade, ou, sur la côte normande, à bord de ces barques de charité, équipées à cet effet en Hollande, et qui s'en vont au large si chargées d'hommes et d'argent que les pirates barbaresques, attirés, vinrent jusque dans la Manche leur donner la chasse. Jean Thomas, un capitaine de Royan, ne cesse d'aller et de venir entre la rivière de Gironde et l'Angleterre ou la Hollande, embarquant du vin et des réformés Ainsi, clandestinement, l'émigration se continue. De 1686 à 1698, dans toutes les provinces où il y avait des protestants, on pourrait dire ce que Tessé écrivait un jour à Louvois : Comptez qu'il n'est point de jour qu'il ne sorte quelqu'un. A de certains moments, le mouvement redouble : en 16864687, après la Révocation de l'édit : il n'y a pas alors de semaine, pendant une demi-année, où il n'arrive, à Genève, jusqu'à 300 Réfugiés. Même exode, en 1689, lors des tentatives de retour armé que, nous le verrons, les Réfugiés projetèrent alors ; en 1690, après l'échec de ces tentatives ; en 1697, après la faillite des espoirs protestants au traité de Ryswyk. Mais le Conseil, quoi qu'il sût tout cela, restait toujours partagé. Sans doute, il y a plusieurs de ses membres que l'écoulement des peuples et la rareté des retours inquiètent : Pontchartrain, Beauvillier, Harlay, Daguesseau. L'enquête faite, nous le verrons plus loin, en 1698, sur la question protestante, leur fournit des renseignements impressionnants. A ce moment ils obtiendront qu'aux émigrés revenus dans les six mois on accorde, non seulement amnistie pour le passé et promesse de demeurer librement dans le royaume, mais, en outre (déclaration du 29 décembre 1698), la restitution de tous leurs biens, même de ceux qui leur seraient échus par héritage durant leur absence ou auraient été recueillis par d'autres parents à leur préjudice. Seulement les concessions du Conseil ne vont pas plus loin. La Déclaration du 4 février 1699 leur ôte même la libre disposition de leurs personnes : ils ne pourront, sans permission signée, se déplacer dans l'intérieur du royaume. Et elle rend les tuteurs d'enfants d'émigrés responsables, à leurs frais et dépens, de l'évasion de ces enfants. La Déclaration du 13 septembre renouvelle expressément, pour que nul n'en ignore, les pénalités anciennes contre les fugitifs : galères pour les hommes, réclusion pour les femmes, et, pour les uns et les autres, amende ne pouvant être inférieure à la valeur de la moitié des biens. En 1700, tout ce que Pontchartrain peut obtenir de Louis XIV, c'est qu'on lui permette d'autoriser le résident de France à Genève, à engager les Français établis dans les endroits à portée desquels il se trouve, surtout ceux qui sont à la tête des manufactures, à revenir en France. C'est que le Roi continue d'entendre d'autres avis, tout différents, et qui lui apparaissent comme plus autorisés. L'avis de Bossuet, qu'on peut voir par ce que, le 7 décembre 1691, il écrivait à Nicole : J'adore avec vous les desseins de Dieu qui a voulu révéler, par la dispersion de nos Protestants, ce mystère d'iniquité et purger la France de ces monstres. L'avis de Mme de Maintenon, qui, la même année, écrivait : Je crois qu'une partie de ceux qui ont passé dans les pays étrangers affaibliraient l'État par leur retour plutôt que de le fortifier. [Et c'est trop dire que d'] attribuer la ruine du commerce, la disette de l'argent, la diminution des manufactures et de la culture de la terre à la seule retraite de ceux qui sont sortis du royaume.... [Rappelée, les religionnaires qui se sont enfuis] confondraient par leurs reproches et leurs railleries les nouveaux convertis. L'avis, enfin, du duc de Bourgogne, le futur roi, l'élève de Fénelon, dont, malgré ses témérités libérales, les idées sur ce point sont celles de Bossuet. Le duc de Bourgogne, quelques années plus tard, dans un mémoire étudié, écrivait : Quand le nombre des huguenote qui sortirent de France à cette époque monterait, selon le calcul le plus exagéré, à 67.732 personnes, il ne devait pas se trouver parmi ce nombre, qui comprenait tous les âges et tous les sexes, assez d' hommes utiles pour laisser un grand vide dans les campagnes et dans les ateliers et pour influer sur le royaume tout entier. Telle est l'opinion qui prédomine dans les conseils du gouvernement. L'émigration est un ennui, non un malheur. La fuite des mal convertis n'est pas une bien grande perte temporelle et elle est un avantage spirituel. Peu importe le dommage causé par ceux qui s'en vont. L'essentiel est le salut de ceux qui restent. II. — LES PROTESTANTS QUI RESTENT EN FRANCE. PRESQUE immédiatement après l'édit de Révocation, il y eut en France, pour les âmes monarchistes éprises d'unité, un moment de joie. Un rêve se réalisait : la France toute catholique. Parmi les fonctionnaires l'épuration était complète. Tout ce qui, à quelque degré que ce fût de la hiérarchie administrative, portait le titre d'officier du Roi, avait obéi et fait son devoir. Soit par conversion, soit par destitution, il n'y avait plus, à la fin de novembre 1685, un seul magistrat ou avocat protestant ; en février 1686, plus un seul officier militaire, et les derniers soldats abjuraient. La noblesse protestante achevait de disparaître. A la Cour, de décembre 1685 à mai 1686, le Mercure et la Gazette, les mémoires de Dangeau et de Sourches, relatent une série presque ininterrompue de changements illustres, largement payés par le Roi. Le 25 mai 1686, le duc de la Force se rendit : c'était presque le seul grand seigneur demeuré dans le parti des huguenots. A Paris, du 21 décembre 1685 au 9 janvier 1686, le nombre des récalcitrants tombe de 3.823 à 917, au 12 janvier à 844, au 23 à 141. Le 13 il n'en reste plus que 45. A Grenoble, le 16 décembre, à la réserve de 10 ou 12 personnes, tout est converti, écrit l'évêque. A Caen, à Condé-sur-Noireau, à Châlons-sur-Marne, à Nîmes les abjurations en masse ont recommencé. Le Roi, ravi, écrit, le 17 janvier 1686, au cardinal d'Estrées à Rome, que de plus de huit ou neuf cent mille âmes qui étaient infectées de l'hérésie, à peine en reste-t-il aujourd'hui douze ou quinze cents. Il s'en fallait que cela fût vrai. Et, d'abord, tous les protestants n'ont point abjuré. De 1684 à 1686 surtout, les convertisseurs n'avaient pas été difficiles. Dans certains diocèses, assurément, la formule d'abjuration fut circonstanciée : Je me soumets avec amour et humilité à la Sainte Église catholique, apostolique et romaine, en faisant profession de tout ce qu'elle croit et professe ; j'adore la très sainte Eucharistie... [où] est contenu le vrai corps et sang de Jésus-Christ avec son âme et sa divinité sous les espèces du pain et du vin ; j'invoque tous les Saints du Paradis,... la bienheureuse Vierge Marie.... Je confesse qu'il y a sept sacrements, un Purgatoire, etc. Mais, ailleurs, la déclaration à souscrire était beaucoup plus vague. En Normandie, dans la paroisse Saint-Pierre de Caen, on ne fait contracter, et encore aux plus récalcitrants, que l'engagement de vivre et de mourir dans la doctrine enseignée par N. S. J.-C. et ses apôtres et fondée sur l'Écriture Sainte. Un marin charentais écrit, le 3 décembre 1685 : On me mène à l'église, où le vicaire me fit mettre seulement la main sur le saint Évangile selon saint Jean, chap. lx, et mit mon nom ainsi : Taré Chaillaud, pilote. Rien autre chose, et voilà toutes les cérémonies qu'on lit. D'autres fois, il suffisait de prononcer Jesus, Maria et de faire le signe de la croix. Le protestant ainsi fait catholique pouvait fort bien ne pas se considérer comme ayant abjuré. A plus forte raison, ceux qui avaient abjuré en masse, quand des villages ou des quartiers de villes défilaient précipitamment devant les curés ou les greffiers débordés, qui tantôt se contentaient de la signature des rabatteurs, tantôt inscrivaient les abjurations en bloc et sans signature. Enfin quelques-uns, très nettement, avaient tout refusé. Un agent de la police parisienne écrit, le 13 janvier 1686 : J'ai visité aujourd'hui le reste des religionnaires qui sont au faubourg Saint-Antoine ; je les ai priés, exhortés, intimidés même, et n'ai rien pu gagner sur leur esprit pour les faire signer [ni même] promettre de signer. C'est qu'en effet les protestants qui réfléchissaient et discutaient pouvaient se considérer comme couverts par le texte même de l'Édit de Révocation, lequel nulle part ne portait, pour les protestants actuels, adultes ou même adolescents ou en bas âge, l'ordre de se faire ou d'être faits, malgré eux, catholiques. Au contraire, par l'article XII, le Roi garantissait à ses sujets de la R. P. R. les droits civils et la liberté de conscience, défendait expressément de les troubler ou empêcher, dans leur personne, leur commerce ou leurs biens, sous prétexte de ladite R. P. R.. Quel besoin dès lors d'abjurer ? Aussi, à peine l'Édit fut-il promulgué que, de toutes les régions protestantes, on signala un brusque arrêt des conversions, parfois même le revirement des récents convertis, fâchés de s'être trop pressés. Sans doute, on s'était hâté de désabuser les Réformés de cette naïveté ou de déjouer cette rouerie. Le procureur général du Parlement parlant aux principaux huguenots de Paris mandés à son cabinet ; Louvois, dans ses lettres du 6 au 26 novembre 1683 ; Louis XIV lui-même, écrivant au duc de la Force, le 30 janvier 1686, s'expliquèrent sans ambages, déclarèrent qu'il fallait tout convertir jusqu'au dernier et qu'il n'y eût plus qu'une religion dans le royaume. De nouveaux arrêts, déclarations, édits et ordonnances (27 octobre, 5 novembre, 17 novembre, 23 novembre 1685 ; 11, 12 et 25 janvier, 29 avril et 2 mai 1686) vinrent réparer la faute de l'article XII. Cependant, on n'osa pas, on n'eût pas su comment rétracter expressément cet article. Et il subsista, offrant toujours aux opiniâtres un retranchement légal. Il restait, grâce à lui, possible de ne pas abjurer. Aussi, jusqu'à la fin du règne, on découvrira des protestants qui n'auront jamais cessé de l'être. Quant à ceux (et c'était, tout de même, le plus grand nombre) qui avaient abjuré réellement, et qui, au besoin, en convenaient, ou même, lorsque besoin leur en était légalement, qui s'en prévalaient, il s'en fallait qu'ils fussent pour cela catholiques. De 1685 à 1687, c'est à qui, parmi les autorités ecclésiastiques et civiles, l'avoue dans les termes les plus clairs. A Grenoble, l'évêque Le Camus écrit, le 16 décembre 1685 : A la réserve de 10 ou 12 personnes, tout est converti, mais je crains bien qu'il la réserve de 10 ou 12 personnes, il n'y en ait pas un seul qui soit bien converti.... Ils ne veulent entendre parler ni de messe ni de sacrement. Quatre ans plus tard, il constate que le nombre des véritables convertis se réduit à presque rien. Et l'intendant du Dauphiné, Bouchu, ne dit pas autre chose. En Basse Normandie, à la fin de 1686, il résulte d'une enquête de l'intendant de Gourgues que sur 8.625 N. C., 1.266 seulement (un sur six) ont été confessés et communiés. De Saintonge, en 1686, Fénelon mande à Bossuet que les huguenots mal convertis sont attachés à leur religion jusqu'au plus horrible excès d'opiniâtreté. De Poitou, Nicolas Foucault écrit à la fin de 1687 : Presque tous les religionnaires n'ayant cédé que par la peur des dragons, le relâchement de leur dévotion obligée est tel qu'on peut craindre que tout ce qui a été fait n'ait été fait en vain. En Languedoc, à Nîmes, à la fin de 1686, on en est réduit à faire signer, devant le procureur du Roi et son greffier, chez le président du tribunal, aux chefs de famille convertis, une promesse à Dieu et au Roi de professer la religion romaine de bonne foi, de participer à ses sacrements, d'en faire toutes les fonctions. Ce n'est pas qu'on n'eût essayé d'attacher les Réunis à la religion qu'on leur imposait. Bâville était le premier à dire qu'il fallait gagner les cœurs ; Seignelay presse Pellisson, administrateur de la Caisse des Conversions (18 novembre), de multiplier les envois d'ouvrages catholiques. Le Roi stimule le zèle des évêques ; leur fait ordonner de passer l'hiver dans leurs diocèses pour travailler à la moisson nouvelle ; leur envoie, qu'ils en veuillent ou non, beaucoup de missionnaires, et des meilleurs ; la seule Compagnie de Jésus en fournit alors 5 à 600. On agrandit les vieilles églises, on en bâtit 250 nouvelles ; on prodigue à tout cela l'argent du Roi, du clergé, des provinces ; on y consacre enfin, par l'édit de janvier 1688, les biens des consistoires attribués, pourtant, aux hôpitaux par les Déclarations précédentes de 1683 et 1684. Dès le mois de décembre 1685, on en a pour deux millions déjà déboursés, écrit Louis XIV au cardinal d'Estrées pour qu'il fasse valoir au Pape ce chiffre édifiant. Tout cela est en pure perte. En Saintonge, l'insinuation de Fénelon échoue aussi bien qu'à Montpellier la sévérité de Bourdaloue. A Nîmes, les prédicateurs sont obligés d'aller pourchasser à domicile des auditeurs. Sans compter que souvent les populations provinciales ne comprennent même pas la langue des missionnaires : Si vous ne savez pas parler le patois, disait l'évêque de Viviers aux ecclésiastiques que la Cour lui envoyait, que venez-vous faire ici, sots que vous êtes ? Cependant, le culte protestant se continue sans presque aucune interruption. A cela, le gouvernement ne s'attendait pas, parce que les peines portées par les lois interdisant les assemblées étaient aussi dures que possible, surtout parce qu'on avait détruit tous les temples, et, banni, ou réduit à fuir, ou emprisonné tous les pasteurs. Mais le Protestantisme pouvait durer sans prêtres et sans églises. Avant même l'édit de Révocation, et à Paris, les cultes publics abolis sont remplacés, immédiatement, par des assemblées secrètes. A la fin de décembre 1685, la police signale des réunions de prière dans les endroits où l'on donne à boire du café et dans des caves. Bientôt ces conciliabules se font périodiques. Un tapissier en préside chez lui tous les dimanches, après vêpres. A Pâques 1686, il s'assemble, dans deux maisons de Paris, au moins 800 huguenots. A plus forte raison en province, Saintonge, Dauphiné, Normandie, les assemblées d'exercice ne cessèrent jamais. Dès le mois de septembre 1683, le gouvernement était averti qu'en Languedoc les assemblées commençaient dans les endroits retirés des campagnes, dans les bois, les landes, les cavernes, les ravins des montagnes, au Désert, comme on dira durant plus d'un siècle. En novembre 1685, il s'en fait deux considérables, près de Bédarieux et d'Anduze, et l'on recommence l'année suivante. A quelques-unes de ces assemblées président les très rares pasteurs qui ont osé rester en se cachant. Mais quand il n'y a pas de ministre, on s'en passe. Pour lire les prières, il suffit de quelqu'un qui sache lire. Bientôt même, lorsqu'on a besoin de réentendre ces sermons qui sont l'essentiel du culte réformé, le besoin crée le moyen. Les dragons n'ont pas anéanti tous les livres hétérodoxes : quelques in-12°, cachés dans les greniers ou les gouttières, sermons de Drelincourt ou de Daillé, ou vieux écrits de controverse de Du Plessis-Mornay ou de Dumoulin. Le paysan, l'ouvrier improvisé prédicant les lit, les apprend par cœur, puis, de ses propres expériences, les augmente, et finit par composer des sermons à son tour. Autour du Havre, Israël Lecourt travaille ainsi dès 1686. Par la seule volonté des fidèles, une Église neuve renaît, clandestine, plébéienne, mais d'autant plus vivante, qui reconquiert, à peu près intégralement, le terrain perdu. Car ce clergé nouveau que le peuple s'est donné, est