LE RÈGNE DE PHILIPPE III LE HARDI

LIVRE PREMIER

 

CHAPITRE II.

 

 

Au XIIIe siècle, l'entourage du roi, c'est l'État. C'est à la cour déjà nombreuse des derniers Capétiens directs que se trouvaient les conseillers intimes de la volonté royale ; c'était là que se nouaient et se dénouaient les intrigues, que les coteries se livraient bataille, que s'exerçaient les rivalités ; c'était là, en un mot, que siégeait le gouvernement, et que se passaient ces événements bruyants et superficiels qui ont toujours eu le privilège d'attirer l'attention des chroniqueurs et des historiens. Là s'élaborait, pour ainsi dire, la politique journalière. Cela est particulièrement vrai pour le règne de Philippe III, qui a été le règne des favoris et des courtisans, l'un des premiers qui aient été marqués, dans l'histoire de France, par une révolution de palais. Les intrigues de Pierre de la Broce, de la reine Marie de Brabant, de la reine Marguerite de Provence et de leurs partisans ensanglantèrent, en effet, la cour de Philippe le Hardi en 1278 ; elles la troublèrent pendant de longues années ; chaque parti maîtrisa successivement l'esprit du roi et gouverna par conséquent la royauté. Il importe de raconter ces vicissitudes, car elles ont coïncidé peut-être avec certains changements d'orientation, imperceptibles au premier abord, de la politique générale.

De 1270 à 1278 s'étend le principat de Pierre de la Broce ; pendant cette période, toute autre influence parut s'effacer devant la faveur du grand chambellan.

Pierre de la Broce est le premier de ces ministres, choisis dans la roture ou dans la petite noblesse, dont chaque règne verra désormais la grandeur et la décadence. Suivant la tradition, il était de très bas lignage et il avait été attaché d'abord en qualité de chirurgien[1] ou de barbier[2] à la personne de Louis IX ; mais cette tradition injurieuse a été inventée par ses ennemis ; en réalité, comme on le voit en lisant ses papiers de famille[3], sa condition, si modeste qu'elle fût, n'était pas infime. Sa généalogie remontait à Pierre de la Broce en Touraine, qui vivait sous Philippe-Auguste et dont la femme Florence est qualifiée en 1224 de noble dame[4]. Le fils de Pierre et de Florence se mit, dès sa jeunesse, au service de Dreux de Mollo, seigneur de Loches puis, il fut sergent du roi de France[5]. De sa femme Péronnelle, il eut Pierre, qui devint le célèbre favori. Ce Pierre, aîné de six enfants, devint officier de l'Hôtel[6], grâce au crédit des valets tourangeaux qui formaient une caste puissante dans la domesticité royale. Il parait que saint Louis fut satisfait de sa conduite, car il le créa, en 1264, sire de Nogent-l'Erembert ; à partir de 1266[7], Pierre put même se faire appeler, dans les chartes authentiques, chambellan du roi notre sire.

En 1270, Pierre de la Broce accompagna saint Louis à la croisade de Tunis. Il était alors chevalier, chambellan, et fort bien en cour. Il n'était pas encore très riche, à la vérité, puisqu'il avait marié sa fille Perrinette à un gentilhomme auquel elle n'avait apporté que vingt-cinq livres de rente en dot ; mais, confiant en sa faveur auprès du prince Philippe, il venait de rompre, en 1269, une promesse de mariage échangée, avant son élévation, entre son fils Pierre et la fille d'un simple bourgeois de Tours[8]. Le fait est que, dans ses fonctions intimes, il avait réussi à prendre sur l'esprit hésitant du futur roi un ascendant absolu. Par quels moyens ? on l'ignore, et, en l'absence de textes précis, il serait déraisonnable de le rechercher ; mais ce que l'on sait bien, c'est qu'il était le conseiller préféré et le compère de Philippe le Hardi[9], et qu'il en profita pour s'élever rapidement, après la mort de Louis IX, au faîte des honneurs et de la richesse.

Saint Louis mourut le 25 août ; en septembre, Philippe III octroya à son chambellan une première donation, datée du camp devant Cartilage[10] ; le 2 octobre, il lui donna le plus sensible témoignage de confiance en le plaçant au nombre des membres du conseil de régence qu'il adjoignit à son frère Pierre d'Alençon, en prévision d'une minorité[11]. Déjà la reine Isabelle l'avait choisi pour être l'un de ses cinq exécuteurs testamentaires[12]. Aussitôt, les grands seigneurs de l'armée, prévoyant que, comme jadis Pierre des Vignes en avait usé avec Frédéric II, Pierre tiendrait les clefs du cœur de Philippe pour fermer ou pour ouvrir[13], s'empressèrent d'imiter ces exemples royaux[14]. Ce n'était là que le commencement d'une prospérité inouïe. En 1271, Pierre de la Broce obtint du roi le château, la châtellenie et la prévôté de Langeais, en Touraine ; il s'intitula désormais seigneur de Langeais. II reçut encore la châtellenie de Châtillon-sur-Indre[15], les seigneuries de Damville et de Charnelles, en Normandie, avec le plaid de l'épée. En outre, il se faisait donner de temps en temps de grosses sommes d'argent ; on conserve encore aux Archives un rouleau qui contient l'interminable inventaire des lettres de donation, de confirmation et de privilèges accordées par Philippe III à son favori[16] ; il y en a sur cire blanche, il y en a sur cire verte, et c'est par vingtaines qu'oncles compte. Si bien que le scribe chargé, vers 1278, d'en dresser la liste instructive, n'a pu s'empêcher d'en clore l'énumération par une remarque facétieuse[17] ; il semblait que le roi n'eût été occupé, en effet, depuis son retour de Tunis, qu'à authentiquer ses libéralités à Pierre de la Broce. Et cependant l'inventaire des lettres royales de donation ne permettrait pas de dresser une statistique complète des acquisitions du chambellan ; car il acceptait des terres et des rentes de toutes mains, de Robert de Béthune, héritier de Flandre[18], de Robert, comte d'Artois, son ami[19], de P. Barbet, archevêque de Reims, des comtes de Flandre et de Saint-Pol. Il n'y avoit pas de baron au royaume de France, dit un chroniqueur[20], qui ne lui donnât et qui ne fût tout liés quand il vouloit prendre du sien, et le roi même faisoit semblant qu'il lui plaisoit, quand on lui donnoit. Aussi le roi de Sicile, toujours attentif v flatter son neveu pour s'assurer de son alliance, céda-t-il gracieusement au puissant seigneur de la Broce, par une charte du 17 juillet 1273, tous les fiefs qu'il avait dans la châtellenie de Langeais, ce qui força la veuve du comte de Vendôme à prêter hommage au parvenu. Le roi d'Angleterre agit de même[21]. Si les princes et les rois descendaient jusque-là, on pense jusqu'où pouvaient aller les générosités intéressées des seigneurs de second ordre, en quête d'un protecteur[22].

Pierre administrait en bon père de famille sa fortune de fraîche date ; on admire dans les contrats innombrables d'achat, d'échange et de bail qui forment en quelque sorte ses archives domaniales, sa patiente ténacité de propriétaire campagnard à arrondir ses terres, à débarrasser ses beaux fiefs de Touraine de toute servitude et de toute enclave. A Langeais, il acquit d'Aaliz, dame de Saint-Micheau-sur-Loire, une tour qu'elle avait[23] ; il racheta de Maurice de Craon, sénéchal d'Anjou et du Maine, une rente qui grevait la châtellenie[24] ; Guillaume l'Archevêque, sire de Taillebourg, lui abandonna une autre rente de cent livres qu'il avait le droit de prendre sur la prévôté. De même, il augmenta son fief de Châtillon-sur-Indre du château de Palluau et de ses appartenances[25]. Il avait la joie d'être un riche suzerain dans le pays même où ses ancêtres n'avaient possédé que le petit domaine de la Broce, car il comptait parmi ses vassaux de très nobles hommes ; aux convocations de l'ost royal, il pouvait venir escorté du seigneur de l'Isle-Bouchard, de G. d'Auverte, de Hardouin de Mailli, de R. de Prungi, de G. de Palluau[26], et de plusieurs autres. Si ces personnages, qui tenaient jadis leurs terres directement de la couronne, faisaient quelque difficulté pour lui prêter foi et hommage, l'intervention impérieuse du roi ne tardait pas à les contraindre à l'obéissance[27]. — En même temps qu'il aménageait si habilement sa principauté tourangelle[28]. Pierre de la Broce plaçait ses fonds ; il acquit à prix d'or des terres en Béarn, en Saintonge, sur le territoire anglais, des rentes considérables sur la prévôté de la Rochelle[29], sur le trésor du roi[30] ; en 1271, il avait déjà assez d'argent disponible pour prêter tout d'un coup plus de l800 livres tournois à P. Michel, bourgeois de Tours et panetier du roi[31], et pour contracter avec le chambellan Jean Sarrasin une société commerciale où plus de dix mille livres étaient engagées[32]. Philippe III vidimait toutes ces transactions avec solennité[33]. — C'est ainsi que le chambellan de saint Louis devint le maître authentique de richesses fort grandes, en voie de continuel accroissement : A daerrains, monta Pieres en si grant signorie que il ot bien II. M. livrées de terres et plus de C. M. livres de muebles[34].

Il est donc certain que Pierre de la Broce n'a pas été un conseiller désintéressé ; au contraire, il se hâta de jouir, et il n'y a guère de noblesse dans la précipitation qu'il mit à assurer l'avenir en monnayant au plus tôt la confiance de son maître. D'autant qu'il ne se contenta pas de se pourvoir lui-même et qu'il encombra de sa parenté les plus hautes charges du royaume. Pierre de Benais, cousin de sa femme, fut fait clerc du roi, doyen, puis évêque de Bayeux ; Philippe Barbe, son allié, fut bailli de Bourges. Il maria ses enfants en bon lieu ; à la vérité, l'union de son fils avec une fille de l'illustre maison de Parthenay en Poitou, décidée en 1273[35], fut rompue en 1274, pour des causes que nous ignorons[36], mais Amicie de la Broce épousa le fils du seigneur de Beaugenci ; sa sœur Isabeau fut donnée à Mathieu de Villebeon, descendant d'une puissante dynastie de chambellans héréditaires de l'Hôtel. Pierre trouva encore un sire de la Ferté pour sa nièce Péronelle.

Malgré cette avidité qui dénotait une ambition vulgaire, la faiblesse de Philippe III avait confié à P. de la Broce une autorité illimitée dans les choses de la cour. Les barons et les prélats le craignaient fort, dit G. de Nangis[37], parce qu'il faisait du roi tout ce qu'il voulait. On le savait si bien que Grégoire X lui octroyait, comme à un prince, des privilèges spirituels, et que frère Jérôme, général des frères mineurs, le comblait de bénédictions et l'appelait le protecteur de son ordre[38]. Il était à tous les conseils du roi, dit une chronique flamande[39], toutes les heures qu'il voulait et quand les barons avaient conseillé au roi ce qu'ils savaient être bon, s'il ne plaisait à Pierre, leur conseil n'était pas suivi. C'est ce que disent tous les écrivains contemporains, et c'est ce qu'exprime, en formulant énergiquement l'idée, une compilation anonyme du XIVe siècle[40] : Ce Pierre, maître conseiller du roi et gouverneur du royaume.....

