Les colonnes de Gauthier-sans-Avoir et de Pierre avaient donné le signal du mouvement en Occident ; jusqu'à la fin de l'année suivante il y eut départ sur départ, et il ne pouvait guère en être autrement, car, même après le départ des premières bandes, la prédication de la Croisade avait suivi son cours. Une de ces colonnes, forte de 12.000 hommes, était commandée par lin prêtre nommé Volkmar ; elle fit route par la Saxe et la Bohème ; à Prague, elle se livra à des excès contre les juifs[1] ; elle se fit détruire à Neitra, au nord-ouest de la Hongrie : quelques individus à peine échappèrent au massacre[2]. La colonne de Pierre l'Hermite fut suivie à quelques jours d'intervalle par un prêtre allemand, nommé Gottschalk[3], à la tête de 15.000 croisés ; il les dirigea vers la Hongrie par la Franconie orientale et la Norique ; ils eurent le même sort que les compagnons de Volkmar[4]. Ils avaient choisi, aux environs de Wieselbourg, une position naturellement forte, s'y étaient retranchés, et de là ils rayonnaient dans les environs, exerçant sur les habitants toutes sortes d'exactions ; révoltés à la fin, les habitants massacrèrent les uns, dispersèrent les autres[5] ; bien peu en revinrent. La même fin attendait les bandes indisciplinées conduites par le comte Emich de Leiningen : fortes de 12.000 hommes[6], elles commencèrent par exercer d'épouvantables sévices à l'égard des juifs de la province du Rhin, pendant les mois de mai et de juin 1096, puis se dirigèrent vers la Franconie en longeant le Mein et le Danube. Pendant six semaines, elles s'obstinèrent à donner l'assaut à la forteresse de Wieselbourg, défendue par les soldats du roi Coloman, et subirent de grandes pertes. Enfin, un dernier assaut fut livré ; il semblait être sur le point de réussir, quand, sans cause apparente, le découragement se mit dans les rangs des assaillants et ils prirent la fuite. Poursuivis par les Hongrois, l'épée dans les reins, un grand nombre furent massacrés ; beaucoup périrent dans les flots du Danube. Cela se passait vers la fin de juillet 1096[7]. A cette époque, Pierre était déjà arrivé à Constantinople. Au milieu du mois d'août, Godefroi partit de la Lorraine. Son armée, bien conduite, traversa en bon ordre la Bavière, l'Autriche, la Hongrie et la Bulgarie et atteignit Constantinople le 23 décembre. Elle passa l'hiver campée aux environs de la capitale, et traversa le Bosphore le 8 ou le 10 avril 1097[8]. Au commencement de ce même mois d'avril 1097, étaient arrivés à. leur tour, avec leurs troupes, Bohémond de Tarente, Robert de Flandre et Raimond de Toulouse ; ils étaient partis à la fin de l'automne, le premier du sud de l'Italie, les autres de France. Après avoir accordé à leurs troupes quinze jours de repos, ils passèrent le Bosphore. Les derniers furent les comtes Robert de Normandie et Etienne de Blois ; ils avaient quitté leur pays au mois de septembre 1096 et arrivèrent sous les murs de Constantinople au commencement du mois de mai 1007 ; ils s'arrêtèrent dix jours dans la capitale et passèrent à leur tour le Bosphore. Toutes ces colonnes se dirigèrent au fur et à mesure sur Nicée ; elles arrivèrent devant les murs de cette place, celles de Godefroi, de Tancrède et de Robert de Flandre, le 6 mai ; celle de Raimond le 16 mai ; celles de Robert de Normandie et d'Etienne de Blois au commencement de juin. Il n'est pas possible de préciser avec certitude auquel de ces différents corps Pierre s'adjoignit ; mais il est très-probable que ce fut à celui de Godefroi, par la raison que, de tous les princes, c'est lui, nous l'avons vu, qui était arrivé le premier à Constantinople. Si l'on en croit Albert, Pierre n'aurait rejoint l'armée principale[9], avec les quelques survivants de son désastre, que sur la côte da Bithynie, en un endroit nommé Rufinel, localité inconnue, située, paraît-il, à