LE RÈGNE DE PHILIPPE III LE HARDI

LIVRE PREMIER

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

Au XIIIe siècle, les rois de France ont été des personnages très puissants par leurs vertus, par leurs qualités d'esprit, par leur caractère même, quelques-uns d'entre eux ont exercé personnellement la plus grande influence sur la marche des événements historiques. Philippe-Auguste, Louis IX ont modelé leur règne à leur image l'un, par son énergie, a précipité, l'autre, par ses scrupules, a suspendu pendant quelque temps la transformation de la royauté féodale et c'est une question très grave de savoir si Philippe IV, qui a accompli la révolution préparée par ses ancêtres, a agi d'une façon consciente, ou s'il n'a été qu'un instrument aveugle entre les mains de ses conseillers. Rien n'est donc plus important que de restituer, autant que possible, la psychologie des princes de cet âge telle que l'avaient faite leur éducation et leurs habitudes ; car, même à cette époque, connaître la personne du roi, c'est parfois avoir la clef de la politique de son temps. — Avant d'aborder le récit des faits qui se sont passés de 1270 à 1285, il convient donc de rechercher quel homme a été Philippe III, s'il a eu des qualités de roi, ou si, trop faible pour gouverner, il a délégué ses pouvoirs à son entourage.

Or, dans la galerie des rois de France, il n'y a guère de figure plus effacée et plus sacrifiée que celle de Philippe III. Les chroniqueurs du moyen âge sont discrets sur son compte ; les écrivains modernes lui ont reproché en passant son incurable incapacité[1]. Il n'est connu que par son surnom énigmatique, qui a fait le désespoir des commentateurs, car on n'attribue à ce prince aucun trait marqué d'héroïsme ou de témérité. Surnom fort ancien, du reste[2], puisqu'il est antérieur à la fin du XIIIe siècle[3], et que le roi a gagné peut-être par sa conduite honorable sous les murs de Tunis, après la mort de son père[4]. Genebrard a proposé de l'appeler plutôt le Doux ou le Débonnaire ; on pourrait lui laisser aussi le sobriquet de Philippe sans désastre, dont le qualifiait jadis, pour la rime, l'inscription d'un vitrail de l'église Saint-Gervais et Saint-Protais de Paris[5].

Philippe le Hardi naquit en 1245, la veille de la Saint-Jacques, et Louis IX lui fit donner le nom de Philippe en mémoire de son grand-père. La mort de son frère aîné, arrivée en 1260, le rendit, à quinze ans, héritier présomptif de la couronne. Dès qu'il eut été armé chevalier[6], Louis IX lui constitua en apanage[7] Lorris, le domaine de Montargis, et de vastes forêts dans l'Orléanais. Ce pays lui fut toujours cher, et son itinéraire atteste que la région de la Loire moyenne, où il fit bâtir des châteaux dès 1271[8], resta un de ses séjours préférés.

Philippe reçut de son père, qui était à la fois un saint et un roi, et qui veillait avec sollicitude sur la jeunesse de ses enfants, une éducation sévère et virile. Saint Louis voulut qu'il entendit chaque jour la messe, les matines, les heures en plain-chant, qu'il assistât fréquemment aux sermons et qu'il apprît les lettres. Après les actions de grâces qui suivaient les repas, dit Geoffroi de Beaulieu, le roi retournait dans sa chambre avec ses enfants, et après que le prêtre avait aspergé le lit et la chambre d'eau bénite, les enfants s'asseyaient autour de lui, et il avait l'habitude de leur dire des choses édifiantes, pour leur instruction[9]. D'autres fois, selon Joinville[10], avant de se coucher en son lit, le roi Louis fesoit venir ses enfans et lour recordoit les faiz de bons rois et de bons emperours et lour disoit que à tiex gens il devoient penre exemple. Et lour recordoit aussi les faiz des mauvais riches hommes qui, par lour luxure et par lour rapines et par lour avarice, avoient perdus lour royaumes. Et ces choses, fesoit-il, vous ramentoif-je, pour ce que vous vous en gardez, par quoy Diex ne se courousse à vous.

