Le règne de Philippe III le Hardi, qui occupe quinze années du XIIIe siècle, n'a pas eu jusqu'ici d'historien ; si bien qu'il existe dans nos connaissances comme une brusque solution de continuité entre la mort de saint Louis et l'avènement de Philippe le Bel. Et personne assurément ne croira que cette lacune se trouve comblée soit par les médiocres compilations de D. Aubery[1] et de l'abbé de Camps[2], soit par quelques chapitres détachés des ouvrages généraux du P. Daniel, de Sismondi, de Henri Martin ou de Dareste[3]. C'est pour deux grandes raisons que la critique a dédaigné ainsi le règne de Philippe III. En premier lieu, les documents de ce temps qui nous ont été conservés sont assez rares, peu connus et très dispersés ; le Trésor des Chartes ne possède point de registres spéciaux où les actes du gouvernement royal, de 1270 à 1285 aient été régulièrement consignés, tandis que nous avons encore les registres officiels de Philippe-Auguste, de Louis IX et de Philippe IV ; en outre, les archives administratives et judiciaires du règne ont été très gravement mutilées par deux catastrophes successives l'incendie qui détruisit en 1618 le greffe du Parlement et celui qui anéantit, en 1737, le riche dépôt de la Chambre des Comptes, En second lieu, on a estimé sans doute que, si c'était un travail malaisé de recueillir et de classer les matériaux encore bruts de l'histoire de Philippe III, c'était aussi une besogne fort peu utile. Le développement des institutions monarchiques, au xine siècle, ayant été régulier et continu, rien n'est plus artificiel, à ce qu'il semble, que de s'enfermer pour l'étudier dans les limites chronologiques très étroites que fixent arbitrairement deux accidents fortuits, l'avènement et la mort d'un prince ; on s'expose ainsi à ne saisir qu'un moment trop court de l'évolution générale pour se mettre en état d'en discerner la direction. Et puisa, le règne de Philippe le Hardi, resserré et comme écrasé entre les deux plus grands règnes de l'histoire de France, dépourvu d'originalité, vide de faits en apparence, et parsemé seulement de quelques anecdotes, offrait-il matière à monographie, quelque opinion qu'on eût d'ailleurs sur la valeur des monographies de cette espèce ? La seconde de ces deux raisons est certainement très faible. On n'arrive à connaître l'ensemble d'une région qu'après avoir visité, décrit et mesuré chacun des cantons qui la composent ; de même, le seul moyen de préciser nos connaissances sur l'histoire de France est de la diviser en tranches chronologiques et de les étudier séparément. Cette vérité a été fort bien comprise de nos jours, et sur quelques-uns de nos rois du moyen âge, comme sur la plupart des princes d'Allemagne, il existe déjà des travaux considérables. Nous avons dès maintenant des regestes de Robert le Pieux, de Louis VII, de Philippe-Auguste ; outre le beau livre de M. Luchaire sur les premiers Capétiens, nous avons des ouvrages spéciaux sur les règnes d'Hugues Capet et de Robert, sur ceux de Louis IX et de Philippe le Bel ; d'autres travaux sont en préparation sur les actes de Henri Ier, sur le gouvernement de Philippe le Long, sur l'histoire de Charles IV le Bel. Toutes ces monographies ont apporté d'utiles contributions à l'histoire des institutions monarchiques elles ont mis au jour une foule de faits et de documents qui étaient restés douteux ou inédits ; elles ont restauré à leur place véritable des règnes qu'on jugeait mal parce qu'on ne les connaissait pas. De pareils résultats démontrent amplement l'excellence de la méthode dont il s'agit ; s'il fallait encore une preuve de l'utilité des études partielles, le règnes de Philippe III la fournirait, car c'est faute d'avoir consulté avec soin tous les monuments qui en restent, qu'on l'a toujours représenté dans les livres comme effacé et insignifiant. Au contraire, de graves événements l'ont marqué non seulement son histoire extérieure a été compliquée et tragique, mais, pendant les quinze années qu'il recouvre, ni la France ni la royauté ne sont restées immobiles. Des réformes ont été faites ; certaines institutions ont pris naissance. La vie politique, loin d'être suspendue, a été fort active ; et, après en avoir recherché toutes les manifestations, on se trouve à même de résoudre la question fondamentale de savoir si le règne de Philippe le Hardi n'a été que la continuation du précédent ou s'il a été la préface du règne suivant. Or, la solution de cette question, qui n'a pas même été posée clairement jusqu'ici, est de grande conséquence pour l'histoire générale du XIIIe siècle. Il importe de savoir que le temps de Philippe