une journée de Constantinople[10] ; l'exactitude de ce renseignement nous paraît fort douteuse, du moins si les expressions d'Albert doivent être prises dans le sens où Guillaume de Tyr les a interprétées : Voici, en effet, ce que raconte ce chroniqueur : Ceux qui avaient déjà passé la mer, Godefroi, Bohémond, Robert de Flandre et Adhémar du Puy, se disposèrent à aller de l'avant ; ils voulaient marcher sur Nicée, mais sans se hâter, de manière à donner aux autres le temps de les rejoindre. Après une journée de marche dans la direction de Nicopolis, capitale de la Bithynie, ils virent venir à eux le vénérable prêtre Pierre l'Hermite ; il cavait passé l'hiver dans ces environs et était suivi du petit nombre de ses compagnons qui avaient survécu : il salua les princes et se joignit à leurs troupes. Tout de monde lui fit un accueil amical ; comme on l'interrogeait sur le sort de ses compagnons, il fit un récit complet des évènements et raconta que ceux qui étaient partis en avant avec lui composaient une masse de gens obstinés, incrédules, indisciplinés, et qu'ils avaient été eux-mêmes les artisans de leur propre malheur. Les princes lui témoignèrent beaucoup de compassion, ainsi qu'à ses compagnons, et firent preuve de beaucoup de générosité envers lui et envers sa suite. Guillaume a, sans doute, construit tout ce récit sur ces quelques mots d'Albert : Ibidem Rufinel Petrus Eremita, prœstolatus Principes, cum paucis reliquis suœ attritœ multitudinis adjunctus est[11]. Mais Albert ne dit nullement que Pierre ait passé l'hiver en Bithynie ; il ne parle pas non plus de l'accueil que les princes lui auraient fait. C'est Guillaume de Tyr qui s'est figuré que les choses s'étaient passées ainsi, et il a donné libre , cours à son imagination. En effet, il est bien difficile de croire que Pierre ait été passer l'hiver à quelques pas de l'endroit où son armée avait été presque anéantie par les Turcs, et s'exposer par là à tomber à chaque instant entre les mains le ses vainqueurs. Ajoutons que, du moment où le nombre dos premiers pèlerins avait été réduit à quelques milliers à peine, dont un grand nombre avaient abandonné la partie et étaient retournés dans leur patrie, il n'y avait plus, pour l'empereur, nécessité de les envoyer de nouveau au-delà du Bosphore au moment où il venait à peine de les arracher aux mains des Seldjoucides, et lorsque ceux-ci couraient le pays sur les côtes d'Asie : Si l'Hermite était retourné volontairement sur la côte de Bithynie, il eût fait preuve d'une légèreté impardonnable, et rien ne nous autorise à lui attribuer ce caractère. Non, Pierre a passé soit à Constantinople, soit aux environs de cette ville, en tout cas en Europe, la longue période qui s'étend du mois d'octobre 1096 au mois d'avril 1097[12] ; il a rejoint Godefroi de Bouillon avant le milieu du mois d'avril 1097 et, certainement, peu après l'arrivée de ce prince à Constantinople[13]. Ainsi donc, l'histoire dément à la fois et la version d'Albert, s'il faut l'entendre dans le sens que lui a donné Guillaume de Tyr, et celle de Guillaume lui-même. La notice d'Albert peut avoir quelque chose de vrai, en ce sens qu'elle semble indiquer que Pierre aurait précédé Godefroi de quelques jours en Bithynie et aurait attendu à Rufinel l'arrivée des princes. Mais encore faudrait-il résoudre cette question : par quel motif l'Hermite, dépouillé de toutes ses ressources, se serait-il hâté de prendre les devants, avec les débris de son armée, sur le terrain même où elle avait subi une honteuse déroute et où un sort pareil pouvait l'attendre encore, et cela uniquement pour y attendre les autres et s'y joindre à eux ? Quant à nous, il nous paraît qu'il faut chercher autre part le motif du fait signalé par Albert, fait qui serait en contradiction avec la nature des choses. Nous lisons dans les