HISTOIRE POLITIQUE DES PAPES

 

CHAPITRE VI. — LUTTE DE LA PAPAUTÉ CONTRE LA FÉODALITÉ ÉPISCOPALE.

 

 

Le premier soin de Jean XII en couronnant Othon empereur fut de lui faire renouveler le parte de Charlemagne, circonstance que les papes n'avaient garde d'oublier et qu'ils ramenaient le plus souvent possible, parce que le vague des clauses de ce contrat, dont l'original n'avait peut-être jamais existé que sous la forme de stipulations verbales, leur permettait de les interpréter à leur avantage et d'en augmenter graduellement l'étendue. A l'exemple de Pépin, de Charlemagne et de Louis le Débonnaire, Othon ne se fit nullement faute de donner des provinces et des villes qui ne lui appartenaient pas. C'est ainsi qu'il n'éprouva aucune répugnance à abandonner aux papes la propriété de la Sicile, alors aux mains des Sarrasins. Cependant les dernières clauses de son acte de confirmation montrent clairement que l'empereur n'avait point entendu se déposséder de son droit de suzeraineté sur tous les États du Saint-Siège, et qu'il s'en réservait la haute juridiction ; car il y est dit expressément que le pape ne sera pas sacré sans le consentement des commissaires de l'empereur, qui résideront à Rome et qui chaque année lui adresseront un rapport sur la manière dont la justice aura été rendue dans les provinces dépendantes du domaine pontifical.

La guerre éternelle inévitable contenue dans ce pacte, qu'on ne signa jamais qu'avec l'arrière-pensée d'en éluder les conditions, se déchaîna dès l'année suivante. Jean XII voulut revenir à Béranger Il, dont la domination lui semblait douce, comparée à la brutalité germanique ; mais il était trop tard. Othon les bat, dépose Jean, et le fait condamner par un concile qui nomme Léon VIII à sa place. Les Romains prennent en haine ce pape élu sans eux, le chassent, rappellent Jean XII, et à sa mort lui donnent pour successeur Benoît V. Othon marche sur Rome, y replace par la force des armes son protégé sur le trône pontifical, et après lui désigne Jean XIII. Les Romains profitent encore de son absence pour exiler ce nouveau pape. Ils se flattent de reprendre sous le règne de l'empereur les licences de l'administration municipale et aristocratique, si complaisamment tolérées par les Béranger. Mais Jean XIII vient bientôt dissiper ce beau rêve avec les soldats d'Othon. Il fait déterrer et couper en morceaux le cadavre de Roffredo, le dernier préfet des Romains, dont la mort était récente ; il fait pendre haut et court leurs douze tribuns. Leçon mille fois répétée et toujours inutile. Une des principales préoccupations des Romains au moyen âge paraît avoir été de conserver en même temps toutes les formes de pouvoir qui, à un titre quelconque, avaient eu une place et un nom dans leur histoire, sans s'aviser que ces formes avaient été successives et s'excluaient les unes les autres. 11 leur faut à la fois des comices, un sénat, des tribuns, des consuls, des préfets, des patrices, des rois, des empereurs, des papes. Ils veulent que leur ville puisse montrer toutes ces institutions réunies, de même qu'elle renferme dans son sein tous les monuments divers qui les rappellent à leur mémoire ; et on les y trouve en effet, mais comme dans un musée ou dans une nécropole. Ils veulent appliquer aux quelques bourgades qui dépendent de leur cité l'immense mécanisme administratif que leurs ancêtres avaient jeté comme un réseau sur le monde. Comme leur dernier tribun Rienzi, ils sont passés maîtres en archéologie ; ils prennent leurs exhumations pour des choses vivantes et ne peuvent pas se figurer que les autres peuples n'y voient que des objets de curiosité.

