SI le christianisme apporta dans les mœurs une modification
profonde, il n'eut pas une moindre influence sur les arts, et l'empereur
Constantin, renonçant au culte des idoles, marqua le divorce de la vieille
société avec la société nouvelle qu'il entraînait à sa suite. Élever de
nombreuses basiliques, les décorer avec magnificence, faire traduire par le
ciseau, d'une manière palpable, le spiritualisme évangélique, ce fut là
l'objet principal des soins de ce pieux monarque. L'or et l'argent n'étaient
point épargnés : ils remplacèrent le marbre qu'on trouvait déjà trop vulgaire
pour représenter les membres de la hiérarchie divine. A Constantinople, le
temple construit par Constantin présentait, d'un côté de l'abside, le Sauveur
du monde assis, entouré de ses douze apôtres, et vis-à-vis de lui, de l'autre
côté de l'abside, le Christ également assis sur un trône, accompagné de
quatre anges qui portaient, incrustées, en guise d'yeux, des pierres
d'Alabanda ; toutes figures d'argent battu, grandes comme nature, et 1 pesant
chacune depuis quatre-vingt-dix livres jusqu'à cent vingt livres. Dans la
même j/j église, un dais représentant les apôtres et des chérubins, à reliefs
d'argent poli, J pesait plus de deux mille livres. La nomenclature
qu'Anastase le Bibliothécaire (Hist. de vit. rom. pontif.) fait des richesses de cette
basilique, contient dix pages. Il s'arrête surtout avec complaisance sur la
fontaine sacrée, entièrement revêtue de porphyre, où Constantin avait reçu le
baptême des mains de l'évêque Sylvestre. La
partie où s'écoulait l'eau était garnie d'argent massif, dans une étendue de
cinq pieds ; elle avait exigé l'emploi de trois mille huit livres de ce
précieux métal. Au centre de la fontaine, s'élevaient des colonnes de
porphyre, portant une lampe d'or pesant cinquante-deux livres, où brûlaient
avec une mèche d'amiante, pendant les fêtes de Pâques, deux cents livres
d'huile parfumée. Un agneau d'or massif, du poids de trente livres, versait
l'eau dans le réservoir de la fontaine. A droite, on voyait le Sauveur,
statue de grandeur naturelle, pesant cent soixante-dix livres ; à gauche,
saint Jean-Baptiste, de même taille que le Christ, tenant à la main des
tablettes où se trouvaient inscrits ces mots : Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde ! Or, cet Agneau d'argent pesait
cent livres, et les sept biches, également d'argent, qui, placées autour du
monument, versaient de l'eau dans un bassin, s'harmoniaient, sous le rapport
des dimensions, avec l'Agneau et les personnages. Dans le
livre d'Anastase, on chercherait vainement des détails. Sa concision est
impitoyable ; il ne décrit jamais : il énumère, ne laisse pressentir aucune
forme, aucune expression, et ne nomme pas un seul artiste. Mais nous savons
que le génie de l'ancienne Grèce s'était réveillé pour décorer les nombreuses
basiliques du pieux empereur ; qu'on avait transformé beaucoup d'anciennes
divinités en personnages appartenant au culte nouveau, et qu'il avait souvent
suffi de changer une tête ou d'effacer un nom, pour faire de Jupiter Dieu le
père, et de Vénus une Vierge. A Rome
ainsi qu'à Constantinople, à Trèves ainsi qu'à Rome, la transformation des
grandes figures du paganisme en figures chrétiennes s'effectua d'une manière
assez rapide ; et quelque temps après, quand la ville d'Arles devint le siège
de l'empire d'Occident, ses champs élyséens s'ouvrirent aux statues
qu'inspiraient les croyances du catholicisme, comme ils s'étaient ouverts aux
statues de l'Olympe. Cette association monstrueuse subsista longtemps.
L'instinct des belles choses sauva beaucoup de monuments ; les créations
modernes ne firent point repousser les créations anciennes ; et, avant que
l'art eût adopté une technologie nouvelle en rapport avec le dogme
catholique, il fallut bien conserver les traditions léguées par le passé. En
jetant les bases de l'art chrétien, Constantin ne négligea point la
décoration des villes principales de l'empire : Antioche, Constantinople,
Rome, virent ériger plusieurs statues en l'honneur de ce souverain et de sa
mère la princesse Hélène. D'autre part, l'exécution de différents
sarcophages, parmi lesquels on cite ceux de Saturnin, de Musa et de Junius
Bassus, conservés au Vatican (DUSOMMERARD, pl. II et III, Bosio, p. 45, BOTTARI, pl. XVIII),
témoigne de l'impulsion donnée à la Sculpture monumentale par
l'administration impériale. Les successeurs de Constantin, les gouverneurs
provinciaux, les préfets, tels qu'Orfitus qui fit élever à Paris la statue de
l'empereur Julien, placée aujourd'hui dans le musée du Louvre, ont suivi le
même système de mnémonique historique. Malheureusement,
l'exagération de la piété porta quelques pontifes à tirer des Catacombes
quelques sarcophages, d'un caractère trop profane, qui furent perdus ou
mutilés et dont plusieurs fragments servirent à décorer les sépultures
princières qu'on environnait sans scrupule des souvenirs artistiques du
paganisme. En
Grèce plus qu'ailleurs, et quand nous disons la Grèce, nous entendons parler
également de Constantinople, la statuaire conserva un vague souvenir des
principes qui avaient fait sa gloire ; le dessin garda de belles formes, et
dans l'ordonnance des objets, on vit se maintenir une conformité louable avec
les règles suivies par les anciens. Probablement, les artistes n'étudiaient
plus la nature ; mais, entourés de modèles excellents, ils pouvaient s'en
rapprocher encore et ne pas s'exposer aux aberrations fatales où sont tombés
les artistes de la Gaule. L'invasion
des barbares compromit peut-être moins qu'on ne le suppose les destinées de
la statuaire. Ces hommes du Nord, dit avec raison Émeric David (Recherches
sur l'art statuaire, p. 399), ne demeuraient pas insensibles
à la beauté des chefs-d'œuvre des hommes du Midi ; et au lieu d'accuser Alaric, Genséric,
Ricimer, Totila, d'avoir détruit les monuments du grand peuple, on devrait,
au contraire, comme l'a très-bien remarqué le savant Pierre Ange Bargæus (De ædif.
urb. Rom. evers., ap. GRÆVIUM, IV col. 1870
et seq.), admirer
l'instinct de conservation religieuse, qui présidait à leurs actes.
Théodoric, ce monarque éclairé, si digne de recueillir dans sa puissante main
les débris échappés au naufrage de l'empire, entrant à Rome, s'inclina respectueusement
devant cette population de marbre et de bronze, qui remplissait la ville aux
sept collines, population sur le front de laquelle l'art avait imprimé un
cachet de noblesse que n'offrait plus cette autre population courbée sous le
joug du conquérant ; Théodoric, considérant la perfection de la Sculpture
monumentale, comme le résultat d'un travail immense, labor mundi (CASSIODORE, lib. VII, Formul. Theod.,
13), crée un comte,
auquel il confie la garde des statues. Nous
voulons, dit-il
dans son décret, que Votre Sublimité veille à
la conservation des monuments antiques, et qu'elle en construise de nouveaux,
auxquels il ne manque, pour égaler les anciens, que la vétusté. Combien de
connaissances vous sont nécessaires : combien vous devez être habile, intègre,
pour remplir des devoirs de cette importance : Décoré d'une verge d'or, vous
marcherez immédiatement devant nous, au milieu des nombreux officiers qui
nous entourent, afin que nous ne puissions jamais oublier combien il importe
aux rois que leurs palais annoncent leur magnificence. Théodoric,
Athalaric, la reine Amalasonthe, persuadés que l'admiration publique devait
protéger contre toute espèce d'outrage les monuments antiques, reverentia cuslodire, voyaient avec une profonde douleur la mutilation
des statues, assignaient des fonds annuels considérables pour leur entretien,
et s'imposaient l'obligation, non-seulement de protéger les arts, mais de
rendre cette action tutélaire manifeste par d'éclatants exemples. (CASSIOD., lib. VII, Formul. Theodor., 18 ; lib. I,
epist. 21, 25, 44 ; lib. III, epist. 44 ; lib. IV, epist. 30, 51 ; lib. IX,
epist. 21.) Ils
pensaient, qu'en présidant à la conservation des œuvres de l'antiquité, ils
se rendraient les émules des souverains qui les avaient précédés (CASSIOD., lib. IV, epist. 51), et rien ne leur semblait plus
digne que de faire respecter ainsi les traditions matérielles du vieux monde,
en attendant que le monde nouveau pût enfanter d'autres prodiges. Quand
la grande Sculpture, la Sculpture de marbre et de bronze, stationnait sous
l'empire de l'immobilité, rétrogradant de fait, car les arts reculent
lorsqu'ils n'avancent pas, la petite Sculpture, la Sculpture domestique avait
du moins quelque activité. Conformément à d'anciennes habitudes, les grands personnages
s'envoyaient, pour souvenirs, des diptyques d'ivoire, sur la table extérieure
desquels on sculptait de petits bas-reliefs qui rappelaient une circonstance
mémorable ; les monarques, à leur avènement, gratifiaient d'un diptyque les
gouverneurs provinciaux, les évêques, et ces derniers, pour témoigner du bon
accord de l'autorité civile avec l'autorité religieuse, posaient
ordinairement le diptyque sur l'autel. Un mariage, un baptême, un succès
quelconque, devenaient l'occasion d'autant de diptyques. On en fit un nombre
considérable. Pendant deux siècles, les artistes ne vécurent, pour ainsi
dire, que de ce genre de travail ; car la grande Sculpture, devenue chaque
jour plus rare, n'alimentait qu'un très-petit nombre de statuaires
privilégiés. Il fallait
des circonstances bien extraordinaires pour qu'un nouveau monument surgît. Ce
fut après avoir sauvé l'Italie des fureurs d'Attila, que le pape saint Léon
fit exécuter en bronze la statue de saint Pierre, qu'on voit encore dans
l'église du Vatican. (CH. CANCELLARIUS, De sacr. nov. basilic. Vat., t. III, col.
1504 à 1510.) Ce
fut pour honorer l'art en s'honorant lui-même, que Zénon l'Isaurien ordonna
l'érection de la statue équestre de Théodoric, à Constantinople, devant son
palais. (JORNANDÈS, De reb. Goth., cap. LII.) Ce fut émerveillé des poésies
de Claudien, des écrits de Sidoine Apollinaire, que le sénat de Rome leur
vota une statue de bronze, sur le forum. (CLAUD., prœf. Bell.
Get. ; SID. APOLL., lib. IX, ep.
XVI et carm. VIII.) La dépréciation du marbre et
l'emploi des métaux entouraient la statuaire d'un double réseau de
difficultés, les unes nées du prix de la matière, les autres résultant des
exigences de la fonte, difficultés qu'un très-petit nombre d'artistes
pouvaient surmonter. Au
sixième siècle, on citait comme remarquables les cathédrales de Rome, Trêves,
Metz, Soissons, Lyon, Arles, Bourges, Rodez, Chalon-sur-Saône ; les abbayes
de Saint-Médard de Soissons, de Saint-Ouen de Rouen, de Saint-Martin de
Tours. Ces basiliques, ces monastères sortaient de la condition modeste où
les avaient longtemps retenus les progrès lents et pénibles du nouveau culte
; la munificence de Clotaire et de Sigebert, la générosité somptueuse de
Gontran, l'impulsion savante de saint Éloy, évêque de Noyon, s'y faisaient sentir,
mais leurs murailles n'étaient encore que delà pierre inanimée, sans
ornements, sans Sculpture ; pour devenir pierres vivantes, vivi lapides, elles attendaient un autre âge. Tout le système
d'ornementation employé dans les églises s'appliquait, soit à l'autel,
réminiscence du sépulcre de Jésus-Christ, qu'on décorait quelquefois de
bas-reliefs en bronze ou en argent, soit à la cuve baptismale, bassin de
métal revêtu souvent de figures ou d'ornements en relief ; les autres parties
du sanctuaire demeuraient presque nues. Les tombeaux des grands personnages,
ceux même des monarques, offraient la simplicité la plus rudimentaire : une
simple croix, tout au plus une effigie, gravée en creux sur une dalle de
pierre. La
France cependant, au milieu de ses interminables guerres et de ses désastres,
possédait quelques hommes au cœur desquels ne s'éteignait pas le feu sacré de
l'art, hommes rares, il est vrai, incompris alors, oubliés depuis, mais pour
lesquels nous devons conserver un sentiment de vénération profonde. Ces
hommes, on les voit groupés sur trois points principaux : en Provence, autour
des archevêques d'Arles, héritiers de la splendeur et de l'autorité des
préfets du prétoire romain ; en Austrasie, près du trône de Brunehaut ou des
pontifes de Reims ; en Bourgogne, à la cour du roi Gontran. Le roi
Gontran et quelques princes de sa famille faisaient alors exécuter en argent
et en vermeil des bas-reliefs formant un tableau, de sept coudées et demie de
haut sur dix de large, où figuraient, dans un assez bon style, la Nativité et
la Passion de Jésus-Christ. Ces bas-reliefs, consacrés dans l'église
Saint-Bénigne de Dijon, n'ont été détruits que vers l'an 992, par l'abbé
Guillaume, lorsque ce prélat reconstruisit son église. (D'ACHERY, Spicileg., I, p. 383 : Chronic. S.-Benign. Divion.) Les Bourguignons, d'humeur
paisible, aimant la paix, l'industrie, vivant sur un sol fécond, sous un
heureux soleil, multipliaient les constructions monumentales, et, non contents
d'un point central, semblaient nourrir à la fois plusieurs foyers : Autun,
Dijon, Lyon et Vienne. L'école de Vienne, car on pouvait lui donner ce titre,
avait conservé de précieuses réminiscences grecques et romaines. (PLANCHER, Histoire générale de Bourgogne, I, 46, 78,
83, 107, 108 ; Hist. Litt. de la France, par les Bénédictins, II, p.
