Nous avons essayé dans ce livre de renouer la chaine de la tradition, brisée depuis longtemps entre 1270 et 1285, entre Louis IX et Philippe le Bel. Comme le règne de Philippe III était pour ceux qui s'occupent de l'évolution politique de la royauté au XIIIe siècle une énigme irritante, nous avons essayé de la résoudre. Quand des esprits curieux s'inquiètent de ce règne sacrifié, on se contente de répondre vaguement ou bien qu'il n'a eu aucune importance, aucune originalité, aucune couleur ou bien qu'il constitue une période de transition. Mais, à le bien prendre, toutes les périodes de l'histoire marquent plus ou moins une transition entre ce qui précède et ce qui suit, et cette expression, dont quelques personnes demeurent satisfaites, ne signifie rien au fond. Notre besogne a consisté à réunir tous les faits qui, s'étant passés de 1270 à 1285, ont laissé dans les documents des traces certaines, à classer ces faits et à en déterminer les caractères communs. Nous avons été amené ainsi à prendre des positions très nettes, qu'il n'est pas inutile de formuler de nouveau dans cette conclusion générale. Philippe III a été un personnage médiocre ; il n'a eu d'autre idéal que la grande figure de son père. Ses conseillers — ceux qui ont eu la réalité, sinon l'apparence brillante du pouvoir — étaient des amis, des créatures de saint Louis. Il est donc naturel que, dans ses rapports avec les puissances du dehors et avec la société féodale, le gouvernement de Philippe III ait suivi les maximes de Louis IX. Louis IX, le roi très chrétien, n'avait songé qu'à faire luire sur la terre le règne du Christ, à combattre les Infidèles, à réconcilier les chrétiens, à maintenir dans son royaume la paix, la justice, la coutume ; car, comme beaucoup d'hommes de son temps, il confondait la coutume avec le droit. Or, la croisade a été en effet le centre de la politique étrangère de Philippe III Philippe est mort comme Louis IX avec la croix sur l'épaule, trompé, comme lui, par les promesses insidieuses des Angevins de Sicile ses parlements se sont attachés sans interruption à maintenir la paix, le droit établi, la coutume. Le règne de Philippe III n'est donc qu'un prolongement du règne de saint Louis. Il a sa valeur propre, car certains progrès, comme la fixation de la procédure relative aux amortissements et l'organisation de la cour judiciaire du roi, qui étaient dans la logique du développement antérieur des institutions monarchiques, n'ont été opérés, à ce qu'il semble, que sous le successeur de Louis IX. Supposons que Louis IX vieilli, faible, dépouillé de sa puissante et charmante originalité, mais entouré d'hommes qui l'avaient connu dans toute sa force, ait régné encore quinze ans après la croisade de Tunis ; il aurait régné de la même façon que Philippe III ; et il n'aurait pas régné sans gloire ni sans profit pour le royaume, car, pendant ces quinze ans, il aurait vu sa politique fructifier, ses institutions mûrir, se perfectionner, se rectifier, s'adapter au milieu social. Le règne de saint Louis, qui marque l'apogée de la royauté féodale et chrétienne, est l'une des plus belles, l'une des plus claires journées de l'histoire de France ; le règne de son fils en est comme le crépuscule. Comment cette pure lumière s'est-elle noyée dans les ténèbres de l'âge suivant, c'est ce qu'il importe maintenant d'expliquer. Cette question mérite d'être traitée à part ; elle est difficile, car les écrivains qui ont parlé du règne de Philippe le Bel ne l'ont pas raconté avec assez de détails ni avec assez de critique pour qu'il soit possible d'en dégager exactement l'esprit, tant qu'on n'aura pas dépouillé l'énorme quantité de monuments inédits qui subsistent. Il ne suffit pas de dire que Philippe le Bel a eu une politique agressive vis-à-vis des puissances féodales. Sans doute, cela est vrai, en gros mais à partir de quelle période du règne cela est-il vrai ; sous quelles influences et dans quelle mesure l'orientation primitive de la politique royale a-t-elle été changée, voilà ce que personne ne saurait dire présentement. La législation administrative de Philippe IV a été longtemps considérée comme un ensemble homogène il faudrait s'informer de la date de tous les règlements qui la composent, de l'éducation politique et de la race des hommes qui l'ont inspirée. L'avènement des gens du Midi à la cour de France, à la fin du XIIIe siècle, apparaîtra notamment, nous l'avons déjà fait prévoir, comme un fait essentiel et suggestif. Il y a donc lieu d'écrire maintenant pour la première fois une histoire chronologique de la politique des conseillers de Philippe le Bel ; le présent travail a été terminé avec l'espoir de déblayer un peu le terrain de celui qui l'écrira. FIN DE L'OUVRAGE |