un clergé mobile, dont la persécution même avive et sert à propager l'action. Les grandes battues que font Noailles et Tessé par tout le Languedoc n'ont pour effet que de promener, du Rhône à la Garonne et de Cette à Poitiers, la manne qui fortifie les faibles et la trompette qui réveille les morts[5]. Dans cette région, un ancien avocat de Nîmes, Claude Brousson, leur donne l'exemple. Il fut le principal sauveur de la Réforme française. Émigré, il avait eu honte et remords d'exciter de loin, en sécurité, la constance des fidèles qui persévéraient sous la croix, dans la persécution continue. Il revient, installe en Languedoc une presse de propagande, inonde le Midi de ses discours, écrits parfois sur un tronc de chêne ou à l'abri d'un pan de rocher. Et il prêche. En attendant qu'une consécration régulière confirme sa vocation extraordinaire, il se consacre lui-même. Des arrêts de Bâville mettent sa tête à prix, par trois fois (1693, 1695, 1697). Il y répond : Je ne suis ni un méchant homme, comme pourraient le certifier ceux qui ont été les témoins de ma conduite, ni un perturbateur du repos public. Je supplie Votre Grandeur de cesser enfin de persécuter un innocent qui ne peut se dispenser de s'acquitter des devoirs de son ministère. Autrement je déclare que j'appelle de votre ordonnance devant le tribunal de Dieu. Obligé de se retirer quelque temps, il revient toujours en Languedoc, et, en passant, évangélise le Nord, la Normandie, le Poitou, Orléans. Et alors, édifiés par le fruit qu'il fait, encouragés par le mouvement de renaissance qu'il provoque et que ses écrits, comme les Lettres pastorales de Jurieu, font connaître à l'Europe, —les pasteurs enfuis commencent à revenir. La plupart sont pris, et exécutés. Mais en attendant le même sort, chacun fait la besogne de dix. Isaac Lagarderie, pasteur de Rouergue, rentré en 1689, travaille pendant six ans, à deux reprises, dans toutes les provinces. Malzac dit Bastide, arrêté en 1692, se vanta d'avoir, en Normandie, parlé à au moins 20.000 personnes. Cinq ans à peine après la Révocation, Brousson croyait déjà pouvoir dire que le mal était réparé, et, déjà, il osait écrire : On n'a jamais compris le danger qu'il y avait à forcer deux millions de personnes d'abjurer une religion qu'ils sont persuadés être la seule conforme à la parole de Dieu. Il faut que l'État périsse ou que la liberté de conscience soit rétablie. En face de ces différents obstacles, l'embarras du gouvernement était presque égal. Il presse les obstinés, prend leurs biens, les emprisonne. Mais quand c'est le chef de famille qu'on incarcère, c'est une fortune que l'on défait et une famille que l'on désorganise. Si le prisonnier persiste, le gouvernement se lasse le premier. On le relâche, avec une vague promesse de se faire instruire, ou même sans cette promesse. Vingt-quatre mois après la Révocation, le nombre de ces inconvertis et inconvertissables est encore si grand que le Roi, informations prises, se décide à les chasser de ses États. Ce fut clandestinement, sans édit, déclaration ni ordonnance. En février 1688, la circulaire suivante fut adressée à chaque intendant : J'ai vu la liste que vous m'avez envoyée de ceux de la R. P. R. qui sont dans l'étendue de votre département et qui ont jusqu'à présent refusé de faire leur réunion à l'Église catholique ; et, ne pouvant souffrir que des gens si opiniâtres dans leur mauvaise religion demeurent plus longtemps dans mon royaume, je vous écris cette lettre pour vous dire que mon intention est que vous les fassiez conduire au plus prochain lieu sur la frontière. On ouvrit les prisons. De celles du Sud-Est et du Midi, les détenus furent conduits à la frontière du canton de Genève, où les archers leur lisaient la sentence de bannissement perpétuel. Dans l'Ouest, on les embarqua à la Rochelle. Et pour ce qui était des Réunis opiniâtres demeurés en liberté, on expulsa, au moins en Normandie, les veuves, et les ménages où mari et femme s'obstinaient. Mais cette mesure radicale n'allait pas sans inconvénients. Car elle prouvait, d'abord, que ni la douceur, ni la force ne pouvait convertir ceux qui ne voulaient pas être convertis. — Puis, elle était en contradiction avec les arrestations que, dans le même temps, l'on ordonnait et opérait de religionnaires fugitifs : on chassait d'une main, on retenait de l'autre. — Puis, à la peine du bannissement, la circulaire administrative ajoutait celle de la confiscation, et pratiquement c'était nécessaire. Seulement les jurisconsultes protestaient. La confiscation était une peine : or, où était le crime ? Était-ce de ne vouloir pas mentir ? Était-ce de sortir du royaume ? Mais, objectait Harlay, peut-on regarder comme un crime la sortie hors du royaume d'un homme que l'on oblige d'en sortir ? De tous côtés on se heurtait à des contradictions odieuses ou ridicules. Et l'Europe se moquait. La Gazette de Harlem disait que le Roi laisse partir ceux qui n'ont pas voulu abjurer parce qu'ils lui coûtent trop cher. Quant aux nouveaux convertis qui ne pratiquaient pas, là encore le délit échappait à la définition juridique. C'est une bizarre désignation de prévenue que celle-ci, sous la plume du président de Harlay, en 1688 : une femme, nouvelle catholique, fort opiniâtre dans son ancienne religion. A l'égard de ces difficultés diverses, deux méthodes, dès 1686, sont en présence dans les conseils du gouvernement : d'un côté, celle de Louvois, des intendants de Gourgues à Caen, Bouchu à Grenoble, de Creil à Orléans, qui veulent des troupes, pour appuyer la parole de Dieu, l'internement des enfants dans des communautés et des collèges, surtout une police continue, car c'est à proportion des soins qu'on prend des N. C. qu'ils s'animent de bons sentiments : sitôt qu'on parait les oublier, ils retournent insensiblement à leurs erreurs ; — d'un autre côté, celle de Daguesseau, qui déclare que la contrainte imposée aux N. C. est impie. Mais dans ce parti de la douceur il y a encore des divergences : Daguesseau voudrait les assujettir à l'instruction ; Le Bret préférerait qu'on les laissât tranquilles et que, tout simplement et patiemment on donnât aux N. C. le temps d'oublier la religion qu'ils ont quittée. De ces méthodes opposées, le Roi suit tantôt l'une, tantôt l'autre, et dans la même région, et presque au même moment. A la fin de l'année 1685, les circulaires de Louvois sont formelles. S. M. désire qu'on use de la plus grande sévérité. Il ne faut plus qu'il reste un seul huguenot. Gentilshommes aussi bien que roturiers ne doivent attendre aucun repos ni douceur chez eux tant qu'ils demeureront dans une religion qui déplie à S. M.. Ceux qui ont la sotte gloire de demeurer des derniers en recevront des traitements plus fâcheux. Non-paiement des pensions qui leur sont dues, sévères amendes, saisies réelles des effets saisissables, autorisation à leurs fermiers de ne pas payer leurs propriétaires, dures prisons, même pour les femmes quand il n'y aura plus de quoi nourrir les dragons ; et en cas d'absence, toujours réputée volontaire, nuement des maisons. Mais avant tout, le grand moyen : le logement, pour lequel le ministre de la guerre donne les ordres suivants : — que ces logements soient gros, avec la subsistance des hommes et des chevaux tout entière à la charge du protestant rebelle. — Qu'en sus des 10 ou 20 sols par jour, les soldats soient nourris grassement. — Lorsque les subsistances s'épuisent, que la garnison soit toujours la première servie. — Que le nombre des militaires à loger croisse à mesure que l'entêtement des opiniâtres se prolonge. — Si enfin l'opiniâtreté devient exaspérante, chez ces nobles du Poitou, par exemple, ou chez ces marchands de Dieppe dont on ne vient pas à bout, alors qu'on laisse faire aux soldats le plus de désordre qu'il se pourra... qu'on leur permette tout le désordre nécessaire... qu'on les fasse vivre fort licencieusement. C'est la carte blanche, donnée aux rudes officiers qu'ont encore endurcis deux ans de ce métier de bourreaux ambulants : Saint-Ruth, La Trousse, d'Asfeld, Choiseul-Beaupré, Rose, Boufflers, Tessé. S'il faut eu croire les écrivains du Refuge — Élie Benoît, Jurieu, qui recevaient des lettres de toutes les régions du royaume et qui sur-le-champ les publièrent — tout fut permis, en fait, à ces légions infernales, composées souvent, du reste, de mercenaires étrangers ; — sauf de tuer. Mais on put, bâtonner les huguenots, les berner, les enfumer, les épiler, les étouffer en leur faisant avaler de l'eau à l'aide d'un entonnoir, les assourdir et les affoler en les tenant éveillés des semaines par un roulement ininterrompu de tambours qui se relayent ; les faire danser jusqu'à ce qu'ils tombent ; les suspendre par les orteils ou par le nez, et les laisser retomber de leur poids ; leur faire tenir aux mains des charbons ardents tout le temps d'une oraison dominicale dite lentement ; les griller au feu ou à la pelle rougie, leur brûler les yeux au suif et les pieds à la graisse bouillante. Pour les femme, c'est une des peines les plus douces que de les fouetter nues, en public, ou de lier, pendant des journées, à la quenouille d'un lit, les mères nourrices, en face de leurs enfants criant de faim. Le viol était interdit ; mais les outrages à la pudeur allèrent parfois, dit-on, jusqu'aux choses hideuses que, cent ans après, Santerre à Paris, Carrier à Nantes, crurent inventer. Les récits des intéressés sont exagérés peut-être ; il n'y eut, en tout cas, ni à ce moment, ni plus tard, de réfutation officielle, ni officieuse, appuyée de preuves ; à peine quelques démentis vagues du gouvernement ou de rares écrivains catholiques. Il est sûr que le Roi et le Conseil du Roi n'ordonnèrent rien de ces atrocités ; il est possible qu'ils n'en surent pas grand'- chose ; il est probable qu'ils n'en voulaient rien savoir. Au milieu de ces horreurs à froid, — car il n'y a nulle part alors de soulèvement sérieux des victimes, — des arrêts s'intercalèrent, quand il venait d'en haut des ordres à l'encontre. Une instruction, de 1686, aux gouverneurs, lieutenants et intendants les engageait, dans leurs visites, à ne pas ajouter une entière créance aux propos des curés et des missionnaires, l'expérience ayant fait connaître que la plupart agissent par passion ; — à ne pas abuser des rigueurs odieuses, telles que le supplice de la claie. Mais la tolérance intelligente de ces prescriptions était gâtée par les contradictions qui s'y mêlaient. Le 23 février 1687, Colbert de Croissy écrit à Le Brel : S. M. veut que vous vous serviez, pour obliger les pères et les mères à envoyer leurs enfants aux écoles, de la voie de douceur plus que de la contrainte. Trois mois après (5 juin), il dit le contraire. Et quand il s'agit de tentatives de culte public, c'est la rigueur qui parle seule. Une Déclaration du 1er juillet 1686 édicte contre tous ministres, surpris faisant exercice de religion autre que la catholique, la peine de mort ; contre les hommes qui leur donneraient asile ou assistance, les galères perpétuelles ; contre les femmes, le rasement des cheveux et la prison perpétuelle ; et contre les délinquants des deux sexes, confiscation. Conséquemment, Lamoignon de Bâville traite les assemblées du désert comme une émeute. En mars 1686, à Saint-Germain de Calberte, les soldats font feu d'abord, puis fondent sur les N. C. l'épée à la main. En juillet, à la Combe du Coutel, les dragons, après une décharge préliminaire, frappent d'estoc et de taille : 600 cadavres restent à terre. Et cela, c'est bien ce que veut le Roi, ou le Conseil. Louvois écrit en janvier 1687 : Faire fort peu de prisonniers, mais en mettre beaucoup sur le carreau, n'épargner pas plus les femmes que les hommes. Dans le Nord de la France, les assemblées ne sont pas massacrées sommairement comme dans le Midi, mais les officiers de justice, ordinaire ou extraordinaire, prodiguent le gibet, la déportation, les galères, et la prison pour les plus petites infractions à la loi. En Dauphiné, un paysan est pendu pour avoir tenu une assemblée sous un noyer[6]. En Normandie, deux paysans sont condamnés aux galères, l'un pour avoir été trouvé porteur d'un petit livre de la R. P. R. ; l'autre pour avoir hébergé Brousson. Seignelay autorise l'intendant de Harlay, lei juin 1687, à envoyer aux galères une femme soupçonnée d'altérer par son influence les bons sentiments où parait être maintenant son mari. Aussi les galères, de 1685 à 1715, reçoivent-elles, au milieu de leurs recrues accoutumées, de deux à trois mille protestants. Le huguenot incorrigible peut, quel que soit son âge (il y eut des galériens de quinze ans et de quatre-vingts) être condamné à ramer sur les vaisseaux de guerre du Roi. On le tire de prison pour le joindre à la chaîne, lorsque passe par cet endroit de la France la longue file des condamnés, accouplés, soit par la jambe, soit par le cou. A pied, sans jamais être déferré, même la nuit, il parvient, s'il est résistant, au port où il fera sa peine : six ans au moins, et parfois toute sa vie, presque tout le temps la rame en main, courbé sur le banc, le long duquel il ne peut aller et venir que de la longueur de sa chaîne. Nu-tête et nu-pieds, rongé de gale et de vermine, dans son hoqueton large et court, il a l'air d'un ours plutôt que d'un homme, et on le traite comme tel. Quand vient un visiteur de marque, on fait hurler et grogner les forçats en guise de hourrahs ; et la corde, le nerf de bœuf, la bastonnade et le bâillon sont moins des punitions que la forme ordinaire du commandement des comites et des argousins. Pour échapper à cet enfer, plus d'un huguenot se tue ou se mutile. Et cependant la déportation effraie davantage. Plus d'une volonté faiblit en vue du vaisseau en partance. On racontait que des capitaines noyaient en cours de route leur convoi de huguenots ; ou qu'arrivés aux îles, au Canada, à Terre-Neuve, au Cap, on était la proie des sauvages. Et il semble en effet que sur le millier environ de protestants que de 1685 à 1720, on déporta, et qui parvinrent, presque tous périrent. Quant aux prisons, il en fut alors de célèbres : dans le Midi, l'Hôpital général de Valence, ou la Tour de Constance, d'Aigues-Mortes, dont les tortures sont restées légendaires. A Paris, c'est la Bastille, plus douce, mais où l'on est oublié, parfois vingt ans. Dès janvier 1687, elle est si pleine qu'on est obligé d'en évacuer les détenus sur les châteaux, les prisons, les couvents. Depuis le mois de janvier 1686, presque tous les monastères de femmes servent de lieu de réclusion. Dans certaines de ces maisons de Nouvelles Catholiques, le bâillon, le fouet, les tortures morales sont si fréquemment employés qu'il arrive plus d'une fois que l'esprit tourne de chagrin aux prisonnières. En moins de dix ans, ces couvents regorgent, à leur tour, et il faut les agrandir. Mais ce sont des frais, comme aussi la nourriture et l'entretien des prisonniers que les intendants voudraient bien laisser à la charge des familles, qui s'y refusent. A ces embarras inférieurs s'ajoutent encore les ennuis des formes de justice qu'il faut tout de même conserver : — l'impossibilité de traduire les délinquants devant les tribunaux ordinaires, si l'on ne veut pas donner trop de publicité à cette vitalité indomptable du Protestantisme, — les relâchements inopportuns que les Intendants, investis de cette juridiction, se permettent quelquefois par politique — le mauvais effet que produisent tant de condamnations à mort, qui, dit Bâville lui-même, irritent les esprits et les endurcissent. Dès 1687, l'inutilité des violences est tout à fait visible.