26 ; III, p. 20.) A
Metz, un sculpteur habile représentait, sur une large table en marbre blanc,
utilisée depuis dans l'érection du tombeau de Louis-le-Débonnaire, le Passage
de la mer Rouge, avec une verve, une entente dignes des grands siècles de
l'art ; à Verdun, à Gorze, à Tholey, à Saint-Trudon, à Prüm, localités
dépendantes de la couronne austrasienne, on voyait autant d'écoles
artistiques, d'où sont sortis de célèbres architectes, d'habiles sculpteurs
et des fondeurs émérites, les seuls peut-être que puissent citer les annales
des sixième et septième siècles. Nonobstant le discrédit qui poursuivait les
figures en ronde bosse, ce genre de sculpture continuait de décorer
l'extérieur de certains édifices ; et saint Virgile, archevêque d'Arles,
bâtissant l'église de Saint-Honorat, n'hésitait pas à faire représenter, sur
les bas-reliefs en marbre qui en couvraient les murs, l'histoire de la vie de
Jésus-Christ. (SAXIUS, Pontif. Arel. hist., p
; 249 ; BOUYS, La royale couronne d'Arles, p.
359, 364.) Paris,
Soissons, Bourges, possédaient aussi quelques artistes célèbres : à Bourges, Jean
Lafrimpe, architecte-imagier, dont ne parle aucune biographie et dont le nom
s'est sauvé de l'oubli dans l'immense naufrage des réputations artistiques,
mérite une honorable place ; à Soissons, l'auteur inconnu du tombeau de la
reine Frédégonde, peintre en mosaïque, qui certainement ne s'est point borné
à ce genre de composition ; à Paris, saint Éloy, excellent ciseleur,
miniaturiste, mais qui dut aussi modeler et sculpter. Le fauteuil de
Dagobert, que la tradition attribue à saint Éloy, sorte de cathedra
comparable à celle de saint Maximin, archevêque de Ravenne, paraît remonter à
cette époque. Malheureusement, ce fauteuil célèbre, conservé dans le trésor
de l'église de Saint-Denis, est modifié par certaines additions plus
modernes. Lorsque
l'art grec, dégénéré, tombé dans le domaine de l'orfèvrerie, ne jetait plus en
Europe que de pâles lueurs ; lorsqu'au lieu de statues en marbre, pour
représenter les personnages bibliques, les saints ou les princes, on se
contentait de simples médaillons de bronze, d'or ou d'argent, généralement
encastrés sur des châsses ou suspendus aux murailles, tels que les faisaient
Volvinus et l'anonyme de Cologne, par-delà les mers naissait la Byzantine ou
l'art byzantin. Mélange
de réminiscences helléniques et de sentiment chrétien, expression naïve dans
toute sa simplicité et prenant un caractère de l'immobilité conventionnelle
des poses qu'il consacre, l'art byzantin ne s'est fait jour que vers le
milieu du sixième siècle. Sous l'empereur Justinien, mort en 565, on
exécutait encore, d'après les traditions grecques, d'innombrables ouvrages de
Sculpture en bronze, même en marbre. Une statue colossale équestre du
monarque, dont la fonte s'opéra sous ses yeux, sembla consacrer les derniers
efforts de l'art grec : elle fut hissée, dans le forum Augusleum, sur une
colonne revêtue de bas-reliefs (PROCOPE, De ædif.,
lib. I, cap. VIII),
et traversa les siècles jusqu'à l'époque de la prise de Constantinople par
les Turcs, qui la détruisirent pour en faire des canons. Après
Justinien, la statuaire déclina d'une manière sensible : elle devenait
presque inexécutable, en raison du prix qu'il fallait y mettre ; et comme on
reprochait aux artistes de ne pas bien rendre le genre d'expression qui
convenait aux idées nouvelles, comme on prenait au pied de la lettre
l'anathème dont les pontifes romains et les prédicateurs frappaient
l'adoration des images, l'enthousiasme pour les œuvres du ciseau grec
diminuait. Cette pente menait à un abîme ; une génération presque entière s'y
précipita, et, quand du haut de la chaire on eut fait le procès de l'art
profane, la foi fit celui de l'art lui-même, de l'art pris dans son acception
la plus noble, dans ses allures les plus sages, dans ses inspirations les
plus chastes. Avant
d'éclater, avant d'acquérir la consistance d'une hérésie qui troubla le
monde, ce discrédit chemina deux siècles, arrêté souvent par l'influence de
quelque esprit supérieur, par l'exemple de quelque monarque, et surtout par
le sentiment d'affection des esprits faibles pour les objets matériels, dont
les formes donnent un corps, une consistance à leurs pensées vagues, à leurs
croyances indécises. Quand
la Sculpture byzantine eut atteint le huitième siècle, époque du soulèvement
des iconoclastes contre les images, elle avait un caractère bien déterminé :
sécheresse de contours, maigreur de formes, allongement de proportions, mais
grand luxe de costume, expression puissante de résignation malheureuse et de
grandeur. La statuaire monumentale de cette époque n'est point commune ; elle
ne l'a jamais été, et l'histoire de l'art présenterait certaines solutions de
continuité, si la Sculpture en petit, notamment celle des diptyques, ne nous
initiait aux destinées de l'art tout entier. Gori (Thesaurus
diplycorum, Florentiæ, 1759, in-4°) distingue quatre espèces de diptyques
ecclésiastiques : les diptyques destinés à recevoir le nom des nouveaux
baptisés ; les diptyques où s'inscrivaient les noms des bienfaiteurs de
l'Église, des souverains et des papes ; les diptyques à la gloire des saints
et des martyrs ; les diptyques consacrés à conserver la mémoire des fidèles
morts dans le sein de la foi. La table externe de ces petits meubles
s'enrichissait de sculptures d'ivoire, représentant des scènes du Nouveau
Testament et des saints Évangiles. On y voyait figurer souvent Jésus, jeune,
imberbe, la tête auréolée d'un nimbe sans croix. Le nombre des diptyques
devint très-considérable ; plus les images étaient officiellement
poursuivies, plus ceux qui les respectaient tâchaient d'en perpétuer au moins
la tradition. Les artistes grecs favorisaient eux-mêmes cette mode, ainsi que
celle des tableaux à volets, seuls moyens qui leur restassent de travailler
et de vivre. Pendant
la durée de la persécution excitée par les iconoclastes, sous les papes Paul
1er, Adrien 1er, Pascal 1er, des moines grecs, sculpteurs et peintres, ne
cessèrent de chercher refuge en Italie. L'émigration de ces artistes devint
même si nombreuse, que les pontifes précités construisirent des monastères
pour les y recueillir. (ANAST., in Vit.
Paul. I, Adr. 1 et Pasch. I.) Leur influence ne tarda point à se propager en Europe. L'art,
qui jusqu'alors se traînait indécis, prit un caractère inconnu de fermeté ;
de noblesse et de précision ; soit que le sculpteur mît en œuvre le bois,
l'ivoire, le bronze, le marbre ou la pierre ; soit qu'il marchât isolé, livré
aux inspirations indépendantes de son génie ; soit qu'il fût associé aux
architectes, entrepreneurs d'édifices, dont il acceptait le plan, dont il
traduisait les idées, sa part demeura distincte, son rôle déterminé. Dans le
monde, on accepta d'autant plus volontiers la forme byzantine, qu'elle se
trouvait accompagnée d'une richesse d'ornementation toujours aimée du
vulgaire ; qu'elle arrivait sous le patronage d'artistes éminents, et que
Charlemagne, ayant des relations suivies avec la cour de Constantinople, avec
celle de Cordoue, patronnait l'introduction du genre qui convenait peut-être
le mieux à la magnificence de sa pensée. Cependant
plusieurs évêques, entre autres le célèbre Agobard, craignant de voir le
culte des images devenir une adoration, penchaient vers l'opinion des
iconoclastes ; mais l'art avait pour lui la raison, les cœurs d'élite et le
bras du peuple, de ce peuple qui, dans Rome, venait de renverser les statues
élevées à l'empereur Léon l'Isaurien, et de couronner les statues
pontificales. Les
maisons royales d'Aix-la-Chapelle, de Goddinga, d'Attiniacum, de Theodonis-Villa
; les monastères de Saint-Arnulph, de Fulde, de Trêves, de Saint-Gall, de
Salzbourg et de Prüm, se ressentirent de l'impulsion salutaire que
Charlemagne exerça sur les arts. Avant la révolution de 1789 on voyait
encore, dans quelques-unes de ces localités, des débris précieux qui
remontaient au huitième siècle ; et divers chapiteaux du palais d'Ingelheim,
déposés aujourd'hui dans le musée de Mayence, prouvent qu'on tâchait de
conserver, le plus fidèlement possible, les bonnes traditions de l'antiquité
romaine. Charlemagne montra toujours pour elle une respectueuse déférence,
soit qu'il décorât splendidement la cathédrale d'Aix-la-Chapelle, sa ville de
prédilection ; soit qu'il fît construire à sa chère épouse Hildegarde, dans
l'église Saint-Arnulph de Metz, un vaste tombeau, pour l'éclairage duquel il
assigna les revenus d'une terre considérable. Le sentiment de préférence
qu'accordait peut-être l'empereur à l'art byzantin sur les autres
transformations de l'art grec, ne lui faisait point proscrire la manière
lombarde, plus rapprochée de l'antique et conséquemment plus éloignée de
l'esprit chrétien. Ces formes différentes se retrouvaient, tantôt distinctes,
tantôt mêlées l'une à l'autre : on citait un magnifique autel, dédié à la
Vierge et à saint Pierre, recouvert de bas-reliefs en argent et en or, auro argentoque imaginatum, que fit élever l'abbé de
Saint-Trudon (Chron. abb. S. Thrud., ap. D'ACHERY, Spicil., II, p. 661) ; un devant d'autel de l'insigne basilique de
Reims, où se trouvait représenté en bas-relief Jésus-Christ sur un trône,
ayant à côté de lui Charlemagne, et à ses pieds les abbés Foulques et Hervey (MARLOT, Metrop. Rem. hist., I, p. 328, 330, 342) ; on admirait, dans l'église
abbatiale de Saint Faron, le tombeau du duc Otger, orné de sept statues en
ronde bosse et de neuf figures en bas-relief (MABILL. Annal. ord. S. Bened.,
II, p. 376),
monument considérable pour l'époque, et dont l'ordonnance et l'exécution soignée
rivalisaient avec le portail et les figures absidales de la basilique de
Saint-Riquier. Angilbert, abbé de Saint-Faron, sculpteur, architecte, avait
donné l'idée, et sans doute aussi fourni le dessin d'une Nativité qui fut
placée dans le tympan de la façade, tandis qu'à l'intérieur il disposa
d'autres groupes, savoir : au fond du chœur, la Passion ; au nord, la
Résurrection ; au midi, l'Ascension ; le tout exécuté en plâtre et en ronde
bosse, accompagné de dorures, de mosaïques et de couleurs précieuses : ex gypso figuratœ et auro, musido, aliisque pretiosis
coloribus composita.
Deux devants d'autel, en or et en argent, couverts d'images d'animaux, de
figures humaines en bas-reliefs, décoraient le même sanctuaire. (Vit. S.
Angilb., apud D'ACHERY et MABILLON, Act. SS. ord. S. Bened., V, p. 109, 127.) La
fondation des abbayes de Saint-Mihiel (Lorraine), de l'Isle-Barbe, d'Ambournay
et de Romans (Bourgogne)
; celle de plusieurs grands monastères de l'Alsace, du Soissonais, de la
Bretagne, de la Normandie, de la Provence, du Languedoc et de l'Aquitaine (GOLBÉRY, Antiq. d'Alsace, p. 31, 47, 121, 122 ; RAYNAL, Hist. du Berry, 1, p. 283 ; D. PLANCHER, Hist.
de Bourgogne, I, p. 111) ; la construction des grandes basiliques de Metz, de Toul, de
Verdun, de Reims, d'Autun, etc. (ÉMILE BÉGIN, Hist. de la cath. de Metz, I, p. 83, 84 ; BENOIT PICART, Hist. de Toul, p. 284 ;
Hist. de Verdun, p. 119, 138 à 147 ; l'Ancienne Auvergne, II,
p. 16, 17 ; D. PLANCHER, Hist. de Bourgogne, 1, p.
135, 136, 137 ; GAUJAL, Essai sur le Rouergue, p.
175), les
réparations, les embellissements, qui s'effectuaient aux abbayes de Bèze, de
Saint-Bénigne de Dijon, de Saint-Gall, de Remiremont, de Saint-Arnulph-lez-Metz,
de Luxeuil, avaient assez d'importance pour occuper une infinité d'artistes
architectes et sculpteurs, qui, semblables au moine Gundelandus, abbé de
Lauresheim, tenaient le compas et le maillet avec non moins d'habileté que la
crosse. (Chron.
