HISTOIRE DE LA GAULE

TOME V. — LA CIVILISATION GALLO-ROMAINE. - ÉTAT MATÉRIEL.

CHAPITRE II. — GROUPEMENTS HUMAINS ET LIEUX BÂTIS[1].

 

 

I. — PROGRÈS DE LA VIE URBAINE.

Après avoir examiné les hommes, regardons la place de leurs foyers et la nature des édifices qui leur sont destinés. C’est en voyant les lieux bâtis et les demeures groupées que nous serons le plus frappés des changements apportés à la Gaule par l’Empire romain.

Cet Empire était l’apothéose de la ville[2], c’est-à-dire de la double puissance que forment un groupement éternel de foyers humains et un ensemble de bâtisses sacro-saintes. Rome, qui commandait à cet Empire, c’étaient des milliers de maisons rapprochées, toutes pleines d’hommes, et c’étaient aussi d’autres demeures solides pour abriter les maîtres du jour, Capitole de Jupiter, Curie du sénat, palais du prince, amphithéâtre de la plèbe. La civilisation que propageait cet Empire, qu’elle vînt d’Italie ou de Grèce, sortait d’une origine municipale : dieux, images ou poésie, science, industrie ou négoce, c’était à de grandes villes de pierre, de brique et de marbre qu’on en était redevable, Rome ou Capoue, Athènes ou Carthage, Antioche ou Alexandrie. Il en résulta que la Gaule, inspirée par ces modèles, se laissa naturellement entraîner par le désir de la vie urbaine et par la passion de bâtir.

Ce désir était déjà né chez elle dans les derniers jours de l’indépendance, sous l’influence de Marseille[3] et de l’Italie ses voisines, d’usages plus pacifiques, de richesses plus grandes. Mais au temps des empereurs, tout contribua à le rendre plus intense et à le réaliser.

La loi imposa à chaque peuplade une capitale, résidence des magistrats et centre de la vie publique. La contagion de l’exemple fit que ces capitales, Lyon, Narbonne, Autun ou Bordeaux, s’accrurent et s’enrichirent à la façon de Rome. Les mœurs en s’adoucissant y attirèrent les hommes, riches ou pauvres, oisifs ou laborieux : les lins y trouvèrent plus de moyens de gagner leur vie, et les autres de dépenser leur fortune. C’était à la ville qu’on rencontrait les plus beaux temples, les jeux les plus riches, les maîtres les plus fameux. Rome, en bâtissant ses colonies, telles que Lyon ou Narbonne, proposait aux Gaulois un idéal de vie commune. Dès le temps d’Auguste, les autres capitales gauloises, Vienne, Autun, Reims. Bordeaux, se développaient à l’instar de ces modèles. Les grands quittaient sans regret leurs fermes rustiques pour les vastes et élégantes demeures qu’ils se faisaient bâtir le long de rues passagères[4], et bien des paysans les suivirent, échangeant leur rude labeur pour les sportules ou les métiers des villes. Quant aux étrangers, marchands, industriels, artistes et débitants de toute sorte, ils savaient que la fortune se laisse maîtriser surtout dans les cités populeuses.

Aussi les progrès des villes gauloises furent-ils très rapides, comparables, je ne dis pas à la prodigieuse naissance de celles d’Amérique (le monde antique ne vit rien de pareil), mais à la croissance des cités industrielles et commerciales de l’Europe depuis les années de la Restauration[5]. Lyon, qui ne faisait que de naître sous Auguste, était, cent ans après, célèbre dans le monde entier[6] et le chiffre de sa population se rapprochait de deux cent mille âmes[7]. Le plus près d’elle, mais assez loin, croissaient Narbonne[8], Nîmes[9], Arles[10], Vienne[11], Autun[12], celles-là héritières d’un long passé de travail et de puissance, Trèves[13], Cologne[14], Mayence[15], celles-ci produits nouveaux de la vie militaire des frontières : c’était le groupe des villes de second ordre, qui pouvaient renfermer de quatre-vingt à cent mille êtres, plus ou moins. Derrière elles s’élevait l’ensemble plus nombreux des moindres colonies du Midi, Toulouse, Aix, Béziers, Orange, Fréjus[16], et des bonnes cités du Centre et de l’Ouest, Bordeaux, Reims, Sens, Saintes, Poitiers[17], dont on peut chiffrer l’effectif entre quarante et soixante mille hommes[18]. Les grandes villes étaient plus rares au nord : ni la Normandie ni la Bretagne ni la Flandre n’en renfermaient ; là, les capitales des peuples n’étaient que de petites villes, dont l’existence devait rappeler celle de nos moindres sous-préfectures[19].

Mais de ces petites villes, la Gaule en renferma beaucoup, et bien d’autres que ces capitales politiques. Les mêmes règlements qui avaient imposé une métropole aux nations gauloises, attribuèrent un chef-lieu à leurs cantons ruraux, à leurs pays ou pagi. Ces chefs-lieux, eux aussi, grandirent très vite : Genève et Grenoble chez les Allobroges, Dijon chez les Lingons, Chaton, Macon et Nevers chez les Éduens, n’étaient que des villes de pays, et elles valaient, comme force et richesse, autant ou plus que les métropoles du Nord-Ouest.

Enfin, au voisinage et comme à l’abri de ces centres populeux, des milliers de bourgs obscurs naissaient à la vie ou tassaient, chaque jour plus nombreux, leurs foyers, leurs tombes et leurs autels. Autour de Nîmes, vingt-quatre bourgades s’étageaient sur les dernières petites des Garrigues et à l’entrée des grandes Cévennes[20] ; vingt gros villages, successeurs de forteresses gauloises, vivaient chez les Voconces, à côté de Die, Luc et Vaison leurs capitales, dans les replis bien cultivés des montagnes de la Drôme[21]. Pour être moins serrés que dans les grandes villes, les habitants de ces bourgades y prenaient quand même un avant goût de la vie municipale : les maisons s’alignaient en rues[22], on avait son aqueduc, ses thermes et ses temples aussi bien que dans une capitale, les boutiques étaient nombreuses et variées, et les cimetières pleins d’images. La population se suffisait à elle-même, vivant de ses denrées et du travail de son pays, ne réservant pas ses emplettes à la métropole voisine[23]. Tous ces villages s’essayaient à être des cités.

Cependant, ni la vue de ces cent cités, ni celle de ces milliers de villages, qui paraissent émerger subitement de la terre gauloise avec leurs beaux édifices et leurs inscriptions innombrables, ne doit nous faire oublier l’existence silencieuse et solitaire des demeures rurales. Elles ont à peine souffert, sous l’Empire, de ces excroissances urbaines. Un séjour aux champs a conservé chez les Gaulois, riches ou pauvres, indigènes ou romains, son charme d’autrefois. Les plus belles ruines ne sont pas toutes dans les cités, et les mausolées qui nous restent de ce temps sont parfois isolés en pleine campagne[24]. Il y a, comme jadis, d’immenses villas à l’orée des bois[25], et les masses les plus considérables de décombres antiques proviennent de châteaux rustiques[26]. La désertion des terres, qui commence dans la Gaule des Césars, n’atteignit point alors de désastreuses proportions. En Normandie, en Bretagne, dans le Pays Basque, pays agricoles et maritimes, nous ne voyons pas de grandes villes drainant les hommes[27]. Les capitales des peuples de montagnes, Vivarais, Rouergue, Gévaudan, sont demeurées des bourgades médiocres, où la vie n’était un peu intense que les jours de marché[28]. En Flandre, en dehors de quelques villages, ce ne sont que paysans, ouvriers ou forestiers attachés à l’exploitation d’un vaste domaine[29]. Un très grand nombre de manufactures, notamment de céramique, sont installées très loin des villes, en pays à peu près perdu[30]. Est-ce pour empêcher les populations rurales de se laisser attirer dans les cités ? mais on construit en plein champ et presque en plein bois, à quinze milles de tout centre habité, des thermes élégants et de larges théâtres, par exemple à Champlieu, à la lisière de la forêt de Compiègne[31]. Bûcherons et laboureurs y goûteront, au milieu de leurs lieux de travail, les plus recherchées des joies municipales. La présence de ces édifices de plaisir les empêchera d’aller grossir dans la ville voisine, aux jours de fêtes, la plèbe des citadins désœuvrés. Même au plus profond des bois, les ruines nous révèlent des habitations innombrables[32]. Si jamais un prudent équilibre s’est établi entre la Vie des champs et la vie des cités, ce fut en Gaule sous les temps des empereurs : l’exemple des capitales méditerranéennes entraînait les Celtes vers leurs grandes villes ; mais les traditions d’un passé tout proche les retenaient encore sur leurs terres. En dépit de ses cinq siècles d’existence romaine, la Gaule n’arriva pas à se transformer en un rucher de municipes, ce qu’étaient devenues la Grèce et l’Italie.

 

II. — VILLES NEUVES.

L’Empire romain, comme toutes les périodes de vie bourgeoise et de travail industriel, a vu se bâtir dans la Gaule beaucoup de cités neuves.

Les unes (nous les connaissons déjà) furent les métropoles que les princes donnèrent aux peuplades, et qu’ils dotèrent bien souvent d’un de leurs noms. De ces métropoles, quelques-unes, par exemple Fréjus et Trèves, furent sans doute imaginées et installées de toutes pièces, sur un sol encore vierge de bâtisses ; et l’on dut, pour les peupler, faire appel à des colons ou à tous les hommes de la cité[33]. Mais il y en eut assez peu de ce genre. Presque toujours la ville romaine eut ses racines dans le passé gaulois. Pour le plus grand nombre de ces capitales, on utilisa une vieille bourgade antérieure, que l’un accrut démesurément de constructions et d’habitants nouveaux : ce fut le cas de Lyon et de la plupart des colonies. Ailleurs effila, on se décida à déplacer l’assiette, et à dresser en un autre lieu des rues et des maisons neuves pour les mêmes groupes d’hommes : c’est ainsi qu’on fonda Autun pour les gens de Bibracte et Clermont pour ceux de Gergovie.

A côté de ces fondations officielles, prévues et préparées, d’autres villes nouvelles sourdaient sur le sol gaulois, sous l’action d’usages jusque-là inconnus.

Les plus originales, peut-être les plus étrangères à la tradition[34], furent les villes d’eaux ou de malades. Elles apparurent presque subitement, partout où la nature avait placé des fontaines chaudes ou minérales[35]. Pour peu que ces fontaines fussent situées en un lieu propice, près de bonnes terres, de grandes routes, de carrefours populeux, c’était, pour la bourgade naissant auprès d’elles, une prospérité et une gloire rapides[36]. — C’est ce qui arriva à Dax dans les Landes, dont la merveilleuse destinée fut un thème pour la poésie grecque. Simple hameau de bûcherons, on vantait pourtant l’excellence de ses eaux chaudes. L’empereur Auguste, toujours souffrant ou perclus, voulut les essayer, et il fit un séjour à Dax au cours de ses campagnes d’Espagne. Il se crut guéri ; et tout de suite, on vint de partout demander la santé aux sources incomparables[37]. Puis, comme Dax était sur l’Adour et sur la voie principale de l’Ouest, qu’il touchait aux riches terrains de la Chalosse, il arriva très vite à la puissance, devint grande ville et centre de cité, la véritable métropole de l’immense plaine forestière de Gascogne. Aucune des villes d’eaux gauloises n’approcha d’une fortune pareille. Mais toutes connurent le bruit, le bonheur ou le renom : Luchon[38] et Bagnères[39] dans les Pyrénées, Vichy[40] en Auvergne, Aix[41] en Savoie, Luxeuil[42] dans les Vosges, Néris[43] chez les Bituriges, les trois Bourbon[44], et cent autres lieux eurent leurs thermes de marbre, leurs peuples de malades et leurs assemblées de dieux[45]. Aucune des villes thermales que nous pratiquons aujourd’hui ne fut méconnue des Gallo-romains[46] ; et l’intensité de cette vie balnéaire, le nombre de ces résidences curatives, est une analogie nouvelle entre notre temps et ceux des empereurs[47].

L’amour des dieux créa presque autant de villes que l’amour de la santé, je veux dire que bon nombre de cités neuves s’étendirent autour des sanctuaires les plus fameux. Assurément, les lieux saints de la Gaule romaine dataient tous des temps de l’indépendance, et leur sainteté ne devint ni plus grande ni plus populaire. Mais avec les habitudes nouvelles que le besoin de construire donnait impérieusement à la Gaule, tout lieu saint se transformait en lieu bâti, et ce qui n’avait été jadis qu’un endroit de rendez-vous s’imposa comme un centre de demeures. Le dieu de l’endroit eut son grand temple, ses statues, son trésor, ses terres et ses esclaves ; il fallut des prêtres pour garder ces richesses et entretenir ces biens, des maisons pour loger ces prêtres et leurs serviteurs, des hôtelleries pour héberger les pèlerins, des thermes et des théâtres pour distraire la foule des grandes fêtes. On vit à la fin s’épanouir d’amples cités, où il n’y avait eu autrefois que la source ou le bois mystérieux d’une invisible divinité. Die ou Dea[48], Luc ou Lucus[49], deux bonnes villes des Voconces dans la région de la Drôme, ne sont que l’expression en bâtisses permanentes du vieux culte de la Terre-Mère ou de celui des forêts sacrées[50].

D’autres villes croissaient, ainsi que dans la Gaule d’autrefois autour d’un marché ou d’un foirail. Ici encore, le goût de la pierre, l’envie de fonder quelque chose de durable rendait ces créations urbaines presque inévitables : pour les entassements humains des jours de rendez-vous, on voulut des boutiques, des thermes, des temples, qui resteraient fixés au sol. Si ces lieux de foires étaient bien placés au milieu du territoire de leur cité, leur fortune se faisait rapidement. Quand les princes romains cherchèrent des capitales pour les peuplades gauloises ou germaniques, ils utilisèrent souvent les places de marché qui étaient au centre de leurs domaines. Fréjus, Angers, Beauvais, n’ont pas été autre chose à l’origine[51] Mais parfois, la croissance de ces lieux s’arrêtait, et le foirail ne parvenait pas à se développe en ville, soit qu’il fût mal placé, soit que la chance lui manquât. Il n’est point rare, dans la France actuelle, de rencontrer, pour ainsi dire à l’improviste, en des pays sauvages ou déserts d’énormes et étranges agglomérations de ruines, arènes ou théâtres, thermes et temples, par exemple à Champlieu à l’entrée de la forêt de Compiègne, à Herbord près de Sanxay dans les bois qui séparent le Haut et le Bas Poitou : ce sont les vestiges d’anciens lieux de marché et de pèlerinage, datant de l’époque gauloise, et qui ont pu tenter, sous l’empire de Rome, de devenir des cités éternelles. Mais les malheurs du troisième siècle ou de mauvaises conditions géographiques ont enrayé leurs destinées.

Quelques villes, enfin, ont pris naissance dans les camps romains, ou, plutôt, à côté d’eux, constituées d’abord par les boutiques et les tavernes qui s’entassaient aux approches ou au contact des lieux de garnison[52]. Celle de ces villes militaires qui se mêla le plus vite et le plus complètement au mouvement général de la vie gauloise, Strasbourg ou Argentorate[53], ne fut à l’origine qu’un misérable hameau celtique, simple relais de route à un lieu de passage sur le Rhin : mais elle reçut sous Auguste un camp et des légionnaires, des marchands les suivirent en nombre, et Strasbourg commença dans l’histoire sa carrière municipale[54]. De pareils destins échurent à Mayence[55], à Bonn[56], à Xanten[57], à d’autres endroits moins célèbres[58]. Tous d’ailleurs touchaient au Rhin. Nulle localité de l’intérieur n’est sortie d’un camp militaire : la Gaule n’en produisit aucune qui fût semblable à cette ville espagnole de Léon, qu’une garnison légionnaire fit croître au centre de la contrée. Toutes les cités neuves de la Gaule romaine, à distance de la frontière, sont l’œuvre de tâches pacifiques[59].

