L'ÉPOPÉE HOMÉRIQUE EXPLIQUÉE PAR LES MONUMENTS

LES SOURCES

CHAPITRE V. — LES PRINCIPAUX GROUPES D'OBJETS TROUVÉS DANS L'EST.

 

 

Les colonies primitives dont Schliemann a découvert les vestiges à Hissarlik, dans la plaine troyenne[1], sont beaucoup plus anciennes que les poèmes homériques : c'est une vérité qu'il est à peine besoin de démontrer. Pendant que, dans ces poèmes, on ne trouve aucune trace de l'époque que les paléoethnologues appellent l'âge de la pierre, on a mis au jour, dans les couches de Troie, un grand nombre d'ustensiles en pierre, tels que : haches, marteaux, ciseaux, scies et couteaux[2]. On y a remarqué, par contre, l'absence de glaives et de fibules, objets qui étaient communément employés du temps d'Homère ainsi que de morceaux d'ustensiles en fer, métal qui est souvent mentionné dans l'Épopée[3]. L'armement de cette population consistait simplement en lances, flèches et poignards d'une exécution très primitive. Les pointes de lances des héros d'Homère sont plantées comme dans un tube au bout de la hampe[4], tandis que les pointes en bronze d'Hissarlik, écrasées à l'extrémité inférieure étaient introduites au bout de la hampe fendu en deux[5]. Le métier du tourneur devait être très connu à l'époque d'Homère, car l'Épopée le mentionne dans une comparaison[6]. Au contraire, les vases d'argile troyens, sauf de rares exceptions, sont faits à la main[7]. L'Épopée nous décrit des objets d'art couverts de riches ornements de toutes sortes ; ceux découverts dans la Troade ont une décoration très primitive. Pour les vases d'argile notamment cette décoration se borne à des ornements linéaires en creux excessivement simples et à des essais grossiers de modelage de quelques parties du corps d'hommes et d'animaux[8]. Le nombre d'objets qui révèlent des relations commerciales plus étendues est fort restreint : on ne peut citer dans cette catégorie que différents ouvrages en ivoire[9], en particulier des épingles, des poinçons, et quelques fragments qui, d'après Schliemann[10], auraient appartenu à des lyres ou à des flûtes.

Les antiquités d'Hissarlik remontent donc à une époque où le nord-ouest de l'Asie Mineure n'avait encore subi que très superficiellement l'influence de la civilisation qui eut la Chaldée pour point de départ et se propagea de là vers le Nord et vers l'Ouest. Elles datent sans aucun doute d'une époque antérieure à l'établissement des Éoliens sur la colline de Hissarlik, établissement, qui eut lieu au onzième ou dixième siècle et qui a formé sur les débris des stations primitives une couche facile à reconnaître[11]. Les découvertes de l'ile de Théra offrent à cet égard un autre criterium[12].

Sous une couche de pouzzolane rejetée par l'éruption d'un volcan aujourd'hui éteint au milieu de l'île, on a découvert les ruines de demeures construites en blocs de lave- non dégrossis et là toutes sortes d'ustensiles domestiques, surtout des vases d'argile. Ces derniers, comparés aux antiquités troyennes, révèlent une civilisation beaucoup plus avancée. Les ornements en sont peints de différentes couleurs, parfois très vives. Les motifs géométriques sont déjà bien plus nombreux et plus compliqués et témoignent pour la plupart d'un juste sentiment des proportions et de la symétrie. Outre des ornements géométriques, on y remarque des feuilles, des fleurs et çà et là même des quadrupèdes et des oiseaux[13]. En même temps que des vases d'argile, on a trouvé divers objets en pierre, notamment des pointes de flèches, des couteaux, des instruments à gratter, le tout en obsidienne[14] ; preuve certaine que les vestiges de Thera sont également antérieurs à l'époque homérique. Par contre, en fait d'ouvrages en métal, on n'y a trouvé qu'une scie en cuivre et deux petits anneaux d'or ouverts qui ont dû faire partie d'une parure de cou[15]. Fouqué suppose que l'éruption volcanique qui a enseveli ces habitations a eu lieu vers l'an 2000 avant Jésus-Christ[16]. Cette opinion est partagée par le professeur Fritsch, un savant distingué qui a étudié avec Fougue la constitution géologique de l'ile de Santorin[17]. Si cette hypothèse est exacte, les habitations de Théra et leur contenu dateraient d'avant l'an 2000 et les stations troyennes qui sont de beaucoup antérieures seraient, par conséquent, encore plus anciennes.

Il est difficile de se prononcer sur un groupe de tombeaux[18] découverts à Ialysos[19], dans l'île de Rhodes, tant que la relation de cette découverte n'aura pas été publiée. Nous ne sommes guère renseignés que sur les vases d'argile et les parures en pâte vitreuse[20]. En ce qui concerne les vases, ils ont quelque analogie avec ceux de Théra et sont presque identiques à ceux de la citadelle de Mycènes. Chose importante à, noter : dans la nécropole de Rhodes on a mis au jour deux vases, une jarre à anse[21] et une coupe-polype[22] qui manquent encore dans la couche la plus ancienne de Mycènes, formée par les tombeaux en puits et n'apparaissent que dans la couche suivante[23]. Il semble en résulter que la nécropole de Ialysos, au moins en partie appartient à une phase contemporaine de celle de Mycènes qui est plus récente. Un fait qui en détermine l'époque, c'est qu'on y a trouvé un scarabée avec le nom du roi Amenophis III[24] qui régnait au seizième siècle avant Jésus-Christ. Mais le meilleur point de départ chronologique, ce sont les tombeaux en puits de Mycènes dont les antiquités se rapprochent de celles de la nécropole de Rhodes, mais sont plus riches et mieux connues[25].

Pourtant avant d'aborder les fouilles du continent grec, nous avons encore à signaler une découverte importante faite à Camiros, dans l'île de Rhodes[26]. On y a trouvé deux cavités creusées dans le rocher de la citadelle et remplies d'antiquités qui, autant qu'on en peut juger par la relation des fouilles, portent l'empreinte évidente d'un art mixte oriento-égyptien et proviennent sûrement en grande partie de fabriques phéniciennes. On est là sans doute en présence d'offrandes endommagées ou insignifiantes qu'on avait enlevées des sanctuaires pour faire place à d'autres plus belles et plus précieuses. Il est impossible de reconnaître dans aucune de ces pièces un produit grec ; ces deux dépôts doivent donc dater d'une époque où les Phéniciens occupaient l'île de Rhodes. Leur domination prend fin dans la première moitié du huitième siècle à la suite de la colonisation dorienne[27]. Par conséquent Löschcke a raison d'admettre que toutes ces antiquités sont antérieures à cet événement.

Mais les tombeaux découverts par Schliemann dans la citadelle de Mycènes sont plus importants au point de vue de notre étude que tout ce que nous avons mentionné jusqu'à présent[28]. Tous les savants qui ont vu par eux-mêmes ces tombeaux et leur contenu sont unanimes pour reconnaître qu'ils remontent à une époque pré-homérique[29]. Nous renonçons à réfuter l'opinion de Stephani[30] qui essaie de démontrer que les tombeaux de Mycènes doivent leur origine aux peuples septentrionaux, aux Hérules peut-être qui envahirent la Grèce au troisième siècle après Jésus-Christ. Il est évident que cet archéologue qui joint la sagacité à une science profonde a été induit là en erreur faute d'analyse. Nous n'avons pas l'intention non plus de faire ici une revue générale des objets si nombreux et si variés contenus dans ces tombeaux, ni de rechercher quels sont ceux qui viennent du Péloponnèse, quels sont ceux de fabrication étrangère, et parmi ces derniers quels sont les produits phéniciens, babyloniens, phrygiens, lydiens ou cariens. Nous nous bornerons à comparer la civilisation en général qui nous est révélée par ces tombeaux à celle décrite par les poètes épiques. Cela suffira pour répondre victorieusement à tous ceux qui, sur la foi d'un examen superficiel, contestent l'origine pré-homérique de ces tombeaux.

Si nous considérons d'abord le rite funéraire de Mycènes, nous verrons qu'il diffère de celui qui était en usage à l'époque d'Homère. Selon l'Épopée[31] les corps sont brûlés sur un bûcher, les ossements restants sont recueillis et renfermés dans un vase de métal. Ce vase est enterré et par-dessus on fait un tumulus. Il n'en est pas de même à Mycènes : les tombeaux consistent ici en tranchées oblongues perpendiculaires contenant des squelettes entiers. Sur un de ces squelettes[32] quelques morceaux de chair et de muscles se sont même conservés à la tète surtout, et le type du visage en encore très distinct. De la cendre est répandue sur le sol et parfois sur les squelettes ; on aperçoit, en outre, des traces de feu et de fumée sur les parois des tombeaux. Schliemann[33] et Stamatakis[34] en concluent que les cadavres étaient soumis dans les tombeaux à un feu doux. Stamatakis[35] suppose le même procédé dans un tombeau à coupole découvert près de l'Heraion d'Argos, où l'on remarque les mêmes particularités. Mais nous ne voyons pas comment les objets faits de feuilles de métal très mince qui entourent le corps aient pu rester absolument intacts, quand on sait qu'une chaleur très modérée suffit pour les fondre. Dans ces conditions, il est bien permis de mettre en doute l'opinion de Schliemann et de supposer que ces traces de feu proviennent de sacrifices. Dans les tombeaux de Nauplie, semblables par leur contenu à ceux de Mycènes, on a trouvé à côté des squelettes, des poteries où il est facile de constater l'action du feu, ainsi que des ossements de brebis et de chèvres à demi calcinés[36]. Lolling y reconnaît, avec raison, des débris de victimes et Köhler[37] se demande s'il ne convient pas d'expliquer de la même manière les mêmes particularités observées dans le tombeau de Menidi qui appartient à la même phase de civilisation. L'usage de sacrifices funéraires est démontré pour l'époque homérique. Achille, avant d'allumer le bûcher de Patrocle. abat tout à côté des taureaux et des brebis[38], couvre le défunt avec la graisse des animaux et entasse tout autour leurs corps dépecés. Construisait-on un cénotaphe, on faisait aussitôt un tumulus, et tout près de là on abattait des victimes[39]. On a donc, ce me semble, le droit d'émettre l'hypothèse que les Mycéniens, après avoir enterré leurs morts, brûlaient des victimes expiatoires dans les tombeaux mêmes et répandaient de la cendre encore chaude sur les cadavres avant de les recouvrir de pierres et de terre. Cela explique tout naturellement l'état dans lequel on a trouvé ces tombeaux. L'hypothèse de l'inhumation des corps est d'ailleurs confirmée par les données que nous avons sur d'autres tombes analogues. Lolling, dans sa relation sur le tombeau à coupole de Menidi[40], ne dit mot de la crémation et se prononce, au contraire, catégoriquement pour l'inhumation dans sa description de la nécropole de Nauplie[41]. Milchhœfer est du même avis en ce qui concerne les tombeaux de Spata[42]. Ces opinions ont d'autant plus de valeur qu'elles ont été émises après les fouilles de Mycènes, lorsque l'attention était éveillée par la manière étrange dont Schliemann et Stamatakis avaient compris le rite funéraire mycénien. Enfin il importe de remarquer que, plus tard, les Grecs admettaient l'inhumation à l'époque pré-homérique. Ils reconnurent les restes de Pélops[43], de Thésée[44] et d'Ariane[45] dans des squelettes que le feu n'avait point touchés[46]. Apollonius de Rhodes dit aussi que les Argonautes enterraient leurs morts[47].

