HISTOIRE DE LA GAULE

TOME V. — LA CIVILISATION GALLO-ROMAINE. - ÉTAT MATÉRIEL.

CHAPITRE I. — LA POPULATION[1].

 

 

I. — DIFFICULTÉS D’UNE ÉTUDE SUR LA CIVILISATION GALLO-ROMAINE.

Il ne suffit pas, pour faire l’histoire de la Gaule latine, d’exposer comment les proconsuls l’ont conquise et les princes l’ont gardée, et comment elle fut amenée à accepter et à aimer l’empire de Rome[2]. Nous devons étudier ensuite la manière dont se sont comportés, sous cet empire, les êtres et les choses de ce pays, les changements que le régime des Césars a procurés ou imposés aux cultures du sol, à l’aspect des monuments, aux pensées et aux mœurs des habitants, ce que la surface de la terre et l’âme des individus ont conservé des habitudes du passé gaulois[3] et ce qu’elles ont emprunté aux coutumes de leurs nouveaux maîtres.

Cette étude de la civilisation gallo-romaine est plus délicate que celle du gouvernement des empereurs. Pour connaître ce gouvernement, nous avons rencontré, à chaque génération, des textes écrits ou gravés qui nous ont guidé : récits de révoltes et de batailles dans les Gaules, hommages à la fidélité de ces provinces, discours et lois des souverains, titres de magistratures et de fonctions[4]. Et, comme les faits dont nous ont parlé ces textes, actes de guerre ou mesures d’administration, sont des faits d’ordre extérieur, qui se voient et qui se jugent, il nous a été impossible de douter de leur réalité et de nous méprendre sur leur caractère. — Il en ira autrement de ceux que nous allons examiner : ce sont des faits d’ordre économique ou moral, malaisés à recueillir, difficiles à apprécier.

Même dans la France d’aujourd’hui, que nous avons mille moyens de connaître, il est souvent impossible de résoudre à coup sûr un problème provoqué par les faits de cet ordre. La race de ses habitants, son degré de bien-être, l’exploitation de son sol, la situation de son industrie ou de son commerce, déterminent à chaque instant de longues discussions ou des affirmations contraires[5] ; et l’incertitude ou les polémiques sont plus vives encore quand il s’agit de la valeur de nos œuvres d’art, de la nature de nos intelligences, de l’état de nos croyances et de nos mœurs[6]. Nous qui avons tant de peine à trouver la vérité sur nous-mêmes, à nous comparer sans erreur avec nos pères et nos aïeux, comment prétendrons-nous observer et estimer exactement notre terre et nos ancêtres à soixante générations de distance ?

Encore si, pour juger ces hommes et ces choses, nous pouvions nous aider des yeux et de l’esprit de contemporains qui les auraient vus et décrits ! Des descriptions de ce genre, des tableaux de la civilisation gallo-romaine, il est certain que des voyageurs[7] ou des érudits en ont rédigé[8] dans les trois premiers siècles[9] de l’ère impériale[10]. Ces récits seraient pour nous d’un prix inestimable : nous ne pourrions sans doute pas les contrôler, nous pourrions pourtant les croire, venant de témoins qui ont regardé et réfléchi. Ils nous rendraient les mêmes services que les récits des étrangers qui ont visité la France à la veille de la Révolution[11]. Par malheur, il ne nous en est rien resté, pas même d’infimes lambeaux.

Il ne nous est pas davantage resté un seul document officiel, recensement[12] ou statistique[13], enquête ou discussion publique[14]. Et, pour connaître la chose de la vie la plus importante et la plus difficile à connaître, la pensée des hommes, nous n’avons que des inscriptions[15] et des monuments[16] : ce qui revient à dire que nous ne possédons sur la Gaule de l’époque romaine qu’une science de façade.

Car l’inscription, dédicace ou épitaphe, nous livre surtout des formules et des noms, c’est-à-dire le geste ou la parole consacrés, si souvent démentis par la vie réelle. La plus répandue de ces formules est à coup sûr l’invocation aux Dieux Mânes : et je n’arrive pas à savoir ce qu’entendait par ces mots un Gaulois des temps antonins et si, sous cette expression latine, sa pensée ne conservait pas quelque dévotion druidique[17]. — Le monument, si bien conservé qu’il soit, n’est que la ruine d’un cadre désormais vide et muet : et ce que nous désirerions surtout imaginer, c’est la vie tumultueuse qu’il abritait autrefois. Des édifices laissés par Rome dans la Gaule, les théâtres étaient parmi les plus répandus, nous pouvons en étudier près d’une centaine[18], un demi-million d’hommes s’y réunissaient à chaque fête : et nous ignorons ce qu’ils venaient y faire, les spectacles qu’on représentait sur les scènes, les sentiments qui se développaient sur les gradins, et si, dans ces bâtisses toutes romaines, ne se déroulaient pas des jeux ou des mystères inspirés des anciens temps gaulois[19]. Je ne nie pas que ces vieux pans de murs ne nous apprennent beaucoup sur l’architecture et la maçonnerie des Romains. Mais il faut se souvenir aussi qu’ils nous laissent ignorer plus encore sur la vie même du pays.

Ce qui, également, rend incertaine la consultation de ces débris, c’est que leur nombre ou leur nature sont de simples affaires de hasard : le temps a conservé parfois les plus inutiles et a détruit les plus importants, et c’est d’après son caprice, par malheur, que nous sommes le plus souvent obligés de conclure. Que de ruines ont disparu dans les Gaules, qui nous auraient peut-être révélé en Armorique ou en Normandie une Vie municipale semblable à celle dont témoignent dans le Midi les édifices de Nîmes, d’Arles et de Fréjus[20] ! A voir par exemple les inscriptions et les sculptures d’Autun, on dirait que c’était une ville de petites gens, artisans et boutiquiers[21], et l’on apprend par les textes que c’était surtout une ville d’études et de dépenses[22] : il est probable que nous n’avons pas pu jusqu’ici pénétrer dans la voie des mausolées de l’aristocratie éduenne[23]. Avant de se décider sur de tels documents, on doit toujours réserver l’avenir.

Il est du reste une chose que l’avenir ne nous apprendra jamais : c’est la condition exacte des classes populaires, corps et âmes. Inscriptions, sculptures, édifices, viennent de ceux qui font graver, modeler et bâtir ; et rien n’en vient des pauvres et des misérables. Ceux-là, après leur mort, ne laissent aucune trace de leur passage dans la vie. L’histoire, lorsqu’elle recourt surtout aux monuments, est condamnée à ne raconter quo l’existence des plus riches[24].

En Gaule, cette infirmité de l’histoire est encore aggravée par ce fait, que le monument y est l’œuvre de Romains ou de Gaulois gagnés aux modes latines. Le vrai Celte, le vrai Belge ne gravait pas d’inscriptions[25], n’élevait pas de temples de pierre[26], ne sculptait pas l’image de ses défunts[27]. S’il est demeuré beaucoup de Gaulois fidèles au passé, nous ne le saurons jamais, parce que cette fidélité excluait précisément l’emploi d’une matière durable.

Ce sera donc toujours en hésitant que je décrirai l’état de la Gaule impériale. Sur aucun des problèmes que ce sujet appelle, il ne faut espérer la certitude. Mais l’historien aura accompli sa tâche, s’il parvient à indiquer ces problèmes, et à proposer la solution la plus vraisemblable.

 

II. — LA COLONISATION OFFICIELLE.

Les premiers problèmes à résoudre sont ceux qui concernent la population de la Gaule, la nature et le nombre des hommes qui ont vécu dans le pays sous la domination romaine.

Nous connaissons déjà les indigènes, Gaulois, Aquitains et Ligures, que Rome y a trouvés, et nous savons qu’elle ne les a ni chassés ni exterminés : la loi fondamentale de sa politique a été, la conquête une fois achevée, de sauvegarder et d’accroître la population des vaincus[28]. — Mais, outre ses habitants d’autrefois, la Gaule s’est-elle ouverte à de nouvelles espèces d’hommes, arrivées de la contrée, des vainqueurs ou des autres régions soumises à leur domination ?

Dès le début de l’ère impériale, la Gaule est devenue, pour les autres provinces de l’État romain, un sol d’attraction, une terre d’immigrants[29]. Les premiers princes, César et Auguste, ont donné le signal de ses nouvelles destinées, en traçant au Midi, des deux côtés du Rhône, une ligne ininterrompue de villes coloniales. Au moins six colonies de vétérans légionnaires[30], chacune avec deux ou trois mille[31] familles de citoyens romains, et peut être davantage ; treize à quinze colonies d’origine inférieure, avec des immigrants de toute sorte, Italiens ou Orientaux, négociants ou soldats[32] ; le Languedoc, la Provence, la vallée du Rhône, obéissant à une vingtaine de places fortes, bâties, gouvernées, éduquées à la manière latine, trente mille[33] chefs de maisons, maîtres sur ces terroirs méridionaux si semblables à l’Italie, et leur imposant sa langue, ses dieux et ses mœurs[34], Narbonne, Arles, Nîmes, Fréjus et Lyon devenus capitales du pays et capitales romaines : — la civilisation des vainqueurs allait, dans cette région, s’implanter presque de force, par l’arrivée d’une population nouvelle[35].

Pareille chose se produisit sur le Rhin, à la frontière. Seulement, il faut dire ici camps et légions plutôt que colonies. A part cela, c’est le même phénomène, d’une population nouvelle qui s’installe. Au début, l’armée du Rhin comprit huit légions et de nombreux corps d’auxiliaires, près de cent mille hommes, parmi lesquels il n’y eut certainement pas la moitié de Gaulois. Et si peu à peu les Celtes et les Belges entrèrent en quantités plus grandes dans ces troupes, elles reçurent toujours des hommes de tout l’Occident, d’Italie principalement, et aussi d’Espagne, d’Afrique, des pays du Danube, parfois de l’Orient même[36], les uns et les autres d’ailleurs habitués à la langue et astreints à la discipline latines[37]. Ces soldats n’étaient pas, en Gaule, des hôtes d’un jour. Ils y passaient d’ordinaire leurs années de service ; puis, comme vétérans, ils s’établissaient près de leurs lieux de garnison, dans les bourgades ou les colonies voisines de la frontière[38], Trèves[39], Cologne[40], Mayence[41], Strasbourg[42] ou autres[43]. Ce fut ainsi, en bordure sur le Rhin depuis ses sources rétiques jusqu’à ses bouches ‘bataves, un prolongement de la vie romaine.

