I. — POLITIQUE MENAÇANTE. PAR la trêve conclue à Ratisbonne en 1684, Louis XIV n'avait obtenu de l'Europe qu'un consentement provisoire aux acquisitions qu'il avait faites depuis la paix de Nimègue. L'Empereur n'avait accepté cette trêve que parce qu'il ne pouvait pas faire en même temps la guerre sur le Rhin et en Hongrie. Il comptait reprendre la lutte contre la France dès que les circonstances seraient favorables. La Suède et la Hollande n'étaient pas intervenues par les armes pour soutenir l'Espagne, dans la dernière guerre que la France lui avait faite. L'accord conclu à la Haye avait donc été inefficace. Mais l'esprit qui l'avait inspiré était plus fort que jamais, et se répandait par toute l'Europe, où la France perdait la plupart de ses amis. Dans ces conjonctures, l'effet produit par la révocation de l'édit de Nantes fut désastreux. Comme, au même moment, en Angleterre le catholique Jacques II succédait à son frère, et, en Palatinat, le catholique Philippe de Neubourg au calviniste Charles de Simmern, les protestants s'inquiétèrent d'une ligue possible pour l'extermination de la Réforme. En Hollande, il fut question d'expulser de la République les jésuites et les membres des congrégations catholiques. Les prédicateurs invectivèrent la France ; Louis XIV fut chansonné dans les rues. En Angleterre, Jacques II fut obligé, pour ménager l'opinion, de désapprouver la conduite du gouvernement français et de faire distribuer, sur ses fonds privés, quelques secours aux protestants de France, réfugiés dans ses États. L'électeur de Brandebourg ne s'était jamais désintéressé de ses coreligionnaires français. Il était intervenu en leur faveur auprès du Roi et il avait accueilli les fugitifs. Après la Révocation, son représentant à Paris, Spanheim, organisa des agences d'émigration. Le 8 novembre 1885 Frédéric-Guillaume répondit à l'édit de Fontainebleau par l'édit de Potsdam qui promit aux émigrés asile et secours dans ses États. Lorsque Louis XIV se plaignit du dispositif de l'édit et du préambule, qui déplorait les persécutions, le Grand Électeur s'expliqua en termes fiers : De même que le roi de France montre au monde entier, par tant d'actions éclatantes, le zèle qu'il apporte à propager sa religion, comment pourrait-il nous faire un crime de n'être pas indifférent dans la nôtre et d'ouvrir nos bras à nos malheureux coreligionnaires qui font à leur conscience le sacrifice de tous leurs biens et qui préfèrent une vie misérable à l'abjuration. Le Roi savait les sentiments de l'Europe. Il les brava, point seulement par orgueil[3], semble-t-il, mais par calcul. Il pensa que, si la crainte qu'il inspirait venait à cesser, toutes les puissances se réuniraient contre lui. Il fallait donc continuer à leur faire peur, leur en imposer au point qu'elles ne pussent même plus concevoir la pensée de se mesurer à lui. Il poursuivit ses desseins contre la République de Gênes qu'il voulut punir des bonnes relations qu'elle entretenait avec les Espagnols. En 1683, il lui défendit d'armer ses galères et d'en construire de nouvelles, parce qu'elles étaient, disait-il, destinées au service de l'Espagne. Les Génois ayant continué leurs armements, il envoya Duquesne faire une démonstration devant la ville en mai 1684. Seignelay fit connaître aux Génois que, pour rentrer dans les bonnes grâces du Roi, ils devaient livrer quatre galères qu'ils venaient de construire, faciliter le transit du sel destiné à la garnison française de Casai, et envoyer un certain nombre de sénateurs à Versailles pour présenter les excuses de la République. Faute d'obéir à cet ultimatum, ils verraient combien sont épouvantables les effets de la colère d'un si grand roi. Les Génois délibéraient sur cette sommation lorsque les galiotes à bombes de la flotte française ouvrirent le feu[4]. En six jours, dix mille bombes détruisirent la ville aux trois quarts. Ce fut un si bel incendie que l'on pouvait lire la nuit sur les vaisseaux du Roi, qui étaient éloignés plus que de la portée des canons. Puis les troupes françaises firent une descente à San Pier d'Arena et incendièrent, au moyen de feux d'artifice, ce beau faubourg, rempli d'édifices de marbre. La flotte remit à la voile, mais Tourville resta en croisière avec quelques bâtiments pour attendre la soumission de la ville. Les Génois n'y paraissant pas disposés, Louvois prépara une nouvelle expédition. Louis XIV déclara au nonce du pape, qui essayait de le fléchir, qu'il ne voulait rien s'approprier de la République, mais qu'il entendait dévaster le territoire afin de laisser un exemple mémorable de sa vengeance à tous ceux qui oseraient l'offenser. Gênes se soumit en janvier 1685. Le doge, malgré la loi qui lui interdisait de sortir de la ville, alla en personne présenter au Roi la soumission de sa République. Les expéditions contre les Barbaresques inquiétèrent les Puissances maritimes. En 1681, Duquesne avait donné la chasse aux Tripolitains jusque dans les ports de l'Archipel et bombardé Chio, où ils s'étaient réfugiés. En 1683 et en 1686, Tripoli est bombardée par Duquesne et par d'Estrées. Alger subit trois fois le même sort. En 1682, Duquesne y avait jeté plus de 300 bombes[5]. L'année suivante, il avait reçu l'ordre de réduire cette ville en cendres. Il fallut un troisième bombardement, en 1688, pour imposer la paix aux Algériens en 1689. Les Tunisiens et les Marocains, menacés de leur côté, avaient fait aussitôt leur soumission[6]. En Espagne, la mort de Charles II semble toujours prochaine. L'Empereur, qui se prétend le seul héritier légal, promet à son gendre, l'électeur Max-Emmanuel de Bavière, qui a renoncé par avance à faire valoir les droits de sa femme à l'héritage, de lui faire donner le gouvernement des Pays-Bas[7]. Louis XIV concentre ses troupes sur la frontière des Pyrénées et envoie Feuquière dire à Madrid que si S. M. le roi d'Espagne donnait une portion de ses États à un