La dissolution de la monarchie carolingienne avait été amenée par le fractionnement du sol en seigneuries indépendantes et par l'usurpation simultanée des droits de la puissance publique par les particuliers. La royauté capétienne, qui, à partir du XIIe siècle, a refait, pour ainsi dire, la synthèse du monde féodal, a suivi, pour en venir à bout, une marche pareille en sens contraire d'une part, elle a mis fin au morcellement du sol en l'acquérant tout entier ; d'autre part, elle a rattaché peu à peu à sa prérogative tous les droits qui, dans l'anarchie antérieure, en avaient été démembrés. Ils en avaient été démembrés au profit du clergé, de la féodalité laïque, et des bourgeoisies constituées en communes ; la royauté eut à les reconquérir sur ces trois ordres de l'État, la féodalité armée et menaçante, le clergé riche de biens et de privilèges, les bourgeoisies fières de leurs libertés et de leurs chartes. Les épisodes de cette conquête qui aboutit à la restauration finale de l'unité monarchique forment le fond de l'histoire politique du XIIIe siècle. Ce n'est pas que des princes tels que saint Louis et Philippe III aient eu la volonté arrêtée de battre en brèche l'édifice féodal ; loin de là, ils se sont attachés à respecter la hiérarchie et les usages, parce qu'ils étaient eux-mêmes des hommes féodaux, respectueux des traditions du passé. Mais, de même qu'ils furent amenés à accroître aux dépens des dynasties particulières la force domaniale de la couronne, ils portèrent de grands coups l'indépendance féodale sans en contester le principe. On n'a donc pas tort de considérer d'habitude dans les livres les relations de la royauté du moyen âge avec la société contemporaine sous trois aspects relations avec la féodalité laïque, avec le clergé, avec les communes. Rappelons seulement que, si les nécessités de l'exposition obligent les historiens à classer les faits sous certaines rubriques et à les raconter successivement, les faits de chaque espèce se sont produits, en réalité, en même temps ; qu'ils ont exercé les uns sur les autres des réactions compliquées ; et qu'ils sont tous des manifestations diverses d'une même politique. Or, on peut formuler en ces termes l'idée qui a régi la politique du gouvernement de Philippe le Hardi vis-à-vis des trois castes de la société féodale maintenir chacun dans ses droits acquis, que l'acquisition de ces droits ait été légitime ou non à l'origine comme correctif à cette première règle, redresser le droit établi, s'il est contraire à un certain idéal religieux de justice, d'ordre et de paix. Tel avait été la doctrine de saint Louis, à la fois sagement conservatrice et grosse de réformes indéfinies ; telle fut la pensée de Philippe le Hardi. Malheureusement, l'idéal très pur suivant lequel Louis IX avait essayé de modeler la réalité s'obscurcit, comme nous l'avons expliqué plus haut, sous son successeur ; de là certaines incohérences, certaines contradictions entre la doctrine et les actes, que nous constaterons d'abord dans l'histoire des relations de la royauté et de la féodalité laïque, de 1270 à 1285. La double situation du Capétien, dit M. Luchaire[1], à la fois suzerain et monarque, engagé dans la féodalité en même temps que placé hors du système féodal, voilà le fait qui domine toute la question des rapports du gouvernement royal avec les seigneuries laïques. Ce double caractère de la monarchie capétienne n'était plus si nettement tranché au XIIIe siècle qu'au XIe, car les descendants de Louis VII avaient peu à peu féodalisé leur pouvoir ; ils avaient cessé de contester les institutions féodales en vertu de je ne sais quels principes, empruntés aux souvenirs persistants de la théorie impériale. Cependant, on distinguait encore dans le roi le possesseur de fiefs et le souverain par-dessus tous le roi était à la fois suzerain particulier et suzerain universel, et, comme suzerain universel, il avait des droits très étendus et d'une nature particulière. D'après la théorie féodale, l'attribution essentielle de l'office royal était de veiller au bon ordre de la hiérarchie, à l'observance des coutumes, au respect de la paix. Ce droit de police générale sur la société, Louis IX en avait usé avec la dernière rigueur, non seulement en réprimant, les armes à la main, les rébellions des grands vassaux qui violaient à son détriment le pacte féodal, mais encore en prohibant, comme contraires à la paix, des usages qui entretenaient la brutalité primitive des mœurs seigneuriales, c'est-à-dire les tournois, le duel judiciaire et les guerres privées. Philippe III, suivant son exemple, ne souffrit jamais une révolte ouverte des barons contre son autorité. Les chroniques disent qu'au commencement de son règne il fut très cruel sur la chevalerie[2], et qu'il agit comme un justicier[3]. En 1272, il châtia en effet les comtes de Foix et d'Armagnac qui s'intitulaient comtes par la grâce de Dieu et qui avaient insulté son nom[4] ; plus tard, le vicomte de Narbonne. Toutefois, Philippe III déploya autant d'indulgence pour pardonner qu'il avait montré de vigueur pour punir. Le comte de Foix sortit bientôt de captivité, et, à peine libre, entra, dit-on, brusquement en faveur[5]. En 1277, le roi, en récompense des services que Roger Bernard lui avait rendus en Navarre[6], lui restitua même tous ses biens, à condition qu'il les tiendrait désormais de la couronne suivant le droit rigoureux des castra jurabilia[7]. Roger Bernard devint, du reste, par la suite, l'un des plus fidèles serviteurs de Philippe le Hardi ; quand il fut fait prisonnier par le roi d'Aragon, sa femme confia ses châteaux à la garde du roi de France[8] ; plus tard, Roger les prêta lui-même à son suzerain pour faciliter les opérations de l'expédition de 1283[9]. C'est seulement sous Philippe le Bel qu'il reprit vis-à-vis des officiers royaux une attitude provocante. Quant au comte d'Armagnac, gracié en 1272, il récidiva en 1282[10]. Enfermé cette fois dans la citadelle de Péronne, il vit tous ses biens, y compris la ville d'Auch, saisis par le sénéchal de Toulouse. Il fallut qu'Edward Ier écrivît à Philippe III pour demander sa grâce, et à ses amis de Paris, le duc de Bourgogne, l'évêque de Langres et l'abbé de Saint-Denis, pour les prier d'intercéder[11]. La révolte du vicomte Aimeri de Narbonne, qui est également liée à l'histoire extérieure du règne, fut amenée, comme celles des comtes de Foix et d'Armagnac, par la malveillance naturelle des seigneurs du Midi pour l'autorité lointaine des rois du pays d'oïl. Aimeri de Narbonne était un homme d'un caractère violent ; à Narbonne, il s'était immiscé avec tant de brutalité dans la juridiction du consulat, dès son avènement, qu'on avait craint des conflits entre ses gens et le peuple[12] ; le 23 novembre 1279 un mandement du sénéchal de Carcassonne lui avait fait défense d'inquiéter les consuls dans l'exercice des pouvoirs légitimes qu'ils tenaient immédiatement du roi[13] ; le 13 août 1280, la défense avait été renouvelée sur arrêt spécial du Parlement de Paris[14]. Le vicomte finit par s'irriter de rencontrer ainsi l'autorité royale sur son chemin ; et un jour que des enquêteurs du Parlement, envoyés pour examiner une de ses affaires, l'avaient amusé par une procédure dilatoire, il résolut de trancher, suivant son expression, le différend à coups d'épée[15]. Or, la famille de Narbonne, maîtresse des diocèses de Narbonne et de Béziers, alliée aux maisons de Foix et de Castille, était la plus puissante de celles qu'avaient épargnées les guerres albigeoises. Aimeri ne cachait pas sa haine pour les Français. Certain jour, raconta plus tard aux enquêteurs le clerc G. Cathala, j'allais à Béziers avec un clerc ; je rencontrai le vicomte sur la route avec toute sa suite et, l'ayant rejoint, je lui dis, après avoir chevauché quelque temps de compagnie, que son frère Amauri le priait de se purger devant le roi de France des accusations de haute trahison qui pesaient sur lui. Il répondit à haute voix qu'il s'en moquait, et qu'il voudrait être noyé au fond de la mer avec tous les clercs et tous les Français du monde, tant il détestait cette engeance[16]. Il n'est pas étonnant qu'un tel homme, excédé par les tracasseries des officiers royaux, fier de sa race et aveuglé sur les chances d'une restauration de l'indépendance de son pays, ait pris les armes à l'exemple de Trencavel et de Raymond VII. On a vu comment le vicomte noua des intelligences avec la Castille et comment le complot échoua avant qu'il eût reçu un commencement d'exécution, vers la fin de mars 1282[17]. Grâce aux rouleaux d'enquête qui ont été conservés[18], on sait à peu près comment le gouvernement de Philippe III, instruit du danger, agit pour l'étouffer. Deux messagers du roi, Gui le Bas et Robert Sans-Avoir, arrivèrent promptement à Castres, où ils s'abouchèrent avec le sénéchal de Carcassonne ; à Carcassonne, ils trouvèrent Aimeri, qui y avait été cité à propos de certains troubles survenus à Narbonne ils obtinrent de lui par de belles paroles qu'il leur baillât son château, sous prétexte de contraindre plus facilement ceux des bourgeois qui se refuseraient à la paix. A cet effet, le sénéchal partit pour Narbonne, avec une lettre du vicomte à sa femme ; il garnit, aussitôt le château, scella les coffres, les huches et tous les meubles, afin qu'on n'enlevât pas les pièces compromettantes ; cela fait, une garnison royale fut installée à Narbonne[19], et le gouvernement de la ville fut confié par les deux commissaires du roi au viguier de Carcassonne. On procéda aussitôt aux premiers interrogatoires ; et, l'enquête terminée, le vicomte fut transféré à Paris avec ses complices présumés, au mois de juillet. Des aventures bizarres compliquèrent alors le procès. La culpabilité d'Aimeri, moralement certaine, n'était pas prouvée, car on n'avait pas retrouvé à Narbonne l'instrument du traité d'alliance qu'il était accusé d'avoir conclu avec le roi de Castille ; les amis du vicomte étaient donc libres d'insinuer que les dénonciateurs l'avaient calomnié. Un clerc, G. Cathala, fit mieux ; il fabriqua une fausse lettre qu'il scella avec quatre sceaux soigneusement détachés de chartes authentiques, par laquelle l'archevêque de Narbonne était censé informer le roi de l'innocence du vicomte et accuser de calomnie celui qui avait dévoilé la conjuration[20]. Il montra cette lettre à la vicomtesse Sybille, puis il l'enferma dans une boîte qu'il enveloppa d'un vieux sac avec 90 sous tournois pour payer le porteur. Un paysan remit le sac à un frère augustin de Narbonne en disant qu'il l'avait reçu d'un prêtre, malade à l'hospice de la porte Saint-Paul, nommé Bernard d'Olargues. Une lettre anonyme, annexée au paquet, priait le détenteur d'en porter le contenu au roi, à Paris, si le vicomte de Narbonne était en danger. Frère Bernard de Baziège, le moine augustin, se rendit à effet à Paris et, après avoir consulté quelques personnes, remit le sac à Philippe III en présence de Jean d'Acre, de Gui le Bas et du sénéchal de