HISTOIRE DE FRANCE

 

LIVRE IV. — L'ÉCONOMIE SOCIALE.

CHAPITRE IV. — LE GRAND COMMERCE ET LES COLONIES[1].

 

 

I. — CONDITIONS ET CARACTÈRES DU COMMERCE FRANÇAIS.

LE commerce français décroît à partir de la guerre de la ligue d'Augsbourg, mais l'histoire en est intéressante, parce qu'on y voit l'activité des particuliers et des sociétés lutter contre les circonstances, maintenir les traditions commerciales et les relations avec les marchés extérieurs, et sauvegarder l'avenir de notre commerce.

Point de progrès dans l'outillage commercial ; même, parfois, un recul.

Le Gouvernement consacre fort peu d'argent aux ponts et chaussées : en 1683, 446.000 livres ; en 1687, 1.655.000 livres ; en 1690, 446.000 ; en 1715, de 1.200.000 à 1.300.000 livres ; en moyenne, guère plus d'un million par an. Il est vrai qu'il faut ajouter les dépenses des pays d'États qui administrent eux-mêmes leurs travaux publics, et encore le travail des corvées et des ateliers de charité ; mais le total reste bien faible en proportion des besoins. Certaines généralités sont réduites pour leurs routes à 8 ou 10.000 livres par an.

Même les chaussées des environs de Paris sont fort mal entretenues. Pendant les guerres on ne subvient pas aux réparations urgentes. Souvent les ponts sont en mauvais état ; celui de Vernon, sur la Seine, est à moitié ruiné. Il est difficile d'en établir de nouveaux, à cause des privilèges des péageurs et des possesseurs de bacs.

La navigabilité des cours d'eau continue de laisser à désirer, et la navigation d'être entravée par les péages. Cependant des progrès se manifestent, quand le Roi, donnant à des particuliers le droit de rendre certaines rivières navigables, leur concède , en retour, le monopole des transports. Ainsi décide-t-il, en 1702, pour la Loire, de Saint-Rambert à Roanne ; en 1704, pour l'Eure, de Chartres à Pont-de-l'Arche, — en faveur de Mme de Maintenon ; — en 1708, pour le Clain, de Châtellerault à Poitiers et de Poitiers à Vivonne.

Le travail, commencé par Colbert, de la réduction des péages, et qu'il a mené à bien pour la Seine, est appliqué à la Loire en 1702 et 1703. On construit des digues dans la partie supérieure de la Loire, vers Pinay, à partir de 1711.

Quelques canaux latéraux ou de jonction s'achèvent ou sont entrepris pendant cette période, par exemple un canal de cinq lieues, achevé en 1699, qui traverse l'Alsace depuis Neuf-Brisach passant par-dessus la rivière d'Ill, sans y entrer, et servant au transport des matières nécessaires à la construction de cette place et au commerce du pays. Ce qui fut fait était bien peu de chose au gré de Vauban. Il a tracé tout un plan de canalisation qui embrasse le royaume entier et intéresse cent quatre-vingt-dix rivières : plan très vaste, il le reconnaît, qu'on ne pourrait exécuter tout d'un coup, à cause de la misère des peuples et de la détresse du Trésor ; mais en s'y prenant peu à peu et avec ordre, pour peu que le Roi s'y affectionnât et y mît du sien, on arriverait un jour à le réaliser pour le plus grand bien de tous.

Il n'est presque rien fait pour l'outillage des ports. Pour Marseille et Le Havre, plus rien après Colbert. A Dunkerque, on approfondit le chenal d'entrée, on construit des quais en bois et le bassin de la Marine ; mais, en 1713, le port sera détruit, suivant les clauses du traité d'Utrecht. Le port de Nantes s'ensable, et il faut décharger à Paimbœuf les navires de plus de 300 tonneaux. On abandonne l'entretien du port de La Rochelle qui, au lieu de bateaux de 800 à 900 tonneaux, n'en peut plus recevoir que de 300 à 350 au plus. Bordeaux reçoit, au commencement du XVIIIe siècle, des bateaux de 500 tonneaux ; c'est un des bons ports de France, avec ceux de Bretagne, Port-Louis et Brest.

La marine marchande est en décadence, on l'a vu. Cependant, surtout après la paix de Ryswyk, les armateurs du Ponant ne cessent d'envoyer des navires dans les mers lointaines.

Il est inutile de rappeler une fois de plus les usages, abus de toute sorte, qui entravent la circulation, les exigences, vexations et désordres de la fiscalité désespérée des dernières années. Un des remèdes essayé par Colbert est abandonné. Il avait créé quatre ports francs à Dunkerque, Lorient, Bayonne et Marseille, où les marchandises entraient sans payer de droits, ce qui en faisait d'immenses entrepôts et attirait les étrangers. Ces ports sont peu à peu soumis aux mêmes règlements et aux mêmes taxes que les autres. Quand un revirement se produit après Ryswyk, il ne va pas jusqu'au rétablissement complet de l'ancienne franchise.

Des compagnies, des sociétés, des particuliers français et étrangers font le gros commerce dans les grands ports et dans les grandes villes, telles que Lyon, Paris, Lille. Ce sont souvent les mêmes personnes qui s'y livrent à l'industrie, au commerce de l'argent et au grand négoce. Rouen possède toute une aristocratie industrielle et commerçante : Legendre, banquier et négociant, a une fortune de quatre à cinq millions ; les Guenet, les Asselin ont chacun de 7 à 800.000 livres ; Van der Hulen, Hollandais, 6 à 700000. A Saint-Malo, Danican et Lalande Magon sont de puissants armateurs qui fondent des sociétés pour commercer en Chine et aux Indes. Lalande Magon, en 4693, en pleine guerre, envoie deux frégates armées de canons porter de fortes cargaisons à Buenos Aires et à Carthagène. Il fait le commerce des matières d'or et d'argent, au Chili, au Pérou, pendant la guerre de la Succession. C'est un des plus audacieux commerçants de l'époque. Nantes a beaucoup d'étrangers, des Flamands, comme Stalpaert, qui partagent avec des Français, comme des Casaux, la direction des grandes affaires. Mar'. seille a de riches armateurs, comme Fabre, directeur de la Compagnie de la Méditerranée.

Lyon est la place de change par excellence. A la suite de chacune des quatre grandes foires de l'année, il s'y fait des paiements considérables en argent et surtout en écritures ; et il est tel paiement où il se solde pour 20 millions d'affaires et où il ne se débourse pas 400.000 écus comptant ; c'est le système des chambres de compensation. Lyon donne la loi pour le prix du change à toutes les principales villes de l'Europe. La ville a, pour faire le commerce de l'argent, des matières précieuses et des soies, beaucoup de capitalistes, comme les Anisson, les frères Hogguers, qui furent à plu- sieurs reprises, avec Samuel Bernard de Paris, les banquiers du Trésor royal.

Partout, une bourgeoisie intelligente, active, riche, ne demande qu'à entreprendre davantage et se plaint des entraves que rencontre son initiative.

 

II. — LE COMMERCE EXTÉRIEUR : LE COMMERCE D'ESPAGNE[2].

LE commerce important que la France faisait depuis longtemps avec l'Espagne s'été fortement diminué par la guerre, mais non pas interrompu.

Les habitants du Labourd et du Bigorre ont besoin des blés d'Espagne, et les Espagnols du bétail de Guyenne. Ce commerce est si nécessaire qu'en temps de guerre le gouverneur de Guyenne permet aux habitants du Bigorre, et le vice-roi d'Aragon aux Espagnols, de s'assembler pour convenir d'un traité de commerce que l'on appelle les îles et passe-îles. Ces traités étaient exécutés de bonne foi ; les Espagnols portèrent des grains aux populations de Guyenne éprouvées par la disette, en 1693 et en 1709, malgré l'interdiction de la sortie des grains d'Espagne.

Les navires de Marseille, chargés de marchandises du Levant, se rendaient à Barcelone, Carthagène, Cadix ; ceux des ports du Ponant (Dunkerque, Rouen, Saint-Malo, Nantes) à Cadix, d'où les marchandises se répandaient dans toute l'Espagne et dans les colonies. Cadix était l'entrepôt où se faisaient les échanges les plus importants de la péninsule.

La France importait pour Ir millions de produits espagnols en 1715 : des céréales de Castille, des laines fines de Ségovie, destinées à la confection des plus beaux draps de France ; enfin et surtout des métaux précieux, lingots d'or, barres d'argent, piastres, que les négociants espagnols donnaient aux Français, et que ceux-ci portaient ensuite dans les Échelles du Levant où ils achetaient plus qu'ils ne vendaient.

Elle exportait en Espagne pour 20 millions de marchandises en 1715 : toiles de Lille, de Rouen, de Coutances, de Morlaix et de Laval, soieries, draps, vêtements, marchandises du Levant. Les Castillans prirent du goût pour les modes françaises, après que le petit-fils de Louis XIV fut devenu roi d'Espagne. Les solliciteurs d'emplois aux colonies étaient obligés de se présenter à Madrid en habit à la française ; les modes de France pénétrèrent en Amérique. Enfin, les habitants du Bigorre, du Labourd et même du Limousin continuaient d'aller travailler tous les étés en Espagne, pour revenir passer l'hiver chez eux avec l'argent gagné.

En Espagne, comme partout, le commerce français rencontrait la concurrence des Hollandais et surtout des Anglais.

Les Anglais cherchèrent à accaparer le commerce de la péninsule et à intervenir dans les affaires intérieures de l'Espagne, en proposant aux Espagnols de reconstituer leur marine. Ils s'établirent surtout à Bilbao, où arrivaient les laines de Castille, transportées à dos de mulet à travers les Pyrénées cantabriques. Bilbao faisait un grand commerce avec la Hollande, l'Angleterre et Bayonne.

