CINQUIÈME PARTIE. — DERNIÈRES CAMPAGNES D’AURÉLIEN. ABANDON DE LA DACIE TRANSDANUBIENNE. MEURTRE D’AURÉLIEN. (FIN 274-275).
Texte numérisé par Marc Szwajcer
A l’avènement d’Aurélien, le monde romain était morcelé en trois parties. L’Empire Gallo-Romain, après avoir perdu en 268, la Narbonnaise orientale et l’Espagne, conservait encore la Bretagne et la Gaule presque entière. L’État Palmyrénien, maître de tout l’Orient, de la Galatie à la Cyrénaïque, poursuivait ses conquêtes et achevait de se constituer. L’Empire Romain était réduit à l’Italie, à l’Espagne, à l’Afrique, aux pays danubiens, aux provinces grecques d’Europe et à la Bithynie : il venait de perdre, sous Claude, l’Égypte et la plus grande partie de l’Asie Mineure, conquises par Zénobie. Le danger de l’invasion gothique, sur le Bas Danube, avait été écarté par la victoire de Claude à Naïssus. Mais, sur le Haut Danube, le Limes Rhétique était forcé, la Rhétie et l’Italie du Nord étaient envahies par les Juthunges ; les Vandales menaçaient la Pannonie. A l’intérieur, Aurélien avait à lutter contre un compétiteur, Quintillus, soutenu par le Sénat et reconnu par toutes les provinces. L’autorité impériale sortait fort amoindrie de l’anarchie militaire. Le Trésor était vide ; la monnaie, ruinée. Aurélien, proclamé à Sirmium, n’avait qu’un appui, l’armée danubienne : c’est avec elle et par elle, qu’il devait rétablir la défense des frontières et reconstituer l’unité impériale. Aurélien s’était proposé de reconstituer matériellement et moralement l’unité impériale. Ce programme était immense : en cinq années, Aurélien réussit cependant à le réaliser dans son ensemble[1]. Lorsqu’il mourut, en 275, les Barbares — Francs et Alamans sur le Rhin, Juthunges, Vandales, Goths sur le Danube, Perses sur l’Euphrate, Blemyes en Égypte — étaient partout repoussés. Les frontières et Rome étaient mises en état de défense. Les empires gallo-romain et palmyrénien avaient succombé ; les usurpateurs avaient été partout renversés : l’unité de l’Empire était rétablie. — A l’intérieur, Aurélien avait réorganisé l’administration, relevé les finances et amélioré le système monétaire. Il avait raffermi l’autorité impériale et s’était efforcé à la fois de consolider l’unité morale de l’Empire et de fonder l’absolutisme, par la constitution de la religion solaire en culte d’État. Sans doute, la restauration n’était pas complète. Le Limes Transrhénan n’avait pas été intégralement rétabli ; la Dacie avait été abandonnée et la défense, reportée à la ligne du Danube ; la Mésopotamie restait aux mains des Perses. L’Empire avait reculé. En ce qui concerne l’administration intérieure, le temps, et souvent aussi les moyens, avaient manqué à Aurélien ; les réformes monétaire et alimentaire n’étaient que partielles. Aurélien s’était abusé sur la portée de ses réformes religieuses. Le culte solaire officiel devait se maintenir jusqu’à la fin du IVe siècle ; mais il était trop abstrait et trop vague pour exercer une grande influence sur le développement du paganisme et pour faire obstacle aux progrès de la religion chrétienne. Il fallait pour sauver l’Empire une réorganisation plus complote et plus profonde, qui devait être l’œuvre de Dioclétien. La division du pouvoir, réalisée par l’établissement de la Tétrarchie, était devenue indispensable ; mais, pour qu’elle ne mit pas l’Empire en danger, il était nécessaire que les collègues de l’empereur fussent librement choisis par lui et lui restassent unis par un lien réel de subordination. Ni Tetricus, ni surtout les princes de la dynastie palmyrénienne, ne pouvaient être des collègues pour Aurélien. Aurélien comprit que la réorganisation de l’Empire devait avoir pour préface nécessaire la reconstitution de l’unité impériale, et que cette reconstitution n’était possible que par la force. L’anarchie militaire avait bouleversé et disloqué l’Empire : Aurélien remit tout en place. Il le fit avec la rudesse d’un soldat et avec la dureté de son tempérament. On lui a reproché sa brutalité, ses ennemis même disaient sa cruauté ; mais il est certain que son œuvre était nécessaire[2] et qu’il l’a brillamment accomplie. |
[1] Vita Aureliani, I, 5 : Aurelianus... per quem totus Romano nomini orbis est restitutus — 41, 7 : Respirare certe post infelicitatem Valeriani, post Gallieni mala imperante Claudio cœperat nostra respublica, at eadem reddita fuerat Aureliano toto penitus orbe vincente — Epitomé, 35, 2 : Iste haud dissimilis fuit magno Alexandre seu Cæsari dictatori. Nam Romanum orbem trienno ab invasoribus receptavit cum Alexander annis tredecim per victorias ingentes ad Indias pervenerit et Caius Cæsar decennio subjecerit Gallos, adversum cives quadriennio congressus. — Cf. AUREL. VICT., Cæsar., 35, 12 : Tantum ille vir sevevitate atque incorruptis artibus potuit, ut ejus necis auctoribus exitio, pravis metui, simulata dubiis, oplimo cuique desiderio, nemini insolentiæ aut ostentationi esset.
[2] Vita Aureliani, 31, 1 : Principi necessario — 41, 6-1 : Princeps Aurelianus quo... neque utilior fuit quispiam — EUTROP., IX, 14 — JEAN D’ANTIOCH., Fragm. Hist. Græc., éd. C. Müller, IV, p. 393, n° 155.