LES Proverbes appartiennent
essentiellement à la littérature du Moyen Age et de la Renaissance. Ces deux
époques, on le sait, comprennent l'enfance et la jeunesse des diverses
nations de l'Europe. Or, chez ces nations, comme chez tous les peuples
anciens ou modernes, les Proverbes comptent au nombre des monuments primitus du langage. Chacun a dans la
mémoire ces dictons populaires qui composent l'antique sagesse des nations. Le
caractère particulier du Proverbe, c'est la métaphore appliquée dans un sens
moral ; ce sont les qualités et les vices du monde physique opposés à ceux du
monde intellectuel. Ainsi, pour exprimer la fourbe des méchants : Il n'est
pire eau que celle qui dort ; ou bien, pour blâmer une inconséquence de
langage : Trop parler nuit, trop gratter cuit. Tel est le Proverbe : toujours
l'exemple à côté du précepte. Le père Bouhours a observé justement que, contre un proverbe qui demeure dans le propre, il y en a
cent de métaphoriques et de figurés. — Explications de divers termes françois que beaucoup
de gens confondent, etc. Dans
les Proverbes qui ont eu cours pendant le Moyen Age, il faut faire deux
grandes divisions : ceux qui étaient particuliers à tel ou tel peuple, et
ceux qui, appartenant au genre humain pour ainsi dire, ont affecté
différentes formes, suivant le goût, les usages et les langues de ceux qui
les ont employés. Chaque
peuple imprime' aux Proverbes qui lui sont familiers un caractère distinctif.
Chez les Italiens, le Proverbe est spirituel et fin ; chez les Espagnols, il
est hardi, se sert de comparaisons nobles et élevées ; chez les Français, il
est surtout populaire, incisif, moqueur : il ne craint pas de braver les puissants
et les riches ; il affecte une liberté de langage qui va parfois jusqu'à la
licence. En Angleterre, en Allemagne, en Russie, et généralement dans le nord
de l'Europe, le Proverbe est sévère, pédantesque et froid. Il emprunte à la
nature du sol une foule de comparaisons. C'est l'Allemagne qui nous a
transmis, sous une forme moderne, plusieurs Proverbes de l'antiquité. Pour se
convaincre de toute la popularité des Proverbes pendant le Moyen Age, il
suffit de parcourir à grands traits l'histoire littéraire des principales
nations de l'Europe à cette époque, et celle de la France en particulier. On
trouve des Proverbes dans les premiers livres écrits en français. Le mot
Proverbe n'est pas tout à fait aussi ancien. C'est seulement dans le cours du
treizième siècle, qu'il commence à être usité. Avant cette époque, on se
servait du mot respit, un peu plus tard de celui de réprouvier, jusqu'à ce que le proverbium des Latins ait entièrement
prévalu. Le verset 24 du chapitre XIX du premier livre des Rois — Unde et exivit proverbium : Nam est Saul inter prophetas ? — se traduisait ainsi au
douzième siècle : De ço levad une parole
que l’urn soit dire par respit : Est Saul entre les
prophètes ?
Chrestien, de Troyes, commence son roman d'Erec et d'Enide par ce vers
: Li
vilains dit en son respit. Mais
dans la seconde moitié du treizième siècle, l'auteur du roman de Baudouin
de Sebourc, et les fabliers de la même époque, ne se servent plus que du
mot Proverbe. Il ne
faut pas être surpris du rôle tout particulier qu'un poète populaire fait
jouer à Salomon dans la littérature proverbiale. Au Moyen Age, la Bible était
le livre par excellence, celui qu'on étudiait avant tous les autres, et qui
servait de modèle à une foule de compositions. Salomon, comme auteur de la
Sagesse, de l'Ecclésiaste, et enfin des Proverbes, devait servir de modèle
dans cette littérature. La merveilleuse légende, inventée par les rabbins,
recueillie par les chrétiens de l'Orient, qui faisait du fils de David le roi
de la magie, avait, dès le douzième siècle, pénétré parmi nous. Salomon, dans
cette légende, était devenu l'inventeur des lettres syriaques et arabes ; son
pouvoir n'avait pas de bornes : toute la nature, animaux, végétaux, minéraux,
obéissait à sa voix. Quand il voulait traverser le monde, il était porté par
les vents dans les sphères célestes. Enfin, ce prince avait été assez heureux
pour que la reine des fourmis s'arrêtât un jour dans sa main, et s'entretînt
longtemps avec lui sur la sagesse. On comprend qu'avec une telle réputation
le fils de David soit devenu le héros du Proverbe, et que son nom ait été
pris pour le synonyme de la prudence. Par une ironie singulière, mais qui est
bien en rapport avec la littérature populaire de cette époque, Salomon figure
comme interlocuteur dans un dialogue en vers français, dont la plus ancienne
rédaction remonte à la fin du douzième siècle. Salomon et un certain Marcoul,
homme grossier, disent chacun leur Proverbe. Le roi-prophète, fidèle à son
caractère, prononce toujours une grave sentence, de la plus haute morale ;
Marcoul lui répond dans le même sens, mais par un Proverbe populaire qui
rappelle beaucoup la sagesse naïve de Sancho Pansa. Voici un exemple : Qui