prince qui n'y doit rien prétendre, elle pourrait se trouver embarrassée à conserver les pays qui la touchent le plus sensiblement. Charles II répond qu'il ne sait rien de ces projets. Louis XIV fait publier cette déclaration, et profite de l'occasion pour rappeler les droits du Dauphin à la succession. Une affaire de commerce faillit amener la guerre entre la France et l'Espagne. Le gouvernement de Madrid, bien qu'il eût réservé à ses nationaux le monopole du commerce avec ses colonies d'Amérique, tolérait d'ordinaire la participation à ce trafic de marchands étrangers. En 1685, cette tolérance cessa. En juin 1686, Louis XIV envoya une escadre devant Cadix et obligea les Espagnols à ôter les impôts nouveaux qu'ils avaient mis sur toutes les marchandises des Indes occidentales, dans le commerce desquelles les marchands français étaient intéressés pour trente ou quarante millions, et les força à ne les empêcher plus de joindre leurs vaisseaux à la flotte qui allait tous les ans chercher de l'argent et de l'or au Pérou, et d'y charger leurs effets comme ils avaient accoutumé. A l'égard de l'Empereur et de l'Empire, la politique de Louis XIV fut d'abord prudente. Pour amener Léopold à convertir la trêve de Ratisbonne en traité définitif, le Roi se montra modéré dans l'affaire du Palatinat. Le 26 mai 1685 meurt sans enfant l'électeur palatin Charles de Simmern. Philippe-Guillaume de Neubourg, chef de la branche la plus voisine, catholique et beau-père de l'Empereur, prend possession de l'héritage et se fait admettre dans le collège électoral. Louis XIV proteste, fait valoir les droits de sa belle-sœur, Madame, sœur de l'électeur défunt, au nom de laquelle il réclame la fortune mobilière du défunt, et une partie du Palatinat rhénan : la ville d'Oppenheim, la principauté de Simmern avec la ville de Kaiserslautern et une partie du comté de Sponheim. Au surplus il déclare qu'il aurait le droit d'occuper tout le pays, mais qu'il y renonce pour ne pas troubler l'Empire en guerre contre les Turcs. Effectivement, au lieu de procéder, comme à l'ordinaire, par voie de fait, il envoie l'abbé Morel pour négocier ; il affirme qu'il veut convenir amiablement de ce qui revenait à Madame, et propose même, le 10 Octobre, de soumettre le différend à l'arbitrage du Pape. Mais les princes allemands sont décidés à ne pas souffrir l'intervention pontificale dans une affaire purement germanique. Et malgré la modération de Louis XIV, l'affaire du Palatinat fait craindre à l'Allemagne une nouvelle conquête en pleine paix. Dans les Provinces-Unies, l'ambassadeur français, d'Aveux, suivait la politique traditionnelle, qui était de former, contre les princes d'Orange avec les républicains et notamment avec la municipalité d'Amsterdam, un parti, qui, étant puissant et irrité, aurait favorisé les desseins de la France. Malheureusement dans le temps que Messieurs d'Amsterdam se soutenaient avec vigueur...., ce qui arriva aux coreligionnaires en France fit surseoir leurs poursuites et donna un grand avantage au prince d'Orange ; néanmoins, ils se relevèrent de cet abattement. Mais lorsqu'on les inquiéta dans leur commerce, qu'on défendit l'entrée des harengs frais en France, et qu'on empêcha, contre la teneur des traités, le débit de leurs draps, qu'ils n'eurent permission ni de vendre, ni de retirer hors du royaume, ils perdirent leur crédit et la confiance que les peuples avaient en eux ; de sorte que se voyant incapables de rien faire pour la France, ni en état de se maintenir eux-mêmes, les uns et les autres se soumirent au prince d'Orange, pour n'être pas emportés par le torrent. Avec les alliés qui lui restaient, la politique de la France fut conduite de façon à ne laisser à aucun d'eux le moindre espoir de retirer un profit quelconque d'une alliance, qui n'avait d'utilité que pour une seule des parties. L'électeur de Brandebourg, dont l'intervention a été si opportune lors des négociations de 1684, compte agrandir ses États aux dépens de la Suède ; le Roi s'y oppose. L'Électeur essaye de se rapprocher de la Hollande, mais sitôt que Louis XIV apprend qu'une convention défensive a été signée entre les deux États le 13 août 1685, il veut obliger son allié à déclarer, par écrit, qu'il continuera d'observer les traités avec la France, quelque engagement nouveau qu'il ait pris, et qu'il n'en prendra plus à l'avenir sans l'assentiment du Roi. Frédéric-Guillaume se débat comme il peut. Le 5 décembre 1685, il se soumet à demi : il ne signe pas la déclaration exigée, mais il écrit une lettre dont les termes équivalent presque à ceux de la déclaration. Ce témoignage de la soumission de la cour de Berlin sembla être un grand succès pour la diplomatie française. Ce fut une blessure de plus faite à l'Électeur. Louis XIV se défiait avec raison du duc de Savoie, bien que ce prince lui fût lié par un traité, signé en 1682, et par son mariage avec une fille de Monsieur. Victor-Amédée, renfermé en lui-même, ardent ambitieux sous un masque de froideur, avait des traits de ressemblance avec Guillaume d'Orange. Sa conduite ressemblait fort aussi à celle de Frédéric-Guillaume. De plus en plus se marquait la curieuse analogie entre les caractères et les procédés des maisons de Savoie et de Hohenzollern. Or, le Roi traita Victor-Amédée en petit garçon. Au mois d'octobre 1684, le duc veut aller passer quelques semaines à Venise : Louis XIV, soupçonnant que ce projet couvre une intrigue diplomatique, défend le voyage. Le duc de Carignan, alors héritier de Savoie, épouse en secret une princesse de Modène : le Roi, qui s'était opposé à ce mariage, veut le faire annuler. Le duc se contente de bannir Carignan, et s'abrite derrière l'avis du Conseil de conscience pour déclarer que l'annulation est impossible. A quelque temps de là, le prince Eugène de Savoie, qui, disgracié par Louis XIV, a pris du service dans l'armée impériale, est bien reçu à la cour de