L'ÉPOPÉE HOMÉRIQUE EXPLIQUÉE PAR LES MONUMENTS

LES SOURCES

CHAPITRE VI. — LES PRINCIPALES FOUILLES DE L'OUEST.

 

 

Les plus anciens vestiges de l'établissement des Italiotes dans la péninsule apennine sont les villages sur pilotis dont on a trouvé des traces nombreuses dans la vallée du Pô[1]. Leur industrie était encore à ce moment fort peu avancée. Bien que le travail du bronze leur fût déjà connu, certains objets, tels que les haches et les pointes de lances se faisaient encore en pierre ; on ne forgeait pas le bronze, mais on le fondait ; quant au travail du fer, il n'en est resté aucune trace. Chose importante à noter — car elle prouve bien que la technique des métaux, comme toute la civilisation, était peu avancée —, c'est qu'on n'a découvert dans ces villages ni fibules de bronze[2], ni bracelets, ni colliers, ni boucles, ni garnitures de ceintures. Mais ensuite vient une phase qui dénote des progrès considérables. Les objets en pierre disparaissent ; le bronze n'est plus seulement fondu, mais forgé ; on voit paraître quelques objets en fer ; le nombre de parures et d'ustensiles augmente très sensiblement ; peu à peu enfin se forme et se développe une décoration géométrique dont on ne remarque que des rudiments dans les villages sur pilotis. Les nabotes, les Étrusques[3] et peut-être aussi les Vénètes de race illyrienne[4] ont passé par cette seconde phase. C'est alors que les deux premiers de ces peuples ont traversé l'Apennin et se sont installés sur le versant ouest de cette chaîne de montagnes. Il serait trop long et superflu d'énumérer les très nombreux vestiges de cette phase ; Undset en a donné une excellente nomenclature[5]. Nous nous bornerons à mentionner ici les localités où ont été faites les trouvailles les plus importantes. Et tout d'abord il convient de citer deux nécropoles découvertes à l'est de l'Apennin, près de Bologne, celles de Villanova[6] et de Benacci[7] ; puis en Étrurie deux groupes de tombeaux trouvés à Chiusi[8], la plus ancienne partie des nécropoles de Vetulonia[9] et de Tarquinies[10], ainsi que celles de La Tolfa (près Civitavecchia)[11]. Enfin, dans le Latium, la partie septentrionale, c'est-à-dire la plus ancienne de la nécropole d'Albe-la-Longue[12].

Dans cette couche, dont la formation était déjà commencée avant que les Italiotes et les Étrusques eussent occupé leurs positions définitives, il y a un fait extrêmement important à noter. On y a trouvé des ustensiles qui ont une grande analogie avec certains types découverts en Grèce[13] ; il est même impossible d'admettre que ces produits aient été fabriqués en Italie et en Grèce, en dehors de toute influence commune. Nous sommes, au contraire, autorisé à penser qu'il y avait un trafic très actif entre les deux péninsules classiques et que des produits industriels étaient souvent transportés de l'Est à l'Ouest. Comme quelques-uns d'entre eux ont un certain rapport avec les descriptions d'Homère, nous ne pouvons nous soustraire à la tâche délicate qui consiste à examiner comment ce rapport a pu s'établir.

L'Odyssée[14] témoigne, il est vrai, que dès le début de la colonisation hellénique, les Grecs occidentaux passaient la mer pour aller sur le continent opposé. Mais ce n'était pas assez pour imprimer aux populations de l'Italie un cachet de civilisation avancée. Du reste, ces navigateurs grecs, pour des raisons faciles à comprendre, se rendaient sur les côtes sud-est de la péninsule apennine ; or ici on n'a rien trouvé qui appartienne à la civilisation dont il vient d'être parlé.

De même les plus anciennes villes grecques fondées en Sicile ou dans la basse Italie n'ont pu exercer ici aucune influence. Il est, en effet, établi que les Italiotes et les Étrusques se trouvaient dans cette phase de civilisation que nous venons de décrire, avant même de passer l'Apennin, et personne n'osera, croyons-nous, soutenir que ces deux peuples n'abordèrent sur les rivages de la Méditerranée qu'après le commencement de la colonisation grecque.