Saint Louis ne se contenta pas du reste d'inculquer la piété à son fils et de lui enseigner l'histoire en moralités ; il lui donna un précepteur, nommé Simon. S'il n'a pas chargé, comme on l'a cru, le jurisconsulte Pierre de Fontaines de rédiger à son usage les véritables coutumes de France et de Vermandois, pour le former à faire droit à ses sujets et à retenir sa terre selon les coutumes du pays[11], il encouragea du moins, de concert avec sa femme, Marguerite de Provence, le célèbre Vincent de Beauvais à écrire son livre De eruditione regionum puerorum, destiné à l'instruction du prince Philippe[12]. Philippe puisa vraisemblablement le plus clair de ses connaissances dans des anthologies de textes sacrés et profanes. Les manuels de Vincent de Beauvais lui firent voir l'antiquité à travers des fragments de Sedulius et de Juvencus, la Bible à travers les poésies scolastiques de Pierre de Riga. Il ne parait pas d'ailleurs qu'il en ait tiré grand profit, car le moine de Saint-Denis dit qu'il n'était pas lettré[13] ; assurément il savait lire, quoiqu'on ait insinué le contraire[14], mais il eut toujours l'esprit peu ouvert aux subtilités de la pensée. C'était un enfant docile, sans flamme et sans curiosité ; ce qu'il goûtait le mieux, c'était l'enseignement familier de son père[15], que saint Louis a résumé lui-même avec une éloquence si simple dans le testament politique qu'il légua à son successeur.

Une éducation religieuse et dure fortifia encore les tendances naturelles du jeune prince à la soumission. Le vendredi, Philippe avait coutume de ne pas porter de chapels de roses, en souvenir de la Passion[16] ; Louis IX le voulait ainsi. Il accompagna de bonne heure son père pendant ses pèlerinages et participa à ses dévotions[17] il s'habitua de la sorte. à lui obéir et à l'imiter en tout, et on sait par les mémoires de Joinville qu'il professait pour lui une vénération presque craintive[18]. Mais, par une pareille discipline, tout ressort d'énergie individuelle fut si bien brisé en lui qu'il fut destiné à subir désormais sans résistance toutes les influences extérieures. Vers 1263, sa mère, femme ambitieuse et altière, lui fit jurer en secret de rester sous sa tutelle jusqu'à l'âge de trente ans[19], s'il devenait roi, et Urbain IV, par une bulle spéciale[20], dut le relever de cette imprudente promesse sur les instances de Louis IX.

Si Philippe III n'eut qu'une intelligence peu cultivée et une volonté faible, il acquit en revanche à l'école où il fut élevé une foule de qualités recommandables. D'abord, il était très pieux : il vêtoit, dit G. de Nangis[21], la haire et le haubert par dessus, pour ce qu'il pût mieux sa chair estreindre et châtier, par quoi l'on pouvoit dire qu'il menoit mieux vie de moine que de chevalier. Ce n'est point là un de ces traits communs que la naïveté des chroniqueurs monastiques attribue à presque tous les princes du moyen âge, car Philippe était vraiment d'une dévotion rare il jeûnait, il domptait ses sens par l'abstinence[22]. En fait de livres, il n'entendait guère que des oraisons, et c'est à sa requête que l'un de ses confesseurs, frère Lorent, de l'ordre des Frères Prêcheurs, compila et parfit cette édifiante Somme des Vertus et des Vices, sorte de bréviaire qui, à partir de 1279, devint très populaire dans toute l'Europe[23]. Tels livres, tel homme ce fut là, à ce qu'il paraît, toute sa littérature.