Turin : l'ambassadeur français fait les plus blessantes remontrances à Victor-Amédée et déclare qu'on ne payera plus le subside promis par le traité de 1682. Lorsqu'il annonça à Victor-Amédée, en octobre 1685, la révocation de l'édit de Nantes, l'ambassadeur, marquis d'Arcy, l'engagea à prendre des mesures rigoureuses contre les quelques milliers d'hérétiques qui, sous le nom de Vaudois ou de Barbets, vivaient dans certaines vallées des Alpes. Le Roi craignait que ce pays ne servit d'asile aux fugitifs du Dauphiné. Victor-Amédée reçut avec toute sorte de respect et de reconnaissance les conseils de Sa Majesté ; mais il demanda à réfléchir, car plusieurs de ses prédécesseurs avaient tenté inutilement de le faire, et avaient même porté de grands désordres dans ces pays-ci par de telles entreprises. Il chercha des moyens termes, essaya des expédients. Finalement, en avril 1686, les troupes de France et de Savoie, — environ sept à huit mille hommes, — sous le commandement de Catinat, entrèrent dans les vallées et commencèrent à nettoyer le pays de ces obscénités. Dès le mois de mai, la résistance fut brisée et il n'y eut plus que des mouvements de partisans, que l'on réprima d'une manière atroce. En juin tout était fini : Ce pays, écrit Catinat, est parfaitement désolé ; il n'y a plus ni peuple ni bestiaux. En Angleterre, il s'agissait de continuer avec le roi Jacques la politique qui avait si bien réussi avec Charles II : neutraliser une nation nettement hostile, en s'attachant son roi de gré ou de force. Pour cela il fallait mettre le gouvernement anglais dans l'impossibilité de se maintenir sans l'appui de la France et par conséquent le brouiller avec le Parlement. On peut tenir pour une maxime indubitable — écrit l'ambassadeur de France Barillon — que l'accord du roi d'Angleterre avec son Parlement, en quelque manière qu'il se fasse, n'est pas conforme aux intérêts de Sa Majesté. Louis XIV commença par envoyer un subside de cinq cent mille livres au nouveau roi. Il n'y a que votre maître — dit Jacques à Barillon — pour faire si bien, si noblement les choses ; je ne pourrai jamais lui être assez reconnaissant ; dites-lui bien que mon attachement durera autant que ma vie. Il déclara que le gouvernement anglais ne ferait aucune opposition, si la France s'annexait le Brabant ou le Hainaut, et il envoya un ambassadeur extraordinaire assurer à Louis XIV sa reconnaissance. Mais ce même roi Jacques avait le sentiment de sa dignité et une haute idée de la grandeur anglaise. Il voulut connaître par le détail les honneurs qu'on rendait à son envoyé à Versailles, afin de traiter de la même façon l'ambassadeur de France à Londres. Louis XIV souriait. Le roi mon frère est fier, disait-il, mais il aime les pistoles de France. Cependant, des réformes dans la marine, la confiance accordée par Jacques à un adversaire de l'influence française, le marquis de Halifax, l'éloignement où est tenu notre ambassadeur Barillon, des bruits d'alliance avec les ennemis de la France, inquiètent la cour de Versailles. Ces velléités d'indépendance ne devaient pas durer. Jacques II voulait devenir absolu chez lui, avoir une forte armée permanente et révoquer l'acte d'Habeas corpus, qui protégeait la liberté individuelle contre des arrestations arbitraires. Il voulait surtout abolir l'acte du Test, qui excluait les non-anglicans des fonctions publiques, et rétablir dans son royaume le catholicisme. Le Parlement s'alarma. Aux whigs, défenseurs des droits de la nation, s'unirent les tories, partisans de l'obéissance passive au souverain, mais anglicans dans l'âme. Louis XIV envenima le conflit : l'ambassadeur Barillon et un autre diplomate français, Bonrepaus, qui négociait à Londres un traité de commerce, poussaient le roi Jacques à bien établir son autorité chez lui et à protéger sa religion. Sans s'en douter, Louis XIV travaillait à la révolution d'Angleterre, qui devait lui être si fatale. II. — LA LIGUE D'AUGSBOURG[8]. CEPENDANT Guillaume d'Orange et l'empereur Léopold travaillaient à réunir l'Europe contre la France. Pour Guillaume, plus que jamais, la lutte contre Louis XIV était la condition de son autorité en Hollande et de son crédit en Europe[9]. C'était sa carrière. Il profita des violences et des fautes de Louis XIV. Blessés dans leurs opinions religieuses et dans leurs intérêts commerciaux, les bourgeois d'Amsterdam cessaient leur opposition au stathouder. Le roi d'Angleterre renouvelait avec les États Généraux les anciens traités d'alliance le r août 1685. L'électeur de Brandebourg, bien qu'assujetti à l'alliance de la France, gardait toute sa sympathie aux Hollandais. Le roi de Suède signait un nouveau traité d'union avec eux le 12 janvier 1686. Bien mieux, par l'entremise de Guillaume d'Orange, le 10 février 1686, le Grand Électeur contracta avec le roi de Suède un pacte, dont les articles secrets envisageaient le péril croissant de leur religion. Ces alliances, bien que simplement défensives, étaient le point de départ d'une ligue de toutes les puissances protestantes contre la France. Les puissances catholiques, d'autre part, se rangeaient autour de l'Empereur. Tandis que Louis XIV conspirait avec les Turcs, Léopold apparaissait comme le défenseur du monde chrétien contre les Infidèles. Les victoires remportées montraient l'Empire moins affaibli qu'on ne le pensait. Il semblait que la conquête de la Hongrie et de la Transylvanie fût proche. Une fois délivré d'ennemis dangereux, Léopold pourrait se tourner contre la France. Déjà, à Vienne, un parti puissant conseillait de faire la paix avec les Turcs. L'électeur de Bavière, depuis qu'il avait épousé, en 1685, l'archiduchesse Marie-Antoinette, suivait plus que jamais l'impulsion des Habsbourg. Ceux-ci pouvaient compter sur l'alliance de l'Espagne, qui avait tant d'injures à venger, et toujours espérait un retour de fortune. Le duc de Savoie était impatient du joug