Carcassonne il se borna à dire qu'un de ses pénitents lui avait confié ce paquet à titre de dépôt. Le roi lui fit plusieurs questions entre autres choses, il lui demanda s'il avait déjà montré à quelqu'un la lettre contenue dans la boîte. Il s'informa aussi, sans doute, de ce que frère Bernard pensait de l'authenticité de la pièce ; car celui-ci avoua qu'il avait reçu en confession des renseignements qui confirmaient les allégations contenues dans la prétendue supplique de l'archevêque. C'était une nouvelle supercherie de G. Cathala, qui avait fait parvenir au frère Bernard une fausse lettre par laquelle un bourgeois, à l'article de la mort, s'accusait d'avoir participé à la ligue formée pour perdre le vicomte, et autorisait le frère Bernard à communiquer au roi son aveu. La cour de France tomba d'abord dans le piège ; et il paraît qu'elle réclama assez rudement des explications à l'archevêque de Narbonne, car les évêques de la province écrivirent à Paris pour excuser leur métropolitain[21]. Mais la fraude fut bientôt découverte ; et G. Cathala, qui était venu de son côté dans la capitale pour suivre le procès, fut enfermé au Châtelet. Là, on lui arracha des révélations très compromettantes pour son maître, l'histoire des deux pièces qu'il avait fabriquées, des rapports détaillés sur les correspondances suspectes qu'Aimeri, avant son arrestation, avait échangées avec la Castille. Dans son interrogatoire, daté du 7 août 1282, Cathala rapporta les conversations séditieuses qu'Aimeri avait jadis tenues devant lui ; les termes des lettres qu'il avait écrites au nom du vicomte au comte de Foix, au roi de Castille, au roi d'Aragon[22]. Pendant que Cathala chargeait avec si peu de ménagement celui qu'il avait essayé d'abord de sauver à l'aide d'intrigues frauduleuses, l'enquête continuait[23]. Il était clair qu'Aimeri et ses frères avaient entretenu des rapports intimes avec l'Aragon et la Castille, mais Aimeri avait eu la précaution de détruire les pièces compromettantes de ses archives. Fallait-il condamner ou absoudre ? Il était périlleux de condamner sur des soupçons ; et puis, la mise sous la main du roi de la vicomté de Narbonne avait inspiré une crainte salutaire aux seigneurs du Languedoc ; trop de rigueur, au contraire, aurait réveillé peut-être le feu mal éteint des rancunes albigeoises ; en outre, une guerre avec l'Aragon était menaçante. Les conseillers de Philippe III renoncèrent donc à sévir ; un mandement du 11 septembre 1284 réintégra le vicomte dans ses domaines ; les revenus touchés depuis sa captivité lui furent rendus, déduction faite des frais de garde et de 2185 livres qu'il avait' dépensées pendant sa captivité au Châtelet de Paris[24]. Cette générosité trouva sa récompense, car Aimeri de Narbonne, en occupant les passes des Pyrénées, sauva l'armée de la croisade en 1285, et permit au roi de mourir sur la terre française[25]. En somme, les révoltes de Foix, d'Armagnac et de Narbonne ne furent que des incidents isolés ; de 1270 à 1285, on ne vit rien de semblable aux grandes coalitions féodales qui marquèrent la minorité de saint Louis et la vieillesse de Philippe le Bel. Roger Bernard, Géraud V et Aimeri furent animés moins par l'orgueil du seigneur, impatient du joug monarchique, que par le vague désir de livrer un dernier combat pour l'indépendance du Midi ; et leur facile défaite, suivie d'un pardon habile, prouve assez qu'ils soutenaient une cause condamnée. Si les rébellions à main armée étaient des atteintes à la paix sociale qu'aucun roi, assez fort pour les châtier, ne pouvait laisser impunies, il y avait au XIIIe siècle d'autres atteintes à la paix qui étaient les conséquences normales des habitudes et de la constitution féodales. Celles-là, l'Église les réprouvait depuis longtemps mais seul parmi les princes, Louis IX avait essayé de les proscrire, parce qu'il avait eu de la paix une conception très haute et tout à fait ecclésiastique. Tournois, duels judiciaires, guerres privées, ces abus consacrés de la féodalité, si profondément entrés dans les mœurs, saint Louis les avait prohibés. Toutefois ses mesures restrictives n'avaient pas eu, même de son vivant, une grande efficacité. Il importe de savoir si elles tombèrent ou non en désuétude après sa mort. Philippe III avait assurément de bonnes raisons pour bannir le jeu sanglant des tournois ; les tournois exerçaient la brutalité de la noblesse ; l'Église les condamnait parce qu'on y trouvait toutes sortes d'occasions de pécher[26] ; sans compter que la force militaire du royaume, en hommes et en chevaux[27], s'y dépensait en pure perte. Mais Philippe aimait personnellement ces luttes courtoises Nangis le dépeint, dans un tournoi, exhortant les chevaliers à bien faire, parcourant la lice, distribuant des chevaux aux tenants désarçonnés, invitant tout le monde à se battre[28]. Li rois Philippes, à un jour. Vint à Compiègne ou à Creel Maint chevalier blanc et vermeil Faire assés d'armes devant lui[29]. Ces goûts étaient partagés par les principaux personnages de sa cour. Charles d'Anjou[30], le roi d'Angleterre, le duc de Brabant brillaient dans les fêtes féodales ; les jongleurs accablaient de railleries ceux qui craignaient d'y paraître. Les tournois fournissaient, d'ailleurs, aux marchands et aux petites gens les moyens de s'enrichir[31] ; l'ordonnance prohibitive de saint Louis avait excité parmi eux un mécontentement extrême[32], et l'auteur du Roman de Ham insiste avec force sur ces considérations économiques. Les tournois, dit-il, font aller le commerce. Dieu fasse que le roi apprenne combien son royaume perd, depuis qu'on est obligé d'aller tournoier sur les terres d'Empire : Rois de
France, il vous vorroit mix Que
artesien et esterlin Et
couloignois d'outre le Rin Fuissent
en France despendu Que çou qu'il i sont desfendu[33]. Enfin, les dames, les seigneurs et les poètes[34] trouvaient dans les combats chevaleresques un passe-temps galant et héroïque les interdire, c'était s'attirer leur colère. Philippe hésita. Il hésita entre les enseignements de saint Louis, fortifiés par les conseils de l'Église, et ses penchants naturels, qui étaient ceux de ses entours. Il prit au sujet des tournois les décisions les plus contradictoires, parce que la contradiction, en cette matière, était au fond de sa pensée. D'abord, il les défendit résolument, en 1278, pour faciliter les préparatifs de la croisade qu'il projetait : Fix fu le bon roi Looy Icil rois dont je vous recort ; Ou fust à droit ou fust à tort Il desfendi le tournoiier Dont mout de gens dut anoiier. Et li héraut et li larmier Li marissal et li sellier Neis cil qui œvrent en gisant Vont souvent le roi maudissant Par qui tournoi sont deffendu[35]. Une bulle de Nicolas III[36] spécifie que cette défense fut prorogée avec l'assentiment des barons et des grands du royaume de France, jusqu'au départ pour la Terre sainte. Défense si sévère que comme un gentilhomme français, nommé Jean de Prye, qui voyageait en Angleterre, s'était mêlé sur son chemin à un tournoi, Edward Ier crut devoir prier Philippe d'excuser le coupable, qui avait agi, après tout, en bon chevalier[37]. Mais on ne partit point pour la croisade ; et le sire de Longueval dit au sire de Basentin, dans le Roman de Ham, ce que pensaient bien des gens de l'interdiction des joutes, qui se prolongeait ainsi sans motif apparent[38] : Cis puans siècles riens ne vaut Honeurs et prœsce desfaut Larguesce et courtoisie pert. Je l'vous dis bien tout en apert Que je vaurraie que li rois Donnast congié dedans un mois D'aler as armes pleinement ; Nous séjournons trop longuement. Ce vœu fut satisfait ; un annaliste[39] rapporte, en effet, que le roi se relâcha de sa rigueur et qu'il autorisa, trois fois par an, la tenue des tournois ; mais bientôt, avec une inconstance insigne, il accorda toute licence. En 1279, quand le fils du roi de Sicile vint à Paris, li rois donna congié de tournoiier en son roiaume, et ses barons alèrent as armes mout efforciément pour l'amour du prince[40]. Les tournois de Creil, de Compiègne et de Senlis furent de véritables batailles[41] ; les frères du roi y parurent ; c'est là que le jeune comte de Clermont en Beauvaisis, tige des Bourbons, reçut sur son casque de si rudes coups de masse d'armes qu'il devint fou. Les tournois de 1279 comptent parmi les plus célèbres du moyen âge ils égalent en renommée le pas d'armes de Chauvenci, de 1285, qui a laissé de si longs souvenirs dans la Flandre impériale[42]. Le légat du pape, n'ayant pas relevé assez vivement la faiblesse de Philippe, fut blâmé par Nicolas III en termes très durs. Quoi ! le roi avait fait un édit prohibitif et, sur la prière des grands, il l'avait violé lui-même sans que le représentant du Saint-Siège eût protesté[43] ! Le légat fut invité à frapper d'excommunication, en vertu des canons des conciles de Latran et de Lyon, ceux qui paraîtraient dans ces fêtes. Il semble que l'énergie de Nicolas III ne resta pas sans effet ; car, au parlement de la Pentecôte 1280, l'interdiction absolue des tournois fut prorogée jusqu'à la Pâques prochaine, sous les peines établies[44]. Mais l'avènement du légat Simon de Brie au trône pontifical inclina de nouveau l'esprit du roi à l'indulgence. En 1281, Martin IV, reconnaissant que les mœurs étaient plus fortes que les lois, révoqua les anathèmes dont les tenants des joutes chevaleresques avaient été frappés — encore qu'il maintînt la prohibition en principe —, sous prétexte que ces anathèmes entravaient grandement, loin de le favoriser, le recrutement pour la croisade[45]. Il faut reconnaître que Philippe le Bel déploya plus de persévérance que son père pour couper court à l'abus des tournois en temps de guerre étrangère[46]. Mais quant au duel judiciaire et aux guerres privées, Philippe III et Philippe IV restèrent également en deçà des réformes législatives du règne de saint Louis. A la vérité, Philippe le Hardi n'alla pas, comme le fit son successeur, en 1306, jusqu'à réglementer le duel judiciaire, mais il toléra dans ses domaines, malgré l'ordonnance de Louis IX, la procédure coutumière des gages de bataille[47]. Beaumanoir, pour démontrer qu'un écuyer peut avoir en combattant un chapeau de fer à visière[48], rappelle la bataille qui eut lieu, au temps où il composait son livre, entre R. de Biaurain et Gillot de la Houssoie, au bois de Vincennes, lesquels se combatirent tant qu'il plot au roi que pes fu fête[49]. L'histoire politique du règne est toute pleine, comme l'histoire judiciaire, d'appels au jugement de Dieu. En 1272, Gaston de Béarn déclara qu'il était prêt à se purger d'une accusation de trahison avec le bouclier et la lance[50] ; en 1274, il provoqua le roi d'Angleterre en plein parlement ; les rois de Sicile et d'Aragon s'accordèrent, sous la médiation de Philippe, pour vider leurs querelles en champ clos[51]. Le droit de guerre privée était bien plus dangereux encore pour la paix que les duels et les tournois ; et, comme c'était une institution très ancienne qui remontait aux