 

III. — SITES URBAINS.

Les sites de ces nouvelles villes étaient en harmonie avec les mœurs qui les avaient produites. Nous n’apercevrons plus, comme à l’époque gauloise, de grandes cités juchées sur leurs aires de montagnes, avec leurs ceintures d’âpres rochers ou de bois sauvages. Bibracte et Gergovie sont descendues vers la plaine, et se sont arrêtées sur d’aimables coteaux, près de clairs ruisseaux et de terres fertiles, le long de routes faciles et passagères et sous un climat tempéré. Les empereurs l’ont sans doute voulu ainsi : mais à défaut de l’ordre d’un prince, le goût des hommes aurait amené un pareil changement, et déjà, avant l’arrivée de César, la descente des villes gauloises avait commencé. Dans ces temps de paix générale, il n’est plus besoin de refuges inviolables, de villes imprenables sur des sommets inaccessibles. Les seules cités qui restent haut perchées, comme Cassel. Lyon, Poitiers, Angoulême, ne sont que sur des collines, à trois ou quatre cents pieds de la plaine au plus, et elles ont près d’elles la route, la rivière et les champs[60]. Le règne de la grande montagne est fini dans la Gaule, et celui du coteau s’est établi.

Je dis coteau, et non pas plaine, parce que les villes neuves évitent encore, pour la plupart, les bas-fonds et la plaine absolue, réservés aux cultures ou abandonnés aux marécages. Elles imitent Rome, qui hésita si longtemps à s’établir sur son Champ de Mars, et qui préféra toujours les pittoresques montées de ses hauts quartiers[61]. Nîmes, comme la Ville Éternelle, aurait pu montrer ses sept collines[62] ; Autun fut bâti sur les flancs des mamelons qui descendent vers l’Arroux[63] ; Clermont étagea ses demeures sur le puy sacré, cher à Apollon[64], qui porte aujourd’hui sa cathédrale[65]. Dans les vieilles cités, les quartiers neufs évitèrent les terrains les plus bas, et gravirent les pentes voisines : Paris couvrit de ses plus grands édifices, face à la Seine, le penchant septentrional de la montagne Sainte-Geneviève[66] : Bordeaux, négligeant les terres fangeuses qui avoisinent la Garonne aux Chartrons et à Paludate, reflua lentement sur les hauteurs de Saint-Seurin pour y mettre ses thermes, son amphithéâtre et ses grands cimetières[67] ; c’est sur le flanc de la colline de La Croix-Rousse que se dressa, à Lyon, le grand autel du Confluent ; et je doute que Marseille même ait dès lors songé à conquérir pour la bâtisse les terres planes de la Canebière[68].

 

IV. — REMPARTS, PLACES, RUES, AQUEDUCS, ÉGOUTS[69].

Une grande ville gallo-romaine, avec son périmètre de trois à quatre milles, sa surface de plus de cent hectares, ses mille demeures agglomérées, les milliers d’habitants de sa population fixes, était devenue un corps compliqué, formé de matières très diverses et d’êtres très dissemblables. Pour y faire circuler une vie normale et y satisfaire à tous les besoins, il avait fallu créer un organisme de rues régulatrices et d’édifices directeurs.

Dans toutes les colonies et dans certaines villes privilégiées, c’étaient les remparts qui marquaient la limite de la cité, et qui, par leurs lignes immuables, traçaient sur le sol sa figure consacrée. Mais la plupart des villes gauloises ne reçurent ou ne gardèrent point d’enceinte fortifiée. Et pour les autres, durant les longues années de la paix impériale, les vieilles murailles ne furent plus qu’une gloire encombrante. Ici, elles tombaient en ruine[70] ; et là, on les fit disparaître sous des constructions parasites[71]. Le régime romain eut cette première conséquence pour les villes de la Gaule, qu’il y laissa s’atrophier l’organe militaire, ces forteresses qui en avaient été autrefois et l’origine et la construction maîtresse’.

Ces cités murées mises à part, on entrait librement dans les villes de la Gaule, à la façon dont on entre aujourd’hui dans celles de la France. Peut-être quelque guérite de police, quelque poste d’octroi, quelque niche de dieu, un cippe, un autel ou un arc en marquait la limite officielle sur les routes d’accès[72]. En réalité, on ne s’apercevait de l’entrée dans la ville que par la fin des tombeaux, la présence de baisses plus denses, le débouché de rues transversales.

Villes anciennes et villes neuves se ressemblaient en ceci, que les rues principales y étaient le prolongement de la voirie rurale : la grande route, en pénétrant dans la cité, y devenait la grande rue. A Paris, l’artère majeure, la via major ou rue Saint-Jacques[73], est simplement une portion de la chaussée d’Orléans, de Bordeaux et d’Espagne, une des voies souveraines de la Gaule entière[74]. A Bordeaux, la rue Sainte-Catherine, la plus vieille et toujours la plus encombrée, marque la fin de la route de Toulouse, de Narbonne et de Marseille, la plus ancienne et la plus fameuse du Midi[75]. C’est autour de ces antiques chemins que nos villes se sont épanouies, comme des fruits autour de leurs tiges[76].

Je ne crois pas que le réseau de leurs rues fût aussi irrégulier et capricieux qu’on le suppose d’ordinaire[77]. D’abord plusieurs de ces villes étaient des colonies, construites sur le modèle des camps romains, en rues parallèles se coupant à angles droits. Presque toutes les autres étaient, en tout ou en partie, des cités neuves, bâties, rebâties ou complétées à la romaine, suivant le type du damier classique : rien n’y ressemblait au fouillis et aux lignes désordonnées de Bibracte[78]. Aujourd’hui encore, en étudiant les vieilles cités de France, c’est-à-dire la partie centrale et primitive de nos grandes communes médiévales, par exemple l’île de la Cité à Paris ou le Bordeaux d’entre la Cathédrale et l’Intendance, on sera frappé de la symétrie que présentent ces antiques, étroites et petites rues, maintenant tristes et vides, si longtemps remplies de vie et de bruit par nos ancêtres des temps romains et du Moyen Age : elles sont, certes, irrégulières dans leurs façades, mais elles ne le sont pas dans leur direction[79].

Comme largeur, le Moyen Age les a conservées souvent telles quelles après les avoir reçues de l’Antiquité latine. Dans quelques. grandes villes neuves où l’espace n’était point ménagé, à Autun par exemple, les artères principales pouvaient atteindre seize mètres, cinquante pieds, dont la moitié seulement, huit mètres, formait chaussée[80], le reste étant pris par deux trottoirs[81]. Mais dans les villes anciennes, où la tradition et les occupants laissaient moins de liberté aux travaux de la voirie nouvelle, les rues importantes ne devaient pas dépasser neuf mètres ou trente pieds, ce qui faisait, s’il y avait trottoir, cinq mètres seulement pour la voie charretière : tel était le cas de la rue centrale, à Paris la rue Saint-Jacques[82], à Bordeaux la rue Sainte-Catherine[83], à Marseille la rue Caisserie[84]. Les petites rues transversales atteignaient à peine la moitié de ces chiffres, beaucoup n’arrivaient guère qu’il trois ou même deux mètres, dix pieds et moins encore, et n’étaient alors que de longs boyaux[85], analogues à la rue Visconti dans le quartier parisien des Beaux-Arts[86]. Dans celles-ci, on était fort à l’étroit, et dans les plus larges, piétons sur les trottoirs et colliers sur les chaussées circulaient assez mal à l’aise[87]. Mais l’Antiquité n’eut point l’idée[88], pour ces villes, de grandes voies larges, ensoleillées, plantées d’arbres et pleines de lumière : idée qui s’est fait jour seulement dans l’Europe chrétienne, et du reste avec une extrême lenteur[89].

Les carrefours[90] et les places n’avaient pas non plus une très grande étendue. Toutes les cités de l’Empire ont ignoré, à l’intérieur de leur enceinte, ces immenses espaces découverts où un peuple entier peut s’attrouper dans un jour de révolte ou s’attabler dans un jour de fête, tels que les grandes places des villes flamandes au Moyen Age ou les prodigieuses esplanades que les derniers intendants ont tracées dans nos capitales françaises[91]. Elles n’ont point davantage connu les belles promenades ou les gracieux jardins publics que la royauté des Bourbons a créés pour le plaisir de nos ancêtres et pour notre propre joie[92]. S’il y avait quelque chose de ce genre dans des villes gallo-romaines, c’était, en dehors de l’agglomération même, la large surface nue et découverte qu’on appelait le pré, la plaine, le champ de Mars, et qui servait aux exercices militaires ou aux foires à bestiaux[93] : et cela rappelait la Rome des consuls. A l’intérieur même de la ville, le lieu des réunions populaires, des plaisirs communs et, s’il le fallait, des clameurs et des, émeutes, on l’avait dans l’amphithéâtre, avec ses places innombrables, ses gradins en courbes et en étages, d’où chacun peut dominer la foule et un seul parler à tous : voilà, pour un Romain de l’Empire, la place publique par excellence[94].

Les places proprement dites, fora[95], sont peu de chose, à peine plus que le carrefour élargi des rues importantes, que le parvis nécessaire des édifices publics. Chaque ville possédait son forum principal[96], qu’ornaient des autels[97] et des statues[98], que bordaient quelques édifices publics, que dominait le temple de la divinité souveraine : c’était là sans doute que se tenait le marché ordinaire et que se célébraient les cérémonies solennelles[99]. Les plus grandes villes avaient aussi, à la manière de Rome, des places secondaires, réservées à des marchés particuliers, par exemple à Cologne le marché à l’orge ou aux grains, forum hordiarium[100]. Dans les ports fluviaux ou maritimes, les berges ou les grèves servaient de lieux d’entrepôt aux marchandises les plus encombrantes, bois de construction, barriques de vin, pierres à bâtir[101].

Places et rues formaient les membres visibles de la cité. Au-dessous, en dedans, les Romains avaient établi un système méthodique de canaux et de conduites pour amener l’eau pure dans les maisons et les lieux publics et pour en emmener les matières usées. Aqueducs et égouts[102], c’est-à-dire un double réseau de voies invisibles et souterraines, convergentes et divergentes, chargées d’alimenter[103] et de purifier[104] d’elles-mêmes toutes les demeures d’une cité : voilà en quoi la ville romaine a le plus innové sur la bourgade du passé, en quoi elle a préparé la ville de l’avenir. Les Caillois se contentaient des moyens naturels pour assainir leurs maisons et leurs rues : ils allaient chercher l’eau aux puits et aux sources les plus proches, et les bras des manœuvres emportaient les immondices[105]. Avec Rome, voici un élément de plus dans l’organisme déjà si compliqué d’une grande ville : la science fait pénétrer de force dans tous ses membres, par une sage captation de la nature physique, un double principe de vie et de propreté.

 

V. — NOMS, VIE ET ASPECT DES RUES.

Un ordre, une harmonie, une variété nouvelles s’introduisaient dans les villes. Leur existence n’était plus faite seulement d’une vie générale, qui apparaissait aux jours de marché et de fêtes, mais de la vie propre à chaque partie, à chaque rue. Si la cité avait sa physionomie spéciale et son grand dieu tutélaire, il faut se représenter également chacun de ses quartiers comme une sorte de toute petite patrie, prenant peu à peu ses habitudes et son amour-propre[106].

Dès l’époque gauloise, on l’a vu au mont Beuvray, les grands corps de métiers ont leurs quartiers distincts, ici les bronziers et là les émailleurs. Cette pratique s’est conservée dans les nouvelles villes ; mais le quartier, à l’image de la cité, affecte une allure plus régulière, plus définie. Les professions y sont, je crois, groupées par grandes rues[107] ; et ces noms que nous lisons dans l’histoire de tant de cités médiévales, rues des Forgerons, des Tanneurs, des Argentiers, doivent avoir presque toujours une origine gallo-romaine.

Car toute place, tout quartier, toute grande rue, possède son nom propre, tiré de quelque détail de sa vie, de sa situation ou de son aspect, des gens de métier qui l’habitent, d’une demeure célèbre[108], de son temple le plus fréquenté[109]. Emprunter le nom d’une rue à un fait général et lointain, survenu en dehors de son existence, à un grand homme du passé ou à une bataille de l’Empire, les générations de l’Antiquité et du Moyen Age n’auraient point compris une pensée de ce genre[110] : les voies n’étaient point faites pour honorer des morts ou fixer des souvenirs ; elles n’appartenaient qu’aux êtres qui y vivaient, aux édifices qui s’y voyaient. Si telle rue de Metz s’appelle rue de l’Honneur et telle autre rue de la Paix[111], c’est qu’elles possèdent des sanctuaires ou des images consacrés à ces deux divinités[112].

C’est que la rue et le quartier ont leurs dieux[113] et leurs chefs[114] particuliers : ce sont personnes véritables, sinon politiques, du moins administratives, morales et religieuses. On les appelle souvent vici[115], de ce même mot de vicus que l’on appliquait aux grands villages organisés. Il est permis à leurs habitants de s’entendre et d’agir ensemble.

Quel dommage que nous ne sachions pas restituer l’aspect de ces rues, de leurs boutiques, des façades de leurs maisons ! Mais pour retrouver la vraie physionomie d’une cité de la Gaule romaine, il faudrait faire d’abord avec un soin infini l’analyse de tous les débris qu’a livrés son sol : et ce travail est  à peine commencé[116]. A la rigueur, on petit y suppléer en regardant les ruines de Pompéi ou de Timgad, en s’imaginant d’après elles ce que fut le Lyon de Fourrières ou le Paris de la Cité.

C’était sans doute un enchevêtrement, en lignes brisées, de murailles, de portiques[117], d’auvents, de balcons ou de loges surplombant la rue et arrêtant le jour, de portes basses qu’on franchissait en se courbant[118], d’étroites et sombres boutiques où s’amoncelaient les marchandises, de longs et mystérieux corridors donnant sur les cours des plus riches demeures[119]. De façades harmonieuses et majestueuses, telles que nos rues de France en reçurent des intendants de Louis XV, il ne faut pas en demander à la ville gallo-romaine. Le style régulier et symétrique du grand édifice n’a point gagné les contours de la rue ou de la place publique : caprice et désordre règnent sur leurs lignes[120]. Beaucoup de ces bourgades étaient bâties à flanc de coteau, et repoussaient les arrangements méthodiques des vastes surfaces plainières. Représentons-nous les rudes montées vers le sommet de Fourvières comme assez semblables à celles de notre Marseille des Accoules, avec des ruisseaux en cascade, des escaliers imprévus[121], des raidillons glissants où s’abattent les attelages[122]. Les grandes maisons étaient sans doute assez rares, on s’entassait en surface plutôt qu’en hauteur, les échoppes dominaient pour les pauvres, et, pour les riches, les hôtels profonds sans élévation, aux vastes cours intérieures[123]. La bâtisse maîtresse, celle qui dominait une place ou une rue, ce n’était pas l’énorme demeure banale des particuliers, mais l’édifice public, temple ou basilique[124]. Toutes les maisons privées, même les plus riches, étalées sur terre plutôt que dressées vers le ciel, semblaient s’effacer et se confondre autour des hautes et fières constructions destinées aux dieux et aux magistrats, telles qu’au Moyen Age les humbles bicoques du commun peuple, tassées au pied des cathédrales[125].

Il est même probable qu’une ville gauloise était plus barbare d’aspect que celle de Timgad, bâtie de toutes pièces sur un plan nouveau, ou de Pompéi, si vieille et si policée. Il restait trop d’indigènes dans une cité transalpine pour qu’elle ne renfermât pas mille édifices bizarres, survivances du temps barbare, huttes arrondies en pierre sèche ou en terre battue, à demi enfoncées dans le sol et aux toits recouverts de paille[126], échoppes en bois ou en pisé, cahutes de planches ou bicoques de briques[127]. Songeons que Marseille la Grecque, à l’époque de César, montrait encore des toitures formées de chaume à côté de ses temples de pierre[128], et qu’à Lyon même on voyait une chapelle d’Apollon avec son faite en bardeaux[129]. Le contraste devait être plus grand encore, à Dax ou à Bordeaux, à Saintes ou à Bourges, entre la masse terne et humiliée des simples demeures et la haute et brillante allure des édifices sacrés.

 

VI. — LES ÉDIFICES PUBLICS[130].

De ces édifices, les plus nombreux, les plus aimés et les plus beaux étaient les temples. D’autres s’élevaient plus haut ou couvraient plus d’espace. Mais les temples, résidences des dieux, passaient à juste titre pour les monuments souverains dans ce peuple de bâtisses qui constituait une cité.