français. Enfin toutes les sympathies du Pape allaient au prince qui réalisait son vœu le plus ardent, la croisade. Bientôt catholiques et protestants se rapprochèrent dans une entente commune. L'électeur de Brandebourg peu à peu s'engagea avec l'Empereur. L'agent impérial à Berlin, Fridag, sut prendre une grande influence à la cour de Berlin et notamment sur le prince électoral. En janvier 1686, il obtint de Frédéric-Guillaume l'envoi d'un contingent de quelques milliers d'hommes à l'armée de Hongrie. Deux mois après, le 22 mars, un traité secret fut signé. En échange de quelques avantages, dont le principal était annulé d'avance[10], Frédéric-Guillaume concluait une alliance défensive avec l'Empereur, pour vingt ans. Les deux princes s'engageaient à maintenir la trêve de Ratisbonne, à empêcher tout dommage causé à l'Empire sous le nom de réunions, dépendances, etc., notamment dans la région du Palatinat et de Juliers. De plus, le Grand Électeur promettait de donner sa voix à un Habsbourg, en cas d'élection à la couronne impériale, de garantir à l'Espagne la possession des Pays-Bas, de soutenir au besoin par les armes les prétentions autrichiennes à la succession d'Espagne[11]. Un autre pacte était destiné à une grande célébrité. Les cercles de l'Allemagne occidentale avaient songé à se grouper pour se protéger contre la France. Au mois de décembre 1685, le cercle de Franconie avait pris l'initiative de l'entente. L'Empereur comprit le parti qu'on pouvait tirer d'un pareil projet. Un congrès, réuni en juin 1686, aboutit, le 9 juillet, à former la ligue d'Augsbourg. Les contractants étaient l'Empereur, le roi d'Espagne pour le cercle de Bourgogne, la Suède pour ses États allemands, l'électeur de Bavière, le cercle de Franconie, la maison de Saxe Ernestine. Le cercle du Haut-Rhin, l'électeur palatin, le duc de Holstein-Gottorp s'y joignirent un peu plus tard. Le traité parait purement défensif. Il n'y est question que de l'union des États allemands pour conserver la liberté de la chère patrie, assurer le respect des traités de Westphalie et de Nimègue et de la trêve de Ratisbonne. Les associés se déclarent solidaires ; ils se tiendront prêts à faire marcher leurs troupes au secours de celui qui serait attaqué ou inquiété par des recherches injustes et des demandes illégitimes. Pour cela, on règle le contingent de chacun d'eux et le partage des commandements, on ordonne des manœuvres tous les ans, on prescrit l'établissement d'une caisse commune à Francfort. Cette ligue, qui réunissait à quelques princes de l'Allemagne du Sud deux États situés aux extrémités de l'Europe, l'Espagne et la Suède, et ne comprenait ni la Saxe, ni le Brandebourg, manquait de cohésion et de force réelle. Mais la Savoie, le Brandebourg, les Provinces-Unies, l'Angleterre, furent sollicités d'y entrer. En Hollande, il est vrai, d'Avaux déjoua les projets du prince d'Orange ; Messieurs d'Amsterdam donnèrent l'assurance de leurs intentions pacifiques et même obtinrent la réduction des dépenses pour l'armée et la marine. Le roi d'Angleterre refusa de s'occuper des affaires de l'Europe tant qu'il n'aurait pas rétabli son autorité à l'intérieur et fait quelque chose pour sa religion. Mais, d'autre part, Guillaume d'Orange s'entendit avec le Grand Électeur. Il est certain que, dans l'entrevue de Trêves, en août 1686, Frédéric-Guillaume promit son appui aux alliés, en cas de guerre avec la France. Louis XIV essaya de rompre la coalition qui se formait. Sa diplomatie travaillait partout. Il se plaignit à Rome des lenteurs de la cour pontificale dans le règlement de la succession palatine. Il menaça d'entrer en Allemagne pour assurer les droits de Madame et pour prévenir l'offensive de ses ennemis. Les ouvrages de Landau furent renforcés, la défense de Huningue complétée par la construction du fort Louis, dans une île du Rhin, et de retranchements sur les terres du margrave de Bade. La ligue n'était pas en état d'intervenir ; ses troupes n'étaient pas prêtes. Le Pape Innocent XI, qui voyait son œuvre de croisade menacée par une nouvelle guerre entre chrétiens, offrit ses bons offices à Vienne et à Versailles. Le nonce voulut convaincre Colbert de Croissy que l'Empereur, loin de songer à violer la trêve, souhaitait de la transformer en une paix équitable et solide. Aussitôt Croissy fit demander au Pape de presser la conclusion d'un traité définitif avec l'Empereur, avant le 1er avril 1687. Le Pape refusa de se charger de la négociation sous prétexte de l'insuffisance du délai accordé, mais la proposition française fut cependant transmise à la diète de Ratisbonne. On put croire un moment qu'elle allait aboutir : les électeurs de Mayence, de Cologne et de Trèves l'approuvaient ; l'électeur de Brandebourg ne s'y opposait pas. Mais le Palatin demandait que Louis XIV abandonna toute prétention sur ses États, et l'Empereur se contenta de déclarer, en mars 1687, qu'il ne songeait ni à faire la paix avec les Turcs, ni à faire la guerre à la France, et qu'il observerait la trêve de tous points. Louis XIV, qui ne voulait point la guerre, se donna pour satisfait. Les fortifications qu'il avait élevées sur la rive droite du Rhin près d'Huningue et le fort de Mont-Royal qu'il construisait dans une île de la Moselle, en aval de Trèves, subsistèrent. Il obtint même l'assurance que l'Empire ne prendrait pas prétexte de la construction de ces ouvrages pour déclarer la guerre à la France. Ce fut le seul avantage qu'il retira de ces négociations. III. — AFFAIRES DES FRANCHISES ET DE L'ÉLECTORAT DE COLOGNE[12]. ELLES n'étaient pas terminées que le Roi engageait un nouveau conflit, avec le Pape, cette fois. Entre Rome et Versailles, les graves dissensions, provoquées par l'affaire de la régale et envenimées par l'assemblée de 1682, n'étaient pas apaisées. La France était presque en état de schisme. Louis XIV, qui, au même moment, avait à se reprocher sa