sages hoin sera, Ici
trop ne parlera, Ce
dist Salomon. Qui
jà mot ne dira, Grant
noise ne fera, Marcol
lui respond. Ce poème,
divisé en soixante strophes de six vers, porte le nom du comte de Bretagne,
sans qu'on puisse dire si l'un des princes de cette famille en est l'auteur,
ou bien s'il lui est seulement dédié. Des rédactions bien différentes se
trouvent dans plusieurs manuscrits. Celle dont je viens de citer quelques
vers n'est pas la plus ancienne. Il faut assigner ce rang d'ancienneté à une
autre version divisée en cent soixante strophes, de quatre, de trois et de
deux vers. Cette rédaction se distingue par un caractère tout particulier,
celui d'une satire violente contre les femmes et d'une liberté d'expression
portée jusqu'au cynisme. (MÉON, Nouveaux
Recueils de Fabliaux et Contes. Paris, 1823, in-8°, t. Ier, p. 416.) Les Dits de Salomon et de
Marcoul eurent beaucoup de vogue jusqu'au milieu du seizième siècle : on
les cite très-souvent, on y fait aussi souvent allusion. Rabelais, si habile
dans la science des Proverbes, n'a pas manqué de parler de ce dialogue ; il
met ces mots dans la bouche de l'un de ses personnages (Livre Ier,
chap. XXXIII, de Garguanta) : Qui
ne s'adventure n'a cheval ny mule, Ce
dict Salomon. Qui
trop s'adventure perd cheval et mule, Respondit
Marcon. Soit en
latin, soit en français, ce singulier dialogue fut imprimé plusieurs fois à
la fin du quinzième siècle et au commencement du seizième. (BRUNET, Manuel du libraire, t. IV, p. 188.) S'il était permis de hasarder
quelque conjecture au sujet de l'auteur ou de l'inventeur de ce texte à
Proverbes, ne pourrait-on pas dire que c'est dans les écoles universitaires
du douzième siècle qu'il a dû se rencontrer ? Dans ces écoles, on apprenait
par cœur plusieurs ouvrages de Salomon, les Proverbes entre autres. Ce qui
pourrait encore appuyer notre conjecture, c'est que parmi les hommes célèbres
auxquels le Moyen Age donnait le nom de philosophes, se trouvait Marcus, que
l'on représentait tantôt comme le fils de Caton, tantôt comme Marcus Porcius
Caton lui-même. Ainsi peut s'expliquer le nom donné à l'interlocuteur du
roi-prophète. Caton
l'ancien fut aussi, pendant le Moyen Age, regardé comme l'auteur d'un recueil
de préceptes moraux, renfermés dans une série de distiques latins, dont le
véritable auteur est resté inconnu. Ces distiques, cités par Isidore, par
Alcuin, par Abailard et divers docteurs fameux du Moyen Age, servaient à
l'éducation des enfants. Dans la première moitié du douzième siècle, un
moine, nommé Everard, traduisit ces distiques en vers français. Au treizième
siècle, la traduction du moine était oubliée : on en composa plusieurs
autres, aussi en vers français, qui avaient pour auteurs, Adam de Sueil, Adam
de Givenchy, Jehan de Paris et Hélie de Vinchester. C'est principalement dans
les différentes traductions, faites par ces anciens rimeurs, que l'ouvrage du
pseudonyme Dyonisius Caton fut transformé en un recueil de Proverbes. Il
suffit, pour s'en convaincre, de comparer la version d'Adam de Givenchy avec
le texte latin. Chaque fois que l'occasion s'en présente, celui-ci ne manque
pas d'ajouter aux sentences du Caton le Proverbe commun qui s'y rapporte ;
voici comment il traduit ce passage du préambule placé en tète des distiques
: Igitur mea prœcepta ita legito ut
intelliyas ; legere enim et non intelligere negligere est. Se
tu lis livres sace bien Les
quès tu lis et le retien, Et
tout entendes ton affaire ; Car
autrement seust d'esploit faire Li
homme qui list et rien n'entent Com
cil qui chace et rien ne prent. Les
distiques de Caton ont joui, jusqu'à la fin du seizième siècle, d'une
célébrité des plus grandes. Souvent réimprimés depuis l'année 1450 jusqu'en
1533, et même plus tard, ils furent connus à cette époque sous le nom de Mots
de Caton. Ils servent de base à un recueil de Proverbes français des plus
amples. (DUPLESSIS, Bibliographie parémiologique, etc., 1847,
in-8°, p. 137.) Aux
distiques de Dyonisius Cato, il faut joindre un autre recueil qui, sous le
nom de Proverbes aux philosophes, a joui, pendant le Moyen Age, d'une grande
réputation. A cette époque, on donnait le nom de philosophes à certains
personnages célèbres de l'antiquité, parmi lesquels on comptait
principalement des auteurs grecs et latins. Cette dénomination était en usage
dans les écoles, au commencement du treizième siècle. Guyot de Provins, qui
composa un poème satirique sous le titre de Bible, avant 1250, parle
des philosophes anciens qui furent avant les chrétiens. Il dit avoir entendu,
dans les écoles d'Arles, raconter leur vie, leur histoire ; puis, il en donne
les noms ; parmi ces noms, on remarque les suivants : Platon, Sénèque, Aristote,
Virgile, Socrate, Diogène, Ovide, Tullius et Horace. (Voyez cette Bible,
dans les publiés par Méon, t. II, p, 307.) Quelques