Si les relations entre la péninsule des Balkans et celle des Apennins remontent à l'époque préhellénique, il est probable qu'elles se transmettaient par la voie de terre, tout autour du golfe d'Istrie ; cette hypothèse est d'ailleurs assez clairement démontrée par la légende et par les traditions historiques.

En premier lieu, il faut rappeler ici le récit que fait Diodore[15], probablement d'après Ephoros, de la manière dont Thémistocle se sauva du pays des Molosses : afin de ne pas être livré aux Lacédémoniens, le réfugié athénien se fait conduire vers l'est, au delà des montagnes, par deux jeunes Ligyens, c'est-à-dire Ligures, qui séjournaient chez les Molosses pour faire du commerce ; il passe ainsi sain et sauf en Asie Mineure. Comme les anciens auteurs grecs emploient le nom de Ligyens dans un sens très large, il est douteux que les guides de Thémistocle soient des Ligures dans l'acception ethnographique du mot ; peut-être appartenaient-ils à une peuplade quelconque établie dans la haute Italie, telle que, par exemple, les Vénètes illyriens. Quoi qu'il en soit, il ressort de ce récit que des hommes venus d'Italie trafiquaient, dès la première moitié du cinquième siècle, dans la péninsule des Balkans et qu'ils en connaissaient les chemins et les sentiers.

Un second témoignage de ces relations semble résulter d'un fait[16] raconté par Aristote. Entre la presqu'île d'Istrie et le territoire des Mentores se dressait une montagne nommée Delphion ; de son sommet, on voyait jusqu'à la mer Noire et, au milieu, entre les cieux mers, était située une localité, centre d'un marché où se vendaient des marchandises de Lesbos, Chios et Masos, venant du Pont-Euxin, et des amphores corcyréennes venant de l'Adriatique. Ce récit est peut-être à moitié mythique ; il nous autorise cependant à admettre que l'intérieur de la presqu'île des Balkans avait des relations commerciales avec la mer Adriatique. C'est ainsi qu'une tradition encore plus légendaire sur le chemin d'Hercule a fait tracer à certains archéologues une vieille route commerciale à travers les Alpes Grées[17].

Nous avons, en outre, à tenir compte ici de la légende hyperboréenne[18]. Le chemin par lequel les présents des Hyperboréens parvinrent à Délos se dessine nettement depuis la pointe nord de l'Adriatique. De là ils furent apportés à Dodone, foyer de l'ancienne civilisation grecque le plus rapproché de l'Italie, et de Dodone à Délos par l'Eubée et l'île de Tenos. Plus tard, l'envoi se faisait par étapes, de village en village. Mais au début, les présents étaient apportés du pays hyperboréen à Délos, dit la légende, par deux jeunes filles et cinq hommes. Comme le nom de ces envoyés, περφερέες ou περφέρες, a une grande analogie avec le verbe latin perferre et que, d'autre part (bien des données le prouvent), les Hyperboréens étaient en relations avec les Italiotes, Niebuhr[19] en conclut qu'il faut chercher en Italie le peuple qui fit naître la légende hyperboréenne. Et si Niebuhr a raison, cette légende repose sur les transactions qui s'établirent, dès la plus haute antiquité, par voie de terre, entre la presqu'île des Balkans et celle des Apennins.

Autre remarque importante à noter à ce point de vue : le mythe des Argonautes passant du Pont dans l'Adriatique, après avoir remonté l'Istros, celui d'Ulysse traversant l'Océan (okeanos) pour entrer dans la mer occidentale[20], après avoir erré autour de l'ήπειρος, enfin quelques autres mythes se rattachant au cycle troyen indiquent qu'il existait une voie de terre au milieu de la péninsule des Balkans. Le poète de la Télégonie racontait qu'Ulysse, à son retour en Ithaque, s'étant rendu dans l'intérieur de la Thesprotie, y établit sa demeure, prit femme et devint père[21]. Selon une légende, les Eubéens revenant de Troie auraient suivi un chemin à travers le continent et auraient fondé, dans le nord de la Macédoine, une ville près d'Edessa[22]. D'après les Nostoi, Néoptolème serait arrivé dans le pays des Molosses, en passant par la Thrace[23]. Il semble même qu'il y eut une légende d'après laquelle Ulysse serait revenu à Ithaque, non par mer, mais par terre, à travers la Macédoine[24].

