ESSAI SUR LE RÈGNE DE L’EMPEREUR AURÉLIEN (270-275)

 

CINQUIÈME PARTIE. — DERNIÈRES CAMPAGNES D’AURÉLIEN. ABANDON DE LA DACIE TRANSDANUBIENNE. MEURTRE D’AURÉLIEN. (FIN 274-275).

CHAPITRE II. — ÉVACUATION DE LA DACIE TRANSDANUBIENNE. - CRÉATION DE LA NOUVELLE PROVINCE DE DACIE. (275).

Texte numérisé par Marc Szwajcer

 

 

La situation des provinces du Bas Danube était restée la même depuis les dernières campagnes d’Aurélien en 271 et 272. Les invasions des Goths et des Carpes ne s’étaient pas renouvelées, mais il restait une question capitale à régler, celle de la Dacie.

Trajan avait conquis la Dacie, à la fois pour écarter de l’Empire un danger menaçant et pour renforcer la défense de la frontière danubienne : le plateau de Transylvanie, couvert à l’Est par le demi-cercle des Carpathes, à l’Ouest, par les chaînes des monts Meszes et Bihar, formait un boulevard naturel, qui interceptait toute communication entre les deux grandes voies d’invasion, la vallée de la Theiss, à l’Ouest, les vallées du Sereth et du Pruth, à l’Est. Maîtres de la Dacie, les Romains se trouvaient placés sur le flanc et sur les derrières des envahisseurs.

Jusque vers 250, la Dacie avait arrêté les Goths et les Carpes ; mais les attaques étaient incessantes et la défense dut se replier peu à peu[1]. Perdue en partie sous Philippe, reconquise par Decius, la province avait été presque entièrement évacuée sous Gallien ; les deux légions avaient abandonné le plateau de Transylvanie et s’étaient concentrées entre le Danube, la Ternes et les Carpathes[2]. Les Goths s’étaient librement étendus en Dacie. En 271, ils avaient envahi la Mésie. Aurélien les avait battus, avait franchi le Danube à leur suite et les avait poursuivis en petite Valachie, mais il n’avait pas réoccupé la Dacie. En 272, lors de l’invasion des Carpes, il avait été rappelé par le soulèvement de Palmyre. En 273, il n’avait fait que passer.

Revenu sur le Danube inférieur, en 275[3], Aurélien dut prendre une décision. Il n’y avait que deux partis possibles : reconquérir toute la Dacie et rétablir intégralement le système défensif de Trajan, ou évacuer entièrement la province et reporter la défense à la ligne danubienne. Le premier parti prêtait à de graves objections. Aurélien se trouvait en présence d’un fait accompli : l’occupation du pays par les Goths. La conquête était à reprendre tout entière, et il était certain qu’on ne pourrait la maintenir sans une lutte incessante qui entraînerait pour l’Empire plus de sacrifices que l’occupation ne lui procurerait d’avantages. La population de la Dacie avait beaucoup diminué à la suite des invasions. Un grand nombre d’habitants avaient été tués ou avaient fui. Il ne pouvait plus être question, comme au temps de Trajan, de repeupler la province. Enfin l’occupation de la Dacie ne devait plus suffire à protéger les provinces du Bas Danube. Depuis 256, sous Gallien et sous Claude, toutes les grandes invasions des Goths s’étaient faites par mer.

Les avantages de l’évacuation étaient incontestables. Les provinces de la rive droite du Danube, les deux Pannonies, les deux Mésies, la Thrace, ravagées par les invasions, étaient dépeuplées[4]. Claude, après la victoire de Naïssus, avait établi en Mésie inférieure et en Thrace, un certain nombre de prisonniers Goths[5]. Aurélien, en 272, avait transplanté en Thrace une partie des Carpes vaincus. Après lui, Probus et Dioclétien devaient suivre le même système. L’évacuation de la Dacie donnait à Aurélien les mouvons de repeupler les deux Mésies.