chroniques que, lorsque les croisés, commandés par les princes, arrivèrent, an printemps de l'an 1097, aux environs de Nicomédie et de Civitot, ils purent se rendre compte, par leurs propres yeux, de l'étendue du désastre subi par l'armée de Pierre : Foucher de Chartres, traversant ces contrées, pousse un cri d'horreur[14] : Oh ! que de têtes coupées et d'ossements nous trouvâmes alors ; au-delà de Nicomédie, les bords de la mer en étaient couverts ; ignorants dans le métier des armes, ne connaissant pas le pays, les malheureux avaient été massacrés par les Turcs ; cette vue nous arracha des larmes de pitié[15] ; et la fille de l'empereur relate que le sol était littéralement jonché d'ossements ; lorsque, plus tard, on voulut les recueillir et les réunir en un monceau, on en fit une véritable montagne ; plus tard, quand les Occidentaux entreprirent de construire sur cet emplacement un château fort[16], ils prirent, dans le tas, des ossements dont ils se servirent en guise de pierres, et, en les mêlant avec de la chaux, ils en firent un mur, qui existait encore à l'époque où la. princesse écrivait ses mémoires. Un an et demi après l'évènement, lorsque les croisés passaient par là, la rencontre de cet ossuaire dut faire sur eux une profonde impression, qu'ils communiquèrent nécessairement, en l'accompagnant ,de réflexions de toutes sortes ; cette rencontre est sans doute le véritable point de départ du renseignement donné plus tard par Albert, sous un forme qui contient un malentendu, dont l'origine doit être attribué soit à lui-même, soit aux témoins qui lui avaient rapporté les faits. On fit de ce champ funèbre le théâtre de la première entrevue de l'Hermite et des autres croisés, et il s'établit ainsi une confusion entre cet évènement, qui avait eu lieu à Constantinople, et le moment où les croisés aperçurent les preuves palpables du désastre. Il est certain que Pierre dut, en cet endroit, présenter à ses compagnons, peut-être à Godefroi en personne, un .tableau de ses aventures, et, sous ce rapport, nous sommes loin de rejeter la relation de Guillaume de Tyr ; mais son erreur est de placer au printemps de l'an 1097 et à Rufinel, localité qu'il confond avec Nicomédie, la première rencontre de Pierre et des compagnons de Godefroi ; nous croyons l'avoir suffisamment démontré. Marche sur Antioche.Toutes les colonnes dont se composait l'armée croisée arrivèrent devant Nicée pendant le courant du mois de mai, ou dans les premiers jours de juin. Pierre marchait avec les premières. On commença le siège de la ville le 15 mai, jour de l'Ascension, sans attendre les colonnes de Raimond et de Robert de Normandie. Le 19 juin, la place capitula et fut remise à l'empereur grec[17]. Huit jours après, l'armée reprenait sa marche ; le 1er juillet[18], elle eut un combat à livrer au prince Seldjoucide Soliman, auprès d'Eskischer (l'ancienne Dorylée) ; elle passa par Antochia parva, Iconium, Héraclée (Eregli) ; ici Baudouin et Tancrède se détachèrent de l'armée pour pousser une pointe vers la Cilicie. Le gros de l'armée continua sa marche dans la direction du Nord-Est, et passa par Césarée de Cappadoce ; de là, il redescendit vers le Sud et, traversant Marasch, se dirigea sur Antioche ; l'avant-garde arriva devant cette ville le 21 octobre 1097[19]. Il y avait dix mois environ que l'armée était partie de Constantinople, et trois mois et trois semaines qu'elle avait quitté Nicée. Sauf un mot dans la Chanson d'Antioche, on ne trouve nulle part la moindre indication sur la situation de ; Pierre à l'armée pendant sa marche à travers l'Asie-Mineure jusqu'à Antioche. Son nom est cité dans le poème à côté des Ribauds et de leur roi Tafur[20] et d'autres héros de la Croisade accourus à l'appel de Bohémond pour combattre Soliman devant Nicée. D'après cela, il semblerait qu'il était attaché au bas