III a été, comme nous espérons le prouver, tout illuminé d'un reflet du règne de saint Louis ; et que si l'on veut opérer entre l'histoire de la royauté féodale et celle de la monarchie moderne une coupure, qui sera d'ailleurs toujours arbitraire, c'est en 1283, et non en 1270, qu'il convient de la pratiquer. Il est donc utile d'écrire l'histoire de Philippe III, comme il a été utile d'écrire celle de tous les autres princes de sa race. Ajoutons que cela est possible, malgré la pauvreté relative des sources. Bien que, depuis six siècles, beaucoup de documents précieux aient été détruits, il subsiste, en effet, assez de chroniques et de pièces d'archives pour que, en les comparant, il soit possible d'arriver sur presque tous les points à des conclusions authentiques. I. LES CHRONIQUES. — La chronique générale et presque officielle du règne a été rédigée à l'abbaye de Saint-Denis, où se trouvait un fonds de notes et de mémoires historiques, classés et dégrossis de manière à former comme une ébauche des annales nationales[4]. C'est à ce fonds que Guillaume de Nangis a emprunté les renseignements qu'il a consignés dans sa Vie de Philippe le Hardi[5] et dans sa Chronique abrégée[6]. Primat, d'après les mêmes sources, avait composé aussi, en appendice à sa Vie de saint Louis, une chronique du règne de Philippe III ; elle est perdue, mais nous possédons encore la traduction française qu'en fit, au XIVe siècle, frère Jean du Vignay[7]. Entre l'ouvrage de G. de Nangis et l'ouvrage de Primat, il y a naturellement des ressemblances frappantes ; mais il n'est pas nécessaire, comme on voit, pour les expliquer, d'établir entre ces chroniques des rapports de filiation[8]. Guillaume de Nangis et Primat sont les principaux historiographes du règne ; mais leurs récits, très précieux du reste, sont recouverts de la phraséologie froide et apprêtée qui était familière, au XIIIe siècle, aux écrivains de Saint-Denis. Plus naïf et plus vivant est, dans la narration des épisodes qu'il ajoute à l'œuvre des annalistes officiels, l'auteur anonyme d'une chronique française dont le témoignage mérite une grande confiance[9]. Il a rédigé son travail sous le règne de Philippe le Bel et probablement avant 1297 ; il s'est servi, lui aussi, des notes de l'abbaye de Saint-Denis ; souvent même il se contente d'abréger Nangis, mais il a illustré son travail de détails originaux, et ce qu'il a emprunté, il l'a traduit en fort bon style. Au groupe des chroniques dérivées de l'historiographie de Saint-Denis, il faut joindre celui des grandes compilations historiques du XIVe siècle, qui contiennent parfois, en même temps que le résumé du livre de Nangis, des renseignements qui ne nous ont pas été transmis autrement et dont la source est inconnue[10]. Ce sont les Fleurs des chroniques de Bernard Gui[11], la continuation de Girard de Frachet[12], la chronique attribuée à Jean Desnouelles[13], les recueils versifiés de Guillaume Guiart, de Philippe Mousket, et quelques abrégés anonymes[14]. Toutes ces chroniques renferment l'histoire générale du règne ; à côté d'elles, les chroniques locales ou provinciales du XIIIe siècle apportent leur contingent de faits. Sans doute, rédigées presque toutes par des moines qui ne savaient rien du monde, elles ne nous apprennent pas toujours ce qu'elles devraient nous apprendre ; mais les annalistes provinciaux ont vu du moins certains événements particuliers se passer autour d'eux ; de plus, ils ont aperçu les faits généraux sous un certain angle ils accusent, pour ainsi dire, la notion que les hommes de leur pays ont eue de l'histoire contemporaine, et, à ce titre, ils sont dignes de l'étude la plus attentive. Or, il existe une chronique parisienne, celle de Saint-Magloire[15] ; un groupe très important de chroniques limousines[16], provenant de Saint-Martial de Limoges ; une chronique bourguignonne, celle de G. de Collone, moine à Saint-Pierre-le-Vif de Sens[17] ; une chronique du monastère de Moissac[18] ; un groupe flamand[19], formé de compilations assez récentes ; un groupe normand[20], et un groupe d'annales tourangelles[21]. Pour clore la liste des récits qui ont un caractère local, il convient de citer la chronique de Guillaume de Puylaurens, qui nous renseigne sur l'histoire du Midi pendant les premières années du règne[22], et le poème de G. Anglier, qui, sous une forme épique, retrace en détail tous les épisodes des guerres de Navarre, à partir de 1276[23]. Tous ces documents, si variés, n'épuisent pas encore la littérature annalistique du XIIIe siècle ; elle comporte, en outre, une foule de chroniques étrangères qui nous