Le commerce français était menacé aussi par des Français qui portaient leur industrie en Espagne, comme Pomerey, qui était allé à Tortose avec un certain nombre d'ouvriers pour y créer une manufacture de glaces fines, et qui avait des associés, établis à Carthagène et à Alicante.

Pour défendre le commerce de ses nationaux, le Gouvernement avait à Madrid, outre l'ambassadeur, un agent de la marine et du commerce, correspondant avec le secrétaire d'État de la marine, et des consuls dans les principaux ports, Cadix, Carthagène, Barcelone, etc. Tous ces agents travaillèrent en faveur du commerce français. Ils cherchèrent par des moyens adroits à empêcher le succès de l'entreprise de Pomerey et sans doute y réussirent. Le Roi, disait le secrétaire d'État de la marine, n'entendait point donner au roi d'Espagne des sujets dont l'industrie, réveillant la paresse des Espagnols, pourrait ensuite faire un tort considérable au royaume. D'autre part, la France obtint, en 1713, que la reconstitution de la marine espagnole fût faite par des Français. Mais les ministres d'Espagne, jaloux de l'indépendance de leur pays, gardaient leur mauvaise volonté contre la France, et les négociants français avaient à subir toutes sortes de vexations[3].

Les Anglais commençaient à s'emparer du commerce de l'Amérique espagnole. Par l'asiento de 1701, Louis XIV avait obtenu du roi d'Espagne la permission de transporter des nègres aux Indes Occidentales. Il avait concédé le privilège de ce commerce à la Compagnie de Guinée, mais les Anglais réussirent à l'enlever par le traité de 1713. Or, ils n'avaient tenu aucun compte des engagements de l'Espagne avec la Compagnie de Guinée, qui avait encore à introduire 19.000 nègres dans l'Amérique espagnole. Le traité ne menaçait pas seulement le commerce des nègres, fait par cette Compagnie, mais encore le commerce général de la France avec les colonies espagnoles. Le Gouvernement français essaya de faire reconnaître les droits de la Compagnie. En même temps, pour faire plaisir au roi d'Espagne, il interdisait aux armateurs français le commerce de la mer du Sud que les lois espagnoles réservaient aux seuls Espagnols ; le Roi laissait toute liberté aux Anglais de supplanter les Français, les Espagnols ne pouvant pas faire à eux seuls ce trafic. Mais les armateurs bretons, les Malouins surtout, continuèrent encore quelque temps ce commerce si profitable[4].

 

III. — LE COMMERCE MÉDITERRANÉEN.

DANS la Méditerranée occidentale, la France commerçait avec l'Espagne par Barcelone, Alicante et Carthagène, avec l'Italie et la Barbarie ; dans la Méditerranée orientale, avec toutes les Échelles d'Europe, d'Asie et d'Afrique.

La France demandait à l'Italie des matières premières, soies du Piémont et de Messine, chanvres, soufre, etc., et lui fournissait surtout des produits manufacturés, soieries, draps, toiles, etc. En 1715, les importations d'Italie en France furent d'à peu près 11 millions, et les exportations de France en Italie de plus de 92 millions. Les marchandises françaises passaient de Lyon par le Dauphiné ou par la Maurienne, arrivaient ainsi à Turin et à Milan ; ou bien elles partaient de Marseille vers les ports de Gênes, de Livourne, immenses entrepôts où Français, Anglais, Hollandais apportaient les produits du monde entier.

Entre la France et l'Italie les rapports étaient très suivis et bien organisés. A Lyon résidaient un certain nombre d'Italiens, commissionnaires des négociants de leur pays. Livourne comptait, dans sa population cosmopolite, avec des Anglais, des Hollandais et des Juifs, environ 2.000 Français, dont 20 à 30 assez riches, qui contribuaient surtout à introduire nos draps dans la péninsule. De l'entente des banquiers de Lyon, de Livourne et de Gênes résultait le taux du change pour les contrées méditerranéennes.

Depuis longtemps déjà la France possédait des comptoirs dans les pays barbaresques : la Calle, le Bastion, à l'ouest de la Calle, le cap Nègre, sur la côte septentrionale de la Tunisie, enfin, au Maroc, Tétouan et Salé. Les puissances barbaresques, les deys d'Alger, les beys de Tunis avaient donné aux Français des concessions et des privilèges. Pour les faire respecter, Louis XIV, à plusieurs reprises, fut obligé d'envoyer des escadres à Tunis et surtout à Alger. En 1682 et en 1689, Alger fut bombardé. Le commerce en Barbarie, souvent troublé dans la régence d'Alger, était plus régulier dans celles de Tunis et de Tripoli. La France y achetait surtout du blé.

La compagnie d'Afrique, créée en 1690 sur les ruines d'une ancienne, qui portait le même nom, et la compagnie du Cap Nègre, qui date de 1685, font le commerce des blés, surtout la seconde qui possède un entrepôt à Marseille, où affluent les grains achetés dans la Tripolitaine, la régence de Tunis et l'Italie méridionale. Compagnie d'Afrique et compagnie du cap Nègre sont réunies en 1693, sur les conseils du consul de France à Alger, très écouté à la Cour, Dusault. Le secrétaire d'État de la marine presse les compagnies d'importer le plus de grains qu'elles pourront à Marseille, pour l'approvisionnement de la Provence et des armées.

Vous ne pouvez rien faire, écrit Pontchartrain aux intéressés de la Compagnie du cap Nègre, qui soit plus important ni plus agréable à Sa Majesté que de faire de fortes provisions de blé et de vous mettre en état d'empêcher la Provence de tomber dans la disette, en prenant des mesures Justes pour tirer des lieux de votre établissement tout ce qu'ils pourront produire.

Comme, malgré toutes les promesses des puissances barbaresques, la Méditerranée était infestée de pirates et qu'elle était d'ailleurs couverte de corsaires hollandais, anglais, espagnols, le Roi faisait escorter les bateaux marchands par des navires de guerre jusqu'à Marseille quand il le pouvait, ce qui arriva rarement.

Pendant la guerre de la Succession le commerce barbaresque déclina tout à fait. En 1705, les compagnies tombèrent en déconfiture ; il s'en forma, en 4706, une nouvelle sous le nom de compagnie d'Afrique : elle avait le monopole de la pèche du corail, de le traite des blés, mais elle ne put le faire respecter. Le commerce du Maroc à Salé, à Tétouan, qui avait été assez actif à la fin du XVIIe siècle, devint presque nul ; les Hollandais et les Anglais l'accaparèrent.

Le commerce de Barbarie était la plus médiocre partie du commerce français dans la Méditerranée. En 1700, il atteignait seulement à 800000 livres ; en 1714, il tomba à 139.000 livres.

Dans le Levant, malgré les efforts de Colbert, le commerce des Anglais et des Hollandais était resté plus considérable que celui de la France. En 1683 les Français n'importaient en Europe que pour 6 millions de livres de marchandises du Levant, tandis que leurs rivaux en importaient pour 25 millions. La France tirait des Échelles des matières premières : laines de Constantinople, soies de Smyrne, cotons de Seïde : — en 1700 on acheta du Levant pour 800.000 livres de laines, pour 1.000.000 de soies et pour 1.400.000 livres de coton ; — puis des poils de chèvre d'Angora, des cuirs, etc. ; des denrées alimentaires, café d'Égypte, blé, riz, etc. La valeur des exportations françaises dans les Échelles fut toujours bien inférieure à celle des importations. Elle était d'environ 3 millions vers 1715. Les marchandises exportées étaient surtout des draps fins et communs du Languedoc, des draps communs de la Provence et du Dauphiné, puis le papier, très recherché en Orient.

La lutte continue dans le Levant, comme au temps de Colbert, contre la concurrence étrangère. Pour empêcher les Hollandais et les Anglais d'importer en France par les ports du Ponant des marchandises levantines, le Gouvernement frappe d'un droit de 20 p. 100 les produits arrivant à Rouen et Dunkerque, et limite l'importation, de ce côté, à ces deux ports. Le monopole de Marseille est confirmé par arrêt du Conseil, le 15 août 1685. Mais Hollandais et Anglais, de connivence avec les fermiers des droits du Roi, importent en fraude, par les ports du Ponant ou bien par Marseille, en se servant de bâtiments français. Des Français prêtent, en effet, aux étrangers leurs navires et même leur nom.

Tous les abus contre lesquels Colbert a lutté ont survécu. Seignelay fait, en 1685, un règlement pour empêcher les communautés, les nations françaises de s'endetter et pour régler le paiement des avanies. Seignelay fait de tons les consulats du Levant une ferme générale qu'il adjuge à la Compagnie de la Méditerranée en 1684, mais les commerçants ont toujours à se plaindre ; les consuls sont protégés par leurs parents, hauts fonctionnaires, ambassadeurs ou directeur de la compagnie. Si le Gouvernement envoie un agent extraordinaire en mission, comme Dortières, en 1685 et 1687, cet agent dissimule les abus. Pontchartrain, en 1691, transforme le régime des consulats. Désormais les consuls seront nommés par le Roi, avec appointements fixes. La dépense, évaluée à 100.000 livres, est couverte par un impôt de tonnelage. Les consuls furent mieux choisis, plus capables à la fois et plus honnêtes, et beaucoup d'entre eux restèrent longtemps en fonctions, comme de Maillet qui fut consul au Caire pendant quinze ans

Grâce à ces réformes, le commerce du Levant, de 1688 à 1701, atteignit par an une moyenne de 7 700000 livres à l'importation. Après la paix de Ryswyk, il monta à 10 et 11 millions de livres. Ce fut un développement un peu factice, comme le montrèrent les banqueroutes de 1699, causées par l'accumulation dans les magasins de Marseille d'un stock énorme de marchandises. Pourtant, de ce côté, notre commerce se défendait et s'étendait.