Le 1er juillet était rendue l'ordonnance draconienne contre les ministres qui
rentrent ; le 8, l'un d'eux, Fulcran Rey était exécuté. Six semaines après,
le ministère apprenait l'arrivée prochaine en Normandie de ministres réfugiés
en Hollande. Douze mois plus tard, en Languedoc, Bâville est obligé de
traiter avec le prédicant Vivens en août 1688, pour qu'il s'en aille. Pendant
ce temps, en Dauphiné, une fille, Blanche Gamond, brave les supplices. Noailles
écrit le 29 octobre 1687 : On ne sait quasi plus
quel parti prendre. Cependant, il y aurait une solution, peut-être,
que dès la fin de 1686, il a le courage de proposer pour le Languedoc :
dépeupler cette province. Et Louvois annonce que le Roi entre dans cette vue.
Mais c'est un parti qu'on abandonne aussi, en 1689, parce qu'il y a, dit Bâville, un si
grand nombre de paroisses mauvaises qu'il
faudrait transporter ailleurs plus de 25.000 âmes tout au moins. Alors
on essaie autre chose : on décrète que les lieux où
les prédicateurs seront reçus et où les assemblées seront faites soient rasés
entièrement. Cela, — et percer des routes, abattre les forêts et
défricher les endroits incultes qui servent à cacher les assemblées, — voilà
tout ce que %ville voit dorénavant de possible dans les Cévennes. A Paris,
aussi, à la même date, les agents les plus énergiques de la persécution ne
sont pas moins découragés : Si l'on suivait exactement, écrit, le 28 février 1693, La Reynie, tout ce qui pourrait être suivi, à Paris et dans les provinces, à l'égard de plusieurs N. C. mal intentionnés, relaps ou qui ont fait des exercices avec des ministres de la R..., on trouverait un si grand enchevêtrement de fautes et de coupables qu'il est, ce me semble, beaucoup mieux de ne pas les connaitre entièrement que de découvrir dans les circonstances présentes un aussi grand mal aux yeux de tout le monde. En 1692, Pontchartrain ordonna aux intendants de s'arrêter, mais tout en laissant croire aux nouveaux convertis que les ordres étaient toujours de les châtier sévèrement. III. — LES PROTESTANTS ET L'ÉTRANGER[7]. AVEC les idées d'alors sur la subordination nécessaire de la patrie à Dieu et du loyalisme national à la conscience mystique, — avec les vieilles traditions, dont les guerres de religion des cent dernières années avaient renouvelé l'usage, sur la légitimité de l'entraide internationale des croyants ; — avec, enfin, la distinction qui, de plus en plus, chez les écrivains politiques se fait jour, des gouvernants et des gouvernés, et, dans l'espèce, du roi de France persécuteur d'avec la France opprimée qui sans doute le désavoue, il était impossible que les protestants français ne recourussent à l'étranger après vingt-cinq ans d'une persécution continue et grandissante. Le nombre était petit, parmi les protestants enfuis ou proscrits, de ceux qui se résignaient à faire un établissement définitif dans les pays mêmes qui les accueillaient le mieux. Ils voulaient rentrer dans leur patrie, y rentrer même malgré Louis XIV. Dès 1685-1686, Jurieu, dans son Avis aux Protestants de l'Europe, lance l'idée d'une Union de toutes les puissances protestantes, pour imposer au roi de France le retour des bannis ; Claude, en 1686, la développe, dans les célèbres Plaintes des Protestants, desquelles le comte d'Avaux, ambassadeur en Hollande, écrivait (18 avril 1686) : C'est proprement un manifeste pour commencer une guerre de religion dès que les huguenots seront en état de la faire. Mais les chefs protestants, qui travaillent jusqu'en 1697 à préparer cette guerre, n'y réussissent pas. Les cantons Suisses ouvraient aux déserteurs français leur territoire et leur bourse. Mais ils avaient assez à faire d'éluder les protestations dont le roi de France les accablait, au sujet de l'hospitalité donnée par eux aux Réfugiés, ou des rassemblements armés, de Vaudois, Dauphinois et Cévenols qu'ils souffraient. Sans doute les cantons protestants resserraient leur union avec Genève, mais, en dépit de quelques velléités de retirer leurs soldats attachés au service du Roi persécuteur, ils concluaient avec lui un nouveau traité (avril 1689) d'alliance et de subsides. Les politiques du Refuge avaient plus à espérer, semblait-il, du Brandebourg. En 1686, Claude Brousson tente Frédéric-Guillaume en lui demandant de patronner, en même temps qu'une confédération politique des États protestants- contre Louis XIV, une réunion dogmatique de toutes les fractions de la Réforme. Mais ce prince avait toujours en tête mille projets et considérations, et d'ailleurs, son intérêt était beaucoup plus de garder que de renvoyer en leur pays les émigrés qui l'enrichissaient. A la Grande-Bretagne, catholique d'étiquette jusqu'en 1688, il ne fallait demander qu'une hospitalité patiente et des aumônes. La Hollande n'était nullement disposée à courir le péril d'une guerre. Mais ici, du moins, quelqu'un, le prince d'Orange, laissait entendre que, le cas échéant, le Protestantisme pourrait espérer en lui pour une revanche. Sa femme acceptait publiquement le rôle de protectrice des femmes protestantes, et obligeait les États-Généraux, qui rechignaient, à incorporer et à payer les officiers français fugitifs. Dès la fin de 1685 et le commencement de 1686, Fénelon rapporte qu'on parlait, sur les côtes de Saintonge, d'un grand armement des Hollandais, destiné à venir délivrer les frères de France ; Tessé, dans le haut Languedoc, que tout le monde était infatué du prince d'Orange. Lorsqu'on le vit, deux ans après, devenu, presque sans coup férir, maitre de l'Angleterre, alors les moins mystiques ne purent s'empêcher de voir dans cette conquête merveilleuse, l'habituel procédé de la Providence aux temps de la Bible. Guillaume III renouvelait Cyrus et Zorobabel. Pierre Jurieu traduisit alors, sous une forme bizarre mais efficace, les espoirs que ces événements suscitaient. Avant même la Révolution de 1688, la sympathie vaillante de la princesse d'Orange, dont il était le confident, le spectacle des démêlés de plus en plus aigres entre les Jansénistes et les Jésuites, le Pape et le Roi de France, surtout enfin les nouvelles qu'il recevait des miracles dont la population protestante des Pyrénées était visitée, avaient inspiré à cet esprit énergique et emporté le livre de l'Accomplissement des Prophéties. Préoccupé, comme beaucoup de théologiens protestants et catholiques l'étaient encore, de déchiffrer les énigmes de l'Apocalypse, Jurieu s'avise un jour que le nombre de la Bête répond au nom de Louis XIV. L'Empire antichrétien, dont parle saint Jean, est donc le Papisme persécuteur, mais sa fin est marquée par le prophète : trois ans et demi. C'est en 1689 que l'empire de l'Antéchrist fera place au règne de la Vérité, c'est-à-dire de la Réformation, lequel sera établi en France, sans effusion de sang, par le Roi lui-même. La révolution d'Angleterre et la guerre européenne étant survenues, il fallut que le prophète modifiât la prophétie. C'est par la guerre que le Protestantisme reconquerra la France ; c'est l'Angleterre que Dieu charge d'abaisser et humilier les persécuteurs. La France en profitera du reste ; elle aura comme l'Angleterre, sa délivrance dont Jurieu, dans les Soupirs de la France esclave, qu'il publie alors par livraisons (si même ce n'est pas lui qui les écrit,) trace le programme. Elle recouvrera ses anciennes libertés, substituera le gouvernement aristocratique à la monarchie. En même temps, Jurieu était chargé par Guillaume III de diriger, de La Haye, un service de renseignements que lui font parvenir des agents de toutes les villes de France, particulièrement de Toulon, Rochefort, Brest, Saint-Malo et Dunkerque. Cette littérature passionnée trouvait des échos non seulement parmi les Réfugiés — plusieurs retournèrent en France pour attendre l'accomplissement de ses promesses, tandis que d'autres s'enrôlaient dans les troupes de Guillaume, — mais aussi en France, en dépit des sages dont la fidélité monarchique résistait. Et c'était principalement, dans le Midi, que se surexcitait cet esprit d'insurrection. Depuis 1683, dans le Dauphiné et le Languedoc, la persécution sévissait presque sans relâche. Elle y accroissait, chez des populations déjà pauvres, la misère, chez des montagnards à demi sauvages, l'effroi, chez les paysans de la plaine brûlante, la colère. Au souvenir des souffrances passées s'ajoutait l'attente anxieuse d'épreuves nouvelles toujours possibles ; et cette succession d'impressions déprimantes ou exaltées produisait sur les cerveaux son effet normal : une contagion, qui peu à peu passait des petits groupes aux grandes foules. En 1685, à peine les dragons de Foucault étaient-ils partis, que des gens d'Orthez entendent vers le soir, dans les airs, des voix chantant des chants parfaitement semblables à ces Psaumes, qu'il n'était plus permis de chanter. L'une de ces voix domine, ainsi que dans les offices la voix du célébrant. C'est comme un culte qui redescend du ciel. Dans les Cévennes, de décembre 1685 à la fin de janvier 4686, les gens des Boutières percevaient le bruit des tambours et des trompettes sonnant la charge, — la charge de l'invisible armée que Jéhovah dépêche enfin à son peuple écrasé. Chez les individus, ces hallucinations se terminent par un torrent de paroles : malédictions et menaces contre la Babylone persécutrice ; bénédictions et promesses à la Jérusalem fidèle. La bergère de Crest, Isabeau Vincent, de Saon, fille de ferme, pendant des sommeils merveilleux dont ni cris, ni piqûres, ni brûlures ne pouvaient l'éveiller, disait : Il y a dans la terre, une racine qui augmente peu à peu : notre délivrance est comme cette petite racine. Notre-Seigneur a donné quarante-deux mois de persécution ; il n'y a plus longtemps à souffrir. Dans tout le Dauphiné, l'esprit de Dieu tombait ainsi sur des centaines d'enfants. Endormis, non seulement ils priaient, d'une manière excellente, sans avoir étudié, mais ils menaçaient, promettaient, prêchaient qu'il fallait reconquérir la foi par les armes : Dieu préservera ses fidèles du sabre et des balles ; le prince d'Orange viendra à la tête de 100.000 combattants conduits par l'ange exterminateur. En Vivarais, c'était, dit une relation contemporaine, tout un peuple, veillant et dormant, que l'esprit de Dieu a saisi avec des signes et miracles tels que, depuis le commencement du monde, il ne s'est rien vu de semblable ni d'approchant. Des Cévennes jusqu'aux Alpes, et des Pyrénées au Jura, un courant circulait de haine, de révolte, et d'espoir. Dans une telle atmosphère, il semblait aux plus sages que le temps était venu de faire collaborer la bonne volonté de ceux qui étaient hors le royaume et de ceux qui étaient encore en dedans. En 1688, un petit-neveu de Turenne, Armand de Bourbon-Malauze, marquis de Miremont, propose, à l'Espagne, puis, en 1689, à l'Espagne et à l'Angleterre, de concerter un débarquement par Cette, tandis qu'une troupe de 2.000 hommes déterminés, partis du canton de Berne, irait rejoindre dans les montagnes du Dauphiné et des Cévennes les rassemblements des paysans commandés par les ministres. — En 1690, Cabralles, prédicant du comté de Foix, et Brugnière de Nîmes ; en 1691, le prédicant Vivons, font à Guillaume d'Orange, au gouverneur de Milan, à Schomberg des propositions analogues. On prêtait enfin à Guillaume Ill l'idée de constituer, sur le flanc du Dauphiné, avec les Vaudois savoyards, une petite république protestante autonome, d'où fussent constamment partis les excitations et les secours. — En France, pendant dix-huit mois, d'octobre 1688 à la fin de 1689, les appréhensions de la Cour et même de la population catholique furent vives. Une ordonnance prescrivit aux protestants de toutes les régions de la France qui n'étaient pas gentilshommes, de remettre aux magistrats des lieux toutes leurs armes. Dans les Cévennes, on proclama la loi martiale. Un cordon de milices fut établi le long du Rhône. Les huguenots remuent de toutes parts, écrivait Bossuet à Rancé. A Caen, le 11 octobre 1689, on sonna le tocsin. Mais tout ce mouvement avorta bientôt. Pour exécuter ces plans, les chefs surtout manquaient. Les nobles protestants, qui n'avaient jamais été ce qu'un des meneurs appelle de violents fidèles, prenaient du service, mais dans l'armée royale. Les Alliés d'Augsbourg ne se souciaient pas d'envoyer là-bas leurs officiers. Jurieu et Brousson avaient beau organiser à Rotterdam et à La Haye des comités, lancer des circulaires : quelques petits Synodes hollandais donnèrent un peu d'argent ; en Allemagne on répondait qu' il fallait que chaque pays se pourvût à soi-même. Ce ne furent donc que des pasteurs, des proposants[8] ou des prédicants (Vivens, Brousson, etc.), qui, au printemps de 1689, osèrent rentrer en France pour guerroyer. Les armes mêmes firent défaut : les gens de Berne, de Zurich et de Soleure, n'osèrent pas en fournir, intimidés ou amadoués par l'envoyé de France. Claude Brousson, qui avait rêvé cette fois la révolte de la France protestante, renonça à ses velléités belliqueuses. — Seul, Vivens essaya d'agir avec des ressources dérisoires : 1.000 livres que Guillaume III lui avait données, pour acheter des armes, de la poudre et du plomb, et 400 hommes qu'il mène au feu tant bien que mal. Ses exploits, dont à peine la Cour entend parler, se bornent à quelques engagements heureux, où sa troupe de paysans, avec des pierres et des lettons, barre la route aux soldats du roi, sauf à s'enfuir ensuite, ou à passer au milieu d'eux, sans but et sans résultat. Dès le 29 septembre, Bâville pouvait écrire : Il n'y a pas d'apparence que ce mouvement ait des suites, les gros lieux sont demeurés dans une grande tranquillité. — Du côté de Bordeaux, on était toujours inquiet, mais pour contenir les malintentionnés, il avait suffi d'envoyer quelques compagnies. Les trois années suivantes virent à peine quelques
velléités de résistance. En 1692, Vivens périt dans une embuscade, et au
printemps suivant, lorsque le duc de Savoie et Schomberg se décident, comme
les Protestants le leur avaient demandé trois ans plus tôt, à pénétrer en
Dauphiné, il était trop tard : le Dauphiné ne les attendait plus et il était
vaillamment défendu contre l'invasion étrangère non seulement par les troupes
royales, mais par une partie de la population dont les
demoiselles de la Charse, nouvelles converties, réveillaient le
loyalisme. Dès 1693, on n'entend plus parler des N.