intéressent, parce que l'histoire de France a été intimement mêlée à celle des peuples voisins, en plusieurs circonstances, et parce qu'elles nous apprennent ce quia transpiré au dehors des événements du règne de Philippe III. C'est ainsi qu'il faut faire entrer en ligne de compte les chroniques italiennes[24], entre autres, les annales de Parme et de Plaisance, Salimbene et Villani ; les chroniques catalanes du moine de Ripoll, de B. Desclot, et surtout le célèbre récit de Ramon Muntaner[25] ; enfin les chroniques anglaises, les annales de Londres[26], celles de Saint-Albans, d'où dérive la majeure partie des compilations de Rishanger et de Walsingham, et la Fleur des histoires de Mathieu de Westminster[27]. II. DOCUMENTS DIPLOMATIQUES. — Les documents de cet ordre sont infiniment plus abondants, plus authentiques et, en général, plus intéressants que les chroniques ; ils les contrôlent, les corrigent et les complètent en révélant une quantité de faits et d'actes dont elles ne font aucune mention. Nous entendons par documents diplomatiques toutes les pièces, inédites pour la plupart, qui se trouvent dans les archives de la France et de l'étranger chartes, ordonnances, enquêtes, pièces de procédure, correspondances officielles et privées. 1° C'est bien à tort que les éditeurs du recueil des Historiens de la France évaluent[28] à 287 le nombre des monuments manuscrits et authentiques du règne de Philippe le Hardi qui sont déposés aux Archives nationales, à Paris. Dans la seule série J — Trésor des Chartes —, ce nombre est bien plus considérable. A la vérité, il n'existe pas au Trésor un seul registre qui soit entièrement consacré il la transcription des actes de Philippe III ; mais les scribes de la chancellerie ont souvent utilisé les feuillets blancs des registres de saint Louis et de Philippe-Auguste pour y insérer en désordre des pièces qui sont datées de 1270 à 1285[29]. D'ailleurs, si les registres du Trésor, pour le temps de Philippe le Hardi, ont été fort mal tenus, les layettes sont encore complètes ou peu s'en faut. Elles contiennent la plus riche collection qui subsiste de chartes et d'instruments contemporains[30]. Ce sont les archives administratives et domaniales de la couronne. Les archives judiciaires qui sont conservées dans le même dépôt n'ont pas une moindre importance ; elles se composent des registres Olim[31] et des rouleaux d'enquête compris dans le supplément du Trésor. Nous les avons étudiées ailleurs[32]. Dans les séries K (cartons des rois), L (Bullaire), M et S des Archives nationales, on rencontre encore un grand nombre de chartes royales et de bulles qui intéressent l'histoire du règne ; mais la plupart de ces actes ne concernent, suivant l'expression des continuateurs de dom Bouquet, que des affaires monastiques et des intérêts privés. Les collections des Archives sont complétées par quelques recueils de pièces originales qui en ont été probablement distraites à une époque ancienne — enquêtes, comptes, lettres — ; ces recueils sont à la Bibliothèque Nationale[33]. Enfin, c'est à Paris qu'ont été réunis les débris des précieuses archives de la Chambre des Comptes, où tant de documents relatifs à l'administration financière, tant d'ordonnances, de comptes et de lettres patentes étaient déposés. Tout a été brûlé au XVIIIe siècle, mais on a essayé de restituer en partie ces richesses en classant méthodiquement les expéditions qui avaient été faites d'après les originaux, avant leur destruction. Les Mémoriaux de la Chambre des Comptes ont été ainsi reconstitués autant que possible[34], de même que les layettes[35]. De plus, l'inventaire que Robert Mignon dressa, vers 1325, des archives de la Chambre confiées à sa garde, a été préservé et publié[36] ; on a imprimé aussi quelques comptes, sauvés par hasard, dans le recueil des Historiens de la France[37]. 2° Le Trésor des Chartes, le greffe du Parlement et le dépôt de la Chambre des Comptes constituaient, par leur réunion, les archives centrales du royaume. Mais dans les provinces, au moyen âge, chaque chef-lieu de sénéchaussée avait aussi ses archives ; chaque seigneur, chaque abbaye avait les siennes. Si elles existaient encore, quelles ressources n'offriraient-elles pas aux historiens ? C'était là que venaient s'accumuler les pièces de la correspondance active qui s'échangeait entre le pouvoir royal et ses officiers, entre le pouvoir royal et les grands vassaux mandements et ordonnances, privilèges, etc. Là se trouvaient réunis les documents qui auraient permis de se rendre compte des procédés de l'administration compliquée des bailliages par les baillis et des