On a vu que dans les Trois Gaules, Lyon excepté[44], les empereurs se sont interdit l’envoi de colonies publiques d’Italiens[45]. A peine si, çà et là, on peut signaler en quelques villes la présence de vétérans d’origine étrangère[46] : encore est-il incertain s’ils s’y sont établis volontairement ou par ordre. Les chefs de Rome n’ont voulu créer une population nouvelle qu’aux deux lisières de la Gaule, le Midi méditerranéen et la frontière du Rhin, et, en outre, au centre de la contrée, à Lyon, qui unissait l’une à l’autre ces deux lignes d’immigrants.

 

III. — L’IMMIGRATION LIBRE.

Mais partout, dans le Midi, aux frontières, dans les Trois Gaules, l’immigration libre doubla ou compléta la colonisation officielle.

La France a toujours été le pays cher à ceux qui veulent une patrie de leur choix. Tout y appelle les hommes : une terre plus riche, la variété des produits, des routes plus faciles, plus de douceur dans le climat et d’harmonie dans le paysage, de plus hospitalières habitudes. A ces causes, qui sont éternelles, s’ajoutèrent, au lendemain de la conquête, la réclame faite par le vainqueur à la richesse des Gaules[47] et la misère réelle des plus vieilles régions de l’Empire[48]. L’or, le bétail et le blé y abondaient ; les fleuves y invitaient au commerce et les routes au voyage ; bâtisses à construire, boutiques à ouvrir, marchandises à placer, exigeaient des ouvriers et des débitants sans nombre ; et chez cette nation neuve, sur ces terres peuplées, en face d’indigènes intelligents et curieux, l’émigrant qui voulait faire fortune ne se sentait point gêné, comme en Afrique, en Italie ou en Orient, par l’immensité des grands domaines[49] ou les traditions d’un long passé.

Aucune loi ne semble avoir défendu les immigrations de ce genre[50]. L’Italien qui s’établissait en Gaule ne s’expatriait qu’à moitié : il ne quittait pas le sol de l’Empire ; en sa qualité de citoyen romain, il ne faisait à vrai dire que changer de domicile. Le séjour en Gaule avait pour lui ce charme qui manque aux émigrants d’aujourd’hui : il lui donnait sa terre d’élection sans l’obliger à répudier sa patrie.

Les moins nombreux d’entre ces immigrants ont été les fonctionnaires, d’ordre sénatorial ou équestre. Ceux-là, sauf exception, passaient en Gaule et ne voulaient point y mourir[51]. Toutefois, le personnel des bureaux ou de l’exploitation, quand il n’était pas d’origine indigène, restait souvent dans le pays pour y faire souche : c’est le cas d’esclaves et d’affranchis de la maison impériale[52].

Négociants et industriels, au contraire, formaient, dans les provinces de la Gaule, d’imposantes colonies. Il s’en établit partout, dans les petites[53] villes aussi bien que dans les grandes[54], sortis des coins les plus reculés de l’Empire. Ce sont la Bretagne[55], l’Espagne[56] et l’Afrique[57] qui en fournissent le moins. La plupart viennent d’Italie[58] et d’Orient : Campaniens[59], Grecs[60] d’Europe et d’Asie[61], Juifs[62] et Syriens[63] se sont précipités sur la Gaule pour s’y choisir un domicile bien placé dans une bourgade populeuse, y conservant leurs dieux et leurs pratiques[64], parfois fidèles à leurs habitudes nationales jusque dans les tombeaux qu’ils se firent bâtir sur ce sol accueillant[65].

Dans la même catégorie d’hommes, celle des immigrants arrivés librement en Gaule pour y vivre d’une vie nouvelle et y trouver la fortune, on placera les artistes en statuaire[66] ou en mosaïque[67], les architectes[68], les médecins[69], les rhéteurs ou les professeurs[70], les devins même, toutes gens qui viennent offrir à l’aristocratie celtique les services de leur art en échange d’une situation durable. De ceux-ci, quelques-uns arrivent de Campanie ; mais le plus grand nombre sont d’origine grecque.

Un autre groupe, plus important encore, est celui des immigrants forcés, de ces troupeaux d’êtres humains que les marchands d’hommes poussaient chaque année vers la Gaule. Les grands seigneurs du pays, jadis assez pauvres en esclaves, ont voulu se constituer d’immenses familles de serviteurs en tout genre, à la manière des riches Romains ; le populaire des villes s’est passionné de plus en plus pour les combats de gladiateurs et les courses de chars. Ces nouveaux besoins entraînèrent une énorme consommation d’hommes, que toutes les provinces de l’Empire, mais surtout et encore la Grèce[71], déversèrent incessamment sur la Gaule[72].

 

IV. — PRÉPONDÉRANCE DE LA POPULATION INDIGÈNE.

Deux régions, ou, plutôt, deux éléments de population, ont constitué surtout cet apport étranger, l’élément italien et l’élément grec.

Le premier domine parmi les soldats et les négociants, et il est représenté, non point par des hommes de Rome ou du Latium, mais par des artistes ou des marchands de Campanie[73] et par des soldats des Apennins[74] : ceux-là, les plus insinuants et les plus aventureux des hommes d’affaires de l’Occident, ceux-ci, la plus robuste jeunesse de l’Italie.

Sous le nom de Grecs[75], il faut entendre des Orientaux de toute sorte, parmi lesquels les vrais Grecs, d’Athènes ou de Corinthe, n’étaient qu’une très faible minorité. Ces Grecs, qui envahirent la Gaule à la faveur de la domination romaine, étaient issus le plus souvent de l’Asie, soit des villes industrieuses de Lydie ou de Bithynie, soit des grandes cités commerçantes de la Syrie. Beaucoup, qui se disaient des Syriens, appartenaient sans doute à la Palestine : et je crois que dès lors, dans presque toutes les bourgades importantes de la Gaule, Juifs et Syriens eurent leurs comptoirs, leurs chapelles et leurs enclos funéraires. Chose étonnante ! les grands voyageurs de l’Orient, ceux d’Alexandrie, ne se sont point dirigés volontiers sur la Gaule[76] : peut-être ont-ils laissé à dessein ces lointains marchés de l’Occident à leurs concurrents d’Antioche et de Nicomédie.— Au demeurant, Juifs, Syriens et Asiatiques méritaient bien le nom générique de Grecs[77] : c’étaient les produits de l’art et de l’industrie helléniques qu’ils apportaient, la langue grecque qu’ils parlaient, l’influence de la Grèce qu’ils répandaient autour d’eux dans les Gaules[78].

Ces deux populations nouvelles, Italiens et Grecs, seront les agents principaux dans la transformation de la Gaule. Ils lui révèleront les marchandises, les dieux, la langue, les usages et les mœurs du Latium et de l’Orient. C’est par leur intervention quotidienne, par des rapports continus d’affaires ou d’amitié, que la Gaule changera peu à peu ses habitudes contre celles de Rome et de la Grèce, les deux puissances morales qui gouvernent alors le monde.

Je dis habitudes et non caractère. Car si ces colonies de Grecs et d’Italiens, établies en Gaule avec le double prestige de la victoire et de la civilisation, ont été assez fortes pour transformer les pensées et les pratiques de la nation, elles n’étaient point assez nombreuses pour modifier l’humeur et le tempérament des hommes.

On peut évaluer à cent mille[79] au plus le nombre des colons qui furent établis par César et Auguste dans les villes du Sud-Est. Doublons ce chiffre pour y joindre les soldats laissés sur le Rhin dans la même période. Triplons-le pour englober les immigrants libres. Cela ne fera jamais un demi-million d’hommes en face des vingt à trente millions d’indigènes, de cette dense population gauloise qui croissait d’année en année. En admettant, ce qui est probable, que colons et Gaulois se soient très vite mêlés par de fréquentes alliances, l’ascendance celtique s’imposa toujours par le nombre.

 

V. — PERSISTANCE DU TEMPÉRAMENT GAULOIS.

Il est possible que sur certains points du Midi l’afflux des étrangers, massés dans quelques grandes villes, ait peu à peu changé le caractère de leurs habitants, créé des populations à physionomie distincte, différente de leur allure originelle. Ce dut être le cas à Lyon, où Romains et Orientaux paraissent les maîtres[80], à Narbonne, livrée tout entière aux aventuriers du négoce et aux vieux soldats de César[81], à Marseille, où l’antique population des Grecs ne tarda pas à être submergée sous l’incessante invasion des Italiens[82]. Mais ce furent phénomènes locaux semblables à ceux que nous constatons dans les grandes villes commerçantes de la France actuelle : par exemple dans cette même Marseille, où la même invasion d’Italiens et de Corses écarte insensiblement les antiques et franches manières du Provençal de Saint-Jean ou des Accoules[83] ; par exemple encore à Bordeaux, où, depuis Louis XV, l’arrivée périodique d’Anglo-Saxons, de Scandinaves et de Germains, débarqués sur la façade chartronnaise, oblige lentement la fine bonhomie du Gascon à s’écarter devant la morgue distinguée et la froideur susceptible de l’homme du Nord[84].

Mais ces changements locaux ne compromettaient en rien la prééminence du sang indigène. Autour de ces grandes villes, la campagne et la forêt appartenaient aux Celtes, aux Ligures ou aux Aquitains[85]. A côté des quelques milliers[86] de colons installés à Nîmes, deux à trois cent mille Volques[87] cultivaient les plaines du Bas Languedoc et les mazots des Garrigues[88]. A moins de cinq lieues de Marseille, sur la route de la Gaule qui avait reçu la première, il y avait déjà six siècles, la visite des Grecs d’Asie, on pouvait encore apercevoir dans la plaine un village de Celtes ou de Ligures, aux habitants toujours attachés à leurs noms traditionnels[89]. Dans certaines régions, l’étranger demeurait une rareté : le rude Gévaudan ne nous en a laissé aucune trace de l’époque romaine[90], en quoi du reste il était alors pareil à ce qu’il fut dans tout le cours de son histoire. Le Pays Basque, qui s’ouvre si gracieusement aujourd’hui à des hôtes du monde entier, n’a donné asile, dans les temps latins à aucune colonie d’immigrants, et il parait dès lors aussi rebelle aux influences lointaines que le trouveront plus tard les pèlerins de Saint-Jacques[91].