Le sanctuaire bâti avait été l’exception dans les villes gauloises : il sera désormais la règle. Plus de source sainte, jaillissant des coteaux, qui ne reçût un temple pour l’abriter de son ombre[131]. Plus d’espace consacré, que ne recouvrit le toit d’une maison divine[132]. Et comme les endroits religieux abondaient sur les aires municipales les temples s’y multiplièrent, de toute grandeur et de toute forme. Il y eut le temple riche et superbe, couvert de statues et étincelant de marbres, d’ordinaire au centre de la cité, et destiné à ses divinités tutélaires[133]. Il y eut souvent, au point le plus élevé de la ville[134], le temple de la triade romaine de Jupiter, Junon et Minerve[135], et on l’appelait le Capitole : car chaque ville de la Gaule tenait à paraître une image de la ville des Césars[136]. Et il y eut également les sanctuaires des grands dieux celtiques adorés sous des noms romains, Teutatès devenu Mercure, Bélénus devenu Apollon[137], et encore ceux des empereurs et de leurs familles, et enfin les chapelles des petits dieux de quartiers, et des colonnes, des loges[138], des niches, des piédestaux pour d’innombrables images saintes, des autels isolés au milieu des places[139], ou à demi cachés le long des murailles, ou perdus au fond des impasses[140]. Il était aussi facile, dans une rue antique, de rencontrer un dieu que de croiser un homme[141]. La domination latine lit élire un domicile municipal aux milliers de divinités qui jusque-là avaient flotté indécises dans les pensées des humains. Regardez la Rome pontificale d’avant le royaume italien, la Cité parisienne au temps de saint Louis, et vous devinerez ce qu’étaient Lyon ou Trèves à l’époque impériale- les dieux avaient changé d’aspect, et les églises de façade, mais la religion du Moyen Age gardait dans les villes cette emprise sur le sol qui lui venait de l’héritage romain.

A l’usage des pouvoirs publics, fonctionnaires d’Empire, tribunaux, magistratures municipales, on construisit de grands bâtiments, qu’on alignait le long du forum. Car le forum marquait le centre public de la ville : puisque le peuple avait ses maîtres, il fallait que le sol eût son lieu chef des autres lieux. Aussi le mot de basilique, édifice royal ou souverain, désignait-il fort justement ces bâtiments publics[142]. Ce qui les caractérisait, c’était la grande salle qui en occupait l’intérieur, où plusieurs centaines d’hommes pouvaient s’abriter, et qui servait de bourse d’affaires[143], de lieu de réunion, de cour de justice. Attenant au forum[144], elle le continuait et le complétait. La foule, à de certaines heures, y était aussi dense et aussi bruyante que sur la place voisine : qu’on se rappelle les vacarmes et les agitations de la grande salle de nos anciens Palais de Justice, laquelle d’ailleurs dérivait de celle des basiliques romaines et, comme elle, était place publique et lieu de foire bâti au cœur d’un grand édifice.

Des monuments de moindre importance étaient affectés aux services généraux, curie pour le sénat local[145], archives, trésor[146], prison[147], arsenal, postes de police ou de sapeurs-pompiers, peut-être aussi greniers publics. Lyon possédait sa Monnaie[148], et la caserne de sa garnison. Aucune bourgade, même des moindres, ne pouvait se passer de sa grande horloge[149]. Il se peut que, dans certaines villes, les plus riches corporations, celles qui jouaient un rôle public, se soient bâti leur hôtel ou leur parloir particulier[150]. Les métropoles de provinces et peut-être d’autres cités riches et ambitieuses, comme Trèves et Autun, tinrent à honneur d’avoir un prétoire ou un palais, demeure luxueuse où résidait le gouverneur, représentant de César, et qui ne fût point indigne de loger César lui-même[151]. Pour que la cité achevât de ressembler à Rome, il lui fallait un Palatium à côté du Capitole[152].

D’autres édifices ne servaient qu’à l’ornement. Car les Gaulois se sont familiarisés très vite avec l’idée classique, qu’une ville doit avoir sa beauté, ainsi que l’avait un simple monument ou une figure humaine. Seulement, les Anciens n’entendirent pas la beauté d’une ville de la manière dont nos ancêtres l’ont entendue au temps des Bourbons : une beauté qui serait faite de l’ensemble des choses, de l’accord et pour ainsi dire de la fusion entre la rue et l’édifice, de façades harmonieuses où se mêlent maisons et monuments, de lignes régulières groupées en motifs symétriques, d’horizons dégagés où les espaces du ciel découvrent et font valoir l’élégance ou la sobriété des contours de pierre[153]. S’embellir, pour une ville gallo-romaine, c’était simplement se pourvoir de riches édifices, décorés de statues et de bas-reliefs, conformes aux règles de l’école : peu importait le cadre où ils prenaient place.

C’est ainsi que nos cités reçurent des fontaines monumentales, avec la décoration traditionnelle de Tritons et de dieux marins[154] ; qu’on y multiplia les portiques[155], dont les fresques et les bas-reliefs retenaient les oisifs et les étrangers[156] ; qu’on encombra les rues et les places de statues de marbre et de bronze. Mais l’ornement le plus cher aux villes de ce temps fut l’arc isolé[157], arc de triomphe[158] ou porche monumental[159], tantôt à l’entrée de la cité, tantôt aux abords de la grande place, et toujours au-dessus de la voie la plus fréquentée.

Ces arcs étaient couverts de sculptures du pied jusqu’au faîte, sur les montants et l’entablement, sur les côtés, sur la façade et sous le cintre même de la voûte. Les sculptures, quand il s’agissait d’arcs de triomphe, rappelaient les victoires de Rome et la gloire du prince : élever un monument de ce genre, c’était une manière de consacrer la cité à son empereur, c’était la marque élégante du loyalisme, l’équivalent, dans ces années romaines, des places et des statues royales qu’ont affectionnées les grandes villes françaises avant la Révolution[160].

Voici, en dernier lieu, la catégorie des édifices colossaux, qui portent bien, ceux-ci, l’empreinte indélébile de l’impérialisme romain, thermes, cirques[161], théâtres, amphithéâtres, les uns en pierre dès le début de l’Empire, les autres d’abord en bois[162], tous d’ailleurs nécessaires et inévitables dans une cité des Césars au même titre qu’une place publique et qu’un temple des dieux. Ces bâtiments, et les amphithéâtres surtout, en tant que surface bâtie, volume de matériaux et places disponibles, dépassent ce que l’humanité a vu jusqu’ici en Occident et ce qu’elle y verra jusqu’aux grandes cathédrales. Les Arènes de Nîmes ont cent trente-quatre mètres de long, plus de cent mètres de large, plus de vingt et un mètres de haut ; elles occupent plus d’un hectare ; un quart de la population, et bien davantage, pouvait s’entasser sur les gradins ou s’engouffrer dans les promenoirs. J’ai parlé des grandes cathédrales : thermes et amphithéâtres ont tenu dans les villes latines un rôle semblable ; c’étaient les seuls lieux bâtis où, tout ainsi que dans les églises au Moyen Age, la cité entière se concentrait pour des sentiments collectifs. Seulement, et c’est ici la prodigieuse différence entre les deux époques, ces sentiments contrastaient comme le bien et le mal. La grande bâtisse municipale, au Moyen Age, c’est celle de la prière ; et, dans la Gaule romaine, c’est celle des plaisirs publics.

Car tout cela, thermes et amphithéâtres, ne sert qu’au plaisir. On verra plus loin ce qui se passait dans les arènes[163]. Pour les thermes, on s’y baigne de compagnie, on y bavarde, on y cherche d’heureuses rencontres, on s’y promène dans les portiques, les cours, les terrasses ou les jardins qui en dépendent[164], on y vit ou on y passe en désœuvré, comme sous Louis XVI au Palais-Royal ou de nos jours sur les trottoirs des boulevards.

En regard de ces monstres de bâtisses, consacrés aux jouissances des foules, nous ne pouvons mettre aucune de ces constructions pour le bien public[165], qu’ont multipliées dans nos villes la charité chrétienne et la bienfaisance moderne. Çà et là nous apercevons trace de bâtiments d’école : et c’est tout[166]. Aucun vestige d’hôpital ou d’asile. L’aspect des cités nous permet déjà d’entrevoir l’état des âmes.

 

VII. — RÔLE SOCIAL DE CES ÉDIFICES.

A part ces sentiments de bienfaisance et de charité, on peut dire que toutes les pensées et tous les besoins de l’homme, religieux, politiques, matériels, moraux et immoraux, se sont alors manifestés sous la forme d’édifices permanents. Ce fut un des caractères de la civilisation romaine, et peut-être son caractère principal : tout s’y exprima par une bâtisse de pierre, par une prise de possession du sol pour un édifice éternel et une destination immuable.

Aucun des besoins qui provoquèrent ces constructions, basiliques, temples ou théâtres, n’était chose nouvelle en Gaule. Mais à l’époque de l’indépendance, ils comportaient rarement l’installation sur un sol bâti. Les assemblées des hommes et des prêtres se tenaient surtout en plein air ; c’était sous la voûte du ciel que les dieux se laissaient adorer ; et les multitudes se contentaient pour leurs jeux des champs de foire ou de vastes pelouses. Maintenant, partout et pour tout, le régime du ciel ouvert et de l’espace libre fait place à celui de l’enceinte close, du lieu couvert, des témoins de pierre et de l’édifice construit.

En créant ces énormes bâtisses, la société romaine établissait de nouveaux principes de conduite et de discipline parmi les hommes. Chacun de ces édifices reçut sa loi, qui fixait les règles de son entretien et les conditions de son usage[167]. On affecta aux temples des revenus et des gardiens. Des édits officiels protégèrent les bâtiments contre les dégradations et les injures[168]. Il fallut régler minutieusement la manière dont le public pourrait utiliser les eaux d’un aqueduc[169]. Tout monument fut le centre d’une législation spéciale.

Il devint aussi la résidence ou le chef-lieu d’une population propre. Des groupes d’hommes lièrent leur vie à son existence : les uns s’y installèrent à demeure, intendants, architectes, portiers, surveillants, parasites de mille sortes[170] ; d’autres prirent domicile dans le voisinage, par exemple les prêtres près de leurs temples ; d’autres y venaient à intervalles réguliers, par exemple les membres des confréries chargées d’orner les autels. Un édifice tel que des thermes ou un amphithéâtre occupait les journées d’une centaine d’hommes. A lui seul, il constituait un quartier de la ville, ayant ses usages, ses intérêts, ses habitants et ses habitués.

Ajoutez à cela les propos et les passions de tout genre qu’il suscitait dans sa ville. Un temple, avec ses images divines, ses trésors accumulés, les fêtes qui s’y donnaient, les pratiques familières qu’y avaient contractées les dévots, un temple était pour les citoyens un foyer commun, le résumé de la ville dans la ville même, un symbole de son éternité[171]. Moins d’idées morales s’attachaient aux thermes et aux amphithéâtres ; mais ils représentaient des désirs et des plaisirs plus forts que la religion même : priver une cité de ses arènes, c’était lui enlever la joie de vivre[172].

La construction de ces grands édifices marqua donc en Gaule l’avènement de forces et de personnes morales jusque-là sans doute inconnues. Un édifice public devint une sorte d’être précis et puissant, valant quelque chose par lui-même. Chasser le magistrat de sa basilique, le dieu de son temple, le peuple de ses arènes, cela parut restreindre ou supprimer la puissance même de ce dieu, de ce magistrat ou de ce peuple, comme si l’autorité réelle s’attachait à l’édifice autant qu’à l’homme. Je doute que les Gaulois aient jamais pensé ainsi au temps de Teutatès et de Luern.

La force de résistance matérielle de ces bâtiments avait fini par être formidable, ce qui explique en partie leur prestige moral. Certains temples avaient des murailles de trente pieds d’épaisseur[173]. Là où la pierre n’intervenait pas seule, le mortier de l’époque romaine rendait le blocage aussi compact qu’une roche. Il n’est aucun des amphithéâtres romains qui n’ait pu soutenir des sièges. Des quartiers entiers, pendant le Moyen Age, ont vécu à l’intérieur de leur enceinte, dans la sécurité et l’indépendance que donnaient leurs épaisses murailles. Les Arènes de Nîmes ont été le centre et le boulevard d’une petite noblesse municipale, les « Chevaliers des Arènes[174]. En construisant de tels édifices, la société gallo-romaine a doté notre sol français de puissances originales, presque pareilles à des cités ou à des châteaux, et qui deviendront des causes de faits nouveaux.

 

VIII. — CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE CES ÉDIFICES.

Quoique ces édifices fussent d’espèce et d’apparence très diverses, ils portaient également la marque de l’esprit de leur temps, impérial et dévot.

Aucun d’eux, si profane que fût sa vraie destination, n’échappait aux habitudes religieuses de ce temps. Autels, statues de dieux, niches sacrées, abondaient dans les thermes, les cirques, les théâtres et les arènes[175]. Sur les murs des ares et des portiques étaient figurées des scènes tirées de la vie des dieux[176]. Souvent, ces portiques faisaient corps avec des temples, semblables à des parvis d’églises[177]. Des images religieuses encadraient les horloges publiques. Les basiliques avaient beau servir à des actes de la vie civile : elles étaient d’ordinaire consacrées à quelque grande divinité. Nul édifice qui s’élevât ne pouvait se passer d’un dieu[178].

Celui des dieux qui intervenait le plus souvent, en cette affaire comme en toute chose, était l’empereur, soit César en personne, soit un prince de sa maison. Quand mourut Plotine, la veuve de Trajan, Hadrien lui fit élever à Nîmes un monument qui fut, dit-on, une merveille de beauté et de richesse ; et ce monument, qui était un temple par sa dédicace à une impératrice divine, devint une basilique par sa destination. Dans les sanctuaires où Auguste n’entrait pas en titulaire, il avait au moins sa statue, son autel, son espace réservé[179].

Les Romains trouvèrent d’étranges procédés pour servir à la fois, en érigeant un édifice, les intérêts du public, la religion des dieux, la dévotion à l’empereur. Ils remplissaient un théâtre de statues d’Apollon[180], ils le consacraient au vieil Auguste, le dieu fondateur de l’Empire, et ils déclaraient qu’ils le bâtissaient pour assurer le salut d’un de ses successeurs[181]. Des images de dieux ornaient les ponts[182], les hommes et les bêtes y passaient, et une belle inscription rappelait qu’ils avaient été construits en l’honneur de la Maison Divine des princes[183]. Tout le monde trouvait son compte à ces mélanges familiers.

 

IX. — LES TOMBEAUX.

Presque tous les caractères de ces édifices publics se retrouvent dans le tombeau.

Le tombeau de pierre, bâti au-dessus du niveau du sol pour être visible et pour durer toujours, est une chose essentielle dans la civilisation gallo-romaine. Un Gaulois couchait ses morts sous un tertre de terre : sauf le renflement du tertre, rien ne les révélait au monde. Le mort, comme le dieu, se contentait d’une place sur la surface du sol. Il lui faut maintenant, comme au dieu encore, sa maison ou son temple ; et le tombeau, au lieu d’être seulement une aire consacrée, est aussi devenu un lieu éternellement bâti[184]. — Il n’y a d’exception que pour les très petites gens, enterrés dans leur fosse sans pierres et sans bâtisses. Mais il suffit qu’un esclave ou un artisan ait de quoi se payer un bloc de pierre et les frais d’une gravure, pour qu’il installe cette pierre, portant son nom, sur un carré du sol, et qu’il assure à ses cendres un monument impérissable et tangible[185].

Cet usage fit que la Gaule se couvrit d’une quantité extraordinaire de tombes. Un emplacement de maison servait à d’innombrables générations de vivants ; un emplacement de tombe était réservé au premier occupant[186]. L’édifice funéraire, le plus souvent, était fait pour un seul mort, à la rigueur pour lui et ses plus proches[187]. Les caveaux de familles, destinés à servir plusieurs générations, sont beaucoup plus rares que les sépultures isolées. On ne déplaçait pas les tombeaux, et à chaque journée il s’en créait de nouveaux. Il fallut les désastres du troisième siècle, invasions germaniques et destruction des villes, pour faire quelques brèches sérieuses dans les nécropoles toujours croissantes. Sans cela, la terre des vivants mit été submergée par la dalle des morts : aucune période de l’humanité n’a bâti et n’a laissé plus de pierres tombales que les trois premiers siècles impériaux. Presque toutes les ruines anonymes et bizarres que nous trouvons dans nos campagnes ou aux abords des villes sont des restes de mausolées[188]. Rien qu’avec des débris de sépulcres, les Romains du troisième siècle ont pu construire des pans entiers de murailles. C’est peut-être par le monument funéraire que la pierre a le plus avancé son règne et le mieux exprimé sa puissance.