Le squelette mentionné plus haut sur lequel on a remarqué des morceaux de chair et de muscles mérite une attention toute particulière. Plusieurs naturalistes que nous avons interrogés à ce sujet nous ont affirmé que, pour un cadavre qui a séjourné à peu près 3000 ans sous une couche de pierres et de terre, ce fait ne peut s'expliquer que par une conservation artificielle. Schliemann[48] compare avec raison l'air qu'a ce cadavre à celui d'une momie égyptienne. Il n'est nullement démontré qu'on ait eu l'usage dans l'antiquité, hors l'empire des Pharaons, d'embaumer précisément les corps. Mais nous savons que, dès les temps les plus reculés, on connaissait en Asie des pratiques au moins analogues destinées à conserver les cadavres. Les procédés d'inhumation des Phéniciens semblent directement inspirés des Égyptiens. Dans les sarcophages de pierre et d'argile des Phéniciens orientaux et occidentaux on remarque souvent des formes qui correspondent aux cercueils en bois des momies ou qui en sont dérivées[49]. Dans certains de ces sarcophages, on a trouvé des traces de toile et de cordes qui permettent de soupçonner des procédés semblables à ceux de l'embaumement[50]. Le roi de Judée, Asa (944-904 avant J.-C.) parait avoir été enterré de la même manière[51]. Nous savons, en outre, que les Babyloniens avaient l'habitude de plonger leurs morts dans le miel[52] — c'est ainsi d'ailleurs qu'a été enterré Alexandre le Grand, mort à Babylone[53] — et que les Perses enduisaient les cadavres d'une couche de cire[54]. Dans l'un et l'autre cas on se proposait évidemment de conserver les corps. Il est évident qu'un enduit de cire empêche la pénétration de l'air qui est un agent de décomposition. Toutefois le bain de miel devait être plus efficace, car non seulement les molécules de cire qu'il contient éloignent l'air, mais encore le sucre absorbe l'eau des tissus et dessèche le corps. Si les Scythes enduisaient de cire la dépouille de leurs rois[55], il est très probable qu'ils avaient emprunté cet usage à l'Asie. Certains témoignages écrits prouvent que les Grecs aussi employaient en pareil cas le miel et la cire. Lorsque le roi de Sparte, Agesipolis, succomba en 380, à la fièvre, dans la Chalcidique, il fut plongé dans le miel et ramené ainsi à Sparte[56]. Il y a deux versions différentes sur la manière dont le roi Agésilas fut transporté d'Égypte à Sparte. Selon l'une il aurait été immergé dans le miel[57] ; d'après l'autre il aurait été, faute de miel, garni d'une couche de cire[58]. Ces données ont, il est vrai, peu de valeur, dans une étude qui a pour objet la haute antiquité grecque ; car il n'est pas certain si cet emploi du miel et de la cire était une vieille tradition du Péloponnèse, ou s'il n'a été inventé que plus tard par les Grecs ou emprunté à l'Asie[59]. A ce point de vue le mythe de Glaukos, fils de Minos et de Pasiphæ a une grande importance[60]. Le jeune Glaukos tombe en jouant dans un pot de miel. Preller[61] fait justement remarquer que cette expression est dérivée de la coutume qu'on avait de déposer les cadavres dans le miel, et désigne simplement la mort. Il en résulte que les Crétois connaissaient, dès la plus haute antiquité, cet emploi funéraire du miel. Hérodote fait à ce propos un récit qu'il faut retenir (IX, 120). Le Perse Artayktes, combattant dans l'armée de Xerxès contre la Grèce, dévasta en 479, à Elæus, le tombeau et le bois sacré de Protesilaos, et fut fait prisonnier près de Sestos, par les Athéniens. Pendant que les soldats chargés de le garder faisaient frire du poisson salé ou fumé, il se produisit un miracle. Le poisson posé sur le feu se mit à frétiller comme si l'on venait de le prendre. Alors Artayktes dit à l'homme chargé de la friture : Ne crains pas ce miracle, car il ne s'adresse pas à toi ; il m'annonce que Protesilaos couché à Elæus, quoique mort et bien salé, tient des dieux le pouvoir de nuire à son offenseur. Le mot τάριχος appliqué à Protesilaos indique que son corps était conservé dans de la saumure ou dans tout autre liquide analogue. Le cadavre trouvé dans le tombeau en puits de Mycènes se range tout naturellement dans cette catégorie.

Il est très probable que différents peuples eurent, indépendamment les uns des autres, l'idée d'employer certains procédés de conservation pour les corps de personnages de distinction, qui restaient longtemps exposés et dont les funérailles se faisaient avec une pompe toute particulière. Nous savons d'ailleurs que cette coutume existait chez les Guanches des îles Canaries, chez les Mexicains, les Péruviens, les habitants de Tahiti, de Formosa, du Tonkin et autres peuples[62] qui ne pouvaient avoir aucun rapport avec la civilisation du bassin méditerranéen. Cependant tout porte à croire que les Grecs des temps préhistoriques avaient emprunté aux peuples de l'Asie antérieure l'usage de conserver les cadavres. Nous en avons pour preuve les contrées où nous avons constaté cet usage. L'Argolide d'où provient le cadavre de Mycènes a subi, ce n'est pas douteux, diverses influences orientales. Elæus, où l'on vénérait la momie de Protesilaos, était situé sur l'Hellespont, tout près de l'Asie Mineure. L'île de Crète, où le souvenir de l'ancien rite était resté vivace dans le mythe de Glaukos, jouait un rôle très important dans les rapports entre l'Asie antérieure et l'Ouest. En tout cas, le mot ταρχύειν qui revient trois fois dans l'Épopée est une preuve irréfutable que les Grecs d'avant Homère connaissaient l'usage de conserver les cadavres[63]. Ce verbe signifie enterrer et est évidemment synonyme de ταριχεύειν, usité plus tard dans la langue et qui a le sens de saler, préserver, sécher et embaumer[64]. Si cette dernière signification est, comme c'est très vraisemblable, la signification primitive, il en résulte que les Grecs de l'époque pré-homérique, qui ne brûlaient point mais inhumaient les cadavres, leur faisaient subir une sorte de momification. Avec le temps, le mot indiquant la plus importante opération de l'enterrement fut appliqué à l'enterrement lui-même et conserva ce sens même après que la crémation eut remplacé l'inhumation.

Il y a d'ailleurs dans l'Épopée comme des réminiscences de procédés usités chez les ancêtres pour la conservation des corps : Hector, chose étonnante, n'est brûlé que vingt-deux jours après sa mort[65] ; la dépouille mortelle d'Achille est exposée pendant dix-sept jours[66]. Et lorsque Thétis, pour conserver le corps de Patrocle dans toute sa fraîcheur, lui verse du nectar et de l'ambroisie par le nez[67], cette description ne fait point l'impression d'une fiction poétique, mais elle semble inspirée par l'idée vague qu'a le poète d'un procédé usité de son temps ou bien autrefois. Enfin il est cieux passages de l'Épopée très significatifs à ce point de vue : ce sont ceux[68] où il est dit que le corps, une fois placé sur le bûcher, est entouré de vases remplis de miel. Le miel n'était guère à cette époque un article de consommation courante, ni un comestible favori ; il ne possède d'ailleurs pas la vertu d'accélérer la combustion du cadavre. On peut donc se demander, à bon droit, si les Grecs ne posaient pas ces vases sur le bûcher tout simplement parce qu'ils avaient un vague souvenir du rôle important que le miel jouait dans les funérailles des temps pré-homériques. Ce n'est pas le lieu ici de nous arrêter aux fonctions du pollinctor romain qui consistaient à oindre les cadavres, à les envelopper de bandelettes, en un mot à les préparer pour la collocatio[69] ; cela nous mènerait trop loin. Mais nous ne pouvons nous empêcher de rappeler une observation qui, si elle venait à être confirmée, prouverait qu'un des procédés de conservation usités dans les pays orientaux du bassin méditerranéen, fut également introduit dans l'ancien Latium. Sur le versant nord-est du mons Albanus (monte Cavo) s'étend une nécropole d'où des pluies fréquentes font rouler des objets manufacturés jusque dans les campi d'Annibale situés en contrebas. Après les pluies de printemps de l'année 1885, on y a trouvé trois bibelots égyptiens. Sur deux d'entre eux, un symbole Ded et une figurine du démon Amset, en smalt bleu, Erman[70] a reconnu des restes de bandelettes analogues à celles des momies égyptiennes. Il en a conclu que si ces objets, comme c'est vraisemblable, proviennent de la nécropole située au pied du mons Albanus, les cadavres de cette dernière ont dû être enterrés à la manière égyptienne. Cette nécropole n'a pu subir directement l'influence de la vallée du Nil, cela va de soi. Mais il est possible que les Phéniciens d'Est ou d'Ouest, dont le rite funéraire ressemblait à celui des Égyptiens, aient introduit ces usages en Italie. Autant que nos connaissances nous permettent de l'affirmer, des antiquités égyptiennes ou égyptisantes de ce genre se rencontrent surtout dans les tombeaux italiques appartenant au sixième siècle avant Jésus-Christ[71]. Or c'est précisément à ce moment qu'a lieu ce commerce fréquent entre les Phéniciens et les Latins, dont il a été question dans le chapitre II de ce livre. Il n'est donc pas impossible que par ce commerce un rite funéraire égyptien ait été à cette époque introduit dans le Latium.

Nous n'avons pas à nous étendre ici sur la conservation des cadavres aux époques ultérieures : il nous suffira de citer ici un exemple de cette espèce. Tacite[72] raconte que Poppæa, femme de Néron, ne fut pas brûlée selon le mode romain, mais que son corps fut, suivant l'usage, adopté pour les rois étrangers (regum externorum consuetudine), remplie d'abord de substances odoriférantes et déposé ensuite dans le tombeau des Julii. Par rois étrangers, il faut comprendre surtout les monarques des royaumes hellénistiques. Si les corps de ceux-ci étaient conservés par un procédé artificiel, ce fut probablement à l'imitation du procédé adopté par les Babyloniens pour l'inhumation d'Alexandre le Grand. Mais, après cette digression, revenons à la comparaison entre la civilisation qui nous est révélée par les tombeaux de Mycènes et celle qui ressort de l'Épopée.

Il n'est nullement question dans l'Épopée de l'habitude qu'avaient les Mycéniens de recouvrir le visage des morts de masques en tôle d'or[73]. Cet usage dénote encore des influences orientales. Les visages des momies égyptiennes sont souvent recouverts de masques en or repoussé, particularité dont les plus anciens exemples remontent jusqu'à la dix-huitième dynastie[74]. On a remarqué dans les tombeaux phéniciens et carthaginois la présence de masques d'or et d'argile[75].