peuple ; en tout cas il était trésorier des pauvres pendant la marche d'Antioche à Jérusalem. Rien n'indique qu'il ait rempli cette fonction avant l'arrivée de l'armée devant Antioche, notamment pour les pauvres clercs ; cela n'est d'ailleurs que fort peu probable, car l'institution d'une caisse de secours pour les pauvres n'était certainement pas aussi nécessaire à cette époque qu'elle le fut plus tard, lorsque les évènements de guerre eurent réduit le nombre des croisés, en même temps qu'un déluge de calamités accroissait le nombre des pauvres. Misères du siège d'Antioche.La ville d'Antioche était solidement fortifiée : aussitôt arrivée devant ses murs, l'armée croisée en commença le siège[21]. Pendant quelques semaines, l'allégresse fut grande dans le camp, car on recueillait beaucoup de butin aux environs ; mais la joie ne tarda pas à se changer en plaintes et en gémissements ; vers Noël (1097), à force de piller, on avait épuisé tout le pays ; les vivres commencèrent à atteindre des prix exorbitants[22], et la famine fit bientôt son apparition avec tous ses tourments ; c'était avec des p cilles infinies que l'on se procurait des vivres ; on devait aller les chercher jusqu'à des distances de quarante à cinquante milles ; dans ces courses, il fallait constamment escarmoucher contre les infidèles ; un grand nombre de pèlerins y perdirent la vie[23]. Les assiégeants, affamés, devaient maintenant se contenter des tiges de légumes desséchées, de chardons même, que l'on ramassait dans les champs, et, comme le bois manquait, on ne pouvait même pas les cuire. On mangeait les chevaux, les ânes, les chameaux, des chiens, des rats. On se régalait de leur peau, des excréments qui remplissaient leurs intestins[24]. La pluie tombait à torrents, pourrissait les tentes ; bien des gens devaient, malgré le froid et l'humidité, bivouaquer sans abri[25]. Pendant la semaine qui suivit Noël, on entreprit une expédition pour se ravitailler dans les environs ; on ne rapporta que des chevaux et des armes[26]. Les assiégés faisaient de nombreuses sorties et harcelaient les assiégeante[27]. Enfin Bohémond faisait mine de renoncer à la croisade, sous prétexte que ses ressources ne lui permettaient pas de prolonger cette campagne[28] ; au mois de décembre 1097, Godefroi tomba gravement malade[29] et Robert de Normandie se détacha du côté de Laodicée[30] ; ainsi, dit Foucher[31], les croisés, comme l'or pur, furent sept fois affinés par le feu ; comme les élus de l'ancien Testament, Dieu, par cette famine, les éprouvait et leur faisait expier leurs pêchés. Aussi, rien d'étonnant si bien des gens désertaient en secret pour échapper à une misère chaque jour plus affreuse et tâcher de retourner dans leur patrie par mer ou par terre[32]. Pierre tente de fuir.Au commencement de janvier de l'an 1098, la misère avait atteint son plus haut point ; c'est à ce moment que Guillaume Charpentier déserta, en compagnie de Pierre l'Hermite ; ils n'avaient plus le courage de supporter leurs souffrances chaque jour plus grandes. Mais Tancrède avait eu vent de leur disparition ; il se mit à leur poursuite, les saisit et les ramena au camp après leur avoir fait promettre de revenir avec lui et de donner satisfaction aux chefs de l'armée[33]. L'auteur des Gestes raconte que Guillaume Charpentier passa toute cette nuit couché à terre dans la tente de Bohémond[34]. Le lendemain matin, il comparut devant le prince, qui lui adressa ces paroles : Malheureux, honte de la France et rebut de la Gaule, le plus indigne de tous ceux que porte la terre, pourquoi as-tu fui d'une manière si ignominieuse ? Sans doute parce que tu voulais livrer les soldats du Christ à ses ennemis, comme tu l'as déjà fait une fois en Espagne ? Guillaume Charpentier gardait un silence absolu. Ses compatriotes supplièrent Bohémond de l'épargner, à