Cependant le Gouvernement ne cessait de porter atteinte à la franchise du port de Marseille. En 1691, sont exceptées de cette franchise les toiles de coton peintes, teintes ou blanches. La même année, pour favoriser l'importation des cotons en laine d'Amérique, imposition de vingt livres par quintal sur les cotons filés du Levant. En 1692, interdiction des bourres de soie et de coton du Levant et des toiles de lin d'Égypte. Ces droits et ces formalités provoquent les doléances de la Chambre de commerce.

Les étrangers ne veulent plus venir à Marseille, dit-elle dans un mémoire de 1694 ; les naturels (les Français) même se délivrent volontiers de l'oppression qu'ils trouvent en entrant dans ce port, voyant leurs bâtiments abordés par un grand nombre de bâtiments chargés de commis qui montent et entrent dedans comme à un pillage, pour trouver, les uns du café, les autres du sucre, du tabac, du sel, de la poudre, des glaces de miroir, etc., ce qui est insupportable surtout aux étrangers et aux matelots en particulier qui pestent et jurent de ne revenir plus à Marseille où ils n'ont pas la liberté qu'ils ont chez les étrangers d'y apporter peur leur compte des bagatelles.

Aux doléances des Marseillais Pontchartrain répondait : Les conséquences que vous tirez de vos privilèges et de la franchise du port sont trop grandes, le bien général du royaume doit être préféré à tout. Pourtant, après 1701, un revirement sembla se produire au Conseil de commerce, où dominaient Daguesseau et Amelot. Mais alors Marseille eut affaire aux députés des ports du Ponant.

Le député de Nantes expose que les privilèges de Marseille et de Lyon, qui prescrivent l'entrée des soies du Levant exclusivement par Marseille et des soies d'Italie par le Pont-de-Beauvoisin, ont ruiné les fabriques de Tours, et que, d'ailleurs, tout le commerce du Levant est plus nuisible qu'utile au pays, puisqu'il consomme beaucoup d'espèces[5].

Le député de Bordeaux réclame pour les sujets du Roi l'égalité du commerce.

Il est certain et très juste, dit-il, que les ports de France soient sur le pied de celui de Marseille, qu'on y puisse recevoir toutes les marchandises du Levant en droiture, lorsqu'elles viennent pour le compte des fermiers et dans les vaisseaux de la nation, puisque, étant très également sujets du Roi, ils doivent Jouir des mêmes grâces... Plusieurs provinces ont des denrées surabondantes qui sont propres pour le commerce, dont on doit favoriser la sortie. Et, parce que Marseille est mieux située, ce n'est point une raison valable pour exclure et interdire les autres villes du royaume ; au contraire, s'il y avait quelque grâce, ce serait en faveur de celles-ci, afin d'établir une concurrence.

Fabre, député de Marseille, répondit que les villes du Ponant, sauf Rouen et Dunkerque, n'avaient jamais tenté de faire le commerce du Levant, preuve certaine qu'il ne leur était pas convenable. C'étaient les Anglais et les Hollandais qui le faisaient en fraude par ces ports. Et que deviendrait le commerce méditerranéen, à la suite de l'article 9 du traité de Ryswyk qui donnait aux Hollandais le droit d'introduire en France les produits du Levant avec les mêmes avantages que les sujets du Roi ? Tout le commerce du Levant tomberait dans leurs mains.

Le Conseil de commerce, divisé sur cette grave question, finit par proposer un compromis. L'arrêt du Conseil d'État, du 10 juillet 1703, maintient le monopole de Marseille : aucun autre port ne pourra, sans payer un droit de 20 p. 100, commercer avec le Levant. Mais, tandis qu'auparavant Rouen et Dunkerque pouvaient seuls, sous la condition de cette taxe, faire du négoce avec les Échelles, tous les ports du Ponant auront cette faculté. En second lieu, l'arrêt rétablit la franchise du port de Marseille ; il excepte, il est vrai, les toiles peintes des Indes, les draps étrangers, les cuirs tannés du Levant, afin de protéger les manufactures du royaume.

Au moment où Marseille obtenait cette demi-satisfaction, la guerre de la succession d'Espagne troublait le commerce du Levant[6]. Cependant, il continua, et, par l'effet des nécessités où se trouvait la France en 1709, il prit un caractère spécial ; tous les bâtiments qui partaient pour les Échelles durent rapporter les trois quarts de leur chargement en blé. Ils allaient le chercher surtout à Salonique, dans les ports de l'Archipel, en Barbarie. Marseille devenait un grand entrepôt de céréales ; en 1710, elle se déchargeait de deux années de capitation en fournissant du blé à l'armée d'Italie.

Après la paix, le commerce du Levant se rétablit. Les traités d'Utrecht ne contenaient, en ce qui le concernait, aucune clause désavantageuse aux Français.

La France essaya de s'ouvrir de nouveaux débouchés en Orient. Des tentatives, hardies parfois, montrent toute l'énergie dont les Français étaient capables, même dans cette période désastreuse.

Une mission envoyée en Abyssinie ne put s'avancer que jusqu'à Sennaar.

Favre, ancien consul de Constantinople, frère du directeur de la compagnie de la Méditerranée, partit en 1705 pour la Perse. Arrivé sur le territoire d'Alep, le pacha de cette ville ne voulut pas le laisser continuer son voyage sans un ordre de la Porte. Il se perdit en Arménie et mourut à Erivan. Mais sa maîtresse, qui l'avait suivi, Marie Petit, parvint à Ispahan, où de brillantes fêtes furent données en son honneur. Une nouvelle mission, conduite par Michel, conclut avec le shah un traité de commerce, en 1708. En 1715, au moment où une ambassade persane arriva à Versailles, on discutait encore sur le texte du traité signé par Michel, mais on était sur le point de s'entendre ; le commerce de Perse s'établissait.

 

IV. — LE COMMERCE AVEC LA HOLLANDE ET L'ANGLETERRE[7].

LE commerce entre la France et les Provinces-Unies est un commerce général, les Hollandais, rouliers des mers, apportant en France, des Indes et du Nord de l'Europe, une foule de marchandises. Beaucoup de Hollandais sont établis en France, dans tous les ports du Ponant, surtout dans le plus actif, Nantes ; ils reçoivent les marchandises apportées par leurs compatriotes et donnent un fret de retour aux navires. Ils inondent le marché français de draperies hollandaises et même de draps anglais, de toiles, de sacre raffiné, d'étoffes de soie et d'écorce d'arbre des Indes, et aussi de harengs et de tous les produits de la Baltique. Ils chargent des vins, des eaux-de-vie, du sel de France et transportent ces marchandises chez eux et dans tous les pays baltiques, à Stralsund, à Dantzig, à Riga d'où elles gagnent l'intérieur de l'Allemagne, de la Pologne et de la Moscovie. Plusieurs provinces, notamment la Guyenne, la Saintonge, la vallée de la Loire, vivent en grande partie de ces écimages.

Dans la guerre de tarifs entreprise contre eux Louis XIV a été vaincu. Après le traité de Nimègue, il a dû renoncer au tarif élevé de 1667. Au traité de Ryswyk, en 1697, il a dû céder davantage encore : la suppression du droit de cinquante sons par tonneau et l'autorisation de l'entrée et du débit en France du hareng salé et du sel étranger. En 1699, un nouveau tarif diminua les droits d'entrée en Hollande et en France. Les relations commerciales reprirent, mais elles furent moins actives qu'auparavant. Pendant la guerre, les Hollandais étaient allés chercher en Portugal et en Espagne les denrées qu'ils demandaient autrefois à la France ; des rapports d'affaires s'étaient fermés, des habitudes nouvelles avaient été prises. Bientôt la guerre recommençait. Mais le Roi, comme on l'a vu, fut obligé, pendant les hostilités, d'accorder des passeports à des vaisseaux hollandais.

Après la paix d'Utrecht, les navires hollandais se montrent plus que jamais dans nos ports de l'Océan. A Bordeaux, pendant le mois de mai 1715, sur 27 navires étrangers entrés au port, on compte 21 hollandais, chargés de, fer de Suède, de cuivre, de beurre, etc. Les conditions exceptionnelles dont ils jouissent en France ont été confirmées, en 1713, par le traité de commerce d'Utrecht, qui rétablit le tarif de 1699.

Les Anglais vendaient en France des draps, des bas de soie et de laine, des cuirs, des métaux, du charbon, enfin des denrées d'Irlande et d'Angleterre, beurre, fromage, morue et hareng. Ils achetaient des vins, des fruits, des huiles, parfois du blé, et quelques produits manufacturés : satins, toiles, papier. Des Anglais sont établis en France, et des Français en Angleterre ; mais, dit Savary, il n'y a point de nation en Europe où les Français trouvent plus de difficultés à faire leur commerce et où ils soient plus maltraités qu'en Angleterre, et il n'y en a point aussi qui reçoivent et qui traitent plus favorablement les Anglais que les Français. Les Français. ne peuvent porter en Angleterre aucune marchandise de pays étrangers, ai même des colonies françaises., mais seulement les produits de royaume, surchargés, d'ailleurs, de droits et de taxes ; ils ne peuvent pas naviguer de port à port. Les Anglais, au contraire, peuvent introduise en France des denrées étrangères, vins d'Espagne, huiles d'Italie, etc., et le cabotage leur est permis. Enfin les navires français doivent payer en Angleterre un droit de 5 shellings, soit 75 sous par tonneau, tandis que les vaisseaux anglais ne sont astreints qu'au droit de 50 sous. Aussi voit-on plus d'Anglais et de navires anglais en France que de Français et de navires français en Angleterre. Dans le seul mois de juillet 1700, on compte à Saint-Malo 40 navires anglais ; 30 vont transporter du vin en Angleterre, et les autres des pierres à paver et des toiles. L'activité des Anglais se développe à Morlaix, dans tous les ports bretons, à Bordeaux, enfin, où depuis des siècles ils ont l'habitude de venir chercher les vins de Guyenne.