Malgré la vivacité de ces premières reprises d'hostilités entre l'Église et l'Empire, la papauté était encore trop faible et trop avilie pour soutenir la lutte, et les évêques s'y présentent le plus souvent à sa place. Ils y portent des vues toutes différentes et qui n'étaient peut-être pas plus désintéressées, mais qui avaient du moins le mérite de ne pas tout sacrifier au profit d'une centralisation unique. Ce moment fut l'apogée du pouvoir épiscopal. Au commencement du onzième siècle, toute la vie de l'Eglise se réfugie en eux, et ils se montrent très-supérieurs par les mœurs et par les lumières à ce qu'ils avaient été pendant les trois siècles précédents. On peut affirmer sans crainte que l'esprit d'indépendance dont ils étaient animés ne fut pas étranger à ce progrès. Il suffit presque toujours d'accroître la responsabilité pour développer la moralité et fortifier le caractère. Les évêques de ce temps avaient à un haut degré le sentiment de leur dignité individuelle ; ils avaient une grande idée de leur mission et voulaient la faire respecter. Ils croyaient que toute l'Église était en eux, et ils se refusaient à en reconnaître la personnification dans les créatures des courtisanes romaines. Ils décidaient dans leurs synodes toutes les questions qui intéressaient l'épiscopat et ne s'en remettaient plus à l'arbitrage des pontifes : Il ne faut pas, dit Gerbert, le plus illustre d'entre eux, dans un de ces conciles, il ne faut pas donner à nos ennemis une occasion de dire que le sacerdoce soit tellement soumis à nu homme, que si cet homme se laisse corrompre par argent, par faveur, par crainte ou par ignorance, personne ne puisse être évêque sans se recommander auprès de lui par de tels moyens.

Il ne venait à la pensée de personne de trouver à redire à ce langage, tant l'abaissement de la papauté formait un contraste frappant avec l'autorité morale de l'épiscopat représentée alors par des hommes comme Gerbert, saint Dunstan, saint Romuald, saint Boniface, saint Adalbert. Le nom de Rome était universellement méprisé : Oh ! Rome, s'écrie Arnoul, évêque d'Orléans, au concile de Reims, combien tu es à plaindre et quelles épaisses ténèbres ont succédé à la douce lumière que tu répandais sur nos cieux ! Là s'élevaient les Léon, les Grégoire, les Gélase... Alors l'Église pouvait se dire universelle. Pourquoi faut-il qu'aujourd'hui tant d'évêques illustres par la science et la vertu se soumettent aux monstres qui la déshonorent ? Si l'homme qui est assis sur ce trône sublime manque de charité, aient un antéchrist ; sil manque à la fois de charité et de sagesse, c'est une idole : autant vaudrait consulter un morceau de marbre. Oui donc consulterons-nous, s'il nous arrive d'avoir besoin d'un conseil sur les choses divines ? Tournons-nous du côté de la Belgique et de la Germanie, oh brillent tant d'évêques, les lumières de la religion, et invoquons leur jugement, puisque celui de Rome se vend au poids de l'or et appartient au plus offrant. Et si, en nous opposant Gelasse, quelqu'un vient nous dire que l'Église romaine est le juge naturel de toutes les Églises, répondons-lui : Commentez donc par placer à Rome un pape infaillible !

On peut mesurer par ces paroles, dont Luther égalera à peine l'énergie, l'étendue du danger que courut alors l'unité romaine. La rivalité pontificale et épiscopale se compliquait de la vieille haine dos nationalités contre l'empire des Césars. Luitprand raconte, dans la curieuse relation de son ambassade à Constantinople, que l'empereur Nicéphore, voulant le railler, lui dit un jour : Vous n'êtes pas des Romains, vous n'êtes que des Lombards. — Nous autres Lombards, Saxons et Francs, répondit Luitprand, nous n'avons pas de plus grande injure à dire à un homme que de l'appeler Romain. Ce nom signifie tout ce qu'on peut imaginer de bassesse, de tacheté, d'avarice, d'impureté et de fourberie.

Ces qualifications donnent une idée un peu sommaire, niais assez exacte, des faits et gestes des pontifes de ce temps. On peut s'en rapporter en ceci aux appréciations des historiens ecclésiastiques qui ne sauraient être suspects de partialité. Il serait quelquefois très-embarrassant de traduire l'intrépide latin de Baronius lorsqu'il exprime son opinion sur quelques-uns de ces pape.