Laurish., ap. DUCHESNE, III, p. 490 ;
EM. BÉGIN, Metz
depuis dix-huit siècles, t. II, p. 243 à 250.) Rien n'égalait la splendeur de
certains monastères, véritables foyers d'intelligence, où les beaux-arts
réunis, s'entr'aidant les uns les autres, dirigés par un maître qui lui-même
avait le sentiment des choses, prospéraient sans éclat, mais non sans
utilité. On lit, dans la vie d'Angésive, abbé de Luxeuil (MABILL. et D'ACHERY, Acta SS.
ord. S. Bened., V, p. 633, 636), qu'indépendamment d'une quantité considérable
d'argenterie ciselée qu'il fit exécuter pour sa maison, il l'enrichit d'un
devant d'autel, rehaussé de figures en argent et de bas-reliefs, anaglypho operefactum. Au trésor abbatial de Saint-Trudon, dressé par
deux commissaires en 870, figurent deux mausolées et deux autels plaqués
d'argent, garnis de figurines en ronde bosse et de bas-reliefs du même métal,
avec incrustations et lames d'or ; vingt et une châsses d'or et d'argent, et
quantité d'objets sculptés et ciselés. Les artistes français, ainsi que les
artistes allemands, conservaient le double usage de fondre les statues de
métal et de les façonner en bosse sous le marteau, représentations
matérielles, frappées d'anathème par Agobard, dans le puritanisme de sa
conscience : Quicumque aliquam picturam
vel fasilem, sive ductilem adorat statuam, simulacra veneratur. (Des Imagin., t. II, Opera,
p. 264.) Évidemment,
la petite Sculpture et la ciselure, associées à la fonte, constituaient le
faire principal des artistes du huitième et du neuvième siècle. Pour
l'exécution de la grande Sculpture, on était retenu par la crainte des
iconoclastes, dont la secte comprimée s'agitait encore ; on ne le fut pas
moins, après le décès de Charlemagne, par les guerres civiles et les
invasions, qui suspendaient et ruinaient les travaux d'architecture : on
sauvait une châsse, un autel ; on ne pouvait sauver un portail, et la haine
héréditaire que se vouaient les princes rejaillissait sur leurs effigies. Quand
mourut Charlemagne, au lieu d'appeler la statuaire à l'exécution de son
mausolée, il sembla plus digne de lui de creuser un caveau et de l'y asseoir,
embaumé et paré, sur un fauteuil d'argent ; mais l'extérieur du caveau fut
décoré de bas-reliefs profanes empruntés à l'art romain. (ALEX. LENOIR, Descrip. des monuments
franç., 6e éd., p. 109, 140.) Le tombeau de Louis-le-Débonnaire fut également entouré d'un
bas-relief en marbre, dans le style d'une autre époque, mais mieux adapté au
sujet. On lui donna pour supports quatre lions en pierre, que M. Émile Bégin
nous affirme avoir vus ; le dessus du catafalque représentait l'image de cet
empereur exécutée simplement, avec la pierre jaune du pays (oolithe
moyenne). L'effigie
gravée dans la Monarch. franç. de Monfaucon et citée par Émeric David,
etc., nous dit encore M. Bégin, n'appartenait point au neuvième siècle. Cette
statue de marbre blanc, dont la tête existe à Metz, est d'une époque
postérieure. Carloman, frère de Charlemagne, eut un tombeau sculpté d'après
le modèle du sarcophage de Jovin, sous Valentinien Ier, tombeau qui fut placé
près de celui de saint Remy, dans la basilique de Reims. Vers la
fin du neuvième siècle, cette même église, que l'art ne cessait d'embellir,
fut décorée d'un autre monument funéraire, celui du célèbre archevêque
Hincmar, dont les traits méritaient bien d'être conservés à la postérité ;
tandis qu'ailleurs 'Charles-le-Chauve fut représenté en demi-relief de bronze
sur son tombeau. Ce
double hommage de l'art statuaire envers les deux hommes qui l'avaient le plus
favorisé, le mieux compris, témoigne un temps d'arrêt, une halle faite au
milieu des tourments de l'avenir et des inquiétudes présentes. L'heure des
invasions normandes, heure fatale pour les arts, venait de sonner ; on voyait
le long des fleuves et sur tous les rivages maritimes s'abattre d'étranges
populations, que n'arrêtait aucun obstacle, qui méprisaient le fer des
débiles héritiers de la nation franque et qui se riaient des anathèmes partis
de Rome. Il n'y eut plus d'artistes, plus de moines ; tout le monde prit les
armes, tout le monde devint soldat, et le péril commun rendit quelque énergie
à nos ancêtres épouvantés. Faut-il
s'étonner que dans un tel état de choses Anastase-le-Bibliothécaire, moins
préoccupé de la forme que de la valeur intrinsèque des objets sculptés, se
soit montré d'une affligeante impassibilité, et que son style sans couleur
ressemble à celui du commissaire-priseur dressant un état estimatif ? Les
hautes destinées du christianisme préoccupaient exclusivement Anastase, comme
elles préoccupaient toutes les grandes intelligences ; mais nous nous
garderons de dire, avec M. Lévesque (Bulletin des Arts, 1846, p.
335), qu'à pareille
époque on ne savait rien exprimer et qu'il n'y avait ni peinture, ni
Sculpture, ni sentiment d'un art quelconque. Plus
tranquille sur le trône de Byzance que ne l'étaient nos rois sur le trône
morcelé de Charlemagne, l'empereur Basile-le-Macédonien restaurait les images
et donnait à la statuaire monumentale des encouragements qui la tiraient du
profond abaissement où elle était tombée. Constantin Porphyrogénète, prince
non moins artiste que lettré, imitant son auguste aïeul, favorisa l'étude des
beaux-arts par des travaux personnels ; mais ils avaient reçu des
iconoclastes une atteinte dont jamais ils ne devaient se relever. Tout en
reconstituant le culte des images, tout en honorant la Sculpture et la
peinture, les monarques, par bienséance ou par crainte, proscrivaient l'art
du sein des temples, et quand ils lui permettaient d'y rentrer, ils le
garrottaient sous l'exigence énervante d'une discipline qui tuait le génie.
En Orient, depuis le huitième siècle jusqu'à nos jours, l'art chrétien, l'art
accommodé au culte, n'a jamais dépassé certaines limites. Malgré
ses cruelles vicissitudes en Europe, il y fut donc plus heureux, parce qu'il
y fut plus libre, et, quand les invasions eurent cessé, les désastres causés
par ces mêmes invasions servirent à ses progrès. D'abord, naquit un système
complet de constructions nouvelles, nées du besoin, les constructions de
châteaux forts qui couvrirent toutes les provinces ; ensuite l'Église, ayant
mille désastres à réparer, éleva ou restaura quantité de monastères ou de
basiliques, qui eurent une physionomie franchement accusée, un caractère
gréco-latin, comme pour témoigner que l'art byzantin avait déjà pris sur
notre sol ses lettres de naturalisation. Les cathédrales d'Auxerre, de Clermont,
de Toul ; l'église Saint-Paul de Verdun ; les abbayes de Moutier en-Derf et
de Gorze (Lorraine) ; de Munster (Alsace) ; de Cluny (Bourgogne) ; de Celles-sur-Cher (Berry) ; de Saint-Florent de Saumur,
de Chantenge (Auvergne),
etc., etc., se revêtirent spécialement du caractère sculptural de cette
époque : on multiplia le crucifix en ronde bosse, dont l'introduction dans la
statuaire monumentale ne s'était opérée qu'au commencement du neuvième
siècle, sous le pontificat de Léon III ; on mit en opposition, dans les
arcatures des portails, comme cela se voyait à la cathédrale d'Auxerre, les élus
et les réprouvés ; on fît à la Vierge sa part de déification ; et la main du
sculpteur, ne se bornant plus à décorer d'admirables figures les façades et
les cloîtres, mirâ lapidum sculpturâ, ainsi qu'elle le fit sous
l'inspiration d'Amalbert et de Robert, abbés de Saint-Florent, s'étala de
toutes parts avec un luxe extraordinaire : ambons, sièges, voûtes, cuves
baptismales, colonnes, corniches, clochetons, gargouilles, aucune portion des
édifices religieux ne lui échappa. On pourrait dire que les artistes d'alors
réconcilièrent la Sculpture avec la pierre, qui lui fournit un vaste domaine
d'exploitation. Presque toutes les figures sont représentées vêtues à la
romaine, avec la tunique courte et la chlamyde agrafée sur l'épaule. C'était
encore là, au reste, le costume de cour, le seul qui convînt, par conséquent,
à la représentation plastique des grands personnages du christianisme. (Ouvrage inédit
de M. Émile Bégin, sur l'Art dans la France orientale ; LEBEUF, Mém. concernant l'histoire d'Auxerre, I, p. 219 ; MARTENNE et DURAND, Ampliss. Collecta,
col. 1099 et 1106 ; L'ancienne Auvergne, II, p. 80, 81, 108, 139, 140,
220, 221, 223 ; RAYNAL, Hist. du Berry, 1, 234,
235, 241, 244, 245, 260, 315, 326 et suiv. ; 339, 340, 403 : GOLBÉRY, Antiq.
d'Alsace, p. 55 ; Hist. de Toul, 305, 342, 343 ; Hist. de
Verdun, 159, 164, LXVI.) Les
dates, les noms ne se rencontraient presque nulle part sur le front de ces
édifices ; aussi, l'histoire générale et les biographies, même spéciales, ne
peuvent nous être que d'un bien faible secours. Dans un curieux opuscule de
M. Félix Bourquelot, intitulé Histoire des arts plastiques, on ne
trouve, avant le dixième siècle, aucun nom de sculpteur, et pour le dixième
siècle, deux seulement apparaissent : Tutelon et Hugues. Tutelon, moine de
Saint- Gall, que M. Bourquelot et les autres biographes disent mort en 908,
mais dont M. Émile Bégin, mieux informé, fixe le décès au 28 mars 898 (Hist. de la
cath. de Metz, I, p. 111), fut un artiste éminent, poète, sculpteur et peintre, qui décora
de ses œuvres les basiliques de Mayence et de Metz. Quant à Hugues, abbé de
Moutier-en-Derf, sculpteur et peintre, né vers 960 dans la petite ville de
Brienne, il n'acquit, en réalité, sa réputation que quarante années après.
Ainsi, voilà le dixième siècle veuf d'artistes sculpteurs ; mais M. Émile
Bégin nous en signale deux, Adson et Anstée : Adson, abbé de Moutier-en-Derf,
architecte et sculpteur, prédécesseur de l'abbé Hugues ; Anstée, abbé de
Gorze, mort le 7 septembre 960. Émeric David indique l'abbé Morard, qui,
secondé par le roi Robert, rebâtit, vers la fin du dixième siècle, à Paris,
l'église Saint-Germain-des-Prés. A la piété du même monarque, à celle des
ducs de Bourgogne, un autre abbé, nommé Guillaume (Wilengus levita), fut redevable d'une partie des
fonds nécessaires pour reconstruire son église ; aussi, leur effigie, mêlée
avec l'effigie des patriarches et des anges, décore-t-elle le portail de
cette église : on a reconnu Saint-Bénigne de Dijon. Guillaume,
architecte-sculpteur, arrivé vers 980 à Dijon, prit sous sa direction
artistique et morale quarante monastères, et devint chef d'école aussi bien
que chef religieux. Les portails des églises d'Avallon, de Nantua, de
Vermanton, exécutés dans un excellent style, attestèrent la sévérité d'un
goût perfectionné. Suédois
d'origine, né près de Verceil en Italie, Guillaume passe inaperçu dans la
plupart des écrits sur la matière, généralement si scrupuleux à signaler
toutes les illustrations d'Italie. Il a, selon nous, une gloire immense,
celle de précéder le développement des écoles vénitienne et toscane ; de ne
paraître emprunter ses inspirations qu'à lui-même ; d'imprimer, aux œuvres
exécutées sous lui, un cachet spécial, et d'étendre cette influence
non-seulement sur toute la Bourgogne, mais encore sur les diocèses voisins. (PLANCHER, ouvr. cité, I, p. 478, 479, 513, 516.) Quantité d'artistes habiles,
réunis d'abord autour de Guillaume et qu'il dirigea pendant quarante années,
sont devenus à leur tour chefs d'écoles, en sorte que l'art français doit
peut-être autant à l'abbé Guillaume, que l'art toscan au célèbre Nicolas de
Pise, venu dans le siècle suivant. Avec
l'école bourguignonne, dont l'existence ne saurait faire l'objet d'un doute,
rivalisaient : 1° l'école messine, beaucoup plus grave, employant d'habitude
une pierre à gros grain qui résistait aux finesses du ciseau ; 2° l'école
lorraine, intermédiaire placé, pour le genre, entre l'école bourguignonne et
l'école messine ; 3° l'école alsacienne, type de naïveté germanique,
s'exerçant sur des moellons rougeâtres, très-tendres quand ils sortent de la
carrière, mais durcissant à l'air libre ; 4° l'école champenoise, dont les
deux principaux foyers ont été Reims et Troyes, que leurs cathédrales
caractériseront plus tard ; 5° l'école normande, bretonne et poitevine,
dédoublée en différentes succursales, participant toutes d'un type
anglo-saxon ; 6° l'école de l'Ile-de-France, où se groupent Paris, Chartres,
Beauvais, Melun, même Laon et Soissons, qui semblent en être les appendices ;
7° enfin, l'école méridionale, au mouvement de laquelle coopèrent, d'une
manière très-puissante, Arles, Marseille, Avignon, Toulouse, Clermont, Limoges
et Périgueux, chefs-lieux provinciaux qu'on sait bien appartenir à la même
famille, mais qui diffèrent entre eux, principalement à cause des matériaux
divers qu'offre leur sol. Jusqu'à
la fin du dixième siècle, l'Italie, dans un esprit d'utilité pratique qu'elle
tenait sans doute des Allemands, ses dominateurs, tourna presque toutes ses
vues architecturales vers l'exécution de travaux nécessaires, de monuments
d'ordre public et de sûreté. Elle fut préoccupée de murailles ou de tours
urbaines, de ponts, de châteaux défensifs, bien avant d'être préoccupée
d'églises ; et, laissant Rome absorber, résumer les pompes du christianisme,
elle n'avait assez généralement que des sanctuaires de dévotion, d'une
ordonnance aussi modeste qu'exiguë. La statuaire suivait les destinées de
l'architecture ; elle trouvait peu d'emploi. Ce fut donc pour toutes deux un
grand événement, un sujet de joie et d'espérance, quand Pietro Orseolo, élu
doge de Venise en 976, annonça l'intention de rebâtir, dans des proportions
plus grandes, la basilique de Saint-Marc, incendiée ; mais telle était la
pénurie d'artistes capables, qu'il appela de Constantinople des architectes
et des sculpteurs : Acciiis igitur ex Constantinopoli
primariis architectis, templum instaurari et ampliari quâ poterat, cœptum. (GRŒV., Thes.
antiq. et hist. Ital., t. V, part. i, col. 186 ; PAOLO MOROSINI, Hist. della citta di Venet.,
lib. IV, 92.) Laissons
les peuples se débattre sous la terreur chimérique de la fin du monde ;
laissons le dixième siècle finir, le siècle suivant commencer, et bientôt
chaque école provinciale ou diocésaine enfantera ses œuvres. Les artistes
bourguignons, non contents d'achever les travaux déjà cités, érigent la
nouvelle église de Vézelay, celle d'Avallon et plusieurs monastères, entre
lesquels se distingue celui de Cluny par la richesse de son abside, composée
d'une hardie coupole peinte, que supportent six colonnes de trente pieds, en
marbre cipolin et de Pentélie, avec chapiteaux, corniches et frises,
sculptés, peints et rehaussés de bronze. En Lorraine, on travaillait aux
cathédrales de Toul et de Verdun ; à l'église de Neufchâteau, une des plus
vastes et des plus belles de la province. Richard, abbé de Saint-Viton près
Verdun, faisait exécuter un dôme d'autel, soutenu par des colonnes, où se
trouvaient représentés, dans des bas-reliefs dorés, l'Éternel, saint Pierre,
saint Viton et le miracle de la Résurrection ; il exécutait lui-même, pour
son église, un pupitre en bronze doré, rehaussé de figurines, et un devant
d'autel d'argent, qui représentait Jésus-Christ foulant l'aspic et accompagné
de saint Pierre, puis, à leurs pieds, la comtesse Mathilde, qui avait fait
les frais de l'œuvre, et près d'elle l'abbé Richard : Auro prominentes imagines, opere mirifico, arle cœlatorid
factœ. (Vit.