En général, l'industrie de Mycènes, autant qu'on en peut juger par les tombeaux, semble beaucoup plus riche et luxueuse que celle de l'époque homérique. L'Épopée ne parle point des ornements en feuilles d'or qui brillaient sur les vêtements des Mycéniens. Tout au plus- peut-on reconnaître une allusion à cette toilette dans la curieuse expression où il est dit que Zeus et Poséidon se revêtent d'or[76]. Aucune mention n'est faite non plus dans l'Épopée de ces plaques d'or qui ornaient la poitrine de trois cadavres de Mycènes[77]. Cette parure est évidemment d'origine orientale. On a trouvé de ces pectoraux d'or incrustés de pierres précieuses dans les tombeaux égyptiens[78]. Une parure semblable était également un des insignes distinctifs du grand prêtre juif[79]. Dans le tombeau découvert à Cæré[80], par Regulini et Galassi, on en a trouvé un spécimen avec figures et ornements repoussés, qui paraît être un travail phénicien ou carthaginois. L'état actuel de nos connaissances nous permet d'affirmer que cet ancien accessoire oriental ne se rencontre pas plus tard dans le costume grec, à moins qu'on veuille reconnaître un de ses dérivés dans l'égide qui couvre la poitrine de Pallas. Précisément les objets les plus somptueux des tombeaux mycéniens n'offrent aucune analogie avec les descriptions de l'Épopée. Rappelons-nous les lames d'épée et de poignard en bronze rehaussées de riches ornements figurés[81] ainsi que la poignée en forme de dragon dont les yeux et les écailles sont faits de morceaux de cristal de roche bien ciselés et incrustés sur un fond d'or[82]. Si les poètes avaient connu ces objets de luxe, peut-on admettre qu'ils ne s'en seraient pas inspirés dans leurs descriptions ? Ils ne disent rien non plus des pierres gravées ni des anneaux à cachet. Ulysse ferme le coffre qui contient les présents des Phéaciens, au moyen d'un nœud artistique, sans y apposer aucun cachet[83]. Les anneaux ne sont mentionnés ni parmi les parures que prépare Héphaïstos[84], ni parmi les cadeaux avec lesquels les prétendants cherchent à se concilier la faveur de Pénélope[85]. Les tombeaux de Mycènes renfermaient, au contraire, un grand nombre de pierres gravées et de cachets d'or[86]. Il n'est fait non plus nulle mention dans l'Épopée ni du cristal de roche[87] ni de l'albâtre[88], pierres dont sont faits différents objets trouvés dans les tombeaux[89]. Ce n'est certes pas un simple effet du hasard si tous ces objets et ces matières premières ont été passés sous silence par les poètes. Nous pouvons en conclure que la civilisation des Mycéniens avait des dehors bien plus brillants que celle des Grecs du temps d'Homère. Cette civilisation ne s'est pas développée d'elle-même, mais bien sous l'influence de peuples étrangers. Les produits artistiques des tombeaux proviennent pour la plupart de fabriques orientales ou sont tout au moins une imitation de modèles étrangers. On ne voit nulle part que le génie grec ait transformé les produits étrangers à sa façon. Autant qu'on peut en juger par le résultat des fouilles, les Mycéniens nous apparaissent comme des Orientaux ; nous l'avons vu par leur rite funéraire qui est importé de l'Orient. L'influence étrangère diminue à l'époque homérique, c'est incontestable ; cependant (et nous le constaterons plus loin) l'art et l'industrie portent encore visiblement, même à cette époque, l'empreinte orientale. Le génie national ne fait que commencer à s'éveiller. Quant au rite funéraire, il diffère de celui de Mycènes en ce que la crémation est venue remplacer l'inhumation.

La civilisation que, pour plus de brièveté, nous appellerons mycénienne — car c'est à Mycènes qu'elle s'est révélée jusqu'aujourd'hui avec le plus d'éclat —, n'était point limitée au territoire du golfe saronique ; on en trouve des spécimens dans toute la Grèce orientale, depuis la Thessalie, jusque vers le sud dans la vallée de l'Eurotas. C'est la partie de la péninsule où la côte, déchiquetée, présentait à l'Est des golfes et des ports nombreux qui donnaient accès aux éléments civilisateurs du dehors. Les débris trouvés dans ces diverses contrées n'offrent entre eux aucune des différences locales qui existeraient sûrement si la civilisation avait poussé sur le sol grec et si elle y était arrivée à sa pleine floraison ; partout on remarque une frappante uniformité. Köhler[90] en conclut avec raison qu'il s'agit là d'une civilisation étrangère qui s'est implantée toute prête en Grèce.

Et comment s'est-elle implantée ? Les relations commerciales seules ne suffisent pas à l'expliquer. Il faut plutôt admettre que des Orientaux vinrent s'établir sur différents points de la Grèce orientale et y apportèrent leur culture raffinée. Telle fut d'ailleurs l'opinion des Grecs qui a été confirmée en partie par la science moderne. Les cultes et les noms de localités sémitiques que nous rencontrons dans cette contrée[91] ne s'expliquent que si nous admettons l'établissement de colonies sémitiques, et l'on n'a pas encore, que nous sachions, réfuté l'opinion de Brandis[92] qui prétend que la Thèbes béotienne fut une de ces colonies. Si le mythe du Phénicien Cadmus repose sur une base historique, il doit en être de même, à plus forte raison, des mythes qui parlent de l'arrivée de Danaos, de Persée et de Pélops en Argolide. Suivant Aristote[93], Hermione et Épidaure étaient des fondations cariennes.

Il semble tout naturel que la vie grecque ait eu, à l'époque qui suivit immédiatement ces immigrations, un cachet plus oriental qu'à l'époque homérique, où les éléments étrangers avaient déjà disparu ou s'étaient assimilés. La population primitive, très bien douée et avide de progrès, s'abandonna aux charmes d'une civilisation supérieure importée de l'Orient. Mais, à partir de la période homérique, l'influence orientale diminue sensiblement pour disparaître tout à fait lors de l'épanouissement complet du génie grec, c'est-à-dire au cinquième siècle. Par conséquent, si la culture décrite dans l'Épopée est moins orientale, plus simple et plus pondérée à la fois que celle des anciens Mycéniens, elle se rapproche en cela même de la période hellénique ou classique ; elle est donc plus récente que la culture mycénienne.

Ce qui démontre encore les relations orientales des Mycéniens, c'est ce fait qu'ils savaient beaucoup mieux travailler la pierre que les Grecs du temps d'Homère. Il ressort d'observations certaines[94] qu'une partie tout au moins du mur de la citadelle construit en blocs polygonaux est antérieure à la construction des tombeaux. De plus les stèles[95] appartenant à ces tombeaux prouvent que les Mycéniens savaient les décorer d'ornements et de figures sculptés. Dans l'Épopée, au contraire, il n'est jamais question de citadelles construites en pierres, mais seulement de tranchées, de remparts en terre et de palissades[96]. Il est parfois fait mention de stèles funéraires[97], mais rien n'indique qu'elles aient été ornées de sculptures. Les Grecs ont appris des Orientaux à construire en pierres et à sculpter sur pierre ; c'est une vérité qu'on ne peut guère contester aujourd'hui[98]. La légende rapporte que les murs de Mycènes et de Tirynthe ainsi que la porte des lions de Mycènes étaient l'œuvre des Cyclopes, auxquels on attribuait généralement une origine lycienne[99] : ces constructions ont dû paraître étranges plus tard et il y eut sans doute entre elles et les constructions ultérieures comme un arrêt dans la civilisation. On ne saurait déterminer avec certitude les causes de cette interruption. On ignore, en effet, pendant combien de temps les émigrants orientaux qui vinrent s'établir dans l'est de la Grèce, conservèrent, au milieu des indigènes, leur nationalité et, par suite, leur civilisation supérieure. Admettons qu'ils se sont assimilés promptement aux peuplades autochtones ; il en est résulté que certains procédés techniques rapportés de leur pays d'origine sont tombés dans l'oubli. Mais les données scientifiques nous autorisent plutôt à supposer un bouleversement historique qui arrêta net les progrès de la civilisation. C'est une thèse que nous étudierons plus loin en détail.

Il y eut d'ailleurs un moment d'arrêt dans toutes les autres branches de l'art architectural. Comme nous le verrons dans le huitième chapitre, le plancher carrelé et le badigeonnage à la chaux des murs, dont il est question dans l'Épopée, donnent l'idée d'une décoration artistique inférieure à celle qui coïncide avec les tombeaux en puits de Mycènes.

Sous d'autres rapports cependant les Grecs de l'âge homérique étaient plus avancés que les Mycéniens. Dans les tombeaux en puits on n'a pas trouvé une seule fibule ni aucune trace d'objets en fer, mais, par contre, un grand nombre d'armes et d'ustensiles de pierre. Il suffit de rappeler que l'un d'eux ne contenait pas moins de trente-cinq pointes de flèches en obsidienne[100]. Parfois, il est vrai, on rencontre dans les tombeaux italiques des cinquième et quatrième siècles — c'est-à-dire d'une époque où l'âge de pierre avait disparu depuis longtemps —, une pointe de flèche ou tout autre objet en pierre, qui accompagnent le défunt en guise d'amulette[101]. Mais leur nombre est insignifiant et partant sans aucune importance en comparaison de la quantité considérable d'objets analogues trouvés dans les tombeaux de Mycènes. On peut en conclure simplement que les peuplades de l'Argolide garnissaient encore à cette époque leurs flèches avec des pointes en pierre[102].

C'est un événement historique, avons-nous dit plus haut, qui peut bien être la cause de la différence constatée entre les civilisations mycénienne et homérique. Entre l'époque où les Grecs reçurent de l'Orient les premiers éléments d'une civilisation supérieure et celle où naquit l'Épopée, s'est-il produit quelque événement qui ait enrayé plus ou moins le progrès ? En posant cette question, on songe involontairement à la migration dorienne. A la suite de luttes aussi longues que sanglantes, les Doriens réussirent à s'établir dans la plus grande partie du Péloponnèse. Les peuplades plus anciennes furent forcées ou de se soumettre aux vainqueurs ou de les recevoir dans leurs villes et de partager avec eux le territoire. Ce bouleversement dont les effets se firent sentir bien au delà du Péloponnèse donna l'impulsion à la colonisation grecque. Afin de se soustraire à l'oppression, les Grecs quittèrent en foule leur pays pour aller fonder une nouvelle patrie sur les côtes de l'Asie Mineure et dans les fies situées en face. C'est pendant qu'ils s'établissaient ici et qu'ils livraient de durs combats aux barbares environnants que se formèrent, au milieu d'eux, les plus anciens chants de l'Épopée.

Un état de guerre qui dure pendant des générations entières entrave tout naturellement les progrès du bien-être et de la civilisation. Les conséquences devaient en être particulièrement tristes pour le Péloponnèse, car les conquérants étaient beaucoup moins civilisés que la population indigène, surtout dans la partie est de la péninsule. On sait que la patrie des Doriens était cette contrée montagneuse environnant l'Olympe ; elle n'était donc guère accessible à l'influence d'au delà la mer. L'État lacédémonien, où l'ancienne tradition dorienne s'est conservée dans toute sa pureté et toute sa rigidité, offrait nombre de particularités primitives. Sparte resta jusqu'à Démétrius Poliorcète une ville ouverte[103]. Une loi attribuée à Lycurgue ordonnait que les portes des maisons ne fussent faites qu'avec la scie et le plafond avec une hache[104]. Le bouclier antique, privé de l'anse nécessaire pour passer le bras, ne fut supprimé qu'au troisième siècle avant Jésus-Christ par le roi Cléomène[105]. L'origine du vêtement primitif des jeunes filles spartiates et le fameux brouet noir semblent se perdre dans la nuit des âges indo-européens.