Mais cette toute-puissance, dont il usa pour s'enrichir, le favori en usa-t-il aussi pour gouverner ou bien n'a-t-il été, comme Philippe III, qu'un comparse brillant sur la scène politique où d'autres jouaient les rôles essentiels ? Sur ce point, les textes gardent le silence[41], et cela est naturel, car si Pierre de la Broce a dirigé l'administration royale pendant la première partie du règne, son action a été certainement occulte ; elle ne pouvait pas laisser de traces. A supposer même qu'il eût rédigé, comme Nogaret, des mémoires et des projets d'ordonnances, ces pièces n'auraient-elles pas été détruites après sa disgrâce ? On est donc réduit à formuler des hypothèses sur la valeur, en tant qu'homme d'État, du chambellan de Philippe le Hardi ; toutefois il est très vraisemblable que cette valeur a été nulle. Il faut avouer que c'est pendant la première partie du règne que les principales ordonnances de Philippe III ont été rédigées, mais rien n'autorise croire qu'elles soient l'œuvre du favori elles ne portent point l'empreinte d'une volonté originale et vigoureuse. Si Pierre de la Broce a gouverné, de 1270 à 1278, il n'a pas eu de politique personnelle. N'est-il pas plus croyable que ce petit gentilhomme, transformé en valet de l'hôtel et en grand seigneur, manqua tout à fait à sa fortune ? C'est ce que tend à prouver, sans parler de ses faiblesses de parvenu, l'histoire lamentable de sa chute.

Comme il tomba de très haut très bas, il est demeuré longtemps le type légendaire de l'instabilité des choses humaines, et toute une littérature de complaintes s'est développée sur son nom[42]. Sa brusque faveur, l'apparat qu'il eut la simplicité de lui donner, et son éclatante disgrâce surprirent d'autant plus que ces événements se succédèrent en un temps plus calme. Nous distinguons aujourd'hui, mieux que les contemporains eux-mêmes, les causes de cette disgrâce tragique qui amena Pierre de la Broce au gibet de Monfaucon.

Deux faits sont hors de doute le premier, c'est que la noblesse féodale, qui flattait Pierre de la Broce à cause de son pouvoir, le détestait au fond du cœur, parce qu'il accaparait le roi[43] ; le second, c'est que l'influence du chambellan commença à diminuer quand Philippe, veuf d'Isabelle d'Aragon, se fut remarié, en août 1274, à la jeune fille du duc de Brabant, belle, sage et bonne, qu'il aimait beaucoup[44]. Les ennemis de Pierre de la Broce se groupèrent en effet autour de la nouvelle reine et de ses parents, les ducs de Brabant et de Bourgogne, le comte d'Artois ; dans la cour, autrefois paisible, l'arrivée de la princesse Marie opposa puissance à puissance.

Le parti des amis de la reine[45] ne manquait pas de griefs, légitimes ou supposés, contre le favori ; on l'accusait d'orgueil et d'ostentation, ainsi que sa femme Philippa[46]. Il monta en moult grand orgueil et lui et sa femme, dit un anonyme[47], tellement qu'il tenoit plus grand estat que les nobles princes du lignage du roi, et sa femme vouloit avoir aussi grand estat que la royne, et pour ce, la royne l'avoit en despit. On l'accusait aussi d'être de mince noblesse et de préférer L'argent à l'honneur ; c'est ce que faisait entendre au roi le trouvère brabançon Adenès par ces vers hardis du Roman de Cléomadès, poème qui contient des allusions très claires aux intrigues de la cour de France :

Haus home moult folement œuvre

Qu'il grant conseil vilain descuevre.

Car pieça, com dit le proverbe,

De pute racine, pute herbe...

Adès reva li leus au bois.

Bon fait entour soi avoir gent

Qui aiment miex honneur qu'argent,

Dont n'afiert pas que li vilain

Aient nul grand prince en leur main[48].

Enfin, d'aucuns prétendaient que Pierre était jaloux de l'affection que le roi montrait pour la reine Marie[49] ; et une tradition, malheureusement très peu sûre, veut que les grands seigneurs aient été fondés à reprocher au favori son énergie et sa raideur à arrêter leurs gaspillages[50].

Le crédit de Pierre et de ses amis, les chambellans tourangeaux, résistait cependant à ces médisances, quand, en 1276, mourut l'héritier du trône, l'aîné des trois fils que Philippe III avait eus d'Isabelle d'Aragon. Il mourut subitement et l'on parla d'empoisonnement ; or, le crime n'avait pu être commis que par la reine Marie et ses familiers, car il profitait aux enfants du second lit qui auraient succédé un jour à leur père à défaut des fils d'Isabelle. Il n'en fallut pas davantage pour que le bruit se répandît que les Brabançons, d'ailleurs détestés, avaient assassiné l'héritier présomptif, et c'était naturellement Pierre de la Broce, de concert avec son cousin Pierre de Benais, alors doyen de Bayeux, qui propageait et qui, au besoin, faisait naître ces rumeurs insolentes[51].

Pierre de la Broce disposa l'esprit du roi à croire que la reine et les femmes de son hôtel avaient empoisonné le prince Louis[52] ; il mit le soupçon dans son cœur[53]. Pierre de Benais, de son côté, parlait à toute la cour de la funeste aventure avec des sourires feints, des haussements d'épaules, des hochements de tête, des grincements de dents significatifs[54]. Un jour, par exemple, il alla voir à Sainte-Geneviève le légat Simon et lui dit : Sire, je me merveille moût durement de ce que l'on dit par Paris de madame la reine la jeune et des fames de son ostel que ele amena de son païs. Sur les questions du légat, il ajouta : Sire, on dit tout communément qu'eles mistrent à mort Mgr. Loys, le fiz le roi, et si se doute l'en que eles ne facent autel, se eles puent, as autres enfanz le roi que il a de sa première fame. Et comme son interlocuteur s'étonnait : Sachiez, sire, que li criz en est si grant par tot Paris et si durement en est emuz et dolenz li peuple de Paris que il n'a fame en l'ostel la Roine qui osast aler dou Louvre où eles sont jusques à l'église Nostre-Dame en pelerinage par pœur de ce que li peuples de Paris ne leur corust sus et les lapidast[55]. — Ces discours ne pouvaient manquer d'émouvoir tout l'entourage du roi, et si le favori avait cherché moins à dévoiler des coupables qu'à se venger de ses ennemis en les inquiétant, il réussit d'abord à merveille.

Alors se produisirent des événements tout à fait romanesques. Un saint homme, chanoine de Laon, ayant dit, sur la foi de deux béguines du diocèse de Liège, qu'il savait par révélation de Notre-Seigneur que le roi Philippe se livrait à certains péchés, le bruit courut bientôt en Flandre et en France qu'il avait en outre prédit, quelque temps avant la mort du prince Louis, que si le roi ne se repentait pas prochainement de ses fautes, un de ses fils mourrait dans les six mois. Philippe III apprit ces désagréables histoires à Tours, où il réunissait son armée pour entreprendre une expédition en Navarre ; il en fut très courroucé et moult à mesèse[56], et il pensa qu'on avait bien pu empoisonner son fils, afin de justifier la prédiction du saint homme. Il consulta le légat en secret sur cette affaire. D'abord, était-il vrai que le chanoine de Laon eût fait la prédiction dont on parlait ? Ce chanoine avait bien écrit au roi que les saintes femmes de Liège lui avaient révélé son vice, et que, s'il ne s'amendait, il ne demeurerait rien de lui sur la terre ; la reine Marguerite de Provence avait même eu connaissance de cette lettre, qui ne contenait, on le voit, que des menaces vagues et aucune allusion à la fin prochaine d'un enfant[57] : Il sembla bon dès lors au roi et au légat d'envoyer aux deux illuminées du diocèse de Liège un homme de confiance pour savoir si elles avaient véritablement parlé au chanoine de Laon du péché en question et de la mort du prince Louis.

Philippe III, en députant des messagers aux devineresses de Flandre, voulait donc s'assurer qu'une prédiction, relative au malheur domestique qui l'accablait alors, avait été faite après coup. Mais G. de Nangis et, après lui, tous les historiens, ont singulièrement dénaturé ses intentions ; faute d'être au courant de la vérité, ils ont imaginé une explication absurde. S'il fallait accepter leurs récits, le roi pensait avec amertume à l'empoisonnement de son fils quand il apprit qu'il y avait à Nivelle une sorcière sainte femme et de bonne vie qui merveilles disoit des choses passées et à venir ; à Laon, un nécromancien qui savait moult de choses secrètes ; et, du côté de l'Allemagne, un autre devin de la secte sarabaïte[58]. Afin d'apprendre la vérité au sujet de l'innocence de sa femme, il aurait fait incontinent consulter ces personnages[59]. Conduite surprenante, car il leur envoya successivement les clercs les plus illustres de sa cour, des évêques, l'abbé de Saint-Denis, un chevalier du Temple. De tels faits, s'ils étaient exacts, donneraient assurément le droit de déclamer contre la superstition du temps[60], mais ils n'ont d'autre origine que l'interprétation donnée, par un chroniqueur mal informé, à des actes qui, pour paraître étranges, ne s'en justifient pas moins aisément.

A Tours, le roi et le légat s'accordèrent à envoyer vers les béguines de Nivelle maître Guillaume de Mâcon[61]. Mais Pierre de la Broce intervint alors ; il comprit qu'il était utile à ses intérêts de surveiller et de diriger les dépositions des voyantes de Liège, et il proposa Pierre de Benais pour la mission projetée. Pierre obtint même que les régales de l'évêché de Bayeux, auquel son cousin venait d'être élu, lui fussent délivrées sans prestation de serment, de peur que, si Pierre de Benais allait trouver le roi pour ses régales, on n'envoyât d'office un autre messager en Flandre. En conséquence, le légat donna à Paris ses instructions au nouvel évêque de Bayeux il devait demander aux deux béguines, Aaliz et Isabelle de Sparbeke, en présence de l'évêque de Liège, de déclarer avec serment si elles avaient parlé au chanoine de Laon des péchés du roi et de la mort de ses enfants. Pierre de Benais revint bientôt avec des lettres de l'évêque de Liège ; les saintes femmes avaient juré qu'elles n'avaient jamais rien dit au chanoine, que le roi était bon prince, loyal et honnête, et qu'elles n'avaient pas parlé des enfants.