quoi Bohémond répondit en se déridant : J'y consentirai volontiers, à condition qu'il jure du fond de son cœur de ne jamais quitter le saint pèlerinage, quelle que soit la marche des choses, et que Tancrède et ses gens se déclarent d'accord avec moi. Tancrède donna son consentement et Charpentier fut relâché sans punition. Cependant, ajoute l'auteur des Gestes, peu de temps après, il se sauva secrètement[35] ; c'était six mois plus tard, à l'époque où l'armée franque était enfermée dans Antioche et assiégée par Kerbogha ; à ce moment, bien d'autres encore désespérèrent de l'issue de la croisade et s'esquivèrent en secret, tels qu'Etienne de Blois et autres personnages de marque, auxquels la postérité a infligé le sobriquet de funambules[36]. Il est, jusqu'à un certain point, regrettable que l'auteur anonyme des Gestes n'ait pas insisté davantage sur le rôle de Pierre dans cette tentative de fuite et s'en soit tenu à donner des détails sur la correction infligée à Guillaume Charpentier : Mais nous voyons deux motifs à ce silence : le premier, c'est que probablement il ne voulut pas s'étendre sur les détails qui concernaient l'Hermite, afin de ne point rabaisser celui-ci aux yeux de ses lecteurs, tandis qu'il croyait devoir faire justice de Charpentier : en effet, Pierre a tenu la promesse donnée en ce moment, et il est resté à l'armée et a fait la campagne jusqu'à la fin[37], tandis que Charpentier a rompu son vœu une deuxième fois ; une deuxième fois il a trouvé l'occasion de fuir et il l'a saisie en dépit de son serment. De plus, Charpentier était un des personnages les plus importants da la croisade ; il avait, à l'armée, une tout autre Situation que Pierre ; il était de sang royal[38], vicomte de Melun, parent de Hugues le Grand ; sa force était colossale[39], et l'on tenait certainement plus à sa présence qu'à celle de Pierre. On doit comprendre maintenant pourquoi, dans son récit, l'auteur des Gestes a attaché moins d'importance à la tentative de fuite de Pierre qu'à celle de Guillaume Charpentier. Le second motif, c'est que la désertion de Pierre eût produit un tout autre effet s'il avait encore été en vue comme au commencement, alors qu'Albert et Guillaume de Tyr nous le présentent tomme le principal instigateur de la croisade, ou qu'Anne Comnène pouvait dire de lui que, pendant la marche sur Jérusalem, il était l'évêque des Latins. Telle est, en effet, la singulière qualification qu'elle lui donne dans le récit qu'elle fait de l'invention du Saint Clou (ou de la Ste Lance) ; elle lui attribue le titre d'Évêque ou même de Grand prêtre des Francs, et, à l'en croire, il aurait occupé tette situation pendant la marche de l'armée sur Jérusalem : mais il suffit de faire le rapprochement de cette relation avec les chroniques occidentales et particulièrement avec celle de Raimond d'Aiguilhe, pour reconnaître d'une manière indiscutable que la fille de l'empereur a confondu Pierre avec l'évêque du Puy, et que tout ce qu'elle dit de l'un à cette occasion s'applique à l'autre. On ne voit nullement que Pierre ait joui, pendant la campagne, d'une considération égale à celle qui entourait Adhémar. S'il en eût été ainsi, l'auteur des Gestes n'eût sans doute pas exprimé un jugement relativement aussi modéré à l'égard de l'acte peu glorieux qu'il avait commis sous les murs d'Antioche ; il eût donné plus de détails et eût trouvé des paroles plus sévères ; et les autres témoins oculaires, tels que Raimond, Foucher, Anselme de Ribemont, peut-être même Etienne de Blois, n'eussent point passé un pareil fait sous silence. Aussi, plus tard, lorsque l'auteur de l'Historia belli sacri écrivit sa compilation, vers l'an 1140, comme Pierre, auquel il attribuait, ainsi que nous l'avons vu, une vision surnaturelle, était à ses yeux une personnalité autrement importante et considérable qu'un