Eu fait, la Dacie était perdue. L’évacuation de ce qui restait de la province n’entraînait pour l’Empire aucune diminution réelle de forces. C’était surtout un sacrifice d’amour-propre, un aveu de faiblesse qui devait coûter beaucoup à l’orgueil d’Aurélien. Mais les avantages en étaient tels et les difficultés de la reconquête, si considérables, qu’il n’hésita pas à céder ii la nécessité. Il se résolut donc à l’évacuation définitive.

L’évacuation de la province, pour être complète, devait porter sur trois éléments : l’administration, les légions, la population civile. Le personnel administratif fut rappelé. Les légions se retirèrent sur la rive droite du Danube par la grande route d’Ad Mediam (Mehadia) à Tsierna (Alt-Orsova) et probablement aussi par la route de l’Aluta : ces deux routes aboutissaient aux camps retranchés de Ratiaria et d’Œscus où elles devaient désormais tenir garnison.

Restait la population civile. A l’origine, cette population comprenait deux groupes : la masse des colons, d’origine diverse, qui s’étaient installés dans la province sous Trajan et Hadrien, et la population dace soumise. Cette dernière s’était romanisée peu à peu et les deux éléments avaient fini par se confondre. Au cours des invasions du IIIe siècle, un grand nombre d’habitants, les plus riches, avaient fui[6]. Ceux qui n’avait pu le faire faute de ressources, ou qui ne l’avaient pas voulu, étaient restés à côté des Goths et des autres barbares qui avaient occupé le pays.

Aurélien ordonna officiellement l’évacuation de la province[7]. C’était affirmer que la Dacie Transdanubienne ne serait pas reconquise et déterminer le départ de tous ceux qui ne voulaient pas rester soumis aux barbares d’une manière définitive. En fait, il peut difficilement être question d’une évacuation générale[8]. Toute la partie de la population qui vivait à proximité des camps légionnaires : familles des soldats, vétérans retirés du service, marchands, etc., suivit l’armée sur la rive droite du Danube. Mais il dut rester dans les campagnes un grand nombre d’anciens habitants, qui vivaient en bon accord avec les Goths et n’avaient aucun intérêt à abandonner la province. D’ailleurs, une évacuation complète eût probablement été inexécutable, sans une nouvelle guerre ; les Goths ne se seraient pas prêtés au départ de toute la population civile. Si cette population s’accommodait du nouveau régime, Aurélien n’avait aucune raison de se montrer plus intransigeant qu’elle.

Aurélien créa, sur la rive droite du Danube, une nouvelle province de Dacie[9]. Il y établit les deux légions et les habitants qui avaient évacué la Dacie Transdanubienne[10]. Plusieurs motifs déterminèrent Aurélien à créer une nouvelle province. L’évacuation de la Dacie avait rendu disponibles les cadres complets de l’administration civile et militaire. Il y avait intérêt à conserver unis ces éléments et à ne pas disperser l’armée dacique entre les deux provinces de Mésie. — La tendance de l’Empire, depuis le milieu du IIe siècle, était de morceler les provinces[11], afin de mieux en assurer l’administration et la défense ; les deux Mésies, entre lesquelles se répartissait la ligne du Danube de Singidunum à la mer, présentaient un front très étendu ; la Dacie Trajane, qui couvrait toute la partie centrale des deux provinces, une fois évacuée, il était nécessaire de renforcer la défense du Danube. Enfin, et ce fut peut-être la raison décisive, il fallait ménager l’orgueil national et masquer le recul de l’Empire. Un fait est à remarquer : les limites de la nouvelle Dacie, sur le Danube, correspondirent exactement, comme nous le verrons plus loin, à celles de l’ancienne. La Dacie se trouva transportée d’une rive à l’autre du Danube, mais elle ne disparut pas de la liste des provinces romaines[12].

La nouvelle province de Dacie fut formée aux dépens des deux provinces de Mésie et de la Thrace[13]. Elle comprit :

1° La partie occidentale de la Mésie Inférieure, du Ciabrus (Cibrica), frontière des deux Mésies, à l’Utus (Vid), avec la ville d’Œscus[14].