Mais Pierre de Benais avait profité de ses conversations avec elles pour leur suggérer, non seulement de désavouer leurs prédictions — ce qu'elles avaient fait —, mais encore de se faire l'écho des accusations qui circulaient contre Marie de Brabant. A son retour, il dit au légat qu'Isabelle de Sparbeke lui avait confié qu'il lui avait été révélé que l'enfant avait été empoisonné et que les empoisonneurs étaient de l'hôtel de la jeune reine. Il refusa du reste d'entrer dans d'autres détails. Ce firent, dit-il au légat, les plus prochaines persones de la roine, mes ge ne vous en puis nule nommer, quar ge le reçui en secré et a grant paine me donna icele Ysabel congié que ge vous peuse dire généraument que ce fust venu de l'ostel la roine sans nommer persones. Et sur les reproches de Simon de Brie, que choquait à juste titre un pareil langage Sire, pensez ce que vous voudrez, il me semble que ge vous di assez quant ge vous di que ce sont li plus prochain de la roine ; vous poez bien penser li quel ce sont.

Les choses en étaient là quand Philippe le Hardi revint de Sauveterre ; il apprit la rétractation publique des béguines et, sans doute, P. de la Broce lui laissa entendre qu'elles avaient en revanche des révélations à faire sur le compte de Marie de Brabant. Toujours est-il qu'il trouva bon d'expédier à Nivelle de nouveaux messagers, Pierre de Benais et l'abbé de Saint-Denis, et de les faire accompagner cette fois par le chanoine de Laon afin de permettre une confrontation. Avant le partir, le favori et l'évêque de Bayeux réussirent à faire adjoindre aux députés un moine de Vézelay, nommé Jacques de Dinan, disant qu'il serait moult nécessaire à la besoigne. Ce moine, pourvu d'argent par Pierre de Benais — qui lui fit même prêter cent sous tournois par G. de Mâcon —, prit aussitôt les devants, sous prétexte de s'aboucher avec un clerc qui savait les affaires de ladite Isabelle et du chanoine ; mais il ne trouva pas ce clerc imaginaire, et il en profita pour voir la béguine en particulier avant l'arrivée des personnages officiels, qui s'étaient arrêtés au château de Saint-Tron.

Isabelle de Sparbeke raconta plus tard que J. de Dinan était venu la visiter et lui avait recommandé, si on l'interrogeait sur l'empoisonnement du fils du roi, de dire fermement que la reine de France, la femme du roi, l'avait fait mourir, et que la dame de Peroes et frère Henri, aumônier du duc de Brabant, avaient participé au meurtre. Jacques de Dinan, au contraire, prétendit qu'il lui avait demandé seulement si le fils du roi avait été empoisonné, et par qui[62]. Il est malaisé de prononcer entre leurs témoignages[63]. D'autant plus que quand l'abbé et l'évêque furent arrivés à Nivelle, la béguine fut très prudente. L'enquête de 1278 se tait sur ce qui fut fait et trouvé[64] pendant ce second voyage. L'historiographe de Saint-Denis, qui le confond probablement avec le premier, raconte seulement que Pierre de Benais réussit encore à devancer son collègue ; que, quand l'abbé voulut interroger Isabelle, celle-ci lui répondit qu'elle avait déjà tout dit à l'évêque. Indigné de ces paroles et pensant qu'il y avait quelque trahison, l'abbé serait aussitôt revenu à Paris pour raconter l'aventure. Là-dessus, Philippe aurait interrogé Pierre de Benais, qui aurait allégué, pour excuser son silence, le secret obligatoire de la confession. A quoi le roi aurait répliqué en colère : Par mon chief, je ne vous avoie pas envoyé pour la confesser, et par Dieu qui me fist, j'en sauray la vérité et à tant ne le lairay pas[65].

Cela se passait pendant les derniers mois de 1276 et les premiers mois de 1277. En même temps, une autre intrigue suivait son cours. De même que Pierre de la Broce avait essayé de profiter, contre ses adversaires, de la mort subite du prince Louis en les accusant de l'avoir préparée, les partisans de la reine cherchaient à profiter des échecs que subissait alors la politique extérieure de Philippe III pour ruiner le crédit du favori en l'accusant de trahison. En 1276, l'armée royale, au lieu d'envahir la Castille, fut obligée de s'arrêter piteusement à Sauveterre en Gascogne, puis, faute de vivres. de rebrousser chemin. La retraite eut lieu, rapporte G. de Nangis, malgré le roi et sur le conseil de certains traîtres, à ce qu'on dit[66]. Le comte Robert d'Artois se trouvait justement avec un sauf-conduit à la cour d'Alfonse X pour parler de la paix ; il y apprit de la bouche du roi de Castille la retraite de l'armée de Philippe III vers le nord. Ayant entendu cela et beaucoup d'autres choses concernant l'état de la cour de France, il fut fort étonné, hâta son retour, persuadé que si Philippe avait marché en avant, il aurait éprouvé quelque trahison. Dès lors, comme le traître qui correspondait avec Alfonse devait approcher le roi de très près, pour être si bien renseigné, il soupçonna le chambellan Pierre de la Broce[67]. Les conjectures de Robert d'Artois étaient bien hasardées, car il n'était pas étonnant qu'on eût reçu très tôt en Castille la nouvelle du départ des Français ; mais l'accusation, vraisemblable ou non, était une excellente machine de guerre contre le favori elle trouvait l'esprit du roi troublé par des mécomptes inexplicables et successifs, préparé par conséquent à l'accueillir aisément. Le comte d'Artois raconta au plus vite tout ce qu'il savait au roi, son seigneur, qui, très affligé dans son cœur, réfléchit que celui qui connaissait si bien l'état de son hôtel appartenait à son conseil ou à son service personnel ; et désormais il ne sut plus à qui confier ses secrets[68].

C'est ainsi que la confiance de Philippe III en son chambellan fut entamée ; à partir de ce jour, la ruine finale du favori fut certaine. Les amis de Marie de Brabant s'enhardirent vers le mois de novembre 1277[69], ils obtinrent qu'une nouvelle commission fût déléguée vers les béguines de Nivelle, afin de savoir d'Isabelle de Sparbeke si elle croyait réellement à la culpabilité de la reine. L'évêque de Dol et Arnoul de Visemale, de l'ordre du Temple, furent désignés pour faire cette enquête, et, en présence de l'évêque de Liège, ils procédèrent à l'interrogatoire de la pauvre femme ; ils lui demandèrent moult de choses et couchèrent ses réponses par écrit. Elle s'empressa naturellement de nier qu'elle eût jamais soupçonné l'innocence de la reine Marie : Dites au roi qu'elle est bonne envers lui et loyale et envers tous les siens de bon cœur ; et elle rejeta sur l'évêque de Bayeux toutes les mauvaises paroles qui avaient été dites à ce sujet elle l'accusa d'avoir essayé de lui dicter des calomnies. Ces réponses, contre-scellées du sceau de l'évêque de Liège, furent portées par frère Arnoul au légat, qui était à Reims[70]. Il est certain que le roi en fut informé, et, suivant l'expression du chroniqueur, il comprit qu'il avait autour de lui, à son service, des gens qui n'étaient ni bons ni fidèles ; mais il se contint et dissimula de son mieux, car, dit l'anonyme, s'il avait dit à ses barons : Tel honte m'a fait cil ! ils eussent répondu : C'est à bon droit ; vous aviez greigneur fiance en lui qu'en vos frères[71].

Après avoir redoublé ainsi les angoisses de Philippe, le parti de la reine crut le moment venu de frapper le dernier coup. A la fin de l'année 1277, la cour étant à Melun, un moine apporta un coffret qu'un messager, avant de mourir dans son abbaye, lui avait, disait-il, laissé, en le priant de n'en remettre le contenu qu'au roi. C'était alors un procédé classique, pour faire arriver jusqu'au prince des pièces dont l'origine devait rester inconnue, de les lui faire tenir par l'intermédiaire d'un moine anonyme qui supposait un dépôt in extremis[72]. Le coffret ouvert en présence du conseil[73], on trouva des lettres scellées du sceau de Pierre de la Broce on ne sait point ce qu'elles contenaient, mais ceux qui les lurent en furent fort émerveillés. Le roi quitta aussitôt Melun et se transporta en toute hâte à Paris.

On ne laissa pas à Philippe le loisir de réfléchir, de s'informer, d'entendre la défense de l'accusé ; il fut poussé par le parti triomphant de la reine à des mesures promptes et violentes. P. de la Broce, emprisonné vers la fête de l'Epiphanie (janvier 1278)[74], fut confiné bientôt dans la forte tour de Janville en Beauce, afin que le roi ne fût plus tenté de le revoir ni d'entendre son apologie[75]. En même temps, P. de Benais était poursuivi ; il réussit, à la vérité, à quitter le royaume et il trouva un sûr asile dans les domaines du Saint-Siège, mais une information fut commencée sur les accusations qu'il avait répandues contre Marie de Brabant et sur les tentatives d'embauchage dont il s'était rendu coupable vis-à-vis des béguines de Flandre. Frère Arnoul de Visemale et G. de Chambli, archidiacre de Meaux, la dirigèrent ; elle donna lieu aux rouleaux d'enquête qui nous ont conservé tant de détails curieux sur les ambassades successives de Philippe III à Isabelle de Sparbeke. — Enfin Pierre de la Broce fut ramené à Paris et, sans forme de procès, pendu au commun gibet des larrons (30 juin 1278). Le duc de Bourgogne, le duc de Brabant, le comte d'Artois et plus de dix autres barons le convoyèrent solennellement jusqu'au lieu du supplice, et ils ne s'en voulurent mouvoir avant qu'il eût expiré[76].