Richardi, ap. D'ACHERY et MABILL., Act, SS. ord. S. Bened., tom. III, p. 541.) Dans le diocèse de Metz, qui,
par ses abbayes, avait des rapports directs avec la Belgique et l'Allemagne
rhénane, on se ferait difficilement l'idée de la multiplicité des travaux de
pierre qui s'achevèrent à celle époque : un abbé de Gorze, Henri-le-Bon,
architecte- sculpteur, mort le 1er mai 1093, après une longue administration,
exécuta des œuvres considérables. Gontran, abbé de Saint-Trudon, mais surtout
Adélard, qui lui succéda vers 1055, ont couvert la Hasbaye de constructions
nouvelles ; Adélard dirigea l'érection de quatorze églises, et ses dépenses étaient telles, dit le chroniqueur Rodolphe, qu'à peine le trésor impérial aurait-il pu y suffire. Sculpteur et peintre, Adélard
mérite de prendre, parmi les artistes de son époque, un rang fort distingué.
A Metz, un autre abbé, l'abbé Warin, non moins habile qu'Adélard, érigeait
l'immense basilique de Saint-Arnoul, tandis que, dans la même ville, d'autres
artistes élevaient les églises abbatiales de Saint-Vincent et de
Saint-Martin, édifices exécutés d'un seul jet, historiés d'un grand nombre de
sculptures. M. Bégin (Metz depuis dix-huit siècles, tom. III, p.
65 et suiv.) a
donné, d'après un poème contemporain et d'après ses propres recherches, une
description de cette basilique de Saint-Martin, qui permet d'apprécier le
genre des sculpteurs messins ; l'architecture en était lourde, massive, mais
elle se faisait remarquer par la somptuosité des détails, l'originalité des
chapiteaux, et par les diptyques et triptyques d'ivoire qui la décoraient. A
la fin du siècle, Théodoric, abbé de Saint-Trudon, terminait, les sculptures,
commencées avant lui, dans le cloître de l'abbaye, cœlatura continuavit. (Chron. abb. S.-Trud., lib. VI, ap. D'ACH., Spicil., II, p. 675, col. 2.) En Alsace, la cathédrale de
Strasbourg, deux églises de Colmar et de Schelestadt ; en Suisse, la
cathédrale de Bâle, exécutée par des artistes venus d'Alsace, sont encore
debout pour montrer, en quelques-unes de leurs parties, la vigueur, la
naïveté majestueuse, avec lesquelles le sculpteur rendait sa pensée. Dans
l'intérieur delà France, beaucoup d'églises importantes s'élevaient à la
fois. Ne pouvant les désigner toutes faute d'espace, nous rappellerons qu'en
1020 Fulbert, évêque, de Chartres, architecte et vraisemblablement statuaire,
rebâtissait son église sur un plan qu'il traçait lui-même. Elle fut terminée
vingt-huit années après, et l'on ne put trop admirer la dignité du style des
statues, dont l'illustre évêque orna le portail et le pourtour de cet
édifice. L'art ne se distingua pas moins dans la décoration des portails des
églises de Laon, de Châteaudun, de Saint-Avoult de Provins, œuvres grandioses
des premières années du douzième siècle, qu'égala, qu'effaça peut-être la
splendide ornementation extérieure de l'abbaye de Saint-Denis, faite entre
les années 1137-1180. L'abbé Suger, qui fut lui-même un artiste véritable, ne
désigne aucun des hommes, auxquels échut ce travail important. Nous ne
connaissons pas davantage les auteurs des bustes de Dagobert et de sa femme
la reine Nanthilde, exécutés en argent doré ; non plus que ceux des fameuses
portes de bronze, où figuraient en bas-reliefs la Passion, la Résurrection,
l'Ascension. Au même temps appartient cette grande croix d'or, dont le pied
fut enrichi de bas-reliefs, cui tota
insidit imago,
et dont le Christ offrait une expression de résignation divine si
remarquable, tanquam et adhuc palientem. (SUGER, De reb. in
adminislr. sua gest., ap. BOUQUET, XII, p. 96,
99 ; FÉLIBIEN, Hist. de l'abbaye de
Saint-Denis, p. 547.)
Le nom des sculpteurs de l'église cathédrale de Paris se dérobe également à
notre admiration. On dirait qu'un peuple entier, dans une communauté de
pensées et d'action, est venu là composer son œuvre : ceux-ci faisant en
marbre le sarcophage sur lequel Philippe de France, fils de Louis-le-Gros,
était représenté couché ; ceux-là peuplant le jubé et l'abside, de hautes
figures, aujourd'hui détruites, et d'une longue galerie de sujets bibliques ;
d'autres garnissant la façade et le pourtour de l'édifice de ces personnages
si divers, qui néanmoins semblent tous réunis dans l'expression des mêmes
pensées et des mêmes croyances. Les sculpteurs des différentes églises de
Paris ne sont pas mieux connus, et l'on se demande encore de quelle main
sortait la belle statue élevée à Louis-le-Gros dans le cloître de Saint-Victor. A
travers le douzième siècle, l'école bourguignonne continua ses admirables
travaux. Hugues, abbé de Cluny, eut un tombeau magnifique ; Bernard II, abbé
de Moutier-Saint-Jean, reconstruisant le portail de son église, fit
représenter, sur les frontons des trois portes, Dieu leJJère, la Nativité,.la
Visitation, les douze apôtres, les quatre évangélistes et divers sujets
traités avec bonheur ; on acheva le somptueux portail de l'église
Saint-Lazare d'Autun ; Pierre-le-Vénérable éleva dans l'abbaye de Saint-Marcel,
près de Chalon-sur-Saône, un tombeau à son ami l'illustre Abeilard, qui y fut
représenté en costume de bénédictin. Robert 1er, duc de Bourgogne, ayant
fourni les fonds nécessaires pour l'exécution de la nef et du portail
septentrional de l'église de Semur en Auxois, sur ce portail furent placées
la statue du prince et celle d'Hélie de Semur, sa femme. Après la mort de
Robert, on ajouta, pour le repos de son âme, quatre bas-reliefs encastrés sur
les côtés de la porte, bas-reliefs qui représentaient l'assassinat du comte
Delmace, son beau-père, assassinat qu'on lui reprochait ; son arrivée aux
enfers sous la conduite d'un moine ; son passage dans la barque de Caron, et
enfin sa délivrance. Cette bizarre invention prouve que l'idée de la chapelle
sépulcrale de Dagobert, à Saint-Denis, n'était pas nouvelle, et qu'elle
pourrait très-bien avoir été composée postérieurement par quelque artiste
bourguignon. (PLANCHER, ouvr. cit., I, p. 516, 518 ; ALEX. LENOIR, ouvr. cit., p. 98, 99, 115,
117 ; COURTÉPÉE, Descript. hist. de la
Bourgogne, V, p. 320.)
Rivale active, intelligente de l'école de Bourgogne, l'école champenoise,
dans l'église Saint- Étienne de Troyes, qu'elle avait précédemment décorée de
nombreuses sculptures, élevait.au comte Henri 1er une tombe, de la plus
grande magnificence, tombe entourée de quarante-quatre colonnes en bronze
doré, surmontées d'une table d'argent où gisaient couchées la statue du
prince avec celle d'un de ses fils, grandes comme nature, en bronze doré. Des
bas-reliefs de bronze et d'argent, qui représentaient la sainte Famille, la
cour céleste, des anges, des prophètes, environnaient le monument. Triomphe
de la statuaire métallique, le tombeau du comte Henri primait alors tous les
autres tombeaux de la France, comme la cathédrale de Reims allait bientôt
primer les autres cathédrales. En
Normandie, même élan, même zèle, même entente de l'art, de sa dignité, comme
de ses exigences. Plus heureux qu'en Champagne, ici du moins nous trouvons
quelques noms : Othon, auteur du tombeau de Guillaume-le-Conquérant, sculpté
en 1087, et de plusieurs monuments du même genre ; Azon, constructeur de la
cathédrale de Seez ; Garnier de Fécamp, et Anquetil de Petitville, tailleur
de pierre à Étretat, qui travaillaient déjà vers la fin du douzième siècle,
bien que leur renommée date du siècle suivant. Les maçons et sculpteurs de
Normandie formaient, à cette époque, une importante corporation. Dans le
midi, Asquilinus, abbé de Moisac, près de Cahors, décora de statues
excellentes le cloître et le portail de son église, prœclaris slaluis ; il
suspendit aux côtés de l'abside un Christ en croix, si habilement sculpté
qu'on le croyait émané d'une main divine, ut
non humano sed divino artificio facta videatur. (MABILL., loc. cit.,
p. 470.) Dans le
même diocèse, Étienne Obazim, fondateur du monastère de ce nom, recevait, à
sa mort, les honneurs d'un magnifique tombeau, autour duquel l'artiste avait
exécuté différentes figurines représentant des religieux de l'ordre de Cîteaux.
(MARTENNE, Voy. litt., part. II, p. 59 ; Gall.
Christ., t. 1, col. 130 et 185.) On exécuta, soit en Auvergne, soit dans le
Languedoc et la Provence, bien d'autres grands morceaux de Sculpture. Au
monastère de Préaux furent placées la statue de Honfroy de Vétulis et celles
de cinq membres de la même famille, en ronde bosse, couchés sur leur tombeau.
Mais l'œuvre capitale, qui résume, qui caractérise le faire des provinces méridionales,
c'est l'église Saint-Trophime d'Arles, terminée en 1152, sous la haute
direction de l'archevêque Guillaume de Mont-Rond. Son portail, dernier soupir
du ciseau grec, fait remonter l'imagination vers les plus belles époques de
l'art ; de l'art agissant sous la puissance de la foi évangélique. On
retrouve là, comme dans les œuvres antiques, un grand naturel d'attitudes,
des draperies simples jetées avec autant de grâce que d'ampleur ; mais, en
même temps, de la dignité, de l'énergie, du sentiment dans les airs de tête ;
un mélange de réminiscences helléniques et de convictions chrétiennes,
heureuse combinaison de l'expression et de la forme. (Gall.
christ., I, col. 561 ; MABILL., Ann. ord.
S. Bened., V, p. 83, 328 ; NICETAS PERIAUX, Stalles de la cath. de Rouen, p. 146.) A la
fin du douzième siècle comme à la fin du onzième, une remarquable activité se
manifestait dans les ateliers de Sculpture du pays messin et de la Lorraine.
Plusieurs incendies ayant dévoré des églises magnifiques, notamment à Verdun,
la population tout entière aidait de ses deniers et de ses bras la
reconstruction des temples consacrés au Seigneur ; croisade artistique, en
tête de laquelle marchent Hérimann, Étienne de Bar, évêque de Metz, Rodolphe,
abbé de Saint-Trudon, Guillaume, prieur de Flavigny, Philippe, abbé
d'Étanche, Garin, désigné dans quelques manuscrits sous le nom de Garini,
etc. Ces trois derniers, qui ne figurent en aucune biographie, s'occupaient
positivement d'architecture et de Sculpture : Cœlaturam ecclesiœ usque ad summum restauravit, est-il dit de Guillaume, quand
il administrait Flavigny ; cælaturam
quoque curiœ reparavit,
ajoute l'auteur de sa vie, en parlant du monastère de Saint-Mansuy. (Hist. brev.
episc. Verdun., ap. D'ACHERY, II, p. 261,
col. 1 et 2 ; ÉMILE BÉGIN, Hist. de
la calh. de Metz, II, p. 279, 280, 299 ; Hist. de Verdun, p. 230,
246, 250 à 259, 265, 269, 276, 282, LXII, XCVIII.) L'Alsace,
ainsi que l'ont fait très-bien ressortir MM. Golbéry et Schweighauser dans
leur intéressant ouvrage sur les antiquités du Haut-Rhin et du Bas-Rhin,
suivait, ou plutôt communiquait aux provinces voisines le mouvement
d'impulsion qui entraînait l'art chrétien vers sa phase la plus brillante.