grands fiefs par les seigneurs. Malheureusement, ces archives ont péri ; quelquefois, elles ont fondu lentement sans laisser de traces ; d'autres fois, elles ont été détruites par un accident fortuit. Ç'a été le cas, par exemple, pour les archives très riches des sénéchaussées de Carcassonne, de Toulouse et de Nîmes qui, transportées à Paris en 1703[38] et centralisées dans une salle de la Chambre des Comptes, furent consumées parle feu en même temps que le greffe de cette Cour. Quelques registres de la sénéchaussée de Nîmes et de Carcassonne[39] n'ont été sauvés que parce qu'ils avaient été volés et placés dans la collection de Colbert avant l'année 1703. Cependant, nos archives départementales, qui, sauf par quelques érudits locaux, ont été jusqu'ici fort mal explorées, si mutilées qu'elles aient été par vandalisme et par négligence, sont encore susceptibles de fournir une moisson abondante pour l'histoire générale. D'abord, certains grands dépôts nous ont été transmis presque intacts : tels sont le Trésor des Chartes des comtes d'Artois, à Arras[40] ; le greffe de la Chambre des Comptes de Lille, qui comprend en partie l'ancien trésor des comtes de Flandre[41] ; les archives du château de Pau[42]. Çà et là, quelques villes ont conservé aussi, par fortune, leurs archives du XIIIe siècle, qui ont parfois une très grande valeur telles sont les villes de Toulouse[43], de Montpellier[44], de Narbonne[45] et de Poitiers[46]. Du reste, pour combler les lacunes les plus graves, nous avons de belles collections de copies, exécutées au XVIIe siècle dans les dépôts dont on déplore aujourd'hui la disparition citons notamment les copies prises par les collaborateurs de Doat et par dom Bourotte dans les archives des sénéchaussées du Midi. Ces collections sont à la Bibliothèque Nationale[47]. Mais la principale richesse des archives départementales, ce sont les fonds ecclésiastiques, épiscopaux ou abbatiaux, où les documents anciens et les chartes royales ne sont pas rares, soit transcrits en cartulaires, soit gardés en original[48]. Ce serait un très long travail de dépouiller tous ces fonds pour en dégager les pièces qui se rapportent au règne de Philippe le Hardi, d'autant plus qu'en beaucoup d'endroits les inventaires n'ont pas encore été dressés. Par bonheur, pour quelques provinces, des érudits se sont attachés à réunir et à publier tous les actes anciens qui existent ; ils ont formé ainsi des cartulaires factices, qui sont disposés tantôt dans l'ordre chronologique, comme le Cartulaire normand de M. L. Delisle, tantôt suivant un classement topographique, comme le Cartulaire de Carcassonne de M. Mahul[49]. En outre, les bonnes histoires provinciales, comme celle de dom Vaissète[50], dont la réédition de M. Molinier a doublé la valeur, ont déjà mis au jour les choses les plus précieuses. Enfin, les savants des deux derniers siècles nous ont légué aussi de vastes cartulaires manuscrits, compilés par eux d'après des archives seigneuriales ou abbatiales qui ont été pour la plupart anéanties depuis ; on connaît surtout la collection chronologique de l'historiographe Moreau[51] ; celle des chartes de dom Grenier (Picardie)[52], de dom Housseau (Touraine)[53] et de dom Fonteneau (Poitou)[54]. Sans doute, ces regestes provinciaux sont insuffisants à plusieurs égards, mais ils n'en présentent pas moins, dans un ordre commode, une quantité de pièces authentiques qui sont à peu près les seuls monuments propres à nous renseigner sur la vie particulière des provinces au XIIIe siècle. 3° En même temps que les archives de France, les archives étrangères doivent être mises à contribution ; c'est, en effet, en s'aidant des documents que tiennent en réserve les dépôts, trop peu connus jusqu'à présent, d'Italie, d'Espagne et d'Angleterre, qu'on parviendra à restituer, autant que possible, et à écrire l'histoire de notre pays. Pour ce qui regarde particulièrement le règne de Philippe le Hardi, les archives de la couronne d'Aragon et du royaume de Navarre, en Espagne ; celles du Vatican et de la dynastie angevine de Naples, en Italie ; en Angleterre, le Public Record Office, offrent des ressources abondantes et très nouvelles. Les archives de la couronne d'Aragon sont conservées il Barcelone elles comprennent des pièces originales, classées par règne (cartas reales), et les registres de la chancellerie aragonaise. On a consulté les analyses qui ont été faites récemment du texte des registres, et les extraits qui en ont été publiés[55]. Les archives du municipe de Pampelune (couronne de Navarre) possèdent deux registres d'une très grande valeur, le Cartulaire du