HISTOIRE POLITIQUE DES PAPES

 

CHAPITRE XV. — LE GRAND SCHISME (1395-1450).

 

 

Si funestes qu'eussent été les papes à l'Italie, elle les avait regrettés. Elle avait, en effet, été diminuée par leur absence, puisque, sans être délivrée d'aucun des inconvénients de leur domination, elle en avait perdu tous les bénéfices. Cette domination n'était-elle pas d'ailleurs à ses yeux le signe et le gage de celle du monde, mille fois plus réelle et plus sienne, malgré ses vicissitudes et ses imperfections, que la chimère impériale, ce joug déguisé de la barbarie germanique ? N'était-elle pas sa création, son orgueil, la chair de sa chair, et ne valait-elle pas les maux qu'on avait soufferts pour elle ? Etait-ce donc pour la donner en patrimoine à la Gascogne et au Limousin qu'on l'avait élevée à un si haut degré de gloire ?

Tels étaient les sentiments des Italiens peu de temps avant que la papauté leur fût rendue. Son retour porta un premier coup à leurs illusions, et ils eurent quelque peine à la reconnaître. Elle était devenue toute française et surtout gasconne. C'est un fait rigoureusement historique que les Gascons songèrent un instant à s'approprier l'héritage des apôtres. Cette race entreprenante, habituée à ne douter de rien, donna résolument l'assaut au Saint-Siège, y installa des candidats de son choix, et s'y maintint pendant presque toute la durée du séjour des papes à Avignon.

Lorsque le sacré collège se réunit à Rouie après la mort de Grégoire XI, pour lui désigner un successeur, sur vingt-trois cardinaux, dix-sept étaient français et quatre seulement étaient italiens. Le peuple romain, inquiet du résultat de leurs délibérations, se pressa avec des cris furieux autour du Vatican où ils étaient rassemblés, demandant qu'on élût un Romain ou tout au moins un Italien, gardant en armes les issues du palais, sans tenir aucun compte de la promesse, qu'ils lui firent transmettre pour l'apaiser, de se conformer scrupuleusement à l'inspiration que leur dicterait le Saint-Esprit.

En cela, cette multitude montrait une certaine connaissance du cœur humain et spécialement du caractère des cardinaux. Ses démonstrations prenant en effet une tournure de plus en plus menaçante, le Saint-Esprit leur inspira, contre leur propre attente, le sage parti de choisir un Italien, l'archevêque de Bari, qui prit le nom d'Urbain VI. Malheureusement, moins de trois mois après, il leur suggéra l'expédient de déposer Urbain, sous prétexte qu'il n'avait pas été élu librement, et en réalité parce qu'il les traitait de sots et voulait les réduire à n'avoir qu'un seul plat sur leurs tables.

Ils élurent pour le remplacer Robert, cardinal de Genève, sous le nom de Clément Vil. Clément alla d'abord s'établir à Naples, puis à Avignon. Il fut soutenu par la France, l'Espagne et l'Écosse, tandis qu'Urbain, appuyé par l'Italie, l'Allemagne et l'Angleterre, demeurait fixé à Rome. Le grand schisme venait de commencer.

Cette longue scission de la chrétienté en deux camps ennemis devait rendre plus irrévocable l'abaissement politique de la papauté, en divisant son action, en brisant la continuité de ses efforts, en effaçant son prestige par le spectacle de ses faiblesses, en montrant de près aux peuples ces idoles errantes et le métal grossier dont elles étaient faites. C'était là le seul côté de la question qu'ils fussent encore en état de juger. Le grand schisme traîna les papes de ville en ville, fit toucher du doigt leurs secrètes blessures, dévoila à tous les yeux l'infirmité d'une institution qui se prétendait juge de tous les pouvoirs humains et se montrait impuissante à se conduire elle-même, qui ne trouvait d'autre remède aux abus de l'autorité que de confier à un homme aussi et souvent plus imparfait que les autres une autorité mille fois plus absolue. Il était bon et salutaire de prouver que le pape n'était ni impeccable ni infaillible, puisqu'il aspirait à un rôle qui supposait une double infaillibilité, de conduite et de pensée. Cette démonstration, qui est faite pour ainsi dire à priori pour tout esprit qui a réfléchi sur la nature humaine, peut se passer aujourd'hui de tout développement. Il est superflu de s'appesantir sur les trois cents concubines de Jean XXIII, sur les vols de Boniface IX, sur les poisons d'Alexandre Borgia, bien qu'il y ait là une réponse assurément légitime et, à défaut d'une autre, suffisante, aux doctrines de la théocratie universelle. Les peuples se contentèrent de cet argument, et ils eurent raison.