2° Les parties orientale et méridionale de la Mésie Supérieure.

a) La partie orientale de la Mésie Supérieure, riveraine du Danube, entre le Ciabrus, à l’Est, et la Porecka, à l’Ouest, avec les villes de Bononia et de Ratiaria[15].

b) Toute l’ancienne Dardanie, rattachée jusque-là à la Mésie Supérieure, avec les villes de Naïssus (Nis), Remesiana (Bela Palanka), Scupi (Zlokucan, près d’Usküb), et Ulpiana (Lipl-jan[16]).

3° La partie occidentale de la Thrace, comprise entre les sources de la Marica et de la Topolnica à l’Est, l’Hæmus au Nord, les frontières de Dardanie et de Macédoine à l’Ouest et au Sud[17]. Cette région formait les deux stratégies de Serdica [bassins supérieurs de l’Isker (anc. Œscus) et de la Nisava (affluent de la Morava Bulgare)], et de Dentheletica (bassin supérieur de la Struma, anc. Strymon), avec les villes de Serdica (Sofia), Pautalia (Köstendil) et Germania (Banja, près de Düpnica).

Les limites de l’ancienne Dacie avaient été : à l’Ouest, les monts Sretinje (Portes de Fer), à l’Est, l’Alutus (auj. Aluta) ; la nouvelle province, entre la Porecka et le Vid, occupa sur le Danube, un front analogue. A l’Ouest et au Sud, vers la Mésie Supérieure, la Dalmatie et la Macédoine, les limites restèrent celles de l’ancienne Dardanie ; vers la Thrace, la limite était parallèle à la frontière actuelle entre la Bulgarie et la Roumélie orientale et située à une trentaine de kilomètres plus à l’Est.

La nouvelle Dacie ne présentait aucune unité linguistique ou ethnographique. La limite des langues grecque et latine coïncidait à peu près avec la frontière antérieure de Mésie Supérieure et de Thrace[18]. Les parties démembrées des deux Mésies et la Dardanie étaient de langue latine ; les deux stratégies de Thrace, de langue grecque. Au Ier siècle, les provinces de Mésie et de Thrace comprenaient cinq grands groupes ethniques[19] : le long du Danube, les Scordisques entre la frontière Pannonienne et les Portes de Fer ; les Mésiens proprement dits et les Triballes, entre les Portes de Fer et l’embouchure de l’Utus[20] ; les Gètes et les Scythes, entre l’Utus et le Pont-Euxin ; dans l’intérieur, les Dardaniens et les Thraces. De ces cinq groupes, deux, les Mésiens-Triballes et les Dardaniens, furent incorporés totalement dans la nouvelle Dacie, où entrèrent en outre les deux peuplades Thraces des Serdi et des Dentheletæ. La Mésie Supérieure correspondit désormais exactement au domaine des Scordisques et la Mésie Inférieure à celui des Gètes et des Scythes. Un peu plus tard, avant 297[21], Dioclétien démembra la Dacie et la Mésie Inférieure ; le pays des Mésiens-Triballes devint la Dacie Ripensis et celui des Scythes, la Scythie.

Le chef-lieu de la nouvelle Dacie fut Serdica, importante par sa situation sur la grande voie militaire Viminacium-Byzance. Gallien y avait installé un atelier monétaire impérial[22], qui avait été quelque temps transféré à Cyzique, en 269, lors de l’invasion des Goths, et rétabli, avant 274, par Aurélien[23]. Serdica était devenue centre de frappe pour la région du Bas Danube et les provinces grecques d’Europe. La ville ne tarda pas à prendre un grand développement. Constantin, s’il faut en croire le Continuateur anonyme de Dion[24], songea plus tard à en faire la capitale de l’Empire.

 

 

 



[1] J. JUNG, Zur Geschichte der Pässe Siebenbürgens, Mittheil. des Instit. für Œsterr. Geschichtf., Ergänz. B, IV, 1893, p. 11.

[2] J. JUNG, loc. cit., p. 11 — C. I. L., III, 1560.