Malheureusement, la piété qui avait parfumé l'âme de saint Louis de toutes les vertus évangéliques tourna, chez son fils, sinon à la crédulité superstitieuse, du moins à l'observance étroite des rites. Philippe le Hardi n'eut pas foi aux consultations des voyants et des devineresses, comme on le lui a reproché ; mais sa religion ne lui inspira pas de grandes actions, tant il est vrai que la vertu, sublime chez un homme supérieur, semble dégénérée chez un homme médiocre. De même, Philippe III était large et aumônier, comme Louis IX, mais sans mesure et sans discernement. La reine Marguerite exigea de lui, pendant sa jeunesse, la promesse de ne pas être trop prodigue, quod nulli ultra certam quantitatem pecunie alicui largireris ; il distribua cependant d'énormes donations à ses familiers ; il ne pouvait, dit un rimeur contemporain, qui l'en loue, trop donner du sien. Mais, comme l'établit fort bien Beaumanoir, il y a deux sortes de largesse comme deux sortes de hardiesse, l'une sage, l'autre mêlée de sotie[24] ; or, il semble que la générosité de Philippe[25] n'ait été qu'une forme de l'incroyable faiblesse qui déshonorait son caractère.

Philippe III avait d'ailleurs, à un très haut degré, tous les mérites de l'homme féodal dont les derniers trouvères, à la fin du XIIIe siècle, affublaient les héros. Il était physiquement fort et beau comme tous les princes de sa race[26]. Il prouva en Afrique et pendant sa guerre d'Aragon qu'il était vaillant de sa personne. Adonné aux exercices violents, il aimait passionnément la chasse, surtout la chasse au loup[27] et au sanglier[28], et il s'y livrait avec tant d'ardeur qu'il en oubliait parfois les désastres de sa politique. Après son échec de Sauveterre, dit un anonyme, il revint parmi son royaume, chaçant par ses forés comme cil qui moult en amoit le déduit, et quand il se fut esbatu grant pièce parmi sa terre, il s'en revint au bois de Vincenne delez Paris[29]. Comme Philippe le Bel, il aimait à dépenser sa vigueur dans les rudes travaux chevaleresques il avait été moult enfantibles en sa jonesce[30] ; dans son âge mûr, il aimait les tournois, les passes d'armes, quoiqu'il les ait interdites quelquefois par scrupule religieux. Enfin, il avait des goûts magnifiques et ses dépenses étaient d'un roi. Le sire de Joinville, habitué à la simplicité de la cour de Louis IX, osa même un jour lui reprocher son luxe. Je lui disais, raconte-t-il[31], au sujet des cottes brodées que l'on voit aujourd'hui, que jamais je n'en avais vu au voyage d'outre-mer. Il me dit là-dessus qu'il avait telles pièces brodées de ses armes qui lui avaient coûté 800 livres parisis. A quoi je répondis qu'il eût mieux fait d'employer cet argent en aumônes et de faire faire ces habits en bon taffetas battu à ses armes, ainsi que son père avait fait.

Mais ses qualités de grand seigneur n'attiraient d'ordinaire à Philippe que des éloges. Il sera, disait le roi de Navarre en 1270, il sera quelque jour un grand prud'homme, s'il plaît à Dieu. Charles d'Anjou, dans un mémoire qu'il adressa à son neveu à propos de sa candidature à l'Empire, dit qu'il était vertueux, riche, large, débonnaire, droiturier et courageux[32] ; enfin Adenès li rois, le poète favori de la reine Marie de Brabant, a tracé de Philippe, sous le nom de Marcadigas, un portrait flatteur et véridique[33] :

... Moult honnorèrent

Roi Marcadigas et amèrent,

Car moult fut sages et vaillans

Et dous et cortois et loiaus

Et dou cors hardis et vassaus.