Enfin il résulte de la comparaison des deux langues qu'il y eut depuis fort longtemps des relations intimes entre les ancêtres des Grecs et ceux des Italiotes ; c'est pour cette raison même que les philologues admettent une époque gréco-italique. Cette époque n'est probablement autre que celle où les ancêtres des Grecs habitaient le nord-ouest de la péninsule balkanique, dont Dodone était le centre le plus ancien, et où les ancêtres des Italiotes occupaient une région voisine de la presqu'île apennine ; les deux peuples communiquaient entre eux par la voie de terre. Cette époque comprendrait donc, quant aux peuples fixés en Italie, la civilisation des villages sur pilotis et la première phase du développement immédiatement ultérieur, cette phase que les Italiotes avaient franchie avant la dissolution de leurs liens de voisinage avec le peuple frère. Nous ne connaissons, il est vrai, actuellement qu'un seul type où la civilisation des stations sur pilotis offre des points de contact avec l'industrie de la péninsule balkanique. C'est une petite parure de bronze en forme de roue, évidemment une tête d'épingle à cheveux. Elle est la même dans les stations italiques qu'à Olympie[25]. Mais, si, dans la presqu'île des Balkans, nous ne pouvons indiquer avec assurance aucune trace sérieuse de la période dite des stations sur pilotis, il ne faut pas oublier que la région nord-ouest de cette péninsule, région qui nous intéresse particulièrement ici, est presque entièrement inconnue au point de vue archéologique. Il y a cependant des traces qui témoignent que.les Grecs occidentaux tout au moins ont traversé une phase qui correspond assez bien à celle qui suit chez les Italiotes les stations sur pilotis. Comme la civilisation dans le bassin de la Méditerranée marchait de l'est à l'ouest, il est tout naturel que ses progrès se soient fait sentir d'abord dans la presqu'île balkanique, et ensuite en Italie. Les liens qui unissaient les ancêtres des Hellènes à ceux des Italiotes furent rompus lorsqu'à la suite du mouvement des peuples dans l'Europe centrale[26], les Vénètes illyriens vinrent envahir l'Italie. Mais ce point et la question chronologique qui s'y rattache seront mieux traités dans le second volume de nos Contributions à l'Histoire de la civilisation et de l'art de l'ancienne Italie. Pour le moment, il nous suffit d'avoir démontré que l'industrie qui nous est révélée par les deux nécropoles de Bologne et autres semblables a subi l'influence d'une civilisation qui régnait jadis dans la péninsule des Balkans. Par conséquent, si les objets contenus dans ces nécropoles présentent quelque analogie avec la description épique, nous aurons le droit d'en tenir compte au cours de notre étude.

Comment les Italiotes et les Étrusques, une fois installés sur les bords de la Méditerranée, ont-ils pu, grâce à leurs relations avec les Phéniciens ou les Carthaginois et avec les Hellènes, s'approprier une civilisation plus avancée ? C'est un problème dont la démonstration dépasserait les cadres de notre ouvrage. Cependant, nous ne pouvons nous empêcher de signaler les principales trouvailles, témoins de l'industrie apportée par les Hellènes lors de leur premier établissement sur les côtes de la Sicile et de la Campanie. La connaissance exacte de cette industrie serait très précieuse pour nos investigations, car nous pouvons admettre que la colonisation de l'ouest commença aussitôt après l'achèvement de la majeure partie de l'Épopée ; par conséquent, les plus anciens vestiges. de l'hellénisme qu'on rencontre en Italie et en Sicile représentent une phase qui suivit immédiatement la période homérique. Les fouilles pratiquées dans les plus anciennes parties des nécropoles de Cumes et de Syracuse sont, à ce point de vue, d'une extrême importance. Malheureusement on n'a point fait de procès-verbal des fouilles de Cumes ; il est donc bien difficile de déterminer avec précision les objets provenant de cette nécropole[27] ; on ne peut les classer chronologiquement que d'après leurs particularités de style. D'autre part, la comparaison entre les tombeaux osques, latins et étrusques, nous offre quelques points de repère. Dans les nécropoles de ces trois peuples on trouve, en effet, souvent des produits industriels qui correspondent aux types de Cumes[28]. Si nous pouvons déterminer à peu près l'âge du tombeau contenant un de ces types, ce sera un critérium chronologique pour les exemplaires trouvés à Cumes. Cela posé, voici ce que contiennent les tombeaux de Cumes : un grand nombre de poteries d'argile, souvent mentionnées, qui sont décorées d'ornements rayés bruns ou rougeâtres et parfois d'animaux courants[29].