Il est intéressant de savoir si la foule, étonnée de cette catastrophe, en fut affligée ou joyeuse. Elle resta plutôt indifférente c'est à peine si quelques chroniques accordent à P. de la Broce certains témoignages de sympathie discrète[77] ; et, d'autre part, les écrivains officiels eux-mêmes ne disent nullement que sa chute ait été saluée par les acclamations populaires. Seulement, dit Nangis, elle fit causer. On chercha les raisons d'une disgrâce si mystérieuse ; et, par l'intermédiaire de plusieurs annalistes, l'écho des suppositions contemporaines est parvenu jusqu'à nous. L'un disait qu'il avait contrefait le sceau du roi, l'autre qu'il avait vendu le roi, d'autres que c'était par envie, car il était haï de tout le monde, excepté du roi[78] ; on disait aussi qu'il avait été victime d'une vengeance de la reine, offensée de l'orgueil de sa femme[79]. Mais les gens prudents ne se souciaient pas de débrouiller l'intrigue d'une tragédie dont le dénouement seul avait été public. La raison pour quoi il fut pris, dit sagement le continuateur de Sigebert de Gembloux, je m'en puis bien taire, car je n'en sais rien et il ne m'appartient pas de le savoir[80]. Cependant, une version finit par se répandre et par prévaloir ; on crut généralement, comme le voulait la cour, que le chambellan avait été puni pour ses relations criminelles avec le roi de Castille et pour ses accusations mensongères contre la reine, et, en outre, pour sa desmesure, pour son orgueil[81]. De plus, un renseignement précis transpira, malgré le secret de l'aventure : à savoir que l'exécution du favori avait été décidée contre la volonté du roi[82]. Enfin, tout le monde tira de l'événement cette conclusion philosophique, développée à l'envi par les chroniqueurs, que les hommes de basse condition sont fous, s'ils veulent faire la loi aux gentilshommes, en entrant au service des rois[83]. — Depuis le XIIIe siècle, l'histoire a partagé les sentiments et l'incertitude des contemporains certains auteurs, comme Mézeray, ont adopté sans réserve la version officielle[84] ; d'autres ont soupçonné en Pierre de la Broce un martyr de la politique et de la calomnie[85], et se sont demandé si l'exhumation de ce personnage ne serait pas la révélation d'une époque. Mais les textes ne permettent pas de garder ces illusions ; ils prouvent que le favori fut en effet avide, que sa chute est due à la rivalité qui s'établit, après 1275, entre son influence et celle de Marie de Brabant. Sans doute, il ne commit pas de trahison pendant l'expédition de Sauveterre ; ç'aurait été une vilenie bien inutile ; mais les partisans de la reine l'accusèrent de l'échec des armes royales en Castille aussi justement qu'il avait accusé la reine de la mort du fils aîné de Philippe III. Il ne laissa pas d'œuvre politique ; nous sommes donc amenés à ne voir en lui qu'un parvenu vulgaire aux prises avec des infortunes méritées par son ambition. Son histoire ne nous instruit guère, en résumé, que de l'aveuglement incroyable du roi, qui fut faible en créant la fortune de Pierre, et faible en l'abandonnant à regret.

Après la mort de Pierre de la Broce, ses amis furent éloignés[86], ses biens confisqués[87], sa famille replongée dans le néant[88]. La cour de France, décapitée, se partagea en factions hostiles.

La plus puissante de ces factions, en apparence, fut celle qui, le 30 juin 1278, avait définitivement triomphé. De même que la reine Constance, après avoir fait tuer le favori Hugue de Beauvais par son oncle le comte d'Anjou, chef de ses partisans, avait pris un grand ascendant sur l'esprit du roi Robert[89], la reine Marie de Brabant, débarrassée de P. de la Broce, aurait pu jouer le rôle le plus brillant auprès de Philippe III. Mais elle ne ressemblait point à l'acariâtre Constance d'Aquitaine. Elle était belle, spirituelle et, quoique très jeune, déjà savante. Sœur du duc Jean de Brabant, nièce du duc de Bourgogne et de la vicomtesse de Limoges, elle avait amené en France une foule de gens de son pays, seigneurs et demoiselles[90] ; elle avait apporté avec elle les traditions de luxe délicat et de culture poétique qui embellissaient en ce temps-là le séjour des cours princières du Nord. Henri III, duc de Brabant, son père, avait été le protecteur des plus célèbres trouvères du siècle, Gilebert de Berneville, Adenès li rois. Marie avait aussi un goût très vif pour les lettres s'il n'est pas vrai qu'elle ait collaboré, avec madame Blanche, veuve de Fernando de la Cerda, à la rédaction des chansons de geste d'Adenès, elle pria certainement ce jongleur de versifier pour elle l'histoire de Cleomadès et de Berte aus grans piés[91], et ce roi des rimeurs lui envoya ses Enfances Ogier[92]. Guillaume de Saint-Cloud lui dédia aussi un manuel d'astronomie qu'il avait composé à sa requête et qui est devenu classique sous le nom de Calendrier de la Reine[93]. Une miniature d'un manuscrit du roman de Cleomadès[94] la figure étendue sur un lit de parade, la tête appuyée sur la main gauche, une fleur dans la main droite ; deux princesses sont assises à côté d'elle, l'une vêtue aux couleurs d'Artois, l'autre qui porte les armes de France parti de Castille ce sont la comtesse Mahaut, fille de Robert d'Artois, et madame Blanche, qu'Adenès associe quelque part aux éloges qu'il décerne à la reine, sans la nommer

Deux dames en cui maint la flour

De sens, de biauté, de valour.

Marie de Brabant se vit bientôt entourée de la plus brillante chevalerie. Au milieu de la cour jusque alors austère de Philippe III, ce roi si peu lettré, elle apparaissait en effet comme une héroïne de roman[95]. Elle eut, comme on l'a vu, un clan de grands seigneurs à sa dévotion. Une lettre du mois d'août 1278, écrite au pape Nicolas III pour le prier de refuser sa sauvegarde à l'évêque de Baveux, nous a conservé leurs noms[96]. C'étaient les ducs de Brabant et de Bourgogne, les comtes d'Artois, de Gueldres, de Bretagne, de Hollande, de Luxembourg, de Richemond, de Bar, de Saint-Pol, de Dreux, de Soissons, J. de Hainaut, Enguerrand de Couci, et Raoul de Néelle, chambellan de France. Coterie hautaine et fermée, où régnait un esprit tout allemand et tout féodal. Il s'y trouvait beaucoup de princes d'Empire, parents ou alliés de la reine ; ils étaient venus d'Allemagne, séduits par l'attrait des élégances françaises, comme ce comte de Juliers et ce comte Othon de Bourgogne qui vivaient à Paris, et qui servirent volontairement, lors des expéditions de Castille et d'Aragon, pour le grant amour qu'ils avoient au roi de France[97]. Othon de Bourgogne se maria même avec Mahaut, la fille du comte d'Artois, amie particulière de la jeune reine, et Philippe pourvut la fiancée d'un douaire[98].

Si le parti brabançon, après la chute du favori, était parvenu à diriger les destinées de la royauté, l'œuvre de Philippe-Auguste et de Louis IX aurait été en péril, car il aurait inauguré dès lors les mœurs de la chevalerie dégénérée et théâtrale qui eut son âge d'or au XIVe siècle. Le duc Jean de Brabant, qui s'engagea à accompagner à ses frais le roi en Terre sainte[99], qui ne cessa de batailler à ses côtés pendant ses guerres du Midi, et qui finit par mourir d'un coup de lance dans un tournoi[100] ; le comte d'Artois, aventurier prodigue[101] et téméraire comme son père, le vaincu de Mansourah, étaient déjà, en quelque sorte, des personnages de Froissart. Ils auraient régné, sans doute, à la façon du roi Jean. — Mais, heureusement, ils ne formaient qu'un parti d'apparat, un vrai parti de cour ; ils s'occupaient moins de politique que de divertissements et de batailles. Toutefois, à partir de 1278, l'entourage de la reine Marie eut sur certains événements du règne une action décisive. N'est-ce pas grâce à son influence que dans la querelle qui éclata entre la vicomtesse de Limoges, parente de la reine, et les bourgeois de sa ville, Philippe III se montra favorable aux prétentions de la vicomtesse ? Charles d'Anjou, qui avait en Robert d'Artois un allié si fidèle, s'appuya aussi sur les amis de ce prince pour incliner la volonté de Philippe le Hardi à servir ses intérêts en Italie ; si bien que le parti de la reine, après 1278, devint essentiellement un parti angevin.

Les chroniqueurs ne parlent guère de Marie de Brabant après l'exécution de Pierre de la Broce nous savons cependant qu'elle ne se lava jamais complètement de l'odieuse accusation d'assassinat qu'on avait fait peser sur elle[102]. Voilà pourquoi, peut-être pendant que ses parents et ses partisans s'agitaient en faveur du roi de Sicile, elle se tint désormais dans l'ombre[103]. Au contraire, la reine douairière, Marguerite de Provence, maintenue sévèrement par Louis IX, qui redoutait son ambition, à l'écart des affaires publiques, chercha à se dédommager, sous le règne de son fils, de l'effacement où elle avait vécu jusqu'alors. C'était une femme impérieuse ; comme la reine Blanche de Castille, elle avait un cœur viril. Comme Marie de Brabant, elle avait d'ailleurs une clientèle de parents et d'hommes dévoués. Elle avait de plus des haines vivaces, longtemps contenues, et toute une politique combinée pour les satisfaire. Depuis son enfance, Philippe avait été plié par elle à lui obéir aveuglément. Après le principat de P. de la Broce, elle partagea avec les Brabançons la première place auprès du roi ; elle en profita aussitôt pour nouer des intrigues propres à assurer le succès de ses desseins.

Elle détestait Charles d'Anjou, qui lui avait enlevé sa part légitime de l'héritage de Provence. En effet, fille aînée du comte Raymond Bérenger, elle avait vu avec dépit son père léguer par testament les comtés de Forcalquier et de Provence à sa jeune sœur Béatrice ; or, à la mort de Raymond, Marguerite et ses deux autres sœurs, Aliénor, reine d'Angleterre, et Sancie, comtesse de Cornouailles, avaient été exclues de la succession paternelle, et Charles d'Anjou avait épousé Béatrice. Grief mortel, que Charles d'Anjou ne craignit point d'aggraver encore en refusant de payer la dot de Marguerite ! Celle-ci n'eut plus dès lors d'autre pensée que d'arracher à son beau-frère les domaines qu'il possédait injustement. C'est pourquoi elle accueillait avec faveur, même sous Louis IX, ceux qui, comme Hugues des Baux, avaient à se plaindre du roi de Sicile[104] ; c'est pourquoi, liée à sa sœur Aliénor par des inimitiés communes, elle prenait si fort à cœur les intérêts des princes d'Angleterre, ses neveux. Henri III, puis Edward Ier, trouvèrent chez elle un dévouement sans limites ; elle entretenait avec eux une correspondance active[105] pour leur recommander ses protégés, ou s'informer avec effusion de leur santé, ou leur demander leur appui contre les Angevins[106]. Elle rendit à Edward Ier toutes sortes de bons offices ; en 1275, ses conseils décidèrent Philippe III à remarier Blanche, veuve du roi Henri de Navarre, avec Edmond, frère du roi d'Angleterre, qui entra ainsi en jouissance des comtés de Champagne et de Brie. S'il faut en croire G. de Nangis, Robert d'Artois, qui apprit ce mariage en revenant d'Italie, où il avait été visiter Charles d'Anjou, en fut fortement courroucé, car il pensait bien que le roi d'Angleterre n'avait nul amour au roi de France[107]. — En 1281, elle essaya de resserrer l'amitié des maisons royales de France et d'Angleterre et proposa à Edward Ier un mariage entre son fils et l'une des filles de Philippe III[108]. Ainsi, le parti de Marguerite de Provence était en quelque sorte le parti anglais. Il était nombreux ; car lorsque la reine réunit à Mâcon, en 1281, tous ses amis à l'effet de délibérer sur les moyens à prendre pour reconquérir par la force l'héritage de Provence, elle se vit entourée des comtes de Champagne, de Savoie, d'Alençon, de l'archevêque de Lyon, de l'évêque de Langres, du comte de Vienne, de Thomas de Savoie, son cousin, du sire Henri de Paigni, du duc et. du comte de Bourgogne[109]. On sait d'ailleurs que l'évêque de Langres était inféodé aux intérêts des princes d'Angleterre[110]. Quant aux comtes de Savoie, oncle et cousin de Marguerite, qui les avait toujours soutenus avec chaleur, soit auprès de Louis IX[111], soit auprès de son fils[112], ils étaient, eux aussi, en relations régulières et amicales avec Edward ; Robert de Bourgogne protestait, dans des lettres qui ont été conservées, de son dévouement envers le roi anglais et les siens[113]. Enfin, des deux principaux personnages de l'assemblée de Mâcon, Edmond de Champagne et Pierre d'Alençon, l'un était un Anglais à peine francisé par son union récente avec la reine douairière de Navarre l'autre fils de saint Louis, honoré à plusieurs reprises de la confiance de Philippe III, qui pleura amèrement sa mort[114], était également en très bons termes avec la cour d'Angleterre[115]. Tel était le parti de Marguerite de Provence, composé de grands seigneurs, comme celui de Marie de Brabant plus grave, il avait un programme plus net qui se réduisait à deux points hostilité contre Charles d'Anjou, amitié avec Edward. Son but n'avait rien de relevé, car il ne tendait qu'à mettre Marguerite et Aliénor en possession de leur patrimoine provençal. Cela est si vrai que, quand Charles d'Anjou, rendu plus accommodant par ses désastres en Sicile, eut consenti à entrer en pourparlers avec ses belles-sœurs, les amis de la reine douairière cessèrent de le combattre[116]. Pierre d'Alençon accompagna même le prince de Salerne et le comte d'Artois dans le royaume de Naples pour combattre les Aragonais en 1283. Néanmoins, ce parti, si médiocres que fussent ses visées, avait peuplé de ses créatures les conseils de la couronne, et il convient de tenir compte de son influence pour expliquer quelques incidents de l'histoire extérieure du règne.