Guillaume Charpentier, il se trouva empêché de reproduire littéralement le passage des Gestes où le fait est relaté, et crut devoir l'arranger de telle sorte qu'il semble que le traitement infligé à Guillaume Charpentier par Tancrède et Bohémond, n'ait été appliqué qu'à Pierre et que les paroles sévères de Bohémond n'aient été aussi adressées qu'à lui[40]. Le chroniqueur a supposé, sans doute, qu'une erreur s'était introduite dans le texte qu'il avait sous les yeux, car il ne pouvait pas s'expliquer qu'un Charpentier, dont on ne retrouve qu'à peine le nom dans d'autres occasions, eût mérité, par sa tentative de fuite, d'être traité aux yeux des autres croisés d'une manière beaucoup plus ignominieuse que l'Hermite, ce Pierre l'Hermite qui, dans son opinion, avait été le véritable instigateur de la croisade et sur qui, par conséquent, le blâme et la honte auraient dû retomber de plus haut. C'est le même motif qui a inspiré Guibert, lorsque, remaniant les Gestes, il fut arrivé au passage où est relatée la fuite de Pierre et de Guillaume Charpentier : lui qui avait comparé l'Hermite à une étoile tombée du ciel, il lui adresse à cette occasion quelques vers, dans son style prolixe et lui inflige une leçon transparente[41]. Lui aussi, il a été mal satisfait de la brièveté avec laquelle le fait est relaté dans les Gestes et il semble, que trouvant, dans la conduite actuelle de Pierre une contradiction frappante avec l'enthousiasme du début, il ait voulu compléter à sa manière le récit des Gestes et faire ressortir plus vivement le contraste entre les deux époques. Chez l'auteur de l'Historia belli sacri et chez Guibert nous pouvons suivre pas à pas le mouvement d'opinion qui se fit en Occident à l'égard de Pierre l'Hermite. D'abord, pendant l'hiver de 1095-96, il est entouré de la plus haute considération par ceux qui l'avaient entendu prêcher la croisade, puis le désastre de Civitot lui en fait perdre une grande partie, en Occident d'abord, mais surtout chez les croisés venue après lui, et enfin sa tentative de fuite pendant le siège d'Antioche, an mois de janvier 1098, l'achève. Ce fut pour lui une humiliation telle, que ceux qui d'abord avaient été ses plus chauds partisans se sentirent honteux de lui. De là un bruit qui courut et arriva, en l'an 1100 au plus tard, à la connaissance d'Ekkehard ; on se répétait que Pierre n'était qu'un hypocrite : tant était grande l'impression produite par le récit de sa tentative[42] ! On pourrait s'étonner à bon droit de ce qu'Albert, dans sa chronique, n'a point consigné la tentative de fuite de l'Hermite. Peut-être la légende, qui jetait un reflet glorieux sur le rôle joué par lui au commencement de la croisade, avait-elle déjà acquis une telle autorité, qu'Albert, si ce renseignement est parvenu à sa connaissance, devait le prendre pour une fable indigne même d'une simple mention. Mais il est une chose plus probable et plus conforme au caractère d'Albert ; c'est que, de son temps, on ne parlait déjà plus d'un fait tel que celui qui nous occupe, tant la légende s'était imposée et avait effacé le souvenir de tout ce qui eût pu jeter une ombre sur la mémoire de Pierre. Ceci n'est qu'une supposition, mais elle est extrêmement vraisemblable, car Ekkehard, contemporain de la croisade, consignait le fait dans les termes suivants, d'abord dans la première édition de sa Chronique, terminée en 1101, puis dans la deuxième édition, plus complète, publiée en 1106 : Petrum multi postea hypocritam esse dicebant : or, dans les éditions postérieures de la Chronique et de l'Hierosolymita, ce passage est ou bien sauté ou bien supprimé ; c'est que, sans aucune doute, dès les premiers temps qui suivirent la croisade, la mémoire de ceux qui y avaient pris part fut entourée de la glorieuse auréole des martyrs ; celle de Pierre en profita et il devint