La domination romaine, si profondément qu’elle ait pénétré dans la Gaule, n’a point transformé l’espèce des hommes qui l’habitaient au temps de César. Du sang nouveau a pu couler dans leurs veines, mais pas assez pour que leur nature physique et morale s’en soit trouvée atteinte. Je croirais plutôt que ces Italiens et ces Grecs, loin d’imposer leur tempérament aux indigènes, ont fini par leur ressembler, et, sous l’influence du nombre, des voisinages, des alliances, du ciel et du pays, par devenir, eux, leurs fils ou leurs petits-fils, des êtres du cru, des hommes du terroir.

Voilà pourquoi tous les traits sous lesquels César et ses contemporains ont décrit les Gaulois de l’indépendance se retrouvent chez leurs descendants des temps romains. Ammien Marcellin, à la fin de l’Empire, n’admet pas qu’il y ait une différence entre les uns et les autres ; et, pour dépeindre ceux qu’il a vus, au milieu desquels il a vécu, il copie un écrivain du règne d’Auguste[92]. Ces Celtes et ces Belges, sujets de Dioclétien ou de Théodose, soldats incomparables[93] et beaux parleurs, légers et indociles[94], querelleurs[95], incapables de garder ou de supporter un maître[96], avides de changements et de révolutions[97], braves gens d’ailleurs[98], soucieux de dignité et d’énergie pour leurs chefs[99], ce sont les petits-fils des compagnons de Vercingétorix, très semblables à leurs aïeux. Et de la similitude visible des caractères on peut conclure à la perpétuité des mystérieux éléments qui font la nature et le tempérament des hommes d’un pays, des citoyens d’une nation.

 

VI. — RAPPORTS DES DIVERSES POPULATIONS ENTRE ELLES.

Entre ces divers groupes de populations, indigènes et colons, Gaulois, Grecs et Romains, l’accord n’était point parfait, du moins dans les grandes villes, toujours prêtes aux jalousies de métier, de quartier ou de race. Les Lyonnais, en majorité d’origine italienne, reprochaient aux Viennois leurs voisins de n’être que des Celtes, et il suffit de l’anarchie vitellienne, en 69, pour que les gens de Lyon voulussent marcher contre la ville rivale[100]. A Lyon même, sous Marc-Aurèle, quand la populace se montra si violente à l’endroit des Chrétiens, c’est peut-être parce que les adeptes de l’Evangile étaient surtout des étrangers, marchands ou petites gens venus de l’Asie. Et si nous connaissions mieux l’histoire intérieure de la Gaule, nous trouverions d’autres faits de ce genre.

Mais les journées de discorde ont été plus rares que les témoignages d’entente et d’union[101]. Les Celtes ne pouvaient perdre, sous la domination romaine, leurs pratiques traditionnelles d’aimable hospitalité. Cette habitude d’avoir chez soi des esclaves grecs, hommes ou femmes, faisait beaucoup pour un intelligent accord entre les races. Quelle que fût l’origine de ses serviteurs, le Gaulois les libérait souvent à sa mort[102], et il n’hésitait pas à confier l’exécution de ses dernières volontés à ses affranchis de naissance grecque[103]. Les mariages n’étaient point rares entre l’esclave orientale et le maître indigène ou romain[104]. Ils l’étaient moins encore entre les colons et les hommes du pays ; en l’espace de deux ou trois générations, à Cologne ou à Nîmes, toute trace disparaissait des conflits ou des contrastes originels, et les éléments les plus divers s’étaient fondus en une même famille municipale[105]. Les Asiatiques que leur commerce amenait en Gaule y prenaient femmes ou foyers et s’y préparaient leurs tombes[106]. Des Hellènes se mêlaient aux corporations locales en qualité de membres ou de dignitaires[107]. Le Gaulois s’en remettait volontiers à des Grecs du soin de faire l’éducation de son fils[108] ou l’image de son dieu[109]. Syriens ou Italiens, tout en apportant avec eux leurs divinités nationales, rendaient volontiers hommage aux divinités de l’endroit et associaient dans leurs prières le Mercure celtique à leurs propres dieux[110]. Quand les dieux sont ainsi unis dans les prières des hommes, l’entente est bien près de se faire parmi les humains.

Gardons-nous de comparer la Gaule romaine à ce que sont devenues les Amériques sous le flot continu des peuples occidentaux : quelque intense qu’on suppose le courant de migration, il s’est vite perdu dans les couches profondes des populations indigènes. La Gaule n’a jamais été pour les vainqueurs une terre à peuplement. Si l’on veut comprendre ses destinées à l’aide de faits contemporains, qu’on songe à l’Afrique française, à l’Inde anglaise, où le sang autochtone survit si vigoureusement à l’influx des Européens. Encore, comme toutes les comparaisons de ce genre, celle-ci n’est-elle point d’une rigoureuse exactitude. La Gaule n’a ressemblé ni aux États-Unis, où les indigènes fuient et disparaissent, ni à l’Algérie, où ils gardent pied et résistent[111]. Il s’y est passé un phénomène tout différent de ceux qu’offrent nos sociétés modernes, celui d’une société humaine très ancienne et très solide qui finit par faire corps avec ses nouveaux hôtes, leur imposant sa nature et leur empruntant leurs usages[112].

 

VII. — DU CHIFFRE DE LA POPULATION.

L’appoint de ces colons n’a rien changé à l’état numérique de la population gauloise. Qu’on porte cet appoint, pour le début de l’Empire, même au chiffre d’un demi-million : c’était à peine de quoi réparer les brèches faites dans les peuples et, les familles par les guerres de Jules César.

Ces brèches réparées, il est permis de supposer que la population n’a cessé de s’accroître, du moins jusqu’à Marc-Aurèle, et de s’accroître par les ressources normales, celles que fournissait la fécondité longtemps célèbre des femmes celtiques[113].

Les conditions générales de la vie étaient devenues favorables à une forte natalité, à la création de maisons nombreuses. Nulle invasion à redouter ; les guerres étrangères, limitées aux frontières et à peine suffisantes pour rendre l’avancement des soldats un peu plus rapide qu’en temps de paix ; point de conscription ni de levée en masse ; une seule guerre civile, au temps de la mort de Néron, et qui ne toucha presque pas la Gaule[114] : l’impôt et la perte du sang furent donc réduits au minimum pendant ces deux siècles d’Empire, les moins lourds pour ses familles qu’elles aient jamais traversés dans l’histoire. Les désastres furent épargnés au pays : il n’est question dans les textes, jusqu’au temps de Marc-Aurèle, ni de peste[115] ni de famine[116], et les seules catastrophes qui l’aient frappé sont des incendies de grandes villes[117]. Tout invitait à des productions d’hommes : de nouvelles Liches réclamaient partout de nouveaux bras, terres à défricher, mines à exploiter, fabriques à établir et comptoirs à fonder.

Les ruines semblent prouver que la Gaule ne faillit point d’abord à ce devoir de produire des hommes. Sans atteindre les millions d’êtres de Paris, elle eut presque autant de grandes villes que la France d’avant la Révolution. Arènes et théâtres y supposent des foules énormes : plus de vingt mille spectateurs, à peine quatre fois moins que dans le Colisée de Rome[118], s’entassaient aux amphithéâtres de Nîmes, d’Arles, d’Autun, de Bordeaux[119]. Petites bourgades et gros villages abondaient. Il n’est peut-être pas une seule de nos trente-six mille communes qui ne possède, auprès du clocher de son église, la mosaïque ou les briques d’une villa gallo-romaine[120]. A la lisière ou dans les clairières de nos grandes forêts, enchevêtrées maintenant dans les racines des hêtres ou des chênes, il n’est point rare de trouver des fondations monumentales, vestiges de grandes et belles demeures, qui mettaient jadis une vie intense sur une terre où la nature a de nouveau repris ses droits[121].

Si donc la population de la Gaule, avant César, a atteint ou dépassé vingt millions, elle s’est peu à peu rapprochée, dans les deux siècles qui ont suivi, du chiffre double, soit quarante à cinquante millions, lequel est voisin de celui des temps actuels. Je doute cependant qu’elle l’ait atteint, et je ne saurais dire dans quelle mesure elle s’en est rapprochée[122].

Les progrès, d’ailleurs, ont dû se ralentir plutôt que s’accentuer dans le cours des figes romains. Vivre dans le bien-être n’est point toujours propice à la fécondité des races. La main-d’œuvre servile ou militaire, importée du dehors, écartait la nécessité de multiplier les travailleurs indigènes. Nous sommes frappés, en lisant les épitaphes et en voyant les images des tombes gauloises, de la rareté des familles nombreuses[123]. Un, deux, trois enfants, voilà l’ordinaire[124]. Au delà de trois, c’est l’exception[125]. On dirait vraiment qu’il s’agisse de la France d’aujourd’hui.

Il est vrai que ces tombes appartiennent surtout à l’aristocratie et aux classes moyennes : on peut admettre que les petites gens étaient plus prolifiques. Parlons donc, tout compte fait, d’un progrès continu. Mais ne songeons pas, pour la Gaule romaine, à ces foules d’enfants qui ont doublé depuis trois quarts de siècle la population du monde germanique[126].