Le seul événement qui mérite d'être noté sous leur règne est la tentative de Crescentius pour rétablir à Rome le gouvernement municipal en reprenant les traditions d'Albéric. Il était, comme Albéric lui-même, de la maison des comtes de Tusculum et fils de Marozia. Il passait pour lui être encore supérieur par le courage et l'éloquence. Mettant à profit l'absence d'Othon II, et après sa mort la minorité d'Othon III, il se fit nommer consul par le peuple, réduisit le pape Jean XV à son domaine spirituel, et gouverna Rome en tribun à la fois démocratique et féodal, singulière association de deux éléments ennemis par nature et qu'on ne devait retrouver ni dans Rienzi ni dans Arnaud de Brescia, qui furent cependant ses continuateurs. Mais la mort de Jean XV offrit bientôt à Othon III l'occasion d'intervenir dans les affaires romaines. Il le fit remplacer par Grégoire V. Un pape allemand, un pape allié de l'empereur, c'était déjà une impossibilité morale, une contradiction vivante, et il parut aux Romains un être odieux et contre nature. Aussi Crescentius lui fit-il substituer un Grec nommé Philagatus, évêque de Plaisance.

Cette nomination se rattachait dans sa pensée à un projet chimérique comme tous ceux qu'enfanta au moyen âge l'imagination de ce peuple d'Épiménides. Pour s'affranchir du joug des Allemands, il conçut le dessein de rendre aux empereurs grecs leur suzeraineté sur Rome et l'Exarchat ; plan absolument irréalisable dans l'état de décrépitude oh était tombée Constantinople, mais qui souriait aux Romains parce qu'il flattait leur chimère favorite : un maitre étranger faible et éloigné.

Othon était aux portes de Rome avant qu'un seul soldat grec fût débarqué en Italie. Philagatus fut livré — selon un usage antique et toujours nouveau — par le peuple dont il avait été l'idole, et promené à travers les rues dans un horrible état de mutilation. Quant à Crescentius, il s'enferma dans le château Saint-Ange, anciennement le môle d'Adrien, forteresse alors imprenable. Les Allemands n'ayant pas réussi à l'y forcer, Othon l'amena à parlementer, lui promit la vie sauve, lui garantit sa liberté, puis aussitôt qu'il se fut rendu, lui fit couper la tête et mit sa femme dans son lit. Peu de temps après, il fut empoisonné par elle.

Quelques années plus tard, Jean, le fils du grand Crescentius, l'ennemi des papes et des rois, comme disaient les épitaphes romaines, marqua le dernier contre-coup de ces agitations dont l'esprit survécut durant tout le moyen âge en devenant de plus en plus démocratique, mais dont le développement resta anarchique comme celui dé la plupart des éléments de l'histoire italienne. Grâce à des illusions héréditaires que la superstition du monde contribuait à entre. tenir, des tendances bonnes et louables en elles-mêmes, puisqu'elles étaient inspirées par le patriotisme, vinrent invariablement aboutit à une ambition fausse, mesquine, ridicule, qui se proposait pour objet unique d'élever la petite Municipalité romaine au-dessus de toutes les puissances de la terre :

Une tentative d'un caractère tout différent, bien qu'elle émanât, comme celle de Crescentius, d'une réaction du sentiment national contre la domination étrangère, éclata dès le début du règne d'Henri II, le successeur d'Othon III : c'est la longue guerre soutenue contre l'empire par Ardoin, marquis d'Ivrée, dans le but de reconstituer le royaume. Appuyé par Pavie, la vieille capitale du royaume des Lombards, et par la féodalité de la haute Italie, il lutta pendant près de dix ans avec ces forces inégales et obtint des succès mêlés de revers. Il échoua comme tous ceux qui l'avaient précédé dans cette entreprise et devant les mêmes obstacles. Le titre de saint que Henri, son vainqueur, reçut de la papauté reconnaissante, dit assez de quel côté elle se prononça.

Sous Conrad, qui fut élu roi, puis couronné empereur après Henri le Saint, ce fut encore la féodalité épiscopale qui soutint, à défaut des papes, la cause de l'Église contre l'Empire, On chercherait en vain un motif personnel ou seulement un prétexte dans l'agression inattendue d'Héribert, archevêque de Milan, car l'empereur l'avait comblé de bienfaits. Elle n'en avait pas d'autres que l'éternel antagonisme des deux principes dont l'état naturel était l'état de guerre. Conrad y répondit en déchaînant contre la féodalité épiscopale la petite noblesse et les bourgeois des cités. Il la frappa au cœur par des lois qui bouleversèrent de fond en comble la grande propriété féodale, qui était presque toute aux mains des évêques. Il rendit le fief héréditaire et l'immobilisa ainsi au profit des petits vassaux jusque-là possesseurs précaires et viagers. Au milieu de ces guerres, Héribert invente le signe qui, par une transposition comme on en voit beaucoup à cette époque, deviendra l'arche sainte des républiques lombardes. C'est le Caroccio, personnification vivante de la cité. Sur le même char, l'autel s'élève à côté du drapeau municipal, et le prêtre parait donnant la main au magistrat. Cet emblème de la municipalité devait se montrer plus d'une fois avec gloire sur les champs de bataille de l'Italie, mais on n'y vit jamais paraître celui de la patrie.