Le nombre des vases corinthiens parait, au contraire, fort restreint. Raoul Rochette[30] regarde comme très ancien et même comme préhellénique un morceau de vase trouvé dans la couche la plus profonde d'une localité où étaient superposés plusieurs tombeaux et dont l'ornementation consiste en raies parallèles, lignes brisées et chevrons. Mais il suffit de jeter un coup d'œil sur le dessin pour se convaincre que ce vase appartient à une espèce assez récente, très fréquemment représentée dans les nécropoles grecques de la Sicile[31]. La plus ancienne phase de l'industrie de Cumes est, en outre, caractérisée par les parures d'ambre[32] et de verre[33], matières dédaignées par le goût classique. Parmi les ouvrages en métal nous nous bornerons à signaler une amphore de bronze dont les anses ont la forme d'un homme qui étreint deux lions[34]. Son style primitif indique que ce vase remonte au moins au commencement du septième siècle : c'est un des plus anciens bronzes grecs qu'on ait découverts dans le sol italien.

Dans les fouilles de Sicile nous devons tout particulièrement faire remarquer un groupe de tombeaux découvert sur le terrain del Fusco, près Syracuse[35]. Les objets que renferment ces tombeaux ont, sous plusieurs rapports, une certaine parenté avec ceux de la plus ancienne partie de la nécropole de Cumes : on y rencontre, en effet, de nombreux vases d'argile ornés de zones et d'animaux courants, mais fort peu de vases de Corinthe. Parmi les premiers, un flacon à huile est très curieux, car il est orné d'une figure d'homme nu qui frappe un lion d'un coup d'épée[36]. La technique mentionnée plus haut et à laquelle Raoul Rochette attribue une origine préhellénique, est représentée par une botte peinte[37]. Les ornements de verre ont également quelque analogie avec ceux de Cumes[38]. Mais il existe dans la nécropole de Syracuse une sorte de vase d'argile[39] à ornementation géométrique, dont on n'a pas encore trouvé d'exemples à Cumes. Les ouvrages en métal mis au jour dans les tombeaux de la propriété del Fusco sont en très petit nombre et d'un style peu caractéristique[40]. Cette nécropole est sans aucun doute postérieure à l'année 734, date de la fondation de Syracuse.

Un tombeau découvert à 6 kilomètres au sud de Syracuse, sur le terrain Matrensa[41], est unique dans son espèce et mérite, à ce titre, une attention toute spéciale[42]. La chambre sépulcrale en forme de ruche, creusée dans le rocher, et un dromos[43] qui y conduit, rappellent les anciens tombeaux à coupole. Dans la chambre on a trouvé deux vases d'argile rehaussés d'ornements tracés en brun (en bas zones parallèles, en haut une sorte de pampres) sur un fond lisse jaunâtre[44]. Au point de vue de la forme[45], de la décoration et de l'exécution technique, ils ressemblent beaucoup aux spécimens retirés des tombeaux en puits de Mycènes et d'autres provenances analogues. Cette chambre funéraire contenait, en outre, deux vases en argile noire[46] qui, selon Löschcke, semblent également avoir beaucoup d'analogie avec la céramique mycénienne. Comme Syracuse ne comptait nullement parmi les plus anciennes colonies grecques de l'Occident et que les vestiges grecs trouvés dans les autres localités de la Sicile et de l'Italie appartiennent tous à une époque relativement récente, nous ne saurions dire s'il faut attribuer ce tombeau aux colons corinthiens ou à la période préhellénique. On sait qu'avant l'arrivée des Grecs, les Phéniciens s'étaient installés dans les flots de la côte sicilienne et dans les presqu'îles faciles à défendre, afin de commercer avec les indigènes et de se livrer à la pèche des mollusques à pourpre[47]. Des traces non douteuses permettent de supposer qu'il existait une colonie phénicienne à Ortygie[48]. Le tombeau de Matrensa pourrait bien être l'œuvre des Phéniciens ou des Sicules qui avaient subi l'influence de ces derniers et en avaient reçu ces vases d'argile.