A plusieurs reprises, le Parlement relève les tarifs et renforce les prohibitions. En 1700, les toiles écrues françaises, paient 70 p. 100 de leur valeur, et les autres toiles 50 p. 100 ; les vins, 700 livres par tonneau ; les eaux-de-vie, 900 livres : La sortie des matières premières qui peuvent servir à nos industries, comme les laines et les peaux, est interdite. La France réplique comme elle peut. A la fin, le traité signé à Utrecht le 11 avril 1713 établit la liberté réciproque du commerce entre les deux nations dont chacune serait traitée par l'autre comme la nation la plus amie. Mais le Parlement anglais, à la requête des fabricants de Londres et du comté de Lancastre, refuse de le ratifier. On se contenta alors d'appliquer en France aux marchandises anglaises le tarif fait pour les Hollandais en 1699, et en Angleterre aux produits français des droits moindres qu'auparavant.

 

V. — LE COMMERCE DES INDES, DE LA CHINE ET DE LA MER DU SUD.

LA Compagnie des Indes Orientales survécut à Colbert. Elle avait le monopole du commerce français dans l'océan Indien, depuis la Perse et l'Inde jusqu'à l'Indochine, et, au delà de Malacca, dans la mer Pacifique, jusqu'au Tonkin et en Chine. Dans l'Inde, la France avait quelques comptoirs sur la côte occidentale et orientale, dont les principaux étaient Surate et Pondichéry, voisins des comptoirs rivaux des Hollandais, des Anglais et des Portugais. La Compagnie était représentée dans l'Inde par deux directeurs qui étaient, en 1685, pour Surate, Pilavoine, et pour Pondichéry, François Martin. Martin ouvrit des débouchés au commerce sur la côte du Coromandel et dans le Bengale, bâtit Pondichéry, entra en relations avec les princes hindous et profita de leurs rivalités et de leurs difficultés avec le Grand Mogol, seigneur suzerain, qui résidait très loin, dans le Nord, à Delhi, et dont l'autorité n'était plus que nominale. Administrateur pratique, courageux, tenace, à la fois marchand et soldat, il eut la gloire, avant Dupleix, de montrer aux Français la politique à suivre dans l'Inde.

La Compagnie faisait le commerce d'Inde en Inde ; elle transportait au Coromandel et au Bengale ce qu'elle avait acheté sur la côte du Malabar et en Perse. A la suite d'un échange d'ambassades entre France et Siam dès 1680, surtout en 1684 et 1685, elle noua des relations avec le royaume de Siam, où elle vendait des toiles de l'Inde, et achetait du cuivre et surtout du poivre, dont les Siamois, par antipathie pour les Hollandais et les Anglais, lui avaient donné le monopole, en même temps que le droit de s'installer à Merguy, rade sûre du golfe du Bengale. La Compagnie avait comme ports d'attache Lorient, Port-Louis, Nantes ; parfois aussi des navires se dirigeaient sur Saint-Malo. Elle importait des toiles peintes, des toiles blanches et des mousselines, des étoffes de soie d'or et d'argent, des tapis de Perse, du bois de santal, du riz, du poivre de Calicut et de Siam.

Malgré l'activité de Martin, elle déclina peu à peu. Les guerres de la fin du règne lui furent funestes. Pondichéry fut pris par les Hollandais (1693) ; la place, il est vrai, fut rendue à la paix (1697). La Compagnie souffrit de l'augmentation des droits d'entrée en France et de l'empêchement mis au commerce des toiles peintes et des étoffes de soie, d'or et d'argent. Déjà, en 1682, elle avait dû permettre aux particuliers d'envoyer des marchandises aux Indes, à la condition de se servir de ses vaisseaux. En 1686, elle renonce définitivement à l'île Dauphine (Madagascar). En 4698, elle abandonne le monopole du commerce avec la Chine, qu'elle s'était fait attribuer un moment. En 1712, pour acquitter ses dix millions de dettes, elle est obligée d'abandonner son commerce aux négociants de Saint-Malo, et, quand elle demande le renouvellement de son privilège en 1714, c'est pour en faire argent. En 1716, elle le vendra à une compagnie de Saint-Malo moyennant 10 p. 100 sur les ventes et 5 p. 100 sur les prises.

En 1698, Jourdan, grand manufacturier de glaces de Paris, sur les instances d'un missionnaire, le P. Bouvet, fonda une compagnie de Chine, composée de magistrats, conseillers ou avocats au Parlement, et de marchands parisiens. Les premières opérations furent brillantes : l'Amphitrite, vaisseau de 500 tonneaux, monté par 150 hommes et muni de 30 canons, qui partit de La Rochelle au mois de mars 1698 et revint à Port-Louis en août 1700, rapporta quantité de marchandises, soies, soieries, etc., dont la vente, très fructueuse, permit de donner aux actionnaires un bénéfice de 50 p. 100. La Compagnie de Chine s'associa à une compagnie de Saint-Malo, dirigée par l'armateur Danican, qui avait obtenu, en 1698, le monopole du commerce des mers du Sud (océan Pacifique). Les navires des compagnies fusionnées partaient de Saint-Malo, parfois de Port-Louis pour Macao, Amoy, surtout Canton, où les Européens étaient mieux traités que partout ailleurs ; ils rapportaient de belles étoffes et des soies brutes. D'autre part, même en temps de guerre, bravant les corsaires, ils exploitaient le domaine de la mer Pacifique que s'étaient réservé les Espagnols ; ils visitaient les ports de la côte occidentale de l'Amérique du Sud, sous prétexte d'y faire de l'eau et de s'y rafraîchir, comme s'ils allaient à la Chine ou au Japon, et ils revenaient, chargés de fourrures, d'autruches, de bois de teinture, surtout d'or et d'argent en barres ou en piastres. Mais l'accord ne dura pas longtemps entre les deux sociétés de Paris et de Saint-Malo, et la Compagnie fut déclarée déchue de son monopole.

Elle céda la place à une nouvelle compagnie de Chine, d'origine malouine, qui ne fut pas plus heureuse que l'ancienne. Les soies de Chine, qui pouvaient faire concurrence à celles de France et d'Italie, furent prohibées en 1713. La Compagnie, privée de son fret de retour, ne fit plus que languir jusqu'au jour où elle s'absorba dans la grande Compagnie des Indes (1719).

L'activité des Français en Chine et dans la mer Pacifique fut vraiment remarquable à partir de 1705 surtout. Chaque année il partait au moins une dizaine de navires pour le Pacifique. En 1714 il en partit 20. Les principaux armateurs étaient, à Saint-Malo, Daniean et Bourdas ; à Dunkerque, Piécourt ; à Marseille, Crozat. Le navire le Grand-Dauphin, de Saint-Malo, fit le tour du monde de 1711 à 1713 et le refit de 1714 à 1717. La Comtesse-de-Pontchartrain le fit, elle aussi, mais de l'Ouest à l'Est. Lorsque, en 1708, le Saint-Anthoine, vaisseau armé per des particuliers, et un des premiers qui contournèrent l'Amérique pour se rendre aux ports chinois, entra au port de La Conception, sur la côte du Chili, il y trouva toute une flottille française, le Phélippeaux, le Saint-Charles, le Royal-Jacques, le Maurepas, le Saint-Louis, la Toison, et un seul navire étranger, le Sacramento. Dans les ports voisins mouillaient d'autres vaisseaux français, dont le Saint-Anthoine devait rencontrer plusieurs dans sa traversée de l'Océan.

 

VI. — LE COMMERCE AVEC L'AMÉRIQUE.

À LA fin du XVIIe siècle, la France possède dans l'Amérique du Nord les îles situées à l'estuaire du Saint-Laurent, Saint-Jean, l'île Royale, Terre-Neuve ; la presqu'île de l'Acadie ; le Canada jusqu'aux grands lacs ; le territoire de la baie d'Hudson, zone où elle se rencontre avec les Anglais, et, vers le Sud-Ouest, l'immense vallée du Mississipi, qui se relie, par le fleuve lui-même et par son affluent, l'Ohio, à la région des lacs.

Les îles de l'estuaire du Saint-Laurent ne sont guère peuplées. Les Français font la pêche de la morue sur le grand banc de Terre-Neuve, séjournent quelque temps dans l'île pour faire sécher et saler le poisson, puis repartent pour les ports normands et bretons. L'Acadie, en 1686, ne compte que 885 habitants ; elle n'a qu'un millier de bêtes à cornes environ et que 900 arpents de sol labouré ; ses relations sont presque nulles avec le Canada et la vallée du Saint-Laurent : il n'y a pas de route entre Québec et Port-Royal. L'Acadie est beaucoup plus en rapport avec les Anglais, établis sur la côte de l'Atlantique ; la pêche du pays appartient presque tout entière aux matelots de Boston.

Entre les Anglais de la baie d'Hudson et ceux de l'Atlantique, le Canada s'étend le long du Saint-Laurent ; là s'élèvent les villes de Québec, Trois-Rivières, Montréal. Les marchands sédentaires sont à Québec ; les commerçants nomades à Montréal. Dans la région des lacs, les Français se sont avancés, surtout à partir de 1675. Le comte de Frontenac, gouverneur du Canada, en se conciliant la confédération des Cinq Nations iroquoises, et en empêchant la guerre entre Iroquois d'une part, Illinois et Outaouais der l'antre, s'est frayé passage jusqu'à cette mer intérieure. En territoire sauvage est établie une série de forts, à la fois postes militaires et marchés : le fort Frontenac, à l'extrémité orientale du lac Ontario, bien approvisionné, où presque chaque année le gouverneur vient tenir des conférences avec les chefs iroquois ; le fort Niagara, entre l'Ontario et l'Erie ; Saint-Joseph des Miamis, entre l'Érié et le lac des Illinois (Michigan) ; enfin Michillimackinac, à la jonction des trois grands lacs Supérieur, des Illinois et des Hurons. Ces postes, à l'exception de celui de Niagara, évacué en 1688, servent de points de départ aux explorateurs pour des courses nouvelles. Dès 1682, grâce à Du Luth, la domination française s'étend jusqu'à l'extrémité du lac Supérieur. La population du Canada s'élève alors à 12.000 habitants, et un millier d'indigènes vivent au milieu d'elle.