Un troisième parti de cour qui, à partir de 1278, n'eut plus sur les affaires d'État qu'une action accidentelle et négligeable, était celui des valets de l'Hôtel ; en possession héréditaire des charges domestiques et retranchés dans leurs fonctions privées, ces officiers ne furent pas atteints par la disgrâce de P. de la Broce. Au xinc siècle, les serviteurs particuliers du roi formaient une sorte de caste palatine, dont les membres se mariaient entre eux, tous associés pour l'exploitation d'une faveur commune. C'étaient les Villebéon, les Chambli, les Machaut, les Poucin. Comme P. de la Broce, ils n'oubliaient pas de s'enrichir les papiers de la dynastie des Le Hideus de Chambli, qui se perpétua si longtemps dans l'office de chambellan[117], attestent[118] en effet que Pierre II de Chambli reçut de Philippe III et de Philippe IV des dons très considérables[119] aux dépens du domaine ; si considérables qu'un arrêt du 24 février 1320 les annula en bloc[120]. Son fils s'était marié avec une fille de Pierre de Machaut, chambellan[121]. Jean Poucin, d'origine tourangelle, qui avait fait entrer son frère Geoffroi dans la maison du roi[122], n'était pas moins avide, car dès le mois de décembre 1270 il avait obtenu, comme P. de la Broce, des preuves de la faveur royale[123]. L'aristocratie de l'Hôtel, malgré la mort de Jean Sarrasin[124] et l'exécution de la Broce, resta donc, sinon puissante, du moins prospère ; elle continua à enlacer Philippe le Hardi dans les mille liens de l'habitude et d'une familiarité journalière.

Si cette aristocratie n'exerça pas plus que le parti féodal de Brabant ou le parti de Marguerite de Provence la réalité du pouvoir, qui est-ce qui l'a possédée ? Ceux qui dirigèrent, de 1270 à 1285, le gouvernement de la France, l'ont dirigé silencieusement ; il est aisé de les découvrir, au-dessous du monde brillant des favoris et des princes, remué de révolutions soudaines, dans le monde sage et solide des clercs du roi et des chevaliers-juges.

Le palatium des Capétiens renfermait, outre les grands seigneurs et les officiers domestiques, des personnages que le prince consultait sur les affaires d'État ou qu'il déléguait à l'administration de la chose publique[125] ; parmi ces clercs et ces chevaliers du roi, les uns demeuraient à la cour, les autres étaient habituellement chargés de missions diplomatiques, judiciaires ou administratives. Parmi eux étaient pris et les agents du pouvoir royal et l'escorte ordinaire du roi.

Or, il ne semble pas que, sous le règne de Philippe III, les révolutions de palais aient entraîné des changements notables dans le personnel des conseillers de la couronne. Ce personnel de gens habiles et rompus à l'action, Philippe le Hardi l'avait reçu de Louis IX, et, bien que des influences diverses l'aient tour a tour dominé, il le garda jusqu'à sa mort.

Cher fils, avait dit saint Louis dans ses Enseignements[126], garde que tu aies en ta compagnie tous prud'hommes, soit religieux, soit séculiers, et aie souvent bons parlemens avec eux. La Somme de frère Lorent, dédiée au roi, insiste encore sur la nécessité d'un bon entourage : Ne doit soufrir princes nule mauvaitié environ soi que il saiche, quar s'il a mauvaise maiennie environ soi et il n'i met conseil, c'est signe que il n'est pas prodomme, quar l'en suet dire : A tel seignor, tele mesnie[127]. Pénétré de ces maximes, Philippe III maintint en place, à son avènement, tous les conseillers qui avaient joui de la confiance de son père, et il se montra envers eux très docile[128]. Mathieu de Vendôme, Jehan de Soisi, Pierre de Laon, dont il fit le précepteur de ses enfants[129], Gui le Bas, Pierre de Condé, Geoffroi du Temple, qui furent, à des titres divers, au premier rang des serviteurs de la royauté sous son règne, avaient connu assez intimement Louis IX pour avoir été appelés à déposer lors du procès de la canonisation du saint roi[130].

Mathieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis[131], fort aimé par Louis IX, fut en quelque sorte le premier ministre de Philippe III. Le roi, dit G. de Nangis, usa du conseil de Me Maci, abbé de Saint-Denis, qui estoit aourné en flour de sapience, et li bailla toutes les causes et les besongnes de son roiaume, ainsi que son père le faisoit[132]. Il régnait en France, ajoute un annaliste normand ; tout se faisait à sa volonté ; il élevait et il abaissait les hommes à son gré[133]. Deux fois il fut investi officiellement de la régence pendant les croisades de Tunis et d'Aragon. Ce que l'on rapporte de sa vie satisfait mal notre curiosité ; nous savons cependant qu'il prenait une part active aux délibérations des Parlements, et les règlements qui émanèrent alors de la cour du roi furent sans doute élaborés sous sa direction. Quant à la politique extérieure, il ne s'en désintéressait nullement ; comme chef reconnu du gouvernement royal, il correspondait avec le roi Edward et l'évêque de Bath, chancelier d'Angleterre[134] ; dans des circonstances graves, il mena même avec Edward Ier toute une négociation secrète, à l'insu de Philippe III[135]. Mathieu de Vendôme avait gardé la tradition de saint Louis, c'est-à-dire l'amour de la paix, à l'extérieur ; à l'intérieur, l'amour de la justice et de l'ordre, combiné avec le respect scrupuleux des droits acquis. Il fut, quoique les chroniqueurs ne l'aient peint que par des épithètes vagues, le premier homme d'État de son temps.

Après Mathieu de Vendôme, ce fut un autre abbé, Bertrand de Montaigu, abbé de Moissac, qui pénétra le plus avant dans la confiance du roi, d'après la chronique locale d'A. de Peyrac il était, dit-elle, son compère[136]. Il est vrai que les archives du monastère de Moissac ont conservé de nombreux monuments de la bienveillance que Philippe III témoigna à cet abbé[137] ; mais comme on trouve rarement son nom dans les actes, on est fondé à croire que, malgré sa faveur, il eut moins d'action sur la marche des événements que des collaborateurs plus humbles de l'abbé de Saint-Denis, ces modestes clercs du roi qui ne nous ont souvent légué, avec le souvenir de leurs œuvres, que leurs noms, consignés soit dans les comptes de l'Hôtel royal, soit dans les instruments de leurs transactions privées. Quelques-uns de ces clercs ont rempli des fonctions si importantes qu'ils ont été, pour ainsi dire, de véritables ministres de la couronne. Ainsi, Pierre, doyen de Saint-Martin de Tours, et Henri de Vézelay[138], qui furent chanceliers ; Foulques de Laon et Th., évêque de Dol ; Geoffroi du Temple[139], Nicolas d'Auteuil et Pierre de Condé[140], trois financiers fort habiles, tous vieux serviteurs de Louis IX ; Giraut de Maumont[141], Thomas de Paris, qui rendirent plus tard de grands services sous Philippe IV. Tels furent aussi deux anciens officiers d'Alfonse de Poitiers, Pierre Vigier, archidiacre de Saintes, et Giles Camelin, qui, après la mort de leur maître, devinrent les agents très zélés du roi de France ; car Philippe III n'hérita pas seulement des domaines de son oncle, il hérita aussi du personnel administratif que son oncle avait formé.

C'est même dans l'héritage d'Alfonse de Poitiers qu'il trouva la perle des chevaliers et des sénéchaux, celui qui fut, dans les provinces méridionales, l'exécuteur armé et victorieux des volontés du prince, et en quelque sorte le Du Guesclin de son règne, Eustache de Beaumarchais[142]. Le troubadour Anelier a placé dans la bouche d'Erart de Valeri un éloge emphatique de ses vertus

... Un cavaler avetz que anc non fo rei natz

Ni Caries, ni Alexandre, que foron moit nompnatz

Que n'aguesson plus savi'ni fos millor armatz ;

E dirai vos son nom, per tal que l'entendatz,

Seygnor, el es Estacha de Beumarche clamatz[143].

Il se montra rude justicier et vaillant homme, comme sénéchal de Poitou, d'Auvergne, de Toulouse, comme gouverneur de Navarre et comme défenseur de Girone, pendant la guerre d'Aragon ; il fut, pour ainsi dire, le bras de cette royauté, dont Mathieu de Vendôme était la tète.

Le roi était, du reste, entouré d'autant de gens d'épée que de clercs. Au premier rang de ceux-là se plaçaient les grands officiers de la couronne ; c'étaient d'anciens amis de Louis IX, respectueux de ses exemples ; à ce titre, Philippe III les aimait beaucoup, les employait volontiers. Ils s'appelaient Imbert de Beaujeu, connétable de France[144] ; Jean d'Acre, bouteiller, de la race des empereurs de Constantinople[145], Robert de Bourgogne, camérier. Seigneurs de haut lignage, ces officiers étaient nourris d'idées féodales et chevaleresques qui en faisaient des hommes d'un autre âge Jean d'Acre réprima avec la dernière rudesse une révolte des bourgeois de Provins ; Imbert de Beaujeu chercha à décider le roi à une nouvelle croisade ce pieux personnage, malgré le désastre de Tunis, ne cessa jamais de rêver à l'expédition d'outremer[146].