[3] La date d’évacuation résulte de la Vita Aureliani (39, 7), EUTROPE (IX, 15, 1), SYNCELLE, I, p 721 (Bonn), MALALAS, XII, p. 301 (Id.), qui tous placent l’évacuation de la Dacie transdanubienne ou la création de la nouvelle Dacie à la fin du régime, immédiatement avant la mort d’Aurélien. SYNCELLE, de plus, et ZONARAS, XII, 27 (III, p. 153 Dind.) disent qu’Aurélien mourut, au moment où il marchait contre les Scythes ; le fait présenté sous cette forme est inexact, mais il se rattache directement au règlement des affaires de Dacie. RUFUS FESTUS (8) et JORDANES (Rom., 217) mentionnent l’évacuation en dehors de toute chronologie.

A l’organisation de la nouvelle province de Dacie se rapporte vraisemblablement une inscription de Sofia (C. I. L., III, Supplém., 12333 ; —cf. un fragment de Slivnica, III, Supplém. 13715). Cette inscription, postérieure à la reconstitution de l’unité impériale (Aurélien y porte le surnom de Britannicus), est de 274 ou 275 indication qui concorde avec celle qui est donnée par les textes, cf. WITTERCH.-DAHN, loc. cit., I, p. 240 — F. DAHN, Urgeschicht., II, p. 228 — Br. RAPPAPORT, loc. cit., p. 99. — Selon Th. BERNHARDT, loc. cit., p. 153, H. SCHILLER (loc. cit., I2, p. 853), l’évacuation aurait eu lieu en 270 et aurait été une stipulation du traité conclu avec les Vandales (J. JUNG, Römer und Romänen in den Danaulandeen, p. 107 et not. 1 — BRANDIS, art. Dacia, dans PAULY-WISSOWA, Real Encyclöpedie, IV, p. 1975, admettent la date de 271). —Cette interprétation est insoutenable : les Goths n’ont joué aucun rôle dans l’invasion des Vandales en 270. Cette invasion a eu lieu en Pannonie. Nous connaissons par DEXIPPE les stipulations du traité. Il n’y était pas et il n’y pouvait pas être question de la Dacie. Si Aurélien avait envahi la Dacie dès 270, les Goths n’auraient pas attaqué en 271 les provinces de la rive droite du Danube et Aurélien n’aurait pas fait, sur la rive gauche, la campagne offensive contre Cannabas qui lui valut le titre de Daciens.

Deux monnaies de la première période monétaire du règne (270 début 271), frappées a Tarraco (Th. RHODE, loc. cit., Catal., n° 127-128 — Cf. H. COHEN 2, VI, Aurélien, n° 73-74) portent la légende Dacia Felix. Les pièces ne se rapportent pas, comme le croit H. SHILLER, loc. cit., à la création de la nouvelle Dacie : elles font probablement allusion à quelque succès remporté en Dacie, au début du règne d’Aurélien. On ne sait rien de précis à cet égard. — L’évaluation définitive a eu lieu en 275, mais elle a dû être préparée dès la fin de 272, lors du séjour d’Aurélien sur le bas Danube, au moment de la campagne contre les Carpes.

[4] Vita Aureliani, 39, 7. — EUROP., IX, 15, 1.

[5] Voir mon travail De Claudio Gothico, Romanorum Imperatore, Chap. VI.

[6] J. JUNG, Zur Geschichte der Pässe Siebenbürgens, loc. cit., p. 11.

[7] Les seuls textes qui mentionnent l’évacuation de la Dacie transdanubienne sont la Vita Aureliani (39, 7), EUTROPE (IX, 15, 1), RUFUS FESTUS (8), JORDANÈS (Rom., 217) et SYNCELLE (l. 721-722).

Il faut remarquer le silence de ZOSIME, de ZONARAS, d’AURELIUS VICTOR et de l’Epitomé. Les expressions provinciales (Vita Aureliani, par opposition à l’armée, populi, id.), Romani (EUTROPE, RUF. FESTU), άνδρες καί γυνάικες (SYNCELLE), s’appliquent à l’ensemble de la population civile. EUTROPE, en outre, dit avec précision qu’il s’agit de la population urbaine et de la population rurale.