De ces tombes, les variétés étaient infinies. Je laisse ici de côté les simples fosses et les puits funéraires[189], où les pauvres gens continuaient d’anciens usages. Les autres, celles qu’on voyait, affectaient toutes les formes et toutes les dimensions, depuis le petit autel carré, à peine aussi grand qu’une urne[190], et l’immense mausolée, aussi large et plus haut qu’une tour de rempart. De ces mausolées, il en est qui atteignent ou dépassent soixante pieds, tels celui d’Igel près de Trèves[191] et celui de Saint-Remy près d’Arles[192], et si la Tourmagne de Nîmes, ce que je crois, est la tombe de quelque riche extravagant, avec ses trois étages et ses cent pieds de haut elle vaut, comme grandeur et solidité, les plus robustes des édifices municipaux[193]. Ces sépultures étaient bien faites pour la durée sans fin.

Au même titre qu’un temple ou qu’un amphithéâtre, une construction de ce genre était à elle seule un petit monde. Chacun des grands mausolées avait sa loi, qui réglait les cérémonies des anniversaires, les destinées juridiques du caveau, de la chapelle et du terrain[194]. Des esclaves ou des affranchis étaient préposés à son entretien[195]. Il avait, au même titre qu’un temple, ses revenus propres, qui étaient ceux des terres d’à côté, placées sous sa dépendance[196]. Des jardins, des vergers, des vignes[197], des esplanades, des pièces d’eau, le bordaient ou l’avoisinaient[198]. Souvent, une épaisse muraille enfermait le tout dans un même enclos[199]. Aux jours fixés par le mort, ses amis et ses proches se réunissaient auprès de sa dépouille[200]. Un mausolée de riche était une source de vie permanente.

Comme le nombre de ces édifices s’accroissait sans cesse, il se forma, autour de la ville des vivants, une ville des morts, aussi populeuse, aussi solide, aussi riche que l’autre. Elfe se groupait, pareille à l’autre, en quartiers et en rues, en cimetières et en allées[201]. Les pauvres gens étaient entassés dans des nécropoles voisines des faubourgs, taillées dans les rochers, creusées dans la terre ou ménagées dans des sablières[202] : pour ceux-là, si nombreux qu’ils fussent, on trouvait toujours de la place, car il n’en fallait pas beaucoup pour des poignées de cendres. Un emplacement spécial était réservé aux étrangers[203]. Bourgeois et riches étalaient leurs monuments en façade sur les grandes voies qui débouchaient des villes[204]. A plus d’un mille des dernières maisons, les routes étaient encore bordées de tombes ; et, au delà, à peine finie la ligne des tombes municipales, commençaient à poindre, sur les coteaux de la campagne, les mausolées solitaires des propriétaires ruraux. Si le monde était demeuré fidèle aux usages romains, la moitié du sol bâti eût été bâti pour les morts.

N’oublions pas enfin que tous ces morts étaient à demi des dieux, et que leurs tombes étaient des lieux saints, semblables à des autels et à des temples. Cette extension des sépulcres de pierre aidait à la mainmise de la religion sur le sol.

 

X. — BÂTISSES ISOLÉES DANS LES CAMPAGNES.

Des groupements de plus en plus denses d’hommes, de demeures, de tombes, de morts et de dieux, telle fut donc alors la principale loi de la société humaine et du sol habité. Rome, dès l’origine ville, sanctuaire et nécropole, demeurait fidèle à son principe initial et le propageait partout dans le monde.

On a vu déjà que la Gaule n’accepta pas uniformément ce principe, et que les hommes, plus volontiers peut-être que dans n’importe quelle province de l’Empire, n’y abdiquèrent jamais les pratiques d’une vie plus individuelle et de voisinages plus restreints. Villages et villas, petits groupes de foyers ou demeures isolées, sont encore pour les Gaules des formes aimées de la vie sociale[205]. De même façon, elles n’oublièrent aucun de leurs sanctuaires des champs, aucun de leurs dieux solitaires sur les bords des sources ou au sommet des montagnes.

Mais ces vies indépendantes, de grands seigneurs ou de vieilles divinités, ne se laissaient pas moins gagner par le besoin de se fixer sur le sol et par l’envie d’y bâtir. Les riches villas, si loin qu’elles fussent des cités, finissaient toujours par leur ressembler[206], avec leurs fondations profondes et immuables, leurs salles innombrables, leurs portiques, leurs statues, leurs chapelles, leurs thermes et peut-être leurs théâtres même[207], et les conduites de leurs fontaines ou les tuyaux de leurs calorifères rappelaient les canaux invisibles des grandes villes[208]. En face de la demeure seigneuriale, au centre ou en bordure[209] du domaine, le maître du lieu se prépare son mausolée, aussi puissant que ceux des plus opulents citadins[210]. Tel grand château rural, comme celui de Chiragan sur la haute Garonne, étend aujourd’hui ses ruines sur plus de deux hectares, et dans ce seul espace nous a livré plus de cent bustes ou statues[211], plus que les plus beaux thermes des plus importantes cités[212]. La pierre, là aussi, régnait en souveraine.

Les dieux des champs ne souffraient pas davantage de leur isolement. Eux aussi savent maintenant affirmer leur présence et leur empire par de durables constructions. Le grand dieu du puy de Dôme reçut son temple, aux soubassements éternels, aux murs énormes, aux parois revêtues de marbres précieux[213] ; et il eut sans nul doute, ainsi que tous les dieux installés dans des demeures, son trésor, ses domaines, ses esclaves et ses parasites[214]. Du jour où on lui consacra cette maison robuste, elle devint, sur cet âpre sommet, un noyau d’autres édifices, un centre de besogne permanente. Cet amour des Gallo-romains pour les lieux bâtis, après avoir rapproché les hommes en cités plus compactes, faisait naître dans les campagnes de nouveaux foyers[215].

 

 

 



[1] En dernier lieu, Cagnat et Chapot, Manuel d’archéologie romaine, I, 1917 p. 56 et s. Voir aussi John Ward, Romano-British Buildings and Earthworks, 1911. Le livre de Curt Merekel, Die Ingenicurtechnik im Alterthum, 1899, est de vulgarisation. Bibliographie chez Schumacher, Materialen, etc., Mayence, 1913.

[2] T. IV, ch. I, § 2.

[3] Justin, XLIII, 4, 1 : il s’agit dans ce texte, d’ailleurs, moins de la construction des villes que de celle de leurs remparts, orbes mœnibus cingere didicerunt ; toutefois, étant donné que les peuples de la Gaule connaissaient de longue date des oppida ou des enceintes murales (cf. les relevés d’enceintes publiés dans le Bulletin de la Société préhistorique française depuis 1906), j’incline à interpréter ce texte comme s’il s’agissait de bâtir de grandes villes régulières.

[4] Strabon, IV, 1, 11 (au sujet de Vienne et des Allobroges). C’est à un συνοικισμός de ce genre, en Bretagne, que le gouverneur Agricola (Tacite, 21) convie les grands du pays, quieti et otio per voluptates assuescerent, hortari privatim, adjurare publice, ut templa, fora, domus exstruerent, etc.

[5] Marseille, entre 1800 et 1910, monte de 111.000 à 551.000 habitants ; Lyon, de 110.000 à 524.000 (Stat. gén. de la France, Résultats du recens. de 1911, I, I, p. 116).

[6] Sénèque, Lettres, 91 [XIV, 3].

[7] Allmer (Musée, II, p. 283) dit 80.000 ou 100.000 sans les esclaves : mais la population servile devait être au moins égale à l’autre (ceci est hypothétique ; on établit d’ordinaire une population servile égale à la moitié de la population libre en s’autorisant du texte de Galien sur Pergame, Kuhn, V, p. 49). La périphérie de la colonie de Lyon peut être évaluée à un peu plus de 5000 mètres, sa surface à environ 170 hectares (chiffres fournis par Germain de Montauzan), et il parait certain que les fondateurs de la colonie n’ont pas prévu ses prodigieux accroissements (il est vrai que Lyon n’avait pas à recevoir, comme Nîmes ou Autun, notes 9 et 12, une grande masse de population indigène antérieure). Mais il faut tenir compte en outre du quartier du Confluent, et la population avait dû s’étendre de bonne heure bien au delà de l’enceinte primitive. Mollière (Recherches sur l’évaluation de la population des Gaules et de Lugdunum, 1892, p. 43) n’arrive qu’à 70.000 : d’autres à beaucoup moins ; Germain de Montauzan (Aqueducs, p. 33) suppose 400.000, ce qui me semble excessif. — Je touche ici à un des problèmes les plus difficiles de la civilisation de la Gaule et de toute l’Antiquité, la population des villes. Pour arriver à donner des chiffres, on peut s’aider des éléments suivants : 1° la comparaison de l’étendue occupée avec celle des villes contemporaines : à Paris, la moyenne était on 1896 de 321 habitants à l’hectare ; j’évalue, sous toutes réserves, à 500 habitants par hectare la densité urbaine de l’Antiquité, où il y avait moins de jardins, de places, de grandes voies, où, si les maisons étaient bien moins hautes, les gens étaient bien plus tassés (on donne à Alexandrie un demi-million d’habitants et 920 hectares ; cf. Beloch, p. 410) ; 2° les dimensions de l’enceinte ; 3° le nombre des places de l’amphithéâtre ; 4° le débit d’eau des aqueducs : Paris reçoit par jour (je donne les chiffres de 1894) 718.000 mètres cubes dont 245.000 pour le service domestique, pour une population de 2.500.000, soit trois hectolitres (287 l.) par habitant ; Lyon en recevait approximativement 75.000 (Germain de Montauzan, p. 346), Poitiers 15.000 (Mém. de la Soc. des Ant. de l’Ouest, XXI, 1854, p. 79), Sens 31.800 comme moyenne (Julliot et Belgrand, Notice, etc., 1875, p. 29), Nîmes 46.500 (Leger, p. 603 ; maximum ?), Metz en moyenne 43.200 (id.), l’antique Lutèce seulement 2000 (de Pachtère, p. 81), Arles environ 18.000 (Congrès arch., s., 1870, p. 551) ; 5° le nombre des inscriptions et tombeaux et l’importance des ruines ; 6° la superficie des cimetières : le cimetière gallo-romain de Terre-Nègre à Bordeaux, qui n’était pas unique, avait un hectare et quart ; son cimetière actuel de la Chartreuse en a 24. Aucun de ces éléments n’est concluant. La densité de la population nous est inconnue pour ce temps-là et a pu varier extrêmement : les remparts (par exemple à Fréjus, Augst, Avenches) devaient embrasser bien des espaces vides, tels que celui de l’amphithéâtre, d’ordinaire à l’intérieur de l’enceinte ; et, par contre, ils ne tenaient pas toujours (en particulier à Lyon) tout l’espace habité. L’amphithéâtre, à Rome, comprenait 87.000 places, moins du dixième de la population ; et je doute que Nîmes, par exemple, ait été peuplée de 200.000 âmes, soit dix fois l’effectif des spectateurs des Arènes ; les gens de la campagne et d’ailleurs y venaient en grand nombre. Les aqueducs servaient aussi bien à alimenter les thermes qu’à fournir la boisson, et pour celle-ci on recourait toujours aux citernes, puits, sources et rivières. Enfin, le hasard seul a amené tel ou tel chiffre d’inscriptions. Tous les chiffres que je vais donner ici sont donc problématiques, et résultent de la combinaison que j’ai faite de ces divers éléments.

[8] D’après les indications de Strabon (IV, I, 12 ; 3, 2), Narbonne était au temps d’Auguste la plus peuplée des villes de la Gaule ; mais les choses ont du changer rapidement. Narbonne, au dire de Strabon, demeure supérieure à Nîmes (IV, 1, 12). La disparition de toute trace de remparts antiques empêche d’évaluer le périmètre ; on peut évaluer la superficie à 200 hectares (Rouzaud) : dans l’ensemble, Narbonne devait rappeler les dimensions de Nîmes et d’Autun (note 9 et 12).

[9] Périphérie, 6.200 mètres environ (6.000, Mazauric) et 220 hectares (F. Germer-Durand, Enceintes successives de Nîmes, 2e éd., 1877 ; Blanchet, Enceintes, p. 208) ; cf. Strabon, IV, 1, 12.

[10] Arles aurait eu à peine plus de 2.000 mètres de périphérie (Blanchet, p. 154 ; plan de Véran, Congrès de 1870, p. 273), et par suite environ 25 hectares, mais on sait l’importance de ses faubourgs sur l’autre rive du Rhône : duplex Arelas, disait-on toujours (Ausone, Mos., 480-1 ; Urbes, 73 ; Epist., 25, 81, éd. Schenkl).

[11] Périphérie de 5 à 6.000 mètres ? (Blanchet, p. 145) ; cf. Strabon, ici, note 5.

[12] Périphérie de 5.922 mètres ; 200 hectares (Harold de Fontenay, p. 13).

[13] Périphérie de 6.418 mètres (Lebner, Westd. Zeitschrift, XV, 1896, p. 217), et superficie de 285 hectares. C’est la ville aux dimensions les plus grandes.

[14] Périphérie de 3.911 mètres et superficie de 96 hectares 80. Mais il faut tenir compte de la population militaire.

[15] Voyez le nombre des inscriptions et songez à l’importance du camp.

[16] Je les place ici seulement, à cause de l’étendue approximative de leurs enceintes, contemporaines d’Auguste, combinée avec le nombre relativement restreint de leurs inscriptions. Il devait y avoir bien de la place vide dans leurs enceintes (Fréjus a environ 3.500 mètres, le port mis en dehors). Et peut-être dans ces villes, sauf à Toulouse, qui n’a pas dû perdre d’enceinte sous Auguste a dû être de 3.955 m. [note de J. Chalande], ambitus ingens, dit Ausone, Urbes, 98-106), peut-être s’est-il produit un assez fort dépeuplement après la fondation coloniale. On peut placer Marseille (2.500 mètres environ) dans cette catégorie. Et, en outre, Augst (2.446 toises, Schœpflin, Alsatia illustrata, I, p. 163), Avenches (environ 4.000 m.), deux villes où il devait y avoir beaucoup d’espace vide, Xanten (85 hectares), etc.

[17] Je les place ici, à cause de l’étendue de leur enceinte, construite, il est vrai, non sous César ou Auguste, comme pour les villes coloniales qui précèdent, mais au troisième siècle, après le passage des Barbares, mais enceinte qui suppose après tout la continuation d’une importance relative. Et je m’aide aussi du nombre de leurs monuments — Bordeaux a 2350 mètres, Sens 2.500, Poitiers 2.600. Peut-être aussi Bourges (2.100 m.) et Clermont. Saintes a dû appartenir à cette catégorie au début de l’Empire, puis être bien tombée (enceinte, seulement 935 m.). Comme superficie de ces villes après la construction de leurs remparts, je trouve d’ordinaire 30 à 40 hectares : mais il faut doubler au moins (bien davantage pour Saintes) pour avoir la surface bâtie dans sa plus grande extension. Je crois bien, vu l’importance des ruines, qu’il faut aussi mettre dans cette catégorie Metz et Besançon (πάλαι μεγάλη, dit Julien de celle-ci, Epist., 38, p. 414, Sp.).