Nous pourrions désigner, comme témoignage du faire des artistes d'Alsace, les
monastères d'Alpach, de Pairis, et quantité d'églises peuplées de statues ;
mais toutes se résument, toutes semblent s'identifier dans cette imposante
personnification de l'art qui couvre de ses grandes ailes la ville de
Strasbourg et l'Alsace tout entière ; sorte de défi jeté aux artistes
d'outre-Rhin, qui n'ont pu, même à Cologne, atteindre ni cette hauteur, ni
cette multiplicité si variée de figurines. Dans
l'art alsacien ou rhénan, que nous ne confondrons point avec l'art
germanique, généralement plus lourd, la cathédrale de Strasbourg caractérise
plusieurs époques différentes. Bien qu'elle appartienne surtout au treizième
siècle, on peut néanmoins la prendre, dès la fin du onzième, comme point de
départ des travaux qu'exécutait, sous la vigilante somptuosité des Domhern du Dôme, une compagnie de francs-maçons, qui a marqué de ses
signatures hiéroglyphiques les pierres de ce sanctuaire, ainsi que celles qu'elle
a taillées dans la vallée du Rhin, depuis Düsseldorf jusqu'aux Alpes. Les
sculpteurs Volvinus et Rodolphinus, Allemands d'origine, que s'approprient
les Italiens, et qui vivaient dans le onzième siècle, sortaient-ils de
l'école alsacienne ? Nous le croyons, car cette école avait le pas sur les
écoles plus septentrionales, et quand elle empruntait aux artistes de
Byzance, que l'empereur Henri-le-Saint avait appelés près de lui, l'art de
couler et de ciseler le bronze, pourquoi, par réciprocité de services,
n'aurait-elle pas enseigné la taille de la pierre et du bois, qu'elle ouvrait
avec tant d'habileté ? Les portes de la cathédrale d'Augsbourg, le tombeau de
Rodolphe de Souabe, dans l'église de Mersebourg, sont les œuvres triomphales
de la fonte et de la sculpture métallique en Allemagne ; mais on serait
embarrassé d'établir un choix parmi les monuments de pierre, tant ils sont
communs et remarquables d'expression. L'art
flamand, que représente l'église Sainte-Gudule de Bruxelles commencée en
1155, ne date guère d'une époque antérieure au douzième siècle. (WAUTERS, Hist. de Bruxelles, I, 37, 38 ; III, 86.) Il vécut d'emprunts, faits aux
rives du Rhin, de la Moselle, de la Sarre et de la haute Meuse. C'est
principalement le long de ces vallées, comme nous l'exprime M. Bégin qui les
a étudiées, que l'art statuaire se déroule avec les types différentiels qu'on
lui reconnaît dans l'Europe centrale ; le même genre de Sculpture, se
reproduisant, se perpétuant sur le cours de la même eau, véhicule de
matériaux d'origine identique, première condition de similitude et
d'harmonie. Si
maintenant nous jetons un coup d'œil d'ensemble sur la statuaire monumentale
française, germanique et flamande, nous y reconnaîtrons, quelle que soit
d'ailleurs l'influence particulière de telle ou telle école, un type
particulier : bustes allongés, figures calmes, recueillies, pénitentes,
roideur dans les poses, immobilité extatique plutôt qu'élan et animation,
draperies serrées, mouillées, à petits plis, franges ou rubans perlés,
rehaussés de pierreries encastillées. Nous voyons se dresser les statues à
grandes proportions, se multiplier les personnages sur les tombeaux, se
dessiner de longs bas-reliefs ; l'art grec disparaît, sa théorie savante se
laisse dominer par le sentiment chrétien ; la pensée l'emporte sur la forme ;
le symbolisme se fait jour et devient une science. Chez
les nations maritimes, tout se traduit en questions de rivalité et de
jalousie. A peine Venise, la fière Venise, eut-elle relevé son Dôme, que Pise
voulut avoir le sien : plusieurs navires toscans, lancés sur les mers pour
des conquêtes d'un genre nouveau, rapportèrent de la Grèce une infinité
d'antiques, statues, bas-reliefs, chapiteaux, frises, colonnes, fragments divers
; et le peuple d'Europe le mieux organisé peut-être pour bien sentir la
beauté des formes, le peuple toscan fut appelé à s'inspirer des débris que le
vieux monde léguait au monde actuel. L'enthousiasme devint général. En 1016,
l'architecte statuaire Buschetto, regardé comme le premier artiste de
l'époque, reçut l'honorable mission d'élever la cathédrale de Pise. Il
n'hésita point à l'accepter, et quittant Dulichium, son lieu natal, il arriva
bientôt accompagné d'hommes habiles qui l'ont merveilleusement secondé.
L'œuvre fut infiniment remarquable. Les fragments antiques y brillèrent
encastrés ; espèce de testament olographe dont la race des Phidias ménageait
ainsi le bénéfice à ses arrière-neveux. Ceux-ci, élèves de Buschetto, groupés
autour du grand homme, acceptant sa parole et traduisant sa pensée, se
répandirent bientôt dans toute l'Italie, et l'on vit surgir les cathédrales
d'Amalfi, de Pistoia, de Sienne, de Lucques, dont le caractère byzantin
différa du caractère lombard qu'offrait la basilique de Milan. On eût dit
qu'au sein de la terre s'enfantaient les statues, qu'elles arrivaient
taillées sur leur piédestal, et que des cieux descendait le rayon divin qui
les animait, tant elles se multipliaient avec rapidité, tant elles prenaient
d'expression, au point de vue d'où chacun les contemplait. L'art de couler le
bronze, naguère presque inconnu des Italiens, s'y intronisa comme l'art de tailler
la pierre et l'ivoire. En 1198, Pietro et Uberto de Plaisance fabriquaient,
d'après l'ordre de Célestin III, les portes qui décorent la chapelle
orientale de Saint-Jean-de-Latran ; Bonnano de Pise, précurseur de Nicolas,
coulait et ciselait les portes du dôme de Pise, ainsi que celles de l'église
Saint-Martin de Lucques. Quant aux objets d'ivoire, avec diptyques et
triptyques, ils se popularisaient par-delà comme en deçà des Alpes, surtout
depuis la première croisade. Chacun, homme ou femme, voulait avoir un
diptyque, non-seulement sur soi, mais encore dans sa maison, devant son
prie-Dieu ou au chevet de son lit. Ces diptyques, qui remplaçaient souvent
les livres d'heures, étaient d'un travail minutieux et délicat, que la
sculpture chinoise rappelle encore aujourd'hui. On connaît quelques petits
meubles d'ivoire à l'usage du roi Louis IX, bien propres à fixer les idées
relativement au genre des sculpteurs miniaturistes. Quand
le christianisme statuaire prenait un caractère de puissance et d'héroïsme,
incubation d'où résulta peut-être son admirable éloquence, l'art dégénéré
tombait en Orient dans le dernier degré d'abaissement. Constantinople, non
moins inquiète qu'ébranlée, voyait les Turcs Seldjoucides et les Bulgares
faire de nouveaux progrès, et les croisés menacer l'empire ; de sorte que les
empereurs d'Orient, ne songeant qu'à se défendre, négligeaient toutes les
œuvres d'intelligence qu'ils avaient tant aimées. C'en était donc déjà fait
de la Sculpture, le jour où, saccageant l'antique Byzance, les Latins lui
portèrent un coup fatal. Exilé des rives du Bosphore, l'art byzantin alla
dans le mont Athos ; mais ce fut pour y vivre immobile. Un manuel, inspiré
par l'orthodoxie, imposa des lisières aux artistes sculpteurs comme aux
artistes peintres ; de sorte, qu'actuellement encore, dans le christianisme
grec, le sentiment religieux se traduit de la même manière qu'il se
traduisait jadis. A
l'approche du treizième siècle, qui allait être le grand siècle de
l'architecture et de la Sculpture chrétiennes., le monde était prêt pour le
recevoir. Au lieu de tourner leurs regards, comme ils l'avaient fait souvent
jusqu'alors, vers la Grèce ou vers Byzance ; au lieu d'aller puiser en Italie
leurs inspirations, les véritables artistes descendaient en eux-mêmes., et,
s'il leur survenait quelque hésitation ou quelque doute, ils trouvaient
autour d'eux des modèles ; chaque école ayant ses traditions, ses types, ses
maîtres. L'école limousine procédait immédiatement de l'école vénitienne,
depuis que le doge Orséolo, accompagné du moine Romuald, fondateur des
Camaldules, était venu chercher un asile en nos provinces méridionales. Dans
l'érection des cinq coupoles de Saint-Front, aujourd'hui cathédrale de
Périgueux, se trouvait son point de départ. Cette église, qui existe encore
et qui reproduit en petit la célèbre basilique de Saint-Marc, fut elle-même
une espèce de patron, d'après lequel on construisit, dans Périgueux même,
Sain t-Étienne-de-la-Cité ; dans les environs, les églises de Saint-Astier,
de Bourdeille, de Brantôme, de Saint-Jean-de-la-Côte ; au sud du Limousin,
celles de Souillac et de Cahors ; à l'est, celle du Puy ; au nord, l'abbaye
de Solignac ; à l'ouest, la belle cathédrale d'Angoulême, etc. Le long de la
Charente, véhicule des idées gréco-vénitiennes mêlées avec les idées
limousines et périgourdines, apparurent les églises de Jarnac, de Cognac, de
Saintes, etc., véritable musée lapidaire où, parmi quelques noms d'artistes
statuaires, brille celui de Guinamund, auteur d'une partie des sculptures de
Saint-Front, et un des premiers, le premier peut-être qui associa les émaux
de Limoges à quelques-unes de ses compositions. Le
monastère Saint-Michel de Cuzan, près de Perpignan, et plusieurs autres
constructions importantes dans l'ordre religieux, civil et militaire, ayant
eu des Vénitiens pour fondateurs, devinrent les points d'attache de notre
Sculpture méridionale avec la Sculpture de l'Adriatique, avec celle du
Roussillon, du Languedoc et de la Provence. Dans ce
dernier pays, nous en appelons comme témoignage aux portails de Saint-Trophime
d'Arles et de Saint-Gilles d'Aix, qui se rapprochent de l'église de
Saint-Laurent de Gênes, l'action ligurienne se faisait sentir beaucoup plus
que l'action vénitienne, et nous ne savons réellement laquelle de l'école de
Gênes ou de l'école d'Aix empruntait à l'autre. Marseille, dominé par son
mouvement commercial, s'occupait peu des arts. Au commencement du onzième
siècle, l'Aquitaine, le Poitou, l'Auvergne, s'étant trouvés réunis sous
l'autorité de Guillaume V, suivaient la même impulsion, prenaient un
caractère d'identité qui ressort très-bien dans la cathédrale du Puy et dans
cinquante autres églises que nous pourrions citer. La Touraine, le Blaisois,
le Maine, l'Anjou, couverts de sculptures romanes, montraient à chaque pas
les expiations votives du comte Foulques-le-Noir, cet intrépide constructeur
d'églises, et s'enorgueillissaient, à bon droit, d'avoir préféré le grand
style oriental au style déjà défiguré qui résultait des importations génoises
ou vénitiennes. Il y a beaucoup de rapports entre la splendide cathédrale de
Poitiers et les églises de Cunault, de Saint-Aubin d'Angers, de Ronceray, de
Loches, etc. ; entre l'abbaye de Prulliac, construite et décorée par Ecfide,
et le monastère de Saint-Martin de Tours, rebâti, mirifico opere reedificatum, par son archiclave Hérévée.
Dans ces vastes édifices régnait la grande Sculpture, soit qu'elle décorât
les cintres et les voussures, soit qu'elle servît à reproduire l'image de ses
bienfaiteurs, ainsi qu'on le voyait à Loches et à Saint-Serges d'Angers,
œuvre du célèbre évêque architecte Vulgrin. La
Normandie se couvrit d'églises romanes, dont les plus belles portent le
cachet de deux laïques, maîtres francs-maçons, Lanfred et Robert de Bellesme
; tandis que la Bretagne, sa voisine, en comptait à peine quelques-unes.