Il en fut de même des Étoliens qui s'attachèrent à la fortune des Doriens et arrivèrent ainsi à dominer l'Élide. La situation géographique seule permet de supposer que leur civilisation était très primitive ; il est certain, en effet, que la Grèce occidentale, au point de vue du bien-être et de la civilisation, était de beaucoup inférieure à la Grèce orientale. Il suffit de se rappeler à ce propos l'étonnement manifesté par Télémaque à la vue des magnificences du mégaron de Ménélas[106]. Dans les fouilles d'Olympie, on n'a constaté aucune trace d'une phase analogue à celle de Mycènes. Les vestiges les plus anciens d'Olympie indiquent, au contraire, une phase plus récente de la civilisation. Même lors de la guerre du Péloponnèse, les Étoliens comptaient parmi les peuplades les plus grossières de l'Hellade. Thucydide[107] se plaît à rappeler leurs coutumes lorsqu'il veut dépeindre l'état de choses de la haute antiquité grecque. Il dit des Eurytaniens, une des tribus les plus anciennes et les plus puissantes du peuple étolien, qu'ils parlaient une langue incompréhensible et se nourrissaient de viande crue (III, 94, 4). Dans l'agora d'Élis on se montrait une construction primitive consistant en un toit supporté par des appuis en chêne ; c'était, disait-on, le monument d'Oxylos qui avait conduit les Étoliens dans le Péloponnèse[108]. Ainsi donc, dans l'Argolide, déjà avant l'invasion dorienne, on élevait de superbes fortifications et des monuments funéraires en pierre ; néanmoins, même après cette migration, la tradition populaire attribuait aux peuplades septentrionales cette sorte de construction primitive. Le plus ancien temple d'Olympie, l'Heraion, est venu confirmer la tradition. Les murs de la cela, reposant sur un soubassement en pierre équarrie, semblent avoir été faits de briques non cuites. Tout le reste, les colonnes comme les antes qui recouvraient les murs du pronaos et de l'opisthodomos, les montants de la porte de la cella, le plafond de la cella comme celui des portiques, étaient en bois[109].

La civilisation des peuplades du Nord étant peu avancée, il arriva ce qui devait arriver : leurs conquêtes et leur victoire finale portèrent atteinte à la civilisation du Péloponnèse et l'arrêtèrent forcément dans son essor. Cette civilisation, nous l'avons vu, reposait sur des relations intimes avec l'Orient. Or l'incertitude, inhérente à un long état de guerre et la domination d'un peuple nouveau sur la côte est du Péloponnèse durent forcément troubler ces relations. La colonisation grecque, d'autre part, amena d'autres perturbations. Les Phéniciens avaient, dès le quinzième siècle avant Jésus-Christ, fondé partout des colonies et factoreries dans les îles de la mer Égée[110] ; ils entretenaient, par suite, un commerce sûr et agréable avec les Grecs. Leurs vaisseaux voguant vers la Grèce orientale trouvaient, sur leur chemin, à de courtes distances, des stations où ils pouvaient aborder sans le moindre danger, comme sur leur propre littoral. La situation changea du jour où les Grecs vinrent prendre pied dans ces îles. Ceux-ci ne se comportèrent pas de la même manière vis-à-vis des Phéniciens. Les colons doriens chassèrent la plupart d'entre eux de Yalysos ; d'autres furent englobés dans les tribus doriennes et chargés de certaines fonctions sacerdotales qui étaient probablement depuis longtemps héréditaires dans leurs familles[111]. La tradition relative à Théra laisse supposer que les Phéniciens qui s'y étaient installés n'obtinrent que des droits politiques inférieurs à ceux des nouveaux colons grecs[112]. Dans l'île de Thasos, les Pariens semblent s'être assimilé l'élément sémitique peu à peu et par des moyens pacifiques[113]. Mais le résultat de ces divers procédés fut le même : les Phéniciens cessèrent de commander les voies de communication qui reliaient l'Asie à la Grèce. Les Orientaux établis sur la côte est de la Grèce avaient-ils conservé jusque-là des traces de leur nationalité primitive, c'est ce que nous ne savons pas. Si oui, leur assimilation à la population indigène a dû faire de très rapides progrès dès qu'ils eurent perdu les liens qui les rattachaient à la patrie asiatique. La tradition d'après laquelle Pélops serait venu, avec de nombreux trésors, de l'Asie Mineure en Argolide, pour y fonder un puissant empire[114], s'appuie sur ce souvenir que la brillante civilisation qui florissait dans cette contrée avant l'invasion dorienne reposait sur les relations avec l'Orient.

En tout cas il est parfaitement démontré que la richesse en métaux précieux diminua considérablement dans le Péloponnèse après l'immigration dorienne. L'Épopée désigne Mycènes comme une ville pleine d'or[115] et les fouilles ont démontré que cette épithète lui était applicable à l'époque achéenne. Au contraire, lorsque les Spartiates eurent besoin d'or, dans la première moitié du sixième siècle, pour faire une statue d'Apollon, ils durent, pour s'en procurer, envoyer des délégués à Sardes[116].

En ce qui concerne les Éoliens et les Ioniens qui passèrent en Asie Mineure, la civilisation qu'ils transportèrent ici était sans doute plus ou moins analogue à celle de Mycènes. Seulement elle a dû, dans ce transport, subir diverses modifications. Lorsqu'à l'époque d'Homère la crémation succéda à l'inhumation, ce changement dut se produire juste au moment où les Grecs renoncèrent à demeurer sédentaires sur le sol paternel ; car des urnes remplies de cendres pouvaient facilement se transporter dans des voyages sur terre et sur mer ; un passage de l'Iliade (VII, 333) nous apprend effectivement que cela se faisait, le cas échéant. De plus le trafic phénicien diminuant dans la mer Égée, l'influence orientale baissa forcément aussi dans la mère patrie comme dans les colonies. Enfin les Grecs, pendant qu'ils étaient occupés, dans la première phase de leur colonisation, à conquérir une nouvelle patrie, se souciaient bien plus d'avoir le nécessaire et l'utile que d'agrémenter leur vie avec le luxe oriental.

Cette période de recul dans l'art architectural, que nous avons notée plus haut, n'a rien que de très naturel aussi ; elle s'explique par les conditions mêmes où se trouvent les émigrants qui arrivent sur une terre étrangère. Une troupe d'Éoliens ou d'Ioniens débarquant sur les côtes d'Asie Mineure, avec la résolution d'y fonder une colonie, n'avaient évidemment rien de plus pressé que d'y construire un abri sûr. Une construction en pierre comme celles de Mycènes et de Tirynthe d'avant la migration dorienne, eût coûté trop de temps et de peine. On se contentait donc de fortifications primitives, telles que l'Épopée nous les décrit, c'est-à-dire on creusait un fossé, on utilisait la terre ainsi obtenue à faire un retranchement qui était peut-être encore fortifié au moyen d'une série dé palissades. Il se peut que parfois, lorsque le sol Contenait de l'argile, les colons employassent dès le début, pour leurs retranchements, des briques d'argile au lieu de la terre[117] ; peut-être ne remplaçaient-ils que plus tard la terre par des briques. Ce mode de construction remonte à la plus haute antiquité en Asie Mineure comme en Grèce. Les fouilles d'Hissarlik ont démontré que toute la maçonnerie de Pergame était faite avec ces briques crues, aussi bien les murs des maisons que les murailles de la citadelle[118]. Nous verrons, dans le chapitre VIII, que les briques d'argile étaient largement employées à la construction du palais de Tirynthe, qui date d'avant la migration dorienne. On sait, d'autre part, que l'usage de ces matériaux continua même plus tard aussi bien en Grèce qu'en Asie Mineure[119], que des murailles de fortifications et, jusqu'à l'époque romaine, des maisons d'habitation et même des édifices publics étaient faits avec ces briques[120]. Il est donc permis de supposer que ce mode de construction était familier aux Éoliens et aux Ioniens, lorsqu'ils commencèrent la colonisation des côtes de l'Asie Mineure. Autant qu'on en peut juger pal : nos sources très insuffisantes, les Grecs d'Asie Mineure ne se mirent à élever autour de leurs villes des murailles en pierre que fort tard et longtemps après la période brillante de l'Épopée. La ville de Milet, lorsque les rois lydiens Sadyattes (628-617) et Alyattes (617-560) lui faisaient la guerre, était fortifiée[121], mais rien ne nous indique si ses remparts étaient en pierre, en briques ou en terre. C'est vers le milieu du cinquième siècle au plus tôt que les villes ioniennes s'entouraient d'enceintes de pierre. Hérodote (I, 163) raconte que les Phocéens, se voyant menacés par les Perses, fortifièrent de la sorte leur ville ; ils y employèrent les ressources mises à leur disposition par Arganthonios, roi de Tartessos, ami des Grecs. Cela indique que précédemment la ville était ouverte ou bien protégée par des ouvrages faits d'autres matériaux que la pierre. La première hypothèse semble plausible quand on songe aux mesures prises par les Ioniens[122], en 546, lorsque Cyrus s'empara de Sardes et s'apprêta à étendre sa domination jusqu'à la côte. Hérodote dit clairement que les villes ioniennes furent alors en toute hâte ceintes de murailles. La plupart d'entre elles étaient donc auparavant dépourvues de toutes fortifications. Si l'on s'en rapporte à quelques passages de l'Épopée, sur lesquels nous reviendrons dans le chapitre VII, les poètes homériques semblent avoir connu non seulement des villes fortifiées, mais aussi des villes ouvertes. Ces témoignages sont peut-être bien isolés et manquent de précision. En tout cas, on peut en conclure que l'art de construire de puissantes murailles de citadelle en pierre taillée a pénétré de l'Orient dans certaines contrées de la Grèce orientale, et cela bien avant la migration dorienne. Cet art a-t-il disparu parce que les colons orientaux s'assimilèrent trop vite à la population indigène, moins avancée qu'eux, ou parce que l'invasion dorienne arrêta l'essor du progrès, c'est ce qu'il est difficile de dire avec quelque certitude. Quoi qu'il en soit, les Éoliens et les Ioniens, auxquels cet art était familier, lors de leur établissement en Asie Mineure, n'en firent point usage, ils se bornèrent à protéger leurs demeures avec des remparts en terre ou en briques d'argile. Une fois habitués à ce genre de fortifications, ils le conservèrent dans la suite. La situation était-elle pacifique, on négligeait les remparts et les fossés ; si, au contraire, elle devenait menaçante, on construisait vite de nouveaux retranchements en terre ou en briques. Et comme ces ouvrages étaient plus faciles à construire et moins coûteux, il est très possible que, même en 546, quelques villes ioniennes en aient fait construire d'analogues. Le fait concernant les Phocéens prouve qu'au milieu du sixième siècle encore un mur d'enceinte en pierre était considéré comme une chose peu ordinaire. Ainsi les Grecs d'Asie Mineure ne revinrent qu'au bout de quelques siècles aux matériaux dont se servaient leurs ancêtres pour fortifier leurs villes avant l'invasion dorienne dans le Péloponnèse.

Les constructions couvertes d'une coupole et accessibles au moyen d'un passage ou dromos découvert, telles que la tombe connue sous le nom de trésor d'Atrée[123], le tombeau situé près de l'Heraion d'Argos[124], celui d'Orchomène en Béotie[125] et celui de Menidi en Attique[126], appartiennent à la même civilisation que les tombeaux en puits de Mycènes ; c'est un fait généralement reconnu. Mais l'architecture plus soignée dénote ici un certain progrès ; de plus, le tombeau de Menidi contenait deux spécimens de poterie plus récents qui manquent dans les tombeaux en puits[127].