 

VIII. — HYGIÈNE ET DURÉE DE LA VIE.

Ce qui pouvait aider le plus à accroître le chiffre de la population, c’est que les usages romains amélioraient les conditions de la vie. Les rues des cités furent plus larges, les maisons mieux bâties et plus spacieuses. On dut faire disparaître ces immondes cabanes, caves et taudis à la fois, où s’abritaient les ouvriers des bourgades celtiques[127]. Des bains publics se sont bâtis dans toutes les villes, même des moindres. Les demeures sont aménagées pour être à l’abri des gros froids[128]. Des aqueducs amènent l’eau pure à tous les habitants[129], et il n’est plus nécessaire de recourir aux puits ou aux citernes, qu’empoisonnent souvent des infiltrations malsaines[130]. Les rivières, comme la Seine, ont conservé la limpidité de leurs eaux, excellentes à boire[131]. Sous les rues, des égouts emportent au loin les matières infectes[132]. On vantait plus que jamais la propreté des Gaulois, et cette qualité n’a pu que s’affirmer sous l’éducation romaine[133]. Aux abords des villes et dans les campagnes, la guerre est déclarée aux marécages, foyers de typhus et de peste. Les cultures sont plus nombreuses et, la nourriture plus variée ; partout s’est répandu l’usage de l’huile, le plus sain des condiments pour les repas, et le réconfort des muscles amollis ; le vin, autre cause de force et de gaieté, s’est propagé par tout le pays[134]. Aucun obstacle politique ou matériel ne s’opposait, en cas de disette, à l’arrivée des aliments nécessaires.

Aussi, comme on vient de le dire, l’histoire de ces temps, pendant deux siècles, ne parle ni de famine ni de peste. On mourait des maladies communes et courantes.

Nous ignorons trop les détails de la vie et de la mort des Gaulois pour savoir exactement quelles étaient ces maladies. Celles qui nous sont le moins inconnues sont les maladies d’yeux, peut-être plus fréquentes que de nos jours[135]. Mais de celles-là on ne mourait point. Les autres, maladies de poitrine ou de cœur, fièvres ou paralysies, rhumatismes ou calculs, ressemblaient, autant qu’on en peut juger, à celles de nos jours[136].

On les soignait d’une manière différente, plus empirique et magique que rationnelle et raisonnable. Mais on les soignait autant, et aux mêmes endroits. Toutes nos stations d’eaux ont été fréquentées des Gallo-romains. Chaque cité possédait ses médecins[137], dont quelques-uns tenaient leurs charges de la commune. Quelques villes avaient même des femmes pratiquant la médecine, sans parler des simples accoucheuses[138]. Et si étrangers aux méthodes scientifiques[139] qu’on doive supposer ces disciples d’Esculape[140], on n’aperçoit pas que leur ignorance ait fait un tort particulier à leurs malades.

Nous pouvons essayer, à l’aide des épitaphes, de retrouver les résultats de cette hygiène et de ces soins, entendons par là la durée moyenne de la vie. Cette durée devait être d’une trentaine d’années tout au plus[141] : ce qui est inférieur à la moyenne actuelle, quarante ans, mais ce qui devait se rapprocher æ la moyenne de l’ancienne France[142]. Il est possible que la mortalité des enfants fût plus forte que de nos jours[143]. Mais les inscriptions tumulaires et les documents écrits nous donnent une assez belle série de vieillards[144]. Alors comme aujourd’hui, les abords de la quatre-vingtième année étaient le temps solennel des départs les plus tardifs. Au delà de cet âge, il n’y a plus que des exceptions. Les centenaires sont fort rares : je suis très étonné de trouver, sur une inscription de Mayence, un Gaulois mort à cent vingt ans[145]. Si ses héritiers ne se sont point trompés sur son âge, ce vieillard dut passer pour un être miraculeux, ainsi qu’il serait advenu de lui à notre époque[146]. Tout ce que nous savons de ces siècles romains, en ce qui concerne les conditions générales de la vie humaine, nous rappelle d’assez près, non pas les temps où nous vivons nous-mêmes, mais ceux où ont vécu nos aïeux et leurs pères.

Je ne parle que des belles années de l’Empire, les deux siècles qui ont suivi la bataille d’Actium et l’établissement de la paix romaine. Les choses commencèrent à changer sous Marc-Aurèle : tour à tour les guerres, les révoltes, les invasions, la peste et la famine[147] gâtèrent ces conditions de la vie ; et la Gaule s’appauvrit en hommes et en forces.

 

 

 



[1] On trouvera dans ce volume et le suivant un certain nombre de faits ou de considérations (sur les routes, ici, chap. III, § III ; la religion, t. VI, ch. I, etc.) qu’on a pu déjà lire, encore qu’en termes différents, dans le volume précédent (t. IV), consacré au gouvernement impérial. Il était en effet nécessaire que certaines choses fussent étudiées deux fois en cet ouvrage, d’abord à la date où elles ont apparu comme organes de la vie publique et comme produits du régime impérial, ensuite à leur place dans la vie économique et morale de la Gaule. Je n’ai pas voulu abréger ce que j’avais à en dire ici, ni me borner à renvoyer par une note à des passages du t. IV : un livre d’histoire ne peut pas obliger les lecteurs à reconstituer eux-mêmes la série des faits ou la suite des idées ; il leur doit de leur présenter à la fois tous les éléments qui leur permettront d’embrasser et de juger l’ensemble de ces faits et de ces idées. Ceci n’est pas un répertoire de documents, mais un essai de reconstitution de tous les phénomènes qui firent la vie d’une nation disparue.

Dans ce tableau économique et moral de la Gaule romaine, nous n’avons exposé que les faits propres à cette Gaule, et nous avons réduit au minimum nécessaire les allusions au reste de l’Empire. Qu’on ne cherche donc dans ces pages ni un manuel d’archéologie romaine ni une bibliographie des questions que provoque l’étude de la vie latine. On fera aisément cette bibliographie en recourant aux deux grandes encyclopédies de l’Antiquité : Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, t. I, 1881, achevé en 1917 ; Pauly’s Real-Encyclopædie der classischen Altertumwissenschaft, n. éd., par Wissowa, etc., I, 1894, etc. En ce qui concerne la Gaule même, je ne pense ni ne dois, comme je l’ai indiqué déjà, apporter ici une bibliographie complète, surtout des faits archéologiques et des problèmes de topographie locale. Je renvoie, pour permettre de constituer cette bibliographie, aux recueils que j’ai cités à cet endroit. On y ajoutera : 6° la bibliographie du Recueil général des bas-reliefs, etc., de la Gaule romaine, par Espérandieu, C. r. parus, 1907-1915 ; et 7° (répertoire plus complet que tout autre) Raoul Montandon, Bibliographie générale des travaux palethnologiques et archéologiques, en cours d’impression à Genève depuis 1917. — Mais le travail continu des érudits fait que ces recueils deviennent chaque jour plus incomplets. On se tiendra au courant à l’aide des chroniques et bibliographies de la Revue archéologique (Ve série. IV. juillet-décembre 1916, du Bulletin monumental (LXXVIII, 1914), de la Revue des Revues (XXXIe a., fascicules parus en 1914), du Bulletin archéologique du Comité des Travaux historiques et scientifiques (année 1917 en cours), de la Revue des Études anciennes (XVIII, 1910), et aussi du Bericht der Rœmisch-Germanischen Kommission (VI, 1910-1, paru en 1913), qui a peu à peu empiété, hors du domaine rhénan, sur toute la Gaule. Il est du reste à souhaiter qu’on donne bientôt une bibliographie critique de la Gaule romaine. — Les anciens travaux sur la civilisation gallo-romaine ne peuvent être examinés qu’à titre de curiosité : Friedlænder, Gallien und seine Cultur unter den Rœmern, dans la Deutsche Randschau de 1877, XIII ; Jung, Die Romanischen Landschaften des Rœm. Reichs, 1881, p. 190 et s. ; Mommsen, Rœmische Geschichte, V, 1585, ch. III ; etc. Tout en étant des travaux plus localisés, les questions essentielles ont été abordées surtout dans Hettner, Zur Kultur von Germanien und Gallia Belgica, 1883 (Westdeutsche Zeitschrift, II) ; Dragendorff, Westdeutschland zur Rœmerzeit, 1912 ; Koepp, Die Rœmer in Deutschland, 2e éd., 1912 ; Cumont, Comment la Belgique fut romanisée, 1914 (Annales de la Société royale d’archéologie de Bruxelles, XXVIII), travail d’une netteté et d’une sûreté remarquables. Pour comparer avec la Bretagne : Sagot, La Bretagne romaine, 1911 ; John Ward, The Roman Era in Britain, 1911 ; Haverfield, The Romanization of Roman Britain, 3e éd., 1915. On trouvera quelques indications dans Hübner, Rœm. Herrschaft in Westeuropa, 1890. Il est bon aussi de voir les manuels d’antiquités privées : Marquardt, Das Privatleben der Rœmer, 1879-82 (Handbuch, VII) : Blümner, Die Rœm. Privataltertümer, 3e éd., 1911 (Handbuch d’I. v. Müller, IV, II) ; Friedlænder, Darstellungen aus der Sittengeschichte Roms, 8e éd., 1910.

[2] Voyez t. III et t. IV.

[3] Voyez t. II.

[4] Voyez t. IV.

[5] Cf. t. V, ch. I, VIII, V, VI, VII.

[6] Cf. t. VI, ch. III, II, I, IV.

[7] D’Arbois de Jubainville, Principaux auteurs de l’Antiquité, à consulter sur l’histoire des Celtes, 1902 (Cours de litt. celt., XII).

[8] Voyez par exemple : les observations faites par Varron, lors de son voyage militaire en Gaule jusqu’au Rhin [peut-être en 53 av. J.-C., lire ad Rhenum cum exercitum ducerem] sur l’agriculture et les produits du pays (R. r., I, 7, 8) ; les observations faites par Pline l’Ancien sur des sujets semblables, lors de son service militaire en Germanie Inférieure sous Claude en 47 (gentes visæ nobis Chaneorum, XVI, 2), et ensuite peut-être lors d’une intendance en Belgique en 74, ce qui lui donna lieu d’écrire Bellorum Germaniæ viginti libros (Pline le Jeune, Ep., III, 5, 4), et ce qui explique l’abondance de faits qu’il nous aprorte sur ces légions ; les nombreuses observations du même Pline l’Ancien sur la région des Alpes (VIII, 217 ; X, 56, 133, 134, 185 ; XXXVII, 44), empruntées sans doute à quelque description d’Egnatius Calvinus, qui y fut préfet (visam in Alpibus... prodidit) ; certains détails de voyages donnés par Strabon (IV, I, 12, sur la voie Domitienne) ; les généralités de Dion Cassius (au moment de la mort de César, XLIV, 42, 4-5) ; le voyage du grammairien Démétrios de Tarse allant jusqu’en Bretagne et décrivant les îles des Morts (Plutarque, De def. orac., 2 et 18 ; je n’hésite pas à croire à la réalité du voyage, cf. Dessau, Hermès, XLVI, 1911, p. 156 et s.).