complicité avec les Turcs, s'était senti obligé à faire des avances au Pape. Il avait espéré, en soumettant à son arbitrage l'affaire du Palatinat, qu'Innocent XI lui serait reconnaissant de cette déférence. Il avait compté surtout sur l'effet que produirait à Rome la révocation de l'édit de Nantes. Innocent loua d'abord le zèle du Roi Très Chrétien. Puis, il craignit que la persécution en France n'amenât des représailles dans les États protestants, et que les excitations des réfugiés français ne déterminassent une guerre générale en Europe pour le plus grand profit des Turcs. Alors il montra de la bienveillance aux rares prélats français qui blâmaient les dragonnades, et il pria Jacques II d'intervenir auprès du Roi pour obtenir de lui un traitement plus doux en faveur des religionnaires. Ce fut une grande déconvenue pour Louis XIV qui manifesta son dépit dans l'affaire des franchises ou immunités. Les ambassadeurs des grandes puissances catholiques jouissaient à Rome de privilèges abusifs. Le droit d'exterritorialité ne s'appliquait pas seulement à leurs palais ; il s'étendait aux rues voisines et aux maisons de ceux qui obtenaient des lettres de familiarité. Les quartiers des ambassades, soustraits à la surveillance de la police pontificale, étaient devenus le refuge des filous, des filles publiques et des assassins, et aussi des contrebandiers, qui, sous le nom des ambassadeurs, introduisaient dans Rome des marchandises sans payer les droits. Plusieurs Papes s'étaient efforcés de porter remède à ces désordres, mais toujours sans succès. Innocent XI avait résolu d'en finir avec ce mauvais régime. Après avoir demandé vainement, en 1679, à Louis XIV de consentir à la suppression des franchises, il avait décidé de ne recevoir aucun nouvel ambassadeur qui ne déclarerait pas au préalable y renoncer. Après une résistance plus ou moins longue, toutes les puissances de l'Europe avaient cédé, excepté Louis XIV. II reconnaissait bien l'existence d'abus et se disait disposé à les réprimer, mais il voulait maintenir le principe d'exterritorialité et trouvait fort mauvais que le Pape commençât par l'exécution de cette sorte d'affaire avant que d'en être demeuré d'accord avec lui. L'affaire en était restée là jusqu'en janvier 1687. Lorsque mourut l'ambassadeur, duc Annibal d'Estrées, Innocent annonça que son successeur ne serait reçu au Vatican qu'à la condition de se conformer à la règle générale. Louis XIV répliqua que Dieu l'avait établi pour donner l'exemple aux autres et non pour le recevoir. Puis, après que le Pape eut lancé, le 12 mai, une bulle d'excommunication contre quiconque attenterait à sa souveraineté, le Roi nomma le marquis de Lavardin à l'ambassade de Rome. Au mois de novembre, Lavardin, précédé par un détachement de cent officiers et gardes de la marine, escorté de nombreux domestiques, fit son entrée à Rome en conquérant et s'installa au palais Farnèse. Innocent lui refusa audience et l'excommunia. Puis, l'ambassadeur ayant entendu la messe et communié à Saint-Louis des Français, bien qu'il fût anathème, le Pape mit l'église en interdit. Lavardin protesta. Croissy menaça le nonce de reprendre Avignon qui avait été donné aux Papes contre les lois du royaume. Louvois se prépara à envoyer des troupes à Civita-Vecchia. Au parlement de Paris, le procureur général de Harlay interjeta appel comme d'abus des sentences d'excommunication et d'interdit. L'avocat général Denis Talon prononça, le 23 janvier 1688, un violent réquisitoire où, après avoir rappelé les autres griefs du Roi, il concluait à l'appel au futur concile et au maintien des franchises. Le Parlement rendit un arrêt conforme. On semblait près du schisme. Louis XIV s'arrêta tout à coup. Un incident grave s'était produit, qui obligeait le Roi à des ménagements envers le Saint-Siège. L'archevêque-électeur de Cologne, Maximilien de Bavière, était depuis longtemps le client et le vassal de la France. Au mois de mai 1687, il se liait à Louis XIV par un nouveau traité : en cas de guerre, il s'engageait à remettre au Roi ses forteresses et son armée et à livrer passage aux troupes françaises. Mais il était vieux et malade. On pouvait craindre qu'à sa mort l'électorat ne passât entre des mains hostiles. Louis XIV résolut de faire nommer coadjuteur de Cologne le cardinal de Fürstenberg, évêque de Strasbourg, qui était un agent de la politique française depuis longtemps. Mais, pour l'élection d'un coadjuteur, il fallait, l'autorisation du Saint-Siège. Le chapitre de Cologne, travaillé par les agents français, jugea plus expédient de placer le Pape en face d'un fait accompli. Il fixa, de sa propre initiative, l'élection au 7 janvier 1688. Il s'agissait seulement, d'après les termes mêmes de la décision capitulaire, d'une présentation pour désigner un candidat au Pape, dans le cas où il jugerait la nomination d'un coadjuteur nécessaire. Innocent XI fit à l'archevêque des représentations énergiques. Il eût pu interdire l'élection, et c'est le parti que l'Empereur le pressait de prendre. Il préféra, pour ne pas compliquer ses rapports avec Louis XIV d'une nouvelle affaire, une procédure pacifique. En rappelant qu'il appartenait au Pape seul de décider si un coadjuteur était nécessaire, en déclarant que la situation politique générale n'était pas favorable à une élection, Innocent espérait que le chapitre renoncerait à pousser plus loin les choses. Mais, à la date fixée, le cardinal de Fürstenberg fut élu coadjuteur par dix-huit voix sur dix-neuf. Alors l'Empereur demanda au Pape d'annuler l'élection ; Louis XIV, de son côté, fit savoir qu'il considérerait cet acte comme le signal de la guerre ; Innocent trama les choses en longueur. Sur ces entrefaites l'électeur vint à mourir le 3 juin 1688. Il fallait donc nommer un archevêque-électeur. L'Empereur fit savoir que jamais il n'admettrait le cardinal de Fürstenberg dans le collège électoral, et l'électeur