Les grands officiers n'étaient que les chefs du parti de serviteurs actifs, dévoués, rassis, et attachés aux vieilles modes, qui a eu tant de crédit sous Philippe III, le parti des compagnons de saint Louis. On comptait dans ses rangs Simon de Néelle, qui fut régent de France, avec Mathieu de Saint-Denis et Erart de Valeri le prudhomme, comme l'appelle Joinville[147] ; Gui le Bas, Philippe Granche, R. de Rouvrai, Renaut Barbou, Raoul d'Estrées, F. de Verneuil[148], qui furent maréchaux de France.

Clercs et chevaliers, hommes de conseil et hommes d'action avaient donc été façonnés presque tous soit par Louis IX, soit par Alfonse de Poitiers. C'est un fait très notable, puisque nous savons d'autre part que Philippe le Hardi n'était point capable de réagir contre les influences du milieu où il vivait, et qu'il était naturellement disposé à subir volontiers l'influence de ce milieu-là. Voilà pourquoi toute la politique du règne a été comme marquée d'une empreinte conservatrice.

Telle fut la cour de Philippe III, divisée entre P. de la Broce, Marie de Brabant, Marguerite de Provence, Mathieu de Vendôme et les grands officiers de la couronne. Tous ont fait osciller à leur gré les volontés du roi ; mais les uns n'ont eu d'action que sur quelques détails de politique extérieure, d'autres se sont contentés des apparences magnifiques du pouvoir, d'autres, comme l'abbé de Saint-Denis, ont eu véritablement en partage les réalités du gouvernement.

L'entourage immédiat de Philippe comprenait encore une foule de personnes qui ne se rattachaient étroitement, à ce qu'il semble, à aucun de ces cinq grands partis, mais qui furent néanmoins fort appréciées du prince le légat Simon de Brie — Martin IV —, tout dévoué à Charles d'Anjou[149], Etienne Tempier, évêque de Paris[150], frère Arnoul de Wisemale[151], Guillaume de Mâcon, ancien secrétaire de Simon de Brie, évêque d'Amiens depuis 1278[152], Renier Accorre, très riche financier, ancien ministre de Henri III de Champagne, qui devint panetier de France, quand le comté de Champagne fut dévolu à Blanche et à Edmond[153]. Il est certain que bien d'autres personnages devraient être ajoutés à ceux-là, si les documents contemporains étaient plus explicites ; mais les états de l'Hôtel, les listes de membres du Parlement, les tables de comptabilité de P. de Condé ne donnent que des noms, et, bien que quelques-uns de ces noms se rencontrent plus fréquemment que les autres, on ignorera toujours si ceux qui les ont portés ont eu des compétences spéciales ou des préférences politiques ; s'ils ont eu ou non l'oreille du roi. Que dire de Me Jean de Troies, de Julien de Péronne, qui furent pourtant désignés par Philippe III, en décembre 1271, parmi ses exécuteurs testamentaires[154] ? Que saurait-on de Philippe de Beaumanoir et de Guillaume d'Ercuis[155], si leurs ouvrages n'avaient été conservés par hasard ? — Mais, fort heureusement, il importe peu ; car des renseignements complémentaires ne changeraient probablement rien aux idées que les textes connus suggèrent sur la constitution de la cour du roi. Sismondi exagère en disant[156] que les caractères de Philippe le Hardi, de sa cour et de ses ministres se perdent dans l'ombre ; si les principaux acteurs du règne ne se détachent pas sous nos yeux avec des contours très précis, nous en savons assez pour apprécier à peu près la nature de leur rôle ; et c'est justement cette distribution des rôles qu'il est nécessaire de connaître pour mieux comprendre les péripéties de la fable historique qui s'est déroulée de 1270 à 1285.

L'étude qui précède nous conduit en effet à des conclusions assez claires elle nous apprend à réduire à sa juste valeur l'histoire de P. de la Broce ; elle permet de constater que le gouvernement de la France, sous Philippe III, n'a pas été une œuvre individuelle, mais l'œuvre collective de toute une génération de clercs et de chevaliers imbus des maximes de Louis IX. Ajoutons que les conseillers de Philippe le Bel ont été des Languedociens ou des Normands les Flotte, les Plasian, les Nogaret, les Marciac, les Dubois, les Marigny venaient des pays de droit ou de chicane ; ils avaient été nourris d'abord des subtilités de la loi romaine ou dans la pratique rigoureuse des cours coutumières de là, sans doute, le caractère processif et impitoyable de leur politique ; au contraire, les conseillers de Philippe le Hardi ont été en majorité des hommes du Nord et du Centre, naturellement adaptés la politique traditionnelle de la dynastie toute française des Capétiens de là leur modération. Le pouvoir royal n'en fit pas moins, en ce temps-là, des progrès marqués ; or, rien ne prouve mieux l'intensité du courant qui portait alors la France vers des destinées nouvelles que cette force croissante de la royauté sous un roi faible, secondé par des hommes d'un tempérament pacifique. Mais Louis IX, malgré son désintéressement et son culte de la tradition féodale, n'avait-il pas, lui aussi, agrandi l'héritage de Philippe-Auguste ? Son fils l'imita en toutes choses ; et c'est pourquoi les bonnes gens, dont parle G. de Nangis, n'avaient pas tort de dire que Philippe avait eu un règne heureux et prospère, à cause des mérites du saint roi[157].

 

 

 



[1] Chron. de B. d'Avesnes, H. F., XXI, 180.

[2] Recherches sur l'origine de la chirurgie en France, p. 533.

[3] Les papiers de famille de P. de la Broce, confisqués après sa disgrâce, ont été versés au Trésor des Chartes. Arch. Nat., J, 726-730. C'est en dépouillant ces documents qu'un érudit anonyme du XVIIe siècle a dressé le tableau généalogique de la maison de la Broce. Voyez JUBINAL, La complainte et le jeu de P. de la B., Paris, 1835, p. 56.

[4] Arch. Nat., J, 726, n° 3.

[5] JUBINAL, op. cit., p. 58.

[6] Son frère Guillaume de la Broce était en 1270 panetier du prince Philippe, héritier de la couronne (Philippe III). Voyez le testament de ce Guillaume, fait au camp de Carthage. Arch. Nat., J, 126. Son nom est cité dans un compte des dépenses de l'hôtel du jeune prince, sans date. B. N., lat., 9018, n° 17.

[7] Arch. Nat., J, 726, n° 14, octobre 1266. Vente de 50 l. t. de rente sur le péage de Roie par le sire de Coucy à P. de la Broce, cambellano domini régis.

[8] Arch. Nat., J, 726, n° 36.

[9] H. F., XXII, 17. — Chronique de B. Gui. Ibid., XXI, 705. — Cf. Chronique de Jean d'Outremeuse, V, 418.

[10] Arch. Nat., J, 727, n° 51.

[11] Ord., I, 295.

[12] Arch. Nat., J, 403, n° 9. La pièce est en déficit, mais il en existe une copie. B. N., Coll. Brienne, CXL, f° 32.

[13] DANTE, Inferno, XIII.

[14] Arch. Nat., J, 726, n° 44. Cosenza. Le comte de Saint-Pol donne à P. de la B. 30 l. t. de rente par an : Dilecto nostro Petro de Brocia volentes facere gratiam specialem ; cf. n° 46, etc.

[15] Langeais, Châtillon et la Broce réunis formaient un vaste domaine ; il fut confisqué en 1278 et on lit dans le compte du bailli de Tours pour le terme de la Toussaint 1285 : Compotus et recepta de redditibus Langesii, Castellionis et Brocie. Les recettes valaient 480 livres. H. F., XXII, 672.

[16] Arch. Nat., J, 730, na 223. Cf. les originaux de ces lettres dans les quatre cartons de P. de la Broce ou les copies dans le registre JJ, XXXa, f° 110, 137, 141, etc.

[17] Arch. Nat., J, 730, n° 223. Se li rois neust nule autre chose affere fors à entendre as dons et as confirmations que il a donné et confirmé à P. de la Broce, puis qu'il revint de Tunes, si a il eu assez à entendre et affere, s'il i eust entendu diligemment.

[18] Arch. Nat., J, 727, n° 95, etc.

[19] Arch. Nat., J, 730, n° 220. Nostre ami et feel P. de la Broce.

[20] B. d'Avesne. H. F., XXI, 180.

[21] Arch. Nat., J, 730, n° 223. Catalogue des lettres sur cire blanche, n° 40 et 42.

[22] Arch. Nat., J, 727, n° 146. Don de G. de Monbazon, chevalier.

[23] Arch. Nat., J, 727, n° 92.

[24] Arch. Nat., J, 728, n° 115. Le château de Langeais, bâti par P. de la B., existe encore ; il a été mis en vente en 1886.

[25] J, 729, n° 188, 197.

[26] J, 728, n° 112. Chinon, mai 1272. Lettre de B., seigneur de l'Isle-Bouchart. — Cf. Lettre de G. d'Auverte, sept. 1276 (J, 729, n° 190), du sire de Mailli (n° 199), de R. de Prungi (n° 197).

[27] J, 728, n° 109. Lettre du seign. de l'Isle-Bouchart. — Cf. n° 142. — En 1272, H. de Mailli refusa l'hommage, malgré l'ordre du roi, disant qu'il était vassal de la couronne. — Cf. lettre au bailli de Tours (ibid., n° 116).

[28] Il serait désirable de voir publier la correspondance de P. de la Broce avec ses vassaux de Touraine ; elle fournirait d'utiles renseignements sur l'administration d'un fief au XIIIe siècle.

[29] Voyez le détail de ces acquisitions JUBINAL, p. 69, les cartons des rois et les documents publiés par la société des Archives de la Saintonge.

[30] Arch. Nat., J, 727, n° 81.

[31] J, 720, n° 221, rouleau original.

[32] Arch. Nat., J, 729, n° 159. La société dura jusqu'à la mort de Sarrasin, arrivée en 1275.

[33] Le catalogue complet des actes de Philippe le Hardi contiendrait plus de deux cents vidimus ou confirmations de tout genre en faveur de P. de la Broce. Le seul diplôme de ce prince qui soit conservé en original aux Archives Nationales concerne Pierre de la Broce. Musée des Arch. Nat., n° 280.

[34] H. F., XXI, 180.

[35] Arch. Nat., J, 728, n° 131. A mun cher especiau ami Peires de la Broce, chamberlenc monsegnor le roy de France, Guion de Thoars, segnor de Thalemont, salu e bone amor. Come G. l'Arcevesque, nostre cosin, so seit consellé a nos sus les paroles qui ont esté entre lui e voz amis de marier Johenne sa sour, nostre cosine, a vostre fil euné, nos vos faison asavor que nos nos asentons audit mariage et mot nos plaist. Si vos prion que ce ne remogne pas par vos que ledit mariage ne soit fait, e que vos priez le devant dit Mgr. le roy de France que il voylle doner son asentement. E ço faison asaver a vos par noz letres pendanz de nostre sea seales. Çou fut doné le mecredi devant la Tiphaygne l'an de grâce mil e. CC. sexante treize.