En terminant ce chapitre, il faut que nous revenions encore sur les tombeaux découverts à Cæré par Regulini et Galassi et sur ceux de Préneste qui sont de la même famille ; les produits qu'ils renferment nous serviront, en effet, souvent comme pièces à l'appui dans les déductions qui vont suivre. Nous les avons attribués jadis à la seconde moitié du septième ou à la première moitié du sixième siècle[49] ; on peut aujourd'hui déterminer leur chronologie d'une manière plus précise. Deux coupes d'argent, pourvues d'inscriptions étrusques, découvertes à Cæré[50], indiquent déjà une date moins ancienne. Les Étrusques comme les Latins empruntèrent leur alphabet aux Chalcidiens ; par conséquent, les tombeaux avec inscriptions étrusques sont tout naturellement postérieurs à la fondation des premières colonies chalcidiennes dans l'ouest, c'est-à-dire à l'année 740 ou 730 avant J.-C.[51] De plus, il n'est guère probable que les Étrusques, aussitôt que les premiers navigateurs chalcidiens eurent débarqué chez eux, se soient mis à étudier l'alphabet de ces étrangers. Il est certain, au contraire, que l'introduction de l'alphabet en Étrurie fut le résultat de relations longuement entretenues. L'emploi de l'écriture resta d'ailleurs circonscrit tout d'abord aux textes d'un sens religieux et politique, et il s'écoula beaucoup de temps avant qu'elle devint d'un usage courant. Les données que nous possédons sur les sœcula étrusques permettent d'affirmer que les Étrusques ne fixèrent graphiquement leur chronologie que dans le troisième quart du septième siècle avant J.-C.[52] Si les objets de Cæré témoignent d'un usage courant de l'écriture, il s'en suit qu'ils sont d'une époque assez récente ; ils remontent tout au plus au commencement du sixième siècle. Cette hypothèse est confirmée par les fouilles pratiquées dernièrement dans les nécropoles de Tarquinies et de Vulci. Elles ont permis de constater que le type de la tombe de Cæré a été précédé de toute une série de tombeaux qui contiennent des produits industriels grecs très anciens, notamment des vases d'argile à zones peintes[53]. Et le nombre en est si grand qu'il faut y reconnaître l'œuvre d'une génération au moins. Mais ce sujet rentre plutôt dans le cadre du second volume de nos Contributions à l'histoire de la civilisation et de l'Art en Italie. En tout cas, le tombeau de Cæré révèle une situation analogue à ce que nous apprend Hérodote[54] sur la bataille d'Alalia (537 av. J.-C.) et sur les événements suivants. Les coupes d'argent du style mixte égypto-assyrien[55] et d'autres produits artistiques trouvés dans ce tombeau prouvent que les Étrusques entretenaient de nombreuses relations commerciales avec les Phéniciens ou les Carthaginois. D'autre part, il résulte des inscriptions étrusques ci-dessus mentionnées que, avant l'époque à laquelle appartient ce tombeau, les Étrusques étaient en rapports suivis avec les Grecs. Dans la bataille d'Alalia, les Étrusques et les Carthaginois étaient alliés contre les Grecs. Mais avant les événements qui suivirent cette bataille, il y eut une période où les Grecs exerçaient une grande influence sur les Étrusques. Les Phocéens faits prisonniers dans la bataille navale, furent lapidés sur le marché de Cæré. Lorsqu'une épidémie se déclara aussitôt après, les Cærétaniens demandèrent à l'oracle de Delphes comment ce crime serait expié. Nous voyons par là que, même avant leur alliance avec les Carthaginois, les Étrusques avaient appris à connaître et à craindre l'Apollon grec. Or, ce n'était possible qu'à la suite de longues relations avec les Grecs.