 

Il était doué, en effet, des vertus d'honnête homme et de bon chevalier dont le moyen âge exprimait l'ensemble par le mot prud'homie. Il avait des mœurs pures, quoique la calomnie ait mordu sa réputation de chasteté[34] ; surtout, il était, comme disaient Charles d'Anjou et Adenès, droiturier et débonnaire[35]. Débonnaire, c'est-à-dire modeste, patient et généreux. Sur ce point, tous les témoignages sont d'accord. Il parlait avec douceur, dit G. de Nangis, sans nul boban et sans nul orgueil[36] ; les injures réchauffaient et le jetaient dans de grandes colères[37], mais il s'apaisait à la réflexion et il pardonnait aisément[38] ; à la prise d'Elne, c'est lui qui ordonna d'épargner le bâtard de Roussillon, chef des défenseurs de la ville, que le légat Cholet voulait faire tuer[39]. Il était humble avec les clercs. Il avait même, s'il faut en croire Anelier[40], cette fleur de la modestie qui est la timidité. Il suivait, en un mot, la règle de conduite morale que saint Louis, à son lit de mort, lui avait léguée par écrit ; c'est du moins ce que permettent de conjecturer le langage des contemporains et les rares circonstances où, de 1270 à 1285, nous voyons le roi agir en personne. Dante, qui a poursuivi les membres de la dynastie capétienne d'une haine si amère, n'a point trouvé d'injures à jeter à la face de Philippe III ; il ne lui reproche que la forme de son nez, l'échec de sa croisade d'Aragon, et la naissance de Philippe le Bel[41].

Mais pour être un pasteur de peuples, comme saint Louis, il faut d'autres mérites que la prud'homie et la piété ; il faut des idées politiques et des maximes de gouvernement. Or, Philippe n'en eut pas ; il n'eut que le ferme propos de marcher, comme il le dit déjà dans une lettre envoyée de Carthage aux régents Mathieu et Simon, sur les pieuses traces de son père. Tout le monde l'y exhortait du reste dès le début de son règne ; l'auteur anonyme des regrès du roi Looys[42] et le troubadour Daspol[43] saluaient dans le nouveau roi, en 1270, le continuateur de l'ancien ; les papes[44] et les évêques lui rappelaient sans cesse l'exemple du saint roi, et Philippe ne pouvait certainement se proposer un idéal plus élevé[45]. Par malheur, il était incapable de s'y hausser, pour deux raisons. La première, c'est qu'il n'avait pas l'intelligence assez nette pour réfléchir sur la nature de son office royal ni pour s'assimiler la théorie très simple que son prédécesseur s'était formée à ce sujet, suivant laquelle il avait orienté toutes ses actions. Il imita donc la conduite de saint Louis sans en saisir l'esprit. Sans doute, il avait un sentiment assez relevé de la dignité de ses fonctions suprêmes ; il se considérait comme le défenseur armé de l'Église ; il eut comme son père la folie de la croix, et il ne se consola de ne pouvoir combattre les infidèles qu'en tirant l'épée contre les excommuniés d'Aragon il eut aussi un certain dédain de la politique utilitaire[46], mais tous ces sentiments n'étaient pas chez lui coordonnés ni fondus en système. D'ailleurs, saint Louis avait gouverné avec une grande énergie et Philippe le Hardi était un caractère faible ; c'est là la seconde raison de son infériorité irrémédiable. Au lieu de tenir le gouvernail et de remonter le courant, il a laissé la royauté aller à la dérive il a laissé la direction du navire à l'équipage, parce qu'il ne savait pas de quel côté il voulait faire voile. Voilà pourquoi ce prince honnête qui porte un surnom d'aventureux, ce roi chevalier qui a préparé l'avènement des hommes qu'on appelle les légistes, n'est guère responsable de ce qui s'est accompli sous son règne. Personnellement, en fait d'idées politiques, il n'eut qu'une tendance à imiter son père, et, partagé entre les influences contradictoires de son entourage, il n'aurait jamais pu, par sa seule volonté, communiquer cette tendance à la société de son temps.