[8] A cette question du départ de la population civile se rattache le problème si controversé de l’origine des Roumains actuels. Nous n’avons pas ici à reprendre la discussion dans le détail : il suffira de mettre en lumière les points essentiels du débat. — Deux théories se sont trouvées en présence : selon l’une, (dont les principaux représentants ont été J. JUNG, Römer und Romänen in den Danauländern, Innsbruck, 1877 — Th. TAMM., Uber den Ursprung der Romänen, Bonn, 1891 — A. D. XENOPOL., Histoire des Roumains de la Dacie Trajane, Paris, 1896, I, pp. 103-110), la population civile, en 275, n’aurait pas quitté le pays et les Roumains en seraient les descendants directs ; selon l’autre (ROESSLER, Untershunchen Studien : Untershunchen zur älteren Geschitche Romaniens, Leipzig, 1873 — L. P. HUNFALVY, die Romänen und ihre Ansprüche, Vienne, 1883 (Cf. TOMASCHEN, die alten Thraken, Sitzber. der Akad. Wissensch. Wien, CXXVIII, pp. 110-111), la province de Dacie aurait été entièrement évacuée et la totalité de la population civile aurait été transportée sur la rive droite du Danube. Ce n’est qu’au XIIIe siècle que les descendants des anciens habitants de la Dacie auraient franchi de nouveau le Danube, pour s’établir en Transylvanie, dans le Banat et en Valachie. — La théorie de la continuité, conçue sous une forme absolue, est aujourd’hui insoutenable : c’est un fait qu’ont démontré les études sur la langue (A. DE CIRAC, Dictionnaire d’Etymologie Daco-Roumaine, 2e partie, Francfort, 1879 ; B. P. HASDEU, Etymologicum magnum, publié par l’Acad. de Roum.), et sur le droit (DISESCO, Origines du droit roumain, trad. fr. J. Last, Paris, 1899) roumains. Il est certain qu’il y a eu au Moyen Age un mouvement dépopulation, plus ou moins considérable, de la rive droite du Danube vers les pays de la rive gauche. — En réalité, lors de l’évacuation de 275, un grand nombre — sans doute la majorité — des habitants sont restés dans la province, surtout dans les régions montagneuses de la Transylvanie et de l’Olténie septentrionale ; le reste de la population a suivi les légions romaines sur la rive droite. Au Moyen Age, il s’est produit d’une rive à l’autre du Danube, dans la direction du Nord et du Nord-Est, un courant d’immigration entretenu par les déplacements d’une population pastorale et les habitudes de transhumance, dont le résultat a été de renforcer et aussi de rajeunir la population autochtone qui s’était maintenue sur les deux versants des Carpathes. La race roumaine semble être le produit de deux éléments d’origine commune, qui se sont séparés lors de l’évacuation de la Dacie Trajane, l’un restant attaché au sol, l’autre ne devant revenir sur la rive gauche qu’après un séjour de plusieurs siècles sur la rive droite. — Pour l’ensemble de la question et la bibliographie, voir EM. DE MARTONNE, la Valachie, Paris, 1902, pp. 240-246, 353-356.

Certaines poésies populaires roumaines, les Colindes, mentionnent un Ler, Oter ou Reliu Domne (G. SINCAI, Cronica Romaniloru, Jassi, 1853, à l’année 275 ; P. MAIOR, Istoria penteu inceputu lu Romaniloru, cf. J. CRATIUNESCO, le Peuple Roumain d’après ses chants nationaux, 2e édit. Paris, 1874, pp. 239-260). — Peut-être y a-t-il là une déformation du nom d’Aurélien, dont le souvenir se serait conservé dans les traditions populaires.

[9] Vita Aureliani, 39, 7 — EUTROP., IX, 13, 1 — SYNCELL., I, 721-722 (Bonn) ; — MALAL., XII. 301 (cf. ZONARAS, XII, 21, III, p. 143 Dind.) — RUFUS FESTUS, 8, parle de la création de deux provinces de Dacie. — Cf. JORDANES, Rom., 217.