Mais il est à la fois plus instructif et plus opportun de montrer comment l'institution pontificale, même réduite à son cadre modeste de principauté italienne, produisait des effets désastreux, indépendamment des hommes bons ou mauvais qui la représentaient momentanément. Nous l'avons vue condamnée depuis son origine à ne rien laisser grandir autour d'elle, et frappant sans relâche, tantôt au nord, tantôt au midi de l'Italie, tout pouvoir assez fort pour la menacer d'une supériorité ou seulement d'une opposition. Il est curieux de la trouver fidèle à celte règle de conduite même dans cet état.de faiblesse et de division où il lui restait à peine conscience d'elle-même.

Au nord le fractionnement des tyrannies la préservait de toute inquiétude. Au midi elle surveillait d'un mil défiant les transformations d'un État qui était son fief, son œuvre, du royaume de Naples, centre des deux tentatives étouffées de Manfred et de Charles d'Anjou. La reine Jeanne, soutenue par les papes depuis la cession d'Avignon, ayant donné asile à l'élu des cardinaux français et adopté Louis d'Anjou, prince dont le nom seul était tout un programme de domination, tomba dans la disgrâce d'Urbain VI, qui usa du moyen traditionnel de la politique pontificale en allant lui chercher un compétiteur en Hongrie, Charles de Duraz. Celui-ci accourt aussitôt avec ses Hongrois, fait étrangler la reine et s'empare du royaume. Mais pendant qu'il harcèle son rival pour achever de le détruire, Urbain s'installe chez lui, administre, gouverne, et lui fait intimer l'invitation de venir lui faire sa cour. Charles revient en effet, mais pour le chasser, et, par une logique non moins irrésistible que celle qui avait poussé le pontife à l'appeler, il allait reprendre les projets d'agrandissement de ses prédécesseurs, lorsqu'il fut rappelé en Hongrie où il mourut. Son fils Ladislas en poursuivit l'exécution contre Louis Il d'Anjou, avec l'appui des pontifes ennemis de son père ou, pour mieux dire, ennemis de la consolidation d'une monarchie napolitaine, car aussitôt qu'il devint redoutable tison tour, il les vit se prononcer de nouveau en faveur de son rival. Après sa mort, sous la reine Jeanne II, ils continuèrent ce jeu perfide en opposant Louis III à Alphonse d'Aragon, puis Alphonse lui-même à René d'Anjou.

Il est évident que l'Italie était la seule contrée où ils fussent encore en état d'exercer une influence aussi immédiate et aussi suivie. Celle qui leur restait sur les affaires générales de l'Europe était presque annulée par le schisme. Aussi la grande organisation du clergé catholique, création patiente, longtemps revue et modifiée, de la papauté, refaite de toutes pièces en vue de ses plans de domination, combinée de manière à ne pouvoir plus se passer d'elle, commençait-elle à se disloquer partout par suite du désarroi de son principe moteur. Des hérétiques, des réformateurs plus hardis, plus entreprenants que ceux qui avaient paru jusque-là, menaçaient directement son pouvoir, ses richesses, sa hiérarchie, ses privilèges, par des doctrines simples et pratiques qui ne se présentaient pas seulement avec des abstractions spéculatives inaccessibles à la foule, mais avec un renouvellement complet et organique de la société religieuse, qui impliquait par plusieurs points essentiels une rénovation de la société politique elle-même. Les doctrines de Wiclef, ce précurseur de la réformation, propagées en Angleterre par des disciples enthousiastes, avaient en peu de temps franchi le détroit.