C., écrit la Gazette de Harlem ; Il
n'y a plus rien à craindre des religionnaires, mande de Caen
l'intendant Foucault. Les Réfugiés s'en rendent compte. Accusés dans le célèbre Avis aux Réfugiés, attribué à Bayle, d'oublier qu'ils doivent, toujours, rester français de cœur, ils protestent. Ils n'espèrent plus que de la paix un changement heureux pour eux et pour leurs frères restés en France. Leurs prédicateurs s'évertuent à faire croire que le traité, dont l'Europe attend sa tranquillité, ne saurait être durable sans le rétablissement de Sion ; deux comités se forment à La Haye pour tâcher de faire comprendre les Réfugiés et les persécutés de France dans les conventions de Ryswyk, Jurieu et Brousson, d'abord, puis Brousson tout seul, adressent à la Hollande et à l'Angleterre la liste des libertés que les Réformés réclament du gouvernement de leur pays. Mais Guillaume III, n'est pas convaincu du tout que, — comme Brousson l'en menace avec candeur dans ses sermons, — si la Grande Bretagne ne fait pas son capital de rétablir Jérusalem ruinée par Babylone, Dieu la privera elle-même de ses bénédictions temporelles. Satisfait des concessions de Louis XIV, et n'ayant plus les conseils mystiques de sa femme Marie d'Orange, il s'abstint de se faire auprès du roi de France l'avocat des protestants. Ce ne fut qu'après la signature des préliminaires, le 19 septembre 1697, que, par acquit de conscience, l'ambassadeur anglais, comte de Pembroke, remit au médiateur suédois, de la part des Alliés de la religion protestante, un mémoire où, du reste, il n'était guère question que des Français émigrés, et du désir qu'avaient les princes de savoir quelle serait la destinée de ces pauvres gens s'ils retournaient en France après la paix faite. A ces insinuations, quelque discrètes qu'elles fussent, Louis XIV répondit avec hauteur. Il ne se mêlait point de la conduite des autres rois quant à la religion, il n'entendait pas qu'on se mêlât de la sienne. Il ne voulut pas même qu'on lui soumit les éclaircissements présentés par les Réfugiés aux plénipotentiaires ; et une supplique où les modérés du Refuge, sans faire intervenir les puissances étrangères, s'adressaient directement à sa seule clémence, ne fut pas mieux accueillie. IV. — ÉCHEC DE LA CATHOLICISAT ION DES RÉUNIS. LES DÉLIBÉRATIONS ET L'ÉDIT DE 1698[9]. TOUTEFOIS si les velléités de révolte de l'ancienne population protestante et ses intelligences avec l'étranger ne donnaient plus, pour le moment, d'inquiétude, ce qui en donnait toujours, et de plus en plus, c'était l'état persistant et visible d'insubordination spirituelle de ceux qu'on appelait officiellement les nouveaux catholiques. Le Conseil pour les affaires des P. R. que le Roi en personne tenait, tous les quinze jours, le samedi, assisté des Princes et des membres du Conseil des Dépêches, avait fort à faire. Les deux principaux moyens sur lesquels on avait compté pour les incorporer à cette Église où on les faisait entrer par force — l'instruction spirituelle des adultes et l'éducation des enfants — n'avaient produit, depuis 1686, que des résultats insignifiants. La grande majorité des prélats était pourtant, à cette date, pieuse et zélée ; elle tenait à plaire au Père La Chaise, et à Mme de Maintenon ; il est donc probable que tout le possible fut fait. Quelques évêques même, entre autres ceux de Grenoble, de Montauban, de Lescar, de Gap, de Tarbes, d'Orléans, refusèrent de recevoir ou d'employer les dragons, se flattèrent de gagner les Réformés par le cœur seul et par l'esprit. Mais la conduite des prélats n'était pas uniforme. Puis les mieux intentionnés étaient mal secondés. Les missionnaires moines répugnaient aux Réunis et ils inquiétaient nombre d'évêques ; vers 1698, les Jésuites eux-mêmes, qui d'abord avaient fait merveille, ne réussissaient plus. Quant au bas clergé séculier, surtout dans les campagnes, soit par immoralité, soit par impuissance à parler, soit par crasse ignorance, il était encore incapable de s'imposer aux anciens religionnaires, gens de mœurs sévères, habitués aux prédications quotidiennes, ferrés sur la Bible. L'évêque de Nantes écrivait en 1698 : Nous ne viendrons jamais à bout des vieux religionnaires. On ne venait même pas à bout des jeunes. Les N. C. aisés ou de conditions distinguée font élever leurs fils et filles par des précepteurs aussi nouvellement convertis, ou encore, ils les envoient dans les pays étrangers sous prétexte d'apprendre la langue. Pour les enfants du peuple, il s'en faut qu'il y ait des maîtres d'école partout. Les villes (Montauban, Pons) sont obligées, en rechignant, de s'imposer pour fonder des écoles en remplacement de celles que les Réformés payaient. Le Roi est obligé de s'engager à prendre à sa charge une partie du salaire des maîtres. Mais comme il ne paie pas toujours ce qu'il promet, les intendants bataillent pour obtenir de consacrer les revenus confisqués des consistoires ou le reliquat des biens des fugitifs au paiement des régents et maîtres. Dans les provinces frontières, en Alsace, par exemple, malgré les édits, il subsiste toujours des écoles luthériennes et calvinistes. Ailleurs, toutes les ruses sont bonnes pour soustraire les enfants à l'enseignement catholique. Les parents des villes voisines échangent leurs enfants sous prétexte du commerce, et quand on leur demande des nouvelles de leurs propres, ils disent qu'ils ignorent ce qu'ils sont devenus. D'ailleurs, sait-on seulement combien il y a d'enfants dans chaque famille ? Un des prélats consultés en 1698, conseillera avec raison de commencer par exiger des parents un état juste de leurs enfants. Les châtiments pécuniaires contre les contrevenants font peu d'effet. Dans quelques lieux, rapporte Élie Benoit, les pères ainsi punis se vengent. Non contents de payer l'amende et de n'envoyer point leurs enfants aux instructions catholiques, ils cessent de distribuer certaines aumônes réglées dont les pauvres catholiques bénéficiaient. Les pauvres se plaignent, s'attroupent à la porte des Curés, des Juges, de l'Intendant. Et l'Intendant cesse de poursuivre. Du reste, là même où l'on obéit, le profit moral est mince, l'œuvre des catéchistes était contrariée par les parents, détruite chaque soir à la maison. Pour les écoles, Fénelon avait dit, dès 1686, le mot juste : Il faut, sur ce point, une autorité qui ne se relâche jamais. Or, dès 1689, la Cour elle-même parait incertaine et faiblit. Les Intendants, que la Cour laisse décider des espèces, tolèrent, transigent toutes les fois que des intérêts locaux le leur conseillent. En 1697, celui de Guyenne, Bazin de Bezons, fait semblant de ne pas savoir au juste jusqu'à quel âge l'absence des enfants est délictueuse. L'enlèvement des enfants avait été prescrit successivement par les édits de 1669 et de 1681, par les déclarations de 1683, 1685 et 1696. Dans les premiers temps quelques intendants s'y étaient lancés tête baissée. Ainsi, en Normandie, de Gourgues, qui faisait saisir chez les nouveaux convertis suspects, des enfants de deux ans, de trois ans. Mais il ne suffisait pas de faire ces petits prisonniers. Le gouvernement n'est jamais riche. En Dauphiné, où la vie n'était pas chère, la Maison de la Propagation de la Foi ne pouvait pas prendre moins de 75 livres par an pour les garçons et de 50 livres pour les filles. Dans les diocèses d'Avranches, Bayeux et Coutances, rien que pour les enfants de sept à quatorze ans, De Gourgues compte 54.240 livres par an, dont 13.000 seulement pourraient être laissées à la charge des familles ; restent 41.090 livres à celle de l'État. Il fallait aussi des locaux. Ni les collèges, ni les couvents, ni les hôpitaux n'étaient assez nombreux ou assez vastes. Les Nouvelles Catholiques de Paris étant encombrées, on dut en 1698, louer des maisons dans le voisinage pour les filles ; tandis que l'on mettait les garçons chez des négociants avec permission de les embarquer au plus tôt. Les exemples furent nombreux de constance héroïque, surtout chez les filles, parfois d'évasions romanesques. Il arriva qu'on fut obligé, de guerre lasse, de relâcher ces précoces confesseurs. Et alors, observe un évêque, ils rentraient dans le monde comme des martyrs. Force fut, là aussi, et assez tôt, de se relâcher. En 1693, l'historien protestant Élie Benoit parle de l'enlèvement des enfants comme d'une chose qui ne dure encore qu'en certains lieux du royaume. En 1692, un N. C. de Caen se plaint au Contrôleur général que Foucault lui eût fait enlever ses enfants. En avril 1698, Pontchartrain écrit à d'Argenson que le Roi approuve ces enlèvements, mais de n'en user qu'avec prudence. Puis les résultats obtenus n'étaient que provisoires. D'ordinaire le terme de l'éducation des enfants était, dit l'évêque de Rieux, le terme de leur catholicité. La génération nouvelle, une fois adulte, se refusait à son tour à faire acte de catholique. Refus assez facile, du reste, dans le courant ordinaire de la vie. Pour l'assistance aux offices catholiques, le gouvernement avait abandonné de bonne heure ce procédé, par trop vilain, de faire conduire les N. C. à l'église par des soldats et d'en faire faire par des prêtres, aux portes des églises, l'appel et la revue. D'ailleurs, tant qu'il ne s'agit que d'entrer dans l'église, le Nouveau Converti, encore qu'à contre-cœur s'y résigne. Il reste dans le bas de la nef, la figure cachée dans le chapeau. Au besoin même il tient un livre, un volume où figurent l'Ave Maria, les Sept Psaumes, le Calendrier avec les Saints de l'Église romaine, mais qui est en réalité un recueil de prières calvinistes[10]. A la communion pascale, la seule canoniquement exigible, on échappait comme on pouvait, par une maladie, par une absence. L'écueil, c'était chacun de ces grands événements où l'intervention de l'Église était légalement nécessaire : — le mariage, — la naissance des enfants, — la mort. Pour être valable devant la loi civile, le mariage devait avoir été contracté devant un prêtre, ce qui supposait la confession. Quelques Nouveaux Convertis purent la faire de bonne foi en vertu de L'opinion de certains théologiens protestants qui reconnaissaient à la confession une utilité morale. D'autres s'y soumettaient de force, comme à un parjure indispensable. Des fiancés, on obtient tout ce qu'on veut, écrivent des évêques, mais, ajoutent-ils, une fois mariés ils ne reviennent jamais à l'église. Du reste d'assez nombreux curés, par tolérance ou pour de l'argent, conféraient le sacrement sans exiger la confession préalable, sans même bénir les époux (mariages dits à la gaumine)[11]. C'étaient, écrit l'évêque de Périgueux, la plupart des curés ordinaires. A plus forte raison les prêtres vagabonds et misérables. Les N. C. de la frontière du Nord passaient la frontière et revenaient comme légitimement mariés, munis de certificats de prêtres errants du diocèse de Liège. A Paris même, cela se fait et le Roi la sait. Enfin quand des entraves furent mises à ces stratagèmes, les N. C. s'enhardirent au mariage libre, par simple consentement réciproque. Et, ainsi mariés, écrit l'évêque de la Rochelle, ils demeurent tranquillement dans leur concubinage. Là contre, le gouvernement est désarmé. En décembre 1693,
il oblige les notaires à déclarer au clergé les contrats de mariage passés
entre N. C., mais, — dans le temps même où il prépare la déclaration du 15
juin 1697 qui ordonnera aux officiers royaux d'obliger
les N. C. ainsi mariés à se séparer et
privera ces unions de tous effets civils, soit au profit des prétendus
conjoints, soit au profit des enfants, déclarés inhabiles à toute succession,
— le Roi juge bon d'assoupir les poursuites
contre les curés prévaricateurs qui ménagent les
mariages par de faux certificats. Que l'évêque de Grenoble fasse comme
il voudra. Que l'archevêque de Paris fasse ce que
lui suggérera sa prudence. Mais, de son côté, l'archevêque de Paris
déclare, et il n'est pas le seul, que cela regarde
l'État plus que la religion et que c'est au
Roi à décider. Bientôt les officiers royaux s'habituèrent à réputer
valides les unions à la gaumine ; les
enfants sortis de ces unions étaient enregistrés sur les registres des curés sans mention. Contre le baptême de leurs enfants, les N. C. avaient moins d'objections. D'après la théologie protestante, le baptême d'un prêtre catholique fait un chrétien, et non spécialement un catholique. Puis on pouvait toujours le baptiser soi-même. Et c'est ainsi qu'un N. C. trouvait, tant bien que mal, les moyens de s'abstenir, jusqu'à la mort, d'une participation effective au culte de l'Église romaine. Enfin, à la mort même, la dissimulation pouvait s'exercer. Mourir clandestinement est toujours possible, volets fermés et porte close, sans appeler ces médecins, chirurgiens et apothicaires à qui depuis longtemps les dévots et le gouvernement demandent d'être les auxiliaires et les informateurs du clergé. Mais, à ce rôle, aussi contraire à leur intérêt qu'à l'humanité et à l'honneur, les médecins ne se sont jamais bien pliés. On peut en général compter sur leur silence. Si pourtant le curé réussit à pénétrer auprès du moribond malgré la résistance de la famille, celui-ci se défend encore. Il ergote, il équivoque, et si, bon gré mal gré, les derniers sacrements lui sont imposés, on trouvera dans ses papiers, dans son lit, le testament où la conscience prend sa revanche : Ne sachant point par quelle sorte de maladie Dieu voudra me retirer de ce monde, et craignant que ma bouche ne puisse prononcer mes sentiments, je déclare que je veux mourir dans la religion en laquelle je suis né. Il est vrai que, dans ce cas, le protestant courageux risque gros. Survivant, il sera condamné aux galères, si c'est un homme ; à la confiscation, à l'amende honorable et à la clôture perpétuelle, si c'est une femme. S'il meurt, et que l'autorité ne consente pas qu'on enterre son corps dans un jardin en terre profane, alors, en conformité de la déclaration du 29 avril 1686, son cadavre jugé, condamné, sera tramé sur une claie par les rues la face contre terre, jeté à la voirie où l'on jette les bêtes mortes, jusqu'à consommation entière, avec défense à toute personne, de quelque qualité qu'elle soit, de l'enlever. Lors même que la barbarie du bourreau ou celle de la populace n'y ajoute pas de raffinements, ou qu'une dénonciation tardive, un conflit de juridiction, un appel n'obligent pas la justice à faire exhumer ou saler le cadavre, l'exécution pure et simple de ces sentences suffisait amplement à saisir le cœur. A Montpellier, en novembre 1686, on vit la tête échevelée de Mlle Carquet, bourgeoise de Montpellier, bondissant sur les pavés. En 1693, à Paris, le peuple lui-même, révolté, enleva un mort aux bourreaux. Aussi, de 1686 à 1698, les ministres du Roi déconseillent généralement le supplice de la claie. Dès la fin de 1686, Louvois informait l'intendant de Metz que, dans les occasions où la déclaration de vouloir mourir en la R. P. R. paraîtra avoir été faite par un simple motif d'opiniâtreté et que les parents témoigneront la désapprouver, il sera bon de ne pas relever la chose. En 1693, Élie Benoît pouvait écrire qu'on faisait semblant d'ignorer la maladie des Réformés. Quand ils venaient à mourir sans sacrements, tout ce que les survivants voulaient dire à leur décharge était reçu comme légitime. Et