Après avoir passé en revue les principaux documents, nous allons aborder l'étude des produits d'art et d'industrie dont il est fait mention dans l'Épopée. Nous commencerons par l'architecture. Le lecteur pourra ainsi se faire une idée des constructions qui servent de fond aux conceptions des poètes.

 

 

 



[1] Comparez sur ce sujet : Helbig, Die Italiker in der Poebene, Leipzig, 1879.

[2] Il se peut qu'il y ait eu des fibules de bronze dans les plus récents villages qui constituent une transition à la phase nouvelle. (Voyez Undset dans le Bull. di pal. ital., IX, 1883, p. 131-135). Le sens que Studniczka, dans les Beiträge zur altgriechischen Traeht (Abhandl. d. arch. epigr. Seminars der Universitat Wien, VI, 1) donne à l'observation d'Undset, d'après Schliemann (Troja, p. 55 n° 1), ne peut qu'embrouiller l'étude de cette question.

[3] Comparez Ann. dell' Inst., 1884, p. 108 et suiv. 1885. p. 6 et suiv.

[4] Bull. dell' Inst., 1881, p. 75-76. — Bull. di pal. ital. IV, p. 78-81 ; VI, p. 81. Zannoni, Gli scavi della Certosa, p. 157-161. Not. di scavi comm. all., acc. dei Lincei, 1882, p. 17-20.

[5] Ann. dell' Inst., 1885, p. 32 et suiv.

[6] Gozzadini, Di un sepolcreto etrusco scoperto presso Bologna, Bol., 1885. Intorno ad altre settantuna tombe del sepolcreto etr. scop. presso Bologna, Bologne, 1886.

[7] Bull. dell' Inst., 1875, p. 50 et suiv., p. 177-182, 209-216. Zannoni, Gli scavi della Certosa, p. 34-35, 112 et suiv.

[8] Celui de Poggio Renzo : Rev. arch., XXVII, 1874, p. 209 et suiv., XXVIII, 1874, p. 155 et suiv. (Mem. dell' acc. di Torino, ser. II, t. XXVIII, p. 28, note 5.) — Bull. dell' Inst., 1875, p. 216. L'autre est celui de Sarteano : Bull., 1879, p. 233-236.

[9] Notizie degli scavi, 1885, p. 98-152. — Bull. dell' Inst., 1885, p. 129, note 1.

[10] Bull. dell' Inst., 1882, p. 11-22, 40-42, 163-176, 209-211, 213-216. — Annal., 1884, p. 110 et suiv. — 1885, p. 6 et suiv. — Not. di scavi comm. all' acc. dei Lincei, 1881, p. 342-362, 1882, p. 136 et suiv.

[11] Klitsche de la Grange, Intorno ad alcuni sepolcreti arcaici rinv. primo Civitavecchia, Roma. Nuovi ritrovamenti paleotnologici nei territori di Tolfa e di Allumiere, Roma, 1881. — Not. di scavi, 1880, p. 125-127 ; 1881, p. 245-247. Bull. dell' Inst., 1883, p. 209-212 ; 1884, p. 110-112, 189-192.

[12] Helbig, Die Italiker in der Poebene, p. 82, note 3. Voyez tout ce qui a paru sur ce sujet, depuis 1879, dans les Ann. dell' Inst., 1885, p. 48, note 2.