[9] Je devrais dire dans le premier siècle : car, après Pline l’Ancien (mort en 79), il n’y a pas la moindre trace d’un travail descriptif consacré à la Gaule. Ptolémée (mort vers 180) se sert pour la Gaule de documents antérieurs à son temps et qui peuvent être attribués à celui d’Auguste (voyez par exemple la mention de vieilles tribus de la Narbonnaise, II, 10, 5), documents auxquels il ajoute d’ailleurs des mentions contemporaines. — Athénée (à la fin du second siècle) et Solin (au milieu du troisième) ne font que compiler des documents des derniers temps de la République ou des premiers de l’Empire.

[10] Cela résulte des renseignements épars chez Strabon (qui a écrit vers 19), Pomponius Méla (vers 40-41) et Pline (n. 8). — Il est cependant à remarquer que presque toujours, conformément à une habitude invétérée chez les écrivains de l’Antiquité, ces géographes ne se souciaient guère de donner des descriptions conformes à l’état actuel, mais qu’ils allaient puiser leurs renseignements à des sources bien antérieures à leur temps. Strabon, par exemple, qui est contemporain des premiers temps de Tibère, ayant à décrire la Gaule, déjà conquise depuis soixante-dix ans, se préoccupe surtout d’utiliser les voyageurs qui ont visité ou décrit la contrée avant ou pendant la conquête, comme Posidonius ou Artémidore d’Ephèse, et, parlant de la Narbonnaise, colonisée par César et Auguste depuis plus d’une génération, évite le plus souvent de faire allusion à ces colonies (voyez en particulier IV, 1, 6). Tous les géographes de l’Empire romain ont fait surtout de l’archaïsme et du rétrospectif (bien mis en lumière par Dubois, Examen de la Géographie de Strabon, 1891, p. 386).

[11] En particulier les voyages d’Arthur Young, Voyages en France, éd. Lesage, 1860 ; voyez le parti qu’en a tiré de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution.

[12] Par exemple les résultats du cens (t. IV, chap. VII, § IX).

[13] Les documents dont nous avons des traces chez les écrivains sont : 1° les Commentarii et la carte d’Agrippa (Pline, III, 17), auxquels Pline emprunte les mesures des provinces (III, 37 ; IV, 102, 105, 107) et sans doute les listes des peuples ; 2° le Brævarium totius imperii d’Auguste (Suétone, Auguste, 101 ; Tacite, Ann., I, 11), auquel peuvent remonter des détails épars chez les écrivains ; 3° une Notitia Galliarum, établie sans doute sous Auguste, mise ensuite plus ou moins au courant, avec mention des cités, de leurs chefs-lieux, probablement aussi de leurs pagi et vici, document dont on trouve des traces dans Strabon (IV, 1, 12 ; 6, 3), Pline (III, 36 et 37). Josèphe (De b. J., II, 16. 4, mention des 305 έθνη, des Tres Galliæ), Ptolémée (II, 7,5 ; 10, 5, 6 et 8) et les Notes Tironiennes (Zangemeister, Neue Jahrb., 1892. fasc. 1 ; Revue des Ét. anc., 1913, p. 181 et s.). — Sur le cadastre d’Orange, Schulten, Hermès, XLI, 1906 : Chatelain, Les Monuments romains d’Orange, 1908, p. 129 et s.

[14] Sauf le discours de Claude (t. IV, chap. IV, § IV) et le sénatus-consulte sur la limitation des dépenses pour la gladiature (C. I. L., Il, 6273), promulgué sous Marc-Aurèle, peut-être à l’instigation des Trois Gaules (t. IV, chap. VIII, § VI ; on a supposé que le discours joint au sénatus-consulte avait été prononcé à Lyon).

[15] Corpus inscriptionum Latinarum, XII (la Narbonnaise et les Alpes), 1888 ; XIII, 1 (les Trois Gaules), 1999 et 1904, II (les deux Germanies et les milliaires des Trois Gaules), 1903 et 1907, III (instrumentum domesticum, inachevé), 1901 et 1906, il manque les tables, une IVe partie, renfermant les suppléments aux parties I et II, a paru en 1916, n. v. ; V, II (Alpes Maritimes), 1877, cf., pour ce vol., les Corporis... Supplementa Italica de Pais, 1884 (Atti dei Lincei) ; Inscriptiones Græcæ Siciliæ et Italicæ, etc., 1890, renfermant les inscriptions grecques de la Gaule, éditées par A. Lebègue : Revue épigraphique du Midi de la France, plus tard Revue épigraphique, dernier numéro, n° 121, mars 1908 ; L’Année épigraphique de Cagnat (tirage à part de la Revue arch., parait depuis janvier 1838). Voyez aussi l’utile recueil de Riese, Das Rheinische Germanien in den antiken Inschriften, 1914.

[16] Surtout le recueil d’Espérandieu, cité plus haut ; Catalogue sommaire du Musée des Antiquités Nationales du château à Saint-Germain, par S. Reinach, 3e éd., 13931 ; Catalogue illustré, par le même, I, 1917.

[17] Cf. t. VI, ch. IV.

[18] Il devait y en avoir bien davantage, un dans chaque chef-lieu de civitas, souvent un dans les vici importants, chefs-lieux ou non de pagi (par exemple à Alésia, et ici beaucoup plus vaste que dans de très grandes villes ; à Boutæ, etc.), et même dans des lieux de foires ou de pèlerinage (Champlieu, Herbord, Tintiniac, etc.), etc. Tome VI, chap. II et III.

[19] Cf. t. VI, ch. II (Théâtre).

[20] Voyez l’absence d’inscriptions et de monuments dans la plupart des cités du Nord-Ouest ; t. VI, ch. VI.

[21] C. I. L., XIII, 2682-2795 ; Espérandieu, III, p. 77 et s.

[22] T. VI, ch. VI.

[23] Ou du moins dans les recoins où sont enfouies les traces de ces mausolées ; cf. Harold de Fontenay, Autun et ses monuments, Autun, 1889, p. 233.

[24] Cf. t. VI, ch. I, II et III.

[25] T. VI, ch. II.

[26] T. VI, ch. III.

[27] T. VI, ch. III.

[28] Jure victoriæ id solum vobis addidimus, quo pacem tucremur, Tacite, Hist., IV, 74.

[29] Cf. Dion Cassius, XLIV, 42, 4-5.

[30] Narbonne, Béziers, Orange, Arles, Fréjus, Valence, Lyon, Augst.

[31] Chiffre hypothétique. Si c’est toute une légion qui fut envoyée à Narbonne, Fréjus, etc., cela fait par ville au maximum 6.000 colons chefs de familles. Mais une légion était fort réduite quand elle fournissait une colonie, et tous ses vétérans n’étaient sans doute pas utilisés comme colons. D’autre part, on adjoignait aux vétérans d’autres immigrants : à Côme, César envoya 5.000 colons, dont 500 Grecs (Strabon, V, 1, 6) ; à Aoste, Auguste envoya 3.000 Romains (Strabon, IV, 6, 7).

[32] Vienne, Nyon, Toulouse, Carcassonne, Roussillon, Substantion, Nîmes, Avignon, Apt, Carpentras, Cavaillon, Aix, Digne, Die, Lodève. J’ajoute Orientaux : car, parmi les colons citoyens romains, il a dû y avoir, en particulier à Nîmes, des soldats ou civils originaires d’Orient et, à Nîmes, en particulier d’Égypte : on envoya, en ce temps-là, beaucoup de Grecs comme colons en Occident (Strabon, V, 1, 6 ; cf. XVII, 3, 13).

[33] Chiffre hypothétique ; cf. note 31.

[34] T. VI, ch. V.

[35] Je ne parle ici que des colonies de la période initiale : il n’y a pas lieu, en effet, de tenir compte, dans cette question de l’immigration, des colonies postérieures, plus nominales que réelles (t. IV, chap. VI, § XIII), ni des vétérans dispersés plus tard en différents lieux (cf. Tacite, Ann., XIV, 27 ; I, I7). Au surplus, il serait bon de faire une étude sur les vétérans domiciliés en Gaule, lesquels, en l’état actuel de nos connaissances, paraissent avoir élis envoyés surtout (mais point uniquement) dans des villes déjà colonies romaines (à Arles, à Lyon), sans doute en possession d’anciens lots coloniaux ayant fait retour au fisc.

[36] Pour les troupes auxiliaires et les légions, t. IV, chap. III, § XV.

[37] Voyez en particulier les Orientaux de la flotte de Boulogne : XIII, 3541 (Pannonien), 3342 (Syrien ?), 3543 (Syrien), 3544 (Thrace), 3546 (Grec ?). Ces Syriens peuvent être des Phéniciens ou des Juifs.

[38] Dilapsis pluribus in provincias, in quibus stipendia expleverant (Tacite, Ann., XVI, 27) ; Dardania [?] me genuit, tenuit Germania colonum (C. I. L., XIII, 6823). Les inscriptions de Boulogne citées ici, note 37, sont des épitaphes, ou de marins qui paraissent avoir terminé leur service, ou de personnes de leurs familles.

[39] C. I. L., XIII, 3684 (Oriental).

[40] XIII, 8276 (de Bologne), 8282, 8283 (Espagnol), 8284 (de Fréjus), 8286 (de l’Émilie), 8288, etc.

[41] XIII, 6881, 6882, 6885 (très ancien, de Plaisance, etc.).

[42] A Strasbourg, toute une famille d’un vétéran de Milan (XIII, 5976), un vétéran de Norba en Lusitanie, 5975.

[43] Amiens, 3493, 34-97 ; Metz, 4329-31 ; Boulogne, 3544 ; etc.

[44] T. IV, chap. II, § I.

[45] T. IV, chap. II, § V.