traditions primitives des peuples germaniques, il était aussi plus difficile à déraciner qu'un amusement populaire ou qu'un mode de procédure. Louis IX avait enlevé le droit de guerre aux vassaux de ses domaines mais les conseillers de Philippe craignirent sans doute d'ébrécher le fil de l'autorité royale en s'acharnant contre une coutume si résistante, car on vit beaucoup de guerres privées en leur temps, dans le domaine et hors du domaine. Guerre entre le sire de Casaubon et le comte d'Armagnac, entre Bernard d'Astarac et l'archevêque d'Auch[52], entre Abbeville et Feuquières[53], entre la vicomtesse et les bourgeois de Limoges, entre Robert de Bourgogne et Humbert de la Tour du Pin ; d'autre part, guerre pour des motifs futiles, entre les familles de deux petits seigneurs de l'Ile-de-France, les Bouchart de Remin et les Martin de Remin[54] ; guerre entre le sire de l'Essart et Raoul de Flavi[55]. Cependant, le gouvernement de Philippe III ne laissa pas de restreindre autant que possible le droit de se faire justice, qui subsistait comme un vestige de l'individualisme des vieux âges. Il ne tolérait pas les brigandages[56] ; les ordonnances qui défendaient le port d'armes étaient toujours en vigueur[57] ; enfin, Philippe appliqua à la plaie des guerres privées le remède efficace, bien connu sous le nom d'asseurement. Asseurement est, dit E. de Laurière, quand l'un jure et promet à l'autre de ne lui forfaire, et qu'il lui est commandé par le juge royal de tenir bonne paix à sa partie (arrêt de 1278)[58]. Ceux qui veulent avoir asseurement, dit en effet un texte de 1278, qu'ils s'adressent au bailli ou à la justice du roi[59]. L'asseurement royal était, dès lors, une des formes officielles de la protection du prince sur son peuple ; il suspendait les vengeances privées au nom de l'intérêt supérieur de la société. L'histoire du vicomte de Casaubon montre assez qu'on ne l'invoquait pas en vain[60]. L'asseurement arrêtait les représailles ; mais l'ordonnance sur la dessaisine, qui était destinée à les prévenir, fait encore plus d'honneur la royauté. Il soloit estre, dit Beaumanoir, que aucuns gentix homs qui avoit justice en sa terre ne raloit pas tant solement querre le coze qui li avoit été tolue ou efforcié, mais quanques il pooit trover de choses au gentilhomme qui ce li avoit fet, en se terre il prenoit ; et parce que c'estoit droitement mouvement de haine et de mortix haines, tix contregagements sont deffendu du pooir et de l'auctorité du souvrain le roy de France[61]. Ces contregagements étaient, en effet, l'origine première de la plupart des guerres privées. Or, l'établissement de Philippe déclara que celui qui reprendrait de force ce qu'un autre lui aurait enlevé, au lieu d'employer les voies de droit, serait obligé de ressaisir de la chose le ravisseur primitif, de l'indemniser de tout dommage, et qu'il payerait en outre au roi, pour avoir violé son établissement, 60 livres s'il était gentilhomme, 60 sous s'il était de pooste[62]. Philippe III ne se donna donc pas la vaine satisfaction d'abolir les guerres privées par un acte qui serait resté lettre morte, mais il imposa le respect de son asseurement et il défendit les représailles. On lui doit encore la définition des cas d'atteinte à cette paix dont il se savait le gardien suprême[63]. Il manda aux sénéchaux d'informer sur les cas qui, dans leur ressort, étaient reconnus pour des cas de fractio pacis, et qui appartenaient par conséquent à la juridiction royale[64]. C'est ce mandement du 16 octobre 1275 qui, dépouillé de ses formules, a été transcrit, sans date, sur l'un des registres du Trésor des Chartes[65] avec la rubrique : Ordinatio super moventibus et facientibus guerram. Philippe le Bel le lit transcrire de nouveau, le 9 mai 1302, et l'envoya aux sénéchaux du Midi[66]. Dans ses rapports ordinaires avec la féodalité, Philippe montra la même modération, le même goût pour les améliorations empiriques, le même dédain des solutions radicales, qu'à propos des institutions pour la paix. Tous les historiens modernes lui attribuent cependant l'invention des anoblissements il aurait comblé pour la première fois le fossé qui séparait la gentillesse de la roture en anoblissant Raoul l'Orfèvre. A la fin du XIIIe siècle, il était difficile que la hiérarchie féodale demeurât rigide ; l'élite de la haute bourgeoisie tendait à s'introduire dans la noblesse, notamment cette bourgeoisie administrative qui entourait la royauté. Rutebeuf, en 1274, parle avec mépris des chevaliers de plaids et d'accises qui se multipliaient alors[67] ; tous les trouvères gémissaient de cette décadence Vilain devienent chevalier Et chevalier devienent tel C'a pou qu'il ne soient menestrel[68]. La confusion des castes semblait si imminente que, sous Philippe le Hardi, le Parlement dut défendre au comte de Flandre et au comte de Nevers, sous peine d'amende, de conférer la chevalerie à des vilains[69] ; en 1280, il connut du cas de Thomas de Lyencourt, chevalier de noblesse douteuse[70]. L'anoblissement d'un bourgeois par le roi n'aurait donc pas été, en un pareil moment, un acte d'une importance extrême ; et la preuve, c'est que l'anoblissement de Gilles de Concevreux, postérieur à 1284 sans qu'on puisse en déterminer la date précise, n'excita pas de scandale[71]. Il est possible, par conséquent, que Philippe le Hardi ait anobli son orfèvre ; toutefois il n'est pas certain qu'il l'ait fait. Chose curieuse ! cet anoblissement, qui apparaît dans les manuels élémentaires comme l'événement principal du règne, le seul peut-être qui soit connu de tout le monde, est probablement apocryphe. M. Boutaric, dans un livre célèbre[72], a consacré l'opinion courante ; mais il se réfère seulement, pour prouver son dire, au recueil d'Isambert, qui renvoie lui-même à l'abrégé chronologique du président Hénault ! Le président Hénault avait-il puisé ses renseignements à une source authentique ? La question est d'autant plus importante que tous les livres modernes se sont transmis sa version sans la contrôler[73]. Deux auteurs considérables ont parlé de Raoul l'Orfèvre, non d'après des ouvrages de seconde main, mais d'après des documents manuscrits. La Roque, dans son traité de la noblesse[74], avance que les anoblissements par lettres ont commencé sous le règne de Philippe III le Hardi, car il se voit un anoblissement qu'il conféra à Raoul l'Orfèvre et qui est tiré des recherches de M. d'Hérouval. Carlier[75] dit de son côté qu'il a tiré la note suivante d'un vieux cahier manuscrit : En l'an 1272 fut anobli Raoul l'Orfèvre par lettres du roi. Raoul avait la plus grande partie de ses biens aux environs de Crespy, dont il était originaire. C'est le premier qui ait été anobli sans avoir par devers lui de services militaires. Les références de la Roque et de Carlier sont très vagues ; les papiers de Vyon d'Hérouval, à la Bibliothèque Nationale, ne contiennent rien sur l'anoblissement de Raoul[76], et comment retrouver le vieux cahier ms. de Carlier ? Mais il est impossible de découvrir ailleurs la moindre trace de la charte qui aurait été concédée à Raoul l'Orfèvre. Du Cange, qui est si complet, ne la mentionne point au mot Nobilitatio et M. A. de Barthélemy, qui l'a spécialement recherchée[77], sans connaître, il est vrai, les textes de la Roque et de Carlier, aboutit à cette conclusion qu'on a pris sans doute pour une lettre d'anoblissement une simple lettre d'affranchissement, à moins qu'on ne se soit trompé sur la date. Il faudrait posséder le texte connu par Vyon d'Hérouval pour apprécier la valeur de ces deux hypothèses, mais, a priori, la seconde paraît fortifiée par une circonstance singulière. Ce Raoul l'Orfèvre, sur lequel les historiens donnent des détails si précis — qu'il était de Crépy-en-Valois — qu'il avait fabriqué une châsse pour les reliques de Sainte-Geneviève[78] —, les documents contemporains n'y font jamais allusion. Ce personnage aurait joui d'une certaine faveur, et son nom ne se trouve ni parmi ceux des orfèvres de Paris[79], ni dans les états de l'hôtel royal il avait des terres en Valois, et les terriers du pays, qui portent à chaque page le nom de la famille de Chambli[80], se taisent sur son compte. Il serait téméraire d'en conclure qu'il n'a pas existé, car Guillaume d'Ercuis, qui a laissé de précieux mémoires, qui fut chapelain du roi et précepteur de Philippe le Bel, n'est jamais mentionné non plus dans les nomenclatures officielles ; mais il n'en est pas moins vrai que l'existence et, à plus forte raison, l'anoblissement de Raoul l'Orfèvre sont des faits qui, popularisés à la légère, ne sauraient être ni admis ni rejetés avec certitude. Le silence des textes ne permet pas de produire des preuves positives pour l'affirmative ; et quant à la preuve négative, qui se tire de ce silence même, elle n'a par sa nature que la force d'une présomption. On n'a pas seulement accusé Philippe III d'avoir ouvert les rangs de la noblesse ; on dit communément qu'il a porté une atteinte mortelle au régime féodal par son ordonnance sur les amortissements et les francs fiefs. Cette ordonnance, selon Henrion de Pansey, est le premier coup porté à la prérogative des seigneurs. L'ordonnance de 1273, faite pro subjectorum quiete, et non pas, comme cet établissement, cité par Beaumanoir, qui défendait aux roturiers de tenir fief, pour le commun profit des gentilshommes[81], autorisait les hommes de pooste à garder, sous certaines conditions, les terres nobles qu'ils possédaient[82] ; cette ordonnance posait en outre le droit du roi de percevoir une redevance régulière sur les amortissements qui avaient été opérés depuis trente ans, soit dans ses fiefs, soit dans ses arrière-fiefs. Dans deux cas seulement, les officiers royaux ne devaient pas inquiéter les Églises, qui avaient acquis des terres depuis trente ans, au sujet de leurs acquisitions : 1° si ces acquisitions avaient été faites dans les terres de barons qui de tout temps avaient été en possession d'amortir ; 2° si elles avaient été amorties par trois seigneurs médiats. En toute autre circonstance, les acquisitions des Églises seraient amorties par le payement au roi de deux ou de trois annuités du revenu, selon qu'elles auraient été faites à titre onéreux ou à titre gratuit, dans des fiefs ou dans des alleux. Ainsi, il était déclaré que l'amortissement était un droit royal, apanage du souverain fieffeux dans toute l'étendue du royaume. On aurait tort de croire que ce fût là une innovation théorique ; ce droit, le prince l'avait toujours eu en vertu des principes essentiels de la constitution féodale ; seulement, en 1275, il fut dégagé, formulé et exercé pour la première fois. Les arrière-vassaux de la couronne se plaignirent, il est vrai, de voir lever sur leurs terres des taxes qui, en fait, étaient nouvelles[83] ; mais Philippe III, dans une lettre à ses commissaires, Pierre Vigier et Et. de Lorris, qui lui avaient soumis les plaintes du Languedoc à ce sujet, explique fort bien que son ordonnance, loin de déroger au droit