ouvrages de ces génies fameux, échappés aux révolutions du Bas-Empire,
servaient, comme de nos jours, à l'enseignement dans les écoles ;
malheureusement, ils ne servaient pas seuls : des écrits sans valeur,
méprisés aujourd'hui avec raison comme apocryphes, étaient souvent préférés
aux chefs-d'œuvre de Virgile et de Cicéron. Aussi, trouve-t-on, parmi les
philosophes, Cligers, Priciens, Stace, et le fameux Dyonisius Cato dont j'ai
parlé plus haut. Le nom de ces philosophes devint populaire dans les écoles,
et à l'aide des ouvrages qui leur étaient attribués, on composa un recueil de
sentences morales en vers qui fut appelé le Dit des Philosophes, ou Proverbes
des Philosophes. Dans les premières rédactions de ces livres de morale, on
peut retrouver encore une imitation, sinon une traduction, des œuvres de
Virgile, de Sénèque ou de Cicéron. Mais à la fin du troisième siècle, quand
les Dits des Philosophes sont tournés en une suite de quatrains, on n'y
trouve plus que des Proverbes plus ou moins vulgaires, précédés d'un nom
célèbre de l'antiquité. Voici, par exemple, celui qui est attribué à Juvénal
: Tant
vaut amour comme argent dure : Quant
argent faut, amour est nule ; Qui
despent le sien folement, Si
n'est amés de nule gent. Au
commencement du quinzième siècle, un magistrat français, Guillaume de
Tignonville, qui, après avoir été chambellan de Charles VI, devint prévôt de
Paris, traduisit, avec des augmentations nombreuses, les sentences morales
attribuées aux Philosophes. Dans cet ouvrage assez étendu, aux noms d'Homère,
de Socrate, de Platon et d'Aristote, se trouvent mêlés des noms tels que ceux
du grand roi Alexandre, de Ptolémée, ou bien encore des noms bizarres et
inintelligibles, comme ceux de Simicratis, de Fonydes, d'Archasan, de
Loginon. Chaque notice, accordée à ces singuliers philosophes, est remplie de
fables extravagantes qui résument assez bien les traditions singulières que
la scolastique avait répandues sur les grands hommes de l'antiquité. Jusqu'ici,
je n'ai fait connaître que la partie scientifique de la littérature
proverbiale française. On y voit déjà quelques traces de cet esprit caustique
et railleur naturel à notre nation. Il faut observer que tout dans cette
partie ne nous appartient pas. On y retrouve des sentences empruntées aux
saintes écritures et aux ouvrages, soit en prose, soit en vers, de quelques
grands génies de la Grèce et de Rome. Il n'en est pas ainsi des trois
recueils de Proverbes que je vais examiner, et qui nous montrent quels
étaient l'esprit et les passions populaires du Moyen Age. Là, rien n'est
imité : le bon sens du vulgaire brille dans tout son éclat et donne beaucoup
de valeur à ces Proverbes originaux. Le titre du premier recueil, et du plus
ancien, en explique le sujet : Proverbes ruraux et vulgaux. C'est une
suite d'environ six cents Proverbes encore usités de nos jours. Malgré le
temps qui s'est écoulé depuis le milieu du treizième siècle, malgré les
changements qui se sont opérés dans nos mœurs, dans nos croyances, dans notre
langage, ces sentences empruntées aux 1 laboureurs et au vulgaire sont encore
à présent dans toutes les bouches. Je dirai plus, la rédaction d'un grand
nombre n'a pas changé ; en voici quelques-uns que j'ai copiés textuellement
dans un manuscrit du treizième siècle : Bonne
jornée fait qui de fol se delivre. — Ki premiers prent ne s'en repent. — Ki
bien aime à tart oublie. — Mieux vaut un tien que deux tu l'auras. — Ki donne
tost il donne deux fois. — D'autrui cuir large couroie. — Il fait mal
éveiller le chien qui dort. — Qui plus a plus convoite. — On oblie plutot le
mal que le bien. — Tant grate chievre que mal gist, — Besoin fait vieille
troter. — Qui petit a petit perd. Ces
exemples suffisent pour faire juger du caractère des Proverbes ruraux.
J'ajouterai que plusieurs de ces Proverbes, sans approcher du cynisme de
langage que j'ai signalé dans les Dits de Salomon et de Marcoul,
ne sont pas exempts d'une certaine rudesse d'expressions qui nous en révèlent
l'origine. Plusieurs
des caractères que je viens de signaler se retrouvent dans une autre pièce du
même genre, dont les manuscrits du treizième et du quatorzième siècle
renferment des rédactions différentes. Cette pièce est intitulée Proverbes
aux vilains ; elle est divisée en strophes inégales de six, de huit ou de
neuf vers ; quelquefois plusieurs Proverbes analogues sont réunis dans la
même strophe, ou bien encore plusieurs vers sont consacrés au développement
d'un seul Proverbe qui se trouve rejeté à la fin de chaque strophe. C'est
encore un recueil de ces vieux adages que le peuple aimait à répéter et qui
l'aidaient à supporter ses souffrances et ses misères. Pour bien comprendre
toute la portée de ces Proverbes, moitié sévères et tristes, moitié
plaisants, mais toujours satiriques, attribués au vilain, il faut être fixé
sur le sens que pendant le Moyen Age on a donné à cette locution.