[46] Surtout aux approches de la frontière, ici, note 43 ; dans le voisinage de Lyon, XIII, 2506 (Belley) ; etc. Encore ces vétérans ont-ils être d’origine gauloise (cf. note 40).

[47] Dion, XLIV, 42 ; Strabon, IV, 1, 2.

[48] Pour l’Italie, cf. Pline, H. n., XVIII, 33 ; pour la Grèce, Strabon, VII, 7, 3 ; VIII, 8, 1 ; X, 2, 23 : etc.

[49] Pour l’Italie et l’Afrique, Pline, XVIII, 35.

[50] Sauf peut-être quelques précautions prises pour empêcher l’abandon des terres italiennes.

[51] T. IV, chap. XI, §§ III et IV. La chose est moins nette pour les intendants que pour les gouverneurs ; mais la plupart de ceux que nous connaissons (par exemple Timésithée, t. IV, chap. XIV, § IV) n’ont fait que passer.

[52] C. I. L., XII, 4149 : tombe commune des courriers de l’empereur à Narbonne (l’étendue de la concession, 325 pieds sur 305, montre qu’elle était destinée à de nombreuses personnes) ; XIII, 1550 (Rouergue) ; 255 (Comminges) ; 3461 (Soissons) ; 3260 (Reims) ; XIII, 593 (Bordeaux, tombe d’un licteur, civis Urbicus, originaire de Rome ; cf. XIII, 1080) ; etc. Autres affranchis et esclaves de César cités t. IV, ch. VII, § IX, ch. XI, § IV : il n’est point prouvé, d’ailleurs, que les personnages en question soient tous restés domiciliés en Gaule. Pour les assesseurs, cf. t. IV, chap. XI, § III.

[53] On en trouve à Avenches, Poitiers, Metz, etc.

[54] Surtout à Lyon (Allmer et Bissant, Musée, III, p. 90 et s.), à Bordeaux (Robert, Les Étrangers à Bordeaux, Soc. arch. de Bordeaux, VIII, 1881), à Narbonne, moins à Vienne (cf. note 62), à Nîmes, etc.

[55] XIII, 1981 (Lyon), 6221 (Worms).

[56] Surtout à Bordeaux (XIII, 586, 612, 621), à Marseille (XII, 412), à Nîmes (XII, 3332) et à Narbonne (Ac. des Inscr., C. r., 1915, p. 392 ; XII, 4377, aubergiste ; 4536).

[57] XIII, 3147 (Corseul) : XII, 281 (Fréjus) ; XII, 686 (Arles) ; XIII, 2000 (verrier natif de Carthage établi à Lyon, où il a 4 enfants et des petits-enfants de chacun d’eux) ; XIII, 8335 (Bonn). — J’ai peine à croire que les surnoms de Afer, Africanus, qui se rencontrent en Gaule, aient quelque rapport d’origine avec l’Afrique ; je croirais plutôt à quelque sens (roux, brun) qui nous échappe, ou à quelque sobriquet provoqué par le teint, ou à quelque lien de clientèle avec des Domitius Afer ou des Terentius Afer d’Italie. En admettant même qu’il s’agisse d’un surnom géographique, cela ne prouve pas nécessairement l’origine ethnique ; il y a à Genève un L. Nammius Numida (XII, 2629) : ce nom de Numida a pu sans doute lui être donné parce qu’il était esclave d’origine africaine, mais peut-être aussi parce qu’un voyage de ses parents l’a fait naître en Afrique, or l’on sait que des Nammii y sont allés (Bull. arch., 1916, p. 87). — Les gens du Danube, très rares sur le territoire de Nîmes, XII, 3020 ; pays du Rhin, XIII, 7247, 8371).

[58] Aix, XII, 527 ; Vespasien, fils d’un Sabin de Réale, qui fænus apud Helvelios exercuit (Suétone, Vespasien, 1) ; XIII, 1522 ? (Auvergne) ; 6797 ? (Mayence) ; ici, note 59.

[59] Ou des villes limitrophes. Mosaïste de Pouzzoles travaillant à Lillebonne (XIII, 3225) ; aruspice de Teanum mort à Poitiers où il se trouvait avec son fils (XIII, 1131) ; XII, 4379 et 4526 (originaires d’Æclanurn [?] à Narbonne) ; XII, 4357 (de Fundi à Narbonne) ; XIII, 6429 (de Teanum) ; etc.

[60] XIII, 619, 620 (Bordeaux), 2005 (Lyon) ; XII, 3323 (Nîmes). Civis Græcus, natione Græcus, portent les inscriptions. Cf. note 61.

[61] XIII, 4337 (un Grec de Nicomédie à Metz) ; 5154 (un orfèvre lydien à Avenches) ; XIII, 6851 (Bithyniens) ; 625 (Bithynien de Nicomédie à Bordeaux) ; 6496 (Cappadocien) ; Galates ? (XII, 3359, Nîmes ; XIII, 2007, Lyon) ; gladiateur égyptien à Nîmes (XII, 3329) ; les Chrétiens de Lyon (le riche Attale de Pergame, le médecin Alexandre de Phrygie, etc.) ; XIII, 7284 (Rhodien à Mayence) ; XIII, 8343 (à Cologne, un Grec de Mylasa en Carie, choraules, et un Alexandrin) ; etc.

[62] Exil d’Hérode Antipas à Lyon, d’Archélaüs à Vienne. Un certain nombre de personnages appelés des Syriens (note 62) peuvent être des Phéniciens ou des Juifs.

[63] XIII, 632 (à Bordeaux) ; 1924 ? (à Lyon) ; 2448 (près de Lyon, originaire de Canatha) ; XII, 3172 (à Nîmes, de Beyrouth) ; XIII, 5373 (riche Syrienne à Besançon). Coureur de chars arabes à Nîmes, XII, 3324. — Je ne peux ici que donner des exemples. Un travail d’ensemble s’impose sur les étrangers en Gaule.

[64] XII, 3072.

[65] Cf. le svastika sur une tombe de Carpentras (XII, 1207), qui n’est certainement pas celle d’un Gaulois (Soricina, Maurilio, Maurilla) : mais le monument est-il du Vaucluse ? Les sarcophages en plomb trouvés en Gaule ont pu servir à des originaires de Syrie, mais très certainement aussi à des indigènes. — Toutefois, les étrangers adoptent très souvent les usages funéraires locaux de la Gaule : par exemple à Lyon, ils acceptent l’ascia et les formules funéraires du pays.

[66] Pline, XXXIV. 45 ; t. VI, ch. III.

[67] T. VI, ch. III.

[68] T. VI, ch. III.

[69] T. VI, ch. II ; Strabon, IV, 1, 5.

[70] T. VI, ch. II ; Strabon, IV, 1, 5.

[71] XII, 3349, à Nîmes : Venaliciario Græcario, marchand d’esclaves grecs. Sur la quantité d’esclaves vendus dans les marchés de Grèce, Strabon, XIV, 5, 2.

[72] Y avait-il en Gaule des Germains de la Germanie indépendante installés librement ? L’épigraphie ne permet pas de le dire, soit qu’ils aient pris des noms romains, soit, plutôt, que depuis Arminius les empereurs aient souvent interdit des établissements de ce genre. Car au moment de la révolte d’Arminius, Auguste expulsa de nome ou déporta les Germains qui, en nombre, s’y trouvaient en séjour (Dion, LVI, 23, 4) ; et, sous Tibère, on prit bien soin de ne pas établir trop de Barbares dans l’Empire, ne quietas provincias immixti turbarent (Ann., II, 63). — Y en avait-il comme esclaves ? C’est évident, vu les razzias si souvent faites aux frontières. Ajoutez ce texte si formel de Josèphe, De bello Judaico, II, 16, 4. Et nous avons des renseignements formels sur l’emploi de nombreux Germains à Rome comme porteurs de litières de femmes : Clément d’Alexandrie, Pædag., III, 4, e. 593, Migne, P. Gr., VIII (où le mot de Celtes parait pour celui de Germains) ; Tertullien, Ad ux., I, 4 (Gallicos mullos [pour multos ?] nec Germanicos bajulos... quæ nuptiarum gloriam accendent). Mais l’épigraphie ne fournit pas là-dessus des traces appréciables, peut-être également à cause de changements de noms. Remarquez à cet égard les noms des Germani, esclaves corpore custodes des premiers empereurs ; en dernier lieu, Dessau, 1717-32 ; Bang, Die Gemanen im Rœm. Dienst, 1906, p. 74 (toutes réserves faites sur les conclusions). — Il n’y a pas à faire état des chefs barbares qui ont pu être internés en Gaule, comme Catualda (inter Gotones ; lire Cotinos ?) à Fréjus sous Tibère (Tacite, Ann., II, 62-3). — L’expression (XIII, 618) de Germanus s’applique à des originaires des provinces romaines de Germanie.

[73] Nombre de ces Campaniens pouvaient être d’origine grecque. — Sur les étudiants et les exilés à Marseille. t. VI, ch. V.

[74] Je songe à l’origine des soldats des Xe, VIIe et VIIIe légions, envoyés comme colons à Narbonne, Béziers, Fréjus.

[75] Voyez aussi les gens appelés Græcus, Græcinus,  Græcinies, Corinthia, etc., encore que ces noms ne révèlent pas nécessairement l’origine. — L’origine hellénique des personnages à noms grecs, très probable quand il s’agit d’esclaves ou d’affranchis (avec bien des exceptions), n’est nullement certaine pour les hommes libres ; cf. plus loin, t. VI, ch. IV. Il est à remarquer que ces noms grecs, qui se présentent en très grande proportion en Narbonnaise et dans les villes de commerce, sont beaucoup plus rares ailleurs : Autun n’en offre que 4 sur 130 inscriptions.

[76] Les affaires d’Alexandrie (Strabon, XVI, 4, 24) entraînaient ses marchands surtout vers l’Asie orientale.

[77] Sous le nom d’esclaves grecs, on devait sans doute comprendre tous les Orientaux.

[78] Cf. en dernier lieu L. Bréhier, Les Colonies d’Orientaux, Byzant. Zeitschrift, XII, 1903.

[79] J’entends les colons et leurs familles.