[36] Arch. Nat., J, 728, n° 137.

[37] H. F., XX, 494.

[38] Arch. Nat., J, 728, n° 150.

[39] Baud. d'Avesnes, loc. cit.

[40] H. F., XXI, 147.

[41] Nous n'avons trouvé qu'une seule fois le nom de P. de la Broce dans les documents administratifs du règne. Arch. Nat., J, 474, n° 37. La charte émane de deux sergents du roi de France : Confitemur... nos habuisse et recepisse a vobis Petro de Fontanis, receptore pagarum domini regis in senescallia Tolosana et Albiensi, quadringentas l. t. de mandato domini P. de Brussia, ad conducenda ingenia domini regis predicti versus Fux. Toulouse, 1272.

[42] A. JUBINAL, o. c. — Somnium cujusdam clerici, ap. Hist. Litt., XXII, 103. — Cf. les dits du trouvère parisien Moniot, ibid., XXIII, 468.

[43] Anon. du ms. 2815 H. F., XXI, 92. Et sachiez que li gentil home li [au roi] savoient moult mauves gré de ce qu'il ne les apeloit plus en sa compaignie.

[44] C'était le 21 août 1274, que le roi l'avait épousée ; le couronnement n'eut lieu, à la Sainte Chapelle, que le 24 juin 1275. Des fêtes magnifiques furent célébrées à cette occasion.

[45] H. F., XXI, 181, C.

[46] H. F., XXII, 348. Anc. chroniques de Flandres. Tant présomptueux estoit il qu'il yestoit ses enfants ainsy et d'autel draps comme il voyoit habiller les enfants du roy, dont grande envie et malinvœllance s'en conclupt contre lui tout secrètement.

[47] H. F., XXI, 126.

[48] VAN HASSELT, Li roman de Cléomadès, I, 5. Plus loin, Adenès loue les largesses du roi Marcadigas à la seigneurie de son royaume (vers 184) : Ainsi le fist cil roi adont. — Et se li roi qui ore sont — Et li prince ainsi le faisoient, — Je croi bien que miex en vaurroient.

[49] H. F., XX, 494. G. de Nangis.

[50] Cette tradition a été recueillie, au XVe siècle, par le compilateur des anc. chroniques de Flandres, H. F., XXII, 348. Le comte d'Artois et le duc de Brabant queroient ensemble partout les armes, ce qu'ils ne pouvoient faire sans grands despens, et P. de la Broche, qui tout gouvernoit devers le roi, ne leur voulait, fors à dangier, administrer tant de deniers comme ils obtenoient d'en avoir par l'ordonnance du roy.

[51] Voyez une enquête de 1278 sur le rôle de P. de Benais dans cette affaire ; Arch. nat., J, 429 ; elle a été publiée deux fois J. DE GAULLE, Bulletin de la Société de l'histoire de France, 1844, pp. 87-100 ; LÉOP. DELISLE, Cartulaire normand, n° 927.

[52] J. DE GAULLE, p. 98.

[53] H. F., XX, 503 (G. de Nangis).

[54] J. DE GAULLE, p. 99.

[55] Déposition du légat Simon de Brie, l. c., p. 88.

[56] L. c., p. 89.

[57] Le roi ne pardonna jamais au chanoine de Laon ses avertissements incongrus Nicolas lit dut le prier de se contenter d'exiler le coupable. MARTÈNE, Ampl. collect., II, c. 1276.

[58] H. F., XX, 503.

[59] XXI, 94. Anon. du ms. 2815.

[60] SISMONDI, Hist. des Français, V, 53. — Cf. JUBINAL, o. c., p. 4.

[61] Le récit qui suit est emprunté à l'enquête authentique de 1278. (Arch. Nat., J, 429.) G. de Nangis a déformé et confondu tous ces événements.

[62] DE GAULLE, l. c., p. 97. Lizebeth, dit-il devant les enquêteurs, ne vos sovient-il ke quant je vos demandai de par l'evesque de Baieus se li aisnés fius le roi de Franche fu empoisonés et par qui, ke vos me respondites ke ce avoit esté fait de la seuwe la Roine, la feme le Roi ?Et la dite Lizebeth respondit, oians nos tos, k'onques ces paroles ne dist de la roine, ains la tent tosjors par bone dame. Et si sambla ele tout iriée et s'esmiervoilla des paroles ke li moines li attribuoit.

[63] L. c. Cependant la déposition du maire de Hourle semble défavorable il la béguine. Dans Jakes dist en tieys [en flamand] a Ysabel ke s'ele estoit requise de ce k'ele avoit autrefois dit k'ele le desist hardiement et ne s'en maiast mie. Et pour ce qu'il se doutoit k'ele n'entendoit mie son tieys, Ii maires li repeta les paroles ke dans Jakes li avoit dites. Et Ysabiaus s'esmerveilla moult de ces paroles, et commença à rire et dist : — Ke vuet-il dire ? je renierai ja cou ke j'ai dit.

[64] L. c., p. 93.

[65] H. F., XX, 502-503.

[66] H. F., XX, 504. — Cf. l. II, ch. II.

[67] H. F., XX, 508.

[68] H. F., XX, 510.

[69] Les chroniques ne datent pas ce troisième voyage, mais il eut lieu longtemps après les deux autres, d'après la déposition du légat Simon de Brie. Voyez DE GAULLE, p. 93. Une grant pièce après totes les choses desus dites, ce est a savoir un pou devant la feste Saint-André lapostre... — Les résultats de la mission d'Arnoul de Visemale sont consignés dans un rapport de l'évêque de Liège (Ibid., p. 96), daté de janvier 1278.

[70] J. DE GAULLE, p. 93.

[71] Anonyme du ms. 2815. H. F., XXI, 95.

[72] Ce procédé fut employé en 1282 par le clerc G. Cathala pour faire tenir Philippe III de fausses lettres de l'archevêque de Narbonne. Arch. Nat., J, 320, n° 77. Ces lettres étaient renfermées dans un coffret (pixis).

[73] H. F., XX, 510.

[74] G. de Fracheto Chron., H. F., XXI, 6.

[75] Voyez VINCENT, Le séjour de P. de la Broce à Janville en Beauce, ap. Mém. Soc. Archéol. de l'Orléanais, 1853, II, 460.

[76] H. F., G. de Nangis, XX, 511 ; Anonyme, XXI, 96 : et là parut-il bien qu'il ne l'amoient mie ; B. d'Avesnes, ibid., p. 181.

[77] SALMON, Chron. de Touraine, p. 196. — Cf. Anc. Chron. de Flandres, H. F., XXII, 248. Et ainsi fina le malheureux P. de la Broce...

[78] Chron. de Jean d'Outremeuse, V, 418.

[79] H. F., XXI, 126, 148.

[80] P. PARIS, les Mss. français, V, 375. — Cf. Bern. Gui., H. F., XXI, 705.

[81] Voyez les complaintes. Convoitise. Las, que voloie nie ? J'ai eu mal corage. Avoirs me catoilloit, dont j'avoie à outrage (p. 24). Imposture. Ahi ! gentix roïne, preus et vaillant et sage. — Ja portè-je de vous une foiz faus message. — Or en estes vengie, voiaut vostre barnage. Trahison : Or as esté com li chaiaus. — Qui runge les sollers de son maistre (p. 34).

[82] Chron. de S. Magloire. H. F., XXII. — Cf. XXI, 138 et SALMON, l. c.

[83] L'annaliste de S. Martial de Limoges reproduit cette réflexion à propos de l'exécution d'E. de Marigny, qu'il compare à celle de P. de la Broce. H. F., XXI, 725.

[84] MÉZERAY (ad ann. 1277) traite formellement P. de la Broce de coquin et d'âme castillane.

[85] Voyez VINCENT, l. c.

[86] H. F., XXII, 348. Tous ceuz qui estoient esteu par luy furent boutez hors de la cour et dou service le roy. Cf. JOBINAL, p. 26, strophe 4.

[87] Maurice de Craon, sénéchal d'Anjou, réclama l'amende due, pour cause de félonie, par l'héritage de P. de la Broce. Olim, II, 144, 173.

[88] Cependant, Philippe III rendit à Simon de Beaugenci, gendre de son ancien chambellan, en juillet 1280, 200 l. t. de rente. Au terme de l'Ascension 1284, Pierre de la Broce, fils du favori, reçut ses gages sur le budget de l'hôtel du roi (H. F., XXII, 470, J, tablettes de P. de Condé). En 1287, sa femme Isabelle supplia Edward 1er de l'admettre à lui faire hommage des terres de son mari en Saintonge (BR. MUS. Julius E. 1, f° 51 v°). En 1294, Philippe le Bel lui rendit divers domaines. Quant à P. de Benais, il rentra en possession de son siège épiscopal après la mort de Philippe III, qui, malgré les protestations du pape Nicolas, avait saisi son temporel. Voyez RAYN., 1278, n° 14, et Arch. Nat., J, 391, n° 1. En 1315, il y avait à Paris une maison connue sous le nom de maison au Lion ou de Pierre de la Broce, qui avait appartenu récemment à la famille de Chambli. Bibl. Sainte-Geneviève, H, f. 23, f° 28.

[89] Voyez LUCHAIRE, Institutions monarchiques de la France sous les premiers Capétiens, I, 119, et PFISTER, Etudes sur le règne du roi Robert, p. 66.

[90] Cf. H. F., XX, 180.

[91] Hist. Litt., XX, 711.

[92] Ce livre vueil la roïne envoyer Marie. Le ms. B. N., franc., 1471, est peut-être l'exemplaire offert à Marie de Brabant par Adenès. La librairie de Charles V possédait deux volumes qui avaient appartenu à cette reine (art. 164, 631) un missel relié à ses armes, et le Calendrier de la Reine. Voyez L. DELISLE, Cabinet des manuscrits, I, 10.

[93] Hist. Litt., XXV, 64.

[94] Bibl. de l'Arsenal, B. L., n° 175, f° 1.

[95] On a écrit des romans sur Marie de Brabant. M. JUBINAL, op. cit., p. 18, en cite un qui fut publié en 1808. M. Imbert donna aussi, au commencement du siècle, sous le titre de Marie de Brabant, une tragédie en cinq actes et en vers.

[96] Arch. Nat., J, 429, n° 3. — DE GAULLE, l. c., p. 9S, n° 2. La lettre était écrite primitivement au nom de la reine et de ses amis, mais on a biffé leurs noms ; malgré la rature, ces noms sont encore lisibles.

[97] H. F., XX, 504.

[98] H. F., XXII, 473.