Il en est de même des tombeaux très simples de Nauplie[128] et de ceux de Spata en Attique[129]. Ils consistent en chambres sépulcrales creusées dans le rocher, auxquelles mène un dromos. Leur disposition rappelle les tombeaux à coupole et certains tombeaux de Nauplie imitent grossièrement la tholos[130]. Le tombeau à coupole a dû servir de modèle pour leur construction[131]. Les objets qu'ils renferment sont en partie un peu plus récents que ceux des tombeaux en puits[132] ; dans la nécropole de Nauplie l'on a trouvé les mêmes types de poterie plus récents que dans le tombeau à coupole de Menidi[133]. Mais ces différences sont insignifiantes en comparaison du grand nombre de types qui sont communs aux trois sortes de tombeaux et appartiennent, sans aucun doute, à un même état de civilisation. Si nous admettons que l'invasion dorienne a entravé dans le Péloponnèse l'essor de cette civilisation, les objets qu'on y a trouvés remontent tout au plus à la fin de cette invasion. Ce critérium ne saurait s'appliquer avec la même certitude à l'Attique. L'Attique n'a été touchée que très superficiellement par les flots de cette invasion ; il est donc très probable que la phase orientale de la civilisation y a duré un peu plus longtemps.

Si cette opinion est exacte, les tombeaux de Mycènes dateraient d'avant la fin des conquêtes doriennes dans le Péloponnèse, fin qu'on place au dixième siècle avant Jésus-Christ[134]. Quelques savants ont essayé de déterminer leur date avec plus de précision La démonstration de Köhler[135] mérite tout particulièrement d'attirer l'attention. Il l'appuie sur les glaives et les poignards trouvés dans les tombeaux en puits. Quoique l'origine de ces armes ne puisse être déterminée à coup sûr, il est très probable qu'elles ont été fabriquées par les Phéniciens de la mer Égée ou par ceux de Chanaan. C'est, en tout cas, une imitation de modèles égyptiens du temps des premiers Ramessides (quinzième ou quatorzième siècle avant J.-C.). Les motifs égyptiens y sont très fidèlement reproduits ; nous sommes donc amenés à croire que les copies ont suivi d'assez près les originaux. Par conséquent, les tombeaux en puits de Mycènes dateraient du dernier quart du deuxième millier d'années. Les antiquités de Théra sont plus anciennes. Celles d'Hissarlik, enfin, remontent à une époque qui se perd dans la nuit des temps, où la civilisation orientale avait à peine effleuré l'Asie Mineure.

Nous avons, en outre, à mentionner ici la citadelle supérieure de Tirynthe, dont la découverte est due également à Schliemann et qui nous donne une idée très nette du palais des rois de cette époque[136]. La construction et la décoration de ce palais remonte à une période qui se termine au moment de l'invasion dorienne ; c'est un fait incontestable. Dörpfeld[137] a démontré tout au long que les traces des peintures murales trouvées dans cet édifice offrent de nombreuses analogies avec les vestiges artistiques des tombeaux en puits de Mycènes, du plafond sculpté du thalamos d'Orchomène et de beaucoup d'autres monuments de la même époque. La plaque en pierres d'un vert pâle, formait dans le mégaron de Tirynthe, avec d'autres morceaux analogues, une corniche de 0,12 de hauteur. Les ornements en relief de cette plaque consistent en une spirale et des motifs de fleurs qui rentrent dans les intervalles compris entre les bords extérieurs de la spirale. Cet ornement est assez fréquent sur les objets qui proviennent des tombeaux en puits de Mycènes[138]. Dans le portique situé devant le mégaron on a trouvé sept plaques de frise en albâtre qui ne forment qu'un tout[139]. Les plus grandes plaques ont 0,68, les plus petites 0,43 de largeur. Comme la partie supérieure manque, on ne peut déterminer leur hauteur. Chacune des plaques étroites est munie à sa partie inférieure d'une bande qui a 0,10 de largeur et d'une sorte de bourrelet mesurant 0,02 de haut. sur 0,07 de large, qui avait évidemment pour but d'empêcher la chute des plaques. Tout cela prouve que cette frise devait être posée à une certaine hauteur du mur. La décoration se compose en partie de sculptures en relief, en partie d'incrustations de smalt[140]. Elle consiste en rosaces et demi-rosaces et en bandes de spirales encadrées de deux rangs de petits rectangles. Toute cette ornementation caractérise la décoration qui a précédé la migration dorienne. La rosace est un des motifs d'ornement préférés de cette époque[141]. Cette bande de spirales encadrées d'une suite de petits rectangles, on la rencontre sur les demi-colonnes et sur les chapiteaux du trésor dit d'Atrée[142]. Mais l'analogie ne se borne pas aux ornements en eux-mêmes ; elle s'étend à la manière dont ces ornements sont disposés. On a trouvé à Mycènes deux frises de porphyre[143], et dans le tombeau de Menidi plusieurs petites plaques de smalt[144], qui, par la manière dont la décoration est disposée, rappellent absolument la frise de Tirynthe.

Une observation de Dümmler détermine d'une manière encore plus précise l'époque de la construction du palais de Tirynthe[145]. En effet, si l'on compare les fragments de poterie provenant de cet édifice avec la céramique de Mycènes, on a la preuve qu'ils ressemblent non pas aux types trouvés dans les tombeaux en puits, mais bien à ceux qu'on a trouvés en dehors de ces tombes, sur le sol de l'acropole. Par suite, le palais semble plus récent que les tombeaux en puits et doit appartenir à la période des tombeaux à coupole de Mycènes.

Parmi les nombreux faits de la plus haute importance relevés lors des fouilles de Tirynthe, il convient d'en signaler un ici d'une manière toute spéciale. Par les soins de Schliemann, presque toute la muraille de la citadelle supérieure a été déblayée[146]. On a reconnu ainsi que tout le long du mur de soubassement sont pratiqués des chambres et des corridors voûtés en ogive, qui paraissent avoir servi de magasins. Une disposition analogue n'existe, que nous sachions, que dans les murs de défense phéniciens, notamment à Byrsa de Carthage, à Thapsos, à Hadrumète, à Utique et à Thysdros[147]. Cette coïncidence est une nouvelle preuve des relations suivies que les populations de l'Argolide entretenaient, en ce temps-là, avec l'Orient. On ne saurait guère prétendre que le prince de Tirynthe donnait des subventions aux artistes indigènes pour voyager dans l'Asie antérieure, afin d'y étudier l'architecture. Il n'y a qu'une alternative possible : ces murailles ont été élevées ou bien par des architectes orientaux venus à Tirynthe, ou bien par des architectes indigènes qui avaient été instruits par ces derniers. Que l'on s'arrête à l'une ou à l'autre de ces deux hypothèses, l'immigration d'architectes orientaux en Argolide peut être considérée comme un fait historique.

Arrivons maintenant à un groupe de tombeaux qui est forcément mentionné très souvent dans le présent ouvrage ; nous voulons parler de ceux du Dipylon d'Athènes[148]. On s'accorde généralement à reconnaitre qu'ils appartiennent à une époque plus récente que toutes les antiquités dont il a été question jusqu'à présent[149]. Il suffit de faire observer à ce propos que, dans ces tombeaux, les corps sont pour la plupart[150] incinérés, et qu'au septième[151], voire même au sixième siècle, les Athéniens[152] employaient des poteries semblables à celles qui ont été trouvées dans ces tombeaux[153]. Comme les objets en métal de ces sépultures ne sont qu'insuffisamment connus[154], il faut se borner à étudier les vases peints qu'on y a découverts en grand nombre. Leur décoration est d'un style géométrique tout particulier que, pour cette raison, on appelle simplement le style du Dipylon[155]. Des poteries de ce genre ont été trouvées non seulement en Attique, mais encore dans plusieurs localités de la Grèce orientale, dans les îles de la mer Égée, notamment dans celles de Melos et de Théra, en Asie Mineure et dans le nord de l'Afrique[156]. Nous sommes en droit d'en conclure que ces poteries ont été fabriquées dans l'Est, soit dans les lies de la mer Égée, soit en Asie Mineure, et non pas en Attique dont l'industrie et le commerce étaient encore fort peu avancés à l'époque à laquelle on est obligé d'attribuer les tombeaux du Dipylon. Par conséquent, si les notices de fouilles, actuellement connues, indiquent une région qui concorde avec celle où prirent naissance les poèmes homériques ou qui seulement en approche, il est extrêmement important pour l'objet de notre étude de déterminer la relation chronologique qui existe entre les vases du Dipylon et l'Épopée. Hirschfeld[157] a déjà attiré l'attention sur ce fait que l'ornementation figurée de ces vases a quelques points de contact avec les descriptions homériques. C'est ainsi que les hommes en costume ordinaire sont, comme dans Homère, ceints d'un glaive[158]. Leur équipement militaire comporte déjà des jambières[159] qui ont donné naissance à l'épithète έϋανήμιδες caractérisant les Achéens. Les peintures d'une jatte trouvée près du Dipylon[160] représentent un navire qui a abordé et dont l'équipage combat contre des guerriers qui courent sur la terre ferme. Évidemment les hommes de l'équipage ont l'intention de se livrer au pillage sur le littoral, et les habitants de la localité menacée cherchent à les en empêcher : c'est un incident très fréquemment mentionné dans l'Épopée[161]. Comme le corps de Patrocle[162], un personnage mort, étendu sur le lit de parade[163], est couvert d'un linceul de la tète aux pieds. De même qu'aux jeux funéraires de Patrocle[164], de même sur les vases du Dipylon, on remarque une course de chars donnée en l'honneur du défunt[165] et des trépieds offerts en prix aux vainqueurs[166]. Des danses de jeunes gens et de jeunes filles[167] rappellent celles qui sont représentées sur le bouclier d'Achille[168]. Un vase en forme de boite, dont le couvercle et les bords de la panse sont munis de trous par où l'on faisait passer un cordon[169] pour fermer et attacher le couvercle, fait songer, dit avec raison Hirschfeld[170], au fermoir du coffre dans lequel Ulysse resserrait les présents des Phéaciens[171]. D'autre part, les peintures de trois fragments de vases trouvés près du Dipylon offrent, si on les compare à la civilisation décrite dans l'Épopée, une différence que Hirschfeld et Graser[172] ont remarquée, sans toutefois l'examiner au point de vue chronologique. Elles représentent des vaisseaux pourvus d'une proue en pointe (έμβολος, rostrum) et, par conséquent, armés pour le combat naval[173]. Sur un de ces vases était même figuré un combat de ce genre[174]. Sur une des peintures sur vase de Dipylon, qui reproduit un navire armé de cette pointe, deux hommes y sont occupés à manier les voiles, pendant que d'autres sont étendus sur le pont morts ou blessés et que d'autres sont précipités à la mer[175]. Dans l'Épopée, au contraire, les navires ne sont pas armés pour la lutte et ne servent point à un usage offensif ; ils ne servent exclusivement que comme transports[176]. Il est donc hors de doute que les tombeaux du Dipylon, du moins certains d'entre eux, appartiennent à une époque plus récente que les anciens chants de l'Épopée.