de Saxe déclara qu'on ne pouvait être à la fois prince de l'Empire et sujet de Louis XIV. La maison de Bavière ne voulait pas se laisser prendre' l'archevêché de Cologne, qu'elle regardait comme un bien de famille. Les princes allemands s'entendirent pour opposer à Fürstenberg le frère de l'électeur de Bavière, le prince Joseph-Clément. Tout de suite, le Pape marqua ses préférences pour le Bavarois. Pour être éligibles, les deux compétiteurs avaient besoin d'une dispense : Fürstenberg, parce qu'il était évêque titulaire de Strasbourg ; Joseph-Clément, parce qu'il était évêque désigné de Freisingen et de Ratisbonne et parce que, n'ayant que dix-sept ans, il n'avait pas l'Aga canonique. Le bref d'éligibilité fut refusé au premier, accordé au second. Dès lors, le cardinal ne pouvait plus être que postulé, c'est-à-dire présenté au Pape comme candidat du chapitre, et, pour ce cas, il fallait qu'il eût les deux tiers des voix, tandis que le prince de Bavière, s'il obtenait la simple majorité, serait élu. Le scrutin eut lieu le 19 juillet. Sur 11 voix le cardinal n'en eut que 43. Des autres suffrages, neuf se portèrent sur le prince de Bavière. Par le fait, il n'y avait ni postulé ni élu, et le Pape se trouvait maître de choisir lui-même le nouvel archevêque. Malgré tous les efforts de Louis XIV, Innocent, conformément à l'avis exprimé le 16 août par une congrégation de cardinaux, décida de nommer archevêque le Bavarois. Pour l'en détourner, Louis XIV, le 6 septembre, expédia au cardinal d'Estrées, à Rome, un manifeste virulent avec ordre de le lire au Pape et aux cardinaux. Il faisait retomber sur le Pape la responsabilité de la guerre qui allait éclater ; il affirmait sa résolution de maintenir Fürstenberg sur le siège de Cologne et de confisquer Avignon. Innocent XI invoqua la justice de Dieu, et, en présence du cardinal d'Estrées, fit expédier à Joseph-Clément les bulles de confirmation. IV. — RUPTURE DE LA TRÊVE DE RATISBONNE[13]. PENDANT que Louis XIV entrait en conflit avec Rome, l'Empereur poursuivait avec succès la guerre d'Orient. En 1686, les Turcs avaient perdu Bude ; en 1687, ils avaient été battus à Mohacz ; enfin, Belgrade, le boulevard de leurs propres États, fut prise le 7 septembre 1688. Quel changement en peu d'années pour l'Autriche ! En 1683, Vienne était en danger. Cinq ans après, l'archiduc Joseph, fils de l'Empereur, était couronné roi de la Hongrie reconquise, et les Turcs demandaient la paix. Il était certain que l'Empereur, libre de ce côté, se tournerait contre la France. En 1687, le comte de la Vauguyon, envoyé extraordinaire à Vienne, terminait ainsi la relation de son ambassade : J'ai laissé à mon départ la cour de Vienne pleine d'envie de porter la guerre sur les bords du Rhin, aussitôt que l'entière conquête du royaume de Hongrie sera faite. Il fallait donc essayer de la prévenir, en lui imposant la conversion de la trêve en paix. Colbert de Croissy essaya de l'obtenir par des négociations. Il n'y réussit pas. Louvois proposa d'employer la force : la France n'était prête ni pour de longues hostilités, ni pour une guerre générale, mais elle avait assez de troupes pour frapper un grand coup. Il fallait profiter de ce que les Turcs n'avaient pas encore posé les armes. L'Empereur, pris entre deux ennemis, aimerait mieux s'arranger avec la France que de compromettre sa situation en Orient. Le Pape lui-même, en considération de la croisade, consentirait peut-être à un accommodement au sujet de Cologne. Et, quoi qu'il arrivât, l'attaque des Français déterminerait assurément les Turcs à continuer les hostilités. D'un autre côté, l'attention de Guillaume d'Orange était, en ce moment, absorbée par les événements d'Angleterre. Le 20 juin 1688, la Reine était accouchée d'un fils. La femme de Guillaume d'Orange, Marie, n'était donc plus l'héritière de la couronne. L'opposition ne put se résigner à la perspective d'une lignée de rois catholiques. Le bruit fut répandu que le prince de Galle était un enfant supposé, qu'une fraude pieuse avait été organisée par les Jésuites pour empêcher une princesse protestante d'arriver au trône. Sept membres de la chambre des Lords invitèrent Guillaume à .se déclarer le défenseur de la religion et des libertés anglaises. Le stathouder était tout disposé à répondre à l'appel, par ambition personnelle, par dévouement à la cause protestante, par haine de Louis XIV. Il profita de l'émotion produite par l'affaire de Cologne, en Hollande, où l'on craignait l'établissement dans l'électorat tout voisin d'un nouveau vassal de Louis XIV. La flotte fut accrue de 24 bâtiments, et un camp formé à Nimègue. On s'assura l'assistance de 6.000 auxiliaires suédois. Frédéric III, qui vient de succéder en Brandebourg, en mai 1688, à son père le Grand Électeur Frédéric-Guillaume, et plusieurs princes allemands promettent de concourir à la défense de la République, si Louis XIV la menace. Cependant Guillaume est inquiet. Un mouvement offensif des troupes françaises du côté des Pays-Bas peut faire avorter l'expédition en inquiétant la Hollande. Que va faire Louis XIV ? Il avertit Jacques II de ce qui se trame contre lui et l'invite à prendre ses dispositions par terre et par mer. Mais Jacques pense que les armements de Guillaume ne sont pas dirigés contre lui mais bien contre la France. Aussi refuse-t-il l'offre de secours que lui fait la cour de Versailles. Bien mieux, il désavoue Louis XIV quand celui-ci fait savoir aux États Généraux, le 2 septembre 1688, qu'il regardera comme entrepris contre lui-même tout acte d'hostilité contre son allié d'Angleterre. Alors le roi de France comprend qu'il ne doit plus compter sur le gouvernement anglais. Il craint même que Jacques, pour garder sa couronne, ne s'unisse avec ses ennemis. Il se décide donc à ne rien faire pour arrêter l'expédition du prince d'Orange. En laissant Guillaume se jeter dans l'aventure anglaise qu'il suppose