roi Philippe III et le Cartulaire n° II, où se trouvent transcrits les mandements adressés par le prince aux officiers qui, de 1276 à 1281, gouvernèrent la Navarre en son nom[56]. Les registres du Vatican, où sont consignés les actes du Saint-Siège, seraient assurément très utiles à consulter ; mais, même aujourd'hui, ils ne sont pas facilement accessibles. Le recueil de Potthast, et les Annales ecclésiastiques de Raynaldi, rédigées d'après les archives des papes[57] et les collections de copies de la Vallicellane, permettent du reste d'attendre, sans trop de dommage, la publication intégrale des registres de Martin IV, actuellement préparée par le chanoine Isid. Carini. Les actes de Grégoire X et de Nicolas III seront mis au jour ultérieurement. Quant au Public Record Office, on y trouve de véritables trésors : toute la correspondance de la cour de France avec le roi d'Angleterre, et celle d'Edward Ier avec les agents politiques qu'il entretenait sur le continent. Quelques pièces de cette correspondance ont déjà été publiées, soit par Rymer[58] soit par M. Champollion[59] d'après les copies de Bréquigny[60] ; mais dans les Vascon Rolls, dans la collection des Royal Letters, dans celle des portefeuilles de la chancellerie (Chancery miscellaneous Portfolios), dans le QUEEN'S REMEMBRANCER (Realm of France), il y a encore beaucoup de lettres inédites[61]. — Les documents relatifs à l'administration des fiefs anglais en Gascogne et en Pontieu sont aussi au Record Office, avec tous les instruments diplomatiques qui ont été dressés, de 1270 à 1285, à l'occasion des querelles d'Edward Ier et de Philippe III. III. DOCUMENTS DIVERS. — Les chroniques et les pièces d'archives étant dépouillées, comparées et classées, restent encore une foule de documents utiles les actes des conciles[62], les procès-verbaux des tournées pastorales des évêques[63], les sermons des prédicateurs du temps[64], dont on a conservé, par hasard, deux recueils considérables. Ajoutez enfin la littérature contemporaine, qui est très riche en livres de poésie, de philosophie et de politique, et qui reflète, plus nettement que tout le reste, les caractères de l'esprit public à la fin du XIIIe siècle. C'est pendant le règne de Philippe III qu'ont atteint leur maturité des hommes tels que Roger Bacon, le franciscain Jean d'Olive, Gilles de Rome, Beaumanoir. C'est alors qu'ont écrit Jean de Meung[65], Adenès, le rimeur de la cour de France, Folquet de Lunel[66] et beaucoup d'autres. C'est en 1283, d'après l'explicit des manuscrits, que Beaumanoir composa ses Coutumes du Beauvoisis ; et quand il parle de la royauté et de ses droits, c'est à la royauté de Philippe le Hardi que ses expressions s'appliquent. Si l'on veut introduire quelque rigueur chronologique dans l'étude des institutions monarchiques, il convient donc de ne se servir qu'avec réserve de Beaumanoir pour faire la théorie du pouvoir de saint Louis ou de Philippe le Bel ; l'illustre jurisconsulte a décrit le droit public de la société du moyen âge à un moment précis de son évolution, et toutes ses descriptions ne valent exactement que pour ce moment-là, qui correspond, sans contredit, à l'âge obscur de Philippe III. De 1270 à 1285, il y a eu une grande activité intellectuelle. Elle ne s'est guère manifestée dans le domaine de la politique ; mais elle s'est traduite dans les livres qui ont été rédigés alors, par des controverses hardies en matière religieuse, par la curieuse querelle des séculiers et des réguliers de l'Université de Paris. Or, les événements de cet ordre sont au premier chef des événements historiques aussi bien, la royauté y a été mêlée ; et on ne saurait négliger de recueillir avec soin les traces qu'ils ont laissées dans les pamphlets du temps, dans la littérature de polémique et de combat[67]. Telles sont, en résumé, sans parler des monuments iconographiques et des romans ou récits légendaires qu'on a brodés du XIVe au XVIe siècle sur la trame légère du règne de Philippe le Hardi[68], telles sont les sources de l'histoire de ces quinze années. Il suffit de les énumérer seulement, pour montrer que, loin d'être insuffisantes, comme on a pu le croire, elles sont, malgré de sérieuses lacunes, d'une richesse qui surprend. Le malheur est que les matériaux de cette histoire, difficiles à réunir, n'ont, jusqu'ici, presque point été dégrossis. La critique s'est fort peu exercée sur les chroniques contemporaines beaucoup de pièces d'archives sont inédites ; beaucoup de documents littéraires ont été médiocrement édités ; les principaux événements du règne n'ont pas été, pour la plupart, élucidés par des travaux