L'ogive, à son tour, se multiplia, et avec l'ogive apparut un genre de
Sculpture tout autre que la Sculpture byzantine. Ce fut, selon toute
apparence, de l'église de Fécamp, fondée en 1107 par Guillaume de Ros, le
trésor et l'honneur du clergé, que se sont développés parmi l'école normande
les germes de la floraison ogivale. Qu'ils aient été importés de la Pouille
ou de Jérusalem par l'abbé Guillaume de Ros, ou qu'ils aient été, ce qui
semble plus probable, le témoignage du besoin d'innovation qui travaille sans
cesse l'esprit humain, le fait reste le même. Nous n'avons à constater ici
qu'une seule chose, c'est que l'ogive, comme motif, se retrouve en même temps
sur plusieurs points de la France, dans les Vosges, les Ardennes, la
Champagne et le long du Rhin ; c'est qu'après d'éternels emprunts faits à
l'Orient, il devenait tout naturel que des artistes indépendants prissent
autour d'eux des modèles d'ornementation, et qu'ils chargeassent le ciseau de
reproduire les merveilles delà végétation. Examinez, au reste, chaque école
de Sculpture ; comparez les éco :es du nord et du centre à celles du midi de
l'Europe dans les dernières années du douzième siècle, et vous verrez partout
l'ogive entraîner avec elle des ornements accessoires, pris dans les
productions mêmes du pays : au nord, la feuille de chêne, la feuille de
laitue, les pommes de pin ; au midi, la feuille de platane, de vigne et de
laurier. Les écoles de Bourgogne, de Champagne, de Lorraine, de Metz, celles
de l'Ile-de-France, dont nous avons déjà parlé précédemment, se tenaient dans
un système de réserve qui a fait leur gloire ; car, pendant deux siècles, la
statuaire s'y est développée avec ampleur sous des arcs en tiers-points qui
grandissaient et s'élevaient avec elle. L'évêque Yves de Chartres, secondé du
médecin Jean Cormier, dit le Sourd, avait embelli sa cathédrale d'un portail
et d'une rose magnifique, objets d'envie pour les autres diocèses. L'école
alsacienne, au contraire, ne put s'affranchir tout à fait de l'exagération
des naturistes allemands ; le système ogival la séduisit : elle s'égara
quelquefois dans les forêts de pierre qu'enfantait le ciseau ; mais, chose
remarquable, tant que dura l'école byzantine, les artistes alsaciens
montrèrent pour les traditions le plus grand respect. Ne pouvant beaucoup
citer, nous désignerons, à côté de la cathédrale de Bâle déjà nommée, le
Munster de Schaffouse, ce type si remarquable de l'art. L'école de Saint-Gall
se rapprochait de l'école alsacienne ; mais, si l'on en juge d'après le
monastère et l'église de Saint-Grégoire à Constance, élevée par l'évêque
architecte Gebehard, elle avait des tendances d'imitation lombarde : l'église
Saint-Grégoire, où se trouvait, dans la crypte, une chapelle en bois et en
pierre, décorée de sculptures très-décentes, lapideas decentissimè sculptas (MABILL., IV, p. 14) ; plusieurs monuments de
Richenaw, du Pfaitz, et généralement de toute cette partie de la Souabe qui
touche la Suisse, la Bavière, le Wurtemberg et le grand-duché de Bade,
portent le caractère lombardo-germanique, emprunté à nos voisins d'au-delà
des Alpes. Malgré de bien cruelles vicissitudes, la puissante protection des
empereurs n'avait cessé, depuis Othon-le-Grand, de protéger cette école : au
douzième siècle, se trouvaient réunis en communauté, comme, au dixième
siècle, les peintres à Richenaw, les sculpteurs-architectes au Pfaltz (couvent de
Saint-Gall), où le
prince-abbé menait l'existence d'un souverain. Ces moines artistes, qui
comptaient parmi leurs anciens maîtres deux Notker, un Diétard, un Jehan de
Liège, un Odon, prédécesseur du célèbre Guillaume dans l'abbaye de Cluny, un
Ekkehard, etc., jouissaient d'une éclatante réputation : on les décorait du
titre de peritissimus ; on disait d'eux, qu'ils
ennoblissaient les églises par des sculptures, œdificiis nobililant ;
qu'abbés ou pontifes, ils y travaillaient de leur propre main, facultatis suœ laboratione et manuum operatione restaurant. On était même allé plus loin :
on s'était dit que la Vierge seule pouvait inspirer tant d'admirables œuvres,
manum direxisse traditur ; et l'artiste modeste, faisant
volontiers abnégation de son mérite personnel, avait, au fronton de plusieurs
temples, inscrit le nom de Marie comme sculpteur, hoc panthema pia cœlaverat ipsa Maria. Nous
avons signalé la protection des empereurs, dans le mouvement artistique des
siècles antérieurs au douzième. Pour être juste, nous ne devons point oublier
celle de ces monarques hongrois et danois., qui, après avoir pillé, ruiné
quantité d'églises, se convertissent à la religion chrétienne et réparent
autant que possible leurs méfaits ; tel le roi Étienne, qui fit les premiers
fonds de l'église Saint-Pierre de Ravenne. Ce fut principalement en Saxe que
s'intronisa l'art chrétien, et Dresde, l'Athènes allemande, pourrait faire
remonter jusqu'au dixième siècle son illustration architecto-sculpturale. Sur
les bords du Rhin, à Cologne, à Coblentz, à Mayence, nous retrouvons l'école
de Saint-Gall, qui, après s'y être implantée en 971 sous les auspices de
Notker, évêque de Laodicée, marcha pendant deux siècles, à travers une
brillante filiation d'œuvres remarquables. Ces productions du ciseau ayant
perdu, dès la mort de Notker, le reflet des souvenirs lombards, obéirent
exclusivement à la pensée des artistes indigènes, dont les noms mériteraient
d'être connus. L'Angleterre,
justement fière d'elle-même, mais qui ne doit point oublier qu'elle a reçu de
nous l'art sublime dont elle s'enorgueillit, l'Angleterre continuait
d'emprunter à nos monastères, à nos chapitres diocésains, comme elle l'avait
fait dans le septième siècle et dans le neuvième, les artistes-maîtres qui
lui devenaient nécessaires. Ce fut Guillaume, architecte-sculpteur, artifex subtilissimus, qu'on appela de Sens, vers 1176, pour
reconstruire la cathédrale de Cantorbéry, édifice qu'acheva un autre architecte,
parent du premier. Bien d'autres artistes français et normands contribuèrent
à restaurer les abbayes de Croyland, d'York, de Wearmouth, déjà si riches de
sculptures byzantines et françaises ; nos compatriotes travaillèrent
également aux monastères d'Ély, de Collingham, et tel était le zèle des
Anglais pour l'architecture, la statuaire et l'ornementation, que tous les
grands seigneurs y dépensaient des sommes considérables ; que les femmes de
haut parage, posant elles-mêmes une pierre dans l'édifice que l'on
construisait, chargeaient un ouvrier, qu'elles présentaient d'office, d'exécuter à leurs frais, pendant un an,
deux et trois ans, l'œuvre à laquelle leur faiblesse ne pouvait s'associer
autrement. L'Espagne
et le Portugal laissaient voir les traces, les déchirures — qu'on nous
permette cette expression —, résultant d'une lutte aussi longue qu'acharnée
entre deux religions opposées, le christianisme et l'islamisme. En s'emparant
du style byzantin, les Maures lui avaient enlevé son caractère grave pour le
faire concorder avec leur sensualité : ils mettaient de la poésie là où les
chrétiens ne croyaient devoir introduire crue du sentiment ; ils se
préoccupaient des jouissances physiques, de la vie matérielle, et ne
demandaient au sculpteur que des images ou des formes libidineuses, chastes
toutefois, plus chastes que les nôtres, dans ce sens que les pensées, les
actes d'impudeur n'y sont point exprimés, mais que rien de ce qui peut les
provoquer ou les rendre durables ne semble épargné. L'art chrétien dut se
laisser influencer. Nous ne nous permettrons pas de lui en faire un reproche
; ce serait, d'ailleurs, plutôt à l'architecte qu'au sculpteur de le trouver
mauvais, car l'islamisme, ennemi des images, n'a presque composé pour la
statuaire que de brillants encadrements dont elle a profité. Qui verrait les
sculptures des cathédrales de Cuença, de-Vittoria, et certaines parties des
cathédrales de Barcelone, de Lugo en Galice et de Séville, n'oserait trouver
mauvaise l'alliance de l'art chrétien avec l'art mauresque ; cette alliance
pour les monuments civils produisit des chefs-d'œuvre. En Espagne, comme dans
les autres parties de l'Europe, les dignitaires ecclésiastiques étaient
primitivement artistes constructeurs aussi bien que directeurs du spirituel ;
mais, à partir du douzième siècle, on rechercha des artistes laïques, comme
le témoigne un contrat passé entre le chapitre de Lugo et
l'architecte-sculpteur français Raimundus, qui accepte l'œuvre de la
cathédrale, moyennant deux cents solidos, de salaire annuel, et le droit
de survivance pour son fils. Ce dernier n'en jouit pas, puisque ce fut un
Espagnol, Montforte de Lemos, qui acheva le travail en 1177. La
Sicile et le royaume de Naples suivaient le mouvement des autres contrées de
l'Europe ; mais ici encore, se rencontrent plusieurs importations différentes
: les unes grecques, venues de Byzance ; les autres septentrionales, venues
de la Normandie et peut-être aussi de l'Allemagne ; la plupart tirées
d'Espagne., surtout de la grande école d'Aragon. Nous ne rechercherons nulle
part cette chimérique école dite Sarrasine : pour la fixer, pour déterminer
son influence prétendue sur l'art, nous attendrons qu'on nous ait bien fait
connaître en quoi les Sarrasins de Maroc, d'Espagne, d'Italie et de France,
cette écume de toutes les mers, cette boue de toutes les villes, réunis dans
le but de piller, pouvaient mériter de donner leur nom à un système d'architecture
et de Sculpture. Nicolas de Pise, né vers la fin
du douzième siècle dans une ville alors peuplée de maîtres grecs, d'élèves de
ces maîtres et de monuments grecs de tous les âges, dans une ville qu'on
pourrait dire toute grecque, eut le bon esprit, dit Émeric David, de
dédaigner les productions de son temps et de s'élever à la contemplation des
chefs-d'œuvre de la Grèce antique. Cette preuve d'un tact sûr et d'un goût
élevé pouvait faire espérer de sa part des progrès très-marqués. Toutefois,
l'étude prématurée de l'antique ne devait pas le conduire aussi sûrement au
but, que celle de la nature, à laquelle s'appliquèrent Guido de Sienne, son
contemporain, et, quelques années plus tard, Cimabué et Giotto, instruits
peut-être par ses erreurs.
(Essai
hist. sur la Sculpt., p. 27.) L'œuvre de Nicolas, toujours gracieuse, mais créée sous
l'impression d'exemples profanes, n'en est pas moins infiniment remarquable ;
soit qu'il ait appliqué son ciseau à l'immobilité tumulaire, comme dans 1 e
Saint Dominique-Calagora de Bologne (1225 -1231 ) ; soit qu'il l'ait employé
aux figurines, aux frises, aux ogives, aux arabesques de la cathédrale de
Sienne, de l'église Saint-Antoine de Padoue, du sanctuaire des Frari à Venise
; ou bien à l'église San-Marlino de Lucques, dont le portail en marbre fut
achevé par lui en 1233, cent soixante années après qu'on l'eut commencé ;
soit enfin qu'architecte aussi bien qu'imagier, il ait mené de front ses deux
arts dans la charmante église San-Misericordia (1254). Cette œuvre fut une de ses
dernières productions. A Nicolas doit se rattacher, d'une manière
incontestable, la première évolution de la statuaire chrétienne d'Italie ;
mais il eut quelques émules dignes de rivaliser avec lui : tel Fuecio,
constructeur de l'église Santa-Maria-sopra-Arno (1229) à Florence, auteur
d'un magnifique tombeau de la reine de Chypre dans l'église San -Francisco ;
tel encore Marchion d'Arezzo, qui grava son nom, en 1216 : sur le portail de
l'église de cette ville. Giovanni, fils de Nicolas, auteur des tombeaux
d'Urbain IV, de Martin IV, et de la magnifique fontaine de Pérouse, laquelle
coûta cent soixante mille ducats d'or, le même qui sculpta tant de belles
choses à Arezzo, à Florence, à Pistoia, et qui se surpassa dans l'exécution
du Campo-Santo de Pise, le monument le plus remarquable peut-être qu'on ait
en Europe, fut mis, comme sculpteur (par Émeric David et par d'autres
excellents juges), bien au- dessous de son père : on lui reprocha d'avoir
abandonné la manière des Grecs ; or, cet abandon constitue sa gloire, attendu
qu'en négligeant la forme, il sut porter, jusqu'à leurs dernières limites,
l'idéalisme religieux et la puissance de l'expression. Aussi, serons-nous
envers l'Italie plus généreux que le comte de Cicognara, qui, jetant un blâme
sévère sur la Sculpture toscane du treizième siècle, accuse les élèves de
Nicolas de rétrograder vers l'art grossier de ses prédécesseurs. Giovanni de
Pise, et Margaritone, élèves de Nicolas ; André Ugolino, élève de Jean,
contemporain des sculpteurs Agnolo et Agostino de Sienne, et le célèbre
Giotto, né en 1276, qui fut à la fois architecte, sculpteur et peintre, sont
les véritables régénérateurs, nous dirons plus, les créateurs de la statuaire
chrétienne en Italie ; de cette statuaire où brillent à la fois sagesse de
composition, grâce et facilité d'attitudes, naïveté d'imitation, justesse
d'expression, élévation de sentiment, harmonie grandiose d'un style qui
s'élève comme un hymne d'amour et de foi. Grâce
aux ateliers d'Agnolo et d'Agostino, Sienne, petite ville qui rappelle la
Sicyone de l'antiquité, si faible politiquement, mais si savante et si polie,
fut quelque temps rivale de Pise, jusqu'à ce que Florence eût absorbé la
splendeur artistique de ces deux localités. Patrie, terre natale des arts,
Florence devint le nid d'où les artistes prirent leur essor pour se répandre
en Italie, et de l'Italie chez tous les peuples de l'Europe. Venise suivit
Florence, mais ne marcha point son égale ; la constitution marchande de cette
reine de l'Adriatique lui donnait une position d'infériorité relativement au
libre exercice des arts, pour le succès desquels Florence modifia sa
constitution politique en établissant douze confréries indépendantes
qu'unissaient les liens de la piété, du patriotisme et de la gloire. Deux
puissants motifs toutefois entravaient dans cette ville les progrès de l'art
statuaire : d'abord, le gouvernement, se sentant trop faible pour résister à
l'ascendant d'une réputation hors ligne, n'accordait pas de statues à ses
magistrats, ni à ses grands capitaines, tous choisis chez l'étranger ;
ensuite, l'exiguïté du centre d'activité et le manque de ressources forçaient
les artistes les plus éminents à faire différents métiers ; heureux encore, quand
ces métiers avaient quelque analogie avec leur art de prédilection. Un
statuaire distingué était presque toujours entrepreneur de maçonneries,
orfèvre, machiniste, circonstance qui, empêchant l'homme de génie de se
livrer à des éludes indispensables, força la Toscane de demeurer encore
tributaire de la Grèce, qui lui cédait ses premiers artistes. A plus forte
raison, les autres villes d'Italie eurent-elles recours à l'antique berceau
des arts, où la statuaire, exagérant l'expression, tombait dans un défaut qui
décelait sa faiblesse. Excepté quelques maîtres très-rares, les sculpteurs
grecs représentaient leurs personnages avec un regard fixe, des mains
ouvertes, et dressés sur la plante des pieds : con ochi spiritati e mani aperte, in punta di piedi. (VASARI, Prœm.
dell. prima pari. dell. Vit.) Ils respectaient néanmoins les costumes traditionnels du Christ,
des anges et des apôtres, vêtus à l'antique, en robe sénatoriale, et nimbés. Vers la
fin du treizième siècle, les églises de Florence, où se réunissaient les
confréries, et quelques monuments civils se remplirent de sculptures. La
fondation du palais municipal en 1282, celle de la cathédrale en 1298,
devinrent des musées de Sculpture, où, parmi l'œuvre d'artistes étrangers
venus d'Orient, d'Allemagne et de France, se distinguait la main du vieux
Giovanni d'Arezzo, mort en 1320, et du Giotto, mort en 1336, dans toute la
splendeur d'une réputation alors sans égale. Agostino et Agnolo exécutaient
aussi, vers le même temps, de magnifiques ouvrages à l'église Santa-Maria
d'Orvietlo, à l'église San-Francisco de Bologne, à l'église souterraine
d'Assise, etc. Ils excellaient dans le genre tumulaire, en dehors duquel ils
n'ont guère traité que l'ornementation. Andrea de Pise, contemporain du
Giotto, puisqu'il ne mourut qu'en 1345, prit à l'antique tout ce que pouvait
lui emprunter la Sculpture chrétienne ; c'est dire qu'il se posa au point de
jonction de deux sublimités, sublimité de formes, sublimité d'expression. A
Pise, le sanctuaire de San ta-Maria-à- Ponte ; à Florence, la façade, le
campanile et le maître-autel de l'église Santa-Maria del Fiore ; une porte de
l'église San-Giovanni ; dans la cathédrale de Pistoia, le tombeau de Messer
Cino, furent autant de chefs-d'œuvre, sortis de ses mains, au-dessus desquels
néanmoins il plaçait son fils Nino ou Mino. Ce jeune artiste, contemporain
d'Antonio Signorius, l'auteur du monument des Scaliger à Vérone, ainsi que
des deux frères Andréa et Bernardo Orcagna de Florence, tous architectes,
sculpteurs et peintres, devint effectivement le digne continuateur de
l'imposante école qui reconnaissait Andrea pour chef. Jacopo della Quercia,
sculpteur siennois, Nicolo d'Aretino, son contemporain, enrichirent aussi de
travaux grandioses les villes de Sienne, Lucques, Bologne, Florence, Arezzo,
Milan. lis ne laissèrent point la Sculpture déchoir ; mais lorsqu'en 1424 la
tombe se fut fermée sur Jacobo délia Quercia, les hautes destinées de l'art
toscan s'arrêtèrent pour décliner. A Venise, depuis le décès de Filippo
Calendario, arrivé en 1355, la Sculpture avait déjà beaucoup perdu de sa
noblesse et de sa fermeté. Ce coup
d'œil rapide, jeté sur l'œuvre du ciseau dans la partie septentrionale de
l'Italie, doit s'étendre aux procédés techniques de la fonte et de la
ciselure, à l'usage de la céro-plastique ; car André de Pise, et, après lui,
ses élèves, ont rendu leur patrie indépendante, sous tous les rapports, des
moyens de création qu'il fallait antérieurement aller chercher au dehors.