féodal, s'en déduit au contraire très correctement : Il nous importe que les fiefs de notre royaume soient possédés par des personnes capables de remplir les services qui y sont attachés. C'est pourquoi les nobles dont parle votre consultation ne doivent pas se plaindre que l'ordonnance leur impose des charges nouvelles, parce que nous exigeons, pour nous, une indemnité financière à propos des choses qui ont été aliénées sous eux ; nous l'exigeons bien dans les terres des nobles de France, qui ne tiennent pas moins noblement qu'eux[84]. Philippe III, d'ailleurs, n'avait eu garde d'astreindre tous ses vassaux à l'observation de son ordonnance ; pour ne rien brusquer, il avait excepté, comme nous l'avons dit, les terres des barons qui de tout temps avaient été en possession d'amortir. Une déclaration, jointe à l'ordonnance de 1275, détermina soigneusement le nombre de ces barons privilégiés[85]. Ce furent les pairs de France, laïques et ecclésiastiques, les comtes de Flandre, de Toulouse, de Champagne, les ducs de Normandie, de Bourgogne, d'Aquitaine puis les cinq comtes de Bretagne, de Nevers, d'Artois, d'Anjou et de la Marche. Ces personnages pouvaient amortir librement dans leurs domaines, pourveu que leurs tenues n'en soient ni demembrées ne deformées. Mais les comtes de Blois, d'Auxerre, de Tonnerre, de Dreux, de Clermont, de Saint-Pol, les seigneurs de Bourbon, de Beaujeu et de Couci, et autres de semblable condition[86], n'étaient nullement exemptés de l'ordonnance, en quelque manière il monstrent eux et leurs prédécesseurs en avoir usé jusques à maintenant. En effet, s'ils avaient usé jusque-là du droit d'amortissement libre, ils en avaient usé à tort, au mépris du droit féodal, et c'était précisément pour oster ces abus qui estoient et redondoient en grant destitution des fiez et arrière fiez de tout le roiaume de France que le roi avait publié son ordonnance. Cependant, pensant que tels gens doivent jouir d'aucunes prérogatives, Philippe leur accorda gracieusement la licence de faire librement des aumônes et de fonder des anniversaires pour le salut de leurs âmes, à charge d'en informer la couronne[87]. L'ordonnance de 1275, applicable in feodis vel extra feoda domini regis[88], était donc destinée à assurer l'intégrité primitive de l'édifice féodal bien plutôt qu'à porter atteinte à la prérogative des seigneurs. Cela est si vrai que Philippe exprima à plusieurs reprises l'idée que son établissement ne devait ni empirer ni améliorer en rien la condition de ses vassaux. Ainsi, la finance de l'amortissement ne fut pas exigée des seigneurs vendeurs et donateurs, mais des détenteurs de la chose vendue ou donnée[89] ; ainsi, il fut déclaré que les seigneurs qui, par négligence ou autrement, n'auraient pas perçu de droits d'amortissement sur leurs terres, n'étaient pas autorisés par l'ordonnance à revenir sur le passé. Que chacun garde les droits qu'il avait avant notre constitution[90]. Quelques seigneurs s'étaient empressés d'instituer des délégués pour enquérir sur les anciens acquêts de leurs sujets et pour en percevoir les finances ; cela fut défendu formellement[91]. Cette défense n'empêcha cependant pas le duc d'Aquitaine de créer des commissaires dans son duché, en vertu du statut de la cour de France[92]. En résumé, on a coutume d'attribuer à Philippe III l'invention de l'anoblissement et du droit royal d'amortissement, c'est-à-dire de deux choses qui furent funestes à la féodalité. Or, l'anoblissement, à la fin du XIIIe siècle, n'était pas une innovation grave ; la société y était préparée encore l'anoblissement de Raoul l'Orfèvre demeure-t-il douteux. Quant à l'ordonnance de 1275, elle ne fit que restaurer la légalité féodale sur un point où elle avait disparu, dans la pratique, sous une végétation d'abus ; ce fut d'ailleurs, au premier chef, une mesure fiscale. Philippe prit encore, en 1274 et en 1279, d'autres dispositions générales à l'égard de la féodalité. En 1274, son ordonnance sur la convocation à l'ost fut publiée, non pour changer la coutume féodale, mais, au contraire, pour en garantir le respect par une sanction nouvelle. Le vassal avait vis-à-vis de son seigneur les devoirs d'ost et de conseil, auxilium et consilium ; mais les grandes convocations faites en 1272 pour l'expédition de Foix avaient démontré que beaucoup de gens désobéissaient au ban royal c'est pourquoi l'ordonnance de 1274 pour la défense de nos droits et le châtiment des réfractaires[93] condamna les insoumis à payer une somme égale à celle qu'ils auraient dépensée s'ils étaient venus à l'armée, et, en outre, une amende proportionnée à leur rang[94]. En 1279, une ordonnance somptuaire édicta aussi, dans ses clauses pénales, des amendes graduées contre les ducs, les comtes, les bannerets et les bacheliers qui violeraient les prescriptions minutieuses de ce statut, où le roi fixait le nombre des plats que chacun devrait avoir à chaque repas, le nombre des habits pour chaque saison, suivant la condition des personnes[95]. Mais ces règlements généraux ne forment qu'un chapitre, le moins important peut-être, de l'histoire des relations de la royauté avec la féodalité laïque. Philippe le Hardi, en effet, avait moins à faire avec la collectivité abstraite de ses vassaux qu'avec des individualités déterminées, avec tel ou tel vassal, notamment avec les détenteurs des grands fiefs de Flandre, de Bourgogne, de Bretagne, d'Aquitaine. Il était obligé d'avoir vis-à-vis de chacun d'eux une politique appropriée. Le pays de Flandre, de 1270 à 1283, fut troublé par des guerres continuelles à l'intérieur et à l'extérieur. La comtesse Marguerite de Constantinople, qui depuis trente ans ensanglantait les Pays-Bas pour abaisser la maison d'Avesnes au profit de la maison de Dampierre, y régnait encore en 1270 ; elle n'avait pas désarmé sa haine contre les enfants de son premier lit. Son fils du second lit, Gui de Dampierre, qui gouvernait déjà sous son nom, passait pour être étranger aux coutumes flamandes, étant issu, par son père, d'une famille étrangère ; à l'avènement de Philippe III, il était brouillé non seulement avec les d'Avesnes, mais avec l'Angleterre, avec les Liégeois et avec quelques-unes des plus grandes villes du comté. C'est ce prince impopulaire que, le 29 décembre 1278, Marguerite, âgée de soixante-seize ans, mit solennellement en possession de son héritage[96], par une abdication volontaires qui reçut l'approbation du roi au mois de février 1279[97]. A cause des embarras que sa hauteur suscita à Gui de Dampierre, Philippe III eut très vite l'occasion d'imposer son autorité dans les affaires de Flandre, si bien que ce grand fief lui fut toujours fort soumis. Dès 1278 (n. st.), le comte Gui avait juré d'observer scrupuleusement le traité de Melun, jadis conclu entre le roi Louis et le comte Thomas de Flandre[98]. Deux messagers du roi de France, le doyen de Saint-Agnan d'Orléans et Collart de Molaines, chevalier, avaient parcouru le pays pour recevoir les serments des seigneurs et des villes ; soixante-quinze barons et vingt-neuf villes avaient promis entre leurs mains, avec l'autorisation expresse du comte[99], d'abandonner leur suzerain s'il violait ses conventions avec la couronne[100]. Après l'accession définitive de Gui de Dampierre, en 1278, il y eut une nouvelle prestation de serment d'un caractère analogue ; Beaudoin d'Avesnes, G. de Marbais, cinquante-quatre seigneurs et vingt-huit villes s'y soumirent[101]. Le traité de Melun consacrait les droits du roi sur la Flandre ; et Philippe III, comme Louis IX, en profita pour y rétablir le -bon ordre et la paix. Il ne parait pas que le roi ait pris une grande part à la conclusion du traité de Montreuil qui mit fin, en 1274, à la guerre de représailles, guerre commerciale entre les marchands de laine et les tisseurs, que se faisaient la Flandre et l'Angleterre[102], mais il imposa plusieurs fois sa médiation en d'autres circonstances pendant la guerre de la vache de Chiney, où il sauva le comte de Flandre et le duc de Brabant des mains des Liégeois ; et quand Jean d'Avesnes, investi par l'empereur Rudolf, disputa à Gui de Dampierre ses domaines héréditaires. Il fut surtout l'arbitre obéi de tous les différends qui s'élevèrent entre le comte et ses sujets. L'affaire la plus importante qu'il eut à régler fut celle des Trente-Neuf de Gand. En octobre 1275, la comtesse Marguerite avait supprimé l'ancienne constitution communale de Gand, qui datait de 1228, l'oligarchie de ses trente-neuf magistrats ; elle l'avait remplacée par un conseil supérieur d'échevins, de conseillers et de trésoriers. Cette réforme était très populaire, car les Trente-Neuf étaient accusés par les pauvres de malversations et de tyrannie le commun de Gand envoya à Philippe III un mémoire[103] pour justifier la révolution accomplie et pour supplier humblement la clémence royale d'approuver ce qui avait eu lieu. Cependant, les Trente-Neuf avaient interjeté appel, pour défaut de droit, à la cour de France, parce qu'ils avaient été condamnés sans avoir été entendus. Un accord intervint d'abord par les soins du comte de Blois et de Henri de Vézelay ; il fut convenu que deux prud'hommes de l'hôtel royal se rendraient à Gand pour s'informer des griefs et de la conduite des Trente-Neuf et de la comtesse de Flandre[104]. Le comte de Pontieu et G. de Neuville, désignés pour cette mission, découvrirent que sept magistrats s'étaient en effet conduits d'une façon déloyale ; ils furent solennellement cassés. Quant aux autres, comme les commissaires ne trouvèrent rien à leur reprocher, la Cour décida qu'ils seraient maintenus que la charte de 1228 resterait en pleine vigueur, et que l'échevinage créé par la comtesse de Flandre serait annulé [22 juillet 1277]. Gui de Dampierre ne vécut pas en meilleure intelligence que sa mère avec les républiques communales. Les archives de Bruges ayant été brûlées par un incendie, il refusa de renouveler les anciens privilèges ; il fallut que la cour de France lui ordonnât de ne pas empêcher les gens de Bruges d'avoir recours à la juridiction royale contre un tel abus de pouvoir[105] et, le 25 mai 1281, Bruges reçut, grâce à l'intervention de Philippe III, une nouvelle expédition de la charte[106]. Gui renouvela aussi la lutte contre l'aristocratie de Gand, et les Gantois en appelèrent encore une fois à Paris ; mais il paraît qu'ils se hâtèrent trop de le faire, car ils furent renvoyés par le Parlement devant la cour du comte, qui les accabla d'une amende énorme[107]. Toutefois, un arrêt de 1284 déclara que les comptes des Trente-Neuf, que les officiers de Gui avaient sans doute refusé de recevoir, étaient en règle et suffisants suivant la coutume locale ; mais le Parlement permit au comte de pourvoir la ville d'une comptabilité plus régulière, si la chose lui semblait utile[108]. L'administration du comte Gui était soumise si étroitement au contrôle de la royauté que le Parlement annulait parfois ses ordonnances locales ; il brisa, par exemple, à la requête du maire de