Généralement, elle était prise en mauvaise part et comme synonyme de lâche,
de poltron, enfin de notre mot canaille. Pour s'en convaincre, il suffit de
rappeler quelques-uns des Proverbes où les vilains sont mis en jeu. Qu'y
trouve-t-on ? haine et mépris : Oignez
villain il vous poindra, Poignez
villain il vous oindra, Villain
affamé demi enragé Villain
enrichi ne connoit pas d'amis. Plusieurs
pièces en prose ou en vers ont constaté tout le mépris qu'entraînait après
elle cette expression de vilain. Une entre autres donne à cet égard les
révélations les plus curieuses ; elle est intitulée : Des XXIII manieres
de vilains. Elle énumère toutes les espèces de vilains que l'on
connaissait au treizième siècle, et leurs caractères différents. On y parle
du vilain babouin qui s'en va devant l'église
Notre-Dame de Paris, regarde les statues des rois qui sont au grand portail
et dit : Voilà Pépin, voilà Charlemagne ; ainsi jusqu'à saint Louis. N'est-ce pas là le badaud de
nos jours ? On y parle encore du vilain prince qui vient plaider pour les autres vilains par-devant le bailli et dit :
Au temps de mon aïeul et de mon bisaïeul, mes vaches furent par ces prés,
nos brebis dans ces plaines. — Les XXIII manieres de vilains, pièce in-8° publiée par
M. Fr. Michel ; Paris, 1833. — Pour les Proverbes aux vilains, voyez CRAPELET, Proverbes et dictons populaires
du treizième et du quatorzième siècles, Paris, 1831, in-8°, p. 169, et notre
Livre des Proverbes français, Paris, 1842, in-12, t. II, Appendices. La
troisième pièce est intitulée Le Dit de l'Apostoile (Le Dit du
Pape), et se
compose de dictons populaires bien plutôt que de Proverbes. C'est une suite
de sobriquets donnés aux villes principales de la France et aux différentes
contrées de l'Europe pendant le Moyen Age. Ces sobriquets, empruntés soit au
commerce, soit aux usages, soit à la position physique de chaque pays,
jettent le plus grand jour sur leur histoire, et, sous ce rapport, le Dit
de l'Apostoile mérite une attention particulière. Dans cette simple
énumération : Concile d'Apostoile, —
Parlements de roi, — Assemblée de chevaliers, — Compagnie de clercs, —
Buveries de bourgeois, — Foule de vilains, on a l'idée de la société féodale et du caractère
des classes diverses qui la composaient, Dans cette pièce, qui nous fait
connaître la qualification particulière aux différentes contrées de l'Europe,
on peut discerner l'état des mœurs, les usages, et parfois le degré de
civilisation de ces contrées. Un bon nombre, de ces dictons populaires
s'appliquent aux provinces ou aux villes principales de la France et donnent
des détails précieux sur la position physique, le commerce, l'industrie, le
caractère spécial de chacune d'elles. Sans nul doute, ce Dit de
l'Apostoile a servi de modèle pour la composition d'une pièce très-rare,
imprimée à la fin du quinzième siècle, et aussi plusieurs fois dans le seizième,
sous le titre de Dit des pays joyeux. — BRUNET, Manuel du libraire, t.
II, p. 110 ; DUPLESSIS,
Bibliographie parémiologique, p. 134. Le Dit
de l'Apostoile peut servir d'intermédiaire entre les Proverbes proprement
dits et les Proverbes historiques qu'on retrouve chez tous les peuples, mais
principalement en France. La différence qui existe entre ces Proverbes et
ceux d'un autre genre est facile à saisir. Tandis que le Proverbe commun consacre
une vérité morale ou vulgaire, le Proverbe historique rappelle un événement
remarquable, singulier, ou un homme célèbre à quelque titre que ce soit, ou
bien encore il fait allusion au caractère physique et moral d'un pays, d'une
province, d'une ville. Ce sont comme des annales populaires destinées à
graver dans la mémoire de chacun les principaux faits de l'histoire. Quand on
cherche à connaître la véritable origine de ces Proverbes, elle échappe ;
seulement on s'aperçoit qu'ils remontent plus haut qu'on ne le pensait
d'abord. Voici un exemple : A propos de la moutarde de Dijon, ouvrez le
premier venu de ces recueils d'anecdotes ou de Proverbes qui se publient
chaque année, vous y lirez que les habitants de Dijon, ayant équipé à leurs
frais mille hommes d'armes, les envoyèrent, en 1388, au duc Philippe le
Hardi, occupé à conquérir la Flandre ; qu'en récompense de ce service le duc
accorda aux habitants de Dijon la permission de porter ses armes avec la
devise : Moult me tarde ; mais comme dans cette devise, écrite sur un
drapeau, il arrivait quelquefois que la syllabe me se trouvait cachée, on
lisait moutarde. De là serait venu ce sobriquet appliqué à la ville de Dijon.