La colonie canadienne a des annexes. De la vallée du Saint-Laurent et de la région des lacs partent vers le Nord coureurs de bois et marchands en quête de pelleteries, et ainsi est rattaché le territoire de la baie d'Hudson. Vers le Sud-Ouest le Canada prend dès 1682 une extension extraordinaire, grâce à l'indomptable courage d'un des plus grands explorateurs qu'ait vus l'Amérique, Cavelier de la Salle.

Négociant de Rouen, agent d'une société d'actionnaires, la Salle, comme ses ancêtres les Normands découvreurs des cotes occidentales d'Afrique, se lance dans l'inconnu. En 1680, il s'établit au pays des Illinois et y construit un fort ; mais il ne peut s'engager sur le fleuve que deux ans après ; ses créanciers l'ont obligé deux fois à quitter son fort Crèvecœur pour descendre jusqu'à Montréal. Il part enfin, au commencement de 1682, avec quelques compagnons. Ils descendent sur des barques le Mississipi, et, le 9 avril 1682, ils arrivent aux bouches du fleuve.

Là, dit la Salle, on équarrit un arbre dont on fit un poteau qu'on planta, et on y attacha les armes du Roi, faites du cuivre d'une chaudière. On planta aussi une croix, et on enterra dessous une plaque de plomb où il y avait ces mots écrits : Au nom de Louis XIV, roi de France et de Navarre, le 9 avril 1682..... Les vivres manquaient, et l'on n'avait par jour qu'une poignée de maïs..

C'est ainsi que la Salle donnait à Louis XIV une nouvelle terre, la Louisiane. Il se rend ensuite à Versailles, où il fonde, en 1684, la Compagnie de la Louisiane ou d'Occident. Il repart avec quatre navires, chargés de colons, de soldats, et pourvus de vivres ; il se dirige vers le golfe du Mexique, mais il ne peut reconnaître l'embouchure du Mississipi, perdue au milieu des immenses alluvions du fleuve, et il débarque sur une côte inconnue et inhospitalière où périssent presque tous les siens et où lui-même est assassiné en 1687. Sept ou huit ans plus tard, d'Iberville, Normand comme lui, reconnut l'embouchure du Mississipi.

Ainsi le Canada s'étend d'une manière démesurée, et les possessions françaises, par le Saint-Laurent, les lacs et le Mississipi, enserrent les colonies anglaises de la côte atlantique. Mais c'est à ce moment que Louis XIV est obligé, par le traité d'Utrecht, de céder à l'Angleterre les annexes maritimes du Canada, l'Acadie et Terre-Neuve (1713).

Le commerce avec le Canada et ses annexes consiste surtout en pelleteries que des compagnies de marchands achètent aux sauvages et aux coureurs de bois. Les peaux de castor et d'autres animaux ne peuvent entrer en France que par quatre ports : Rouen, Le Havre, Dieppe et La Rochelle ; Rouen et La Rochelle sont les deux grands marchés de pelleteries du royaume. En échange, les Français apportent au Canada des eaux-de-vie et divers produits manufacturés. Mais les Anglais vendent aux sauvages à très bon marché des marchandises qui leur plaisent, comme les écarlatines d'Angleterre, aux belles couleurs rouges ; ils réussissent ainsi à enlever le plus beau castor. Les concessionnaires français se plaignent, demandent au Gouvernement de laisser sortir de La Rochelle des écarlatines importées d'Angleterre, qu'ils échangeront ensuite à Québec contre da castor. En vain Pontchartrain, secrétaire d'État de la marine, supplie-t-il, en 1714, le contrôleur général Desmaretz de permettre à Néret et Gayot la sortie de 250 pièces d'écarlatines ; Desmaretz, songeant seulement aux droits du Trésor, refuse cette grâce.

Le domaine français de l'Amérique du Nord était exploité par des compagnies commerciales : la Compagnie de l'Acadie, formée en 1683, qui fut remplacée en 1703 par la Compagnie du Canada et qui ne réussirent point.

Les essais de colonisation de la Salle en Louisiane n'avaient pas mieux réussi. Après la paix de Ryswyk, le Roi avait envoyé dans ce vaste pays une garnison qui devait tenir les forts. La Louisiane était une immensité inoccupée. Le Roi accorda au financier Antoine Crozat le privilège du commerce pendant quinze ans dans tout le pays situé entre la Caroline des Anglais et le Nouveau Mexique, avec l'obligation de fournir à la garnison vivres, effets et munitions (14 septembre 1712). Ce pays, où l'on plaçait de riches mines d'or, devait, sous la Régence, devenir le domaine d'une nouvelle compagnie, celle du Mississipi, établie par Law.

La France fait un grand commerce avec ses îles d'Amérique : la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Domingue — dont elle n'occupe que la partie occidentale —, enfin une série de petites Antilles : la Grenade, Marie-Galante, Saint-Christophe, etc. Ces îles ont été lentement peuplées par la métropole. D'abord, sont arrivés des hommes de race blanche : nobles en quête d'aventures, moines à la recherche d'âmes à convertir et de beaux profits à faire, agriculteurs et marchands, engagés volontaires ou forcés des compagnies. Ensuite sont venus d'Afrique, sur les vaisseaux des compagnies, des hommes de couleur, les blancs tendant de plus en plus à substituer au travail libre le travail servile. La population noire finit par être la plus nombreuse. En 1686, nos colonies des îles comptent environ 19.000 blancs et 27.000 nègres. En 1701, il y a 44.000 nègres rien que dans les trois principales îles : 8.000 à la Guadeloupe, 16.000 à la Martinique, 20.000 à Saint-Domingue.

Les colonies se plaignent du manque de main-d'œuvre. Il n'y a pas encore assez de noirs aux îles. Les colons ne sont pas riches ; ils paient plus souvent en nature, en, sucre ou en tabac qu'en espèces ; et, quand viennent les mauvaises récoltes, ils ont beaucoup de difficultés à s'acquitter de leurs dettes. Les compagnies vendent peu de nègres à la fois, et elles n'en introduisent de nouveaux que lorsqu'elles ont été payées de leurs envois antérieurs. Ces nègres esclaves, mal nourris, mal vêtus, accablés de travail, ne se reproduisent guère. Le Code noir, préparé par Colbert et promulgué, après sa mort, en 1685, oblige les maîtres à nourrir et à vêtir convenablement leurs esclaves, à les traiter d'une manière plus humaine, à les considérer, non plus comme des choses, mais comme des hommes, inférieurs, il est vrai, aux autres Mais la condition des nègres reste misérable, bien qu'elle soit meilleure dans les colonies françaises que dans celles des Anglais et des Hollandais.

Presque aucune industrie dans ces îles d'Amérique, les nègres étant presque exclusivement attachés à la culture ; seulement quelques raffineries qui, d'ailleurs, eurent à compter avec les intérêts rivaux des négociants de France. De riches cultures : canne à sucre, d'abord, puis indigo, tabac, coton, cacao, café, casse, gingembre ; puis quelques produits accessoires : écaille de tortue, bois de teinture. Les cultures ne se développent pas assez rapidement, quelques-unes même périclitent ; la création du monopole du tabac au profit de l'État fait tomber en décadence une des plus belles cultures de Saint-Domingue.

D'ailleurs, nos fies sont mal protégées en temps de guerre, et les flibustiers, dédaigneux de tout travail agricole, embarras perpétuel pour le gouverneur de Saint-Domingue, ne font guère qu'attirer par leurs hardis coups de main les représailles de l'ennemi.

Dans ses rapports avec les colonies la métropole ne cherche que son intérêt ; les colons sont toujours sacrifiés aux compagnies et aux négociants de France. On l'a vu par l'interdiction de la raffinerie et l'établissement du monopole du tabac. De France, on leur prescrit certaines cultures et on les détourne de certaines autres sous prétexte que la diversité des cultures dans les colonies est la chose la plus importante à leur bien.

Le commerce des Îles était réservé aux ports de Rouen, Nantes, La Rochelle, Bordeaux, par un privilège auquel Dunkerque, à la suite de ses réclamations, avait obtenu de participer, en 1704. Les navires partent en novembre et décembre et arrivent aux îles en février et mars, chargés de bœuf salé d'Irlande, de farines, de vins et eaux-de-vie, de toiles pour les vêtements des nègres et les emballages ; enfin de grandes quantités de tortues, pêchées aux îles du Cap Vert et salées en route, qui servent de nourriture aux nègres. Ils repartent vers juin, remplis de sucre brut, de cacao, d'indigo, de cuirs, d'écailles de tortue, etc., qui sont en partie consommés en France, en partie expédiés à l'étranger. Nantes, La Rochelle, Bordeaux deviennent de grands entrepôts de denrées coloniales pour la France et une partie de l'Europe.

Le sucre que l'on raffine en France, à Nantes, Angers, Saumur, Orléans, Bordeaux, est une des principales matières du commerce des Îles ; mais le chargement d'un vaisseau en nègres, disait-on au XVIIe siècle, produit trois fois plus qu'un chargement en sucre. Des compagnies privilégiées transportent aux Îles des nègres de la côte occidentale d'Afrique.