Saint-Omer, un acte du comte de Flandre qui défendait à tout particulier d'acheter plus de 23.000 harengs par jour à Gravelines[109]. Philippe adressa à Gui de Dampierre des mandements qui, par la précision de leurs injonctions, ne diffèrent guère de ceux qu'il envoyait à ses baillis[110]. Gui avait trop d'obligations à Philippe III pour protester contre ces ingérences. En 1279, il se plaignit bien que le bailli d'Amiens, au nom du roi, eût levé dans ses terres une amende sur G. de Douai, son homme couchant et levant, sans requérir sa permission, mais la Cour déclara que le roi avait le droit de lever ses amendes sur les terres de tout le monde par la main de ses officiers[111], et l'affaire n'eut pas de suites. D'ordinaire, il fit preuve d'une grande bonne volonté à l'égard de son suzerain ; non seulement il s'acquitta des devoirs que lui imposait le traité de Melun[112], mais encore il s'employa pour faire prêter de l'argent à Philippe le Hardi par les villes de Flandre, quand l'expédition d'Aragon nécessita des emprunts extraordinaires Nous vous mandons, écrivait-il aux communautés de Bruges et d'Ypres, que vous fachiés si largement que nostre chiers sires se tiegne pour bien paiiet de vous, par quoi il apère que nous et nostre gent avons ses besongnes à cuer. Il est impossible de ne pas observer que si Gui de Dampierre prouva ainsi qu'il avait à cœur les besognes de Philippe III, Philippe IV trouva en Flandre des ennemis redoutables, parce que ce roi s'écarta de la politique modérée du gouvernement précédent. Pour la même raison, le prestige de la royauté, très affaibli en Bourgogne et en Bretagne vers 1314, était au contraire très grand en 1285. Philippe fut toujours le juge choisi par le comte de Bretagne et le duc de Bourgogne dans leurs querelles avec leurs compétiteurs, leurs voisins ou leurs vassaux. Hugues IV de Bourgogne, le 24 octobre 1272, s'était démis de sa dignité ducale en faveur de son troisième fils, Robert II[113] ; or, Hugues IV, qui mourut peu après son abdication, avait eu dix enfants de ses deux femmes, Yolande de Dreux et Béatrix de Champagne, et Robert II se trouva en face d'une succession fort compliquée. Ses deux frères aînés, Eudes et Jean, n'étaient pas morts sans postérité Robert de Flandre avait épousé Yolande, fille d'Eudes il était comte de Nevers du chef de sa femme. Robert de France, comte de Clermont, était le mari de Béatrix, fille de Jean. Ces deux personnages contestèrent, en se réclamant des droits de leurs femmes, la possession du duché de Bourgogne à leur oncle par alliance. D'autre part, Robert II avait à régler le douaire de Béatrix, veuve de son père, et à distribuer les legs que Hugues IV, dans son testament, avait destinés à Huguenin, son dernier fils. Philippe III était lié fort intimement avec Robert II, puisqu'il lui avait donné en mariage sa sœur Agnès de France[114] ; il ne souffrit pas que le nouveau duc fût dépossédé ; il déclara au contraire que la disposition d'Hugues IV en faveur de son troisième fils était valable[115]. Mais la rivalité des trois Robert et le partage de la succession n'en continuèrent pas moins pendant des années. Ce partage intéressait les plus grandes maisons de France, celle de Châlon, de Champagne, de Bretagne, de la Marche, de Bourbon, où étaient entrées des filles de Bourgogne. Robert, jugeant que les libéralités de son père avaient été excessives, ne s'empressa point de délivrer les donations qu'il avait faites ; il pensait qu'exécuter le testament, c'était démembrer le duché de Bourgogne d'une façon intolérable et contraire à la coutume de France[116] ; mais les intéressés présentèrent d'âpres réclamations dont le roi fut naturellement appelé à connaître. En septembre 1216, le duc et la duchesse douairière passèrent un compromis au sujet de leurs prétentions respectives Philippe III était désigné comme tiers arbitre[117]. En 1277, Philippe fut encore laissé maître, du consentement des deux parties, de décider entre le duc Robert et le comte de Nevers qui demandait la part de sa femme. On a la sentence royale[118], qui satisfit tout le monde au comte et la comtesse de Nevers, elle adjugeait de vastes territoires qu'ils demandaient inutilement depuis cinq ans ; elle dispensait cependant le duc d'observer les volontés d'Hugues IV dans toute leur rigueur ; ainsi, au lieu de se dessaisir de la baronnie d'Autun tout entière, il n'était obligé d'en céder que le tiers. De 1277 à 1280, Robert conclut des conventions avec la plupart des héritiers, mais il ne s'exécuta pas vis-à-vis du comte de Nevers, si bien qu'un nouveau traité, passé en présence du roi, qui y donna son agrément, intervint entre les deux princes. Au lieu d'un revenu assis sur des propriétés foncières, le comte de Nevers se contenta d'une rente en argent. Cet acte, scellé du sceau royal, fut passé à Paris le 18 juillet 1280[119]. Robert II, installé définitivement dans son héritage grâce à la bienveillance de Philippe III, laissa, comme Gui de Dampierre, ce prince confirmer et corriger les actes de son administration dans ses domaines. Le roi s'interposa deux fois d'une façon très nette entre le duc et ses sujets. Robert II, mécontent de la commune de Dijon parce qu'elle ne lui payait pas une rente de 500 marcs d'argent, cassa le maire et les échevins de cette ville, en 1276, et y établit de nouveaux magistrats ; mais l'ancien maire, Eudes de Saumaize, en appela au roi de France. A cette nouvelle, le duc révoqua de lui-même tout ce qu'il avait fait contre la commune et il la rétablit, par des lettres datées de 1277, dans ses droits et privilèges[120]. Cependant les hostilités continuèrent à Dijon entre les agents du duc, qui avait acheté la vicomté de la ville à un certain G. de Pontoillier[121], et les habitants[122]. La commune aurait voulu acquérir la vicomté ; le duc refusait de la céder, et le conflit était entré dans une période aiguë quand Philippe engagea son beau-frère à céder. Il fut convenu par un acte rédigé sous la médiation et sous le sceau de Philippe III[123] que le duc abandonnerait la vicomté de Dijon à la ville moyennant une rente perpétuelle de 500 livres et une rente de même valeur, payable jusqu'à sa mort et à celle de la duchesse Agnès. En décembre 1284, une nouvelle convention, vidimée par le roi, régla définitivement les conditions de la cession de la vicomté et cette question des 500 marcs d'argent qui avait suscité les troubles de 1276[124]. En 1282, une circonstance encore plus grave appela l'attention de Philippe III. Les seigneurs et les prélats du duché s'étaient entendus, au commencement de cette année, pour demander à leur duc de faire cesser les variations du taux de sa monnaie ; en récompense, les clercs payeraient pendant deux ans une décime calculée d'après celle qui avait été levée récemment pour la Terre sainte ; les laïques, nobles ou non, donneraient aussi un dixième ; quant aux taillables ayant feu et lieu, ils payeraient cinq sous chaque année. Le 23 mai, le pape Martin IV commit deux évêques pour instruire l'affaire le roi approuva au mois de juillet[125]. Mais le 16 juin 1283, le pape, saisi d'un scrupule, écrivit au roi pour lui conseiller de prendre ses précautions afin que la levée de la décime du duc de Bourgogne n'entravât pas la levée de la décime générale pour la croisade d'Aragon. Un an se passa en négociations nouvelles ; enfin, le consentement de la cour du roi, que les églises de Bourgogne réclamaient avec instance[126], fut réitéré ; le traité entre le duc et ses sujets fut conclu aussitôt à Paris, au mois d'août 1284. Martin IV le confirma en janvier 1285, sous la réserve des droits de Philippe III[127]. Il y eut des événements analogues dans le comté de Bretagne arbitrages, sous le sceau royal, entre le comte Jean le Roux et Henri d'Avaugour, après un interminable procès devant le Parlement au sujet des seigneuries de Dinan et de Léon[128] ; ordres du roi au comte d'observer son ordonnance contre les Lombards, de ne pas altérer la monnaie[129], d'abolir les péages injustes qu'il avait établis depuis dix ans[130], etc. En Aquitaine, la situation n'était pas la même, car, chez Edward Ier, la qualité de vassal se compliquait de celle de souverain étranger ; il était l'égal de son suzerain en puissance et en dignité. Conscient de sa force, le roi d'Angleterre devait accomplir malaisément les devoirs que lui imposait sa dépendance féodale ; le roi de France, de son côté, par crainte de voir se perdre entre ses mains son droit fragile de supériorité, devait tendre à l'exercer avec d'autant plus de rigueur. Dans les autres grands fiefs, la soumission du duc ou du comte était allégée par la condescendance du roi en Aquitaine, la malveillance réciproque des gens du roi et des gens du duc était extrême il en résulté des guerres séculaires. Il n'y eut point, la vérité, de lutte ouverte entre Edward Ier et Philippe III, de 1270 à 1285 ; le règne du fils de saint Louis est même le seul règne du XIIIe siècle qui n'ait pas été marqué par une guerre anglaise ; mais, quoique les deux princes aient échangé des lettres empreintes d'une grande cordialité extérieure[131], nous avons déjà vu qu'ils saisirent toutes les occasions de se nuire indirectement. Edward Ier soutint de son influence et même de ses armes la commune de Limoges ; Philippe III protégea Gaston de Béarn. Chacun d'eux avait ses partisans dans la remuante noblesse de Gascogne le roi de France pouvait compter sur les comtes d'Astarac et de Pardiac[132], les vicomtes de Turenne et de Fronsac, le comte de Périgord[133] et une foule de gentilshommes[134]. Le duc et le roi se tenaient vis-à-vis l'un de l'autre sur la défensive, toujours prêts à rompre le lien qui les unissait. Edward Ier, roi dans son île, détenait, comme héritier d'Éléonore, les plus belles provinces du Sud-Ouest. On sait comment il avait réussi à y joindre, au traité d'Amiens, quelques lambeaux arrachés à l'héritage d'Alfonse de Poitiers[135]. L'Agenais fut délivré en juin 1279 à son représentant Guillaume de Valence, par les commissaires du roi de France[136]. Après 1279, il insista encore pour obtenir la restitution de quelques terres en Quercy, en Limousin et en Saintonge ; le traité d'Amiens avait décidé qu'on ferait une enquête afin de savoir à qui elles appartenaient ; mais, malgré les efforts des officiers anglais[137], l'enquête traîna en longueur. Au parlement de la Pentecôte 1280, Maurice de Craon et G. de Gienvile reçurent de Philippe III l'assurance qu'il enverrait dans les pays en litige des enquêteurs pour régler les prétentions de leur maître[138] ; à la Toussaint 1281, la Cour réitéra la même promesse et désigna Me G. de Neuville et J. de Villette, ceux-là mêmes qui avaient jadis surveillé la cession de l'Agenais ; la question ne reçut de solution définitive qu'au commencement du règne suivant. Mais Edward Ier entra sans difficulté en possession, dès 1279, d'un nouveau fief, le comté de Pontieu, qui lui échut après la mort de sa belle-mère, reine de Castille et comtesse