L'habitude de modeler en cire était alors générale ; les orfèvres-ciseleurs,
les sculpteurs composaient ainsi leurs modèles. En 1400, quand le célèbre
Ghiberti fut forcé d'abandonner Florence à cause de la peste, il vécut dans
sa retraite, en exécutant des miniatures avec le stuc et la cire, procédé
qu'ont employé successivement, avec la plus grande habileté, deux autres
Florentins, Leonardo et Lucca della Robbia. La
Sculpture italienne, comme l'a très-bien remarqué Émeric David (Essai
historique),
s'était élevée jusqu'au sublime, en ne recherchant pas autre chose qu'une
imitation exacte et naïve de la nature. Ce fut par les mêmes procédés que la
Sculpture française rivalisa toujours avec la Sculpture transalpine. Mais,
pour atteindre au même but, l'imitation suivit des routes différentes : en
Italie, d'une étude attentive des formes grecques, l'art s'éleva vers
l'idéalisme ; tandis qu'en France, en Allemagne, en Angleterre, la forme fut,
sinon sacrifiée, du moins négligée, quand l'expression, quand le sentiment
l'exigeaient. L'art français fit à l'art byzantin, à l'orthodoxie de la
pensée chrétienne, plus d'emprunts que l'art italien : il parla comme un
verset d'Évangile, il chanta comme un psaume ; aussi, n'introduisit-il pas
dans le sanctuaire du Saint des saints telle ou telle idée anacréontique que
lui eussent inspirée les marbres de l'Hellénie ; son langage fut plein
d'onction ; son éloquence, remarquable d'unité, nonobstant l'infini des détails.
Longtemps encore, malgré l'ogive qui s'élevait presque partout, la Sculpture
française conserva le caractère byzantin, dans les airs de tête, dans la
finesse et l'agencement des draperies ; mais sans cesser de demeurer
elle-même, car les types de ses figures, les modèles de ses ornements, elle
les prenait sur son propre sol. Nos
artistes nationaux n'ont pas eu l'heureuse chance des artistes italiens, dont
Vasari enregistrait la gloire J lorsque cette gloire venait d'éclore et
d'illuminer leur patrie ; en France, on ne s'est guère préoccupé des
sculpteurs indigènes, qu'après des tourmentes religieuses, des révolutions
politiques, qui, sur les œuvres brisées, n'ont laissé planer qu'un vague
souvenir. Mais, grâce aux ouvrages spéciaux d'Émeric David et de Dusommerard,
à ceux de MM. de Caumont, Didron, l'abbé Texier et Bégin ; grâce surtout aux
notes recueillies par M. Bégin dans ses voyages en France, en Suisse, en
Espagne et le long du Rhin, nous allons ouvrir à nos principaux
architectes-statuaires les portes du temple, rempli de leur gloire et vide de
leurs noms. A Rouen, depuis 1201 et jusqu'en 1212, Enguerrand ou Ingelramne
bâtit l'admirable cathédrale et l'église du Bue ; en 1214, un autre maître,
Gautier de Meulan, remplace Ingelramne et termine, après trois années, cette
église du Bue ; en 1211, Robert de Coucy se met à la tête de la phalange
artistique chargée d'élever la basilique de Reims ; Hues Libergier, son
émule, reconstruit, à quelques pas de l'église métropolitaine, l'antique
basilique de Jovin ; en 1220, Robert de Luzarches fait sortir de terre la cathédrale
d'Amiens, continuée, après sa mort, par Thomas de Cormont et par son fils
Renault ; en 1212, Jean, abbé de Saint-Germain-des-Prés, construisait
l'église Saint-Côme de Paris ; Jean des Champs, Joannes de Campis, commençait
en 1248 la cathédrale de Clermont ; les deux Montereau enfantaient des
chefs-d'œuvre, tantôt comme ingénieurs militaires, à la suite de saint Louis,
tantôt comme architectes et sculpteurs ; on travaillait, en même temps, à la
reconstruction de la cathédrale d'Orléans, fondée en 1287 par l'évêque Gilles
Pastayjette ; aux cathédrales de Metz, de Toul, de Verdun, et, dans cette
dernière ville, aux églises de Saint-Paul et de Saint-Vanne, si remarquables
par leurs sculptures ; un artiste inconnu coulait en bronze, dans la
cathédrale d'Amiens, les tombes d'Éberard de Fouilloy (1223), de Geoffroy d'Eu (1237), de Jean, fils de saint Louis,
etc. Un document historique, relatif à l'église Saint-Vanne, démontre qu'à
cette époque les sculpteurs, tailleurs et maîtres de pierre procédaient de
deux manières : ils travaillaient les pierres, tantôt sur place, tantôt avant
de les mettre en œuvre. Dans une révolte du populaire de Verdun contre son
évêque, les insurgés, non contents de démolir, prindrent toutes les pierres d'iceluy lieulx, ensemble toutes les
autres qu'ilz trouvèrent estre desjà taillées et insculpées, pour mettre à
l'ouvraige de l'église, et les portèrent au circuit des murailles de la cité,
pour fortifier icelle, ce qui vint à grande perte et dommaige audict
monastère ; car il y avoit pour plus de trois cents livres de pierres taillées
et insculpées. L'Alsace
ne manifestant pas moins d'ardeur que la France pour le nouveau système
architectural, la Sculpture y prenait un développement analogue :
indépendamment d'une foule de châteaux forts, parmi lesquels nous citerons
seulement ceux d'Échercy, Ribeauvillé, Schwartzbourg, dont l'ornementation
intérieure avait exigé le concours d'artistes habiles ; indépendamment des
portes de Riquevhir et de Colmar, la cathédrale de cette dernière ville,
l'église de Saint-Quirin de Neuss, œuvre de maître Albero, qui en posa la
première pierre en 1209 ; l'église de Ribeauvillé, dont le chœur fut sculpté
en 1254, et beaucoup d'autres édifices semblables, d'une exécution ornée,
couvraient, depuis Bâle jusqu'à Mayence, les pentes vosgiennes et la longue
vallée du Rhin. Une construction colossale, celle de la cathédrale de Strasbourg,
dirigée depuis 1275 par le célèbre Erwin de Steinbach, qui fit également la
charmante église de Thann, marchait avec une rapidité si grande, qu'en 1295
l'architecte-sculpteur en avait terminé le portail et les nefs. Heureux père,
Erwin se voyait renaître dans sa fille, dont le ciseau ne fut point étranger
à la création de cette myriade de figurines qu'on voit accolées autour du
sanctuaire ; maître non moins heureux, il créait une multitude d'artistes
recommandables, en tête desquels se plaça Guillaume de Marbourg, qui mourut
en 1363. Émeric David et M. Bourquelot ne désignent aucun des artistes que
nous venons de nommer. Ils ne paraissent pas avoir connu davantage ce
sculpteur français, appelé Ramus, qui rivalisait en Italie avec les artistes
toscans ; ni cet autre artiste anonyme, qui, venu de Paris sur les bords du
Rhin, bâtissait (1262-1278), dans la collégiale de Wimpfen, près de
Heidelberg, une basilique en pierre de taille et en ouvrage français (opere francigeno). Ils se taisent également sur
Pierre de Bonneuil, tailleur de pierres, qu'un vieil historien a déclaré
maistre de faire l'église de Upsal, en Suèce, qui semble avoir parachevé
l'église cathédrale de Paris, et qui s'en allait outre-mer, en 1287, pour
entreprendre son œuvre capitale. L'élan prodigieux de la Sculpture française
était secondé, sinon pour la grande statuaire qui pouvait s'en passer, du
moins pour la petite Sculpture, par l'institution des confréries, dites de la
Conception Notre-Dame. Dans beaucoup de villes, les tailleurs d'images et les
peintres, les huchiers, les bahutiers ou sculpteurs en bois, en corne, en
ivoire, se trouvaient réunis sous la même bannière. On lit dans le Livre
des métiers d'Etienne Boileau, tit. LXII : Il peut estre paintres et taillères imagiers à Paris, qui veut, pour
tant que il ouevre aus us et coustumes du mestier et que il sace faire, et
puet ouvrer de toutes manières de fust, de pierre, de os, de corne, de y
voire et de toutes manières de paintures bonnes et léaus. Hors de
France, en Allemagne, en Belgique, il existait aussi des confréries
d'artistes, des hans, des gildes, mais organisées différemment, qui avaient, avec celles d'Alsace
et de Lorraine, des rapports tout à fait directs, qui prenaient pour guides
des artistes français reconnus capables, comme le furent deux célèbres
maîtres, qu'on voit attachés en même temps à la construction de l'église des
Saints-Apôtres à Cologne, Wolbéro ou Volbert et Gérard,
architectes-sculpteurs. Ils y ont travaillé, Wolbert depuis 1219 jusqu'en
1248, Gérard depuis 1248 jusques vers la fin du siècle. Nous ne savons si les
églises de Marbourg, de Hain, de Fridberg, de Grunberg (en Silésie) et de Fribourg (en Brisgau), ont dû leur ornementation à
quelque main française ; mais il ne serait pas étonnant que ces premiers
germes de l'école ogivale germanique fussent émanés de la France, et que
l'architecte-sculpteur allemand Jacques de Lapo, qui construisit, dans la
ville d'Assise, en 1227, l'église de Saint-François, se fût inspiré du gothique
français plutôt que du gothique allemand (gothico-tudesco). Ce genre, qu'on appelait les délices des ineptes (deliciœ ineptorum), naissait à peine sur le Rhin
et se voyait repoussé par les dédaigneux sarcasmes des Italiens. Saint-Gall
n'exerçait plus alors aucune influence ; le foyer d'émanations artistiques se
trouvait ailleurs. La
Belgique, adoptant avec intelligence la manière française, décorait de mille
sculptures ses monuments civils, militaires et religieux. Au milieu de cette
profusion d'œuvres insculpées, qu'on rencontre dans toutes les villes, à la
façade de toutes les églises, de tous les hôtels et de la plupart des maisons
bourgeoises de l'époque, il serait difficile d'établir une préférence ; les
cathédrales de Mons, de Bruxelles et d'Anvers, la tour du beffroi de
Bruxelles, méritent surtout d'être signalées. En
Angleterre, l'essor des grands travaux, si multipliés sous les Plantagenet,
s'alanguissait au commencement du treizième siècle : on avait mis quarante
années (1195-1235) à l'exécution de l'église
abbatiale de Saint-Alban ; mais c'était un repos nécessaire, pendant lequel
le style architectural, appelé style en pointe par M. Gally Knigt,
s'introduisait à Cantorbéry (1185), acquérait promptement sa maturité et prenait avec décision les
formes qu'on lui voit dans la cathédrale de Salisbury, commencée en 1221 ;
dans celle de Worcester, fondée en 1224 ; et dans certaines parties
contemporaines des cathédrales de Westminster, de Durham, de Lichfield,
d'York et de Southwell, etc., etc. La
Sicile suivait le mouvement italien, et plutôt encore le mouvement romain ou
papal, qui s'opérait tout à fait en dehors des influences toscanes : les
sculpteurs Guidetto, Belenato, Aldibrando, qui ont exécuté en 1204 et 1233
différentes parties de la cathédrale de Lucques ; l'architecte-sculpteur
Marchione, qui en signait la façade en 1216, et qui, de la même main, la même
année, érigeait le maître-autel de Sainte-Marie-Majeure, à Rome ; Adam de
Arogno, qui sculpta si magnifiquement les fonts baptismaux de S.-Pietro de
Corneto ; les autres artistes, chargés de restaurer, de décorer Saint-Jean de
Latran, à Rome ; la cathédrale de Montereale, près de Naples, etc., sont
d'une école gréco-sicilienne, moins avancée que l'école française dans
l'expression du sentiment chrétien, mais dont l'art espagnol semble avoir
emprunté de préférence les motifs, comme le témoignent la belle église
abbatiale de Val de Dios, en Asturie, les cathédrales de Vittoria, de
Séville, cette merveille de la péninsule ibérique, et le palais du
Buen-Retiro, dont les sculptures principales datent, comme celles des
monuments de Séville et de Vittoria, de la fin du treizième siècle. Pour
donner une exacte idée de toutes ces grandes œuvres, il faudrait les
dessiner, les décrire ; mais notre livre en présente déjà plusieurs fragments
détachés, et qu'ajouteraient, d'ailleurs, nos faibles descriptions aux
consciencieux travaux de tant d'hommes compétents, tels que M. Didron aîné,
qui a fait si bien revivre les sculptures symboliques de Notre-Dame ; tels
que M. Schweigheuser, qui a dépeint la cathédrale de Strasbourg avec la
profondeur d'un archéologue et l'âme d'un poète chrétien ? Nous ne pouvons
qu'effleurer les choses, et c'est à peine si, traversant le quatorzième
siècle, entourés d'objets merveilleux qui nous captivent, nous osons faire un
choix et désigner les sculptures polychromes de Chartres, de Saint-Remy de
Reims, de Saint-Martin de Laon, de Saint-Yved de Braisne, de
Saint-Jean-des-Vignes de Soissons, des Chartreux de Dijon. Dans cette ville
ducale, nous rencontrons, en 1357, un sculpteur célèbre, Guy-le-Maçon ; à
Bourges, vers le même temps, un autre sculpteur, Aguillon de Droues ; à
Montpellier, entre 1331 et 1360, les deux Alamnn, Jehan et Henri ; à Troyes,
Denizot et Drouin de Mantes ; à Sens, Jacques des Stalles, ainsi nommé de
l'œuvre majeure qu'il sculpta dans la chapelle Saint-Laurent de cette ville ;
à Paris, Jehan de Saint-Romain et Jehan Lebraellier, sculpteurs de Charles V
; à Orléans, Girard, qui fait pour le roy ung tableaux de boys, de quatre
pièces. Hors de France, nous apercevons encore des sculpteurs français : en
1343, Mathias d'Arras, qui jette les fondations de la cathédrale de Prague,
et qui suit les développements de ce magnifique vaisseau, jusqu'à sa mort,
arrivée en 1352 ; Pierre de Boulogne, fils de l'architecte-sculpteur Arter,
qui achève cet édifice en 1386, etc. Absorbé que nous sommes par les statues
et les bas-reliefs qui se multiplient sous les porches, dans les niches, à
tous les pendentifs, sur les tombeaux, nous ne pouvons que glisser un regard
distrait sur tant de merveilleuses boiseries, d'imageries en ivoire, de
sculptures mobilières, exécutées par des hommes d'un incontestable talent,
qu'on pourrait distribuer en deux classes bien distinctes, les artistes
normands et les artistes rhénans, dont les imagiers des autres écoles
semblent n'avoir été que les imitateurs. La fin
du quatorzième siècle approche ; les romans envahissent la société ; les
images profanes font concurrence aux images pieuses ; les joutes, les
tournois, aux scènes delà Bible ; l'art chrétien décline, surtout dans la
statuaire. C'est donc avec bonheur que, sur les rives de la Moselle, nous
rencontrons, grâce à M. Bégin qui les signale dans un ouvrage où nous avons
beaucoup puisé, plusieurs architectes-sculpteurs éminents, qui conservent
pures les bonnes traditions de l'art chrétien : le chanoine Polet, mort le 23
septembre 1353, lequel, pour ses mérites
d'artiste, reçut
dans la cathédrale messine une sépulture somptueuse ; maître Pierre Pérat,
constructeur de trois cathédrales, à la fois ingénieur civil et sculpteur,
mort en 1400, et dont l'effigie fut dressée dans la basilique où reposait
déjà Polet ; puis, leurs élèves, Thierry de Sierch et Jacquemin Rogier, mort
le 11 février 1446, dont le ciseau se ressent déjà de la décadence, mais qui
n'en ont pas moins créé de belles choses dans les cathédrales de Metz et de
Toul, ainsi qu'en diverses constructions civiles ou militaires. Pierre
Pérat, un des plus grands maîtres dont la France doive s'honorer, avait fermé
le quatorzième siècle ; une œuvre éclatante, un majestueux concours ouvrait,
a Florence, le siècle suivant. Il s'agissait d'achever les portes du
baptistère Saint-Jean. L'annonce solennelle du concours, fait dans toute
l'Italie, attire les artistes les plus habiles. Sept d'entre eux sont
désignés, sur leur renommée, pour présenter des modèles, savoir : Filippo
Brunelleschi, Donatello, l'orfèvre Lorenzo Ghiberti, tous trois Florentins ;
Iacomo della Quercia, de Sienne, dit de La Fontaine ; Nicolo d'Arezzo,
Francesco de Valdambrina et Simon de Colle, dit de' Bronzi. A
chacun de ces concurrents, la République de Florence accorde une année de
traitement, sous condition que chacun d'eux présentera, à l'expiration du
délai, un panneau de bronze terminé, de la grandeur de ceux dont les portes
de Saint-Jean doivent se composer. On avait pris pour sujet le Sacrifice
d'Abraham, parce qu'il exigeait à la fois des figures nues, des figures
drapées et des animaux. Au jour
fixé pour l'examen des œuvres, les artistes les plus célèbres de l'Italie
sont convoqués. On choisit parmi eux trente-quatre juges, et les sept modèles
sont exposés devant ce tribunal, en présence des magistrats el du public.