Cependant Philippe III fut universellement pleuré quand il mourut à quarante ans, à l'âge de la maturité. On pensa qu'instruit par l'expérience, il était arrivé au moment où il allait développer son individualité[47]. Il trépassa, dit l'Anonyme du ms. 2815, par la volonté Jésus-Christ ; dont ce fut dommage qu'il trépassa, sitôt en cel point qu'il commençoit à être merveilleusement preud'home de son âge et plein de bonnes mœurs[48]. Il est difficile de croire, malgré cela, qu'il soit mort trop tôt pour sa gloire ; car ses imperfections étaient de celles qui ne se corrigent pas avec l'âge. Non seulement Philippe fut regretté par les hommes qui l'avaient connu, mais les traditions du XIVe siècle joignirent, suivant l'expression de Lenain, son temps avec celui de saint Louis comme le modèle d'un gouvernement légitime[49]. En effet, son administration, qu'il en ait assumé ou non la conduite effective, sans avoir fait de grandes choses, s'est du moins acquis le mérite de la modération et de la sagesse ; son règne  n'a pas été éclatant, mais il a été bienfaisant. Alors la royauté a continué sa marche progressive vers l'unité territoriale et la centralisation politique ; elle n'a point compromis son œuvre en voulant prématurément en venir à bout ; enfin, elle a préparé la France, par quinze ans de tranquillité, à supporter les trente années de la domination violente de Philippe le Bel, lequel accéléra l'évolution commencée depuis trois générations de rois au point d'amener après sa mort une réaction terrible et durable.

En 1285, Philippe III[50] céda donc le trône à un prince qui a laissé dans l'histoire une tout autre réputation que la sienne. — Et pourtant, comme l'ont fait remarquer, sans s'y arrêter, de fort bons esprits[51], les écrivains de son temps n'ont guère envisagé Philippe IV que comme un autre Philippe III, aussi crédule et plus mal conseillé. Dans les chroniques, tous deux sont beaux, vigoureux, habiles au métier des armes sans être batailleurs, sobres, chastes et très dévots. Tous deux se déchargent volontiers du souci des affaires sur des personnages de confiance pour l'un, c'est Mathieu de Vendôme ou Pierre de la Broce ; pour l'autre, c'est Nogaret ou Marigny. Tous deux, du reste, seuls parmi les rois de France, ont le même profil perdu et mystérieux, pareil à l'effigie mi-effacée des médailles dont le relief a disparu[52]. Cependant, l'œuvre accomplie sous le règne de Philippe le Bel a été si grande qu'on hésite à accuser de médiocrité le prince qui eut l'honneur d'y présider, tandis qu'on ne pense point à contester l'insuffisance de Philippe III. Mais cela n'est pas juste, car .on ne saurait appuyer cette distinction d'aucun texte ; on ne peut l'établir que sur la base fragile des vraisemblances et des raisons de sentiment[53]. La seule différence qu'il soit légitime de faire entre le père et le fils, c'est.que les documents sont assez clairs et assez abondants pour permettre d'affirmer la faiblesse d'esprit du père, pendant que, en ce qui concerne le fils, les témoignages sont moins explicites et laissent le champ ouvert aux conjectures. La ressemblance absolue des deux princes n'est donc pas certaine, mais il a existé sûrement entre eux des analogies très frappantes ; et, sans être convaincu de partager une erreur populaire[54], on peut penser que Philippe IV, comme Philippe III, est resté inactif, impassible au milieu des révolutions de son temps, dans l'attitude à demi hiératique qu'il garde au droit du sceau de majesté.

Quoi qu'il en soit, la conclusion qui se dégage des renseignements contemporains sur la personne de Philippe III, c'est que dans la conduite du gouvernement, ou, comme dit Velly, dans la manutention des lois, l'action de la personne royale a été à peu près nulle de 1270 à 1285. C'est une notion précieuse, car, puisque, pendant quinze ans, l'influence individuelle du prince n'a pas entravé le développement normal des institutions, l'histoire du règne permettra de reconnaître exactement la direction et d'apprécier la force du mouvement qui portait alors la France vers des destinées nouvelles. D'autre part, l'effacement du roi conduit à chercher dans sa cour et dans son conseil, parmi ses familiers même, les véritables inspirateurs de sa politique et les auteurs de ses réformes.