Ses livres, apportés en Allemagne par un seigneur bohémien, trouvèrent un apôtre éloquent et courageux dans Jean Huss, alors simple étudiant à l'université de Prague. La jeunesse lettrée des écoles allemandes les adopta avec passion, ainsi que les commentaires qu'il y joignit. L'édifice catholique tout entier était menacé par la nouvelle hérésie. Elle réprouvait également la papauté, les institutions cléricales et monastiques, invoquait l'égalité de la primitive Église, et l'on voit par les actes du concile de Constance qu'un des principaux reproches qu'on lui adressait était d'élever la souveraineté des nations au-dessus de celle des rois ; application encore timide et partielle, mais déjà redoutable, du Principe du libre examen à l'ordre politique et civil.

On aperçut le danger, mais ce ne furent pas les papes qui le signalèrent. Ils étaient tout entiers à leurs querelles de compétition. De tous les points de la chrétienté s'élevèrent des cris d'alarme pour les rappeler à l'esprit de désintéressement et de conciliation qui seul pouvait rendre la paix et l'unité à l'Église. En France, des conciles nationaux assemblés par le roi, appuyés par l'empereur d'Allemagne, bien qu'il appartint au camp opposé, sommèrent à plusieurs reprises et avec les plus vives instances les deux compétiteurs d'abdiquer simultanément la tiare, après quoi le sacré collège terminerait le schisme par une élection définitive. Mais, tout en se déclarant prêt à se sacrifier au bien public, ni un ni l'autre ne voulait céder qu'après que son rival aurait pris les devants par sa renonciation. Chacun d'eux espérait rester ainsi à un moment donné le sen pape en exercice, la renonciation ne pouvant être conditionnelle.

Les ruses, les tergiversations calculées, les feintes abdications, les fourberies effrontées qui furent mises en œuvre de part et d'autre pour amener ce résultat, les accusations infamantes que les deux rivaux se renvoyaient mutuellement et auxquelles on donnait raison de confiance, l'obstination intéressée qu'ils opposèrent aux supplications des peuples, contribuèrent puissamment à augmenter la déconsidération chaque jour croissante où tombait la papauté. Plus d'une fois la foule irritée les assiégea dans leur palais et leur signifia ses volontés le poignard sur la gorge ; mais ces promesses arrachées par la violence étaient aussitôt trahies que jurées.

On put espérer cependant que la réconciliation s'opérerait à l'amiable, grâce à une nouvelle intervention du roi de France. Sur les sollicitations de Charles VI, Grégoire XII, le pape italien, et Benoît XIII, le pape français, convinrent d'une entrevue à Savone. Il fut décidé qu'ils abdiqueraient ensemble en présence des deux collèges réunis. A cet effet, les deux pontifes se rapprochèrent à petites journées, et pour ainsi dire à reculons, tant ils y mirent de lenteur et de circonspection. Mais quand ils ne furent plus séparés que par une courte distance, ce dernier pas leur coûta tellement qu'ils s'arrêtèrent d'un commun accord et demeurèrent dans une immuabilité invincible. Aucune forée humaine ne put les déterminer à aller jusqu'au bout.

Alors les cardinaux des deux partis, indignés, oubliant leurs propres dissentiments, se réunirent en un seul collège et convoquèrent tous les évêques et prélats de la chrétienté pour un concile universel à Pise. Ce concile déposa les deux papes, qui lui rendirent coup pour coup en déclarant ses décisions nulles de plein droit. Il procéda ensuite à la nomination d'un nouveau souverain pontife, et diminua ainsi considérablement le nombre de leurs adhérents ; mais il n'aboutit en définitive qu'à créer trois papes au lieu de deux et, par son impuissance, rendit nécessaire la convocation d'un nouveau concile œcuménique qui se tint à Constance et dont les sessions durèrent plusieurs années.

Le concile de Constance est peut-être l'assemblée religieuse la plus solennelle et la plus nombreuse qu'il y ait jamais eu. Toutes les nations de l'Europe voulurent s'y faire représenter ; les rois y figurèrent à côté des princes de l'Église ; l'empereur Sigismond tint à honneur d'y assister, et avec lui tout ce qui était puissant par la naissance ou par les armes. Jean Gerson, l'un des auteurs présumés de l'Imitation, en fut le principal orateur. Le concile soupçonna l'étendue du mal, et ne se donna pas seulement pour objet la conclusion du schisme, mais la réforme complète de l'Église au point de vue du dogme, comme à celui de la discipline. Ce nom de réforme qu'il adopta pour mot d'ordre était déjà l'expression des vœux de tous, le cri même de l'opinion. Les prélats du concile de Constance étaient loin de se douter du sens nouveau qu'il allait bientôt prendre. Ils firent de leur mieux pour relever les ruines croulantes de l'orthodoxie catholique. Leurs délibérations embrassèrent tout l'ensemble du système et se prolongèrent pendant près de quatre ans.