Mais ce qui doit faire douter un peu de la réalité de cette anecdote, c'est
que l'on trouve dans le Dit de l'Aposloile, composé à la fin du
treizième siècle : moutarde de Dijon. Il en est ainsi pour les anguilles ou
Languille de Melun, et pour ce Proverbe si connu : Faute d'un point Martin
perdit son âme ou son âne. (Voyez notre Livre des Proverbes français,
t. II, p. 42-44.) Les
Proverbes historiques relatifs à la France sont nombreux. Pas de provinces,
de villes, de bourgs, de localités des plus minces, qui n'en aient produit
quelques-uns ; on en compte six sur les Flamands, cinq sur les Gascons,
dix-huit sur les Normands et la Normandie, douze sur Orléans, trente sur
Paris, etc. Les
Proverbes historiques relatifs à des noms propres sont très-connus. Il n'est
personne qui, en cherchant dans sa mémoire, ne s'en rappelle quelques-uns.
Pour la France, on peut les diviser en deux catégories : ceux qui ont rapport
à des noms propres de tous les temps, de tous les pays ; ceux qui
appartiennent au blason. Un bon nombre des devises héraldiques ne sont que
d'anciens Proverbes appliqués au nom des grandes familles : Le
bois est vert et les feuilles sont Arces. A
tout venant Beaujeu. Maille
à maille se fait ï’Aubergeon. Bonne
est La Haye autour du Bled. Un
certain nombre de dictons populaires se rapportent à la Noblesse de chacune
de nos provinces ; pour la Bourgogne : Riche
de Chalons, Noble
de Vienne, Preux
de Vergy, Fin
de Neufchâtel, Et
la maison de Beaufremont, D'où
sont sortis les bons barons. Pour le
Dauphiné : Arces,
Varces, Grange et Comier : Telles
regarde qui ne les ose toucher ; Mais
gare la queue des Alleman Et
des Berangiers. Pour la
Bretagne, dans l'évêché de Léon : Antiquité
de Penhœt, Vaillance
des Chastel, Richesse
de Kerman, Chevalerie
de Kergournadec. Pour
l'Angoumois : Paulre,
Chambres et Tisons Sont
d'Angoulesme les anciennes maisons. Les
Proverbes de cette nature ont beaucoup d'intérêt ; ils rappellent une
civilisation qui n'est plus ; ils s'élèvent à toute la hauteur de l'histoire.
— Le père MENESTRIER, l’Origine des Ornements, des Armoiries.
Lyon, 1680, in-12, p. 232, chap. XI, De l'Origine des Devises, des
Armoiries. Quant
aux Proverbes relatifs aux noms propres, qui n'appartiennent pas au blason,
ils sont très-variés, et se rapportent à des hommes de toutes les époques et
de toutes les conditions. Ils affectent un caractère particulier, celui de la
satire et de la moquerie : Vieux
comme Hérode. Hippocrate
dit oui et Gallien dit non. Quelquefois
le bon Homère sommeille. Presque
toujours cette sorte de Proverbes fait allusion à un trait historique bien
connu : Ce n'est plus le temps que la reine Berthe filait. Tout
ce que dépense Oger
appartient à Charlemagne, Par
allusion à la révolte de ce paladin contre l'empereur d'Occident. Bourbon
marche devant. Dernier
mot du connétable, au moment où il fut tué devant Rome. Le
sermon de Calvin a fait gronder le canon. En
lisant les ouvrages de tout genre écrits en français depuis la fin du
douzième siècle jusqu'à celle du quinzième, il est facile d'y reconnaître
l'emploi fréquent des Proverbes communs. Non-seulement les auteurs de romans
d'amour, de contes et de fabliaux, les citent à tout propos, mais encore ceux
qui se livrent à la composition d'œuvres plus sérieuses, comme les vies des
saints, les chansons de geste, les chroniques, soit en prose, soit en vers,
ne dédaignent pas d'en faire usage. Chrestien de Troyes commence ainsi le
roman de Perceval, une de ses compositions les plus graves, puisqu'elle
contient le récit de la recherche du Graal, ce vase sacré dans lequel
Jésus-Christ, dit-on, célébra la Cène (Bibl. Nation., fonds Cangé, Ms. n° 73) : Qui
petit seme petit cuell, Et
qui auques recoillir velt, An
tel lieu sa semance espande, Que
rruit à cent dobles li rande ; Car
en terre qui rien ne vaut, Bonne
semance y seche et fault. Le même
poète commence aussi par un proverbe le roman d'Érec et Enide (Bibl. Nat., F.