 

 

 



[1] Voyez notamment AMARI, La Guerra dei Vesperi Siciliani, I, 344, et SISMONDI, Histoire des Français, V, 7.

[2] Paul-Emile pensait que Philippe III ne portait pas d'épithète de son vivant (B. N., lat., 6958, f° 1) ; et Génébrard croit que l'origine du surnom vient d'une confusion récente avec Philippe le Hardi, duc de Bourgogne (Genebrardi Chronican, IV, 390). C'est une erreur ; car le surnom usuel, si peu justifié qu'il semble, se trouve déjà dans une généalogie des rois de France, rédigée entre 1293 et la publication de la canonisation de Louis IX (H. F., XXIII, 146) : Morut [li rois] el service de sainte Église, et disoit-on que il étoit li plus hardiz de tous.

[3] Il est souvent mentionné au XIVe siècle, par exemple dans le roman de Fauvel (1310) (P. PARIS, Man. franc, de la Bibl. royale, I, 313), dans l'obituaire de Notre-Dame de Chartres, en 1321 (Cartulaire de N.-D. de Chartres, III, 18), etc. — Corn. Zantfliet (MARTÈNE, Ampliss. Collect., V, 109) donne au roi le nom de Corleonis, mais ce n'est qu'un synonyme ambitieux du mot audax.

[4] Voyez la chronique d'un anonyme de Padoue, qui a cessé d'écrire en 1270 : Et rex novus illustris Philippus et rex Navarre, moventes a Carthagine, audaciter ante muros Tunicii produxerunt (SS. RR. II., VIII, 132).

[5] DOUBLET, Antiquitez de l'abbaye de Saint-Denys, p. 398. L'an mil deux cens septante quatre, après la mort de saint Loys, soubz son fils Philippe sans désastre, advint le miracle icy mis.

[6] H. F., XXI, 393. Rôle des dépenses faites à cette occasion. On trouve parmi des compagnons d'armes du jeune prince les comtes d'Artois et de Dreux, Philippe Granche, Eudes Poillechien, nepos legati.

[7] BRUSSEL, Usage des fiefs, preuves, p. 46.

[8] H. F., XXII, 5. Cf. le testament du roi, en 1284 (Arch. Nat., J, 403, n° 11), legs de 1.400 livres aux povres gentilshomes honteus du Gâtinais.

[9] Geoffroy DE BEAULIEU, Vita S. Ludov. H. F., XX, 7.

[10] JOINVILLE, Éd. de Wailly, n° 689.

[11] Cette hypothèse de Klimrath, appuyée sur la rubrique d'un seul ms., est gratuite, car le livre de Pierre de Fontaines ne s'adresse pas à un prince. Voyez BEUGNOT, Coutumes du Beauvaisis, I, p. X, et MARNIER, le Conseil de P. de Fontaines, in-8°, 1846, préface. Cf. M. AD. TARDIF, à son cours.

[12] Hist. Littér., XVIII, 461.

[13] H. F., XX, 467.

[14] SISMONDI, Hist. des Français, V, ch. VIII. — Cf. P. PARIS, o. c., I, 265.

[15] Enseignemens de saint Louis, éd. de Wailly, art. 2. Je pens à te faire quelque enseignement par cest escrit, car je t'oï dire aucunes fois que de moi plus que d'autre tu retenroies.

[16] H. F., XX, 402.

[17] LENAIN DE TILLEMONT, Hist. de saint Louis, IV, 211, 221, 232.

[18] JOINVILLE, n° 37. Messires li roys appela monseigneur Ph., son fil, et le roi Tybaut, et s'asit à l'uys de son oratour et mist la main en terre et dist : Seez vous ci bien près de moy, pour ce que on ne nous oie. — Ha ! sire, firent-il, nous ne oserions asseoir si près de vous.

[19] BOUTARIC, Marguerite de Provence. Revue des questions historiques, III, 420.