Aurélien n’a créé qu’une seule province sous le nom de Dacia. Cette province a été démembrée une première fois avant 297, sous Dioclétien, en Dacia et Dardania, désignées aussi, la première sous le nom de Dacia Ripensis [la mention de la Dacia Ripensis se trouve déjà dans la Vita Aureliani (3, 2), écrite en 305/306], la seconde sous le nom de Dacia Mediterranea, mesure analogue à celle qui a partagé le Norique, avant 297 (LISTE de VÉRONE, Geograph. Minor., éd. Riese, p. 127) et la Rhétie (après 291 ; la liste de Vérone ne mentionne encore qu’une province de Rhétie), en deux provinces, l’une Ripensis, l’autre Mediterranea. — Un second démembrement s’est produit à la fin du IVe siècle, entre 383 (date à laquelle fut rédigée la liste transmise par POLEMIUS SILVIUS) et le début du Ve siècle (époque de la Notitia Dignitatum) : la Dardania fut divisée en deux parties : la Dardania proprement dite avec Scupi, au Sud-Ouest, la Dacia Mediterranea, avec Serdica, au Nord-Est. La Notitia Dignitatum, et le Synecdemos d’HIEROKLES (composé vers 535, p. 14) nomment les trois provinces de Dacia Ripensis, Dacia Mediterranea, Dardania.

La province créée par Aurélien portait simplement le nom de Dacia. Le texte de la Vita Aureliani (37, 7) est erroné ; le rapprochement avec EUTROPE (IX, 15, 1) montre qu’il faut lire : Eam Daciam appellavit. Il est possible d’ailleurs que, dans le langage courant, on ait dit Dacie d’Aurélien, comme on disait Dacie de Trajan, mais cette dénomination n’avait rien d’officiel.

[10] La population civile retirée de la Dacie, fut établie dans la partie septentrionale de la nouvelle province démembrée du territoire des deux Mésies : Vita Aureliani, 37, 9 — EUTROPE, IX, 15, 1 — JORDANES, Rom., 217 — SYNCELLE, I, 721-722, Bonn.

[11] C. JULLIAN, De la réforme provinciale attribuée à Dioclétien (Rev. Hist., XIX, 1882, pp. 332 sqq.).

[12] L’évacuation de la Dacie ne fut pas considérée comme un déshonneur pour l’Empire ; on ne la reprocha pas à Aurélien, comme on reprocha plus tard, à Jovien, la cession des provinces Transtigritanes. — L’abandon de la Dacie était, ou du moins semblait être, volontaire ; il y avait abandon, non cession formelle à l’ennemi. Officiellement, tous les habitants avaient été retirés de la province. Le recul de l’Empire était indéniable ; mais Aurélien s’était efforcé, autant qu’il l’avait pu, de sauver les apparences. AMMIEN MARCELLIN (XXV, 9, 9) écrit à la date de 363 : Numquam enim ab urbis ortu inueniri potest annalibus replicatis, ut arbitror, terrarum pars ulla nostrarum ab imperatore vel consule hosti concessa. Depuis le berceau de Rome on ne trouverait pas, je crois, dans nos annales l'exemple d'une cession quelconque de territoire faite à un ennemi par un empereur ou un consul.

[13] Les indications les plus précises sur les limites des trois provinces, Dacia Ripensis, Dacia Mediterranea, Dardania, formées du démembrement de la nouvelle Dacie, et, par conséquent, sur les limites de cette nouvelle Dacie elle-même, sont fournies par l’Itinéraire de Jérusalem, la Notitia Dignitatum et le Synecdemos d’HIÉROCLÈS. — C. JIRECEK, Archäologische Fragmente aus Bulgarien I, Dacia Mediterranea, Archäol. Epig. Mitth. (Œsterr. Ung., X, 1886, pp. 43-45).

[14] Le château d’Utus (Notit. Dignit., Or., XLII, 21), situé sur la rive gauche du fleuve du même nom, était encore en Dacie Ripensis ; le château d’Asemus (Id., XLII, 19), situé sur l’Asemus (Osma), était déjà en Mésie II.