A la compagnie du Sénégal, qui avait reçu de Colbert le monopole de la traite, succède la compagnie de Guinée en 1685. Elle doit fournir chaque année 1.000 nègres, et reçoit une prime de 13 livres par tête. Quantité insuffisante et prix trop élevé, telles sont les plaintes continuelles des colons et des administrateurs des Îles ; mais les compagnies, outre qu'elles sont exigeantes pour le paiement, ne veulent pas avilir le prix de leur marchandise. Le Roi essaie divers moyens pour peupler les Îles. Il envoie une fois des navires de l'État à la côte d'Afrique prendre des noirs ; il s'adresse à plusieurs compagnies successivement ; il presse celle de Guinée de tenir ses engagements, crée une autre compagnie, celle de Saint-Domingue, en 1698, qui devra porter à cette île 100 blancs d'Europe et 200 noirs par an, subroge, en 1705, aux anciens intéressés de la Compagnie de Guinée, de riches fermiers, Magon, Crozat, Thomé et Samuel Bernard, en leur imposant des charges plus lourdes et en leur accordant des privilèges moisis exclusifs. La nouvelle Compagnie devra porter aux Îles 3.000 nègres chaque année, et elle ne pourra refuser à des particuliers la permission d'aller faire la traite en Guinée. En 1707, la Compagnie permet à Chourio, marchand de la Martinique, d'introduire aux Îles 150 nègres par an. En somme, les diverses compagnies négrières n'ont pas rendu aux colons des Îles les services qu'ils attendaient d'elles.

Le commerce des Îles, outre qu'il tue beaucoup à souffrir du régime économique, fut grandement gêné par la guerre ; mais, pendant la paix, malgré les embarras et les difficultés de toute sorte, il est assez actif pour enrichir les ports du Ponant, Nantes surtout. Nantes envoie par an, après la paix de Ryswyk, 25 à 30 vaisseaux à la Martinique, 8 à 10 à la Guadeloupe, 1 ou 2 à la pêche de la tortue, au Cap Vert, 8 à 10 à Saint-Domingue, 1 ou 2 à Cayenne. Après la paix d'Utrecht, ce commerce prendra un grand essor et peu à peu se placera au premier rang, à côté du commerce avec le Levant.

 

VII. — LE COMMERCE AVEC L'AFRIQUE OCCIDENTALE.

LA colonie française du Sénégal avait été jusqu'alors réduite à des comptoirs sur la côte. C'est à la fin du règne de Louis XIV qu'elle se développe et qu'un commerce sénégalais commence à s'établir.

Il fallait explorer le pays, constituer territorialement la colonie. Ce fut l'œuvre de Chambonneau et surtout d'André Brue, directeurs de la compagnie du Sénégal. Les pays de la côte sont visités en 1682 par le directeur Dancourt, qui va du Cap Vert à Saint-Louis par terre. En 1689, Chambonneau, remontant le fleuve Sénégal, explore le Gabon, vers le confluent de la Falémé, et s'avance sur le Bakhoi jusqu'à la chute du Félon. En 1693, le directeur Bourguignon ordonne l'exploration du lac Cayor, au nord du fleuve, dans la région désertique. Suspendus pendant la guerre, les voyages sont repris, après la paix, par André Brue. Directeur à Saint-Louis de 1694 à 1702, puis de 1714 à 1724, géographe, historien, administrateur de talent, Brue a étendu la colonie vers l'Est, y a installé des postes, concentrant tous ses efforts sur la vallée du Sénégal, se mettant en rapports avec les peuples indigènes dont il a le premier essayé de retracer l'histoire.

Gomme, ambre, plumes d'autruche, or et surtout esclaves, sont les marchandises que les Français achètent aux Maures. La compagnie royale privilégiée du Sénégal, succédant en 1685 à plusieurs autres qui ont périclité, exploite le pays. Colonie et Compagnie se confondent ; les directeurs de la compagnie sont en même temps des sortes de gouverneurs. Mais la compagnie, créée en 1685, et qui partage avec celle de Guinée la traite des nègres, ne réussit pas mieux que ses aînées ; les comptoirs de Gorée et du Sénégal tombent un moment entre les mains des Anglais. Elle se reforme en 1694 avec le privilège d'importer en France, en ne payant que la moitié des droits d'entrée, les marchandises d'Afrique ou des colonies d'Amérique ; mais elle se ruine[8].

L'histoire du commerce extérieur de la France se trouve presque toute dans les vicissitudes des Compagnies privilégiées. Colbert avait vu disparaître l'une après l'autre ses Compagnies. Ses successeurs subirent les mêmes échecs. A cet insuccès persistant il faut assigner les mêmes causes. D'abord, l'individualisme des commerçants : chacun veut faire soi-même ses affaires et se défie des grandes entreprises qui monopolisent le commerce. Ensuite la disette d'argent : non qu'il n'y ait de riches négociants, mais ce sont des exceptions. Les petites fortunes sont peu à peu absorbées par les impôts ou par les créations continuelles de rentes et d'offices. Le bourgeois veut bien acheter une charge qui lui donnera des gages et de la considération ; mais ses habitudes d'économie et de prudence l'écartent des placements risqués dans des affaires lointaines. Aussi les Compagnies manquent-elles de capitaux ; les fonds versés sont tout à fait insuffisants pour l'exploitation du vaste domaine qui leur a été concédé. Ce ne sont pas des affaires nationales — les privilégiés, presque tous les bourgeois portent leur attention ailleurs — mais seulement celles de quelques marchands et banquiers.

Cependant, — et ceci est remarquable, — malgré les guerres et la fiscalité qui entravent le trafic avec le Nord, le Levant et les colonies, l'horizon du commerce français s'élargit ; il embrasse désormais la Moscovie, l'Éthiopie, la Perse, l'océan Pacifique. Le Ponant se réveille. Dans les ports et les grandes places de commerce, à Nantes, à Saint-Malo, à Marseille, à Lyon, l'initiative des armateurs et des négociants se déploie, au milieu des entraves de la politique commerciale. Même pendant la guerre, les espérances d'un relèvement se manifestent. L'activité française dans l'océan Pacifique en est un symptôme évident. Après la paix rétablie, en 1716, les exportations dépassèrent les importations de 36 millions. C'était le présage d'une période de prospérité.

 

VIII. — RÉSULTATS DE L'ENSEMBLE DE L'ÉCONOMIE SOCIALE.

VAUBAN écrivait, en 1707, dans sa Dîme royale : Quand je dirai que la France est le plus beau royaume du monde, je ne dirai rien de nouveau, il y a longtemps qu'on le sait ; mais si j'ajoutais qu'il est le plus riche, on n'en croirait rien, par rapport à ce que l'on voit. Si, en effet, la France n'était pas tout à fait ruinée, si, malgré les guerres, l'oppression fiscale, la rigueur du système économique, certaines industries et le commerce avec plusieurs pays continuaient à se soutenir ou même à prospérer, s'il y avait des paysans, des fabricants et des négociants aisés et même riches, la misère était très grande dans la masse de la nation.

L'agriculture et les paysans surtout souffraient beaucoup. Les biens de la campagne, écrit Vauban, rendent le tiers moins de ce qu'ils rendaient il y a trente ou quarante ans, surtout dans les pays où la taille est personnelle. Boisguillebert, dans le Détail de la France, dit que le revenu des fonds a diminué de moitié pour le moins depuis 1660. Le prix des baux baisse en proportion de celui des terres. Les propriétaires sont ruinés par ces brusques dépréciations de la valeur des choses. La plus grande partie des habitants, écrit, en septembre 1708, l'intendant de Bordeaux, n'a pas de quoi ensemencer ses terres ; on n'a pas jugé à propos de s'engager à fournir des semences, parce que cela nous aurait conduits trop loin. Des cultures disparaissent dans certaines régions. Beaucoup de propriétaires ou de tenanciers déguerpissent. Le droit de propriété semble atteint dans sa source. A qui appartiendront ces terres abandonnées ? A celui qui viendra les occuper et les cultiver ? Quand sera-t-il, alors, propriétaire ? La question fut agitée. L'intendant et les États du Languedoc proposèrent, pour assurer le droit du nouveau propriétaire, une prescription de très courte durée, — quelques années seulement, — mais le Conseil du Roi n'admit que la prescription de trente ans. Certains cantons retournent à la friche.

Les témoignages sur la profonde misère du peuple des campagnes et des villes abondent. C'est une longue plainte qui de tous côtés monte jusqu'aux ministres et au Roi. L'intendant de Champagne écrit en 1697 : Depuis cinq ans et demi que j'ai l'honneur de servir dans la généralité de Champagne, j'y ai vu tous les ans augmenter la misère ; l'intendant de Montauban, en 1708 : J'arrive de ma tournée de Rouergue, où j'ai trouvé partout une misère extrême, causée par la mauvaise récolte, les inondations et la mortalité des bestiaux. L'évêque de Montauban déclare, en 1694, qu'il meurt 400 personnes de faim chaque année dans son diocèse ; l'évêque de Mende que, à part quelques gentilshommes, bourgeois, marchands et ecclésiastiques, la population est à la mendicité. Les curés de l'élection de Cahors disent en 1700 : Nous croirions être capables d'homicide et de la plus grande cruauté, si nous ne prenions la liberté de vous exposer que nos paroissiens sont réduits à la triste nécessité de périr par la faim ou d'abandonner le pays. Dans l'Orléanais et le Maine, suivant une enquête officielle de 1687, beaucoup de maisons tombent en ruines et ne se relèvent point ; les paysans sont couchés sur la paille ; pas de meubles, point de provisions ; si beaucoup mangent du pain de blé noir, beaucoup aussi vivent de racines de fougère bouillies avec de la farine d'orge, ou d'avoine et de sel. Dans l'élection de Vézelay, suivant Vauban, il y a 441 familles de mendiants, près de 2000 personnes, soit .un onzième de la population ; 511 maisons en ruines et inhabitables, 248 maisons vides, qui font la septième partie des maisons du pays. En Bourgogne, à Tonnerre, il y a tous les jours, aux portes de la ville, 500 pauvres, et on n'y compte que 900 feux ; à Adon, près de la Bussière, dans l'élection d'Auxerre, 300 personnes sur 450 sont réduites à l'aumône. Encore si le peuple pouvait être secouru ! Mais les impôts, les affaires extraordinaires, dit Vauban, ont épuisé et mis à sec ce qui était resté de gens un peu accommodés, en état de soutenir le menu peuple de la campagne, qui de tout temps était dans l'habitude d'avoir recours à eux dans leur nécessité... ce qui faisait un commerce capable de soutenir les maures et les valets ; au lieu que les uns et les autres, venant à tomber en même temps et par les mêmes causes, ne sauraient que difficilement se relever. La France semble bien, comme l'écrivait Fénelon au Roi, s'être transformée en un grand hôpital désolé et sans provision.