[18] On pourrait établir une catégorie inférieure, vers 20.000 habitants, pour Chartres (on donne 2100 mètres à ses remparts, ce qui parait assez disproportionné avec l’ensemble de ses vestiges du Haut Empire), Orléans, Nevers, Auxerre, Troyes, Châlons, Tours, Le Mans, Angers, Nantes, Rennes, Paris, Rouen, Arras, Amiens, Boulogne, Bavai ?, Tongres, Strasbourg, Chalon, Dijon, Langres, Soissons, Beauvais, Dax, Limoges, Périgueux (bien déchu lors de la construction du mur, qui n’a pas 1000 mètres, mais l’amphithéâtre est fort grand), Grenoble (dont l’enceinte, également récente, varie entre 1800 et 1000 ; Blanchet, p. 283-4), Genève, et qui ont livré un nombre suffisant de monuments. Cela donne, pour la superficie murée, entre 8 hectares (Paris : de Pachtère, p. 144) et 20 hectares (Strasbourg : Blanchet, p. 129), le double et davantage, pour la surface occupée sous le Haut Empire. On peut mettre dans cette catégorie, plutôt que dans la précédente, Nyon (quoique colonie de César), Vaison, Die, Avignon et Valence en Narbonnaise d’enceinte coloniale aurait environ 2.600 m., la superficie de 43 à 45 hectares ; Villard, Bull. de la Soc. d’Arch. de la Drôme, 1016, pl. II, et lettre de J. Bey).

[19] Moins de 10.000 habitants. Dans le Midi, par exemple Aps (en Vivarais, où la vie municipale est particulièrement faible ; cf. t. VI, ch. V), Cap, Antibes (590 m. et 2 hectares) et les petites capitales alpestres (cf. t. VI, ch. VII) et pyrénéennes (cf. t. VI, ch. VI). Ailleurs, Senlis (840 mètres et 938 ares) ; de même, à cause de leur enceinte (un millier de mètres), Évreux, Noyon, Meaux, Melun, Lillebonne, Lisieux, Vannes, Bayonne (vicus). D’autres chefs-lieux, Javols, Saint-Paulien des Vellaves, Jublains, Vieux, Corseul, etc., ne furent pas fortifiés (il me parait difficile que le castrum de Jublains, un peu plus d’un hectare, ait été une enceinte municipale) : ce qui montre leur peu d’importance.

[20] Strabon, IV, 1, 12 ; Pline, III, 37. Entre autres (C. I. L., XII, 3362) : Uzès (Ucelia), Anduze (Andusio), Alais (Arisitum, Grégoire de Tours, H. Fr., V. 5), Calvisson (Arandunm, XII, 4155), Nages (Samongenses ?), Viudomagas (Le Vigan ? Ptolémée, II, 10, 6), sans doute Beaucaire (Ugernam, XII, 3362), sans doute aussi Substantion (Sextontio, XII, 3362, plus tard transformé en colonie). C’est en songeant à ces 24 κώμαι que Strabon dit de Nîmes qu’elle surpassa Narbonne κατά τό πολετικόν, le mot vise l’importance du territoire municipal de Nîmes, et non pas, comme on le traduit d’ordinaire, celle de la population urbaine.

[21] Je rapporte le chiffre d’oppida ignobilia XVIIII chez Pline (III, 37) aux Vocontii, nom que je traduis par viginti (Revue des Ét. anc., 1907, p. 172-4). Luc a été remplacé par Die comme capitale.

[22] Voyez par exemple à Boutæ (cf. note suivante).

[23] Remarquez l’extraordinaire richesse en inscriptions (XIII, 3980-4027) et en tombes à figures (Espérandieu, V, p. 211 et s.), d’Arlon, Orolaumun (Itin. Ant., p. 366, W.), simple vicus des Trévires ; Waltzing, Orolaunum vicus, 1904-5 (Musée Belge). De même, les stèles de Saint-Ambroix (Ernodurum, Itin., p. 460) citez les Bituriges (Thil et de Goy, Mém. de la Soc. des Ant. du Centre, 1911, XXXIV, 1912) nous mettent en présence de petits boutiquiers de village. La meilleure monographie de vicus gallo-romain est Boutæ [tout près d’Annecy, qui n’a fait que remplacer le vicus], par Marteaux et Le Roux, Annecy, 1913.

[24] Le monument de Lanuéjols, les piles du Sud-Ouest (Lièvre, Les Fana ou Vernemets, dits piles romaines, 1888 ; surtout Lauzun, Invent. gén. des piles gallo-romaines, Caen, 1898, Bull. mon.), la pile de Cinq-Mars en Touraine (de La Sauvagere, Recueil, p. 158 et s. ; de Clérambault, Bull. de la Soc. arch. de Touraine, IIe s., 1, 1909-10 ; etc.) ; etc. Et cf. t. VI, ch. III (La Tombe).

[25] Voyez ce que dit César des villas gauloises à propos de celle d’Ambiorix, ædificio circumdato silva, ut sunt fere domicilia Gallorum, qui vitandi æstus causa plerumque silvarum ac fluminum pelant propinquitates (V, 30, 3). D’ailleurs le motif que donne César doit être secondaire : les forêts et rivières étaient nécessaires à l’exploitation des grands domaines.

[26] En Belgique surtout (Cumont, ici, note 29), mais partout aussi (voyez par exemple les ruines de la villa de Chiragan prés de Martres-Tolosanes). Cf. t. IV, ch. IX, § 5 et 6.

[27] T. VI, ch. VI.

[28] Pour Aps en Vivarais, XII, 267G-93 ; pour Javols en Gévaudan, XIII, 1557-9 ; pour Rodez en Rouergue, XIII, p. 208-9. Les petites villes alpestres (t. VI, ch. VII) semblent même avoir été plus importantes que celles-là.

[29] Cumont, Comment la Belgique fut romanisée, Bruxelles, 1914 (Ann. de la Soc. d’Arch., XXVIII), p. 9 et s. ; ici, t. VI, ch. VI. Voyez aussi Demarteau, L’Ardenne gallo-romaine, 1906, p. 102 et s., p. 126 et s. Et pour la Moselle, Grenier, Habitations gauloises, etc., 1906.

[30] Auvergne, Gévaudan, Rouergue, etc.

[31] Autres exemples de ces édifices publics dans des lieux ruraux : les thermes de Garguier dans la vallée de l’Huveaune (C. I. L., XII, 594), le groupe des bâtisses d’Herhord près de Sanxay en Poitou (de La Croix, Mémoire archéologique sur les découvertes d’Herbord, Niort, 1883), du Bois-des-Bouchauds près de Saint-Cybardeaux en Saintonge (Chauvet ), de Drevant dans le Berry (Mallard, Bull. arch., 1914, p. 195 et s.), de Tintiniac près de Tulle (Plantadis, Revue des Ét. anc., 1913, p. 434 et s.), etc.

[32] Cauchemé, Descr. des fouilles arch. exécutées dans la forêt de Compiègne, 1900-2 (Soc. hist. de Compiègne).

[33] Encore est-il possible, à Trèves par exemple, qu’il y ait eu simplement, comme cela s’est passé de Bibracte à Autun et ailleurs, transfert d’un oppidum central.

[34] Non pas que les Celtes aient ignoré l’usage des eaux thermales : mais il ne semble pas, du moins dans l’état actuel de nos connaissances, qu’elles aient provoqué des cures assez longues pour qu’elles aient donné naissance à de vraies villes. Sur les vestiges antérieurs à la domination romaine reconnus dans les villes d’eaux, Bonnard, p. V-X.

[35] Aquæ... urges condunt, Pline, XXXI, 4. Cf. L. Bonnard, La Gaule thermale, 1903.

[36] Tacite pour Baden chez les Helvètes (Hist., I, 67) : In modam rnunicipii exstruclus locus, amœno salubriam aquarurn usu frequens.

[37] Crinagoras, Anth. pal., IX, 419 ; Aquæ Augustæ, Ptolémée, II, 7, 8 ; Pline, XXXI, 4 (eaux chaudes et froides junctæ in Tarbellis, cf. Rev. des Ét. anc., 1901, p. 213).

[38] Strabon, IV, 2, 1 ; Ilixo deus, C. I. L., XIII, 345 et s. Ce sont peut-être ces eaux auxquelles pense Pline (XXXI, 4), junctæ (c’est-à-dire froides et chaudes, la température en varie actuellement de (13°50 à 64°), situées in Pyrenæis montibus.

[39] Vicani Aquenses, XIII, 339 ; Aquæ Convenarum, Itin. Aut., p. 457, W.

[40] Aquæ Calidæ dans la Table de Peutinger, s. 1, 3 ; Calentes Baiæ, comme les appelle Sidoine Apollinaire, Epist., V, 14.

[41] Vicus Aquarum, chez les Allobroges, XII, 2461.

[42] Lussovius, Luxovius, chez les Séquanes, XIII, 5425-6. Luxeuil devint assez important pour être fortifié sous le Bas Empire, castrum firmissirno olim munimine cultum (V. Columbani, I, 10, Krusch). — L’énigmatique Andesina, dans la Table, ne peut être qu’une station balnéaire des Leuques, Vittel, Contrexéville ou Bains.

[43] Aquæ Neri, Table, s. 1, 3 ; vicus Neriomagus, XIII, 1374.

[44] J’entends par là Bourbenne-les-Bains chez les Lingons ou chez les Séquanes (XIII, 5911-20), Bourbon-l’Archambault chez les Bituriges (cf. Bonnard, p. 444 et s.), Bourbon-Lancy chez les Éduens (Borvo, Bormo, Aquæ Bormonis ; XIII, 2805-7 ; Table, s. 1, 3). Il devait y avoir d’autres Bourbon, par exemple Bormanus et Bormana à Aix près de Die chez les Voconces (XII, 1551).

[45] Cf. t. VI, ch. I.

[46] Citons encore : Baden en Suisse ; Aix-en-Provence (Pline, XXXI, 4) ; Aix-la-Chapelle (contrairement à l’opinion courante, C. I. L., XIII, II, p. 517, je crois à l’ancienneté du nom Aquæ Grani [surnom d’Apollon guérisseur], Pertz, Scr., III, p. 704 ; la localité était d’ailleurs fort habitée et fort visitée à l’époque romaine, C. I. L., l. c.) : Aguæ Nisincii ou, plutôt, Alisincum chez les Éduens, Saint-Honoré (Table, s. 1, 4 ; Itin., p. 366, 460, W.) : Aquæ Segete chez les Ségusiaves (Moing [à écrire Moind] plutôt que Saint-Galmier, ces dernières eaux d’ailleurs fréquentées ; Table, s. 1, 4, cf. C., XIII, 1630, 1641, 1646 ; Bonnard, p. 373-6) ; Evaux, Ivavus, à l’origine chez les Bituriges plutôt que chez les Lémoviques (XIII, 1368 : Grégoire de Tours, Confess., 80) ; Gréoulx, nymphæ Griselleæ, dans le pays de Riez (XII, 361) ; Les Fumades dans le pays de Nîmes (XII, 2845-31) ; Aquæ Segeste, près de Sceaux du Gâtinais, entre Sens et Orléans, chez les Sénons (Table, s. 1, 3). La liste de Bonnard comprend 126 noms, et elle pourrait être allongée. — J’indique la civitas à qui appartient la station, parce que toute cité devait tenir à posséder sa ville d’eaux.

[47] L’importance des eaux ressort du fait que, dans la Table de Peutinger, elles sont marquées à peu prés toutes par des vignettes spéciales, beaucoup plus caractéristiques que celles qui signalent les autres localités, et l’on peut même se demander si la Table ne provient pas d’une carte ou d’un roulier à l’usage des baigneurs. — Au point de vue des noms de Ves nouvelles villes, on distinguera celles qui sont restées sous le nom générique latin de Aquæ, et celles qui ont conservé les noms celtiques des divinités des sources. Il est à remarquer que jusqu’ici nous n’avons pas trouvé un élément toponymique indigène correspondant au latin Aquæ.

[48] Die, Dea Augusta, ne peut devoir son nom qu’à un sanctuaire de divinité féminine, et l’épigraphie montre en effet qu’elle était le centre religieux du pays des Voconces, foyer du culte de la déesse indigène Andarta (XII, 1356-60) et de celui de la Mère des Dieux (1567, 1569), laquelle doit être l’équivalent de la déesse gauloise.

[49] Tacite, Hist., I, 66 (Lucus... municipium).

[50] Dans la même catégorie : Entrains, Intaranum [inter amnes ?, ou, plutôt, nom d’un dieu Intaranus, à rapprocher du dieu Intarabus], lieu où les Anciens avaient accumulé, disait-on, multorum nefariorum portenta (Acta Sanctorum, Vita s. Peregrini, 16 mai, III, p. 560, n. éd.), au milieu du pays d’Auxerre ; Fanum Martis en Armorique, devenu Corseul, chef-lieu des Coriosolites (Itin. Ant., p. 387) ; Tutela, qui parait être l’étymologie de Tulle ; etc. Rappelons que parmi les grandes métropoles, Arras, Nemetacurn (primitivement Nemetocenna), Clermont (Augustonemetum), Metz (Divodurum = vicus sanctus), ont une origine religieuse.

[51] Fréjus, Forum Jolii ; Angers, Juliomagus (qui signifie la même chose) ; Beauvais, Cæsaromagus ; Feurs, Forum Segusiavorum ; Senlis, Augustomagus ; Rouen, Ratumagus. Sur les bords du Rhin : Brocomagus, Brumath, métropole des Triboques ; Borbitomagus, Worms, des Vangions ; Noviomagus (= forum novum), Spire, des Némètes ; Noviomagus, Nimègue, chez les Bataves. Je ne parle pas des moindres fora ; voyez la liste des noms en magus chez Holder, II, c. 384-5.

[52] Pour les villes d’origine militaire, il y a toujours un double élément, le camp lui-même, et, plus ou moins loin, le marché permanent, canabæ (on dit canabarii, canabenses, pour les habitants ; XIII, 6710, 5967) ; peut-être y a-t-il eu parfois un troisième élément, une bourgade particulière avec vici (à Mayence, C. I. L., XIII, II, p. 303). C’est le marché qui se transforme peu à peu en ville ; Tacite, Hist., IV, 22 (Xanten, près de Vetera) : Opera baud procul maris in modem municipii exstructa. Cf. en dernier lieu Schulten, Real-Enc., au mot Canabæ. La question de la transformation des canabæ, des vici de camps et des camps en bourgades civiles doit d’ailleurs être reprise, en faisant intervenir de plus près la topographie, et en bien distinguant les camps qui ont donné lieu à la fin à des chefs-lieux de cités (Mayence, Xanten), ceux qui avoisinaient dès le début de vieux centres ou chefs-lieux indigènes (Nimègue, Cologne : là l’élément militaire s’est effacé), ceux qui se trouvaient loin de ce chef-lieu (Strasbourg par rapport à Brumath).

[53] Le nom est celtique, primitivement Argentorate ou Argentoratis plutôt que Argentoratum (XIII, 9082).

[54] Il faut distinguer le camp, à l’endroit dit Argentorate, autour de la Cathédrale, et le vicus des canabæ (XIII, 5967), sans doute à Kœnigshofen, à deux milles de là. Mais il semble que plus tard les canabæ se rapprochèrent, qu’il y eut un village civil dans la Langstrasse (qui est une grande route romaine, vers Kœnigshofen, Saverne et Metz), adossé au camp, que ce village s’est appelé Stratæ Burgus, le bourg de la route, et qu’il aura imposé à la fin son nom à l’ensemble (Grégoire de Tours, H. Franc., X, 19) ; Dehio, Zeitschrift fur die Geschichte des Oberrheins, nouv. série, XII, 1397, p. 167-3.

[55] C. I. L., XIII, II, p. 293 et s. Mayence devint chef-lieu de civitas.

[56] C. I. L., XIII, II, p. 537. Bonn resta un vicus de la cité de Cologne.

[57] C. I. L., XIII, II, p. 602 : le camp est entre Fürstenberg et Birten, et la ville est à Xanten, à un mille de là, Xanten fut érigé en colonie sous Trajan.

[58] Vindonissa, Windisch (XIII, II, p. 37), Divitia, Deutz (XIII, II, p. 587), Novæsium, Neuss (XIII, II, p. 593). Windisch resta simple vicus chez les Helvètes, Deutz et Neuss de même dans la cité de Cologne. — Cologne et Nimègue ont été des villes indigènes, choisies ensuite comme lieux de camps. A Cologne, le camp, en particulier de la Botte, est à Alteburg, à deux milles. A Nimègue, ou peut distinguer : 1° le marché neuf  (Noviomagus), qui est devenu la colonie, sur les bords du Rhin, 2° le vieil oppidum batave, sur la hauteur près de là, et 3° sans doute le camp romain primitif ; cf. Holwerda, Bijdragen voor Vaderlandsche Geschiedenis en Oudheidkunde à La Haye, 1917, p. 207 et s.