[99] 8 sept. 1274. Bulletin de l'Acad. royale de Belgique, 2e série, XL, 395.

[100] Anc. chron. de Flandres, H. F., XXII, 349.

[101] Arch. du Pas-de-Calais, A. 22, n° 18. Étal des dettes du comte d'Artois en 1274, rôle original. Il devait alors plus de 50 000 livres au roi de France.

[102] Voyez la bulle énigmatique de Nicolas III, ap. RAYN., 1278, n° 34, 36, et DANTE, Purgatoire, VI, 22.

[103] On ne trouve plus son nom, après 1285, que dans des chartes relatives à l'administration de son douaire. Voyez par ex. Arch. Nat., J, 155, n° 24 (1318). On a aussi le compte de dépenses de son hôtel pour les années 1276, 1283, 1284. H. F., XXII, 467, 755.

[104] CHAMP., I, 254.

[105] Nous en avons encore les pièces ; elles ont été publiées par M. Champollion. Elle correspondait aussi avec les principaux personnages d'Angleterre ; V. une lettre de John Peckham, archevêque de Cantorbéry, à Marguerite, 1279. Registr. epist., J. Peckham, I, 3.

[106] Voyez notamment CHAMP., p. 252. — Cf. une lettre d'Edward Ier au prince de Salerne, fils de Charles d'Anjou, pour l'exhorter à céder à Marguerite : A la fin regardée l'amour ke l'avant dite nostre taunt a eu tus jurs a nus, et regardez les ennuis ke ele avoit pur nus et l'ayde ke ele nus fist tant com nus fumes en persecutions et ennuis. (RYMER, I2, 197, 1.)

[107] H. F., XX, 501, Consilio Marguerite regine. Cf. GUESNON, Charles d'Arras, p. 140.

[108] CHAMP., p. 282. Cf. BOUTARIC, Marguerite de Provence, p. 449. Tres cheir nies, nous avons regardé une voie par laquelle nous antandons que li cuer de vous et de nostre fil le roi porroient estre plus joint ainsamble par bonne amour, c'est asavoir que mariage se feist de votre fil et d'une des filles le roi nostre fil ; de laquelle chause nous nous travaillerons mout voluntiers, si nous savions que il vous plaist.

[109] CHAMP., p. 265 (1281). Et plusors de nos autres amis.

[110] Lettre de Maurice de Craon à Edward Ier (1280). Nos nos aperceumes bien que plusors du conselh du roi de France estoient lié de la desnaturesce que li rois de Castele vos mostroit et en oismes plusieurs paroles e aucun de voz amiz, cum li evesques de Lengres, qui le nos dist, e autre, en estoient anulé. (Rec. Off., Royal Letters, n° 1427. CHAMP., p. 363. RYMER, I2, p. 186.)

[111] BOUTARIC, op. cit., p. 441.

[112] Voyez les pièces publiées par GUICHENON, Hist. générale de la maison de Savoie, II, 99.

[113] Rec. Off., Royal Letters, XI, n° 2171. CHAMP., p. 268. Sire, nos avons recehu voz prieres por aucune besoigne que vos havez contre aucune personne et saichiez, sire, que de la besoigne de vos et des vostres nos fumes tout priez, ne a nos ne vos faut pas prier.

[114] H. F., XXI, 98. — Cf. Littera domini regis Francorum rogatoria pro fratre suo defuncto, 24 juin 1283, Montauban, circulaire de Philippe III au clergé de son royaume, ap. CHAMP., p. 318. Sur P. d'Alençon, voyez L. DE TILLEMONT, Vie de saint Louis, V, 242.

[115] Voyez ses lettres. Rec. Off., Royal Letters, XI, 2074 (CHAMP., p. 268), etc.

[116] BOUTARIC, op. cit., p. 455.

[117] DOUËT D'ARCQ, Recherches sur les comtes de Beaumont-sur-Oise. Introd., p. XXVII, ss.

[118] Arch. Nat., J, 208.

[119] Voyez aussi une enquête originale sur la valeur des titres de propriété de P. de Chambli, rédigée en 1317. BR. MUS., Addit. Charters, n° 25825. Le roi Ph. qui mourut en Arragon avoit donné audit Mgr. Pierre en récompensacion de son bon service que il ayoit fait à Mgr. saint Loys le chastel et la ville de Croy avec plusieurs villetes environ, etc.

[120] BRUSSEL, Usage des fiefs, preuves, p. 83. Grande quantité [de terres domaniales] a été transportée en personnes qui estoient près du seigneur, de laquelle proucheinneté il leur venoit moult de enneurs et de profis.

[121] B. E. C., 1876, p. 465.

[122] Arch. Nat., JJ, XXXa, n° 379.

[123] Arch. Nat., JJ, XXXa, n° 203. Nous avons encore plusieurs actes de Jean Poucin (Arch. Nat., J, 175, n° 10-12, etc.). Imbert de Beaujeu lui céda en 1282 deux cents livres de rentes sur les renanghes de Lille que le comte de Flandre lui avait octroyées (Arch. du Nord, B, 184, n° 2).

[124] Sarrasin, mort en 1275, avait tenu le premier rang après P. de la Broce ; en 1271, le testament de Philippe III l'avait adjoint au favori pour garder les enfants du roi (Arch. nat., J, 401, n° 2) et à Nicolas d'Auteuil pour examiner les comptes du royaume propter compotos Templi et alios compotos regni nostri faciendos. Il était riche, et prêtait de l'argent à des seigneurs tels que Robert de Nevers et de Béthune, fils du comte de Flandre. (J, 256, n° 60.)

[125] Livre IV, ch. II.

[126] Enseignemens, éd. de Wailly, art. 13.

[127] B. N., franc., 938, f° 111 v°.

[128] L. DE TILLEMONT, o. c., V, 178.

[129] H. F., XXIII, 165.

[130] H. F., XX, 61, Confesseur de la reine Marguerite.

[131] Voyez sa biographie. Hist. Littér., XX, 1, sqq.

[132] H. F., XX, 491.

[133] Continuation Chron. rothom., XXIII, 345. — Cf. Chr. G. de Fracheto, XXI, 8.

[134] Rec. Off., Roy. Letters, 1597 et 2185. CHAMP., p. 236.

[135] Ses dépêches sont encore conservées à Londres.

[136] H. F., XXIII, 211. Cf. LAGRÈZE-FOSSAT, Études sur Moissac, II, 55, et Mém. Acad. Sc. Toulouse, 7e série, IV, 291.

[137] Voyez H. F., XXIII, 217. — Ord., VIII, 442. — Arch. de Tarn-et-Garonne, G, 558, n° 1 (26 nov. 1271) ; 592, n° 1.

[138] Sur Henri de Vézelay, voyez CHÉREST, Étude historique sur Vézelay, II, 151. Clerc de saint Louis, puis chapelain de Philippe III. Une bulle de Jean XXI autorise à penser que le roi l'écoutait volontiers. — Martin IV, sur les prières de Philippe, l'autorisa, quoique borgne, à recevoir les hautes dignités de l'Église. (Martène, Ampliss. Collect., II, c. 1290.)

[139] Sur G. du Temple, voyez COLLETTE, Mém. du Vermandois, II, 636. Cf. des titres qui le concernent (1276, 1278). Arch. Nat., J, 254, n° 8 ; 273, n° 6 ; 303, n° 31 et 34.

[140] Sur P. de Condé, voyez Hist. Litter., XVIII, 87.

[141] Sur G. de Maumont, voyez NADAUD, Nobiliaire du diocèse de Limoges, III, 208. Cf. H. F., XXI, 785. La Continuation d'H. du Breuil dit qu'il fut rejeté du conseil royal en 1284 (ibid., p. 159), mais les tablettes de cire attestent qu'il reçut cette année-là ses gages de Pâques (H. F., XXII, 471, j). Il recevait une pension de 300 livres tournois de Robert d'Artois. (Arch. du Pas-de-Calais, A, 28, n° 12.) Très actif et très violent, il fut un des précurseurs des Nogaret et des Plasian.

[142] L'histoire d'E. de Beaumarchais est encore à faire. Voyez trois notices médiocres : COMPAYRÉ, Mém. Soc. Archéol. Midi, XI, 211 ; Tabl. historiques du Velay, III, 498 ; FR. MICHEL, Notes sur la guerre de Navarre, p. 407 et p. 763.

[143] Vers 1264 et ss.

[144] Sur I. de Beaujeu, voyez LA ROCHE LA CARELLE, Histoire du Beaujolais, I, 94-97, note.

[145] D'ARBOIS DE JUBAINVILLE, Hist. des comtes de Champagne, IV, 449. Jean d'Acre était également allié à la famille royale d'Angleterre.

[146] Raynaldi, 1273, § 35.

[147] Sur E. de Valeri, voyez P. ANSELME, Hist. généalog., VIII, 405. Il y a, au Record Office, des lettres très amicales d'Erart de Valeri au roi d'Angleterre. Chancery miscellan. Portfol., VII, n° 1177 et 1229.

[148] On a des chartes royales de donation en faveur de chacun d'eux. Voyez par exemple, pour Gui le Bas, Arch. Nat., JJ, XXXa, n° 359, Arch. du Loiret, A, 201, n° 2 ; pour Ren. Barbou, Arch. Nat., J, 763, n° 1, Arch. des Quinze-Vingts, n° 5858, f° 152 v°, Cartul. norm., n° 1023. Ren. Barbou avait une maison près du Palais de la Cité (Arch. nat., S, 4681, n° 76).

[149] Sur la famille des Poillechien, à laquelle appartenait Simon de Brie, voyez DE MAS LATRIE, Hist. de Chypre, I, 458.

[150] Le maj. Chron. Lemovicense dit, sans preuves, qu'il fut disgracié en 1273, H. F., XXI, 779. Cf. Hist. Litt., XIX, 351.

[151] B. N., Mél. de Clairambault, CCCIX, p. 15, fac-similé d'une pierre tombale : Ici gist frères Ernous d'Uisemale, chevalier dou Temple, mestres de l'ostel dou roi de France, qui trespassa l'an de grâce M. CC. IIIIxx, et XI. Priez pour li.

[152] Hist. Litt., XXV, 381.

[153] B. E. C., 6e série, III, 70. Étude de M. Bourquelot sur le cartulaire de R. Accorre, conservé à la B. N., franç., 8593.

[154] Arch. Nat., J, 401, n° 2. — Sur Julien de Péronne, V. cep. L. Delisle, Cartul. norm., p. 203. J. de Puiseux, clerc du roi, est désigné comme exécuteur testamentaire du roi en 1285. Arch. Nat., J, 403, n° 11.

[155] G. d'Ercuis, chapelain de Philippe III, qui a laissé des mémoires sur le règne de Ph. le Bel. M. Köhler en prépare la publication pour la Société de l'Histoire de France.

[156] Sismondi, Hist. des Fr., V, 6.

[157] H. F., XX, 401 : Per merita sancti regis.