Autant que nos connaissances nous permettent de l'affirmer, le monument le plus ancien qui représente un navire à proue pointue est un bas-relief du palais de Sanherib à Kouyoundjik[177] ; il date, par conséquent, du huitième ou du commencement du septième siècle. Sur ce bas-relief on voit les habitants d'une ville située au bord de lamer et assiégée par les Assyriens du côté de la terre, cherchant à gagner le large dans des vaisseaux. Les vaisseaux dans lesquels ils se sont réfugiés ont deux formes différentes. Les uns, dont le pont est très haut, sont pourvus de mâts, de voiles et, sur la face antérieure à plan vertical, de la pointe en question. Les autres sont plus bas, également relevés à l'avant et à l'arrière, sans mât et sans pointe. Si, comme on l'admet généralement, l'action retracée sur ce bas-relief se passe sur la côte chananéenne, il s'en suit que, dès le huitième siècle, les Phéniciens armaient d'une pointe un certain genre de navires. Cette invention, qui a acquis plus tard une grande importance dans l'art naval, est-elle due aux Phéniciens, aux Grecs ou aux Cariens[178] ? C'est ce qu'on ne saurait dire avec certitude. En tout cas, il est très probable qu'elle coïncide avec la rivalité provoquée par la colonisation grecque parmi les peuples navigateurs du bassin méditerranéen, rivalité qui a survécu aux derniers accents de l'Épopée.

En outre, les vases du Dipylon se présentent en très grand nombre et sont répandus au loin : c'est là une nouvelle preuve qu'ils datent d'une époque relativement récente. Dans le premier chapitre, nous avons montré que les Grecs de l'Épopée n'avaient point d'activité industrielle dans la véritable acception du mot, et que le débit de leurs produits manufacturés se bornait encore au territoire qui entourait le lieu de fabrication. A l'époque du style du Dipylon, au contraire, la fabrication des poteries était devenue une industrie importante d'une population grecque qui habitait l'Asie Mineure ou les îles voisines, et l'on faisait alors un commerce considérable de ces produits.

A ces considérations, il faut ajouter un fait que Dümmler[179] vient d'établir. Dans les tombeaux du Dipylon on a trouvé des armes de fer, plusieurs épées[180], des pointes de lances folliformes pourvues d'une douille pour enfoncer la hampe, et la tète d'une hache de combat, qui d'un côté se termine par une lame verticale, de l'autre en une pointe[181]. Or, comme nous le verrons dans le chapitre XXIV, l'Épopée ne mentionne que des armes de bronze, excepté la massue de fer de l'Arcadien Arcithoos[182] et la pointe de flèche en fer de Pandaros[183]. Il semble en résulter que la nécropole du Dipylon est au moins postérieure à l'époque où le style épique fut définitivement fixé.

Les différences que révèlent les tombeaux du Dipylon en comparaison de la couche antérieure sont très instructives pour quiconque veut étudier les progrès de l'hellénisme. On a trouvé, il est vrai, dans ces tombeaux, des produits artistiques de l'Orient. Tels sont les scarabées en smalt, probablement aussi les diadèmes d'or dont les figures d'animaux arrondies se distinguent visiblement de celles des peintures sur vases qui sont d'un dessin linéaire très accusé ; mais l'importation orientale est ici beaucoup plus faible que dans la période antérieure. Ce qui caractérise les tombeaux du Dipylon, c'est qu'ils renferment surtout des produits de fabrication grecque et notamment des vases peints. 'Ces peintures rappellent, il est vrai, à bien des points dé vue, des motifs orientaux ; presque tous lés ornements du style du Dipylon se retrouvent dans la période antérieure ; même dans la façon dont la figure humaine est traitée l'influence orientale est incontestable. Cependant le génie national a déjà assez de force pour donner une empreinte individuelle à ces éléments étrangers. La syntaxe de l'ornementation a ici un caractère tout à fait spécial et permet d'assigner au style du Dipylon une place à part dans la décoration dite géométrique. Le choix des animaux dans l'ornementation mérite de fixer l'attention. Sauf de rares exceptions[184], on n'y rencontre ni lions, ni panthères, ni bêtes mythologiques, que les peintres connaissaient d'après les produits orientaux ; ils se bornent aux animaux qu'ils avaient l'occasion de voir tous les jours de leurs propres yeux, tels que : chevaux, taureaux, cerfs, chevreuils, oies ou canards. Ils ont même fait un pas plus en avant dans cette voie, en reproduisant des scènes de leur vie journalière.

Cette nouvelle tendance eut évidemment pour cause fondamentale le contraste qui existait entre les Orientaux et les Grecs, dès le début de la colonisation grecque. Ce contraste a dû certainement fortifier l'activité des Grecs et favoriser l'expansion de leur individualité. C'est sous l'influence des luttes et des aventures de toutes sortes que se développa l'Épopée qui, par le fond comme par la forme, est la manifestation la plus éclatante dus génie national. Les poètes tout d'abord, puisant dans le monde extérieur, ont créé, grâce à leur imagination, une foule d'images superbes ; les artistes ont suivi leur exemple. Ils se sont même engagés dans cette voie avant la conclusion de l'Épopée. Lorsque, dans l'Iliade[185], Hélène tisse sur une diplax de pourpre des combats entre Achéens et Troyens, elle représente des scènes de la réalité qui l'entoure. On peut donc admettre que les femmes grecques d'alors ornaient d'épisodes de la vie contemporaine les vêtements de luxe qu'elles tissaient. Il est très possible que ces travaux, qui devinrent plus tard la grande industrie des tissus milésiens, aient été inspirés par des modèles orientaux, comme les tissus d'Amorgos et de Théra se rattachent aux industries phéniciennes, très brillantes, dans ces deux îles, avant la colonisation grecque[186]. Mais, quel que soit le degré d'imitation, il y a déjà un progrès sensible, ne fût-ce que dans le choix libre des objets représentés, progrès qu'il est important de constater aussi pour étudier fructueusement les vases du Dipylon. Différentes analogies relevées dans les motifs d'ornements peints sur ces vases nous forcent, en effet, de reconnaître que ces motifs n'ont pas été inventés par des potiers, mais bien empruntés à une autre branche de l'art. Et ce ne peut être qu'à l'art textile, disent avec raison Conze[187] et Hirschfeld[188], s'appuyant en cela sur de nombreuses particularités de style ; d'ailleurs le choix des motifs transmis par l'époque antérieure a été déterminé par les exigences de cet art. Et si, à l'époque florissante de l'Épopée, on tissait sur le costume non seulement des motifs ornementaux, mais encore des épisodes de la vie contemporaine, tout porte à croire que plus tard l'art textile a servi de base à la décoration des vases du Dipylon.

 

 

 



[1] Schliemann, Troianisehe Alterthümer, Leipzig, 1874 ; Atlas troianischer Alterthümer, Leipzig, 1874 ; Ilios, Leipzig, 1881, p. 240-655 ; Troja, Leipzig 1884, p. 33-216. — Du reste, il existe des vestiges d'une civilisation semblable en dehors d'Hissarlik. Les nécropoles cypriotes notamment qui, comme celle d'Alambra. (Cesnola-Stern, Cypern., p. 82 et suiv.) sont antérieures à la colonisation phénicienne, témoignent d'une civilisation analogue à celle de l'époque troyenne primitive. Voyez Janitschek, Das Repertorium für Kunstwissenschaft, IX, 2, p. 200.

Sur les plus anciennes nécropoles cypriotes M. Dümmler a publié, depuis, un excellent compte-rendu, dans les Mittheilungen des arch. Instituts (Athen. Abtheil.) XI, 1886, p. 209 et suiv.

[2] Schliemann, Ilios, p. 270-271, 277, 279, 495-496, 634-635. — Schliemann, Troja.

[3] Voyez Buchholz, Die homerischen Realien, I, p. 355 et suiv. Voyez aussi plus loin chap. XXIV.

[4] Iliade, XVII 297. Voyez plus loin ch. XXIV.

[5] Schliemann, Ilion, p. 530, 538, 564, 565, 566 ; Troja, p. 101, 105, 112. De semblables pointes de lances et de flèches se rencontrent également dans la nécropole d'Alambra (Cesnola-Stern, Cypern, pl. XI).

[6] Iliade, XVIII, 600.

[7] Schliemann, Troja, p. 1-6, 38 et suiv. p. 183-184, p. 216.

[8] Dumont et Chaplain, Les Céramiques de la Grèce propre, I, p. 9 et 12 ; Schliemann, Troja, p. 458. Les vases d'argile peint manquent dans les couches primitives (Ilios, p. 253, 256-257 ; Troja, p. 152-153). Les fragments avec ornements géométriques peints et sphinx ailés ont été trouvés sous les ruines de l'Ilion éolienne. (Ilios, p. 684 ; Troja, p. 268 ; Dumont et Chaplain, Les Céramiques, p. 9, fig. 20, 21.)

[9] Schliemann, Troja, p. 419 et Ilios, p. 8-10.

[10] Ilios, p. 473-475.

[11] Schliemann, Ilios, p. 684-687 ; Troja, p. 217 et suiv.

[12] Fouqué, Santorin et ses éruptions, p. 92-131.

[13] Fouqué, pl. XXXIX-XLII p. 106-108, 112-114, 117, 120, 122-127. — Dumont et Chaplain, Les Céramiques, I, pl. I, II, p. 19-42.

[14] Fouqué, p. 98, 105, 112. 121, 124, 125, 128.

[15] Fouqué, p. 105, 121.

[16] Fouqué, p. 129.

[17] Lettre de F. Dümmler.

[18] Arch. Zeit., 1873, p. 104-103 ; Newton, Essays on Art, p. 284 et suiv. ; Gaz. Arch., V (1879) pl. 26, 27, p. 202 ; Lenormant, Les antiquités de la Troade, II, p. 34 ; Dumont et Chaplain, Les Céramiques, pl. III, p. 43-46, p. 60-61, fig. 36.

[19] Le caractère de la nécropole de Ialysos a été déterminé, autant que c'était possible, d'après les procès-verbaux de fouilles de Biliotti, par Furtwängler et Löschcke (Mykenische Vasen, p. 1-18, pl. A-E ; Atlas pl. I-XI). Löschcke (préface, p. VI) apporte un argument probant de plus à l'hypothèse que cette nécropole, comme celles de Nauplie et de Spata, comme le tombeau à coupole de Menidi, est plus récente que les tombeaux en puits de Mycènes : on n'y rencontre point en effet de vases dont le décor est fait avec une couleur éteinte, absolument mate, vases assez fréquents dans ces tombeaux en puits et qui doivent être considérés comme une ramification d'une céramique que nous ont fait connaître des trouvailles plus anciennes (Hissarlik, les plus anciennes nécropoles cypriotes, les tombeaux préhelléniques des îles).

[20] Les Céramiques, pl. III, p. 43-46, 52-54, 60-61.

[21] Les Céramiques, pl. III, 9.

[22] Les Céramiques, pl. III, 1.

[23] Le tombeau à coupole de Menidi édité par l'Institut arch. allem. d'Athènes, p. 48.

[24] Newton, Essays on Art, p. 294 ; Gaz. Arch., V, 1879, p. 201-202.

[25] A Knossos, dans l'île de Crète, on a trouvé également des vases qui appartiennent à cette période. Mais ils sont en trop petit nombre pour qu'on puisse déterminer leurs rapports avec des groupes plus importants. Bull. de corr. hellen., IV, p. 124-127 ; Rev. Arch., 1880, pl. XXIII, p. 359-361 ; Les Céramiques, p. 64-66.

[26] Comparez Löschcke, Mittheilungen des deutschen Institutes in Athen, VI, p. 1-9.

[27] Comparez Movers, Die Phönizier, II, 2, p. 256.

[28] Schliemann, Mykenœ, p. 175 et suiv. — Comparez Milchhœfer, Die Museen Athens, p. 86-98. Là est décrit aussi le tombeau découvert par la Société archéologique grecque après les fouilles de Schliemann.