[59] Je ne parle ici que des trois premiers siècles de l’Empire.

[60] Différence de niveau entre le sommet et le bas pays : à Lyon, de 310 mètres à 165 ; à Cassel (Castellum Menapiorum), de 156 à 30 ; à Poitiers, de 118 à 70 ; à Angoulême, de 96 à 24. Comparez aux différences que présentaient les grands oppida celtiques de Gergovie (de 711 à 416) et Bibracte (de 822 à 386). — Ajoutez quelques petites villes de Novempopulanie et des Alpes (t. VI. ch. VI et VII).

[61] Cf. Homo, Lexique de topographie romaine, p. 109 et s. ; Jordan, Topographie, I, III, 1907. p. 496 et s.

[62] La ligne de ses remparts embrasse exactement sept collines, aux noms souvent anciens : Montauri [mons Aureus], Canteduc [Cantodunum ? = mons albus ?], la colline de la Tourmagne, la Lampèze, le puech Crémat,[mont brûlé ?], le puech Ferrier [Ferratus], le puech Jusieu [Judaicus] ou mont Duplan ; après d’autres, Martiéjol, Nîmes aux Sept Collines, 1909 (Mém. de l’Acad. de Nîmes). Reste à savoir à partir de quelle époque on a fait cette constatation et si les Anciens en ont eu l’idée. Le texte célèbre de Théodulfe [sous Charlemagne] porte (Contra judices, 131) inde Nemausiacas sensim [et non septem] properamus ad arces, et le mot arces signifie les tours de Nîmes, et en particulier celles des Arènes.

[63] La cote 386 est le point culminant d’Autun, l’altitude moyenne est de 350, l’Arroux est à 287.

[64] Cf. t. VI, ch. I et VI.

[65] Clermont est à 410 (point culminant), la plaine à 338.

[66] En direction du sud-est. De Pachtere, plan 1, p. 45 et s. ; les abords de la Cité sur la rive droite n’étaient pas peuplés (p. 36).

[67] En direction du nord-ouest. Inscr. rom. de Bordeaux, II, p. 554 et s.

[68] Il est possible que le quartier de la Canebière (ancien plan Fourmignier) doive son origine et son nom aux canabæ ou canabarii, aux boutiques, magasins et entrepôts établis le long du Port, et qui pouvaient former une longue voie de communication (comme le plan Fourmiguier au Moyen Age) entre la ville et la nécropole de Saint-Victor (cf. à Lyon). Mais Marseille romaine parait tendre surtout vers les hauteurs en direction du nord, le long de la via Aquensis (XII, 412). — Canebière peut d’ailleurs venir, comme le nom de l’ancienne rue de la Chanvrerie à Paris, de canaberii : et ce pouvait être alors le quartier primitif des cordiers, le lieu où l’on travaille le chanvre, dit Mistral, et la disposition allongée du quartier se prêtait en effet au travail des corderies.

[69] Comme dernière monographie de ville, bien étudiée à ce point de vue, celle de Cologne par Klinkenberg, dans Die Kunstdenkmäler der Rheinprovinz, VI, 1906. p. 157 et s. ; de vicus, le livre sur Boutæ.

[70] A Autun.

[71] Je le suppose à Nîmes d’après la concession faite à un particulier (dès le temps de Tibère) d’une area inter duos [sic] turres (XII, 3179).

[72] Jusqu’ici l’épigraphie ou l’archéologie ne nous ont rien fourni de ce genre. — Ici se pose la question, si difficile à résoudre, du pomerium ou de la ligne sacrée qui marquait le territoire urbain (les Gromatici la mentionnent, p. 17 et 21). On a supposé que quelques-uns des arcs de triomphe ou de passage pouvaient marquer la ligne du pomerium (Frothingham, Revue arch., 1905, II, p. 223 ; le même, The Roman territorial Arch, dans American Journal of Archœology, XIX, 1915) : c’est possible en principe, et ce peut être vrai pour quelques arcs de la Gaule, mais ce ne peut être vrai pour tous, et du reste l’importance pour l’arc était moins la nature de l’endroit où il était placé que l’événement ou le personnage qu’il rappelait, l’essentiel étant que l’arc fût placé loco celeberrimo de la ville (C. I. L., XI, 1421), et ce locus pouvait être en effet le passage du pomerium : mais ce pouvait être un autre.

[73] De Pachtere, p. 45.

[74] Id., p. 97.

[75] Cf. p. 96.

[76] On pourrait citer bien d’autres exemples : à Metz, la rue principale était la Grande rue de la Porte Serpenoise, qui continuait la fameuse route de Trêves à Langres ; à Besançon, la Grande-Rue actuelle est certainement la vieille piste gauloise suivie par César, sur la route de Langres en Italie ; il n’est pas jusqu’à Marseille où les deux rues principales, d’un côté rue Caisserie et Grand’Rue [dans sa partie ancienne, carreria Recta, etc.], de l’autre rue de l’Évêché [carreria Recta Francigena], devaient continuer les chemins, celle-ci de Gaule (Aix) et celles-là d’Italie : à Autun. Je crois que même dans les villes neuves ces grands chemins ont été conservés, soit qu’ils deviennent les artères principales (à Autun, la Saarstrasse, etc., à Trêves), soit qu’ils traversent par des lignes obliques le damier des rues neuves (à Trèves, la rue qui menait du pont à la Porte Noire, Brückenstrasse, Fleischstrasse, Simeonstrasse : je reconnais d’ailleurs que mon hypothèse, de l’existence ancienne de cette ligne, est contraire à l’opinion et aux restitutions courantes, note 77).

[77] Cf., sur toutes ces questions, Havertield, Ancient Town planning, 1913. — Je crois cependant que les plans des cités coloniales ou neuves n’étaient pas aussi réguliers (direction et façade de rues) que l’indiquent les restitutions modernes, par exemple celle de Trèves faite par Græven, si souvent reproduite (Die Denkmalpflege, VI, Berlin, n° 16, 14 déc. 1904), d’après le réseau de la canalisation souterraine. S’il en était ainsi, je ne comprendrai pas pourquoi le réseau en forme de damier, si bien conservé par exemple à Turin, l’est beaucoup moins dans nos villes coloniales, Arles, Nîmes, Trèves, qui furent toujours habitées. Et le Moyen Age était essentiellement conservateur en matière de rues : exproprier, aligner et percer sont choses modernes. Les empiétements ont porté sur les trottoirs et les façades, et ne pouvaient changer la direction de la voie ; remarquez la persistance des voies antiques à Fourvières (t. VI, ch. VII). Je pense donc que la symétrie des plans coloniaux devait souvent s’accommoder de venelles antérieures.

[78] A Autun : voyez le plan et le texte de Harold de Fontenay, p. 49 et s., d’après les constatations de Roidot-Déléage ; de Fontenay, p. 51 : l’Autun romain était traversé dans toute son étendue par une voie en droite ligne. Deux autres voies principales s’embranchaient perpendiculairement à la grande voie.... C’est parallèlement à ces trois rues que se ramifiaient toutes les autres voies..., traçant ainsi ce vaste échiquier. A Paris (pour la rive gauche), de Pachtère, plan 1 et p. 50, d’après les constatations de Vacquer.

[79] La description qu’Ausone fait de Bordeaux (Urbes, 142-4) est celle d’une ville à damier, aux rues parallèles se coupant à angles droits, comme celles des colonies : Distinctas vias, dispositam domorum, respondentes directa in compila portas. Il est bien vrai qu’il s’agit de la ville fortifiée d’après 300 ; mais il est impossible de croire que Bordeaux et les autres villes des Gaules aient été si complètement détruites au IIIe siècle, qu’on les ait rebâties tout entières sur plan nouveau. On a dû conserver le réseau des rues primitives en utilisant pour les remparts certaines lignes existantes. — Cette remarque peut s’appliquer à bien des villes ; elle ressort en dernier lieu des recherches faites à Beauvais (Leblond, Bull. arch., 1915, p. 7 et 10). — Je remarque, dans la plupart des villes gallo-romaines, le dispositif de deux lignes parallèles formées par deux grandes voies : l’une (par exemple rue Saint-Jacques à Paris, Grande rue de la Porte Serpenoise à Metz), plus large, plus importante, d’ordinaire une grande route ; l’autre (via Inferior à Paris, rue des Clercs à Metz), tracée parallèlement et sans doute postérieurement à la première. Voyez de même à Autun, ici, note 78. Je pourrais en citer bien d’autres exemples. Il y a là sans doute une réminiscence des deux lignes parallèles du camp romain perpendiculaires à l’axe principal, via principalis et via quintana. — Je crois à l’orientation initiale de ces villes et de leurs rues, du moins lorsque nous avons affaire à un système régulier. Mais je ne saurais dire si cette orientation est le fait de prêtres indigènes ou d’arpenteurs romains. Mais, pour résoudre cette question autrement que par une impression, il faudrait connaître : 1° le système adopté, soit le système classique des Romains, la direction indiquée par le soleil à son lever, soit le système archaïque, celle du soleil à son coucher (cf. Hygin, Grom. sel., p. 166-170) ; 2° le jour de l’année auquel les ligues ont été tracées. Retrouver le jour de la fondation d’une ville gauloise d’après celui où le soleil se lève ou se couche dans l’axe du decimanus est fort tentant : mais trop d’éléments nous manquent pour constituer des hypothèses plausibles. A titre de renseignement, j’indique qu’à Paris, d’après les mesures prises par Bigourdan, l’axe de Notre-Dame, qui doit représenter la direction de la ligne principale ou du decimanus de Lutèce, correspond, comme lever du soleil, aux 6 février et 6 novembre, comme coucher, aux 1er mai et 12 août : je ne puis rapprocher d’ailleurs ces dates d’aucun souvenir ancien, d’aucune fête du calendrier chrétien (qui serait une survivance de fête païenne). Cf. Barthel sur l’orientation de Timgad, Bonner Jahrb., CXX, 1911, p. 110-1. — Il est d’ailleurs certain qu’on célébrait le dies natalis de ces villes neuves (Trèves, Pan., VII. 22).

[80] Harold de Fontenay, p. 52 (la rue qui unissait la porte d’Airoux à la porte de Rome, et qui correspond à la grande voie de Lyon) et 38. Cette largeur rappelle celle, de 50 pieds, des chemins ordinaires des camps romains.

[81] Id. — À Besançon, dans la grande rue romaine, on parle de trottoirs élevés de 0 m. 18 au-dessus de la voie, formés de dalles de moyenne grandeur (Castan, Besançon et ses environs, 2e éd., 1901, p. 81). — En ce qui concerne ce qu’on regarde comme des trottoirs, je me suis demandé si ce ne sont pas souvent des soubassements de portiques ou de boutiques, ce qui explique leur disparition, au Moyen Âge, au profit des habitants riverains (ici, note 83).

[82] De Pachtère, p. 47. La via Inferior, qui lui est parallèle (rue de la Harpe, boulevard Saint-Michel), n’a que 7 à 8 mètres, 20 à 23 pieds. — Les archéologues de Trèves évaluent à 10 mètres la largeur des rues.

[83] La largeur de la rue Sainte-Catherine au XVIIIe siècle (Arch. municipales de Bordeaux, n° 3341, communication de P. Courteault ; c’est l’ancienne Magpa rua de Porta Medulca, grande rue de la porte Médoc) variait entre 12 et 20 pieds [du roi], c’est-à-dire que sa largeur moyenne, de 4 à 6 m. 50, correspondait à la chaussée d’une voie romaine. Les riverains du Moyen Age ont dû empiéter sur les trottoirs et ne laisser que la voie charretière.

[84] La rue Caisserie à Marseille, qui est certainement une rue principale, atteint à peine aujourd’hui 3 m. 20, 10 pieds, dans sa partie la plus étroite (mesures de Clerc). Je crois d’ailleurs que Marseille était la ville qui avait dès lors la voirie la plus étroite, et cela remontait à l’époque grecque. — A Lyon, où l’espace était aussi assez restreint, la chaussée du Gourguillon, une des principales, avait 8 mètres, dont 4 pour les trottoirs (Allmer et Dissard, II, p. 289).

[85] La rue du Mulet, à Bordeaux, qui rappelle une de ces rues, a 3 m. 30 (P. Courteault). L’extrême étroitesse des plus anciennes rues de la Cité de Paris doit remonter à l’Antiquité : Une seule atteint 5 m. 10, les autres ont généralement 3 mètres [10 pieds]. La voie de la rue de la Vieille-Draperie n’a que 2 m. 95, celle de la rue aux Fèves 1 m. 50 [5 pieds] ; de Pachtère, p. 157. À Boutæ, on a reconnu une voie de 2 mètres [6 pieds], bordée d’habitations.

[86] Largeur minima actuelle, 3 m. 50.

[87] L’écartement des roues d’un véhicule romain est évalué, d’après les ornières de Pompéi, à 1 m. 35.

[88] Sauf exceptions. — Parmi les rues antiques, les plus larges et les plus importantes, celles qui menaient aux portes portaient le nom de plateæ (C. I. L., XIII, 7261, 7263-7, 7335-7) : elles correspondaient en principe à la via principalis des camps romains, et sans doute aux deux autres, quintana et decimanus. — Il semble que, dans l’ensemble, ces différentes catégories de rues fussent conformes aux mesures données par les Gromatici pour les limites des terrains coloniaux d’après les règlements d’Auguste : decimanus maximus, 40 pieds, cardo maximus, 20, limites actuarii, 12, subruncivi, 8 (Grom. vet., p, 194). Vitruve (I, 7, 1) ne distingue qu’entre plateæ et angiporta. — La structure interne des rues ne différait pas de celle des voies : seulement, la surface en fut d’ordinaire pavée, peut-être seulement à une époque tardive (à Autun, seulement la plus grande rue ; d’autres à Lyon) : à Autun, ce sont d’énormes blocs de granit de 0 m. 50 d’épaisseur, et ayant jusqu’à 0 m. 90 et 1 m. 40 de dimensions moyennes (de Fontenay, p. 55) : dans la grande rue de Besançon, les pavés sont d’énormes pierres de taille ayant 0 m. 70 à 0 m. 80 de large, 2 mètres de long, 0 m. 35 à 0 m. 40 d’épaisseur (Castan, Bes. et ses environs, 2e éd., 1901, p. 81) ; les pavés en grès de la rue Saint-Jacques, à Paris, pèsent de 488 à 1790 kil. (s’ils sont romains, ils doivent dater d’assez basse époque) ; Ch. Magne, Les Voies romaines de l’antique Lutèce, p. 15, extr. du Bull. de la Montagne Sainte-Geneviève, II, 1897-8 ; de Pachtère, p. 47.

[89] Pas avant le XVIe siècle (Poëte). Encore au XVIIe siècle, 20 mètres étaient pour une rue un maximum très rarement atteint, et on restait souvent bien en deçà : on distingue dans Paris trois sortes de rues, les grandes, les moyennes et les petites ; les grandes rues ont communément depuis 7 jusqu’à 10 toises, et il y en a de 6 pieds de large ; Continuation du Traité de la Police de Delamare, IV, 1738, p. 10. Pour les plantations, M. Poëte m’informe que la plus ancienne à Paris est celle du quai des Ormes ou des Célestins en 1370 (cf. Sauval, I, p. 246).

[90] Compita. Quadruviæ à Strasbourg, XIII, 5971. Etc.

[91] Voyez par exemple la place des Quinconces à Bordeaux, projetée par les intendants, la place de la Concorde à Paris, etc. — Remarquons, à titre de comparaison, que, dans la voirie urbaine de l’ancienne Monarchie, on distinguait : 1° les places propres au commerce ; 2° celles qui sont consacrées par l’usage à la publication des loix, au-devant des églises, des palais ; 3° les places Royales, ainsi nommées à cause de la dignité de leurs objets, destinées à l’ornement des villes et à la statue du prince ; Continuation du Traité de la Police, 1738, p. 390.

[92] S’il y a des jardins, c’est comme dépendance de monuments, en particulier de palais (à Lyon ?), de thermes (sans doute le xystas donné par Auguste à Nîmes, XII, 3155), de villas ou de tombes (XII, 1209, viridarium). Il devait y avoir aussi des bosquets sacrés dans les villes, mais se ramenant à quelques arbres, et aussi des arbres aux abords de certains temples (signum inter duos arbores pour Sylvain à Lyon, XIII, 1780 ; templum cum arboribus aux Matres, XIII, 8938).