impossible d'admettre qu'un bruit pareil eût un fond de vérité. Guillaume de Tyr ne savait, parait-il, rien non plus de la tentative de fuite de l'Hermite. Dans sa relation de la première croisade il suit Raimond d'Aiguilhe et Albert : et cependant il est permis de douter que ce fait soit jamais arrivé à sa connaissance. Peut-être aussi n'a-t-il supprimé ce renseignement que pour ne pas rabaisser la gloire de Pierre[43]. Accola suit la relation de Guillaume de Tyr. Mais, depuis la publication de la première édition imprimée de l'Historia Hierosolym. du moine Robert[44], depuis que Bongars a publié les sources relatives à la première croisade[45] il n'ont plus permis à un historien digne de ce nom d'ignorer la tentative de fuite de l'Hermite. Néanmoins ni d'Oultreman ni de Waha n'en ont écrit le plus petit mot ; il est évident qu'ils n'ont pas voulu rabaisser aux yeux de leurs lecteurs leur héros, leur saint personnage ; d'autres, au contraire, se sont étendus sur ce fait et en ont profité pour maltraiter Pierre de la belle manière. Maimbourg[46], par exemple, raconte que ce grand jeûneur, comme il nomme l'Hermite, après s'être fait la réputation d'un saint par ses rigueurs volontaires, ne put pas supporter la rigueur d'un jeûne forcé, et il tire de là cette belle conclusion, prononcée d'un ton déclamatoire, qu'il n'y a pas à faire grand fonde sur la sainteté en ce bas monde, surtout lorsqu'elle fait beaucoup de bruit autour d'elle. Écoutons encore Haken[47] : Chez qui l'imagination ne succéderait-elle pas à l'étonnement, en apprenant que l'homme qui avait su, par l'ardeur de sa parole, entraîner sur ses traces des centaines de mille individus, que Pierre l'Hermite s'offrit à lui (Guillaume Charpentier) pour l'accompagner dans sa fuite ? Ce n'était qu'un cerveau brûlé ; les fatigues, les épreuves physiques avaient fini par calmer son ardeur, et il commençait à comprendre que cette guerre n'était point aussi sainte qu'il l'avait affirmé dans ses prédications, et qu'un jeûne forcé était toute autre chose qu'un jeûne volontaire, que l'on pratique au milieu de l'abondance ide toutes choses. Son amour-propre froissé lui faisait voir Adhémar occupant dans l'estime de tous la plus haute situation et lui-même, lui qui avait rêvé d'être d'âme de l'entreprise, rejeté dans l'obscurité, confondu dans les rangs du clergé le plus infinie. D'ailleurs il ne manquait point, dans l'armée, de mécontents qui l'accablaient d'insultes et l'accusaient d'être l'auteur de leurs misères[48]. La faim, la peur de la peste, peut-être aussi une pieuse horreur pour les excès qui se commettaient dans le camp, jointes à une inconstance naturelle, lui mirent des ailes aux pieds, et, un beau soir, il disparut avec Guillaume. En traitant ce point d'histoire il ne nous est pas permis de laisser de côté l'opinion de Vion ; pour cet écrivain, il n'est pas admissible que le saint et courageux personnage ait jamais tenté de fuir. Il proteste contre le renseignement donné par Robert et par Guibert selon lui, ces deux chroniqueurs, pour faire un pareil récit, ont dû être animés à l'égard de l'Hermite de sentiments de haine et de rancune causés par la haute considération dont il jouissait. Il loue des historiens contemporains, d'avoir eu la prudence de taire le fait raconté par Guibert, et parmi eux à côté de Raimond d'Aiguille, de Foucher de Chartres, d'Albert, il compte Jacques de Vitry, Sanudo et Guillaume de Tyr[49]. La connaissance que nous avons acquise du caractère de ce saint et courageux personnage nous fait, dit-il[50], un devoir de protester contre l'odieuse insinuation de l'abbé Guibert. Comment admettre, en effet, que le regret ou le désir de la bonne chair aurait pu détourner un seul instant notre dévoué missionnaire du soin de presser l'exécution de sa sainte entreprise ? En ce moment surtout où son