spéciaux ; point de monographies qui puissent servir d'échafaudage à des généralisations légitimes[69] ; en un mot, les textes n'ont été ni publiés, ni commentés, ni appropriés d'une façon convenable pour une étude d'ensemble. Cependant, on a eu entre les mains, en entreprenant cette étude, d'utiles instruments de travail. Le recueil des Ordonnances de Laurière, qui est très souvent incomplet et fautif, le recueil des Historiens de France (XX à XXIII) et les Olim ont déjà centralisé, pour ainsi dire, les documents essentiels ; ils donnent à peu près la législation, la chronique et la jurisprudence du temps. A ces trois collections qui s'éclairent réciproquement, on a essayé d'en ajouter une quatrième, le recueil de la correspondance administrative qui émana, de 1270 à 1285, de la chancellerie royale ; c'est le catalogue de mandements qui se trouve imprimé ici en appendice. Quant au plan qui a été adopté, il embrasse l'histoire tout entière des années comprises entre la mort de saint Louis et l'avènement de son petit-fils. Sans doute, certaines portions de ce cadre, qu'on s'est efforcé de dessiner complet, resteront presque vides ; quelques chapitres ne contiendront que des renseignements clairsemés ; c'est qu'on ne s'est jamais permis, comme d'autres l'ont fait, de retracer les antécédents et la destinée ultérieure de chacune des institutions dont on avait seulement à étudier l'évolution entre d'étroites limites chronologiques. L'utilité d'une monographie enfermée entre deux dates précises est justement d'offrir un terme de comparaison très exact à ceux qui traitent du développement total des institutions[70]. A la vérité, comme les règnes de saint Louis, de Philippe le Hardi et de Philippe le Bel se ressemblent et se confondent sur leurs bords, on est parfois exposé à dire, à propos de chacun d'eux, des choses qui pourraient s'appliquer également à tous les trois ; mais cela sert du moins à démontrer d'une façon très claire la continuité de certaines idées politiques et de certains faits à travers de longues périodes de l'histoire. Ainsi nous avons pensé qu'il était nécessaire d'avoir un plan complet et régulier et d'en conserver toutes les rubriques, même celles que l'état des documents ne permet de faire suivre que d'un commentaire très bref. C'est un devoir pour nous, en terminant, d'adresser nos remerciements à MM. Léopold Delisle et de Rozière, qui ont bien voulu nous éclairer, sur plusieurs points, de leurs conseils et de leurs critiques. Nous ne saurions oublier non plus que nous devons à notre cher maître M. Henry Lemonnier l'idée première de nos études sur l'histoire du XIIIe siècle. Douai, 1er juillet 1886. LISTE DES ABRÉVIATIONS EMPLOYÉES POUR LES CITATIONS.
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[1] Dan. Aubery a composé un journal du règne de Philippe III en découpant dans l'ordre des mois de l'année les récits juxtaposés des principales chroniques. Son travail est resté manuscrit : B. N., franc n° 6958, et Archives du ministère des Affaires étrangères, fonds franç., n° 11. Le P. Lelong signale un exemplaire qui portait des annotations de Boulainvilliers.
[2] V. le volume intitulé Philippe le Hardi, dans la collection des journaux historiques de l'abbé de Camps à la Bibliothèque Nationale.
[3] Le P. DANIEL, Histoire de France, IV, 271-336 ; SISMONDI, Histoire des Français, partie IV, chap. XIII-XV ; H. MARTIN, Histoire de France, IV, 347-384 ; DARESTE, livre XI, ch. I-VI.
[4] L. DELISLE, Mémoire sur les ouvrages de G. de Nangis. Extr. des Mém. de l'Acad. des Inscript., XXVII, 2e partie, p. 8.
[5] H. F., Gesta Philippi III, regis Francie, auctore G. de Nangiaco, XX, 466 ss.
[6] H. F., Chronicon G. de Nangiaco, XX, 543 ss.
[7] H. F., XXIII, 73-106.
[8] L. DELISLE, Mémoire cité. — Cf. Neues Archiv., IV, 426.
[9] H. F., XXI, 91-102. Nous l'appellerons l'Anonyme du ms. 2815.
[10] Voyez Mém. Acad. Inscript., XVII, 2e partie, p. 379, et Hist. Littéraire, XXI, 131.
[11] H. F., XXI, 690 ss.
[12] H. F., XXI, 5 ss.
[13] H. F., XXI, 182.
[14] H. F., XXI, 123, 131, 146, 200.
[15]
Chronique rimée de Saint-Magloire. H. F.,
XXIII, 81. — Cf. XXI, 138.
[16]
Continuations de B. Itier et de Guill. Godel, H. F., XXI, 756 ; Majus chronicon lemovicense, ibid.,
p. 775 ss ; Anonymum Sancti Martialis chronicon, ibid., p. 802 ;
cf. p. 809.
[17] H. F., XXII, 5 ss.
[18] Aymerici de Peyraco chronicon, H. F., XXIII, 207.
[19] Chronique attribuée à Baudoin d'Avesnes, H. F., XXI, 180. Anciennes chroniques de Flandre, XXII, 345 ss. — Ly myreur des Histors, chronique de Jean d'Outremeuse, publiée par A. Borgnet. (Bruxelles, 1867, Vol. V.)