Quand, à haute voix, les juges en eurent discuté le mérite, les ouvrages de
Ghiberti, de Brunelleschi et de Donatello furent préférés. Mais auquel des
trois donner la palme ? On hésitait. Aussitôt Brunelleschi et Donatello se
retirent à l'écart, échangent quelques mots, et l'un d'eux, prenant hautement
la parole, s'exprime en ces termes : Magistrats,
citoyens, nous vous déclarons que, suivant notre propre jugement, Ghiberti
nous a surpassés. Accordez-lui la préférence, car notre patrie en recevra
plus de gloire. Il serait plus honteux pour nous de taire notre opinion, que
nous n'avons de mérite à la publier. Ces
portes, auxquelles travailla pendant quarante années Ghiberti, aidé de son
père, de son fils et de ses élèves, devenus tous d'excellents maîtres, sont
peut-être le plus bel ouvrage de la fonte ciselée, dignes,
disait Michel-Ange, de devenir les portes du
Paradis. (VASARI, Vita di Lor. Ghiberti ; V. di Filip. Brunelleschi
; V. di M. Agn. Buonarroli.) A l'époque où Lorenzo Ghiberti, Donatello,
Brunelleschi, et après eux Michelozzo, Francesco di Giorgio, Lorenzo Vecchietto,
Antonio Rossellino, Desiderio da Settignano, Mino da Fiesole, Benedetto da
Maïano, Andrea Verocchio, représentaient l'école florentine, notre école
française produisait aussi ses œuvres : Thury exécutait les tombes de Charles
VI et d'Isabeau de Bavière ; l'Alsacien Claux Sluter, valet de chambre de
Philippe-le-Hardi, sculptait, à Dijon, les admirables figures du Puits de
Moïse, travaillait au tombeau de son souverain, mort en 1404, et, se faisant
aider, tantôt par son neveu Claux de Vousonne, dit Claux de Verne, tantôt par
Jacques de La Barre, multipliait en Bourgogne les œuvres de la Sculpture
monumentale. Un autre Alsacien, R. Walch, enrichissait sa province de
remarquables travaux. En Lorraine, sous l'influence du roi René, artiste
lui-même, qui gouverna simultanément l'Anjou, la Provence, et qui fit en
Sicile plusieurs expéditions militaires ; l'art prospéra, malgré les
désastres de ce bon prince ; mais cet art lorrain semble avoir emprunté bien
peu aux nations voisines. Nous en appelons pour témoignage aux œuvres
multipliées des architectes-sculpteurs Jean-Robert de Tarascon, Nicolas
Goberti, Étienne Le Bourgeois, etc. Dans le pays messin, Iknri de Ranconval ;
son fils, Jehan de Ranconval, et Clausse, gardaient le plus religieusement
possible les traditions de leurs habiles prédécesseurs ; dans la Touraine el
les provinces limitrophes, Michel Columb et sa famille exécutaient le tombeau
de François II, duc de Bretagne ; Jehan Juste, de Tours, celui des enfants de
Charles VIII, comme pour préluder au mausolée de Louis XII, qu'il sculpta, entre
1518 et 1530, dans la basilique de Saint-Denis, tandis qu'un Allemand, Conrad
de Cologne, aidé de Laurent Wrine, maître-canonnier du roi, jetait en fonte
l'effigie tumulaire de Louis XI. En Champagne, brillait Jehan de Vitry,
auteur des stalles de l'église Saint-Claude ; en Picardie, Simon Dadu,
sculpteur en bois comme Jehan de Vitry ; dans le Berry, Jacquet Gendre,
maistre masson et imagier de l'hôtel de ville de Bourges. La Normandie
foisonnait de maîtres huchiers, dont E. H. Langlois a donné une longue liste
dans sa Description des stalles de Rouen. Parmi
tous les artistes français, celui auquel la renommée accordait le plus de
talent s'appelait Antoine Le Moiturier. Il demeurait à
Saint-Antoine-de-Viennois, d'où l'appela Charles-le-Téméraire, pour le
charger, comme le meilleur ouvrier
d'ymagerie, des
tombeaux de Jean-sans-Peur et de Marguerite de Bavière, œuvre d'un singulier
mérite, à laquelle travaillèrent aussi deux Espagnols, Jean de Droguès et
Jean de La Huerta, dit d'Aroca. A la fin du même siècle, Pierre Brucy de
Bruxelles, sorti de cette école qui a fourni les Jacques Gernies, les Van der
Eychen, les Van Boutswort, les Van Nerven, les Van Tiénen et tant d'autres,
exerçait son art à Toulouse ; un artiste éminent, Grant-Jehan, le tailleur
d'imaiges, grant ovrier, dit la chronique, exerçait le sien à Metz, tandis
que Jacques Bachot, Lorrain, dont M. Bourquelot a fait un Bichol
(Champenois), créait des œuvres où respirait encore la naïveté pieuse de ses
devanciers. Il a fait un Sépulcre à Saint-Nicolas-du-Port, un autre à
Pont-à-Mousson, et différents tombeaux, parmi lesquels ceux des princes Henri
de Lorraine, évêque de Metz, et Henri II, seigneur de Joinville. Le génie des
artistes alsaciens respirait dans les magnifiques sculptures de Thann, de
Kaisersberg et de Dusenbach ; tandis que l'Allemagne, devenue tardivement
indépendante, abritait les écarts de son génie sous d'illustres noms : Lucas
Moser, Peter Vischer, Schühlein, Michel Wohlgemuth, Albert Durer, etc. Avec le
quinzième siècle, s'éteignent, dans la statuaire comme dans toute autre chose,
et le sentiment historique et la foi ; l'art, au lieu de grandir en se
généralisant, se rapetisse par la consécration de l'individualisme ; on
proteste contre le Moyen Age ; on veut réhabiliter la beauté des formes et
revenir à l'antique : mais l'expression chrétienne s'échappe, et cette
prétendue Renaissance, dont les esprits les plus sérieux se sont bercés, ne
sert qu'à démontrer les impuissants efforts d'une époque qui veut reproduire
une époque évanouie. Sous Charles VIII, sous Louis XII, l'art lombardo-vénitien,
imitateur maniéré el spirituel du style grec, s'introduisit en France. Il
convenait au vulgaire, il plaisait aux intelligences médiocres, on
l'accueillit ; mais bientôt, de tous les principaux foyers d'écoles
françaises, partirent pour l'Italie des artistes sérieux, tels que le
Languedocien Bachelier, les deux Lorrains Simon et Ligier Richier, l'Alsacien
Valentin Bousch ; Jacques d'Angoulême, qui eut la gloire de vaincre son
maître, Michel-Ange, dans un concours de statuaire, et dont plusieurs
ouvrages sont encore au Vatican ; le Bourguignon Hugues Sambin, le Tourangeau
Jean Juste, le Flamand Jean de Boulogne, et tant d'autres :. Michel-Ange, né
le 6 mars 1474, mort le 14 juillet 1563 sans avoir déchu, plus grand encore
par son génie que par ses œuvres, personnifie la Renaissance. On n'ose dire
que ce soit un âge de décadence : on craindrait de profaner la tombe de
Buonarroti, en accusant ses hardiesses sublimes d'avoir égaré les talents
ordinaires, et l'on n'aime guère à penser qu'entre deux courants d'idées
matérielles, les unes venant d'Italie, les autres partant de l'Allemagne,
l'époque a d'elle-même opéré son suicide. Que pouvait, par exemple, le savant
interprète de Vitruve, Jean Goujon, architecte et sculpteur, comme Michel-Ange
; que pouvait l'infatigable auteur du Livre de Perspective, Jean Cousin, de
Sens, sculpteur et peintre à la fois, comme Raphaël ; que pouvaient Germain
Pilon, François Marchand, Pierre Bontemps, ces aigles de notre statuaire
nationale au seizième siècle, secondés d'une foule d'artistes provinciaux ;
que pouvaient-ils pour s'opposer à la chute de l'art, quand le sol ébranlé
renversait le piédestal chrétien qui avait fait sa grandeur et sa puissance ?
Des tombeaux de l'église de Brou, dessinés par Jean Perréal, exécutés par
Conrad Mait, Humbert Gourat et Michel Columb ; du mausolée de François 11,
sculpté par ce même Columb et sa famille ; du Sépulcre de Saint-Mihiel, drame
sublime rendu avec l'énergie d'une conviction profonde, par Richier ; des
Saints de Solesmey des mausolées de Langey du Bellay et du chancelier de
Birague, par Germain Pilon ; du tombeau de Louis XII, par Jean Juste et Paul
Ponce Trebati ; du tombeau de François 1er, par Pierre Bontemps et Germain
Pilon ; du tombeau de l'amiral Chabot, etc., s'élevèrent encore comme une
dernière émanation de piété sincère et de grandeur dans l'expression de la
foi, mais pour la Sculpture chrétienne, c'était le chant du cygne : le goût, la
mode, tyrans des arts, exigeaient d'elle des compositions profanes, et les
artistes se prêtaient d'autant plus volontiers aux exigences de la mode, que
de nouveaux iconoclastes brisaient alors sans pitié les images religieuses.
Les stalles d'Amiens, dont Jean Rupin fut l'auteur, le jubé de Metz, les
bas-reliefs qu'exécuta Jean Boudin, pour la clôture extérieure du chœur de la
cathédrale de Chartres, les stalles de la cathédrale de Milan et de
Sainte-Justine de Padoue, par le sculpteur rouennais Richard de Taurigny, et
quantité d'autres travaux du même genre sont d'irrécusables témoignages de
l'envahissement du style grec, de son implantation au sein de l'Eglise, et de
son association hybride avec le style ogival. Jean Cousin, Jean Goujon,
Germain Pilon, Bontemps, Bullant, etc., ont adopté le même style ; mais ils
l'ont appliqué surtout à des constructions civiles, comme le Louvre et le
château d'Anet. De p'us, nous leur devons cette justice de dire qu'en
sacrifiant aux exigences du jour et en imitant l'art italien, ils se sont
rapprochés de la grâce naturelle de Raphaël plus que ne l'ont fait les
Cellini, les Primatice, artistes commensaux de François Ier ; qu'ils ont
accommodé le mieux possible l'expression mythologique des anciens à nos idées
modernes, et qu'on leur doit un art français indépendant, dont la filiation
directe s'est opérée jusqu'à nous par les Sarrazin, les Puget, les Girardon
et les Coysevox. JEAN DU SEIGNEUR, Statuaire. |