[93] Campus extra urbem, Vitruve, I, 7, 1 ; campus pecuarius, C. I. L., XII, 2462 ; campus à Paris (Ammien, XX, 5, 1 ; les Champeaux aux Halles actuelles ?) ; voyez Du Cange au mot Campus Martius. On retrouve le champ de Mars, à l’aide des textes médiévaux. Dans quelques villes françaises, à Marseille (la Plaine Saint-Michel ; Cartulaire de Saint-Victor, I, p. 56, 63), à Besançon (Chamans ; Castan, Le Champ de Mars de Vesontio, dans les Mém. de la Soc. d’Emul., IV, V, 1866), à Autun (le pré Chamillart, en dehors de la ville, dans le voisinage du temple de Janus). — L’expression de prata se retrouve dans nombre de villes médiévales avec les prés, ou le pré. Voyez aussi l’expression de plan et plaine au Moyen Age. — Forum nandinarium (Pline, VIII, 208, marché aux bestiaux ; cf. C. I. L., XII, 2462). — Je ne parle pas ici des campi de gymnastique ou de promenade attenant aux thermes (XII, 2493-4) ou aux temples (XIII, 3107), des gymnases ou stades isolés (XIII, 5012 ; à Marseille, Inscr. Gr. Ital., 2466 ; le gymnase d’Orange [le prétendu cirque] reconstitué par Formigé).

[94] Remarquez que les distributions populaires avaient lieu parfois dans les amphithéâtres, per gradus (C. I. L., VI, 20691). L’amphithéâtre, dans les cités murées du Ier siècle, est d’ordinaire à l’intérieur de l’enceinte (Autun, Nîmes, Fréjus, Arles, etc.).

[95] Remarquez l’extrême petitesse des places dans les cités médiévales, qui représentent les portions centrales des villes gallo-romaines. Dans la description de Bordeaux par Ausone (Urbes, 143 ; Epist., 10, 22), platea a, je crois, non plus le sens de vicus ou grande rue, mais de place : c’est du reste pure exagération s’il en admire la largeur, je n’arrive pas a en trouver trace dans le Bordeaux du Moyen Age.

[96] Le forum est proxime portum dans les villes maritimes, et je pense aussi dans les ports fluviaux, in oppido medio dans les autres cas (Vitruve, I, 7, 1). Le forum de Marseille est sans doute à la place de Lenche (forum superius, Acta de saint Victor, 21 juillet, Boll., anc. éd., V, p. 147) ; mais peut-être y avait-il aussi un forum d’en bas, plus près du port : à la place Vivaux ? Celui d’Autun est au Marchaux (de Fontenay, p. 117). Le forum de Lyon était à Fourrières ; mais je pense qu’il y en avait d’autres, si du moins l’expression de forum vetus est ancienne, venerabile opus quod a tempore Trajani imperatoris Forum Vetus appellabatur, dit, à propos de sa destruction en 840, une vieille chronique (dom Bouquet, VII, p. 246 ; on trouve aussi Forum Veneris, id., VI, p. 242). — Le forum de Roussillon, en tant que place disponible, mesurait 1.500 mètres carrés (Thiers ap. Aragon, Les Vestiges de Ruscino, 1916, p. 40).

[97] A Arles, XII, 5805 ; à Narbonne, XII, 4333 (autel d’Auguste).

[98] A Roussillon on a trouvé, sur l’emplacement du forum, une quarantaine de piédestaux de statues. Sur ces statues, cf. t. VI, ch. III.

[99] Par exemple, à Narbonne, devant l’autel d’Auguste, les cérémonies du culte impérial ; Eumène, à Autun, prononce son discours in foro (Pro rest. sch., I).

[100] C. I. L., XIII, 10015, 108, (la présence de l’orge doit s’expliquer par l’importance de la fabrication de la bière). — Macellum (à Béziers, XII, 4218 ; à Narbonne, 4429-30 ; à Marseille, Macellum Antiquum [vers l’Hôtel-Dieu] dans les textes du Moyen Age ; etc.) désigne un marché spécial (pour la viande, le poisson et les denrées alimentaire ?), le plus souvent avec bancs, étaux et couverts. C’est peut-être le cas, à Paris, de l’édifice de la rue Soufflot (de Pachtère, plan 3 et p. 61 et s.).

[101] Les cabanæ à Lyon, où se tiennent les marchands de vin (cf. t. VI, ch. VII) ; de même, peut-être, à Marseille.

[102] En général, le livre de Blanchet, et, plus particulièrement, la bonne monographie de Germain de Montauzan, Les Aqueducs antiques de Lyon, 1909.

[103] La répartition de l’eau dans la ville se faisait à l’aide d’un château d’eau, castellum divisorium ; on connaît surtout celui de Nîmes, à la rue de la Lampèze (Dict. des Ant., I, p. 938-9 ; de Montauzan, p. 310 et s. ; travail de Stübinger sur les aqueducs de Nîmes et d’Arles dans la Zeitschrift für Geschichte der Architektur, Beiheft 3, 1909, p. 276) ; à signaler aussi le château d’eau de Besançon, en partie visible dans un souterrain du square Archéologique. La question est de savoir jusqu’où les eaux étaient envoyées dans l’intérieur des maisons. — En principe, l’aqueduc doit donner lieu à trois canalisations différentes, l’une pour les fontaines et réservoirs (locus et salientes), l’autre pour les bains publics, la troisième in domos privatas ; Vitruve, VIII, 6, 2. — Il devait y avoir des fontaines monumentales avec dédicaces aux endroits importants (à Bordeaux, Espérandieu, n° 1203, 1216 ; cf. C. I. L., XIII, 506-600).

[104] Sur les égouts collecteurs d’Autun, de Fontenay, p. III et s. ; d’Arles, Véran, Congrès arch. de 1876, XLIII, p. 476-480 ; de Cologne, Klinkenberg, p. 208-210. Cf. Blanchet, p. 137 et s. — Les conduites principales paraissent avoir toujours plus d’un mètre de hauteur. — Là encore (cf. note 103), la question est de savoir jusqu’où le réseau pénétrait dans les maisons.

[105] Supposé en l’absence de tout document archéologique ou autre.

[106] Cf. Varron, Menippeæ, 28, 144 ; 31, 147, Bücheler.

[107] Voyez à Nantes les travailleurs du port, vicani Portenses (du vicus Portas), lesquels forment une communauté religieuse et juridique (XIII, 3105-7). Quartier des potiers à Cologne.

[108] C. I. L., XIII, 8254 (Cologne) : chapelle élevée à un dieu par les possessores ex vico Lucretio scamno primo [premier Ilot] ; XIII, 7270 (Kastel) : monument religieux élevé par deux Melonii, vico novo Meloniorum ; ce sont sans doute des propriétaires ayant donné leur nom à la rue.

[109] Ici, note 111.

[110] Elle ne s’est guère développée en France, je crois, qu’à partir de la fin du XVe siècle, au règne de Henri IV.

[111] Vicus Honoris, XIII, 4301 ; vicus Pacis, 4303. A Mayence : vicus Apollinensis, 6688 ; vicani Salutares, 6723 ; vicus Navaliorum, Riese, 2138.

[112] C’est pour cela que les mêmes noms de rues se retrouvent à Rome et partout.

[113] Notes 107 et 108, et C. I. L., XIII, 7261, 7263-4, 7335-7. Il est possible que les deæ Lucretiæ de Cologne (XIII, 8171) soient les divinités du vicus Lucretius. De même, les déesses Gantenæ de Cologne (XIII, 821S) doivent être les Matrones du quartier ad Gantenas (ou Cantunas) Novas (XIII, 10015, 99, 105, 115, 113) : on a vu dans ce quartier le marché aux oies, mais il demeure possible que gantunæ soit une variante orthographique pour cantunæ, et que ce mot soit l’équivalent de tabernæ.

[114] Magistri vici, traduit en gallo-romain par platiodanni (XIII, 6776). Il devait peut-être y avoir parfois en Gaule, au lieu de magistri, des édiles de quartiers.

[115] Vicus doit signifier à la fois rue et quartier ; le vicus, en tant que groupement administratif, renferme, outre les habitants d’une rue principale (vicus, via, platea), ceux des ruelles avoisinantes. Il est possible qu’en principe une ville ait renfermé quatre quartiers, formés par le croisement de deux rues principales. Lorsqu’Ausone parle de la quintuple Toulouse (Urbes, 104 ; Ep., 25, 83), je crois qu’il fait allusion à une division en cinq quartiers (urbes : t. VI, ch. V).

[116] Quelques éléments chez Blanchet, Étude sur la décoration des édifices de la Gaule romaine, 1913. Le livre sur Boutæ est très remarquable à cet égard.

[117] Sur les portiques, cf. t. VI, ch. III.

[118] Voyez Espérandieu, n° 1099.

[119] Cf. t. VI, ch. III.

[120] Toutefois, il ne faudrait pas croire à l’absence de règlements en ce qui concerne les façades ou la nature des bâtisses. On veillait à ce que le caractère d’une rue ne pût être foncièrement modifié (non candem faciem in civitate restituere, C. J., VIII, 10, 3) ; cf. Houdoy, Droit municipal, p. 390 et 438. Le fameux règlement de Léon et Zénon (C. J., VIII, 10, 12) doit s’inspirer de quantité de coutumes qui ont certainement été appliquées en Gaule.

[121] Cf. peut-être XII, 1753 (grada, à Valence : on a aussi songé à des gradins de théâtre, Bull. de la Soc. d’Arch. de la Drôme, 1916. p. 205).

[122] A Autun, la pente de la rue vers la porte Saint-André est de 0 m. 116 par mètre (plus de 10 %) ; de Fontenay, p. 58. A Lyon, Germain de Montauzan évalue à 12 % au minimum les pentes nécessaires pour la colline de Fourvières.

[123] Cf. t. VI, ch. III.

[124] Voyez les images de rues de villes (à Orange, Espérandieu, n° 246 ; à Dijon, n° 3523 ; verre de Cologne, C. I. L., XIII, 10025, 185).

[125] Cf. à Narbonne les fabri subædiani.

[126] Voyez les mardelles des Médiomatriques, encore qu’elles se rencontrent assez loin de Metz (Grenier, Habitations gauloises, p. 23 et s.) ; voyez Les Habitations préromaines... de l’antique Alésia, par Toutain, 1914 (Revue des Ét. préhist.). Cf. Paulin de Nole, Carm., X, 245-6 (il est vrai à la campagne) : Nigrantesque casas et texta mapalia culmo dignaque petiitis habitas deserta Bigerris.

[127] In Gallia (ædificia) scandulis robusteis aut stramentis (Vitruve, II, 1, 4) ; Massiliæ animadvertere possumus sine tegulis, subacta cum paleis terra, tecta (Vitruve, II, 1, 5) : cela est d’autant plus étonnant que Marseille est devenue un pays à tuiles.

[128] Note 127.

[129] C. I. L., XIII, 1730 : Dea Apollini... muro et scandula cinxit. Voyez les chapelles de la déesse de Sarrebourg, Espérandieu, n° 4565 et 4568.

[130] Pour le côté artistique, t. VI, ch. III.

[131] Le temple devait être, je crois, non pas au-dessus, mais à côté de la source ; voyez le temple de Nemausus à Nîmes.

[132] Il a pu y avoir des exceptions.

[133] C’est sur le forum de Bordeaux que je suppose placé le temple des Piliers de Tutelle (t. VI, ch. III) ; sur celui de Périgueux, le temple de la Tour de Vésone, sans doute consacré à la Tutelle de la ville (t. VI, ch. III). — Vitruve (I, 7, 1) recommande de placer à l’endroit le plus élevé, in excelsissimo loco, les temples des dieux quorum in tutela civitas videtur esse, et Jovi et Junoni et Minervæ [les Capitolia ; cf. note 136]. Il ne pouvait y avoir de règle à ce sujet en Gaule. Ainsi, Vitruve recommande de placer le temple de Mercure in foro, et Mercure étant le dieu principal de la Gaule (t. VI, ch. I), cela assurait au forum, dans les villes du pays, la prééminence religieuse : mais suivait-on ce conseil ? Il m’a semblé plutôt que le temple de Mercure, en Gaule, était sur les hauteurs municipales.

[134] Bien des exceptions se sont trouvées à cette règle, note 133.

[135] Vitruve, cf. note 133.

[136] Ibid. A Autun, Eumène, Pro rest. sch., 9-10 ; à Narbonne, Ausone, Urbes, 120-3, et Sid. Apollinaire, Carm., 23, 41 (avec le pluriel Capitoliis, comme si le mot était synonyme de templis). On peut recourir aux textes du Moyen Age pour accroître cette liste (Cologne, Trèves, Besançon, Clermont, Soissons [plutôt que Reims, Acta, 6 janv., I, p. 325], Saintes, Nîmes, mais en faisant remarquer que capitolium a pu finir par s’appliquer à n’importe quel temple et peut-être à n’importe, quelle ruine ; il s’est également identifié à capitulum, chapitre. — La question des capitules municipaux a toujours passionné les érudits depuis les temps de Savaron (Les Origines de la ville de Clairmont, 1662, p. 104) : Du Cange, dern. éd., Favre, 1883-7, au mot Capitolium ; Braun, Die Kapitole, Bonn, 1849 ; Castan, Mémoires de la Soc. d’Émul. du Doubs, IV, IV, 1868, p. 201 et s. ; Audial, Le Capitole de Saintes, 1881 (Bull. de la Soc, des Arch.) ; Kuhfeldt, De Capitoliis, thèse de Kœnigsberg, 1882 ; Saglio, Dict., s. v. (1887) ; Harold de Fontenay, Autun, 1889, p. 152 et s. ; Toutain, Ét. sur les Capitoles provinciaux, 1899 ; Boscher, II, I, 1890-4, c. 739 et s. (Aust) ; Wissowa, à ce mot, Real-Enc. ; etc.

[137] T. VI, ch. I.

[138] Tribunalia (XIII, 3487, 3106) semble indiquer des loges.

[139] L’autel d’Auguste à Narbonne ; XIII, 10027, 197 (Vara Ubiorum à Cologne) ; XII, 4333 ; etc. ; les autels du monument ou plutôt du marché de la rue Soufflot à Paris, qu’on a supposés placés des deux cotés de l’entrée (de Pachtere, plan 3 et p. 62).

[140] Cf. XIII, 569 (arula cum templo).

[141] Cf. Pétrone, Sat., 17 : Utique nostra regio tam præsentibus plena est namiuibus, ut facilius possis deum quam hominem invenire.

[142] Basilica cum porticibus, XII, 2533 ; basilicas duas à Périgueux, XIII, 954 ; il est question de basilicæ au pluriel à Narbonne (XII, 4342) ; à Nîmes. Il pouvait y avoir plusieurs basiliques dans une ville, car je crois que l’on désignait par ce mot, non seulement un palais de justice, mais sans doute une bourse, et peut-être la curie, toutes sortes de lieux de réunion, etc.

[143] Se conferre in eas negotiatores, Vitruve, V, 1, 4.

[144] Foro sunt conjungenda, V, 2, 1.

[145] Vitruve, V, 2, 1. Rarement mentionnée en Gaule.

[146] Ærarium, Vitruve, V, 2, 1. Il va sans dire que ces locaux ont pu être groupés ensemble, et souvent disposés dans des temples.

[147] Carcer, Vitruve, V, 2, 1.

[148] Autres, au IIIe siècle, à Trêves, Cologne, Vienne. Il s’agit dans ce cas, bien entendu, d’édifices dépendant de l’empereur, représenté par le gouverneur de province.

[149] Solarium à Vieille-Toulouse (XII, 5388) ; à Vienne, XII, 1893 : à Aix, XII, 535 ; à Talluires [l’inscription vient de Boutæ], horologium cum suo edificio et signis omnibus [du zodiaque] et clatris, XII, 2522. De là l’importance, dans les villes du Moyen Age, des rues ou quartiers de l’Horloge, de la Grande Horloge. Il y avait du reste des horloges un peu partout dans une ville, par exemple dans les temples (XII, 3100), et on peut appliquer aux bourgades de la Gaule le mot de Plaute (ap. Aulu-Gelle, III, 3, 5) : Oppletum est oppidum solariis.