Relativement au pouvoir pontifical, leurs dispositions n'avaient rien de très-rassurant, vu le mouvement de réaction dont ils étaient les interprètes et les représentants. Mais le remède qu'ils se proposaient d'apporter à sa caducité parut à plusieurs encore pire que le mal, ce qui le fit en partie ajourner. Mettre l'autorité des conciles au-dessus de celle des papes, relever la dignité épiscopale de l'état d'abaissement où l'avait reléguée la ligue de l'absolutisme pontifical avec la démocratie cléricale et monastique, faire cesser le trafic des choses sacrées qui formait le principal revenu de la cour de Rome, c'était là un noble but, mais ils ne surent le réaliser que d'une façon très-imparfaite. Il est encore plus fâcheux qu'ils se soient fait pardonner ces titres de gloire peu appréciés de la critique ultramontaine et qui attestaient parmi eux l'influence des peuples du Nord tant redoutée du pape Jean XXIII, par d'abominables persécutions contre les hérésies.

Un des premiers actes du concile de Constance avait été de déposer les trois papes qui étaient le grand obstacle à la paix de l'Église. Un seul d'entre eux, l'Espagnol Pierre de Luna, qui portait le nom de Benoît XIII, refusa de faire sa soumission. Toute la chrétienté se prononçait contre lui ; il déclara avec sérénité que toute la chrétienté était anathème. Le concile le déposait, il excommunia le concile. Il était loin d'ailleurs de manquer de bonnes raisons pour motiver sa détermination. Sa résistance aux ordres du concile était fondée sur un raisonnement irréprochablement déduit. Le concile en condamnant sans distinction tous les papes élus depuis l'origine du schisme avait frappé de nullité tous leurs actes. Il ne faisait aucune difficulté à admettre cette décision, preuve sans réplique de l'esprit de modération dont il était animé. Mais de tous les cardinaux qui composaient actuellement le sacré collège, lui, Pierre de Luna, était le seul dont la nomination fût antérieure à la naissance du schisme, le seul par conséquent dont la dignité ne fût pas illégitime, et le seul qui eût conservé le, droit de nommer un pape. Or il se donnait à lui-même sa propre voix.

Ce point de vue ne fut pas admis. On passa outre par l'élection d'un Colonna, Martin V, qui, réformateur zélé la veille de sa nomination, ne fut pas plus tôt élu qu'il mit tout en œuvre pour entraver l'action du concile et 'empêcher la suppression des abus dont il allait profiter. Il réussit par ses intrigues à amener la dissolution de l'assemblée avant qu'elle eût accompli sa tâche.

Dans le cours de ses réformes sur le dogme, le concile de Constance avait, selon un usage déjà ancien, réformé l'hérésie en faisant brûler les hérétiques. Livrés aux pères du concile par l'empereur Sigismond, au mépris du sauf conduit qu'ils tenaient de lui, les deux apôtres de la doctrine de Wiclef, Jean Hum et Jérôme de Prague, n'avaient encore au moment de leur supplice d'autres adeptes que ceux qui leur étaient fournis par les classes lettrées, comme les étudiants de Prague et des universités, ou des membres du clergé inférieur. Deux ans après, ils étaient deux cent mille, ou plutôt ils étaient une nation entière qui se ruait sur l'Allemagne avec une inexprimable furie, écrasait les armées catholiques, mettait l'Empire à deux doigts de sa perte, et apprenait aux futurs réformateurs par où il fallait frapper l'infaillibilité romaine.