de Pontieu[139]. A cette province, qui lui faisait prendre pied au nord de la France, il voulut joindre le comté d'Aubemarle, provenant du même héritage mais le Parlement décida en 1281 qu'Aubemarle, situé dans le duché de Normandie, revenait d'après la coutume normande à Jean de Pontieu, fils d'un puîné de la dernière comtesse[140]. Les vastes domaines du roi d'Angleterre étaient gouvernés avec une habileté consommée ; les officiers d'Edward Ier, Jean de Grailly et Lucas de Tani, sénéchaux de Gascogne, Thomas de Sandwich, sénéchal de Pontieu, maître Bonet de Saint-Quentin, qui fut chargé en 1285 de la réforme administrative du duché[141], maître Raymond de la Ferrière, ont été en effet des hommes pleins de zèle et de mérite. Ils ont laissé beaucoup plus de témoignages de leur activité que les baillis et les sénéchaux de France. Les rapports très détaillés qu'ils adressaient à Londres sur l'état de leurs circonscriptions et sur les nouvelles politiques du jour prouvent que, non contents d'établir systématiquement une ligne défensive de bastides sur les frontières du duché et de distribuer aux villes des chartes de franchise très libérales[142], ils se préoccupaient d'informer leur prince de tout ce qu'il lui importait de savoir. Leur correspondance secrète, dont les pièces sont malheureusement dispersées et, pour la plupart, inédites[143], ne permet pas de douter de leur clairvoyance. Ils dénonçaient surtout avec force les empiétements des Français sur les droits du duché. Que faire, écrit Lucas de Tani au chancelier d'Angleterre, si le roi de France, qui s'avance vers l'Aquitaine, s'installe dans l'une des villes de notre seigneurs ?[144] — Ebles, fils du vicomte de Ventadour, écrit Jean de Grailli, a épousé Galienne, fille de feu G. de Malemort, avec l'assentiment des amis de ladite Galienne, mais contre la volonté de ses oncles, l'évêque de Limoges et le comte de Périgord, qui s'efforcent de la déshériter et qui ont donné à entendre au roi de France et à son conseil que ce mariage, s'il n'était pas rompu, tournerait à notre avantage et à leur confusion. Le roi a ordonné de mettre ladite Galienne sous sa garde ; daignez le prier de ne point troubler le mariage de votre fidèle vassal[145]. — Sachez, dit une autre lettre du même, que les Inquisiteurs de la foi veulent me forcer, moi et vos bayles de Gascogne, à conduire à Toulouse certains juifs de vos domaines qu'ils accusent d'être relaps. Je leur ai expliqué que je ne suis pas tenu de conduire qui que ce soit hors de votre duché, étant prêt d'ailleurs à y exécuter leurs sentences. L'un d'eux m'a avisé qu'il s'abstiendrait de toute contrainte jusqu'à ce que vous soyez informé, mais je ne sais pas néanmoins s'ils voudront attendre votre réponse. L'affaire est fort grave et je vous supplie d'en traiter avec lesdits frères, ou même, au besoin, avec le pape[146]. — Je suis venu à Paris, au Parlement, écrit encore Lucas de Tani, pour vos affaires de Gascogne ; je me proposais d'aller de là vous trouver en Angleterre, suivant vos ordres, quand vos secrétaires, Maurice de Craon et Othon de Granson, m'ont dit de votre part de retourner en Gascogne. J'hésite ; je vous supplie de m'éclairer. Sachez que vos sujets de Gascogne sont sur le point de vous envoyer un message solennel ; j'ai beaucoup de choses à vous dire sur l'état de vos domaines de ce côté-ci de la mer ; la situation est bonne, malgré les tracasseries des Français[147]. Les lettres des sénéchaux anglais sont pleines de consultations, de nouvelles et de conseils de cette espèce[148]. Edward Ier ne manquait pas d'y répondre et il envoyait à ses agents, à propos de chaque affaire, des instructions précises. Vous me mandez, écrit-il à Jean de Grailli, le 12 février 1279, que le roi de France vient d'ordonner que le fouage, à nous concédé par nos hommes de Gascogne, serait levé pour son compte et pour le compte de la vicomtesse de Limoges. Si quelqu'un vient pour lever ce fouage au nom dudit roi, répondez-lui avec la douceur et la politesse qui conviennent que vous ne pouvez pas lui permettre d'agir, à moins qu'il n'exhibe des lettres royales qui vous enjoignent formellement de le faire. Si, par hasard, il est porteur de pareilles lettres, répondez qu'à cause des mauvaises récoltes et de la mortalité du bétail, nous avons prorogé d'un an ou deux la levée de la taxe. Et nous vous envoyons des lettres de prorogation, l'une pour un an, l'autre pour deux ans vous leur montrerez celle qu'il vous plaira[149]. Malgré tant de vigilance[150], le duc d'Aquitaine et ses officiers avaient fort à faire pour sauvegarder l'indépendance du duché vis-à-vis des représentants du roi de France, très disposés à l'offensive, très fermes sur la défensive. Rien de plus instructif, à cet égard, que les exposés de griefs présentés en 1281 par les gens du duc d'Aquitaine. L'évêque de Lectoure[151] se plaignit à Edward Ier de ce que les habitants de son diocèse étaient opprimés par E. de Beaumarchais, sénéchal de Toulouse, qui les citait arbitrairement à Toulouse, à Castelsarrasin, et qui refusait de reconnaître leurs procureurs. Voici, d'autre part, le texte résumé des supplications faites au parlement de la Toussaint, il Paris, par les procureurs d'Aquitaine[152] : Les sergents et les bayles des sénéchaux du roi de France, de leur propre autorité, accablent les vassaux du roi d'Angleterre de mandements, de citations et d'inhibitions, à leur grand dommage. Or le roi-duc ne doit pas avoir tant de supérieurs en sa baronnie. Plaise à la Cour de décider qu'ils n'agiront désormais que sur l'ordre spécial des sénéchaux du roi de France, car ceux-ci s'abstiendront plutôt de commettre des actes vexatoires[153]. Les sergents du sénéchal de Périgord défendaient de prêter aux officiers anglais de Gascogne le serment accoutumé de pace tenenda et servanda ; le même sénéchal de Périgord — Simon de Melun — inquiétait alors les hommes du duc à propos de la garde de l'abbaye de Saint-Astier, sise hors de sa circonscription. Conflits de compétence judiciaire ou administrative, contestations au sujet de la possession de certains territoires, procès relatifs aux appels à la cour de France qui entravaient grandement, comme nous le verrons[154], les juridictions ducales, réclamations contre les violences commises de part et d'autre le long des frontières[155], telles étaient les formes diverses que revêtait l'hostilité naturelle du suzerain et du vassal. La cour de Philippe III connaissait de la plupart de ces différends ; il faut dire qu'elle les tranchait avec une impartialité rare ; d'ailleurs le duc d'Aquitaine comptait des amis parmi ses membres ; le roi lui-même assistait avec bienveillance[156] aux séances où l'on jugeait les affaires d'Edward Ier. Toutefois, si la Cour était étrangère au zèle excessif des officiers du Périgord et du Toulousain, elle ne laissa pas de se montrer énergique, notamment dans l'affaire célèbre dite de la date des chartes de Gascogne. Vers le milieu de l'année dernière, écrivait Jean de Grailli à Edward Ier en 1282, le roi de France manda au sénéchal de Toulouse que je fisse mettre en toute votre terre dans la date des chartes Regnante Philippo, rege Francie au lieu de Regnante Edwardo, rege Anglie[157]. Le sénéchal de Beaucaire avait fait tout récemment la même demande dans la seigneurie de Montpellier aux officiers du roi de Majorque mais, en Aquitaine, on n'obéit pas tout d'abord, et le roi fut très ému d'apprendre qu'on n'avait tenu aucun compte de sa volonté. Le sénéchal de Toulouse fut chargé d'amener à Paris certains notaires d'Agenais qui avaient rédigé des chartes factieuses, et il paraît que les délinquants auraient été en grand danger si Jean de Grailli n'avait pris sur lui la faute en reconnaissant qu'il avait omis de publier le nouveau style en Agenais. Jean de Grailli parla au roi, l'abbé de Saint-Denis et à aucuns autres, les priant de chercher une formule qui satisfît tout le monde ; celle-ci, par exemple, dont le mot regnante aurait été exclu : Actum fuit Edw., rege Anglie, duce Aquitanie. Mais à la fin, après grant conselh e grant débat eu sur ce, l'abbé de Saint-Denis et aucun autre respondirent que il étoit acordé que la date des chartes fust tele : Actum fuit regnante Ph., rege Fr., Edwardo, rege Anglie, tenante ducatum Aquitanie. A grant peine s'estoient acordé aucun du conselh que l'om i feist mencion de nul for que du roi de France. Quelque temps après cette conversation avec Mathieu de Vendôme, Jean de Grailli reçut de Londres l'ordre de tenir bon ; néanmoins, il céda, et il envoya aussitôt (1er août 1282) une circulaire en Agenais[158] pour notifier la réforme du formulaire[159], qui cette fois fut observée[160]. Cet incident, choisi entre beaucoup d'autres, démontre que l'autorité de Philippe III était présente en Aquitaine ; les gens du duc obéissaient à contre-cœur aux ordres du roi de France, mais ils obéissaient les établissements généraux du Parlement étaient aussi bien respectés dans le duché qu'ailleurs[161]. Edward Ier s'attacha même à satisfaire jusqu'aux désirs de son suzerain. Philippe l'ayant prié d'empêcher le comte de Béarn de marier sa fille Constance à don Sanche de Castille parce qu'il ne voulait pas que ledit Sanche acquît des fiefs dans le royaume, Edward ordonna aussitôt à son sénéchal de Gascogne de veiller à ce que ce vœu fût exaucé, bien qu'en droit strict il ne fût pas obligé d'y accéder[162]. Enfin il se soumit plusieurs fois à l'arbitrage gracieux du roi de France pour le règlement de ses querelles avec ses hommes[163]. Bien que la puissance d'Edward Ier fût autrement imposante que celle de Gui de Dampierre ou de Robert de Bourgogne, sa patience ne fut donc guère moindre en Aquitaine, comme en Flandre et en Bourgogne, les droits du souverain féodal, quoique plus vivement menacés, n'ont pas été compromis davantage, et la paix a été maintenue partout, sans avoir été achetée nulle part par des faiblesses coupables. Cela s'explique le gouvernement de Philippe III, soit qu'il eût affaire à l'ensemble abstrait de la féodalité, soit qu'il eût à imposer ses décisions aux grands vassaux, avait coutume d'user de modération. Toute l'originalité du règne est précisément dans cette mesure, également éloignée de la violence et du laisser-aller, que n'ont eue au même degré ni Louis IX, à cause de la raideur de ses principes, ni Philippe le Bel, à cause de la conception absolue et chimérique que ses conseillers avaient de l'art de la politique. On a donc vu pendant quinze ans, de 1270 à 1285, le phénomène d'une royauté, féodale par ses traditions et par ses maximes, qui, grâce à l'exercice prudent de ses prérogatives féodales, s'est trouvée en possession paisible d'un pouvoir presque monarchique. |
[1] LUCHAIRE, Institutions monarchiques de la France sous les premiers Capétiens, II, 1.
[2] H. F., XXI, 131 (Chron. Rothom.).
[3] Jean d'Outremeuse, V, 386.
[4]
Livre II, chap. Ier.
[5] H. F., XX, 492.
[6] Hist. gén. Lang., X, pr. c. 138. — Cf. Mand., n° 78, 79, 88, 90.