[13] On rencontre, en Italie, dans les couches préhelléniques, des spécimens de fibules pareilles à celles qu'on trouve en Grèce. La fibule simple (Bull. di pal. ital., IV, p. 106-110), une des espèces les plus anciennes de l'Italie, a été trouvée à Olympie (Furtwængler, Die Bronzefunde, p. 37), une autre, en or, à Kition, dans l'île de Chypre (Perrot et Chipiez, Hist. de l'art, III, p. 851, n° 595). Une fibule serpentiforme, grossie vers le milieu, a été trouvée à Villanova (Gozzadini, ibid., pl. VIII, 1) et à Olympie (Furtwængler, Die Bronzefunde, p. 38) ; une fibule à nœud dans la nécropole de Benacci, à San Francesco de Bologne (Bull. di pal. ital., IV, p. 53) et à Mycènes (Stamatakis, n° 3141a. Ce spécimen a été trouvé sous les décombres à 5 mètres de profondeur) ; enfin une fibule à sept gros nœuds dans le Polytechnion d'Athènes. Certaines fibules de Villanova, de Benacci et d'Arnoaldi sont ornées sur l'arc de trois oiseaux aquatiques (peut-être des canards) : il faut les rapprocher de celle de Camiros, qui n'est décorée que d'un seul oiseau semblable (Perrot et Chipiez, Hist. de l'art, III, p. 31, n° 594). On a découvert aussi en Italie des poignards de l'époque préhellénique pareils aux poignards grecs (Bull. di pal. ital., II, p. 44), tel un exemplaire de l'île d'Amorgos (Mitth. des arch. Inst. athenische Abth., XI, 1886, Beil. I, n° 6, p. 24). Parmi ces objets les plus intéressants pour nous sont les spirales servant à retenir les boucles de cheveux, les rasoirs en forme de croissant et les garnitures en bronze de larges ceintures (μίτραι) dont il sera question en détail dans les chapitres XVI et XXI.

[14] XXI, 383, XXIV, 211, 307, 366, 389. Comparez Müllenhoff, Deutsche Alterthumskunde, I, p. 56-58.

[15] XI, 56. Comparez Volquardsen, Untersuchungen über die Quellen bei Diodor, p. 60.

[16] Aristote, De incredibil. auscultat., 104 (II, p. 839, Bekker). Comparez Müllenhoff, Deutsche Alterthumskunde, p. 433.

[17] Genthe, Ueber den etruskischen Tauschhandel, p. 8-9.

[18] Hérodote, IV, 33.

[19] Römische Geschichte I2, p. 84-85.

[20] Von Wilamowitz-Mœllendorff, Homerische Untersuchungen, p. 166.

[21] Epicor. græcor. fragm., éd. Kinkel, I, p. 57. Von Wilamowitz-Mœllendorff, p. 187-189.

[22] Strabon, X, c. 449.

[23] Epicor. græc., fragm. 1, p. 53 ; Von Wilamowitz-Mœllendorff, p. 173.

[24] Wilamowitz, p. 161-162, 173.

[25] Helbig, Die Italiker in der Poebene, p. 20, 89. Furtwængler, Die Bronzefunde, p. 41. Comparez Ann. dell' Inst., 1884, p. 121, note 2. Bull., 1885, p. 117, 124. Not. degli sc., 1885, pl. IX, 29, p. 146, 1886, p. 10. Il est hors de doute aujourd'hui que ces parures en forme de roue faisaient partie d'épingles à cheveux. On en voit une ainsi ornée plantée dans la chevelure tombante d'un portrait d'argile, qui sert de couvercle à un canopus (urne cinéraire) de Chiusi : Museo ital. di antich. classica, I, pl. IXa, 14b, p. 311. On a trouvé un objet semblable dans un tombeau de Corneto, à côté du crâne du défunt (Bull., 1885, p. 117, 124.)

[26] Nous croyons avoir réfuté à la fin de ce livre l'opinion erronée d'après laquelle la fondation de Cumes remonterait au delà de l'an mille avant Jésus-Christ.

[27] Quelques lignes seulement dans Fiorelli, Not. dei. vasi dip rinv. a Cuma, p. VIII.

[28] Comparez Bull. dell' Inst., 1878 p. 152 et suiv. — Ann. dell' Inst., 1880, p. 225 et suiv.