On se demande ce qu'était devenue l'influence de l'Empire en Italie pendant ces nouvelles vicissitudes du pouvoir pontifical. Loin d'en profiter pour s'y relever, elle n'avait fait qu'y décroître de plus en plus. Il y était passé à l'état de souvenir. Les deux sectes étaient presque aussi oubliées que les factions qui avaient divisé la république romaine. Du reste l'état de décadence où l'Empire se trouvait réduit en Allemagne ne lui permettait guère de songer à s'étendre au dehors. Il avait donc renoncé à toute intervention dans les affaires de la Péninsule.

Du chaos des petites tyrannies italiennes s'étaient dégagés des États relativement forts et puissants, qui reconnaissaient volontiers à l'empereur une suzeraineté nominale, mais à condition qu'il ne chercherait jamais à s'en prévaloir, et celui-ci y semblait tout résigné. L'antique théorie impériale, chassée de l'imagination populaire qu'elle avait si longtemps égarée, était devenue une abstraction laissée aux jurisconsultes, un pur thème d'érudition. Aussi lorsqu'en 1431, l'empereur Sigismond, tout invalide des atteintes qu'il avait reçues des électeurs germaniques, tout meurtri de sa lutte avec les Hussites, vint supplier le pape Eugène IV de mettre un peu d'huile sainte sur ses blessures en le couronnant, chacun accourut pour voir le fantôme de l'Empire qui passait. Quoi ! c'était là l'héritier de tant de gloire ! Ce revenant éclopé était César ? Sa pauvreté fit pitié aux marchands de ces villes opulentes. A Milan, le duc Philippe-Marie Visconti s'enferma dans son château et ne daigna pas venir le saluer. A Sienne, il dut s'arrêter faute d'argent pour continuer sa route, et y fut retenu pendant plusieurs mois comme dans une prison pour dettes.

Enfin il arriva à Rome à travers mille embarras, et là se fit couronner par un autre fantôme presque aussi décrépit et aussi impotent que lui, celui de la papauté représentée par le pape Eugène. En ce moment la politique d'Eugène se résumait en une seule pensée, ne poursuivait qu'un but qui donne la mesure de la réduction qu'avait subie l'ambition des souverains pontifes. Il concentrait toutes les forces du Saint-Siège contre les Colonna, pour les contraindre à restituer les trésors qu'ils avaient hérités de son prédécesseur Martin V.

Le concile de Baie, qu'Eugène IV dut convoquer, malgré ses répugnances, pour obéir à une prescription du concile de Constance qui imposait au Saint-Siège l'obligation d'assembler tous les sept ans un concile œcuménique, lui rendit justice en le déposant. Ce fut l'origine d'un nouveau schisme auquel sa mort seule put mettre fin.

Cette assemblée montra des tendances plus républicaines encore que la précédente et mit plus de fermeté dans ses réformes, qui ne furent malheureusement pas maintenues. Ses décisions ruinèrent du moins en grande partie l'ordre établi dans l'Église par les Fausses Décrétales et le décret de Gratien, rendirent de plus en plus impossible le retour de la domination théocratique. Toute la savante centralisation juridique et financière qui avait coûté tant d'efforts au Saint-Siège reçut là des coups irrémédiables. Les tributs qu'il percevait sur la chrétienté sous mille formes et mille noms divers furent en grande partie abolis, ainsi que les appellations à Rome, qui créaient dans chaque royaume une juridiction étrangère et supérieure au droit commun.

La France donna la première une sanction à l'œuvre du concile de Bâle par une nouvelle pragmatique, promulguée à Bourges par le roi Charles VII, et confirmée par un édit du parlement. Ces principes furent promptement adoptés en Angleterre, en Allemagne et même en Espagne, mais modifiés selon les pays, appropriés à leur individualité historique et à leur développement social. Ils furent partout accueillis avec faveur, excepté chez les peuples d'Italie. Plus indifférents qu'aucune autre nation en matière de foi, déjà blasés sur le doute philosophique à l'époque où les autres peuples débutaient dans le libre examen, et, ce qui était pis, sceptiques en morale comme en religion, les Italiens ne voyaient dans le catholicisme romain qu'une institution politique, et dans la tentative des conciles pour en faire fléchir l'unité qu'une révolte contre leur légitime suprématie. L'Italie avait déjà payé cette vanité par des siècles d'oppression étrangère, elle devait l'expier encore en perdant tous les bénéfices de l'affranchissement intellectuel, moral et politique que la réforme apporta au monde.