devoir être pénible et longue, il croit s'en débarrasser pour longtemps, et qu'il aura le temps de régler à son avantage ses différends avec l'Empereur. Louis XIV va donc, une fois de plus, faire entrer ses troupes sur le territoire de l'Empire[14]. Ce n'était pas une guerre qu'il croyait entreprendre, c'était une simple opération militaire. Il ne voulait pas faire de nouvelles conquêtes, mais prévenir l'ennemi par une irruption soudaine et le forcer à céder sur tous les points en litige. Il expliqua que son agression était, si l'on peut dire, défensive. Par le manifeste du 24 septembre 1688 il opposait à la générosité et à la modération de la France, lors de la trêve de Ratisbonne, la conduite hostile de l'Allemagne : le refus de convertir la trêve en traité, la formation de la ligue d'Augsbourg, les affaires du Palatinat et de Cologne. Pour se mettre en garde, disait-il, il était contraint de s'emparer de quelques places, d'où les ennemis pouvaient facilement pénétrer dans ses États. Comme preuve de ses intentions pacifiques, il s'engage d'avance à restituer Philippsbourg, qu'il va prendre ; il ferait même le sacrifice de rendre Fribourg, pour que la trêve fût convertie en un traité définitif. A l'électeur palatin il demanderait seulement, au nom de la duchesse d'Orléans, une compensation pécuniaire pour les droits de la princesse à la succession palatine. Enfin la France rappellerait ses troupes de l'électorat de Cologne, où elles étaient entrées pour soutenir Fürstenberg qui s'y était installé, et même procurerait à Joseph-Clément de Bavière la coadjutorerie, si le Pape et l'Empereur reconnaissaient comme archevêque-électeur le cardinal de Fürstenberg. Ces propositions devaient être acceptées dans un délai de trois mois. A partir de janvier 1689, le Roi reprendrait sa liberté. Aussitôt, Louis XIV met à exécution ses menaces contre le Pape et contre l'Empire. Contre Innocent, on interjette appel au concile général le 27 septembre 1688 ; Avignon est occupé en octobre ; à Rome, Lavardin multiplie ses provocations ; à Versailles, le nonce, Ranuzzi, étroitement surveillé, sert en quelque sorte d'otage. De nombreuses troupes pénètrent dans l'Empire, fin septembre et au début d'octobre, Sourdis et d'Asfeld s'établissent dans les places de l'électorat de Cologne[15]. D'Humières envahit l'évêché de Liège. L'armée du Rhin, sous le commandement nominal du Dauphin, qu'assistaient le maréchal de Duras et Vauban, fait le siège de Philippsbourg. Huxelles et Boufflers envahissent le Palatinat cisrhénan : le premier entre à Spire ; le second prend Kaiserslautern et occupe à peu près sans résistance les autres places. L'électeur de Mayence reçoit une garnison française dans sa capitale. L'Allemagne transrhénane est bientôt entamée. Le prince de Bade livre Durlach et Pforzheim ; Heilbronn ouvre ses portes ; un fils de l'Électeur abandonne Heidelberg, moyennant la permission d'emporter ses meubles. Cependant Vauban conduisait le siège de Philippsbourg. La ville avait des défenses très sérieuses. Des pluies continuelles et des maladies qui frappaient une armée, fatiguée déjà par les travaux de l'Eure, rendaient l'entreprise difficile. Après un siège très meurtrier, Philippsbourg se rendit le 29 octobre. Ce succès fut suivi de la capitulation de Mannheim le 12 novembre et de Frankenthal le 19 novembre. En moins de deux mois, les Français s'étaient rendus maîtres de la plus grande partie du Palatinat et, sauf Coblentz, qui avait résisté à un terrible bombardement, ils tenaient toute la rive gauche du Rhin moyen. Mais, au lieu de terrifier l'ennemi, ce coup de force l'exaspéra. Les envoyés français à Vienne et à Ratisbonne furent congédiés. L'Empereur avait répondu, le 18 octobre, au manifeste de Louis XIV, et quelques jours après plusieurs princes allemands décidaient l'envoi d'une armée de 21.000 hommes sur le Rhin. Comme le dit Spanheim, la France, pour éviter une guerre éloignée, incertaine, que mille accidents ou circonstances pouvaient détourner, en avait engagé ou plutôt précipité une, de gaieté de cœur. |
[1]
SOURCES. Dumont,
Corps universel diplomatique du droit des gens, t. VII et supplément, t.
III. Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de
Francs depuis les traités de Westphalie jusqu'à la Révolution. Paris,
Alcan, en cours de publication. Mémoires de Saint-Simon, édition A. de
Boislisle (Collection des grands écrivains), les 4 premiers volumes, Paris,
1879-1884. Journal du marquis de Dangeau (1684-1710), en 19 vol., les 6
premiers. Marquis de Sourches, Mémoires sur le règne de Louis XIV
(1681-1711). Ed. de Cosnac, Bertrand et Postal, en 13 vol., les 5 premiers.
Het archief van den
Readpensionaris Heinsius (1689-1720). Ed. van der Hem, La Haye, 1867-1880, 3 vol.
OUVRAGES. Outre les histoires générales et notamment la Geschiedenis van het Nederlandsche volk de P. J. Blok, t. V, Groningue, 1902 ; consulter : C. Roussel, Histoire de Louvois, Paris, 1868, 4 vol., les deux derniers. Legrelle, La diplomatie française et la succession d'Espagne, 1re édition en 4 vol., Paris. 1888-1892, le premier volume ; 2e édition en 6 vol., Braine-le-Comte, 1895. Macaulay, Histoire d'Angleterre depuis l'avènement de Jacques II, trad. J. de Peyronnet, 1875, t. II et III. Histoire d'Angleterre sous le règne de Guillaume III, trad. Pichot, 1861, les trois premiers vol. Sirtema de Grovestina, Guillaume III et Louis XIV, Saint-Germain-en-Laye, 1888, 8 vol., les t. V et VI. Onno Klopp, Der Fall des Basses Stuart und die Succession des Hauser Hannover in Grose-Britannien und Ireland (1660-1714), Vienne, 1875-1888, 14 vol., les t. V, VI et VII. D. Carutti, Storia di Vittorio Amedeo II, 3e édit., Turin, 1897. Comte d'Haussonville, La duchesse de Bourgogne et l'alliance savoyarde sous Louis XIV, Paris, 1898, le t. premier. H. Lonchay, La rivalité de la France et de l'Espagne aux Pays-Bas (1685-1700), Bruxelles. 1896.