La misère générale, la mortalité qui sévit surtout en 1693, 1694 et en 1709, et qui dans le Périgord seul fit périr, suivant l'intendant, le quart des habitants ; puis les grandes disettes, les froids terribles et les maladies contagieuses, mal soignées ; l'exode de 200.000 protestants, le départ d'un grand nombre d'ouvriers forcés au chômage, en Normandie, en Flandre, à Lyon ; la néfaste influence du système de la milice qui ne frappe que les paysans les plus pauvres et prive l'agriculture, déjà si accablée, d'une main-d'œuvre nécessaire ; la désertion de beaucoup de miliciens à l'étranger, surtout dans la région des Flandres, bref toutes ces causes sociales, économiques, politiques, diminuèrent la population du royaume.

Au reste, il est impossible d'établir par des chiffres, même a pproximativement, le mouvement de la population. Les statistiques précises manquent, et elles manqueront pendant toute la durée de l'ancien régime. Il y eut des essais d'enquête, des travaux particuliers, faits par l'abbé de Dangeau, et surtout par Vauban, qui cherchait déjà à appliquer une méthode précise à ce problème capital, mais pas d'enquête générale sérieuse.

En 1697, le duc de Beauvillier, dans son questionnaire aux intendants, demandait le nombre des villes, le nombre des hommes à peu près en chacune, le nombre des villages et des hameaux, le total des paroisses et des âmes de chacune ; il les invitait à consulter les anciens registres, pour voir si le peuple a été autrefois plus nombreux qu'il ne l'est ; les causes de sa diminution ; s'il y a des huguenots, et combien en est-il sorti ? La plupart des mémoires des intendants gardèrent le silence sur ces questions difficiles et gênantes ; le mémoire de la généralité de Paris ne donna même pas le recensement de cette ville.

Pour l'établissement de la première capitation, en 1695, on demanda un recensement aux curés ; en 1693, au moment de la disette, on demanda aussi le compte des bouches à nourrir. On ne réussit pas davantage à obtenir des renseignements.

Des dénombrements de 1709 et 1713, que nous possédons, ne concordent pas entre eux ; ils sont faits par feux, d'après des registres municipaux et des rôles de taille défectueux ; et ils ne s'accordent pas avec les dénombrements partiels par tête que nous avons pour quelques élections.

Vauban, se fondant sur les enquêtes des intendants de 1698, donne à la France une population de 19 millions d'habitants vers 1700, et il pense que, de 1700 à 1707, année où il publie sa Mme, la perte a dû être de 4 à 500.000 âmes. On ne peut pas évaluer la perte d'habitants, de 1685 à 1715, à moins d'un million d'habitants sur 19 ou 20. Et ceux qui ont disparu, paysans, ouvriers, marchands, industriels, sont autant de forces vives enlevées au pays.

Une situation aussi lamentable inquiétait depuis longtemps le Gouvernement, les intendants, enfin un certain nombre d'esprits élevés, qui commençaient à s'adonner aux études d'économie sociale. Ils proposaient des remèdes à tous ces maux.

On revenait aux idées et aux pratiques de Colbert, à la guerre au célibat : qu'on recule à vingt-cinq ans l'âge de l'entrée en noviciat, demande Saint-Simon, qui redoute ce qu'il appelle une désertion. Le célibat superflu et inutile, joint à celui des prêtres qui est indispensable, dit-il, tarit le royaume. On le voit par les milices et par le peu d'hommes qui restent dans les campagnes, et même de jeunes gens dans les petites villes, tandis que l'Allemagne et le Nord fourmillent d'hommes. Vauban n'est pas moins sévère pour les ecclésiastiques, moines ou religieux qui ne foisonnent que trop dans le royaume. Enfin il faudrait diminuer les impositions et les répartir plus équitablement, pour augmenter la production et la consommation des denrées et, par suite, la population, mais cette réforme était impossible : il fallait bien entretenir le Roi et ses guerres. Quant à la charité, malgré la création de quelques hôpitaux, l'établissement temporaire d'ateliers pour les pauvres et de greniers publics donnant le blé au prix coûtant ou à perte, elle était rudimentaire et tout à fait insuffisante[9].

Les révoltes, déjà fréquentes au temps de Colbert, deviennent, surtout à la fin du règne, une maladie chronique dans un royaume qui semble en décomposition. En 1709, écrit le contrôleur général Desmaretz, la crainte de manquer de pain a agité les peuples jusqu'à la fureur ; ils ont pris les armes pour enlever les grains avec violence ; il y a eu des séditions à Rouen, à Paris et presque dans toutes les provinces ; ils se sont fait une espèce de guerre qui n'a cessé que pendant qu'ils ont été occupés à la récolte. Desmanetz, le 11 mars 1709, donne l'ordre aux intendants d'empêcher les attroupements de jour ou de nuit des pauvres des villes et des campagnes qui arrêtent et mettent an pillage les voitures de grains. Les émeutes provoquées par la -disette et par la législation sur les grains sont innombrables. Aux troubles qu'occasionnaient déjà les anciens impôts, la taille, la gabelle, s'ajoutent ceux que causent les nouveaux. L'extension du droit de contrôle, en 1706, aux actes de baptême, de mariage et de sépulture, amena des révoltes graves en Périgord et surtout en Quercy. Les pauvres et beaucoup d'antres petites gens, raconte Saint-Simon, baptisaient eux-mêmes leurs enfants sans les porter à l'église, et se mariaient sous la cheminée par le consentement réciproque devant témoins, lorsqu'ils ne trouvaient point de prêtre qui voulût les marier chez eux et sans formalité. En mars 1707, à Cakes, à deux lieues de Cahors, 7 ou 800 habitants des communautés voisines se donnèrent rendez-vous pour tuer les commis, brûler les maisons et enlever les registres. Une bande d'insurgés investit la ville de Cahors ; ils criaient qu'ils payeraient bien la taille au Roi et la rente au seigneur, et la capitation, s'ils le pouvaient, mais que, étant réduits à une extrême misère, ils ne pouvaient faire davantage. S'il était possible, écrivait à Chamillart le procureur général Daguesseau, de substituer quelque autre secours à la place de celui que le Roi peut retirer de cet édit, ce serait certainement un des plus grands biens que vous pussiez procurer à tout le royaume. Nouvelle émeute en Quercy en 1709. L'intendant de Montauban écrivait, une fois l'ordre rétabli :

Les auteurs de tous les tristes mouvements du Quercy ne seraient pas difficiles à trouver, ayant tous leurs noms écrits dans mon portefeuille ; mais ils sont en si grand nombre qu'il serait dangereux d'en vouloir faire des exemples sans s'exposer à renouveler ces terribles désordres, calmés avec tant de promptitude et de bonheur. Il y en eut neuf des plus coupables que je fis pendre sur-le-champ. Cela produisit son effet. Je ne saurais penser sans frémir que j'ai vu 30.000 hommes armés en Quercy, Cahors assiégé pendant dix jours, 'et moi investi dans ma chaise par un détachement de cette bonne compagnie, dont je me tirai par miracle.

Dans les régions industrielles, comme en Normandie en 1685 et en 1709, des ouvriers réduits au chômage se révoltèrent. A Orléans, en février 1709, à la suite de la création d'un droit de marque sur les bas, qui ne pouvait manquer de diminuer la consommation, les fabricants de bas et de bonnets ne donnèrent plus de travail à leurs ouvriers. Quatre cents cardeurs et autres petites gens allèrent trouver l'intendant : Ils parlaient dans les rues fort séditieusement, écrit-il, disant qu'ils reviendraient le lendemain plus de trois mille. Il ordonna aux maîtres de procurer du travail à ces pauvres gens. Très souvent, les intendants et le lieutenant général de police, à Paris, intervinrent pour forcer les patrons à faire travailler ; ainsi d'Argenson, en 1108, réunit les maîtres et gardes des marchands bonnetiers qui avaient interrompu le travail ; les ouvriers rentrèrent ; un patron, moins accommodant que les autres, fut envoyé au Châtelet. Mais de telles interventions n'étaient que des remèdes momentanés à une situation sans issue.

La misère cause des perturbations étranges. Il suffit que des troubles se produisent dans une région pour que, immédiatement, la panique gagne de proche en proche toute une grande province. En 1703, presque le même jour, du 28 au 29 septembre, une panique, partie du pays des Cévennes où s'agitaient les Camisards, se répandit, par le tocsin sonné d'église en église, ou par des messagers, avec une vitesse étonnante, dans le Castrais, l'Albigeois et la plaine toulousaine. Les brigands, assurait-on, allaient venir, ils étaient là, terriblement armés, prêts à tout détruire. Les habitants de chaque paroisse, de chaque ville, se rendaient au devant des brigands qui n'existaient que dans leur imagination. Ces peurs sont un signe certain de la misère des temps, de l'insécurité générale, de l'énervement des esprits.