[29] Le plus connu de ces vases est un lécythe avec l'inscription de Tataié trouvé à Cumes (Bull. nap., 1843, pl. II, 2 p. 20-23). Voyez sur la technique et le style de ces vases : Helbig, Die Ital. in der Poebene, p. 84-86 ; Furtwængler, Die Bronzefunde, p. 47-51 et Arch. Zeit., XLI, 1883, p. 154-162. On a trouvé à Tirynthe la panse d'un de ces vases : Schliemann, Tiryns, p. 400, n° 143. Dümmler veut bien nous écrire que des vases de cette espèce se rencontrent dans les couches les plus profondes à Égine et à Éleusis. « Ce qui prouve, dit-il, la haute antiquité de ces vases, c'est qu'une de leurs formes principales a été trouvée à Athènes parmi des vases du Dipylon, façonnée en terre du Dipylon. Ils se rattachent donc aux types de Mycènes et sont contemporains des plus anciens types du Dipylon. Nous connaissons trois vases de ce genre qui sont ornés de figures peintes. Ce sont : 1° celui de la Nécropole del Fusco près Syracuse, (Ann. dell' Inst., 1877 Tav. d'agg. pl. C D 2, p. 45 n° 7), représentant un homme nu qui s'apprête à abattre un lion ; 2° celui de Nola (Arch. Zeit., XLI, 1883, voyez notre chap. XVI), où deux lions attaquent un taureau, pendant que des bergers accourent pour le défendre ; 3° celui de Corinthe (Arch. Zeit., XLI, pl. XI, p.145) : Hercule luttant contre les Centaures. Les sujets représentés sur les deux premiers rappellent ceux qui sont traités avant les migrations doriennes (Arch. Zeit., XLI, p. 159-161).

[30] Mémoires d'arch. comparée, I, pl. XI 9, p. 379, note 4.

[31] P. ex. à Syracuse : Annal., 1877. Tav. d'agg. C. D. 9 ; à Sélinonte : Bull. della commis. di antichita in Sicilia, 1872, pl. IV, 8, p. 14.

[32] Helbig, Osservazioni sopra il commercio dell' ambra (Acc. dei Lincei, Ann., CCLXXIV) p. 10, note 4.

[33] Annal., 1877, p. 56, note 2.

[34] Ann., 1880. Tav. d'agg. W. 2, 2a.

[35] Annal. dell' Inst., 1877. Tav. d'agg. A D., p. 37-56.

[36] Annal. dell' Inst., 1877. Tav. d'agg. C D., 2.

[37] Ann. dell' Inst., 1877. Tav. CD, 9.

[38] Ann., 1877, p. 56, note 2.

[39] Ann., 1877. Tav. CD. 5.

[40] Ann., 1877. Tav. AB. 23-25 p. 41, 55-56.

[41] Sur le tombeau de Matrensa voyez Furtwængler et Löschcke, Mykenische Vasen, p. 47. Le vase publié dans les Ann. de l'Inst., 1877. Tav. d'agg. E 6, ressemble presque entièrement au spécimen de provenance chypriote publié par ces deux savants à la pl. XIV, p. 90.

[42] Ann., 1877. Tav. E. p. 56-58.

[43] Tav. d'agg. E. 3.

[44] Annal., 1877, Tav. d'agg. E, 6, 7.

[45] Furtwængler et Löschcke, Mykenische Thongerfässe, pl. III, 9-11. Le spécimen qui se rapproche le plus des types siciliens est un vase de Crète qui est conservé actuellement au musée de Berlin (Furtwængler, n° 20).

[46] Ann., 1877, Tav. d'agg. E, 4, 5.

[47] Thucydide, VI 2, 6. — Movers, Die Phönisier II, 2, p. 309 et suiv. — Rhein. Mus., VIII, 1853, p. 328. — Kiepert, Lehrbuch der alten Geographie, p. 461-465.

[48] Movers, Ibid., II, 2, p. 325-328.

[49] Annal. dell' Ind., 1876, p. 226 et suiv.

[50] Mus. Greg. I, Pl. LXII 7, 8, 10.

[51] Comparez le chap. Ier des additions de ce livre.

[52] Censorinus, De die natali, XVII, 5 et suiv. — Servius, ad Vergil. ecl., IX, 47. — Ann. dell' Inst., 1876, p. 227-230.

[53] Ce sont principalement les tombe a fossa dont il a déjà été question.

[54] I, 165-167.

[55] Ann. dell' Inst., 1876, p. 201-202.