quand leur obstination avait été trop notoire, on se borne, sauf de rares exceptions, à procéder par effigie ou par affichage. Et avec les vivants aussi on est obligé de transiger. A l'égard des mauvais catholiques, comme des protestants qui n'abjurent pas, comme de ceux qui se sauvent, il faut finir par céder. On se heurte toujours à l'impossibilité de punir les mauvais nouveaux catholiques, si l'on ne punit aussi les anciens catholiques mauvais. Faute à la France d'avoir reçu, jadis, l'Inquisition, la loi, trop armée sur certains points, est désarmée ici. Un bourgeois de Nérac crache l'hostie. Il est brûlé vif. Mais, dans des cas semblables, l'illogisme révoltait, car on avait créé le crime qu'on punissait. Cet homme, seul et libre, n'eût pas commis le sacrilège. — Les effets des taxes ne sont pas moins paradoxaux. D'Herbigny, intendant à Montauban, les constate en 1693 avec précision, à propos des taxes de milice qu'on avait imposées aux N. C. de sa généralité. On entretient ainsi entre eux et les anciens catholiques une distance tout à fait odieuse et qui combat directement cette unité qu'on a tant recherchée dans la religion ; et, en outre, les plus endurcis d'entre eux s'autorisent de ces taxes comme d'un titre pour vivre à leur mode et considèrent qu'étant par là séparés des catholiques, ils sont en droit de n'en pas faire les fonctions. — Même difficulté pour l'exclusion des charges publiques. Destituera-t-on ceux qui y étaient lors de la Réunion ? En 1686, une circulaire de Seignelay le prescrit aux Intendants, pour les fonctions municipales ; en 1692, elle est en partie abrogée. Du reste les N. C. qui sont dans les charges ne donnent guère de prise sur eux. Ils vont même aux processions en costume. Aussi, le Roi, qui sagement se contente des apparences quand elles sont correctes, ne veut-il plus de ces destitutions en masse des officiers de seigneuries et des employés des Fermes. Faut-il, du moins, ne plus choisir parmi les Réunis de nouveaux fonctionnaires ? Cela même souffre discussion ; Divine, tout le premier, ce fonctionnaire émérite, y voit un cas de conscience administrative et ne voudrait pas écarter, parce que suspect, le plus capable. Ici encore le plus simple est le plus brutal : mettre garnison chez les gens qui ne font pas leur devoir ou les emprisonner. Mais, ici encore, outre qu'on ne peut pas emprisonner tous ceux qui le mériteraient, la prison, elle aussi, va contre le but qu'on se propose. Au château de Saumur, les mal convertis se soutiennent, lisent en commun. C'est une assemblée de culte à huis clos, créée, c'est un foyer de foi protestante entretenu par l'État. Et même dans les dernières des dix années qui suivent la Révocation, le sentiment religieux, exalté par la persécution injuste, est enhardi par la persécution impuissante à la résistance collective et publique. En 1697, en Poitou, les assemblées sont plus fréquentes que jamais ; et, pendant un procès auquel elles donnent lieu et qui aboutira à deux condamnations à mort et à deux envois aux galères perpétuelles, de nouvelles assemblées se tiennent, dont l'une à Noël, solennellement, et à quelques centaines de pas du presbytère de Régné. A la dernière, près de Poitiers, il y avait, disait la Gazette de Harlem, près de 7.000 personnes. Toutefois à ces grands rassemblements publics, dont, au début, l'attrait clandestin était fort, les N. C., devenus plus pratiques, semblent maintenant préférer des réunions moins nombreuses, plus fructueuses, périodiques. On se met deux ou trois familles ensemble pour prier. Sous cette forme privée et intime, dès 1688, l'Église de Paris se reconstitue. L'île du Palais et les environs de la rue de Seine redeviennent deux quartiers huguenots. En province, même résurrection. Pontchartrain découvre, en 1692, que, dans le pays de Saint-Quentin et de Vervins, un ministre rentré en France a non seulement confirmé dans leur foi les N. C., mais encore perverti cent dix familles, — 500 individus, — d'anciens catholiques, qui ont abjuré entre ses mains. Les célébrations de cultes privés sont, en 1694, dans la Normandie et l'Orléanais, presque notoires. Au commencement de 1696, en Normandie, le retour des Réunis à la foi ancienne s'opère si tranquillement que Claude Brousson lui-même se déclare satisfait : Sur cent personnes [converties] à peine s'en trouve-t-il une qui persévère dans son péché... Tout le peuple vit en liberté chez soi, lisant la parole de Dieu avec soin, chantant les psaumes en divers lieux. Dans le Languedoc, en 1697, un document bien surprenant'
tomba entre les mains de Bâville. Il y était supposé que le Roi de France avait promis solennellement au Roi
d'Angleterre, pour venir à bout de la paix générale, qu'il se contenterait
qu'il n'y eût dans les terres de son obéissance aucun exercice public.
Cela étant, un comité de Zélés se chargeait
d'assurer de la façon suivante l'exercice de la religion tolérée : dans chaque
famille s'établirait un culte intérieur, le
père faisant fonction de ministre ; les fidèles s'abstiendraient de toute
assemblée publique, sauf à se rendre de temps à autre à Orange, afin de s'y confirmer dans la foi, d'y entendre quelques
pasteurs et d'y prendre la Cène ; d'ailleurs, pour satisfaire aux lois et
rassurer l'autorité, les membres de la famille pourraient, en sûreté de
conscience, assister, à tour de rôle, dans le lieu de leur résidence, aux exercices des Papistes, pourvu qu'ils en fissent une renonciation intérieure. Moyennant cette
restriction mentale, la confession en vue du mariage, le signe de la croix à l'agonie,
étaient permis. — Quelque temps auparavant, un pasteur du Refuge, écrivant à
ses frères dévoyés, les invitait, s'ils ne
pouvaient pas faire une séparation régulière d'avec
l'Église romaine, à trouver le moyen, tout en y restant, de n'être pas
en Babylone. Ce moyen était trouvé. L'année
suivante, l'évêque de Rieux, Berthier, affirmait l'existence de consistoires secrets qui font savoir leurs résolutions
comme du temps où il y avait des églises réformées. En pleine
monarchie absolue, une Église secrète était en train de s'organiser
régulièrement dans l'État. En 1697, cet état de choses, universel, était partout connu et presque reconnu. Les vocables, adoptés d'abord, de Nouveaux Convertis, Nouveaux Catholiques, paraissent, désormais, par trop menteurs : dans les Déclarations royales du 13 décembre 1699, il est de nouveau question de nos sujets encore engagés dans la R. P. R., de nos sujets de la R. P. R. La R. P. R. existait encore. De cette situation fausse, humiliante, inquiétante, dans l'avenir, pour la paix publique et l'unité morale du royaume, il y a longtemps que l'on conviait le gouvernement à se préoccuper. Dès 1689, Vauban avait osé démontrer à Louvois la faute si dommageable qu'on avait faite en révoquant l'Édit de Nantes. Depuis, en 1691, un anonyme — docteur de Sorbonne et, paraît-il, de caractère considérable dans l'Église par le rang qu'il y tient ; — en 1693, le meilleur collaborateur de Louvois, Chamlay ; — en 1695, l'intendant de La Rochelle, Bégon, essayaient tour à tour, sans résultat, d'appeler l'attention active du Conseil sur l'état des nouveaux convertis. Après la paix de Ryswik, le Roi consentit enfin à mettre la question à l'étude. Il n'aurait pas l'air à présent, soit de subir la pression des puissances étrangères, soit d'appréhender une révolte. Précisément à Bar Brisa cette heure se poursuivait, dans toutes les généralités, la grande investigation statistique dont Beauvillier, chef du Conseil des Finances, avait eu l'idée, à l'effet d'instruire le duc de Bourgogne. Les mémoires des Intendants, déjà parvenus à la Cour à la fin de 1697, pouvaient édifier de plus en plus le gouvernement sur la misère, principalement dans les provinces que les huguenots avaient désertées. Daguesseau, parent du contrôleur général Pontchartrain, ancien intendant de Languedoc, et qui se consacrait tout entier aux questions commerciales, poussait, sans doute, avec Amelot, et surtout avec Beauvillier, à ce que l'on fit enfin quelque chose pour remédier aux maux économiques. De plus, comme le bruit courait qu'au printemps prochain les religionnaires, désabusés de leurs espoirs diplomatiques, allaient recommencer leur exode, les Intendants, avec plus d'insistance que jamais, accablaient le pouvoir central de leurs questions. Enfin, une certaine portion du parti dévot, alors influente à la Cour, éprouvait le besoin de se rassurer sur les résultats de la contrainte. Les Jansénistes n'avaient, certes, jamais fait preuve vis-à-vis des Protestants d'aucune mansuétude. Mais ils se devaient à eux-mêmes de combattre tant de sacrilèges : adversaires bruyants de la facilité des missionnaires jésuites en Extrême-Orient, il convenait qu'ils se demandassent si les nouveaux convertis de France n'étaient point encore de plus douteux néophytes que les Chinois et les Indiens. Le nouvel archevêque de Paris, Noailles, ressentait ces scrupules ; ami de Mme de Maintenon, et alors en pleine faveur, il obtint que la mère de l'Église consentît à ce qu'on essayât de s'entendre sur un système de mesures suivies et uniformes. Vers le mois de mars 1698, un mémoire de Daguesseau mit en mouvement Pontchartrain. Le 25 avril, les Intendants étaient invités par une circulaire à dresser des mémoires sur ce sujet. Les évêques présents à Paris étaient consultés tout de suite, et l'archevêque de Paris écrivait (14 juillet) à ceux du Languedoc et d'autres parties de la France pour leur demander, de la part du Roi, et avec impatience, leur sentiment. Avant l'automne, Intendants et évêques avaient répondu. Les réponses étaient très diverses et contradictoires. La plupart des Intendants considèrent uniquement les dégâts matériels causés au pays par les gênes apportées au mariage et par l'émigration. Ils opinent à ne pas inquiéter les adultes, à ne s'occuper que des enfants et sont conciliants plus ou moins. De même un certain nombre d'évêques. Bossuet, Percin de Montgaillard et l'archevêque de Noailles, malgré les efforts que fait Bâville pour les convaincre, et les évêques du Nord et du Centre, presque tous, se prononcent en faveur d'une propagande purement spirituelle, animée d'un esprit de douceur, respectueuse des répugnances, très patiente. Bossuet dit que l'on ne doit obliger les Réunis ni à la communion, ni même à l'assistance à la messe, et que tous les moyens se réduisent à un seul : l'instruction convenable et assidue. Au contraire, presque tous les évêques du Midi, auxquels il faut joindre l'évêque de Chartres, Godet des Marais, le directeur spirituel de Mine de Maintenon, déclarent que l'abjuration des protestants de France doit être universellement regardée comme un ouvrage consommé, et traitée pour constante et invariable. Ils veulent, comme l'écrivent, entre autres, Fléchier et Mascaron, que l'autorité souveraine ne cesse pas, qu'elle recommence plus que jamais de seconder le zèle brûlant de l'Église, sinon par des punitions corporelles ou des logements de gens de guerre, au moins par des mesures judiciaires, par des châtiments de police, par des limitations mises aux droits civils et à l'activité industrielle et commerciale des N. C., par le rétablissement de l'ancienne excommunication avec tous ses effets, par l'obligation légale de certificats de religion décernés par les curés, visés par les évêques ; par une épuration exacte du personnel des officiers royaux, après enquête sur leur catholicité pratiquante. — Les Intendants du Languedoc et du Béarn sont du même avis : Il n'y a pas d'autre moyen de ramener les hérétiques que la contrainte... on aurait tort de s'attendre à des conversions miraculeuses ; il n'est pas raisonnable d'abandonner les moyens humains que la Providence met aux mains des puissants ; une vexation salutaire doit ouvrir ces entendements qu'une coutume d'erreur tient fermés à la vérité. Et dans ce nouvel appel à la rigueur, à la veille du XVIIIe siècle, l'intolérance du XVIIe formule une dernière fois ses raisons. Raisons de religion, d'abord, et plus solides ou plus spécieuses que n'était la traditionnelle affirmation du droit qu'a la vérité de s'imposer. Ce que, plus justement, certains évêques allèguent, pour provoquer un dernier effort de coaction, c'est que l'absence de vie religieuse collective, dans cette masse immense de Réunis non pratiquants, prépare fatalement le triomphe du déisme. Raisons de politique, ensuite, et qui ne s'expriment pas moins fortement chez Fléchier que chez Bâville. L'intendant écrit : Pour juger sainement de cette affaire, il n'y a qu'à examiner selon les règles de la politique en quoi consiste le véritable bien d'un État, s'il n'est pas plus expédient pour la sûreté qu'il n'y ait qu'une religion que deux. La France sera toujours en état de perdre la paix et la tranquillité domestique tant qu'elle ne verra par les Français réunis sous une même foi comme sous un même maitre. Et Fléchier appuie : Si tous les sujets du roi ne sont pas maintenus dans l'uniformité du culte extérieur comme dans l'unité intérieure de la foi, ce seront toujours deux peuples différents qui se combattront l'un l'autre dans le sein de l'Église et de la république et seront deux corps séparés. D'ailleurs ni le patriotisme du fonctionnaire, ni la piété de l'évêque ne mettent en doute que la volonté ne suffise à plier l'intelligence : Il ne tient qu'aux hérétiques faux convertis de se mettre dans les dispositions nécessaires pour le faire saintement. Ce grand nombre d'hypocrites... pourraient, ensuite, changer de dispositions. Bien que tel fût l'avis de la majorité des évoques, celui de Mme de Maintenon, et, semble-t-il, l'inclination personnelle de Louis XIV lui-même, la leçon des faits rapportés par ces évêques eux-mêmes était trop criante pour qu'on pût leur accorder, après tant d'insuccès dans la contrainte, encore plus de contrainte. Le gouvernement se tira de la difficulté par deux décisions : la Déclaration du 13 décembre 1698, et la circulaire interprétative de cette Déclaration ou Mémoire du Roi pour servir d'instruction aux Intendants et commissaires départis dans les provinces et généralités du Royaume, du 7 janvier 1699. La Déclaration est loin de marquer une victoire entière de l'espèce de modération et de douceur défendu par Daguesseau, Pontchartrain, l'archevêque de Paris et Bossuet. Le préambule persiste à affirmer l'ardent souhait du Roi de voir dans son entière perfection le dessein qu'il a entrepris pour la gloire de Dieu et pour le salut d'un si grand nombre de ses sujets, et sa volonté de les ramener dans le sein de l'Église catholique. Le premier article contient itératives défenses à tous nos sujets de faire aucun exercice de la R. P. R. dans toute l'étendue du royaume sous les peines portées par les édits et déclarations, lesquels nous voulons être exécutés selon leur forme et teneur. Mais, dans le Mémoire secret, interprétatif de la Déclaration, cet orgueil obstiné se démentait : Sa Majesté reconnaît que le changement des cœurs est l'ouvrage de la droite du Très-Haut et le fruit de la parole. — Le même changement de vues se décelait, ensuite, dans l'énumération des mesures considérées désormais comme les plus efficaces pour ramener les errants, dans l'ordre même où elles étaient prescrites. C'est d'abord aux