La misère générale, les révoltes continuelles sont les résultats des guerres, des excessives dépenses du luxe royal, de la révocation de l'édit de Nantes, du système économique et fiscal. Despote en économie politique comme en religion et en administration, l'État entrave les initiatives individuelles ; il réduit à l'obéissance les négociants et les fabricants, et aux protestations que provoque cette intervention continuelle il répond qu'il sait mieux que personne ce qui convient au travail national. Cependant, telle est, même dans ce temps de compression, la vitalité de l'esprit français, que l'activité des particuliers a continué de se manifester. Des symptômes apparaissent d'un relèvement du travail. Mais la France a laissé passer le moment où elle pouvait, étant plus forte qu'aucun autre État de l'Europe, s'enrichir, accroître sa population et se répandre sur les mers. Sa fertilité naturelle, le capital acquis, l'activité de ses habitants lui permettaient de devenir la maîtresse du monde. Colbert avait offert à l'ambition d'un roi jeune et glorieux la réalisation de ce rêve. Le rêve n'a pas séduit Louis XIV, dont toute la conduite et toute la politique furent contraires aux intentions de son ministre. Par la faute du Grand Roi, la France, à une heure décisive de son histoire, a manqué sa fortune.

 

 

 



[1] BIBLIOGRAPHIE. — Voir la bibliographie, déjà citée, dans la Revue d'histoire moderne, 1902, et, pour les sources, les bibliogr. des chapitres II et III et celles du tome VII, 1, p. 233.

SOURCES. Savary des Bruslons, Dictionnaire universel du commerce, 1723. Jacques Savary, Le parfait négociant, 1673, 2e édition, 1757. Arnould, De la balance du commerce..., 1761, 2 vol. Abbé Guyon, Histoire des Indes Orientales, Paris, 1774, 3 vol. (t. III). Du Fresne de Francheville, Histoire de la Compagnie des Indes Orientales, Paris, 1746, 9 vol. Scheler, État de la Perse en 1660, 1890. Mémoires de François Martin (1665-1694), Arch. nat., T. 1169. Margry, Mémoires et documents pour servir à l'histoire des origines françaises des pays d'outre-mer (1876-1886), 6 vol. Moreau de Saint-Méry, Lois et constitutions des colonies françaises de l'Amérique sous le Vent, Paris, 1784 (t. I et II). Le Code Noir (1685), dans le recueil d'Isambert ; cf. aussi l'édition de 1788. Mémoires des députés du commerce (Nantes, La Rochelle) déjà cités ; mémoires des intendants de Bretagne, de La Rochelle, de Guyenne. P. Charlevoix, Histoire de Saint-Domingue, 1730.

OUVRAGES À CONSULTER. E. Gabory, La marine et le commerce de Nantes au XVIIe et au commencement du XVIIIe siècle, Rennes, 1902. E. Garnault, Le commerce rochelais au XVIIIe siècle, t. I et II, 1867. Masson, Histoire du commerce français dans le Levant au XVIIe siècle, 1896. Histoire des établissements et du commerce français dans l'Afrique barbaresque (1560-1793), 1903. Caix de Saint-Aymour, Histoire des relations de la France et de l'Abyssinie chrétienne sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV (1634-1706), 1886. Lanier, Étude historique sur les relations de la France et du royaume de Siam de 1662 à 1703, 1883. Madrolle, Les premiers voyages français à la Chine. La compagnie de la Chine (1698-1719), 1902. Ew. Dahigren, De franska sjöfärderna till soderhafvet i början af adertonde seklet, Stockholm, 1900, in-8° (La navigation des Français dans la mer du Sud au début du XVIIIe siècle). H. Lorin, Le comte de Frontenac. Étude sur le Canada français à la fin du XVIIe siècle, 1895, in-8° (bibliographie du sujet). Parkmann, Count Frontenac and New France under Louis XIV ; The old regime in Canada ; La Salle and the discovery of the great West, 1885. P. Chesnel, Histoire de Cavelier de la Salle, 1900. Peytraud, L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897 (bonne bibliographie des sources). Œxmelin, Histoire des aventuriers flibustiers qui se sont distingués dans les Indes Occidentales, trad. franç., Trévoux, 1844, 4 vol. Le P. Label, Nouvelle relation de l'Afrique occidentale, 3 vol. Berlioux, André Brüe et la colonie du Sénégal, 1874.

[2] Le commerce intérieur se fait toujours par les mêmes voies, les grandes vallées et les passages faciles. Certaines routes, comme celle de Lyon à Roanne, prennent plus d'importance. Plusieurs rivières devenant navigables on étant mieux reliées aux autres, de nouvelles routes se trouvent créées. Mais, en réalité, les grands courants commerciaux restent les mêmes.

[3] L'alcade de Portugalete arrête une barque française qui se dirige vers Bayonne et la visite en brisant à coups de hache plusieurs caisses de marchandises. L'alcade d'Iran arrête les officiers de la frégate la Cantabrienne, pour saisir tout l'argent qu'ils ont sur eux. Les autorités espagnoles visitent les maisons des négociants français à Cadix et Alicante, rompent les portes, saccagent les magasins, pour arracher aux Français une nouvelle contribution (1714). Les corsaires de Majorque et de Barcelone, rebelles à la domination de Philippe V, courent sus aux navires français. A Saint-Domingue, le résident espagnol favorise la désertion des nègres des colons de France.

[4] Bien que les Anglais, par le traité de lord Methuen, en 1703, eussent accaparé presque tout le commerce de Portugal, les Français, surtout après le traité commercial du ii avril 1713, rétablirent leurs relations avec ce pays. En 1716, le commerce de la France avec le Portugal montait à un million de livres.

[5] Comme nos exportations étaient inférieures à nos importations, nous importions au Levant de l'argent, des piastres, d'une valeur de 3 livres environ, qui venaient des Indes Occidentales par l'Espagne et l'Italie.

[6] D'ailleurs, ce commerce souffrait du défaut de piastres, que nous ne tirions plus d'Espagne, notre commerce avec ce pays s'étant resserré, et le roi d'Espagne, en 1708, le roi de France, en 1706, ayant réquisitionné cette monnaie.

[7] Avec les États de l'Europe centrale la France ne fait, à la fin du règne de Louis XIV, qu'un commerce de second ordre, mais qui tend à prendre plus d'importance. La Suisse fournissait surtout des matières premières et des denrées. Le commerce avec l'Allemagne intéressait surtout l'Alsace et la Lorraine qui, étant toujours considérées en France comme pays étrangers n'étaient séparées de l'Empire par aucune ligne douanière. Mais les guerres, les péages sur le Rhin l'entravèrent beaucoup. De Prusse la France tirait des matières premières et des denrées : acier, fer, plomb, blé, cuirs. Pour faire concurrence aux Hollandais, le Gouvernement songea, en 1713, à signer avec le roi de Prusse un traité de commerce fondé sur la réciprocité et sur des droits modérés. La France recevait beaucoup de produits du Danemark, de la Norvège et de la Suède ; elle y envoyait aussi, par les Hollandais et les Hanséates, des produits manufacturés, des vins et surtout du sel. Chaque année, après 1700, les ports de Stralsund et de Stettin recevaient en moyenne 3.200 tonneaux de sel de France, qui remontait ensuite l'Oder jusqu'à Breslau. Le port de Riga en recevait trois fois plus (14.600 tonneaux) ; une partie de ce sel remontait la Dune et arrivait en Russie où on le blanchissait. Après la paix de Ryswyk, en essaya d'établir des relations phis intimes avec la Russie. En 1700 et 1701, les commerçants de Saint-Malo, qui avaient déjà tenté de commercer par Arkhengel, et un négociant de Rouen, Legendre, demandèrent un traité de commerce avec le tsar, qui fut signé en 1716.

[8] En Guinée, la Compagnie de ce nom fait un commerce de poudre d'or et surtout de bois d'ébène, qui est dirigé pour la plus grande partie vers les Antilles.

[9] La charité privée avait surtout un caractère confessionnel ; il y avait une assistance catholique, une assistance huguenote. Aux catholiques des compagnies paroissiales donnaient des aumônes en argent, en aliments, en vêtements, en médicaments. Elles ne secouraient pas les mendiants, niais seulement les pauvres honteux. Elles se proposaient le relèvement du pauvre par des offres de travail qui lui permissent de continuer son métier. En 1703, la compagnie paroissiale de Saint-Séverin, à Paris, propose de fournir aux pauvres tes outils et la matière première (cuir, laine, soie, etc.). On ne secourra, suivant le règlement de la Compagnie paroissiale de Saint-Paul (1684), que ceux qui, grâce à l'assistance par le travail, seront capables de se relever. Après iêSo,on organisa sérieusement os fonda, grâce à l'activité des intendants et au zèle de certains religieux, comme les Pères Charrand, Dunod et Guevarre, les hôpitaux d'Aix, de Marseille (1687), d'Apt (1690), de Mimes, d'Avignon, de Valence, de Grenoble, de Poitiers, de Delle, etc. ; en 1688, l'hôpital général de Paris compte 1.600 pauvres, dont 500 au moins n'ont pas demeuré six ans à Paris. De là une mauvaise installation, plusieurs malades dans un même lit, et toutes tes horreurs qui dureront encore un siècle.

En 1685, l'intendant de Rouen fait faire par des pauvres valides un grand chemin le long de la Seine, de Saint-Ouen à Pont-de-l'Arche ; il y occupe 400 à 500 ouvriers, qui gagnent chacun au moins 4 sous et au plus 8 ; il leur donne du pain à meilleur marché que celui des boulangers. Basville, Foucault établirent souvent dans leurs intendances des ateliers de ce genre ; en 1693, en 1709, on les multiplie dans tout le royaume.