[29] Sur les tombeaux en puits (Schachtgräber) et sur les couches mycéniennes qui les suivent immédiatement comparez Löschcke, dans la préface à l'ouvrage Mykenische Vasen, p. VI et suiv. de Furtwængler et Löschcke.

[30] Compte-rendu 1877, p. 31-52.

[31] Voyez notamment Iliade, VI, 418-419, XXIII 139 et suiv. 253-257, XXIV, 787-801. Odyssée, XXIV, 65-84. D'après la petite Iliade (Epicor. græcor. fragm., édit. Kinkel, I, p. 40), Agamemnon, furieux, n'aurait pas fait brûler le corps d'Ajax, mais l'aurait fait mettre en bière. Donc refuser l'incinération à un mort était considéré comme un déshonneur. Comparez Welcker, Kleine Schriften, II, p. 291-292, p. 504.

[32] Schliemann, Mykenœ, p. 341.

[33] Schliemann, p. 181, 192, 247,334 338. Comparez aussi Gladstone dans la Préface, p. XLI.

[34] Mitth. des deutsch. arch. Inst. in Athen, III, p. 277.

[35] Mitth. des arch. Inst., III, p. 277.

[36] Mitth. des arch. Inst. in Athen, V, p. 154-155.

[37] Das Kuppelgrab von Menidi, édité par l'Inst. arch. all. d'Athènes, p. 55.

[38] Iliade, XXIII, 166-169. Comparez Odyssée, XXIV, 66.

[39] Odyssée, I, 291 ; II, 222.

[40] Das Kuppelgrab bei Menidi, p. 1-14.

[41] Mitth., V, p. 153-154, p. 155, note I, p. 157, 162.

[42] Mitth., III, p. 263.

[43] Pausanias, V, 13, 4.

[44] Plutarque, Thésée, 36.

[45] Pausanias, II, 23, 8, d'Oreste (Hérodote, I, 68).

[46] Il en est de même pour les corps de Protesilaos (Hérodote, XI, 120).

[47] Arg., IV, 480, 1530-1534.

[48] Mykenœ, p. 340.

[49] Perrot et Chipiez, Hist. de l'Art, III, p. 138, 177-191.

[50] De Longpérier, Musée Napoléon III, texte de la pl. XVII. — Renan, Mission de Phénicie, p. 421.

[51] II Chron., 16, 14.

[52] Hérodote, I, 198. — Strabon, XVI, p. 746. — Lucrèce, De serum nat., III, 889. — Comparez Roscher, Nektar und Ambrosia, p. 56-58.

[53] Statius, Silves, III, 2, 118. — Comparez Curtius, Alex., X, 10.

[54] Hérodote, I, 40. — Strabon XV, p. 735. — Cicéron, Tusculanes, I, 45.

[55] Hérodote, IV, 71.

[56] Xénophon, Hellen., V, 3, 19.

[57] Diodore, XV, 93. Les Romains de l'époque impériale employaient également le miel comme antiseptique. Pline, VII, 35, XXX, 115. — Columelle, XII, 10.

[58] Corn. Nepos, XVII, Agésilas, 7. Plutarque, Agésilas, 40.

[59] Cependant il convient de noter ici tout particulièrement l'observation d'Hérodote (VI, 58) d'après laquelle les pratiques usitées pour l'enterrement des rois lacédémoniens concordaient avec celles usitées chez les Barbares d'Asie.

[60] Hygin, Fab., 136. — Apollod., Bibl. III. 3.

[61] Griechische Mythol., II, p. 475.

[62] Zœga, De origine et usu obeliscorum, p. 268-269.

[63] Iliade, V, 85 ; XVI, 456, 674.

Le même mot revient dans l'Anth. pal., VII, 176 et 537, ainsi que dans les Épigramm. græca ex lapidibus collecta, éd. Kaibel, n. 549, 685 et 1083. Dans l'inscription du cénotaphe de l'Anth. pal., VII, 537 ; le verbe ταρχύειν semble y avoir sa signification primitive. L'expression οΰνομα ταρχύεας (V, 3) a beaucoup plus de sens si on le traduit non par : enterrant le nom, mais bien par conservant le nom grâce à l'enterrement.

[64] Comparez Curtius, Gr. Etym., p. 719. Roscher, Nektar und Ambrosia, p. 59.

[65] Iliade, XXIV, 31, 413, 664, 784.

[66] Odyssée, XXIV, 63.

[67] Iliade, XIX, 38-39.

[68] Iliade, XXIII, 170. Odyssée, XXIV, 68.

[69] Salmasius, Vopiscus, note 3. — Divus Aurelianus, cap. 4. — Hildebrand, Apul. fragm., 9, II, p. 637.

[70] Bull. dell' Inst., 1885, p. 182-183.

[71] Ann. dell' Inst., 1831, p. 119-120, 1879, p. 240-245. Bull., 1866, p. 179-180 ; 1886, p. 31-32.

[72] Annales, XVI, 6.

[73] Schliemann, Mykenœ, p. 229, 253-257, 332. — Overbeck, Geschichte der griech. Plastik, p. 34, fig. 4, p. 381. — Comparez Benndorf, p. 66.

[74] Benndorf, p. 66.

[75] Perrot et Chipiez, Hist. de l'Art., III, p. 464-465, 899-900. Dans la collection d'antiquités sardes appartenant au juge Spano, mort il y a quelques années à Oristano, nous avons pris la note suivante : masque avec barbe de satyre (haut. 0m,20, larg. 0,15) en terre jaune rougeâtre avec traces de couleur, trouvé, dit l'étiquette, dans un tombeau de Tharros sur le visage d'un cadavre ; il a un nez camus, sur la partie supérieure du front un diadème bas et le long du visage une série de trous qui servaient à passer des fils.

[76] Iliade, VIII 43 ; XIII 26.

[77] Schliemann, Mykenœ, p. 263, 346.

[78] Mariette, Notice des principaux monuments du Musée à Boulaq, p. 261 (de la parure de la reine Aah-hotep, fin de la 17e dynastie, environ dix-septième siècle avant J.-C.)

[79] Exode, XXVIII 15-30, XXIX 8-21.

[80] Grifi, Mon. di Cære, pl. I. — Mus. Greg., I, 82-83. — On a trouvé récemment un spécimen analogue dans un tombeau de Tarquinies : Bull. dell' Inst., 1885, p. 214.

[81] Άθήναιον, IX, p. 162-169, X, p. 309-320. Mitth. des arch. Inst. in Athen, VII (1882), pl. VIII. p. 241-250, VIII (1883), p. 3-4. — Bull. de corres. hellen., 1886, pl. I-III, p. 341-356.

[82] Schliemann, Mykenœ, p. 330.

[83] Odyssée, VIII, 443-448.

[84] Iliade, XVIII, 401.

[85] Odyssée, XVIII, 292-301.

[86] Pierres gravées : Schliemann, p. 233, n. 313-315. Anneaux à cacheter, p. 258-259, n. 333-335, p. 402, n. 530, p. 409, n. 531. Cachets d'or carrés, p. 205, n. 253-255.

[87] Schliemann, p. 231, 232, 242, 283, 330, 344.

[88] Schliemann, p. 242, 279, 283, 294, 321, 323, 324, 325, 327.

[89] Il faut y ajouter le verre (Schliemann, p. 179, 184, 185) et le smalt (p. 278, 336, 377). Le mot κύανος employé dans Homère indique très probablement le verre. Voyez chapitre VIII.

[90] Das Kuppelgrab bei Menidi, p. 53.

[91] Duncker, Geschichte des Alterthums, V, 42 et suiv. — Voyez Rheinisches Museum, VIII, 1853, p. 330-332.

[92] Hermes, II, p. 259-284. Cette opinion pourtant est attaquée dans l'Hermes, XXI, p. 106, note 1.

[93] Strabon, VIII, 15, p. 374. C'est ce que disait aussi de Mégare la tradition populaire : Pausanias, I, 39, 5-6.

[94] Arch. Zeit., XXXIV (1876, p. 197. 1882, p. 405). Steffen, Karten von Mykenœ, p. 21-23. — Tiryns, XXX-XXXII.

[95] Schliemann, Mykenœ, p. 58, 90, 91, 97, 100, 102, 103. Milchhœfer, Anfange der Kunst, p. 36, 74.

[96] Voyez chap. VII.

[97] Iliade, XI, 371 ; XII, 437 ; XVI, 457, 675. Odyssée, XII, 14.

[98] Comparez Hehn, Kulturpflanzen u. Hausthiere, 3e édit., 119 et suiv.

[99] ) Overbeck, Schriftquellen, 1-26.

[100] Schliemann, p. 189, 311, 313. Des couteaux en obsidienne ont été trouvés également dans le tombeau à coupole découvert près de l'Heraion d'Argos (Mitth. d. deut. arch. Inst. in Athen., III, p. 281, 284) ; des pointes de flèches et des couteaux de même matière sous les ruines du palais de la citadelle supérieure de Tirynthe. (Schliemann, Tiryns, p. 88, 195-196.)

[101] Helbig, Die Italiker in der Poebene, p. 94, note 3. Zannoni, Gli scavi della Certosa, pl. XV, 16-19, p. 66. Bull. di paletn. italiana, VI, p. 159.

[102] L'usage des armes de pierre semble s'être conservé longtemps en Orient à côté de celui des armes en fer. Dans le butin que le roi Thutmes III rapporte de ses campagnes d'Asie, il y avait des haches en pierre : Brugsch, Geschichte Ægyptens, p. 344. Les Éthiopiens qui combattaient contre la Grèce sous les ordres de Xerxès avaient des flèches à pointes de pierre : Hérodote, VII, 69. Comparez Chabas, Études sur l'antiquité historique, 2e éd., p. 129.

[103] Pausanias, I, 1, 3, 6. — Comparez Helbig, Die Italiker in der Poebene, p. 134.

[104] Plutarque, Lycurgue, 13. — O. Muller, Dorier, II, p. 254.

[105] Plutarque, Kleomenes, 11 ; Kritias près Liban, Or. 24 (περί δουλείας), II, p. 86. — Comparez O. Muller, II, p. 245.

[106] Odyssée, IV, 44-47, 71-75.

[107] I, 5, 3. III, 94, 4. — Comparez Hérodote, VI, 127.

[108] Pausanias, VI, 24, 7.

[109] Pausanias, V, 16, 1. Bœtticher, Olympia, p. 191 et suiv. ; Dörpfeld, dans les Historische Aufsätze E. Curtius gewidmet, p. 148-150.

[110] Movers, Die Phœnizier, II, 2, p. 129-132, 263.

[111] Movers, II, 2 p. 249-257.

[112] Pausanias, III, 1, 7-8. Movers, II, 2, p.267.

[113] Movers, I, 2, p. 279.

[114] Thucydide, I, 9.

[115] Iliade, VII, 180 ; XI, 46. Odyssée, III. 305.

[116] Hérodote, I, 69. — Pausanias, III, 10, 10. Comparez Bœckh, Staatshaus., I, p. 6-7.

[117] C'est ainsi que procédèrent encore les Péloponnésiens en 429 av. J.-C. lorsqu'ils entourèrent Platées d'ouvrages de siège : Thucydide, II, 78. — Comparez aussi IV, 67, 1.

[118] Schliemann, Troja, Register p. 454. Comparez Dörpfeld dans les Historische Aufsœtze Curtius gewidmet, p. 141-142.