[7] Hist. gén. Lang., IX, p. 55. C'est à cette époque que fut décidée en faveur du roi de France la question de savoir si le comte de Foix tenait la vallée supérieure de l'Ariège en fief ou en alleu ; il en fit alors pour la première fois hommage à la couronne.
[8] Arch. Nat., J, 332, n° 10.
[9] Hist. gén. Lang., X, c. 197.
[10]
Livre II, chap. II.
[11] Rec. Off., Chancery misc. Portf., VII, n° 29. Lettre du 9 septembre an X.
[12] Arch. munic. de Narb., AA, 99, f° 49 v°.
[13] Arch. munic. de Narb., AA, 26. — Cf. B. N., Coll. Doat, L, f° 420.
[14] Arch. de Narbonne, AA, 104, f° 57. — Cf. Hist. gén. Lang., X, c. 170, n° 3.
[15] Arch. Nat., J, 1025, n° 2. Déposition d'un témoin.
[16] Ibid., § 14.
[17] Livre II, chap. II.
[18] Hist. gén. Lang., X, p. 409, note 1.
[19] Arch. de Narbonne, AA, CIII, f° 42 v°.
[20] Arch. Nat., J, 320, n° 17. Interrogatoire de G. Cathala.
[21] Arch. Nat., J, 346, n° 84.
[22] Voyez l'analyse de la déposition, Hist. gén. Lang., X, p. 418, 419.
[23] On interrogea successivement Pierre Yvart, bourgeois de Narbonne, un écuyer du vicomte, le frère de G. Cathala, etc. Un an se passa sans qu'on parvînt à découvrir des preuves formelles. Le 1S octobre 1283, G. de Compiègne, garde de la prévôté de Paris, Bt encore subir un interrogatoire à Guillaume de Narbonne, frère d'Aimeri et d'Amauri, qui avait été emprisonné comme le vicomte, malgré sa qualité de clerc. B. N., lat., 9016, n- 14 (Hist. gén. Lang., X, p. 423).
[24] Mand., n° 162.
[25] Voyez livre II, chap. IV. — Cf. B. N., Coll. Doat, L, f° 427, v°. [Narbonne, 21 septembre 1285]. Procès-verbal de la comparution des consuls de Narbonne, par-devant le vicomte Aimeri, lieutenant du sénéchal de Carcassonne et de Béziers.
[26] Voyez le jugement d'H. de Romans (m. 1277) sur les tournois, cité par LECOY DE LA MARCHE, la Chaire française au moyen âge, p. 364.
[27] Sous Philippe IV, les tournois furent interdits pour la grant mortalité de chevaux. — Cf. les promesses du comte d'Artois de payer à plusieurs combattants le prix des chevaux qu'ils avoient perdus dans les tournois. Arch. du Pas-de-Calais, A, 22, n° 2, 5 et suivants.
[28] H. F., XX, 512.
[29] Roman de Ham, p. 216.
[30] Roman de Ham, p. 79, 82.
[31] Mout gagnièrent marchéant en sa venue, dit un chroniqueur en parlant du prince de Salerne. V. les textes réunis par FR. MICHEL, éd. de l'Hist. des ducs de Normandie, p. XLVI.
[32] Anon. du ms. 2815, H. F., XXI, 96.
[33] Roman de Ham, p. 219.
[34] Ph. de Beaumanoir, poète et jurisconsulte, a célébré les tournois. Voyez BONNIER, Ph. de Beaumanoir, p. 192.
[35]
Roman de Ham, p. 216. — Cf. Hist. Litt., XXIII, 476.
[36] RAYN., 1279, § 17.
[37] CHAMP., I, 243 [Westminster, 14 octobre
1279].
[38] Roman de Ham, p. 220.
[39] RAYN., 1279, § 16.
[40] H. F., XXI, 96. Cf. XX, 512. — Rec. Off., Chanc. miscell. Portf., VII, n° 4. Lettre du sénéchal de Gascogne à Edward Ier pour lui recommander son fils.
[41] Deux mille hommes de chaque côté, d'après Raynaldi. — Cf., au Trésor des chartes des comtes d'Artois, plusieurs pièces relatives aux dépenses des vassaux du comte à Creil, à Compiègne et à Senlis. Invent. des Arch. du Pas-de-Calais, p. 43 et suiv.
[42]
Voyez le tournoi de Chauvenci, par Jacques Bretex, éd. Delmotte, 1835.
[43] RAYN., 1279, 17,
20.
[44] Olim, II, 161.
[45] Arch. Nat., J, 698, n° 56.
[46] BOUTARIC, la Fr. sous Ph. le Bel, p. 50.
[47] AD. TARDIF, la Procédure au XIIIe siècle, p. 72.
[48] BEAUM., II, 400.
[49] Le nombre des duels judiciaires fut tel, de 1270 à 1283, qu'il est superflu de citer des exemples. Un duel, raconté par le Mémorial de Saint-Germain des Prés à la date de 1281, attira 4.000 spectateurs de Paris et des environs. Voyez TANON, les Juridict. monast. de Paris, p. 24.
[50] H. F., XX, 564.
[51] Livre II, chap. III.
[52] Olim, I, 921.
[53] B. E. C.. XLVI, 446.
[54] Enquête sur les épisodes de cette guerre, Arch. Nat., J, 1028, n° 17. M. Bordier, corrigeant sur ce point M. Boutaric (Act. Parl., p. 143), en a fixé la date à l'année 1281 par d'ingénieux rapprochements.
[55] Une enquête pour savoir si cette guerre était légitime, c'est-à-dire si elle n'avait pas été menée en violation de la quarantaine le roy, nous en a conservé les curieuses péripéties. Act. Parl., I, 182.
[56] Act. Parl., n° 1786,1880, 2122, etc. En 1279, le voyer d'Olivet fit crier le ban du roi pour prendre escuiers et autres qui étoient à mau renommée. — Ne vos bougiez, vous estes pris, quar je suis li voiers qui vos prang de par le roi ! Arch. Nat., J, 1034, n° 60.
[57] Olim, II, 104 ; Hist. gén. Lang., X, pr. c. 83. — Cf. Mand., n° 134, et surtout BEAUM., II, 344.
[58] E. DE LAURIÈRE, Glossaire de droit féodal, v° ASSEUREMENT.
[59] Olim, II, 113.
[60] Cf. aussi Act. Parl., n°
2129, 2136, 2404.
[61] BEAUM., I, 477. — Cf. Olim, II, 178, n° XXIII, XXIV. A propos d'un contregagement opéré par le comte de Champagne sur les terres de l'archevêque de Reims.
[62] BEAUM., loc. cit.
[63] Arrêts de l'Echiquier de Normandie [1276].
[64] Mand., n° 44.
[65] Arch. Nat., JJ, XXXIV, f° 37 v°. — Cf. X1a, 4, f° 29.
[66] Cette copie porte à tort, dans le recueil de Laurière, le titre d'Ordonnance touchant les guerres privées. Ord., I, 344. Le mandement de Philippe III est publié en note par Laurière, d'après le registre Noster de la Chambre des Comptes, mais la Table du recueil (p. 30) se trompe en l'intitulant Mandement qui défend les guerres privées.
[67] Hist. Litt., XX, 768.
[68] Roman de Ham, p. 217.
[69] Olim, II, 144, 166, 191.
[70] L. DELISLE, Essai de restitution, n° 419.
[71] C'est le premier anoblissement qui soit consigné dans les registres du Trésor. A. DE BARTHÉLEMY, Étude sur les lettres d'anoblissement, p. 11.
[72] La Fr. sous Ph. le Bel, p. 55.
[73] On hésite pourtant sur la date de l'anoblissement de Raoul l'Orfèvre, qui est placée soit en 1270, soit en 1271, soit en 1272, soit en 1285. — Voyez GUYOT, Répert. de jurisprudence, I, 461 ; VIOLLET-LE-DUC, Dict. de l'architecture, I, 502, etc.
[74] LA ROQUE, Traité de la noblesse, p. 75.
[75] CARLIER, Hist. du Valois, II, 145.
[76] On ne sait pas, il est vrai, ce qu'est devenue la plus grande partie des collections de V. d'Hérouval, ce trésor public, ces archives universelles. L. DELISLE, Catal. des actes de Ph.-Auguste, p. XLVII.
[77] A. DE BARTHÉLEMY, op. cit., p. 1869.
[78] H. MARTIN, Hist. de Fr., IV, 360.
[79] Parmi les 116 orfèvres de Paris, en 1292, trois portaient le nom de Raoul ; mais ils furent taxés tous les trois à des sommes très minimes. Voyez DIDRON, Annales archéologiques, VI, 31 : Les orfèvres de Paris au moyen âge.
[80] Archives de l'Oise, fonds de Crépy. — Arch. Nat., P, 1893. Terrier de Crespy (XIVe s.).
[81] BEAUM., II, 235.
[82] Ord.. I, 304, § 6, 8. — Cf. Interpretatio Curie, ibid.,
I, 306, note.
[83] Cf. Arrêts de l'Echiquier de Normandie.
[84] Ord., I, 304, c. 2.
[85] BRUSSEL (Usage des fiefs, I, 673) démontre, d'une façon que M. Boutaric trouve victorieuse (la Fr. sous Ph. le Bel, p. 249), que cette déclaration n'appartient pas à l'ordonnance de 1275, mais à la réédition de 1291. C'est une erreur sur les registres Croix et Noster, elle était transcrite après la Vetus ordinacio de 1275 ; et sur un feuillet de garde du Cartulaire de Langres (B. N., lat., S188, f° 1) on en trouve une traduction française datée de 1275.
[86] Philippe, dans sa lettre à P. Vigier et à E. de Lorris, exclut nominativement de la liste des barons privilégiés le comte de Foix, les vicomtes de Narbonne et de Lautrec, les seigneurs de Mirepoix et de Clermont, Jean de Monfort. Ord., I, 304, c. 2.
[87] Ord., 1, 302, c. 2.
[88] L'Échiquier, en 1283, invita formellement les seigneurs et les abbayes de Normandie à l'observer sous peine de confiscation.
[89] Lettre à P. Vigier et E. de Lorris, Ord., I, 304, c. 2.
[90] Ord., I, 304, c. 1.
[91] Ord., I, 304, c. 1.
[92] Rec. Off., Vascon Rolls, i, Edward Ier, m. 2. — Cf. ibid., 12, Edward
Ier, m. 2 et m. 5 [Chester, 28 décembre.]
[93] Ord., XI, 351.
[94] Voyez livre IV, chap. V.
[95] B. E. C., 3e série, V, 178.
[96] Lettre de Marguerite de Flandre à Philippe III, pour lui demander son approbation. D'OUDEGHERST, Chron. et Ann. de Flandre, II, 155.
[97] TAILLIAR, Recueil d'actes en langue wallonne, p. 334.
[98] WARNKÖNIG, Flandrische Geschischte, III, pr. p. 69.
[99] Voyez la lettre de Gui de Dampierre à la ville de Lille par laquelle il indique la formule du serment à prêter aux envoyés du roi de France. Livre Roisin, p. 289 [févr. 1276].
[100] Voyez la liste des barons et des villes, WARNKÖNIG, loc. cit., p. 60. Cf. Arch. Nat., J, 451.