[80] Encore faut-il ajouter que même à Lyon, créé de toutes pièces par les Romains, complété ensuite par les Grecs et les Orientaux, la population celtique n’en prit pas moins peu à peu une place importante, peut-être prépondérante. Cf. t. VI, ch. VII.

[81] A Narbonne, à la différence de Lyon (note 80), il n’y a pas trace appréciable d’éléments celtiques. C’est, sans nul doute, la ville la plus franchement italienne de la Gaule.

[82] Voyez l’abondance d’inscriptions latines (XII, 400-493) et le petit nombre d’inscriptions grecques (Inscr. Gr. It., 2432-66). Ici, t. VI, ch. V.

[83] Le nombre des Italiens à Marseille est passé, entre 1850 et 1906, de 16.109 à 90.111 ; il s’est accru de 15.000 entre les recensements de 1896 et 1901. On peut donc évaluer la colonie italienne à un cinquième de la population totale ; cf. le rapport officiel, Marsiglia e la sua colonia italiana, fait pour l’Exposition de Turin en 1911, en particulier p. 46-7. Et je ne parle pas des Corses et des naturalisés. Pareille chose a pu se produire à l’époque romaine.

[84] Cf. Jullian, Histoire de Bordeaux, 1895, p. 538-542 ; Alfred Leroux, La Colonie germanique de Bordeaux, I, 1918.

[85] Voyez ce que dit Irénée de l’idiome barbare des populations autour de Lyon.

[86] Et peut-être seulement quelques centaines ; cf. t. IV, chap. II, § 5.

[87] La cité ou le territoire de Nîmes correspond au département du Gard, qui renferme (recensement de 1911) 413.458 habitants. Strabon (IV, 1, 12) relève l’importance, comme population, du territoire de cette cité et des 24 oppida qu’elle renfermait.

[88] Et il y avait sans aucun doute beaucoup d’indigènes à Nîmes même ; t. VI, ch. V.

[89] C. I. L., XII, 602, 5788, 607, 609, 610 : inscriptions dont les titulaires doivent appartenir au locus de Garguier. C’est non loin de là qu’a été trouvé le trésor d’Auriol, la plus ancienne trace archéologique du passage des Phocéens en Provence.

[90] Cf. C. I. L., XIII, 1557-74 ; le monument de Lanuéjols (XIII, 1567 = Espérandieu, n° 1733) me parait destiné à des membres de l’aristocratie locale.

[91] Voir le Codex cité plus loin. J’ai parcouru en tout sens le Pays Basque français, et je ne connais pas en Gaule de région où il y ait moins de traces romaines (inscriptions, sculptures, ruines, poteries, noms de lieux). Je ne peux croire un seul instant, comme on est tenté de le supposer, que le pays était encore à demi sauvage. Les Vies de saint Léon de Bayonne (en dernier lieu, de Jaurgain, L’Évêché de Bayonne, 1917, p. 70 et s.) sont trop récentes et trop vagues pour qu’on tire argument de leurs expressions, loca silvarurn Vasculæ, loca deserta nemorosa, etc. (Acta, 1er mars, I, p. 95, nouv. édit.), et j’hésite à attribuer plus de valeur à l’assertion, formulée dans un moment de colère, par l’auteur du Codex de Saint-Jacques (p. 13), hæc terra desolata, etc.

[92] Ce qui prouve bien qu’Ammien (XV, 12) n’a pas agi par paresse particulière, qu’il n’a pas voulu se borner à copier Timagène, c’est qu’il ajoute à ce dernier des traits nouveaux, qui lui sont sans doute fournis par son séjour en Gaule.

[93] Ammien, XV, 12, 3 ; Claudien, De bello Gild., 431 ; Expositio totius mundi (écrit vers 412), p. 121, Riese.

[94] Gente hominem inquietissima, Hist. Auguste, Sat., 7, 1.

[95] Ammien, XV, 12, 1.

[96] Avida semper vel faciendi principis vel imperii, Hist. Auguste, Sat., 7, 1. Ceci, du reste, ne s’est guère montré qu’aux abords de la mort de Néron, avec Vindex et les fauteurs de Vitellius ou de Civilis, et ensuite au milieu du IIe siècle : car, à toutes les autres époques de l’histoire impériale, la Gaule, semble-t-il, a été aussi docile que n’importe quelle province : l’assemblée de Reims fait contrepoids à ses velléités révolutionnaires. Et l’histoire de l’Empire a montré, comme du reste celle de la Gaule indépendante, qu’aucun des défauts des Gaulois n’était sans remède.

[97] Novarum rerum semper cupidi, Hist. Auguste, Trig. tyr., 3, 7.

[98] Cf. Julien, Misopogon, p. 360, Sp.

[99] Quibus insitum est leves... et luxuriosos principes ferre non posse, Hist. Auguste, Gall., 4, 3. Cf. la révolte de Vindex sous Néron.

[100] Mais je crois que l’opposition ethnique, sinon la jalousie de voisinage, a dû s’atténuer de bonne heure, Lyon s’étant très fortement celtisé.

[101] Voyez les inscriptions dans le genre de Mediomatricis et advenis (XIII, 4324).

[102] XIII, 5708.

[103] XIII, 5708.

[104] XII, 3782 ; 682 a, où il semble que ce soit un esclave grec qui ait épousé une Romaine (dominæ et uxori). Un autre curieux exemple de mariage entre une Gauloise et un Oriental (un Parthe, venu comme esclave ?) est donné par une inscription métrique de Grand (XIII, 5954) : conubio junctis diversis gentibus... Gallæ cum Parthis...

[105] Tacite, Hist., IV, 65 : Deductis olim [les Romains, cf. § 64] et nobiseum per conubium sociatis, quique mox provenere, hæc patria est ; ce sont les Ubiens de Cologne qui parlent, à la date de 70, et l’envoi de colons à Cologne date de 50 (Ann., XII, 27) : les mariages auxquels il est fait allusion ont donc eu lieu dès l’établissement des vétérans comme colons.

[106] Cf. XIII, 5154.

[107] XIII, 5154.

[108] T. VI, ch. II.

[109] T. VI, ch. I et III.

[110] XIII, 5373 ; cf. 1522. XII, 3072. Ici, t. VI, ch. I.

[111] Et non plus même au Mexique, où il s’est formé une race métisse, laquelle est devenue le corps de la nation.

[112] Cf. t. VI, ch. VIII.

[113] Strabon, IV, 1, 2 ; 4, 3, avec cette réserve que les textes de Strabon se rapportent sans doute au temps de l’indépendance.

[114] Je ne parle toujours que de l’époque avant Marc-Aurèle. L’affaire de Sacrovir, en 21, eut encore moins d’importance.

[115] Je ne sais s’il y a à tirer argument du texte de Pétrone sur Marseille, Massilliensis quotiens pestilentia laborabant (fr. 1, Bücheler).

[116] La peste, sous Marc-Aurèle, fut accompagnée sans nul doute de famine (Orose, VII, 15, 5).

[117] Lyon en 65, Narbonne entre 138 et 149.

[118] Il pouvait renfermer 87.000 places ; dimensions, 187 m. 77 sur 155 m. 63.

[119] Les arènes de Poitiers ont 155 m. 80 sur 130 m. 50 [on a dit aussi 142 et 125] ; de Périgueux, 130 m. 89 sur 104 m. 61 ; de Tours, 135 sur 120 [ ? on a dit aussi 144 et 124] ; de Nîmes, 134 m. 315 sur 101 m. 50 (Mazauric) ; d’Arles, 136 m. 15 sur 107 m. 62 ; d’Autun, 154 m. sur 130 ; de Lyon (au Confluent), 140 m. sur 117 ; de Fréjus, 113 m. 85 sur 82 m. 20 ; de Bordeaux, 133 m. 32 sur 110 m. 60 ; de Limoges, 137 m. sur 113 ; de Saintes, 127 m. sur 108 ; de Metz, 148.m. sur 124 m. 22 : de Paris, 127 m. [ou 128 ?] sur 96 [?]. On a évalué de 15.060 à 40.000 le nombre possible des spectateurs dans ces différents édifices.

[120] L’Inventaire des mosaïques de la Gaule, 1909 et s., est très incomplet et ne donne pas une idée de la chose.

[121] Voyez par exemple les ruines de la villa du Testelet à Incarville, Coutil, Rec. des trav. de la Soc. libre d’Agric.... de l’Eure, VIe s., X, 1912 (1913), p. 35 et s.

[122] On peut comparer la marche ascendante de la population gauloise en 160 ans (de l’ère chrétienne à Marc-Aurèle) à celle qui de 1821 à 1860, a porté la population française de 30.462.000 à 36.484.000, soit un gain d’un cinquième par 40 ans (de Foville, La France économique, 1890, p. 9). Et la comparaison peut se faire d’autant plus justement que, comme nous le remarquerons souvent, les conditions générales de la vie gauloise furent alors assez semblables à celles de la France après la Restauration. Et dans ce cas la population de la Gaule a pu être doublée, atteindre et dépasser 40 millions. J’hésite cependant beaucoup à croire, sinon à ce chiffre, du moins à ce doublement.

[123] Je ne connais pas un seul bas-relief funéraire représentant une famille nombreuse.

[124] En Narbonnaise, les noms de Secundus et dérivés apparaissent 300 fois, Tertius 135, Quartus 95, Quintus 87, Sextus 49, ceux de Septimus, Octavus, Nonus sont extrêmement rares (pour une cause qui m’échappe), Decimus 35 fois : la proportion descendante de ces chiffres montre que l’on peut recourir, comme argument, à ce genre de statistique, tout en reconnaissant les nombreuses objections qu’on peut lui adresser. D’où l’on peut conclure que, sur 300 familles, 165 se sont arrêtées à 2 enfants, 40 à 3, 8 à 4, 38 à 5, et 49 au delà de 5. — Dans la maison d’Ausone (éd. Schenkl, p. XIV), le nombre des enfants est 3 (chez Ausone et chez son fils), 4 (chez son père, son beau-père, son grand-père maternel), 5 (chez son grand-père paternel), nombres qui sont visiblement supérieurs à ceux qu’indique l’épigraphie du Haut Empire. — En France, sur 556 familles ayant deux enfants ou plus, 213 en ont 2 seulement, 145 en ont 3, 90 en ont 4, 52 en ont 5, 51 en ont 6 et au delà (de Foville, p. 42). Et cela, avec des divergences de détail, ressemble dans l’ensemble à l’époque romaine.