Cangé, Ms. 73) : Li
vilains dist en son respit, Que
tele chose a l'en en despit, Qui
mult valt mielx que l'on ne cuide. A la
fin du treizième siècle, l'auteur du roman de Bauduin de Sebourc, qui se
donnait pour le continuateur d'une des plus célèbres chansons de geste du
Moyen Age, celle de la prise d'Antioche et de Jérusalem, terminait par un
proverbe chacune des strophes de son poème — Li romans de Bauduin de Sebourc,
IIIe Roy de Jerusalem, poème du quatorzième siècle, etc. Valenciennes,
1841, 2 vol. in-8°. L'usage
de commencer ou de finir une œuvre poétique par un Proverbe était général au
Moyen Age. Les trouvères ont adopté cette forme dans leurs contes et leurs
fabliaux : les auteurs du roman du Renard et du roman de la Rose, ainsi que
Marie de France, dans ses lais comme dans ses fables, leur en avaient donné
l'exemple. Les
chroniqueurs ont employé aussi les Proverbes. Parmi ceux du treizième et du
quatorzième siècle, il en est deux principalement qui ont multiplié ce genre
de citations. Le plus ancien est l'auteur anonyme d'une chronique en prose,
qu'on a surnommée Chronique de Rains, parce qu'il y est souvent
question de l'histoire de cette ville. Écrivain populaire, si jamais il en
fut, l'auteur de cette chronique a recueilli quelques-uns des faits les plus
curieux, les plus dramatiques, sinon les plus certains, des règnes de
Philippe-Auguste et de saint Louis. C'est principalement pour terminer le
récit d'un fait important, que le chroniqueur emploie ces dictons populaires,
qui donnent à son style une physionomie toute particulière. Ainsi, après
avoir raconté la fin tragique de Henri Ier, roi d'Angleterre, il ajoute que
ses serviteurs voulurent faire croire que leur maître était mort subitement :
il n'en fut pas ainsi, ajoute le chroniqueur, car celé çou que maisnie scait n'est souvent mie — on ne peut cacher ce que toute une maison connaît. De même, en parlant du roi
d'Espagne, qui avait l'imprudence de s'attaquer à Richard Cœur-de-Lion, il
rappelle ce Proverbe que les auteurs du Moyen Age aimaient beaucoup : Tant grate ehievre, que mal gist. Enfin, comme les jongleurs et
les romanciers, il cite plusieurs fois les Proverbes au vilain, quand il raconte
que Philippe-Auguste, qui chevauchait, n'ayant avec lui que sa maison, n’était
pas sur ses gardes, parce qu'il croyait le roi Richard en Angleterre, le
chroniqueur ajoute : Mais le vilain dit en
son Proverbe : qu'en un mui de quidance n'a pas plain pot de sapience. — La Chronique de Bains,
publiée sur le manuscrit unique de la Bibliothèque du Roi, par Louis PARIS,
Paris, 1837, in-8°. Le
second chroniqueur est moins ancien ; il se nommait Godefroy de Paris ; il a
composé en vers français une histoire qui comprend la meilleure partie des
règnes de Philippe te Bel et de ses fils. — Chronique métrique, publiée
par Buchon. Paris, 1827, in-8°. — Il possède au plus haut degré l'esprit
moqueur et léger des enfants de la bonne ville, et se montre toujours disposé
à saisir le côté ridicule des événements les plus sérieux. Sous l'année 1301,
parle-t-il du comte de Nevers et de ses menées secrètes pour enlever des
alliés au roi de France, il ajoute que Philippe le Bel en fut bientôt
instruit, car, dit-il, Mal
se queuvre à qui le cul paroit, Plus
loin, parlant de la défaite des Flamands à Courtray et de leur espoir déçu,
il ajoute : Car
tel cuide l'autrui avoir, Qui
perd son corps et son avoir. Du
quatorzième au quinzième siècle, c'est surtout dans les poésies populaires
que les Proverbes sont employés. Continuateurs des trouvères, les poètes de
cette époque aimaient à mêler ces vieux adages à leurs compositions. Vers
1381, une complainte en vingt-deux couplets fut composée contre Hugues
Aubriot, prévôt de Paris, par les écoliers qui se vengeaient ainsi de ses
sévérités à leur égard. Un des Proverbes ruraux et vulgaux termine chaque strophe. En 1449, Alain Chartier écrivit dans le
même genre une ballade contre les Anglais, au sujet de la prise de Fougères ;
quelques années auparavant, une pièce semblable avait été faite lors du siège
de Pontoise. Au commencement du quinzième siècle, une femme illustre par les
nombreuses compositions en prose et en vers qu'elle nous a laissées,
Christine de Pisan, lit grand usage des Proverbes ; mais, fidèle au caractère
sérieux et pédantesque qui domine tous ses écrits, ce sont plutôt les
sentences des anciens philosophes qu'elle aime à reproduire, que les
Proverbes communs, répétés par le peuple. Elle est auteur d'un ouvrage en
quatrains, auquel elle a donné le titre de Proverbes moraux ; elle l'a
composé exprès pour l'éducation de son fils. Plusieurs poètes du quinzième
siècle, célèbres dans nos annales littéraires, ont aimé à faire usage des
Proverbes dans leurs rimes. Je citerai seulement Pierre Blanchet, auteur du Pathelin,
Charles d'Orléans, Pierre Gringore et Villon. Qui n'a
lu ou vu représenter cette comédie éminemment française de Pathelin, l'avocat
nécessiteux et fripon, qui, après avoir trouvé moyen de voler une pièce de
drap au marchand Guillaume, parvient, à force de roueries, à mettre le juge
de son côté, et finit par être lui-même la dupe d'un berger qu'il avait stylé