[101] WARNKÖNIG, loc. cit., p. 61. C'est donc à tort que M. Kervyn de Lettenhove (Hist. de Flandres, II, 356) attribue une grande importance à ce fait que Ph. le Bel a exigé, en 1286, une nouvelle ratification du traité de Melun.
[102] Sur les prohibitions d'exportations édictées par Edward Ier, voyez Annual report of the deputy Keeper of the Public Records, XLIII, 567. — Traité de Montreuil et pièces annexes. RYMER, I2, 137, 140, 170. — La guerre anglo-flamande fut très préjudiciable aux intérêts des villes du nord. Gand, Ypres et Douai forcèrent en quelque sorte la comtesse à y mettre fin. Voyez Arch. comm. de Douai, AA, 81, f° 23. Sur le mariage de Marguerite de Flandre et d'Alexandre d'Écosse en 1281, voyez Arch. nat., K, 556.
[103] Arch. du Nord, B, 135, n° 3 (31 oct. 1213).
[104] Voyez le texte de l'accord, L. DELISLE, Fragm. du reg. de Nic. de Chartres, p. 46.
[105] Olim, II, 174.
[106] WARNKÖNIG, op. cit., II, 1, pr. p.
102.
[107] Olim, II, 142, 199, BEAUM., II, 405.
[108] Olim, II, 236, n° VIII. Cf. — DIEUCX, Mém. sur les lois des Gantois, II, 102.
[109] Olim, II, 133, n° XIII ; Invent. des Arch. du Nord, II, p. 21, col. 2.
[110] Mand., n° 104, 111, 148.
[111] Olim, II, 199, n° X.
[112] Le traité de Melun avait stipulé que les fortifications des villes de Flandre, ne seraient pas relevées. Lille ayant relevé ses fortifications fut, en 1281, frappée d'une amende de 24.000 livres parisis. (Ord., XI, 358. — Cf. Livre Roisin, p. 305, 319.)
[113] PÉRARD, Pièces relatives à l'histoire de Bourgogne, p. 522 [23 oct. 1272]. Lettre de Hugues IV au roi pour lui apprendre qu'ayant émancipé son fils Robert, il lui a donné son duché ; le roi est prié d'agréer son hommage.
[114] En 1272, DOM PLANCHER, Hist. de Bourgogne, II, 37.
[115] DOM PLANCHER, Hist. de Bourgogne, II, p. 56.
[116] L. DELISLE, Essai de restitution, n° 545 ; Olim, II, 151.
[117] DOM PLANCHER, op. cit., p. 63.
[118] PÉRARD, op. cit., p. 543.
[119] PÉRARD, op. cit., p. 548. L'intervention de Philippe III fut encore requise par Robert de Bourgogne à l'occasion de ses différends avec l'abbaye de Saint-Pierre de Châlon, et à propos du mariage de son fils avec Alix, fille du comte palatin de Bourgogne (DOM PLANCHER, op. cit., pr., p. 50 ; Arch. de Saône-et-Loire, H, 116, n° 23).
[120] DOM PLANCHER, op. cit., II, 63.
[121] Cf. B. N., lat., 4654, f° 33 (Cartul. de Dijon).
[122] Olim, II, 145, n° XVI.
[123] Arch. municipales de Dijon, B, 1 (décembre 1282).
[124] DOM PLANCHER, op. cit., Il, 84, 85. Cf. Cartul. de Dijon, f° 37 : C'est la confirmation des mars et de l'achat scellé de Ph., roy de France. (Bibl. de la Fac. de méd. de Montpellier, n° 386.)
[125] DOM PLANCHER, op. cit., p. 80, pr., p. 52.
[126] DOM PLANCHER, op. cit., p. 80, pr., p. 56 (juin 1284).
[127] DOM PLANCHER, op. cit., p. 80, pr., p. 53.
[128] Juillet 1280, DOM MORICE, Hist. de Bretagne, p. 208. — Arch. Nat., J, 241, n° 21. — Olim, II, 174, 178, 192.
[129] Olim, II, 60, n° XXII.
[130] Olim, II, 118, n° XXXIV.
[131] RYMER, p. 188. CHAMP., I, 180, 248.
[132] Le comte d'Astarac conclut un traité avec le sénéchal de Toulouse pour placer sous la garde du roi de France toutes les bastides qu'il établirait. CURIE SEIMBRES, op. cit., p. 288.
[133] B. N., Coll. Moreau, 636, f° 53. Lettre à Edward Ier. En décembre 1219, Philippe III le dispensa comme privilégié de la couronne de prêter au duc d'Aquitaine l'hommage que celui-ci lui réclamait. Arch. des Basses-Pyrénées, E, 613. Toutefois, en 1282, le comte de Périgord renonça solennellement aux appels qu'il avait portés à la Cour de France contre le roi d'Angleterre, et se mit à sa merci. Rec. Off., Royal Letters, XI, n° 2099.
[134] En 1286, Edward Ier fit pendre plusieurs gentilshommes gascons devant la porte de leurs châteaux pour s'être montrés trop empressés à faire leur cour au roi de France. Knyton, ap. TWYSDEN ET SELDEN, Decem scriptores, III, p. 2465.
[135] Livre II, chap. II.
[136]
Mand., n° 110, 112. Voyez les procès-verbaux de la prise de possession,
MAGEN ET TROLEN, Arch.
municipales d'Agen, pp. 1, 27. Ces procès-verbaux ont été transcrits dans
un ms. de la chancellerie anglaise qui contient en outre un état des revenus de
l'Agenais au moment de la cession. Bibl. Bodléienne, fonds de sir Th.
Bodley, n° 917. Ce registre correspond à l'un de ceux qui sont décrits dans le
catalogue des Archives anglo-aquitaines, dressé en 1321 par W. Stapleton, Rec.
Off., Treasury of receipt. A
5/8 p. 190.
[137] Cf. B. N., Coll. Moreau,
636, f° 229.
[138] Olim, II, 34. — Cf. Edward Ier à Ph. III (21 juin 1281, ap. RYMER, p. 193, c. 2).
[139] RYMER, p. 180. Edward se reconnait débiteur envers le roi de France d'une somme de 6000 l. t. pro rachato comitatus Pontivi ; cf. CHAMP., I, 224. Jeanne de Castille avait aussi payé autrefois à Louis IX 5600 livres parisis pro rachato ; mais, en 1272, elle en avait demandé la restitution sous prétexte que, la succession étant en ligne directe, elle ne devait payer aucun droit suivant la coutume de France. Philippe III avait consenti à une transaction et rendu 1000 1. p. (Arch. Nat., J, 235, n° 47). Edward le, avait pris sur lui de payer les, dettes de Jean de Falevi, second mari de madame de Pontieu, et, comme il ne les paya pas aussitôt, les gens du roi de France menacèrent de les lever eux-mêmes. (CHAMP., I, 257.) Thomas de Sandwich, sénéchal de Pontieu, s'en plaignit à Philippe III, qui lui répondit moult franchement qe des choses qe a lui apendent ne voudra qe par ses baillis soions molesté quant à ce, mais ke autrui droiture ne soit decriié. (Rec. Off., Chanc. misc. Portf.,V, n° 138.)
[140] Sur la besogne d'Aubemarle, voyez une lettre du sénéchal de Pontieu à Edward Ier, (Rec. Off., Chanc. misc. Portf., V, n° 138). Cf. l'arrêt du Parlement. L. DELISLE, Fragm. du rege. de Nic. de Chartres, p. 59.
[141] Rec. Off., Vascon Rolls, 13, Edward I, m. 2.
[142] CURIE SEIMBRES, op. cit., p. 204. Cf. B. N., Coll. Moreau, 636, f° 219. Edward Ier à J. de Grailli.
[143] La correspondance des officiers anglais de Gascogne avec Edward Ier se trouve au Record Office : 1° les mandements et les lettres du roi ont été transcrits à mesure sur des rouleaux qui forment aujourd'hui la précieuse collection des Vascon Rolls ; 2° les rapports adressés de Gascogne au roi sont répandus dans les Royal Letters ; dans les 43 portefeuilles de la chancellerie (Chancery miscellaneous Portfolios) ; dans les archives de l'Échiquier ; dans les Privy Seals, les Gascon Petitions et les Chancery files.
[144] Rec. Off., Royal Letters, n° 1370 (CHAMP., I, 255).
[145] Rec. Off., Roy. Lett., n° 3829 (CHAMP., I, 270).
[146] Rec. Off., Roy. Lett., n° 2100 (CHAMP., I, 312).
[147] Rec. Off., Chanc. miscell. Portf., VII, n° 31.
[148]
Voyez entre autres les lettres de J. de Grailli sur les différends qui s'étaient
élevés entre les peuples d'au delà de la Garonne et les sujets du feu comte de
Poitiers (samedi avant la Saint-Grégoire 1280). Rec. Off., Chanc. misc.
Portf., VII, n° 99 ; sur l'Inquisition en France, n- 626. Rapport d'A. Mota sur
l'état de l'Agenais en 1280. (Royal Letters, n° 2140.) Voyez aussi Royal
Letters, n° 1398, 1413, 2105, 2139, 2178. Cf. notre thèse latine, ch. III.
[149] Rec. Off., Vascon Rolls, 6, 7, Edward 1er, m. 4. (CHAMP., I, 223). Cf. une lettre d'Edward Ier à l'évêque de Bath et à O. de Granson sur l'administration de la Gascogne (mars 1278), RYMER, p. 169.
[150] Les sénéchaux de Gascogne étaient souvent obligés d'abandonner leur poste pour veiller aux intérêts de la province devant la Cour de France, et l'administration du duché en souffrait. Voyez RYMER, p. 205, c. 2.
[151] Voir la conclusion très énergique de l'évêque (Rec. Off., Roy. Lett., n° 2298) — Cf. Vascon Rolls, 9, Edward Ier. Lettre du roi à J. de G. et à Bonet de Saint-Quentin sur l'affaire de Lectoure.
[152] Olim, II, 35, suiv.
[153] La Cour n'agréa pas cette requête.
[154] Ci-dessous, chap. V.
[155] Voyez par exemple la requête adressée à Edward Ier par Jean d'Espiers, sergent du roi de France (23 mars 1284, v. st.). Rec. Off., liber B, f° 278 v°. — Réciproquement, voyez Archiv. municip. de Pampelune, Cartul. del rei D. Felipe, f° 23. Le roi au gouverneur de Navarre.
[156] Rec. Off., Chanc. misc. Portf., V, n° 138. Th. de Sandwich à Edward Ier : Et sachiez sires, que toutes les feis que l'en parle à cest Parlement de vos besoignes, li reis meesmes i a esté tout le plus et n'a souffert que son conseil à autres besoignes entendist tant que la vostre fut délivrée.
[157] RYMER, I3, 84.
[158] MAGEN ET THOLEN, Arch. municipales d'Agen, p. 94.
[159] Voici la formule qu'il prescrit : Actum fuit regnantibus Ph., rege Francie, Edw., rege Anglie, duce Aquitanie.
[160] Voyez des actes notariés dans Arch. histor. de la Gironde, VIII, 191.
[161] RYMER, p. 206. Les Bordelais à Edward Ier (juillet 1282).
[162] CHAMP., I, 365. — Cf. RYMER, I3, p. 81.
[163] RYMER, I2, p. 204, c. 2. — Rec. Off.,
Vase. Rolls, 4, Edward Ier, m. 2.