archevêques et évêques que la Déclaration s'adresse, leur enjoignant de résider dans leurs diocèses, de travailler, et de faire travailler leurs ecclésiastiques, spécialement leurs curés, à l'instruction de leurs troupeaux. — Cette longue admonestation (articles II, III, IV ; la Déclaration en a quatorze) désignait au public le clergé comme désormais chargé par le pouvoir temporel de la conversion des N. C., à l'aide des moyens spirituels. Les articles suivants de la Déclaration étaient encore plus significatifs. Exhortons tous nos sujets, et notamment ceux qui ont la haute justice et autres personnes les plus considérables, ensemble ceux qui se sont nouvellement réunis à l'Église, d'assister le plus exactement qu'il leur sera possible au service divin... comme aussi d'observer les commandements de l'Église... Enjoignons à tous nos dits sujets de rendre l'honneur et le respect qu'ils doivent à la religion et aux personnes ecclésiastiques... Enjoignons à tous nos sujets, et notamment à ceux qui sont nouvellement réunis à l'Église, de faire baptiser leurs enfants... Voulons que l'on établisse... des maîtres et des maîtresses... pour instruire tous les enfants... C'était donc tous ses sujets, et non pas spécialement les Réunis, que le Roi affectait de viser. C'était la régularité catholique de toute la nation qu'il prétendait assurer, et non pas uniquement la conversion des anciens religionnaires et de leurs enfants, et cette double fin était clairement exprimée dès les premières lignes du Mémoire complémentaire. Les intentions du Roi vont à régler les obligations tant des anciens catholiques que des nouveaux convertis, et Sa Majesté a cru devoir établir des règles communes et uniformes tant pour les nouveaux convertis que pour les anciens catholiques, sans aucune différence ni distinction. Cela seul était singulièrement important. Même en un siècle de foi, une loi civile engageant tous les Français à l'assiduité aux offices et aux sermons était trop évidemment un geste platonique. Faire rentrer ainsi les N. C. dans le droit commun, c'était les faire participer à l'universelle impunité, et convenir à mots couverts que l'on renonçait à les obliger, sinon autant que tout le monde, et pas davantage, à l'observation du culte catholique. Aussi bien n'y avait-il, dans la Déclaration, qu'une seule mesure prise pour les y obliger spécialement : l'article XIII, qui faisait revivre les anciennes ordonnances, édictant que personne ne serait reçu aux charges de judicature et autres offices d'ordre judiciaire sans un certificat de catholicité. Quant à la pratique du culte, quant à la réception des sacrements, le Mémoire le disait avec netteté : S. M. ne veut point qu'on use d'aucune contrainte contre eux pour les porter à recevoir les Sacrements. Il n'y a pas de différence à faire à cet égard entre eux et les anciens catholiques. Et quant à la fréquentation des écoles et des catéchismes, c'était aux curés que la Déclaration confiait le soin d'y veiller (article X) ; c'était aux archevêques et évêques, dans, leurs visites, — c'est-à-dire une fois l'an, — qu'elle demandait de la vérifier, et la police des délits de ce genre était remise aux juges et procureurs royaux ou seigneuriaux des lieux, sans qu'il fût ici question de ces Intendants, à qui, jusqu'alors, en ces matières on avait laissé, au moins implicitement, des pouvoirs exceptionnels. Le mémoire complémentaire de la Déclaration l'exprimait sans doute possible : A présent que, par la paix, toutes les parties du royaume doivent être remises dans leur ordre naturel, l'intention du Roi est que les intendants laissent agir les officiers de justice royale et ceux des seigneurs. Le Roi ne permettait plus aux Intendants de se substituer à ces officiers que dans des occasions exceptionnelles, extraordinaires et éclatantes, et en consultant préalablement S. M., afin qu'elle leur rende le pouvoir dont ils auront besoin. Il ne leur demandait plus que de surveiller l'exécution de la loi, d'exciter le ministère des officiers ordinaires de justice et d'avoir l'œil sur leur conduite. C'était, en matière religieuse, leur dessaisissement. En somme, dans la mesure où un gouvernement absolu pouvait oser se déjuger, l'édit issu de la consultation de 1698 exprimait ou, au moins, impliquait l'aveu d'une erreur et d'un échec. Dans la mesure où un gouvernement intolérant pouvait s'ouvrir à l'idée de supporter provisoirement une résistance spirituelle, l'édit de 1698 promulguait la promesse d'un régime plus doux. V. — L'INSURRECTION DES CÉVENNES (1702-1710)[12]. MAIS, pour atténuer l'inutile persécution, il ne suffisait pas que les intentions du gouvernement central devinssent, bon gré mal gré, plus pacifiques. En province (dans le Midi, notamment), nombre de petites communautés, urbaines ou rurales, fanatiques, de seigneurs besogneux, de curés grossiers, ne pensaient qu'à éterniser un régime d'espionnage et de rapine, qui, en les enrichissant, les flattait. Les curés du Languedoc, écrit en 1704 Villars, ne peuvent pas perdre l'habitude de faire trembler toutes leurs paroisses. Les Intendants et les commandants militaires, qui, eux aussi, avaient senti grandir par la persécution leur importance, ne changèrent rien, pour la plupart, à leur conduite. Ils ne renonçaient complètement à aucune des coercitions antérieures. Presque partout, ils continuaient à enlever, quand bon leur semblait, les enfants ; en Poitou, d'Ableiges et d'Estrées recommençaient par instants, sans que la Cour les désapprouvât, la dragonnade. En Languedoc, Bâville, sans se soucier d'un édit qu'il avait déconseillé, laissait faire comme par le passé ses agents ecclésiastiques ou laïques. Deux d'entre eux, — dans le diocèse de Nîmes, M. de Saint-Cosme, gentilhomme converti ; dans le diocèse de Mende, François de Langlade du Chayla, archiprêtre, — étaient infatigables à pourvoir de victimes les tribunaux, par leurs dénonciations et leurs battues. Lors même qu'ils n'obtenaient point de châtiments corporels, les confiscations de terres, les amendes à payer solidairement, qu'ils faisaient prononcer, ruinaient vite, en un pays maigre, les cultivateurs mal notés et exaspéraient tout le monde. En juillet 1702, la colère des paysans, poussés à bout, éclata. Les fuites en masse avaient recommencé. Un convoi de fugitifs, arrêté par l'archiprêtre de Mende, ayant été enfermé par lui dans sa maison du Pont-de-Montvert, une troupe de paysans, conduits par quelques prédicants, — Gédéon Laporte, Pierre Esprit, Salomon Couderc, Séguier, Abraham Mazel, — força et brûla sa maison, le tua, brûla le castel de Ladeveze après en avoir massacré les habitants. Aussitôt d'autres bandes se forment, sous Jeanny Couderc, sous Jean Cavalier, un garçon boulanger de vingt ans, sous Esperandieu, Castanet, Ravanel, Catinat. Assemblées à Aigues-Vives, à trois lieues de Nîmes, elles empêchent les catholiques d'aller à la messe, de payer les dîmes, renversent les croix le long des routes, incendient églises, presbytères et châteaux ; bientôt elles livrent, et à quelques pas des grandes villes, aux soldats envoyés contre eux, de vrais combats. Cette fois (déc. 1702) c'était l'insurrection. L'écho des événements européens l'encourageait, et, sans doute aussi, l'instigation étrangère. L'affaire du Pont-de-Montvert avait éclaté vingt-deux jours après la déclaration de la guerre générale, et un agent des Réfugiés militants, l'abbé de la Bourlie, marquis de Guiscard, intriguait alors dans le pays. De cette révolte, toutefois, l'issue n'était pas plus douteuse que celle des émotions antérieures du Midi. Chez les Réfugiés, le parti de l'abstention loyaliste et orthodoxe prédominait ; les graves pasteurs de Hollande désavouèrent les tueries de Cavalier et de ses amis, adressèrent aux Cévenols un sermon sur la douceur évangélique. Ils n'accordèrent de l'argent que plus tard. Quant aux puissances étrangères, contentes d'avoir contribué à provoquer ce mouvement, elles l'abandonnèrent à lui-même ; elles n'envoyèrent qu'en septembre 1703 des émissaires sérieux pour l'organiser (entre autres, de nouveau, l'aventurier La Bourlie). En 1703, également, Victor-Amédée II adresse aux Vaudois de ses États comme aux Vaudois français une proclamation pour les inviter à prendre les armes contre Louis XIV ; mais il n'ose envahir le Dauphiné, qui reste calme, ni le Vivarais, qui s'agite. Une fois seulement des Anglais débarquèrent et vinrent donner la main aux Cévenols. D'autre part, la constitution physique des Cévennes ne permettait qu'une résistance partielle et temporaire. Ces plateaux et ces sommets broussailleux avaient perdu de leur valeur stratégique, depuis que Bâville y avait fait percer seize larges routes. Les troupes camisardes étaient peu nombreuses (en 1703, au rapport de Bâville, il n'y avait pas 2.000 hommes en armes). Elles ne se composaient que de paysans et d'ouvriers de village, mal armés, fabriquant eux-mêmes leurs balles. Les chefs, paysans et artisans eux aussi, n'avaient pas même servi, et — à l'exception de Jean Cavalier, qui, tout prophète qu'il fat, avait des qualités de vrai capitaine, — tous ils manquaient de cet art ingénieux d'utiliser des ressources restreintes qui vaut encore mieux, dans les guerres de ce genre, que l'enthousiasme et la hardiesse. Toutefois, une lutte très longue fut possible, car c'était ici la vraie guerre de partisans. Les troupes royales, accoutumées aux beaux champs de bataille, spacieux et lumineux, choisis pour les grands déploiements et les évolutions en masse, se trouvaient dépaysées sur ce terrain ignoré d'elles. Elles s'étonnaient de ces adversaires insaisissables qui se formaient et se débandaient comme de vrais estourneaux, trouvaient moyen de manœuvrer sur des pics ou dans des ravins où les ours seuls semblaient pouvoir se remuer, échappaient aux combinaisons stratégiques par de brusques trouées, ou par des ruses primitives et de burlesques déguisements. Les troupes n'aiment pas du tout cette guerre-ci, écrivait Villars ; elles la haïssent et la craignent même un peu. Les officiers ne l'aimaient pas davantage, même le fameux brigadier Jullien, qui, de peur d'être embarrassé de ses prisonniers, prenait soin de leur faire casser la tête. Broglie, qui pourtant connaissait le pays, ne parvint pas, en plusieurs mois, à trouver le moyen de n'être pas toujours battu. Le maréchal de la Baume-Montrevel, sans s'obstiner à poursuivre des rebelles qu'on n'atteignait guère, s'avisa de les mettre aux prises avec des irréguliers semblables à eux. Mais c'était des auxiliaires compromettants, que ces Camisards blancs, Cadets de la Croix, Florentins, gens sans aveu, pillards et féroces, que Villars avouait détester plus que les vrais Camisards. Entraînés par eux, les généraux du Roi faisaient, comme eux, la guerre sauvage : destruction, de fond en comble, des maisons, puis — la main d'homme et le fer ne suffisant pas — incendie méthodique, auquel Louis XIV consentit, non sans peine, sur les instances de Montrevel et de Jullien. 466 villages furent détruits de cette sorte ; ensuite, conformément aux anciennes idées de Noailles, renouvelées par l'abbé Pincet, vicaire général du diocèse d'Uzès, on dépeuplait. Et cette besogne de prévôts et d'archers se faisait haineusement dans un milieu hostile, où l'on n'avait affaire sans doute qu'à un nombre infime d'adversaires armés, mais où l'ennemi c'était tout le monde, — non seulement, comme l'Intendant l'avoue, la jeunesse entière : les hommes mûrs aussi, puritains ardents, nourris de la lecture de l'Ancien Testament. — Si tous les huguenots des quatre diocèses de Mende, d'Alais, d'Uzès, de Nîmes n'allaient pas rejoindre au Camp du Seigneur le Gédéon nouveau, qui s'appelait Cavalier, tous étaient de cœur avec lui. Et dans ce milieu continûment surexcité, les moindres incidents favorables aux révoltés devenaient de suite d'énormes victoires ; toute cruauté maladroite, en se colportant, grossissait, propageait la haine et la colère ; une fausse nouvelle suffisait parfois à jeter la panique, comme un jour à Béziers, dans toute une ville. De juillet 1702 à mars 1704, cette guerre traîna, sans événements notables. Cavalier promène ses petites troupes à travers tout le Languedoc, s'aventure dans la Vannage, mais n peut pénétrer en Dauphiné ; Esparron ne sort pas du Vivarais. Toutefois, quoique stérile en résultats, la résistance ne faiblissait point. Son caractère mystique allait en s'affirmant. Malgré les politiques qui, de temps en temps, venaient se mêler à eux et prétendaient transformer leur soulèvement en une insurrection civile, les Cévenols proclament qu'ils ne veulent combattre que le saint combat du peuple de Dieu : moins fiers de vaincre les soldats du Roi que de détruire un monastère ou une église et d'enlever ainsi un refuge aux idolâtres. Bonbonnoux s'en allait criant à travers les campagnes : Messieurs, nous ne combattons pas pour les choses de la terre, mais pour celles du ciel. Et Cavalier, dans ses exhortations aux fidèles et. ses requêtes au Roi, disait : A Dieu ne plaise que je ne sois prêt d'être sujet an Roi aussi bien que vous !... Vous ne m'en voulez que pour m'empêcher de prier Dieu, comme si c'était une chose mauvaise... Nous ne voulons pas contredire à Mat-. Nous voulons adorer Dieu dans nos cœurs suivant nos opinions. Sur cet état d'âme les talents militaires et les intelligentes concessions de Villars, parfois désavouées du reste par la mauvaise foi de la Cour, ne pouvaient pas avoir plus de prise que les brûlements de Montrevel. La défection de Cavalier, que Villars détache des Camisards en lui faisant donner un brevet de colonel et une pension (mai 1704), ne fit pas plus d'effet que précédemment le supplice d'un des autres chefs, Roland, brûlé vif à Nîmes, le 25 octobre 1702. A la fin de 1705, Villars, très désireux d'aller travailler sur un théâtre moins ingrat, obtint son rappel ; il s'en va (6 janvier 1703) en se vantant d'avoir achevé la guerre. Mais les hommes clairvoyants en doutaient. Bâville déclare, dans des lettres du 23 et 26 mai 1704, que, le fanatisme des Non Convertis, cause de la révolte, existant toujours, l'effet logique doit recommencer à se produire. Et Fléchier, évêque de Nîmes, qui, en 1698, a opiné pour forcer les Réunis du Midi aux pratiques catholiques, avoue qu'il peut à tous moments naître un Cavalier qui excite encore de gros mouvements. Peu s'en fallut que cette prédiction ne se réalisât. Le maréchal de Berwick, successeur de Villars (13 janvier 1705) dans le commandement militaire du Languedoc, trouva le marquis de Miremont, le dernier Bourbon calviniste, en train de faire le Rohan, essayant de transformer l'insurrection religieuse en une guerre d'affranchissement politique, parlant d'États Généraux, promettant aux Parlements et à la Noblesse le rétablissement de leurs anciennes prérogatives, au peuple la décharge des impôts, à tous les bons Français la restauration des libertés communes. Sur ces bases, un complot se trama qui fut découvert à la veille de l'exécution ; quelques Camisards, Catinat, Ravanel, furent mis à mort (mars-avril 1705). Mais il restait encore, cachés dans les Cévennes, deux autres chefs, Claris et Bonbonnoux, qui, parmi les rochers, avec une poignée d'hommes, défiaient vingt détachements et laissaient de temps en temps