[20] Chronicon Rothomagense, H. F., XXIII, 341-345. — E Chronico Normannie, ib., p. 222, etc.
[21] Voyez SALMON, Chroniques de Touraine, 1 vol. in-8°. (Tours, 1854.)
[22] H. F., XX, 776.
[23] Histoire de la guerre de Navarre en 1276 et 1277, par G. ANGLIER de Toulouse, publiée par FR. MICHEL. (Paris, 1856, in-4°.)
[24] MURATORI, Script. rer. Italie, vol. VIII et suivants. — Monurn. Germ. hist., vol. XVIII, et Monumenta ad provincias Parm. et Placent. pertinentia. (Parme, 1857.)
[25]
Ed. Lanz, Stuttgard, 1857. — M. Buchon a publié une traduction Chronique de
Ramon Muntaner. (Paris,
1827, 2 vol.)
[26] Chronicles of the reigns
of Edward I and Edward II, Éd. Stubbs, 2 vol. 1882.
[27] Flores historiarum per Math. Wesmonast. collecti. (Londres, 1570, in-fol.) — M. H. R. Luard prépare une nouvelle édition pour la collection des Rolls Séries. — H. T. Riley y a déjà publié des éditions de l'Historia de Th. Walsingham et de la chronique de Rishanger.
[28] H. F., XX, p. LII.
[29] On trouve un très grand nombre d'actes de Philippe le Hardi dans le registre de saint Louis (Arch. nat., JJ, XXXa), dans les exemplaires du Registrum Curie, dans un des cartulaires de Philippe-Auguste (B. N., lat., 9778) et dans le Registrum Tenue (Arch. nat., JJ, XXXIV). On lit au verso du dernier feuillet de ce ms. Cis livres est du tems du roi Phelipe le Bel... mais... ily a chartres de l'an. CC.IIII.XX.III, et de poravant, et ainsi seroient elles du tems Phelipe le Hardi.
[30] Toutes les pièces de la série J seront un jour publiées d'après les copies de M. Teulet dans l'Inventaire des layettes du Trésor des Chartes, qui compte déjà trois volumes.
[31] Arch. nat., X1a, 1-4, publiés par M. BEUGNOT, dans la Collection des documents inédits, 4 vol. in-4°.
[32] Voyez, sur les documents judiciaires, notre thèse latine.
[33] B. N., lat., 9016 et 9018, De administratione regni Francie.
[34] B. N., lat., 12814 (copie ancienne du Qui es in cœlis). Arch. nat, P, 2569 et suiv. Cf. A. DE BOISLISLE, Pièces pour servir à l'hist. des Pr. Présidents de la Ch. des Comptes, p. IX.
[35] Arch. nat., série K, 166 et suiv.
[36] H. F., XXI, 520.
[37] H. F., XXII, 752 ss., Fragmenta Computorum ; p. 723, 732, 772, Comptes relatifs à l'expédition d'Aragon.
[38]
Arch. de l'Hérault, B, Fonds des archives. État
de la recepte et dépence, faitte par Monsieur le procureur général pour le
transport des actes des archives de Toulouse, Carcassonne et Nismes.
Pour dix-neuf grandes caisses
à mettre les papiers des archives de Toulouze, à 50 sols : 47 l. 10 s.
Pour dix grands paniers
servant au mesme usage, à 1 liv. pièce : 10 l.
Pour quarante livres pesant de
cordes d'embalage, un le menuisier : 25 l.
Pour dix-huit grandes caisses
à mettre les papiers des archives de Carcassonne, à 50 sols : 45 l.
Au sieur Belichon, garde des
archives de Carcassonne, cinq louis d'or pour assistance à la vérification, ou
gratification suivant les ordres de la Cour : 62 l. 10 s. Etc.
Le présent estat de rolle a esté arresté le dix-sept avril 1703. — Fait double.
[39] Registre de la sénéchaussée de Carcassonne. B. N., lat., 9996. Registres de Nîmes, lat., 11076, 11017.
[40] Archives du Pas-de-Calais, série A.
[41] Archives du Nord, série B.
[42] Archives des Basses-Pyrénées, série E.
[43] Archives du Capitole ; elles ne sont pas encore classées.
[44] Il n'en existe qu'un inventaire manuscrit, rédigé par Louvet au XVIIe siècle.
[45] Inventaire des archives municipales de Narbonne. (Narbonne, 3 vol. in-4°.)
[46] Inventaire des archives municipales de Poitiers, publié par la Société des Antiquaires de l'Ouest. (1883, in-8°.)
[47] Collect. Doat. — Collect. de Languedoc.
[48] Par exemple, archives de l'abbaye de Moissac. Arch. de Tarn-et-Garonne, série G.
[49] Cartulaire normand de Ph.-Auguste, de Louis IX et de Philippe III, par L. DELISLE, Caen, 1852. — MAHUL, Cartulaire de Carcassonne. 6 vol.