à mentir ? Cette excellente comédie, écrite au plus tard dans les premières
années du quinzième siècle, abonde en Proverbes vulgaires, qui n'ont
peut-être jamais reçu une meilleure application. Plusieurs mots qui s'y
trouvent sont devenus Proverbes ; par exemple : Il en revient toujours à ses
moutons, allusion au berger qui, à propos du drap volé, revient toujours aux
moutons morts de la clavelée. Enfin, le mot de palelinage est encore, dans
notre langue, le synonyme de tromperie. — Voyez la Farce de maistre Pierre
Pathelin, avec son Testament, à quatre personnages. Paris, Coustelier,
1762, petit in-8° ; les éditions originales sont décrites dans le Manuel du
Libraire, t. III, p. 653. — Charles d'Orléans n'a pas dédaigné dans ses
poésies l'emploi des Proverbes communs. Il
choisit principalement ceux qu'il croit les plus vulgaires : Jeu
qui trop dure ne vaut rien. Il
convient que trop parler nuise, Ce
dit-on, et trop grater cuise. Chose
qui plait est à moitié vendue. L'habit
le moine ne fait pas. Une des
plus jolies ballades de ce poète a pour refrain cet adage : Encore est vive
la souris. Dans l'emploi qu'il a fait des Proverbes, il a su mettre le choix
et le bon goût qui distinguent tous les vers qu'il nous a laissés. Le même
art ne se rencontre pas dans les ouvrages de Pierre Gringore, un des poètes
les plus féconds du quinzième siècle. Il aime beaucoup à citer des adages et
des Proverbes de tout genre ; souvent il abuse de ce genre de citations. Non
seulement Gringore en a composé un recueil assez complet, disposé en
quatrains, mais il les a multipliés dans ses nombreux ouvrages. Ce genre
d'ornements brille surtout dans une satire en vers contre tous les états, que
le poète a intitulée : Contredits de Songecreux. Il emploie, de préférence,
les Proverbes communs : En
chiens, oiseaux, armes, amours, Ce
dit-on en commun langage. Pour
un plaisir mille doulours, Et
chascun le voit par usage. Il
déploie contre le mariage et les femmes une verve intarissable et se plaît à
commenter les Proverbes sur cette matière : Le vulgaire
des gens ruraux Si
dit que l'homme a en sa vie Deux
adversités ou grans maux : L'ung
est si quand il se marie, Car
dès lors a peine infinie ; L'autre
est quand il se rompt le col, Qui
est meilleur, je vous affie, Que
soy marier comme ung fol. Il termine
son fameux livre des Contredits par une diatribe dont voici quelques traits : Quem
conjux diligit, odit, Ce
dit Caton ; c'est la manière De
contredire à tout bien dit. Femme
est l'ennemy de l'amy, Femme
est péché inévitable, Femme
est familier ennemy, Femme
deçoit plus que le dyable. Femme
est tempeste de maison. Femme
est des serpens le serpent, Femme
blandit (caresse), femme oingt et poingt, Femme
gaste le firmament Et
deffait ce qu'on faict à poinct. C'est
un fait digne de remarque, que l’animosité et le mépris de la littérature
proverbiale à l'encontre des femmes. Sur deux cents Proverbes ou maximes qui
les concernent, un bien petit nombre leur est favorable, tandis que la
meilleure partie abonde en traits de satire des plus sanglants. Ce résultat
est triste, quand on se rappelle que les Proverbes ont été surnommés la
sagesse des nations ; mais il ne faut pas oublier que le temps a mêlé
beaucoup d'ivraie aux bons grains. La
supériorité de Villon sur ses contemporains ne l'a pas abandonné dans l'emploi
fréquent qu'il a fait des Proverbes. L'ingénieux poète, enfant de Paris,
élève de son Université fameuse, hôte habituel des tavernes et de la Cour des
Miracles, connaissait bien les Proverbes, non pas ces sentences pédantesques,
ces mots dorés, comme on les appelait alors, dont Gringore et les ennuyeux
rimeurs de son école surchargeaient leurs écrits, mais les Proverbes ruraux et vulgaux dont j'ai parlé précédemment,
et qu'il savait choisir comme des exemples propres à éclaircir sa pensée. Un
des chefs-d'œuvre de Villon, cette charmante ballade où il demande ce que
sont devenues les dames du temps jadis, se termine par un vers qui est cité
souvent comme un Proverbe : La
royne Blanche comme un lys, Qui
chantoit à voix de sereine ; Berthe
au grant pied, Bietrix, Alix, Aremburgs
qui tint le Mayne, Et
Jehanne, la bonne Lorraine, Où
sont-ils, Vierge souveraine ! Mais
où sont les neiges d'antan (de l'an passé) ? Villon
a écrit toute une ballade avec les Proverbes communs. Voici la première
strophe qui contient les principaux : Tant
grate chevre que mal gist ; Tant
va pot à l'eau qu'il brise ; Tant
chauffe-on le fer qu'il rougit ; Tant
le maille-on qu'il debrise ; Tant
vault l'homme comme on le prise ; Tant
s'esloigne-il qu'il n'en souvient ; Tant
mauvais est qu'on le desprise ; Tant
crie l'on Noël qu'il vient. Avec la
seconde moitié du quinzième siècle commence à se développer parmi nous un
genre de littérature où les Proverbes devaient être d'un bien fréquent usage
; je veux parler des contes, des nouvelles, et de ces productions
singulières, connues sous le nom de facéties. Il existe aussi plusieurs
romans d'amour et de chevalerie de la même époque, dans lesquels nos Proverbes
communs sont souvent cités. Je nommerai, entre autres, le Roman du Jouvencel,
par Jean de Beuil, curieux mémoire d'un brave chevalier qui avait fait les