sur les routes un cadavre de catholique, avec, sur la poitrine, un placard relatant la cause de son juste supplice. Des prédicants continuaient à tenir le Désert. Des émissaires ou correspondants de l'Angleterre, de la Hollande et de la Savoie payaient les uns et les autres. En 1707, le réseau de surveillance militaire dont Nîmes, Alais et Saint-Hippolyte étaient les points principaux, dut être complété par l'établissement d'une garnison fixe à Ferrières, dans le pays castrais, et d'un fort à Pont-Saint-Esprit. En 1709, nouvelle explosion, partie cette fois de Vals en Vivarais ; nouveau manifeste, ardent, cette fois, contre le clergé, seul perturbateur du repos public et usurpateur du bien national. Cette fois Marlborough s'intéresse à ces nouveaux insurgés ; les Provinces-Unies et l'Angleterre, à frais communs, se saignent pour eux de 600.000 florins de Hollande, mais à ce moment même ils sont battus (17 juillet 1709) à Fontréal, près Chalençon. L'année suivante, un débarquement d'Anglais, conduit par le réfugié Seyssan, ne parvint qu'à s'emparer momentanément de Cette et d'Agde. En octobre 1710 les derniers agitateurs, Abraham Mazel et Claris, étaient tués. Seulement, — comme l'écrivait encore Fléchier, — si la fureur avait cessé, l'espérance obstinée de se rétablir demeurait toujours. Toujours les Cévenols comptaient sur la paix. En dépit des efforts du prédicant Jacques Roger auprès du canton de Berne et de la Society for promoting Christian Knowledge, la paix se conclut sans qu'il y fût question des religionnaires. Mais, même alors, le mouvement de séparation nouvelle des Réunis alla en s'augmentant. Les pasteurs et les prédicants, Jacques Roger en Dauphiné, Pierre Corteiz dans les Cévennes, Jean-Paul Ebruy en Vivarais, menaient une campagne prudente d'entretiens encore plus que d'assemblées, déconseillant la révolte, mais enjoignant la persévérance ou le retour à la religion proscrite. Les prophétesses, assagies, adoptaient cette conduite modérée. On pouvait évaluer maintenant à plus d'un million les protestants réels du Dauphiné et du Languedoc. VI. — RENAISSANCE DU PROTESTANTISME. DERNIERS ACTES DE LOUIS XIV AU SUJET DES PROTESTANTS. ET c'était de même partout. Partout le protestantisme, après cinquante ans de persécution déclarée, regagnait du terrain. A Paris, l'afflux des persécutés de la banlieue ou de la province avait refait toute une population protestante. Aux environs de la Bastille, une espèce d'église ouvrière s'est constituée sous la conduite de trois chefs volontaires, un ébéniste, un ciseleur, un marchand de dentelles. Le culte se célèbre clandestinement à La Chapelle, au Petit-Charonne, à Chaillot. En province, où la sévérité des pouvoirs ecclésiastiques et civils est parfois plus grande, le rattachement factice des Réunis à l'Église catholique se dissout de plus en plus. En 1710, en Dauphiné, il n'y en a pas un parmi les vivants, écrit l'intendant Le Gendre, qui fasse son devoir ; et de ceux qui meurent, il n'y en a pas deux qui reçoivent les sacrements. Les N. C. du pays nantais et de Nantes même ne vont ni à la messe, ni au sermon, ni même au catéchisme. Là, on n'ose même plus les rassembler pour les instruire. Cela serait capable de faire un mauvais effet, en montrant au peuple combien de ces gens-là se sont séparés. Et les faux Réunis ne se contentent pas de se refuser avec une énergie croissante à vivre à la catholique ; ils prétendent qu'on les laisse vivre à la protestante. Les exercices renaissent partout. Les repentances — les rétractations d'abjurations — s'y font solennellement par une déclaration écrite, signée, portant consentement qu'elle soit rendue publique, quand cela pourrait être utile à la gloire de Dieu et à l'avancement de son règne. Cette vitalité du Protestantisme, qui, vue sur les lieux ou de près, décourage Intendants et évêques, ne pouvait pas ne pas modifier quelque peu la conduite du pouvoir central, si grande que fût son ignorance sur l'état réel des choses et sa confiance en lui-même. Elles la modifièrent bien peu. Après l'édit de 1698, il y a, — sauf, nous l'avons vu, en Languedoc, — une atténuation incontestable de rigueur. Daguesseau s'oppose à ce que l'on fonde des écoles spéciales pour les enfants des N. C. : cela entretiendrait toujours une fâcheuse différence entre eux et les anciens catholiques. Pontchartrain écrit (10 juin 1700) au maréchal d'Estrées, en Poitou, qu'il ne convient d'obliger les N. C. qu'aux instructions et encore sans affectation ; qu'il ne faut pas séparer les enfants de leurs parents sans en faire connaître au Roi le sujet ; n'emprisonner personne sans ordre exprès de S. M. Aux relaps, la peine de la claie doit être épargnée, même celle de l'amende honorable ; on n'inquiétera point non plus les parents du mort : les procès à la mémoire seuls sont, au besoin, autorisés. Les introducteurs de livres protestants en France ne doivent plus être l'objet d'une poursuite juridique qui aboutirait au supplice, non plus que les réunions de culte privé autrefois permises aux gentilshommes. Toutes ces atténuations aux rigueurs précédentes, Louis XIV les sanctionnera pendant quelque temps par son exemple personnel. Devenu maître de la principauté d'Orange, par la cession que lui en consentit le prince de Conti, il fait dans ce domaine royal ce qu'il a souvent défendu aux seigneurs dans leurs terres : voyant qu'à la nouvelle qu'ils changeaient de mettre, 3.000 habitants avaient émigré, il les rappelle sans conditions et fait déclarer par l'évêque sa volonté qu'on n'inquiète jamais personne sur la religion. Mais c'est surtout à Paris que ce régime est appliqué et reste appliqué. La capitale. devient, dans les dix-sept dernières années du règne, selon le mot de Rulhière, une ville de tolérance presque absolue. Dans ces adoucissements, Louis XIV était alors encouragé de plusieurs côtés. Coup sur coup, plusieurs bons citoyens, — le mot commence à devenir français, — font monter jusqu'à lui leurs conseils bénévoles. L'abbé Fleury, sous-précepteur des petits-fils du Roi, présente, en 1699, un mémoire sur la manière de traiter les Nouveaux Convertis conformément aux exemples d'Arcadius et d'Honorius dans leur conduite avec les païens, c'est-à-dire en transigeant sur la foi. Henri Daguesseau, l'ancien intendant, qui joint aux scrupules de conscience du janséniste les appréhensions d'un devancier des Économistes, écrit en 1708 à Pontchartrain : On n'a que trop connu par expérience le grand préjudice que la sortie des religionnaires a causé au royaume par l'argent, les arts et les métiers et les autres sources de la richesse de Peat qu'ils ont emportées avec eux. Il est donc important de tâcher d'y retenir au moins ceux qui y restent encore en leur laissant une ville où ils puissent vivre et mourir sans être recherchés sur ce qui regarde leur conscience quoique erronée. Et le lieutenant de police de Paris durant cette période, Marc René d'Argenson, ne craignait pas de proclamer lui-même, dans un rapport officiel, que la crainte des lois ni l'autorité des hommes ne peuvent changer le sentiment intérieur. Malheureusement le Roi et ses collaborateurs les plus généreux ont toujours l'espérance de changer le sentiment intérieur. Pontchartrain reste persuadé que les causes de la résistance continuée des Réunis sont toutes contingentes : c'est la faute des prédicants ; c'est le manque d'écoles. Que ce soit la faute de la raison humaine, il n'y pense pas. Une déclaration du 4 février 1699 est ingénument sincère : elle interdit aux N. C. de quitter leur domicile dans le royaume et d'aller s'habituer dans une autre province, sans une permission expresse par écrit... laquelle marquera précisément le lieu où ils doivent aller et la route qu'ils seront obligés de suivre. Voilà donc comme on les considère : comme des prisonniers, en liberté provisoire, mais que l'on veut avoir sous la main et retrouver en place quand on réglera définitivement avec eux. De là le caractère des tempéraments qui. suivent l'édit de 1698 : tolérance accidentelle, de force majeure et de sursis. Une restriction constante les vicie : Il est important, écrit Daguesseau, — dans le mémoire de 1708 où il donne de si bons conseils — qu'on ne voie aucun changement ni relâchement de la part de Sa Majesté. C'est le contraire qu'il eût fallu oser dire. Rien de ce qui a été édicté contre les protestants n'est abrogé, pas même le supplice de la claie. On peut toujours le prescrire par arrêt, et si quelque part en France un tribunal se rencontre plus intransigeant que le Roi, il a le droit d'ignorer les circulaires secrètes et d'être impitoyable légalement. A plus forte raison quand, en 1703, s'évanouit à la cour l'influence des modérés, que leurs attaches avec le Jansénisme gallican discréditent. — Les intransigeants de la persécution reprennent le dessus. Le duc de Chevreuse, parmi les amis de Rome et des Jésuites, est probablement le seul à conseiller le rappel des huguenots. Mme de Maintenon fait prévaloir les idées de son directeur Godet-Desmarais, toutes opposées à celles de Bossuet et de l'archevêque de Noailles. Fénelon ne va pas, malgré sa perspicacité sur les maux de l'État, jusqu'à voir le dommage de l'intolérance ; il contribue au contraire à entretenir chez le Roi la crainte d'une trahison en masse des N. C. Le duc de Bourgogne, dans un savant mémoire de 1710, conteste les violences de la Révocation, le nombre des huguenots qui sont sortis, le mal que leur émigration a fait à la France et, à l'exemple de Fénelon, il insiste sur leur esprit de faction indéracinable : Au moment même où j'écris ceci, et où le parti semble, par une modération feinte désavouer les horreurs auxquelles se sont portés les Camisards, des papiers interceptés nous découvrent que les liaisons avec les Anglais subsistent toujours. Les conseillers les plus écoutés, les plus habituels, de
Louis XIV, le lançaient donc, à nouveau, après cinq ou six ans d'arrêt, dans
la persécution. — En 1711, le Roi lui-même donne, en quelque façon, le signal
de la reprise officielle de la persécution par les mesures qu'il prend contre
les religionnaires de son domaine d'Orange : il se rétracte, il ne veut plus
permettre qu'aucun religionnaire reste dans cette principauté sans abjurer. —
Il ordonne une nouvelle enquête sur les causes de la persistance de
l'hérésie. Mais le cardinal de Noailles, réuni en commission avec le Premier
Président, le Procureur général et le Lieutenant de police (14 janvier 1713), a beau l'assurer qu'il n'y
a rien à faire que ce qui a été fait jusqu'ici, et que l'on doit seulement exciter les ecclésiastiques et les
magistrats à continuer de plus en plus à procurer aux N. C. et à leurs
enfants des instructions fréquentes. Le Roi veut (lettre du Contrôleur général du 2 nov. 1712),
que l'on recommence à veiller plus exactement que jamais à l'exécution de tous les ordres qu'il a ci-devant donnés. Par une
déclaration du 8 mars 1712, il défend à tous les médecins du royaume de visiter les malades le 3e jour s'il ne leur est pas
fourni un certificat signé du confesseur desdits malades qu'ils ont été
confessés. Et comme tout cela ne s'observe qu'incomplètement, que les
évêques n'y tiennent pas la main, que les curés, par
un scrupule mal placé, se refusent à la besogne de dénonciateurs qu'on
leur demande, — au lieu de céder sagement, comme l'Église faisait elle-même,
— le Roi s'entête. Et il en arrive à cette déclaration du 8 mars 1715, moins
grave peut-être par le fait qu'elle remettait en vigueur contre le refus des
sacrements les peines tombées en désuétude, que par la preuve provocante
qu'elle donnait de l'acharnement du pouvoir royal et de sa tenace volonté
d'illusion. Devaient être, en effet, considérés comme passibles du supplice
des relaps, non pas seulement les protestants de l'abjuration desquels il
existait des preuves écrites, mais tous ceux qui, ayant été notoirement de la
R. P. R. ou étant nés de parents protestants, ont
fait séjour dans le royaume depuis que tout exercice de la R. P. R. y
a été aboli : Ce séjour seul est une preuve plus que
suffisante qu'ils ont embrassé la religion catholique, apostolique et
romaine, sans quoi ils n'y auraient pas été soufferts, ni tolérés. Cette affirmation contraire aux faits était contraire au droit. Ainsi que Daguesseau essaya de le représenter, elle supposait que le Roi n'avait pas seulement aboli l'exercice de la R. P. R., mais qu'il avait ordonné précisément aux religionnaires de faire abjuration et d'embrasser la religion catholique, chose qu'il n'avait pas pu, ni raisonnablement, ni canoniquement ordonner. Et pourtant, c'est bien cela qu'il avait toujours voulu faire, qu'il s'était toujours cru capable de faire. Cette dernière ordonnance de Louis XIV au sujet du Protestantisme, inexacte et injuste, n'en était pas moins la manifestation la plus sincère des idées de Louis XIV en cette matière. Le Roi ne connut pas sans doute la réponse que fit le Protestantisme à ce coup suprême. Elle vint du pays des Camisards. Un paysan de Villeneuve de Berg, Antoine Court, devenu à dix-sept ans prédicant, sorti du Vivarais en 1713, avait exploré de proche en proche, pendant deux ans, tout le Midi. Il avait constaté que partout, même sur les galères de Marseille, le protestantisme durait, qu'il était reconstitué sous forme dispersée, qu'il ne lui manquait plus qu'une forme régulière et un lien. Au printemps de 1715, il dresse les églises de Vallon, Lagorce et Palavas. Le 21 août de la même année, huit jours avant la mort de Louis XIV, à son appel, se réunissaient près de Nîmes, dans une carrière, non seulement tous les principaux prédicants qu'il avait rencontrés dans sa tournée d'inspection du Bas Languedoc et des Cévennes, mais aussi quelques laïcs éclairés. Et cette fois, ce n'était plus seulement pour célébrer un culte, entendre la parole et chanter des cantiques, mais pour tenir un conseil. Comme si l'on était encore en i650, on se constitue en synode, on nomme un modérateur, un secrétaire, et, sur l'initiative de Court, on pose deux principes. Le premier, qu'il faut mettre un terme à l'illuminisme, désormais déshonorant et dangereux pour une religion qui se sent rentrée dans les voies normales. Le second, c'est que dans tous les lieux où la parole se fera de nouveau entendre, il y aura une communauté permanente, et, en l'absence des pasteurs mobiles, un ancien, chargé, comme autrefois, de gouverner le troupeau. L'Église est replantée. Quelques mois plus tard, une chanson populaire traduisait la pensée commune : à quand le relèvement des temples ? Venez promptement les maçons Et les tailleurs de pierre !... Venez promptement, menuisiers, Pour y poser la chaire[13]. |
[1] SOURCES. Outre les recueils de documents Indiqués aux chapitres précédents, voir les nombreux textes originaux publiés dans le Bulletin de la Société de l'Histoire du Protestantisme français ; dans la France protestante, publiée par les frères Haag, Paris, 1846-1859, 6 vol. en 10 tomes ; 2e éd., par Bordier, en cours de publ., Paris, 1877-1895 ; dans l'Histoire générale du Languedoc, nouvelle édition, t. XIII et XIV, d'Ernest Roschach (Études historiques sur le Languedoc, 1878) ; dans les ouvrages d'Elie Benoît, de Rulhière, O. Douen, Michel, C. Rousset, Arnaud, Lièvre, N. Weiss, cités ci-dessous.