[20] Arch. Nat., J, 711, n° 301.

[21] H. F., XX, 491.

[22] Anonyme, ap. H. F., XXI, 201.

[23] B. N., franç., 938, ms. écrit par Pierre de Falons, en octobre 1294. Il existe encore aujourd'hui plus de cent mss. de cet ouvrage, en France et à l'étranger, en latin, en français, en provençal, en anglais.

[24] BEAUMANOIR, Coutumes du Beauvaisis, I, 20.

[25] C'est bien à tort qu'on a cru voir dans une pièce de Rutebeuf des allusions à son avarice. Hïst. Littér., XX, 758.

[26] Les chroniques ne donnent pas de description détaillée de sa personne, mais on possède plusieurs représentations figurées de Philippe III, des statues, des miniatures, des sceaux et des médailles. 1° Statues. MONFAUCON (Monuments de la monarchie française, II, 183) a donné quatre mauvaises, gravures des statues de Philippe III qui se trouvaient de son temps dans les églises de Saint-Louis de Poissi, de Royaumont, de Saint-Denis et de Narbonne. Le Mercure de France (août 1718, p. 60) décrit ainsi le monument de l'église primatiale de Narbonne, où le roi fut enterré : Au lieu qu'on le représente avec un visage chagrin, un nez aquilin et de grandes lèvres, ici il a un visage riant, doux et ouvert, ce qui convient beaucoup mieux au caractère de ce prince. On peut même remarquer dans son air les signes que les Phisionomistes donnent aux personnes hardies. — En outre, une statue d'un art très remarquable, placée au portail septentrional de la cathédrale de Chartres, sur la face latérale qui regarde la sacristie, serait, suivant M. BULTEAU (Description de la cathédrale de Chartres, p. 99), une figure de Philippe III, sous lequel le portail a été achevé ; malheureusement, c'est là une conjecture. — 2° Miniatures. Une miniature d'un ms. du XIVe siècle qui représente le roi en costume de guerre a été publiée par M. Lacroix (la Vie militaire et religieuse au moyen âge, fig. 23, 24) ; ce portrait, naturellement, n'a rien d'authentique. Voyez aussi Bibl. de Valenciennes, ms. n° 514, r. 302, et B. N., franç., 5888, f° 99. — 3° Sceaux. Les sceaux de Ph. III sont bien connus ; outre le sceau de majesté et le sceau de la Régence, on a de lui un sceau à figure équestre qui date de 1267 (DENAY, Inventaire des sceaux, n° 187) il a été reproduit par ALWIN SCHÜTZ, Das hofische Leben, Leipzig, 1880, II, 89. — 4° Médailles. Voyez la médaille frappée en 1275 à l'occasion du couronnement de Marie de Brabant (MORAND, Histoire de la Sainte-Chapelle, p. 77), et une monnaie de Saint-Martin de Tours, au type de Philippe III (Mém. Soc. Emul. Cambrai, 1833).

[27] H. F., XXII, 5 (G. de Collone). Libenter ad venationem ibat, precipue ad lupos.

[28] Voyez le récit d'une de ses chasses au sanglier dans la forêt de Bellosane, H. F., XX, 185.

[29] H. F., XXI, 94.

[30] H. F., XXI.

[31] Cf. QUICHERAT, Histoire du costume, p. 179.

[32] Arch. Nat., J, 318, n° 19 (Doc. inéd., Mélanges, I, 554).

[33] VAN HASSELT, Li roumans de Cleomadès, v. 124 ssq.

[34] Il parait en effet que le bruit public attribuait au roi des habitudes contre nature. Arch. Nat., J, 429, n° 1. Li roi li dist [au légat] que l'en li avait mandé de Flandre que uns chanoines de Laon... le diffamoit moult vilenèment de pechié contre nature, et disoit..... que II. saintes femmes qui estoient en la dyocese dou Liège dun l'une a nom Anliz, et est mesele, e l'autre a nom Isabelle de Sparbeke, li avoient dit que li rois estoit entechiez de ce vice. Et demanda li roi au légat se il en avoit onques oï parler. — Et il dist que oil.