[50] Dom VAISSÈTE, Hist. générale de Languedoc. Édit. Privat. Vol. VI-X.
[51] B. N., Collect. Moreau, 14 volumes de 1270 à 1285.
[52] B. N., Collect. de Picardie. — Cf. H. COCHERIS, Notices et extraits des documents mss. conservés dans les dépôts publics de Paris, relatifs l'histoire de Picardie. (Paris, in-8°, 6 vol.)
[53] MABILLE, Catalogue des Chartes de dom Housseau, publié dans les Mémoires de la Soc. archéol. de Touraine.
[54] La collection de dom Fonteneau se trouve aux arch. municip. de Poitiers. Voyez Catalogue des Chartes de dom Fonteneau, publié dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de l'Ouest.
[55] L. CARINI, Gli Archivi e le biblioteche di Spagna. Parte secunda, fascicolo I. (Palerme, 1884.) A. DE SAINT-PRIEST, Histoire de la conquête de Naples. (Paris, 4 vol., pièces justificatives.)
[56] Notre confrère M. Brutails a bien voulu nous communiquer la description de l'un de ces mss., le Cartulario del rey d. Felipe. C'est un volume en parchemin de 39 cent. sur 28, folioté de 1 à 23, écrit en minuscule sur deux colonnes. Voici la rubrique du commencement : Liber litterarum que directe fuerunt domino gubernatori Navarre et nobilissimo viro domino Hymberto de Bellojoco, constabulario Francie, anno Domini M°CC°LXX° septimo, videlicet antequam reciperetur pro arbitratore dominus Reginaldus, tune temporis gubernator ; quarum litterarum tenorem idem Regin. com-. plevit, prout in litteris mandabatur. — Notre confrère M. Cadier nous communique au dernier moment la copie de ces deux Cartulaires, qu'il a l'intention de publier dans un prochain fascicule de la Bibl. de l'Ec. des Hautes Etudes.
[57] Annales ecclesiastici, continuati ab O. Raynaldo, vol. XIV. (Cologne, 1692.)
[58] TH. RYMER, Fœdera, conventiones, litteræ, etc. 3e édit. (La Haye, 1745, vol. I, pars I et II.)
[59] Lettres de rois, reines et autres personnages des cours de France et d'Angleterre, publiées par CHAMPOLLION-FIGEAC. (Paris, 1839, 1er vol.)
[60] La collection de copies formée par Bréquigny à la Tour de Londres au commencement du XVIIIe siècle se trouve aujourd'hui à la Bibl. Nat. (Coll. Moreau vol. 636, 689 et suiv.).
[61] Le rev. W. W. SHIRLEY a publié deux volumes de lettres, presque toutes inédites, du temps de Henri III, en puisant presque exclusivement dans la collection des Royal letters (Chronicles and memorials of Great Britain and Ireland, n° XXVII). Son ouvrage s'arrête en 1272 ; nous avons essayé de poursuivre au Record Office, jusqu'en 1285, le dépouillement qu'il a commencé.
[62] Recueils de Labbe, de Mansi et de Harduin.
[63] Actes de Simon de Beaulieu, archevêque de Bourges (1284), dans HARDOIN, Acta conciliorum, VII, 963 ss.
[64] Voyez Lecoy DE LA MARCHE, la Chaire française au moyen âge, appendice.
[65] H. F., XXI, 126. Ou temps du roy Philippe estoit maistre Jehan de Meun, qui fist le romman de la Rose.
[66] Folquet de Lunel composa en 1284 une satire en vers sur la société de son temps. E. EICHELKRAUT, Der troubadour Folquet de Lunel, Berlin, 1872, p. 26 ss. ; cf. Revue critique, 1872, p. 110.
[67] Voyez par exemple les propositions condamnées, en 1217, par l'évêque de Paris, Bibl. maxima Patrum, XXV, et les discours de Guillaume de Mâcon contre les réguliers, B. N., lat., n° 3120.
[68] Voyez Le livre Baudoyn, comte de Flandres et de Ferrant, filz au roi de Portingal, contenant aulcunes cronicques du roy Phelippe de France et de ses quatre fils. Imprimé à Chambéry par A. Neyret, 1484, petit in-f° gothique (B. N., réserve Y, 2). — Cf. La généalogie avecques les gestes. Godefroy de Bouillon. Paris, Philippe le Noir, in-4° goth., 1523.
[69] Voyez cependant les dissertations de MM. Molinier, Heller, de Boislisle, Delamont, etc., qui seront citées au cours de cet ouvrage.
[70] M. Boutaric l'avait compris, mais il n'a pas toujours rempli les promesses de sa préface. Voyez la France sous Philippe le Bel, p. 7.