L'Église, dans ses jours de péril, s'était fréquemment appuyée sur les forces démocratiques ; Conrad, par ces nouvelles mesures, crut les avoir gagnées sans retour à la cause de l'Empire ; mais il ne frappa en réalité que le pouvoir épiscopal, et les coups qu'il lui porta profitèrent surtout à la papauté qui garda toutes ses alliances.

C'est dans le cours de cette lutte que se dévoila pour la première fois aux peuples le caractère avide et intéressé de l'aristocratie des évêques qui s'était corrompue comme l'institution pontificale elle-même pour avoir renoncé à son caractère tout spirituel et ambitionné un rôle politique. Après s'être rendue odieuse par sa résistance inintelligente aux nouvelles lois de l'Empire, évidemment conformes à l'intérêt général, elle se vit menacée au sein de l'Église elle-même par des attaques tout autrement dangereuses, et s'achemina désormais vers sa décadence. L'opposition que les évêques ont faite aux papes est retournée contre eux au nom de la démocratie monastique et cléricale. On leur applique la loi qu'ils ont invoquée en les rappelant à leur tour aux traditions de la primitive Église ; et, comme dans toutes les guerres de l'égalité contre les oligarchies, le grand nombre cherche son allié dans le pouvoir suprême. C'est sous le patronage de la papauté que se place la révolution nouvelle. On dénonce l'ambition des prélats, leurs richesses, leur intraitable orgueil, le relâchement de leurs mœurs, leur complaisance à couvrir les abus introduits dans la collation des bénéfices, leur avidité qui va parfois jusqu'à cumuler les revenus de plusieurs sièges épiscopaux à la fois.

Ces reproches étaient mérités. Chaque évêché avait en quelque sorte reproduit en abrégé les crises de la transformation politique de la papauté. Il avait contracté les dépendances et les infirmités de cette nouvelle constitution en même temps qu'il en avait acquis les profits et les privilèges. De même qu'en retour des donations faites aux papes les empereurs s'étaient réservé le droit de confirmer ou d'annuler leur élection, les princes et les seigneurs qui avaient f7hnié en faveur des évêques les petites souverainetés temporelles qui formaient le principal objet de ce qu'on a nominé les bénéfices ecclésiastiques, s'étaient presque invariablement réservé à eux et Lieurs tiédi tiers le droit d'eu nommer les possesseurs ou les usufruitiers.

Ainsi le problème du pouvoir temporel, les inconvénients qu'il entraînait, le régime qui l'avait consacré, s'étaient généralisés dans toute la chrétienté, et soulevaient des abus identiques à Rome ou au fond d'un village. Les artifices mis en œuvre pour l'élection des papes se reproduisaient en petit et sous des formes plus grossières, mais semblables, toutes les fois qu'il s'agissait de nommer un évêque et de transférer un bénéfice. Les hautes dignités sacerdotales s'obtenaient alors presque partout à prix d'argent ou par faveur ; c'est ce qu'on nommait la simonie. En cela encore les prélats imitaient les papes. C'est en achetant les suffrages du peuple à prix d'or et le consentement des empereurs aux prix de concessions honteuses, que la plupart d'entre eux se faisaient élire. On peut à peine en excepter Gerbert lui-même, qui fut pape sous le nom de Sylvestre II ; encore ne fut-il nommé que grâce à Othon III dont il avait été le précepteur. Benoît IX, non content d'avoir acheté la dignité pontificale, la revendit pour une somme d'argent à l'archiprêtre Jean qui régna sous le nom de Grégoire VI. On vit alors sur le marché de Rome jusqu'à trois papes à la fois se disputer le Saint-Siège.