[150] Schola des nautes à Paris ?? (j’en doute fort maintenant) ; schola des nautes helvètes à Avenches (XIII, 5000) ; pavimentum scholæ des dendrophores à Cimiez (V, 7004).

[151] Pour Autun, Panég., VIII [auj. V], 8 [sous Constantin] : Vias quibus in Palatium pervenitur : le palatium de Juere ?, Harold de Fontenay, p. 124 et s. Pour Trèves, on a les ruines dites du palais impérial, attribuées à l’époque d’après Dioclétien (on vient, en Allemagne, de douter de cette qualification, et d’y voir des thermes) : mais il a dû y avoir un palais dès Postume. Pour Narbonne enfin, la domus Cæsaris est mentionnée dans une inscription (XII, 4449). Il est d’ailleurs possible que l’on ait temporairement appelé palatium la domus où descendait l’empereur.

[152] Il n’y a pas à tenir compte des textes du Moyen Age parlant de palatinat : le mot est appliqué à toutes sortes de ruines, même d’amphithéâtres.

[153] Les areæ, places ou parvis, qui précédaient les édifices en façade sur les rues, n’étaient jamais très considérables ; cf. XIII, 604.

[154] On distinguait les fontaines, salientes, les bassins et les vasques, lacus (XII, 2606-7, 4190) ou piscinæ (XII, 4338).

[155] Portique couvert, tectum porticus cum suis columnis et pænulis [frontons] duabus et opere tectorio, XII, 2391-2. Les portiques étaient d’ordinaire attenant à d’autres édifices, basiliques (XII, 2533), écoles (ici, note 156), thermes (XII, 1357), temples (XIII, 3063), ou prolongeaient des arcs ou des portes (XII, 1121), ou entouraient des marchés ou places (XII, 4248 ; etc.). — Dans le même sens que portique, je crois, proscœnium (XIII, 3450), proscenium cum tribunali (XIII, 4132).

[156] Sur les murs des portiques des écoles d’Autun, on avait représenté la carte de l’Empire (Eumène, Pro Rest. sch., 20).

[157] Il faut distinguer, du moins dans les premiers temps de l’Empire : 1° les arcs de triomphe proprement dits (arcus cum tropœis), ornés de à épouilles de nations vaincues ou soumises (on plutôt de leurs images en sculpture), élevés à des personnages ayant commandé en chef, imperatores (et en particulier à l’empereur), et sans doute, en principe, avec l’assentiment du sénat romain (Suétone, V. Cl., 1 ; Dion, LIII, 26, 5 ; LX, 22, I ; C. I. L., XI, 1421 ; ici, n. 158) ; 2° les portes monumentales, plus ou moins ornées, élevées par des villes ou des particuliers en l’honneur de dieux ou de grands personnages, ou simplement à titre de décor (ici, n. 159). Il est du reste probable que les deux sortes de constructions arrivèrent à se confondre, et d’assez bonne heure, et que les simples portes purent recevoir, sinon de vrais trophées, du moins l’image d’armes, soit prises à l’ennemi, soit (ce qu’il ne faut pas oublier) portées par les vainqueurs et consacrées ensuite aux dieux.

[158] A coup sûr : Orange, le mieux caractérisé des arcs de triomphe, élevé, je crois, en l’honneur de Tibère avant son avènement (Esp., n° 260) ; l’arc de Vinicius dans les Alpes en 25 av. J.-C. ; l’arc de Claude à Boulogne (Dion, LX, 22, 1). L’are de Saint-Remy (Esp., n° 111) et celui de Carpentras (n° 243) ont des trophées bien caractérisés. Dans cette catégorie, sans doute l’arc de Constantin à Arles (pl. 15 de Dumont ; cf. l’Abrégé de de Noble Lalauziere, 1808 ; C. I. L., XII, 667).

[159] Ils paraissent être, non des arcs de triomphe, mais des arcs de passage, rappelant parfois des passages d’empereurs ou de princes, ou quelque solennité importante, ceux des localités suivantes : Suse, en souvenir du passage d’Auguste et peut-être du cens des Alpes Cottiennes en 9-8 av. J.-C. (Esp., n° 16) ; Cavaillon, arc sur croisée de routes (n° 237 ; cf. Quadraviis arcum à Strasbourg, XIII, 5971) ; Apt (porticus et arcum, XII, 1121) ; Windisch (en 79 à Titus et à des dieux, XIII, 5105) ; Genève (à Jupiter, arcum cum suis ornamentis, XII, 2590) ; l’arc dit Porte de Mars à Reims (Esp., n° 3681, cf. Flodoard, H. eccl. R., I, 1), toute sculptée de scènes mythologiques ou de genre, Vénus, les Saisons, Romulus et Remus, allusion au nom des Remi (il n’est pas sûr que le nom de Porte de Mars, connu dès Flodoard, soit antique) ; la Porte Basée à Reims, disparue (Esp., n° 3680) ; la Porte Noire de Besançon (S. Reinach, Rev. arch., 1909, II), avec des images de même genre, mais aussi des trophées et scènes de combats, certainement pas antérieure à Hadrien ; Langres, deux portes doubles et non arcs (Esp., n° 3270-1) ; Saintes, arc en l’honneur de Germanicus, peut-être élevé lors d’un passage à Saintes (C. I. L., XIII, 1036) ; Mayence, arc élevé par Dativius à Jupiter (C. I. L., XIII, 6705, sous les Sévères). Les voyages d’Hadrien en Gaule, suivant de près les grandes victoires de Trajan, ont certainement provoqué l’érection de nombreux arcs de ce genre. — Arcs aux deux extrémités du pont Flavien. — L’édifice dit arc de Campanus (Aix-les-Bains, XII, 2473) est funéraire. — Voyez sur ces arcs, outre les travaux de Frothingham, celui de Spano, L’Origine degli archi, etc., dans Neapolis, I, 1913.

[160] Ce qu’on disait plus haut de ces places rappelle le mot sur les arcs de Pline, XXXIV, 27 : Attolli super ceteros mortales... arcus significant ; C. I. L., XI, 1421.

[161] Ceux-ci, beaucoup plus rares ; cf. t. VI, ch. IV.

[162] A Feurs, théâtre de bois jusqu’à Claude, puis de pierre (XIII, 1642). Il est probable qu’il y a eu partout d’abord des théâtres et des amphithéâtres de bois, plus ou moins longtemps. A Bordeaux, l’amphithéâtre (Palais Galien) ne parait pas antérieur au IIIe siècle (Inscr. rom. de Bord., II, p. 561).

[163] T. VI, ch. IV.

[164] Piscin. et campum (XIII, 4324), balineum, campum, porticus (XII, 2493-5) ; XII, 1357, 4342.

[165] Il suffit, pour s’en rendre compte, de regarder à la table du Corpus (XII, p. 957-8) la nomenclature des sortes d’ædificia mentionnés dans les inscriptions.

[166] En réalité, uniquement à Autun : il s’agit des célèbres Scholæ Mænianæ du panégyrique (Eumène, Pro Rest. sch., 2, 3, 9), situées au centre de la ville : l’épithète de Mænianæ, pouvant signifier à la rigueur le nom du fondateur, mais bien plutôt (Harold de Fontenay, p. 167) qu’elles étaient à galeries ou balcons en surplomb.

[167] Le calendrier de Coligny est en partie une lex templi ; règlement d’aqueduc, XIII, 1623 ; d’autel, XII, 4333 ; de tombes.

[168] XIII, 1623.

[169] Vitruve, VIII, 6, 2 ; Frontin, De aquæ ductibus, 94 et s. ; cf. Germain de Montauzan, p. 383 et s.

[170] Soit pour y travailler, soit pour y habiter ; à Nîmes, exactor operis basiliecæ [de Plotine ?] marmorari et lapidari (XII, 3070). Peut-être les fabri subædiani de Narbonne.

[171] Ipsos oculos civitatis, Apollinis templum atque Capitolium, à Autun ; Eumène, Pro Rest. sch., 9.

[172] Cf. Tacite, Ann., XIV, 17.

[173] Le temple dit Vassogalate à Clermont (d’Apollon plutôt que de Mercure ?) ; Grégoire de Tours, H. Fr., I, 32.

[174] Robert Michel, Les Chevaliers du Château des Arènes, dans la Revue historique de 1909, CII ; il y avait même un clocher et deux chapelles. Pour les Arènes d’Arles, voyez le dessin si connu et si curieux de l’ancien état, pl. 10 (de Dumont) à la suite de l’Abrégé de de Noble Lalauziere, 1808. Une étude serait à faire sur l’utilisation des édifices gallo-romains au Moyen Age.

[175] XIII, 3640-1 ; etc. ; Apollinis (thermæ) à Lyon, XIII, 1983 ; peut-être à Périgueux, XIII, 939.

[176] T. VI, ch. III.

[177] XIII, 3063.

[178] Voyez ce que dit Vitruve, I, 7, 1. Cela était vrai même d’édifices particuliers une auberge est consacrée à Mercure et Apollon (XIII, 2031).

[179] Cf. t. VI, ch. I.

[180] Et de bien d’autres, dieux ou princes ; cf. t. VI, ch. III.

[181] Théâtre de Feurs divo Augusto sacrum, et élevé pro salute Ti. Claudi Augusti (Claude) ; XIII, 1642.

[182] Voto suscepto Mercurio pontem, XIII, 8153.

[183] Pont (pontes) in honorem domus divinæ, XIII, 6088.

[184] Le tombeau est appelé heroum (XIII, 1571) : il s’agit, dans cette inscription du Gévaudan, d’une tombe monumentale élevée pro salute sua par le fondateur d’une villa, et sans aucun doute sur son domaine même ; les piles sont des heroa de ce genre ; de même, dans le même Gévaudan, le mausolée de Lanuejols, honori et memoriæ (XIII, 1567). Domum æternam, XII, 4123 : etc.

[185] T. VI, ch. II.

[186] Cf. XII, 4123 : XIII, 5708 (ne quisquam post me dominium eorum locorum habeto), 2494 ; etc. Il ne s’agit que de l’usage courant.

[187] XIII, 1567, 1571.

[188] Les piles d’Aquitaine, la pile de Cinq-Mars, la Tourmagne de Nîmes, la pyramide de Couard à Autun (hauteur primitive, 33 m. 15 : de Fontenay, p. 271 et s.), l’Eigelstein de Mayence, l’Eigelstein [disparu] de Cologne, la tombe de Waifre ou de Caïfas dans l’ancien Bordeaux, l’ancienne tour de l’Horloge à Aix, la Bauve à Meaux, la pyramide de Pourrières, La Pennelle près de Marseille, la Tourrache de Fréjus, etc.

[189] Puticuli ; cf. Marquardt, Privatleben, p. 332. Les puits funéraires ont pu être accompagnés de pierres portant épitaphes (cf. le puits de Tortequesne en Artois, XIII, 3534-8, locus, etc. : car je ne puis croire que ce puits n’ait pas servi dès l’origine à recevoir des cendres, et qu’il ait été simplement des favissæ ou lieux de dépôt pour épitaphes ou objets religieux hors d’usage). — Je ne comprends guère l’opposition habituelle des érudits à l’existence de puits funéraires ; les fameuses objections de Lièvre (qui voyait là de simples latrines, Mém. de la Soc. des Antiquaires de l’Ouest, IIe s., XVI, 1893) n’ont pas de valeur dans la plupart des cas. En dernier lieu, Baudouin et Lacouloumère, La Nécropole gallo-romaine à puits funéraires de Troussepoil, Le Bernard, Vendée, 1908 (Congrès préhist. de Chambéry).

[190] Voyez par exemple les petits coffrets en marbre qui ont moins de 0 m. 30 de haut, en usage surtout en Italie (Esp., n° 2981).

[191] Hauteur : 23 mètres. La pile de Pirelongue en Saintonge a 24 m. (Lauzun, p. 54), celle de Cinq-Mars 28 m. (on a dit aussi 29).

[192] Hauteur : 18 mètres.

[193] Hauteur : 34 mètres (33 m. 80, Mazauric, chiffre que je retrouve chez Grangent). Le monument étant soudé aux remparts de Nîmes a dû être construit avant l’enceinte (16 av. J.-C.) : je ne crois pas cependant qu’il lui soit de beaucoup antérieur. Peut-être s’agit-il d’un fondateur ou bienfaiteur de la colonie, auquel on aura permis d’incorporer sa tombe dans la muraille (cf. XII, 3179), ce qui paraît conforme à l’ancien précepte grec (Philon de Byzance, § 12, 2, éd. de Rochas et Graux) : Δεϊ τών άγαθών τούς τάφους καί πολυάνδρια πύργους κατασκευάζειν. — Autres édifices turriformes qui paraissent aussi avoir  été des tombeaux, à Autun ; de Fontenay, p. 200 et s.

[194] XII, 1657, 3619, 3861, 5244 ; XIII, 5708.

[195] XII, 3861 : XIII, 5708.

[196] XIII, 2465, 5708 ; XII, 1657.

[197] En général, un arpent de vigne, vinea arepennis, dont le vin servait aux libations des anniversaires ; XII, 1657 ; XIII, 2465, 2494.

[198] XIII, 5708 ; XII, 1200.

[199] Maceria clusit circum monimentum suom. XII, 5244 ; XIII, 2494.

[200] XIII, 2494 ; XII, 3861 ; etc.

[201] Voyez surtout les polyandres d’Autun (n. 202). Une étude topographique des cimetières gallo-romains reste à faire ; elle présenterait d’ailleurs d’extrêmes difficultés.

[202] A Bordeaux, dans les sablières de Terre-Nègre (Inscr. rom., I, p. 419 ; II, p. 563) : ce cimetière était un parallélogramme de 50 toises sur 65, soit d’un peu plus d’un hectare (le cimetière actuel en a 24) ; mais les sablières de Terre-Nègre n’étaient pas le seul lieu d’ensevelissement, et ne servaient qu’aux sépultures sans monuments. A Autun, dans les polyandres » (le nom est certainement ancien, et Grégoire y fait allusion, In gl. conf., 72 ; cf. de Fontenay, p. 233 et s.) : il y en a deux, à Saint-Pierre-l’Étrier et au Champ des Urnes, mais les tombes populaires, à la différence de Terre Nègre de Bordeaux, s’y mêlent de monuments et de tombes chrétiennes. A Paris, dans le cimetière de la rue Nicole, locus cinerum (de Pachtère, p. 95). Etc.

[203] Cela résulte de ce que les inscriptions des morts étrangers à la ville ont été découvertes souvent ensemble, et d’un certain nombre de textes ; cf. ταφήν τοϊς ξένοις, Évangile de Mathieu, 27, 7. Robert, Les Étrangers à Bordeaux.

[204] Voyez en particulier à Lyon ; Allmer, Musée, II, p. 309, 312-3, 321.

[205] Voyez les remarques de Grenier, Habitations, p. 113 et s.

[206] Le terrain des villas était souvent fermé par une levée de terre, formant rempart et limite (Grom. vet., p. 369).

[207] C’est une question, si quelques-uns des théâtres ruraux de la Gaule ne dépendent pas de villas.

[208] Cf. Blanchet, Aqueducs, p. 77 (villa [?] de Thésée, Tasciaca, en Loir-et-Cher), p. 127 (villa d’Anthée en Belgique).

[209] Finalis sepultura ; Grom., p. 303. La régie était que les tombes se trouvassent à la limite des domaines, sepulchra in extremis finibus facere soliti sunt : on n’enterrait au centre des propriétés que dans le cas de terrains rocheux et stériles (Grom., p. 140 ; Cicéron, De leg., II, 27, 67 ; Digeste, X, I, 13). Beaucoup de piles m’ont paru être en bordure de domaines.

[210] A Igel, à Lanuéjols, les piles.

[211] Esp., II, n° 891 et s.

[212] Cf. t. VI, ch. III.

[213] Audollent, Ac. des Inscr., C. r., 1902, p. 299 et s.

[214] Voyez le plan des habitations et annexes, id., p. 305.

[215] Ajoutez les constructions qui bordaient les routes, et, à titre exceptionnel, certains monuments commémoratifs, comme le trophée alpestre d’Auguste à La Turbie.