Quelques documents inédits ont été consultés à titre complémentaire : les papiers de Rulhière (Bibl. Nationale), la correspondance de Louvois (Archives de la Guerre) ; les lettres de Le Bret à Louvois et Colbert de Croissy (copie communiquée par N. Weiss), la correspondance du prince de Condé à Chantilly (copies communiquées par G. Macon).
Pour les textes législatifs, voir les Édits, Déclarations et Arrêts concernant la Religion P. Réformée, 1662-1751 publiés par L. Pilatte, Paris, 1885.
En fait de mémoires, ceux du duc de Noailles (rédigés par l'abbé Millot), de N. Foucault, de Jacques Fontaine, Mémoires d'une famille huguenote, 1897, de Marteilhe, Mémoires d'un protestant condamné aux galères, Paris, 1881, de Jean Rou, p. p. Ch. Waddington, Paris, 1857, a vol., etc. ; les Larmes de J.-P. de Chambrun, p. p. A. Schæffer, Paris, 1854 ; le Journal de Jean Migault, Paris et Genève, 1854 ; La sortie de France pour cause de Religion de Daniel Brousson et de sa famille, p. p. N. Weiss, Paris, 1885. Comme textes contemporains d'apologétique ou de controverse historique, l'Histoire de l'Édit de Nantes, d'Elie Benoît, Delft, 160-95 ; 5 vol. ; les Lettres pastorales adressées aux fidèles de France qui gémissent sous la captivité de Babylone, Rotterdam, 1688-90, 8 vol., de Pierre Jurieu ; les Plaintes des Protestants cruellement opprimés dans le royaume de France, de Jean Claude, Cologne, 1686 ; nouvelle édit., avec notes et commentaires par Frank Puaux, Paris, 1885 ; — Bayle, Ce que c'est que la France toute catholique sous le règne de Louis le Grand, Saint-Omer [Amsterdam], 1685 ; [Larroque et Bayle], Avis important aux Réfugiés, Amsterdam, 1690 ; 2e éd., Paris, 1692 ; — Cl. Brousson, Lettre des Protestants de Francs qui ont tout abandonné pour la cause de l'Évangile, s. I. [Berlin], 1688 ; et les Merveilles de Dieu dans les Cévennes, s. I., 1694.
Les correspondances de Bossuet. Fénelon, Le Camus, déjà citées ; celle de Fléchier ; les Mémoires des Évêques de France, publiés par J. Lemoine, Paris, 1902. — Les Six Avertissements aux Protestants, de Bossuet (1689-1691).
OUVRAGES A CONSULTER : Outre les ouvrages déjà cités de C. Rousset sur Louvois et du duc de Noailles sur de Maintenon : Charles Drion, Histoire chronologique de l'Église protestante de France jusqu'à la Révocation de l'Édit de Nantes, Paris et Strasbourg, 1855, vol. Rulhière, Éclaircissements historiques sur les causes de la Révocation de l'Édit de Nantes, nouv. éd., s. I., 1788, a vol. in-8°. O. Douen, La Révocation à Paris et dans l'Île-de-France, Paris, 1894, 3 vol. ; Les Premiers Pasteurs du Désert (1685-1700), Paris, 1879, 2 vol. De Félice et Bonites, Histoire des Protestants de France, Toulouse, 1874. Michel, Louvois et les Protestants, Paris, 1870. Clément, La Police sous Louis XIV, Paris, 1866. Ch. Weiss, Histoire des Réfugiés, Paris, 1853, 2 vol. Coqueret, Hist. des Églises du Désert, Paris, 1841, 2 vol. Parmi les histoires du Protestantisme dans les différentes provinces de la France : Arnaud, Hist. des Protestants du Dauphiné, Paris, 1875-76, 3 vol. ; Hist. des Protestants du Vivarais et du Velay, Paris, 1888, 2 vol. ; Hist. des Protestants de Provence et du Comtat Venaissin, 1884, 2 vol. A. Leroux, Le Protestantisme dans la Marche et le Limousin, Paris, 1888. Thirion, Essai sur l'histoire du Protestantisme à Metz, Nancy, 1884. Lièvre, Hist. des Protestants et des églises réformées du Poitou, Poitiers, 1856-60, 8 vol. Arcère, Hist. de La Rochelle, La Rochelle, 1756-1757, 2 vol. in-4°. Waddington, Le Protestantisme en Normandie, Paris, 1862. J.-A. Galland, Essai sur l'histoire du Protestantisme à Caen et en Basse-Normandie, Paris, 1898. C. Rabaud, Hist. du Protestantisme dans l'Albigeois et le Lauraguais, Paris, 1898. Borrel, Hist. de l'Église réformée de Nîmes, Toulouse, 1856. Corbière, Hist. de l'Église réformée de Montpellier, 1861. Hérelle, Documents inédits sur le Protestantisme à Vitry-le-François, 2 vol., 1906-1907. Paul de Félice, Mer (Loire-et-Cher), son église réformée, Paris, 1885. Hugues, Hist. de l'Église réformée d'Andaze, Montpellier, 1864. Amphoux, Protestantisme havrais, le Havre, 1894. Crottet (A.), Protestantisme en Saintonge, Bordeaux, 1841. Eug. Moutarde, Nouv. Documents sur le Protest. en Saintonge (1695-1729), P. 1907, Hardy (S.), Hist. de l'Église protestante de Dieppe, Paris, 1897. Lestrade (l'abbé J.), Le Protestantisme à Comminges, Saint-Gaudens et Auch, 1900. L'abbé Rouquette, Études sur la Révocation de l'Édit de Nantes en Languedoc, Paris, 1906-8, 3 vol. U. de Robert-Labarthe, Hist. du Protestantisme dans le Haut-Languedoc, le Bas-Quercy et le comté de Foix, Paris, 1892-96. Abbé Grisette, Avant et après la Révolution, dans le Bull. du Protest., 1907-1908. A. Dupin de Saint-André, Hist. du Protestantisme en Touraine, Paris, 1885. Paul Bert, Hist. du Protestantisme à Bordeaux, Bordeaux, 1908. Frank Puaux et Aug. Sabatier, Études sur la Révocation, 1885, et de nombreux articles de F. Puayx, de Bost, de Ch. Read, de Fonbrune-Berbineau, de Danureutber, etc., et surtout de N. Weiss dans le Bulletin du Protestantisme. Cf. plus loin quelques indications supplémentaires touchant les RÉFUGIÉS, les PROTESTANTS ET L'ÉTRANGER, et les CAMISARDS.
[2] N. C. : Nouveaux Convertis ou Nouveaux Catholiques.
[3]
Outre Ch. Weiss, indiqué ci-dessus, voir Erman et Reclam, Mémoires pour
servir à l'histoire des Réfugiés français dans les États du Roi, Berlin,
1782-99, 9 vol. Ermannsdœrffer-Mœrikofer, Histoire des Réfugiés de la
Réforme en Suisse, 1878. B. Jaccard, L'Église française de Zurich,
1889. Th. Rivier, L'Église française de Saint-Gall, dans le Bulletin
du Protestantisme, 1908. Lavisse, Études sur l'Hist. de Prusse,
Paris, 1879. Tollin, Gerchichte d. französ. Kolonie zu Magdeburg, 1888, 3 vol. Burn, History of
the french... protestant Refugees settled in
[4] Schöne, Hist. de la Population française, p. 176. Cf. Noailles, Maintenon, II, 504-505. Claude, Plaintes des Protestants, p. 73, éd. Fr. Puaux.
[5] Claude Brousson, Appel aux pasteurs réfugiés en faveur de leurs brebis dispersées et restées en France, 1696. Basnage, Considérations sur l'état de ceux qui sont tombés, 1696. Cf. Bull. Soc. Pr. fr., 1894, p. 39.
[6] On a les journaux de quelques galériens, De Marolles, Le Fèvre, avocat, Jean Blon, Marteilhe. Voir Ath. Coquerel, Les forçais pour la foi, P., 1866. O. Doyen, dans l'Encycl. Lichlenberger. E. Lavisse, Sur les galères du Roi, dans la Revue de Paris, 15 nov. 1897.
[7] Outre les documents précédemment indiqués, SOURCES : Papiers d'Antoine Court à Genève (O 17), copies de N. Weiss ; Arch. de la Guerre, vol. 906. Jurieu, L'Accomplissement des Prophéties, 1 vol. in-12° ; réimprimé en 1686-67, 3 vol. in-12°, Apologie de cet ouvrage, 1687 ; Suite de cet ouvrage, 1687 ; Présage de la décadence des Empires, 1688 ; Jugement sur les méthodes rigides et relâchées d'expliquer la Providence et la grâce, Rotterdam, 1688 ; La Religion des Jésuites, 1689 ; De Pace inter protestantes ineunda, 1688. Desmaizeaux, Lettre des protestants de France qui ont tout abandonné pour la cause de l'Évangile à tous les autres protestants évangéliques avec une lettre particulière aux rois, électeurs, princes et magistrats protestants, 1686, à Berlin, impr. aux frais de l'Électeur. Tronchin, Lettres sur les matières du temps, 1690. Ant. Coulan, La Défense des Réfugiés, 1691. Letters of William III and Louis XIV, p. p. Grimblot, 1884. Cf. l'opuscule intitulé : Croisade des Protestants ou Projet sur l'institution des Chevaliers de Saint-Paul, Cologne, 1684, et Mme de Maintenon, Lettres, p. p. A. Geoffroy, t. I, p. 297.
OUVRAGES À CONSULTER : Fr. Peaux, Essai sur les négociations des Réfugiés pour établir le rétablissement de la religion réformée au traité de Ryswick, dans Bull. Soc. Prot. fr., t. XVI. Rébelliau, Bossuet historien du Protestantisme, 3e édit., P. 1908, t. III, ch. II.
[8] Proposant, dans la religion protestante : jeune homme qui étudie la théologie pour être pasteur.
[9] SOURCES. Aux sources indiquées déjà (spécialement la Correspondance des Contrôleurs généraux de Boislisle, t. III), ajouter : P. Gachon, Le Conseil du Roi et les Protestants, Rev. hist., juil.-déc. 1904 ; Le Conseil et l'Assemblée de 1699, procès verbaux, p. p. A. de Boislisle (Ann. Bull. de la Soc. de l'Hist. de France, 1905).
[10] Le Trésor des prières, Oraisons et Instructions chrétiennes. — Élie Benoît, t. V, p. 945, 946. Oct. Douen, II, p. 148.
[11] Plusieurs jurisconsultes gallicans tenaient que la bénédiction sacerdotale n'était pas indispensable à la validité du mariage.
[12] SOURCES. Outre les textes publiés par Roschach, ouvrage cité : [Louvreleuil], Histoire du fanatisme renouvelé.... dans les Cévennes, Toulouse, 1704, 1 vol. Avignon, 1704, 3 vol. ; Histoire du soulèvement des fanatiques des Cévennes, Paris, 1713, par M. D. ; [Brueys], Histoire du fanatisme de notre temps, 1re éd., 1892, éd., Montpellier, 1709, 1 vol. ; Utrecht, 1737, 3 vol. ; Misson, Théâtre sacré des Cévennes, Londres, 1707, 1 vol. ; Ch. Joseph de la Baume, Relation historique de la révolte des fanatiques, p. p. l'abbé Golffon, Nîmes, 1874, 1 vol. ; Les Camisards à Calvisson, 1703, relation d'un témoin oculaire, p. p. A. Germain, Montpellier, 1875 ; Les Camisards à Saturargues, 1703, par l'abbé Bousquet, Paris, 1899 ; Le vieux Cévenol ou Anecdotes de la vie d'Ambroise Borély, recueillis par W. Iesterman, Londres, 1784.
OUVRAGES À CONSULTER. Outre les ouvrages d'Arnaud et de Paul Gachon cités plus haut : Eug. Bonnemère, Histoire des Camisards, éd., 1877 ; Frosterus, Les insurgés protestants sous Louis XIV, 1868 ; Edm. Hugues, Les Synodes du Désert, 1887 ; Antoine Court, Histoire de la Restauration du Protestantisme en France au XVIIIe siècle, Paris, 1872, 2 vol. Sur le Massacre du Moulin de l'Agan (1er avril 1703), F. Bouvière, Bull. Soc. Hist. Prot. fr., 1883, p. 619. Issarte, Des causes de l'insurrection des Cévennes, Montbéliard, 1899 ; l'abbé Rouquette, Études sur la Révocation en Languedoc, I et II, P., 1907 (cf. art. de Bost, Bulletin cité, 1908). J. Porches, Le pays des Camisards, Paris, 1904.
[13] Citée par Edmond Hugues, ouvr. cité, I, 379.