[15] Taliata (Notit. Dignit., Or., XLI, 35), sur la rive occidentale de la Porecka, était en Mésie I ; Tsierna (Alt Orsova) (Id., XLII, 29), en Dacie Ripensis. — Cf. F. KANITZ, Römische Studien in Serbien (Wien. Denkschrift., XLI, 1892, p. 25).

[16] Les villes principales de la Dardanie étaient, d’après PTOLÉMÉE [III, p. 455 (éd. G. Müller)] : Naïssus, Arribantium, Ulpiana, Scupi. Les limites antérieures de la région, qui furent désormais celles de la nouvelle Dacie, étaient au Nord et à l’Ouest, une ligne passant entre la Nisava, affluent de la Morava Bulgare, et le Timok, coupant la Morava, au Sud de Cuprija [la limite des deux provinces de Mésie Supérieure et de Dacie est placée par l’Itinéraire de Jérusalem (p. 268, éd. G. Parthey), entre Horreum Margi, aujourd’hui Cuprija et la mutatio Sarmatarum, première station au Sud], puis redescendait vers le Sud, coupant successivement la Morava Serbe et la Toplica, cette dernière près de Kursumlija (l’ancienne station Ad Fines, sur la grande route Naïssus-Ulpiana), atteignait la frontière de Dalmatie sur le haut Obiljic, sous-affluent de la Sitnica, laissait Prizren, à l’Ouest et coupait le Char-Dagh (anc. Scardos) dans sa partie centrale. — Au Sud, vers la Macédoine, la limite était parallèle au cours moyen de la Velika, affluent de droite du Vardar (anc. Axios), traversait le Vardar entre Seupi, en Dardanie, et Stobi, en Macédoine, vers le confluent de la Psinja et gagnait l’Orbelos (Osigova Planina), sur la frontière actuelle bugaro-turque.

[17] L’ancienne limite de la Dardanie et de la Thrace, de l’Orbelos (Osigova Planina) à la source du Ciabrus Cibriea , passait entre Kumanovo et Vranja qui étaient en Dardanie, Koslendil (Pautalia) et Trn, qui étaient en Thrace, et traversait la Nisava entre Bela Palanka (anc. Remesiana) et Pirot (anc. Turres) — Vers l’Ouest, la limite de la nouvelle Dacie et de la Thrace, sur la grande route Sordica-Byzance, est indiquée avec précision par l’Itinéraire de Jérusalem p. 269, éd. G. Parthey. Cette limite se trouvait entre la mutatio Soncio (à 55 milles au Sud-Est de Serdica) et la mutatio Ponte Ucasi (à 61 milles au Nord-Ouest de Philippopoli). Hélice (Ichtiman, en Roumélie orientale), était en Dacie ; Bessapara (Tatar Bazard’ik), en Thrace. La frontière des deux provinces, entre le Rhodope et l’Hæmus, était donc située à 30 kilomètres environ à l’Est de la frontière actuelle entre la Bulgarie et la Roumélie orientale.

[18] La limite des langues grecque et latine passait entre Remesiana (auj. Bela Palanka) qui était de langue latine, et Turres (auj. Pirot) qui était de langue grecque (A. V. DOMASZEWSKI, loc. cit., p. 153 — D. KALOPOTHAKES, loc. cit., p. 6).

[19] A. VON PREMERSTEIN, die Anfänge der Provinz Mœsien (Jahresheft. des Œsterr. Archäol. Instit. in Wien, I, 1898, pp. 147 à 132 — cf. C. JULLIAN, loc. cit., p. 337.

[20] A. VON DOMASZEWSKI, die Entwicklung der Provinz Mœsia (Neue Heidelberger Jahrbücher, I, 1891, p. 197).

[21] LISTE DE VÉRONE, dans les Geograph. Latin. minor., éd. Riese, p. 127, 5.

[22] And. MARKL, die Reichsmünzstätten unter der Regierung Claudius II, loc. cit., pp. 433 sqq. — Id., Serdica oder Antiochia, loc. cit., pp. 409-410.

[23] Th. ROHDE, loc. cit., p. 369.

[24] Fragm. Hist. Græc., éd. C. Müller, V, p. 199 ; cf. éd. Dion Cassius (L. Dindorf), V, p. 232.