[125] Il faut bien qu’il en ait été ainsi, puisque des parents se font gloire d’être mater trium filiorum (XII, 4020 ; cf. XIII, 1092 ; XII, 522), mater quatuor filiorum (XII, 4247), pater liberorum quinque (XII, 2523).

[126] En 1840, 32.785.000 ; en 1905, 60.605.000.

[127] L’intervention des gouverneurs de provinces peut se conclure de ce que dit Agricola en Bretagne (Tacite, Agricola, 21).

[128] Julien, Misopogon, p. 311, Sp. Il y a trace d’appareils de chauffage, semble-t-il, dans toutes les ruines de villas.

[129] Cf. Blanchet, Recherches sur les aqueducs et cloaques de la Gaule romaine, 1908. — Ne croyons pas que les aqueducs fussent réservés aux villes ; il y en eut dans les plus petites bourgades ou les villas, par exemple au village de Mus dans le Gard (canalisation très bien faite dans des conditions assez difficiles ; Féminier, Mém. de la Soc. scient. d’Alais, XVII, 1886, p. 97-103), à la villa de Vendres près de Béziers (Mouret, Le Temple de Vendres, Béziers, 1916, p. 13 et s.) ; etc. ; cf. C. I. L., XIII, 5330.

[130] Stagnantes pigrasque merito (medici) damnant (Pline, XXXI, 31). Toutefois, il y avait de nombreux puits in oppidis (Pline, XXXI, 38 ; Harold de Fontenay, Autun, p. 91-3 ; etc.), et la question des puits gallo-romains est à l’étude (Blanchet, Aqueducs, p. 147) ; il est possible que beaucoup aient été inutilisés dès l’époque romaine. Il n’empêche que l’hygiène de l’eau a été poussée par les Romains plus loin encore que par nous, et c’était là un très important contrepoids aux fantaisies de leur médication.

[131] Julien, Misopogon, p. 340.

[132] Voyez dans le Digeste, au titre De cloacis (XLIII, 23), les précautions prises ad salibritatem civitatium.

[133] Ammien, XV, 12, 2.

[134] Pline, XIV, 150 : Duo sunt liquores humanis corporibus gratissimi, intus vini, foris olei, sed olei necessarius.

[135] Cf. t. VI, ch. II, l’abondance de cachets d’oculistes, et voyez la quantité de recettes chez Marcellus, De medicamentis, VIII ; ajoutez le très grand nombre d’yeux de métal trouvés dans les sources comme ex-voto. Peut-être à cause de la poussière des routes et des rues, résultant du manque d’arrosage et de l’absence d’arbres.

[136] Ex-voto pour quelques-unes : maladies de matrices ? (Espérandieu, IV, p. 361-5 ; V, p. 142) ; hernies ? (IV, p. 366, n° 5) ; hydrocètes ? (id., V, p. 130-1, 139) ; pieds ou jambes difformes ? (id., IV, p. 308-9) ; maladies des seins (id., V, n°3883) ; maladies des genoux (id., V, n° 3888) ; oreille (Saint-Germain, Cal. somm., p. 98) ; etc. Sur les goitreux des Alpes, Pline, XXXVII, 41. Il n’y a rien à tirer de spécial à la Gaule dans le De medicamentis de Marcellus le Bordelais (éd. Niedermann, Corpus medic. Latin., V, 1916), encore qu’il déclare emprunter etiam ab agrestibus et plebeis remedia fortuita atque simplicia.

[137] T. VI, ch. II.

[138] T. VI, ch. II.

[139] Voyez pour cela t. VI, ch. II.

[140] Ceci n’est pas une métaphore, mais le nom ou surnom professionnel que se donnaient souvent les médecins (cf. C. I. L., XIII, 8343, Dionysius Asclepiades ; Dessau, 7789 ; C. I. L., XIII, 3175 ; XII, 1804).

[141] A Bordeaux, sur 171 individus dont l’âge est indiqué, 14 sont morts de 1 à 9 ans, 14 de 10 à 19, 35 de 20 à 29, 41 de 30 à 39, 22 de 40 à 49, 17 de 50 à 59, 8 de 60 à 69, 15 de 70 à 79, 5 de 80 et plus : la moyenne est donc 36 ans. Mais, comme les Romains n’indiquaient d’ordinaire point l’âge des enfants morts à moins d’un an, il faut ajouter la mortalité infantile (ce qui est la grosse question, et insoluble), et cela doit nous amener à moins de 30 ans comme moyenne. J’ai choisi Bordeaux comme exemple, parce que c’est la ville de Gaule où l’usage était le plus répandu d’indiquer l’âge des défunts. La multiplicité des chiffres ronds, 20, 25, etc., montre qu’on y comptait le plus souvent par lustres, correspondant à des recensements quinquennaux. Il va de soi que cette liste n’offre que des garanties très limitées. Le total des morts entre 30 et 39, près du quart du total (41 sur 171), est surprenant, et s’explique par quelque cause que nous ignorons. A Lyon, sur 166 âges indiqués, Mollière (p. 58) trouve des moyennes de 31 à 32 ans (cela me parait bien faible) pour les personnes âgées de plus de 9 ans, 27 ans environ pour la vie en général. — Beloch, opérant sur les inscriptions d’Italie, et à l’aide d’une autre méthode, celle des tables de survie, est arrivé à des résultats beaucoup plus faibles, à une moyenne de vie totale de 36 à 37 ans pour les adultes de 20 ans (Die Bevölkerung, p. 47 et s.) : il avoue (p. 50) lui-même être étonné de l’extraordinaire brièveté de la vie en Italie, qui jure avec le chiffre des centenaires qu’y indiquaient les Anciens (p. 32, n. 3) ; actuellement, rage moyen auquel arrivent les personnes de 20 ans dépasse, eu Italie comme ailleurs, 60 ans (Stat. internationale, p. 567). — Voyez d’autres recherches, sur l’Afrique, où la longévité parait supérieure à la Gaule : Schiller, Gesch. des Rœm. Kaiserreichs unter der Regierung des Nero, 1872, p. 502 : Espérandieu, Bull. de l’Acad. d’Hippone, n° 21, Bône, 1886, p. 208 et s. — Mollière (p. 63-64) croit à une mortalité plus grande des femmes pendant la durée des fonctions naturelles, à cause de la précocité des mariages (à Lyon, 12 à 13 ans, XIII, 2068, 2203 ; 14 ans, XII, 690). Comme d’autre part il constate que les inscriptions chrétiennes mentionnent toujours, en Gaule et partout, des âges plus avancés (moyenne, 36 au lieu de 27), il en conclut que l’amélioration des conditions du mariage dans les temps chrétiens a dû entraîner un prolongement de la vie humaine (remarquez, ce qui continuerait la thèse de Mollière, les faits de longévité au IVe siècle, ici, n. 144). Ceci est très ingénieux, mais il y a tant de hasards dans les notations épigraphiques ! — Il est curieux, évidemment, que les inscriptions amènent partout, pour les femmes, à une moyenne de vie plus faible que pour les hommes (Mollière, p. 58 ; Beloch, p. 46 ; etc.), tandis que c’est aujourd’hui, et depuis longtemps, exactement le contraire : je n’ose cependant encore accepter que la mortalité féminine fût plus grande autrefois que de nos jours.

[142] Je parle d’avant les grandes réformes d’hygiène et d’assistance. A la date de 1889, de Foville in tique comme moyenne le chiffre de 40 ans. La moyenne, qui est de 31 ans au commencement du XIXe siècle, commence à s’élever après 1825 : cf. la Statistique internationale publiée par le Ministère du Travail, 1907, p. 452. Sous Louis XVI, on évaluait la vie moyenne à 25-26 ans (Moheau, Recherches et Considérations sur la population de la France, 1778, p. 156 : mais cf. les réserves de Levasseur sur les données de Moheau, Population, I, p. 277-8). — De même, de Foville, p. 36 : Aux personnes de 40 ans le droit romain ne semblait promettre, en moyenne, que 20 ans d’existence [allusion à Digeste, XXXV, 2, 68] : leur vie moyenne monte à 23 ans au XVIIIe siècle [Moheau dit seulement 21, p. 156] et à 28 d’après les derniers calculs [1877-1881].

[143] Simple hypothèse, vu l’absence d’indication d’âge pour les tout petits enfants. La mortalité des enfants, de moins d’un an a baissé de 18,7 pour 100 (1806) à 13,9 pour 100 (1905) ; Stat. intern., p. 464.

[144] Dans la famille d’Ausone, son père meurt à 88 ans (Parent., 31), lui-même a dû dépasser 80, son petit-fils Paulin de Pella a atteint ou dépassé 83 ans (Euchar., 12-14) : c’était une belle liguée ; et voyez aussi dans cette famille le nombre d’enfants.

[145] C. I. L., XIII, 7101 (j’ai fait vérifier le chiffre au Musée de Mayence). Mais il y a tant de chances d’erreurs dans les déclarations de ce genre (cf. note 146) ! Centenaire de Metz, époux d’une femme de 80 ans, XIII, 6460. — Comme curiosité de ce genre, voyez à Vienne les deux frères jumeaux de 77 ans (XII, 5864).

[146] Si on en juge par les textes de Pline (VII, 164) et de Phlégon (fr. 29, Didot), le nombre des centenaires aurait été considérable en Italie (87 ou 69 pour une seule des onze régions) ; et les inscriptions semblent indiquer qu’il en fut de même en Afrique. Nous ne constatons rien de pareil dans l’ancienne Gaule. — En 1886 on enregistra en France 184 centenaires ; enquête faite, il n’en resta que 89 authentiques, la grande majorité d’ailleurs étant des indigents ; de Foville, p. 49-50.

[147] La peste de 166 et années suivantes parait s’être étendue jusqu’au Rhin (ad usque Rhenum et Gallias, Ammien, XXIII, 6, 24). Il y eut sans doute une famine dans le Midi vers 240 (C. I. L., V, 7881).