guerres du règne de Charles VI et de Charles VII, et qui se complaît à
raconter longuement ce qu'il a vu ou ce qu'il a entendu dire. Il mêle à son
style franc et hardi, et qui sent bien son gentil homme, les proverbes qui
avaient cours parmi les hommes de guerre de son temps. Je nommerai encore
l'histoire du Petit Jehan de Saintré, dont l'auteur, Antoine de la Sale, a
fait preuve d'une si grande habileté de style et d'une connaissance très-étendue
de la littérature des Proverbes. Il en cite beaucoup dans ce livre ; mais il
en donne un plus grand nombre dans deux ouvrages, qui ne portent pas son nom,
et dont il est regardé comme le principal auteur ; je veux parler des Quinze
joies du mariage et des Cent nouvelles nouvelles. La nature du
sujet, la manière dont il est traité, devaient nécessairement amener sous la
plume de l'écrivain une foule de locutions proverbiales. Son principal mérite
consiste dans la manière dont il a su les mêler à son récit. Sous ce rapport,
il a déployé autant d'art dans sa prose, que Villon en a montré dans ses
poésies. — Voyez, au sujet du Petit Jehan de Saintré et des Quinze
joies de mariage, l'introduction des Cent nouvelles nouvelles,
édit. de 1841, 2 vol. in-12, et l'édition des Quinze joies de mariage,
publiée chez Techener, en 1836. — Comme on le voit, les auteurs du seizième
siècle, si habiles dans la science des Proverbes, n'ont pas manqué de
modèles, et Clément Marot, Antoine de Baïf, Rabelais, Noël Dufail, Henri
Estienne et les auteurs de la Satire Ménippée, n'ont fait que suivre la trace
de leurs habiles devanciers. Si de
la France nous tournons nos regards vers les autres pays de l'Europe, nous
remarquerons que pendant le Moyen Age la littérature proverbiale a été aussi
originale que féconde. En Angleterre, par exemple, si nous trouvons la langue
et la littérature françaises cultivées presque exclusivement depuis le douzième
siècle environ jusqu'au milieu du quatorzième, nous découvrons aussi des
Proverbes anglo-saxons conservés dans les plus anciens monuments de la langue
anglaise, qui ont survécu à l'invasion normande. — Voyez un recueil publié à
Londres, de 1841 à 1843, par M. Thomas Wright, sous le titre de Reliquiæ
Antiquæ, etc. — Depuis le quatorzième siècle, tous les ouvrages de la
littérature anglaise abondent en Proverbes nationaux ; le caractère en est
singulier : ils sont remplis de cet humour qui n'appartient qu'aux habitants
de la Grande-Bretagne. Comme tous les peuples à physionomie très-marquée, les
Anglais empruntent à leurs habitudes particulières quelques-uns de leurs
Proverbes : Si on savait ce qui doit
renchérir, on n'aurait pas besoin d'être marchand plus d'une année. — Silence, le plus bel ornement de la femme. — Toutes nos
oies sont cygnes. — Les chats ont neuf vies, les femmes en ont dix. — Echange
n'est pas vol. — Dieu nous envoie la viande, et le diable les cuisiniers. —
Salomon était bien sage et Samson était bien fort ; toutefois ni l'un ni
l'autre ne pouvaient payer argent avant que de l'avoir. — Où la haye est
basse tout le monde passe. — Le diable fait son pâté de Noël des doigts de
notaires et des langues d'avocats. (J. HOWELL, Lexicon
Tetragloton, Lond. 1660, 1 vol. in-f°., au mot Proverbes.) L'Italie et l'Espagne sont avec
la France les pays de l'Europe où les Proverbes ont été le plus fréquemment
employés. La littérature de ces deux nations est presque aussi riche que la
nôtre en ouvrages sur cette matière. Les
prosateurs et les poètes ne furent pas les seuls, au Moyen Age, à faire usage
des Proverbes. Chevaliers, bourgeois, artisans les avaient souvent à la
bouche. Ils figuraient sur les meubles, dans les tapisseries ou les tableaux
; quelques-uns servaient d'enseignes : un libraire de Paris, au quinzième
siècle, avait adopté le Proverbe de l'Etrille-Fauveau. Entre
les plus curieux monuments en ce genre, est un admirable recueil de dessins à
la gouache, exécuté pour le connétable de Bourbon dans les dernières années
du quinzième siècle. Au nombre des emblèmes de toute nature, renfermés dans
ce recueil, qui fait partie des Mss. de la Bibliothèque nationale (Fonds La
Vallière, n° 44),
se trouvent soixante et un Proverbes très ingénieusement figurés. Celui que
l'artiste a intitulé Margaritas ante Porcos est représenté par plusieurs pourceaux
renversant un panier de fleurs, avec ce distique : Belles
raisons qui sont mal entendues Ressemblent
fleurs à pourceaux estendues. Je
signalerai encore parmi les compositions les plus remarquables : Tant va le pot à l'eau qu'il brise. — Tel refuse qui après
muse. — Il faut voler bas par les branches. Mal sur mal n'est pas santé. — En
forgeant on devient forgeron. — Battre le fer pendant qu'il est chaud. —
L'habit ne fait pas le moine. — A petit mercier petit panier. — Le pain aux
folz est le premier mangé, etc. Un quatrain renfermé dans un cartouche explique chaque
sujet. Ce précieux recueil, qui ne fut achevé qu'après la mort du connétable,
comme nous l'apprend une inscription en vers placée au bas de son portrait
équestre, en costume de bataille, prouve que cet illustre capitaine, à l'exemple
du roi Salomon, ne dédaignait pas de s'occuper de Proverbes. LE ROUX DE LINCY. |