L'ÉPOPÉE HOMÉRIQUE EXPLIQUÉE PAR LES MONUMENTS

LES SOURCES

CHAPITRE IV. — L'INDUSTRIE DU NORD.

 

 

Nous avons enfin à tenir compte des industries du Nord. La première période de l'industrie du bronze dans l'Europe centrale est née d'un courant de civilisation venu du Sud-Est[1]. C'est un fait surprenant que ne confirme ni la tradition historique, ni la légende, mais qui n'en est pas moins établi par les analyses comparées de la paléoethnologie moderne. Vient ensuite une période pendant laquelle l'Europe centrale subit certains effets de la civilisation de la péninsule apennine[2]. Cette influence commence à se faire sentir dès l'époque où les peuplades de l'Italie se trouvent dans la phase caractérisée par la nécropole de Villanova et autres semblables, phase de beaucoup antérieure au début de la colonisation hellénique dans l'Ouest[3]. Lorsque plus tard des villes helléniques s'établissent sur les côtes de la Sicile et de la Campanie, elles sont aussitôt entraînées dans le courant des transactions qui reliaient la péninsule au Nord[4]. Dans les plus anciens tombeaux grecs que nous connaissions en Sicile et en Italie, on rencontre une espèce de vases dont le fond jaune est orné de raies brunâtres[5]. Des spécimens analogues ont été mis au jour sur le territoire bavarois[6]. Dans la Roseninsel du lac Starnberg, on a trouvé des fragments de vases du style corinthien[7]. L'hydrie de bronze bien connue trouvée à Grachwyl en Suisse[8] est un travail archaïque grec, probablement chalcidique[9]. Des cistes à cordons en tôle de bronze[10], tous semblables au fond, se trouvent dans la nécropole grecque de Cymé, dans les tombeaux des Osques de Campanie, à Allifæ dans le Samnium[11], à Tarente[12], dans la péninsule iapygique[13], en Apulie[14], en Étrurie, près de Vulci[15], dans le Picenum[16], dans la vallée du Pô[17] et dans différentes localités de l'Europe centrale[18]. Dans la première comme dans la seconde de ces périodes on imitait, dans l'Europe centrale, des modèles venus du Midi plus civilisé. Bien que ces derniers aient subi des transformations dans le cours des temps, leurs reproductions n'en sont pas moins très importantes pour l'étude qui nous occupe. Dans le bassin de la Méditerranée, les diverses phases de la civilisation se succèdent rapidement, les types industriels se transforment vite ; il n'en est pas de même de l'Europe centrale où les formes d'armes et d'ustensiles, une fois adoptées, se conservent longtemps. Voilà pourquoi telles formes, transportées du bassin méditerranéen dans le Nord, se trouvent ici en plus grand nombre que dans les lieux d'origine. On est même en droit de supposer que certains types archaïques qu'on ne rencontre plus dans le Midi, se sont conservés dans l'Europe centrale. Nous pouvons donc, avec juste raison, utiliser les trouvailles du Nord comme complément des matériaux trouvés dans le Midi.

Après ce coup d'œil sur les différentes phases de la civilisation envisagées dans leurs rapports avec l'âge homérique, nous allons passer en revue les principaux centres de trouvailles dont nous aurons à tenir compte souvent au cours de notre travail. Afin de prévenir toute critique malveillante, nous devons déclarer que nous n'avons pas à recueillir ici tous les matériaux d'une histoire de l'art grec préclassique ; de même, une étude approfondie de chacune de ces trouvailles dépasserait les cadres du présent ouvrage. Nous nous bornerons à examiner et, si possible, à déterminer surtout les rapports chronologiques qui peuvent exister entre les groupes d'objets trouvés dans ces centres et l'Épopée. Notre exposé gagnera ainsi en brièveté et en précision. En étudiant plus tard chaque modèle en particulier, nous n'aurons plus qu'à renvoyer le lecteur aux deux chapitres qui vont suivre.

 

 

 



[1] Comparez Vorsaae, La colonisation de la Russie et du nord scandinave et leur plus ancien état de civilisation, dans les Mémoires de la société des antiquaires du Nord, 1872-77, p. 73 et suiv. — Montelius, Compte rendu du 7e congrès international d'archéologie et d'anthropologie (Stockholm 1876), I, p. 499-501. — Id., La Suède préhistorique (Stockholm 1874), p. 38 et suiv. — Sophus Muller, Die nordische Bronzezeit, Jena 1878. — Undset, Études sur l'âge du bronze de la Hongrie, I, Christiania, 1880.

[2] Comparez Undset, Das erste Auftreten des Eisens in Nordeuropa, Hambourg, 1882, où l'auteur résume tout ce qui a été écrit sur ce sujet. Voyez aussi Bull. di paletnol. ital., VIII (1882), p. 36-44.

[3] Comparez sur ce sujet notre chap. VI.

[4] Tous ces faits ont été exposés dans les Ann. dell' Inst., 1880, p. 236-255.

[5] Voyez Helbig, Die Italiker in der Poebene, p. 84-86. — Furtwängler, Die Bronzefunde in Olympia, p. 47 et 51.

[6] Lindenschmit, Die Altertümer unserer heidn. Vorzeit, 3e vol. — Sur les autres trouvailles analogues faites en Bavière, voir Ann. dell' Inst., 1880, p. 237.

[7] Beiträge zur Anthropologie und Vorgeschichte Bayerns.

[8] Arch. Zeit., 1854, pl. LXIII. — Ann. dell' Inst., 1880, p. 238, note 2.

[9] Ann. dell' Inst., 1880, p. 238-240.

[10] Tout ce qui a été trouvé avant 1879 a été publié dans les Ann., 1880, p. 240-255. Nous ne notons ici que les découvertes ultérieures.

[11] Ann. dell' Inst., 1884, p. 267.

[12] Gaz. arch., VII, p. 93.

[13] Dans la nécropole de Rugge : Bull. dell' Inst., 1881, p. 193-194.

[14] Dans la nécropole de Gnathia : Gaz. ach., VII, p. 93.

[15] Ann. dell' Inst., 1885, p. 36-37, note 3.

[16] Ann. dell' Inst., 1881. Bull., 1882, p. 207-208.

[17] Notamment à Castelletto Ticino (Not. degli scavi, 1885, p.27) et prés d'Este (Bull., 1882, p. 81).

[18] Tout récemment on en a trouvé quatorze exemplaires à Kurd, en Hongrie, dans la rivière Kapos ; ils étaient renfermés dans un récipient de bronze. Voyez Die ungarische Revue, VI. Wosinsky, Etruskische Bronzegefässe in Kurd (Budapest, 1886, 4e fasc.).