[35] ANELIER, Guerre de Navarre, v. 1169 : al bon rey dreytureir.

[36] H. F., XX, 491.

[37] Révolte du comte de Foix. H. F., XXIII, 81. — Défi du roi de Castille, Ibid., XX, 500.

[38] Anonyme du commencement du XIVe siècle, ap. H. F., XXI, 201 : Mirabili mansuetudine residebat..... absque fastu superbie.

[39] H. F., XX, 531.

[40] ANELIER, Guerre de Navarre, v. 1436. Avant de partir pour la Navarre, E. de Beaumarchais demanda au roi sa bénédiction.

[41] DANTE, Purgatoire, VII.

[42] B. N., franç., 837, f° 340.

[43] P. MEYER, les Derniers Troubadours de la Provence, p. 43.

[44] Voyez une bulle de Grégoire X. RAYNALDI, 1272, § 37.

[45] Voyez L. DE TILLEMONT, Hist. de S. Louis, V, 147.

[46] Voyez le Mémoire présenté au roi au sujet de sa candidature à l'Empire (Doc. inéd., Mélanges, I, 652) : Vers est que aucune gens et grans genz ont aucune fois parlé au roi de panre cest Anpire, mes il ne li monstroient pas ices grans biens et ices grands profieies qui en porroient venir à l'esaucement de la foi crestienne ; plus li louoient par les richeces et par les honora terriennes, et por ce lï rois en prisoit petit la parole. — Cf. les Mémoires présentés par P. Dubois à Philippe le Bel sur le même sujet ; le ton en est bien différent.

[47] H. F., XXII, 8. Cujus mors multis displicuit, nam multi, quia multa, quamvis juvenis esset, viderat, de sua prudentia confidebant.

[48] H. F., XXI, 102.

[49] L'art. 32 de l'ordonnance du 17 mai 1315 est décisif pour le prouver. Ord., I, 569. Antiquam consuetudinem volumus observari, scilicet prout tempore beati Ludovici et ejus filii extitit ordinatum.

[50] Philippe III est souvent appelé Philippe IV dans les textes du moyen âge, à cause de Ph., fils aîné de Louis le Gros, jadis associé à la couronne. Voyez Guillaume l'Écossais (H. F., XXI, 202), l'inscription d'un ancien reliquaire de Chartres (Cartulaire de N.-D. de Chartres, I, 136) et plusieurs généalogies des rois de France (ex B. N., lat., 14663, f° 19 v°).

[51] BOUTARIC, la France sous Philippe le Bel, p. 416.

[52] Sur le personnage de Philippe le Bel, voyez Guillaume l'Écossais (H. F., XXI, 201), Geoffroy de Paris (N. DE WAILLY, Mémoire sur G. de Paris, ap. Mém. de l'Acad. des Inscr., XVIII), et Villani (SS. RR. II., IX, 473).

[53] BOUTARIC, op. cit., p. 418, ne présente qu'un argument c'est que le règne de Philippe IV, se développant régulièrement, suppose une direction unique. Or, elle ne peut, dit-il, venir que du roi. Elle a pu venir aussi d'une volonté collective se perpétuant chez plusieurs générations de conseillers. En fait, le règne de Philippe III a été, lui aussi, d'une seule teneur, malgré les changements de favoris, et cependant il est certain que ce n'est pas la personne du roi qui a maintenu, pendant ces quinze ans, l'unité de la politique royale. Il faut conclure qu'il est puéril de chercher à attribuer, comme le veut M. B., en dépit des textes contemporains, l'honneur du règne dont il a écrit l'histoire à un seul homme, soit à un ministre, soit au prince. Il suffit de dire, pour expliquer la logique des réformes de Philippe le Bel, qu'il existait parmi les hommes de sa cour une tradition de gouvernement.

[54] BOUTARIC, op. cit., p. 419.