[119] Telles étaient les murailles de Mantinée (Xénophon, Hell., V, 2, 5. Pausanias, VIII, 8, 5), une partie des murailles d'Athènes (Vitruve, II, 8-9. — Pline, XXXV, 172), ainsi que les longs murs conduisant au Pirée, les murailles de la citadelle de Thesphe (Ulrichs, Reisen in Griechenland, II, p. 84) et les antiques murailles en briques d'Éleusis : Πρακτικά, 1884, p. 75 et suiv.

[120] Comparez Nissen, Pompeianische Studien, p. 24 et suiv. — Blümner, Technologie, II, p. 9-10. — Dörpfeld, p. 141-145.

[121] Hérodote, I, 17.

[122] Hérodote, I, 141.

[123] Blouet, Expédition de Morée, II, pl. 66-71, p. 152-84. Mittheil. des arch. Inst. in Ath., IV, p. 177-182.

[124] Mittheil., III, p. 271-286. — Milchhœfer, Die Museen Athens, p. 102a.

[125] Schliemann, Orchomenos, Leipzig 1881. — Adler, Tiryns, p. XLVI-XLVIII.

[126] Das Kuppelgrab bei Menidi, édité par l'Inst. arch. allem. d'Athènes, 1880. — Milchhœfer, p. 105-106.

[127] Das Kuppelgrab bei Menidi, p. 48.

[128] Άθήναιον, VII, p. 183-201 ; VIII p. 517-526. Mittheil., I, p. 143-163.

[129] Άθήναιον, VI, pl. 1-6, p. 167-203. Mitth., p. 82-84, 261-276. — Schliemann, Mykenœ, p.431-437. — Bullet. de corresp. hell., I, p. 261-264, II, pl. XIIIXIX, p. 185-228. — Milchhœfer, Die Museen Athens, p. 102-104.

[130] Mittheil., I, p. 152.

[131] Das Kuppelgrab bei Menidi, p. 52.

[132] Mittheil., II, p. 275. — Dumont et Chaplain, les Céramiques de la Grèce propre, p. 61-64.

[133] Das Kuppelgrab, p. 48.

[134] Mullenhoff, Deutsche Alterthumskunde, I, p. 58-60.

[135] Mittheil., VII, p. 248-251.

[136] Schliemann, Tiryns, 1886.

[137] Schliemann, Tiryns, p. 338-350, 395-397.

[138] Voyez Mykenœ, p. 175, n° 222 et p. 189. Comparez aussi le fragment de frise, p. 110 n° 153.

[139] Dörpfeld, loc. cit., p. 323-327.

[140] Tous les petits rectangles sont en smalt bleu, ainsi que toutes les pièces rondes qui se trouvent dans les spirales et au centre des rosaces.

[141] Schliemann, Mykenœ, p. 215, 218, 249-250, 262, 264, 270.

[142] Blouet, Expéd. de Morée, II, pl. 70. — Murray, Hist. of gr. sculpt., I, p. 40, fig. 5.

[143] Schliemann, Mykenœ, p. 109.

[144] Das Kuppelgrab bei Menidi, pl. III, 24.

[145] Mittheil., des arch. Inst., 1886, p. 39.

[146] Tiryns, p. 353 et suiv. Plan n° 125.

[147] Tiryns, p. 372-374.

[148] Monum. dell' Inst., IX, pl. XXXIX, XL. — Ann., 1872, p. 131-181. — Comparez Furtwængler, Die Bronzefunde aus Olympia, p. 9 et suiv.

[149] Comparez Furtwængler, Die Bronzefunde aus Olympia, p. 10.

[150] Annal. dell' Inst., 1872, p. 135, 147, 167.

[151] Annal., 1880, p. 133. — Mittheil des deutsch. arch. Inst. in Athen, VI. p. 112.

[152] Ann. dell' Inst., 1878, p. 311, 312. A Olympie on a constaté la présence de ces ornements géométriques gravés sur des garnitures de bronze, et qui datent de la fin du sixième jusqu'au commencement du cinquième siècle. Furtwængler, Die Bronzefunde aus Olympia, p. 12.

[153] On a découvert récemment, au sud de la rue du Pirée, à Athènes, un groupe de tombeaux analogues à ceux du Dipylon. La disposition de ces tombeaux semble correspondre à celle des tombe a fossa. Il y a là à la fois des traces d'ensevelissement et d'incinération. On y a trouvé aussi, à côté de nombreux vases peints de l'espèce du Dipylon, des armes en fer, notamment de lourdes épées et des pointes de lance. Comparez Cartault dans les Monuments grecs publiés par l'association pour l'encouragement des études grecques en France, II, 1882-1884, p. 41-42.

[154] Ann. dell' Inst., 1872, p. 136, 154-155. Des diadèmes d'or avec figures d'animaux repoussées ont été reproduits dans le Dict. des ant. de Daremberg et Saglio, p. 788, n° 933, et un exemplaire avec centaures et scènes de guerre dans l'Arch. Zeit., LXII, 1884, pl. IX. 1, p. 102 (article de Curtius). On a trouvé, en outre, des scarabées en smalt bleu. Six exemplaires que nous avons vus à Athènes sont lisses et dépourvus de toute gravure. Trois autres sont conservés au musée de Berlin : Milchhœfer, Die Anfœnge der gr. Kunst, p. 43.

[155] Comparez sur les vases du Dipylon, Kroker dans le Jahrbuch des deutsch. archaol. Instit., I, 1886, p. 95 et suiv., et Löschcke, dans son introduction aux Mykenische Vasen, p. XI-XII. Kroker cite deux nouveaux faits qui prouvent que les vases du Dipylon sont postérieurs à la pleine floraison de l'Épopée. En effet on y remarque déjà des cavaliers (Jahrbuch, I, p. 97 P, p. 121) et des quadriges (Jahrbuch, I, p. 96 B, p. 121). En outre Kroker fait observer (et c'est assez vraisemblable) que les figures de femmes nues, qui sont caractéristiques dans le style du Dipylon, ont été empruntées à l'art égyptien, notamment à des bas-reliefs qui reproduisent des scènes du culte des morts et sur lesquels les figures de femmes personnifiant les propriétés du défunt sont souvent représentées entièrement ou à peu près nues. Mais il est douteux si cet emprunt a été fait directement à la civilisation égyptienne ou par l'intermédiaire des Phéniciens.

[156] Ann. dell' Inst., 1872, p. 140, 151, 174. — Furtwængler, Die Bronzefunde, p. 19.

[157] Annal. dell' Inst., 1872, p. 165 et suiv.

[158] Monum. dell' Inst., VIII, pl. XXXIX, 1, 2.

[159] Monum. dell' Inst., Ibid. (On les reconnaît notamment sur les deux conducteurs de chars). Comparez Ann., 1872, p. 139, 143. 145.

[160] Arch. Zeit., XLIII, 1885, pl. VIII, 1, p. 131.

[161] Odyssée, III, 73, 105. IX, 38-61, 254. XIV, 85-86, 221-234. XV, 387, 427. XVII, 423-444. XXI, 18-19. XXIV, 111-112.

[162] Iliade, XVIII, 352.

[163] Monum. dell' Inst., IX, pl. XXXIX, 3.

[164] Iliade, XXIII, 262 et suiv.

[165] Monum. dell' Inst., Ibid. Comparez Annal., 1872, p. 167.

[166] Monum. dell' Inst., IX, pl. XXXIX, 2. Trépieds offerts en prix : Iliade, XXII, 164 ; XXIII 259, 264, 513, 702, 718.

[167] Monum. dell' Inst., Ibid., Arch. Zeit., 1885, pl. VIII, 2.

[168] Iliade, XVIII, 590 et suiv.

[169] Monum. dell' Inst., IX, pl. XL, 2.

[170] Annal., 1872, p. 150.

[171] Odyssée, VIII, 443 et suiv.

[172] Annal. dell' Inst., 1872, p. 168, 178, 180.

[173] Monum., IX, pl. XL, 3-4. — Comparez Annal., 1872, p. 152-153. Hirschfeld dans les Hist. Aufsœtze E. Curtius gewidmet, p. 355.

[174] Dans les tombeaux de la rue du Pirée l'on a trouvé également des vases de l'espèce du Dipylon avec des représentations de vaisseaux à proue pointue : Cartault , loc. cit., pl. 4, p. 44, fig. 1.

[175] Monum., IX, pl. XL, 3.

[176] Peut-être faut-il tenir compte ici du style stéréotypé de la description épique. Nous nous demandons même si un épisode de l'Odyssée ne suppose pas l'existence de ces vaisseaux à proue pointue : c'est celui qui traite de l'attaque des prétendants contre Télémaque. Un navire commandé par Antinoüs croise dans le golfe entre Ithaque et Céphallonie pour attaquer le vaisseau de Télémaque revenant du Péloponnèse (Odyssée, IV, 669-672, 842-847 ; XV, 28-30 ; XVI, 351-357, 364-370), tentative qui semble plus naturelle si le navire d'attaque est armé d'une pointe semblable. Cet épisode fait d'ailleurs partie des passages les plus récents de l'Odyssée (Von Wilamowitz-Mœllendorff, Homerische Untersurhungen, p. 98-103, p. 93). Cependant les ξύστα ναύμαχα (lances colossales) avec lesquelles les Achéens luttent contre les Troyens du haut de leurs navires (Iliade, XV, 387-89, 677) n'indiquent pas forcément qu'il y ait eu à cette époque des batailles navales dans la véritable acception du mot. Ces armes peuvent bien n'avoir servi qu'à défendre contre les attaques venant du continent. les vaisseaux qui abordaient sur un rivage.

[177] Layard, Mon. of Niniveh, pl. 71. Voyez l'éd. allem., fig. 65a, 67 ; Perrot et Chipiez, Hist. de l'Art., III, p. 34, n° 8, 9. — Comparez Helbig, Ueber den Pileus der Alten Italiker (Sitzungsber. der bayen. Akad. der Wissensch., 6 nov. 1880), p. 530.

[178] La tradition latine d'après laquelle le tyrrhénien Pisæus aurait inventé les rostra (Pline, VII, 209), n'a pas besoin de réfutation.

[179] Dümmler a eu l'obligeance de nous en faire la communication par écrit ; il se propose de traiter prochainement ce sujet en détail.

[180] Ces épées sont en fer, il est vrai, mais elles conservent encore la forme des épées de bronze. L'opinion de Dümmler se trouve corroborée par la présence d'épées semblables dans les peintures des vases du Dipylon. (Comparez Arch. Zeit. XLIII, 1885, pl. VIII.)

[181] Elle est semblable à celle représentée dans l'Ilios de Schliemann, p. 565, n° 958, qui est en bronze ; elle doit donc reproduire un type en bronze.

[182] Iliade, VII, 141, 144.

[183] Iliade, IV, 123.

[184] Voyez les deux vases du Dipylon publiés dans l'Arch. Zeit., 1885, pl. VIII, 2, p. 134-139, où l'on voit des panthères ou des lions dévorant un homme. Ces figures sont évidemment empruntées aux ouvrages d'or importés. Leurs formes arrondies ont des analogies avec ces derniers.

[185] III, 125. Comparez Odyssée, XV, 105, 126.

[186] Movers, Die Phönizier, II, 2, p. 265, 268.

[187] Zur Geschichte der Anfänge griechischer Kunst (Sitzungsber. der Wiener Akad., 1870), p. 18.

[188] Ann. dell' Inst., 1872, p. 157, 172.