[2]
SOURCES.
Spanheim, Relation de la cour de France en 1690. Éd. E. Bourgeois,
Paris-Lyon, 1900. Comte d'Avaux, Négociations en Hollande (1679-1688),
Paris, 1752, 6 volumes. P. L. Müller, Wilhelm III von Oranien und Georg
Friedrich von Waldeck (1684-1692), La Haye, 1873-1880, 2 vol. Zur Vorgeschichte des Orleans'schen
Krieges. Nuntiaturberichte aus Wien and Paris (1685-1688), publié par Max Immich,
OUVRAGES. G. F. Preuss, Oesterreich, Frankreich und Bayern in der spanischen Erbrolgefrage, 1686-1689, Histor. Vierteljahrschrift, 1901. Fruin, Prins Willem III in zijn verhouding tot Engeland, au t. V (1902) de ses Verspreide Geschriften. G. Pagès, Le Grand Électeur et Louis XIV (1660-1688), Paris, 1905. R. Durand, Louis XIV et Jacques II à la veille de la Révolution de 1689, Revue d'Histoire moderne, 1908.
[3] C'est le 28 mars 1686 que fut inauguré le monument de Louis XIV, érigé par La Feuillade sur la place des Victoires. Le Roi était représenté foulant aux pieds un Cerbère, symbole de la triple alliance. Autour du piédestal se trouvaient les statues des peuples vaincus et des bas-reliefs. Le roi de Suède, qu'on prétendait reconnaître dans une de ces figures, et le Grand Électeur, qui y voyait la personnification de l'Elbe et de l'Oder, en conçurent un vif mécontentement. Voir A. de Boislisle, Notices historiques sur la place des Victoires et sur la place Vendôme, dans les Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris, 1888.
[4] Voir le détail de cette expédition dans Jal, Abraham du Quesne et la marine de son temps, t. II (1873).
[5] C'est dans cette expédition qu'on fit le premier essai des galiotes à bombes, dues à Renan d'Eliçagaray, dit le Petit-Renau. Sur ces engins, voir Jal, au t. II de l'ouvrage cité plus haut.
[6] Voir P. Masson, Histoire des établissements et du commerce français dans l'Afrique barbaresque (1660-1793), Paris, 1903.
[7] Voir plus loin.
[8] Fester, Die Augsburger Allianz von 1688, Munich, 1893.
[9] E. Bourgeois, Manuel historique de politique étrangère, t. I, p. 88.
[10] Il s'agit de la cession du cercle de Schwiebus, en Silésie, que demandait Frédéric-Guillaume et que l'Empereur refusait. A la fin, Léopold abandonna ce district au Brandebourg. Le prince électoral, pour lever la difficulté, s'était par avance engagé é le lui restituer dès son avènement.
[11] Cet accord secret, signé le 22 mars, fut ratifié le 28 juin et complété dans l'intervalle par un traité ostensible, qui porte la date du 7 mai.
[12] Consulter les travaux de Gérin dans la Revue des questions historiques : Le pape Innocent XI et le siège de Vienne (1896) ; Le pape Innocent XI et la Révocation de l'Édit de Nantes (1878) ; Le pape Innocent XI et l'élection de Cologne (1883), et l'ouvrage de Max Immich, Papst Innocenz XI, Berlin, 1900.
[13] A consulter : Ch. Gérin, L'ambassade de Lavardin et la séquestration de nonce Ranuzzi (1687-1689), Revue des questions historiques, 1874. — Du même, Le pape Innocent XI et la Révolution anglaise de 1688. Ibid., 1876.
[14] On s'est demandé si Louis XIV n'aurait pas mieux fait d'attaquer la Hollande que l'Allemagne, et s'il n'aurait pas dû secourir Jacques II, malgré lui. Pour nous, qui connaissons les suites de la Révolution de 1688, la réponse n'est pas douteuse : il importait avant tout d'empêcher l'expédition de Guillaume. Mais la question ne se posait pas ainsi pour le roi de France. Il ne croyait pas déchaîner la guerre en attaquant l'Allemagne. De plus, il n'était pas en conflit avec les Provinces-Unies et il se défiait de l'Angleterre. Enfin, il ne pouvait prévoir la rapidité avec laquelle les événements allaient se dérouler en Angleterre. En réalité le plan de Louis XIV était, en septembre f688, le plus avantageux qu'il pût suivre, et il est certain que son parti n'avait pas été pris à la légère. A défaut de preuve venant du Roi, nous avons les témoignages de Chamlay et de Villars. Chamlay conseillait, le fi octobre 1688, à Louvois de former bien vite en Angleterre un parti capable de résister à Guillaume et de réfléchir aux avantages qu'on peut retirer de l'occupation de M. le prince d'Orange en Angleterre et de son absence de Hollande : c'est le moyen sûr pour parvenir à une paix solide. Je suis persuadé, ajoute Chamlay, que vous avez fait ces raisonnements dans le moment où le dessein du duc d'Orange est venu à votre connaissance. (Roussel, t. IV, p. 152.) Quant à Villars, il s'exprime très nettement dans ses Mémoires (édition de Voguë, t. I, p. 101) : La cour était donc fort incertaine du parti qu'il y avait à prendre, ou de soutenir le roi Jacques prêt à être attaqué, ou d'empêcher la paix des Turcs qu'on voyait sur le point d'être conclue, et qui, le moment d'après, nous attirait sur les bras toutes les forces de l'Empereur et de l'Empire. M. de Louvois... décida pour le dernier parti. En effet, rien n'était plus important pour nous que de nous ménager une aussi puissante diversion que celle du Turc. Et d'ailleurs, quelle apparence qu'une aussi grande révolution pût arriver en Angleterre sans beaucoup de troubles et de divisions ? Ce qui nous convenait bien mieux qu'une forme de gouvernement paisible, sous l'autorité du roi Jacques ; d'autant plus que nous avions déjà vu cette même Angleterre, tranquille et réunie sous l'autorité du roi Charles second, qui nous était fort attaché, forcer ce prince à nous déclarer la guerre.
[15] La ville de Cologne n'est pas occupée par les Français. Des troupes brandebourgeoises venaient d'y entrer en septembre.