Mais de même que la papauté avait précédé l'épiscopat dans les voies de la corruption, elle le devance dans celles de la régénération. Sons les papes élus par l'influence allemande, Clément II, Léon IX, Victor II, Gerbert, le plus grand homme de son temps, Étienne IX, le Saint-Siège se relève, et il prélude à ses prochains combats contre l'Empire en s'efforçant de rétablir une forte et sévère discipline au sein de l'Église et de ressaisir son ancienne autorité, qu'il considère comme usurpée par les évêques. Avec ses seules forces il n'eût jamais pu l'entreprendre : un secours inespéré, formidable lui vint des moines et du bas clergé, sur qui pesait l'oligarchie des prélats.

Léon IX vient tenir un concile en France malgré le roi avec l'appui de la plèbe monastique et sacerdotale, et dépose ou excommunie tous les évêques qui refusent de reconnaître sa prééminence. De toutes parts on voit se multiplier les conciles contre les prélats simoniaques. La simonie, qui sert de mot d'ordre à cette guerre, devient, par le vague de sa définition, une arme merveilleuse dans la main de la révolution naissante. Il y a, si l'on en croit Pierre Damiens, la simonie de la langue, la simonie de la main et la simonie des services. Qui pourra se flatter d'échapper aux pièges de cette loi des suspects ? Les missions des légats, lieutenants du Saint-Siège et représentants de sa dictature, deviennent une fonction normale, permanente qui s'étend partout, et ils s'attaquent aux évêques avant de s'attaquer aux rois. Les moines, ennemis nés de la féodalité épiscopale, sont élevés aux premières dignités de l'Église et en remplissent les charges les plus influentes. Un moine, Pierre Damiens, écrit contre elle ses virulentes philippiques, où il applique à chaque page à ces princes de l'Église les dénominations de courtisans, bouffons, esclaves, etc. Il les persifle, les tourne en ridicule, les chansonne. Il y a de lui une sorte de chanson en latin grotesque qui caractérise en quelques mots les principaux reproches qu'on leur adressait[1]. Il les invite à faire pénitence par le jeûne et les macérations. Il invente à leur usage la flagellation volontaire dont il veut qu'on porte les coups jusqu'à mille, sous prétexte que ce qui est bon ne saurait être poussé trop loin. Étienne IX, reconnaissant des services qu'il a rendus à la cause papale, est obligé d'employer une menace d'excommunication pour contraindre Damiens à accepter l'évêché d'Ostie et le titre de premier cardinal. A ses yeux, c'était déchoir que de quitter l'habit de moine pour celui d'évêque.

Dans chaque évêché apparaît un moine représentant de la réforme nouvelle. A Florence, le moine Pierre traverse, sans être atteint, un bûcher ardent en présence du peuple pour convaincre l'évêque de simonie par ce signe de Dieu. Un autre moine, Lanfranc, le champion de la suprématie romaine contre Béranger, vient en Angleterre dompter l'épiscopat anglo-normand, et le gouverne comme s'il eût été le pape lui-même. Enfin c'est encore un moine, Hildebrand, le même qui sera Grégoire VII, qui parcourt la chrétienté en prêchant cette croisade, et telle est la popularité qui s'y attache, qu'il devient presque dès son début le plus important personnage de l'Église, et qu'Étienne IX se sentant menacé de mourir pendant son absence, ordonne aux cardinaux de laisser vaquer le Saint-Siège jusqu'au moment de son retour, afin que l'élection se fasse sous son influence. Cette recommandation fut en effet ponctuellement suivie, malgré les inconvénients qu'elle présentait et en dépit de l'opposition de l'aristocratie romaine, dont l'antipape dut se renier lui-même aux pieds de Nicolas Il que désigna Hildebrand. Alexandre II fut également élu pape sous cette inspiration, à laquelle il obéit docilement pendant tout son règne ; après quoi la révolution se couronna elle-même dans la personne d'Hildebrand.

 

 

 



[1] Cedant equi phalerati,

Cedant cœci rebulæ,

Cedant canes venatores,

Ac minorum fabulæ

Et accipitrices rapaces

Necnon aves garrulæ.

. . . . . . . . . . Cedat

Sacerdotum simul atque

Scelus adulterii,

Et laicorum dominatus

Cedat ab ecclesiis, etc.