ancien élève et intime ami, Godefroi de Bouillon, gisait accablé d'une maladie mortelle et avait besoin de ses consolations permanentes, comment aurait-il pu le quitter ? Où serait-il allé, seul, hors du camp, lorsque les rapports journaliers attestaient que les Turcs étaient des maîtres de tous les environs et avait repris les villes que les Chrétiens avaient laissées derrière eux, sans prendre le soin d'y mettre des garnisons ? En examinant quels sont d'un côté les historiens qui accusent, et de l'autre le nombre et l'importance de ceux dont le silence même est une réfutation suffisante, on fera bonne justice de cette imputation qui tombe d'elle-même. Mais la meilleure preuve que Pierre l'hermite est resté à la hauteur de son rôle sublime, et qu'il a mérité constamment l'estime et la vénération des chefs et de d'armée, c'est la mission aussi délicate qu'honorable dont nous allons le voir chargé, au nom de tous, auprès de Kerbogha, quelques jours après cette prétendue fuite, et, plus tard, ses fonctions de vice-roi de Jérusalem. Ainsi s'exprime Vion[51]. Nous en viendrons bientôt à étudier les deux derniers points qu'il touche dans ce passage ; quant à la tentative de fuite, elle. est démontrée par des témoignages solides : il est donc inutile de nous arrêter à la protestation de pet historien ni aux preuves qu'il cherche à établir à l'encontre, mais noue devons lui reconnaître le mérite d'avoir fait pour la glorification de la mémoire de Pierre l'Hermite plus encore que d'Oultreman : celui-ci avait cependant porté l'admiration à un degré qu'il semblait difficile de dépasser, mais il s'était contenté de garder le silence sur toute cette affaire de la tentative de fuite, bien convaincu qu'il était de l'inutilité de ses efforts pour laver de cette tache la mémoire du vénérable Pierre. Mais en voilà assez sur ce point. Après avoir échoué dans sa tentative, l'Hermite dut, bien qu'à contrecœur, supporter comme les autres les souffrances du siège et, sans doute, il campait avec les équipages de l'armée[52], éprouvée par la famine, par la peste, par des désertions nombreuses, l'armée se trouvait dans une situation extrêmement critique et ses chefs multipliaient leurs efforts pour l'en tirer ; néanmoins, la famine se prolongea jusqu'au commencement de février, et elle ne diminua quelque peu qu'après l'arrivée d'une flotte d'Occident, qui aborda dans le port de St. Siméon avec de grands approvisionnements de vivres[53]. Le mardi 9 février, Bohémond battit une forte colonne turque accourue pour faire lever le siège et fit beaucoup de butin[54]. A partir de ce moment, les environs devinrent moins dangereux et l'arrivage des vivres se fit plus facilement : cependant le siège d'Antioche se prolongea encore près de quatre mois ; enfin, le 3 juin 1098[55], grâce à la trahison de Firouz[56], la ville tomba an pouvoir des croisés. Les croisés à Antioche. - Pierre est envoyé en ambassade auprès de Kerbogha.Leur joie ne devait pas être de longue durée. Dès le 5 juin, Kivâmed-daoula-Kerbogha, calife de Mossoul, arrivait sous les murs de la ville à la d'une forte armée et de nombreux contingents alliés[57], et la bloquait complètement[58]. Privée de toute communication avec l'extérieur, les croisés ne tardèrent pas à se trouver dans une situation pire encore que l'hiver précédent. Vivement pressés par les assiégeants, astreints à des efforts continuels pour se défendre, éprouvés par les souffrances d'une horrible famine, ils se virent réduits à toute extrémité. Un petit morceau de pain se payait une pièce d'or ; on mangeait les feuilles des figuiers, de la vigne et des chardons ; on tua les chevaux, les ânes et on en dévora jusqu'à la peau. Bien des gens se nourrissaient du sang de leurs chevaux, dont ils suçaient les veines ; mais ils se gardaient de les tuer, car ils n'avaient pas perdu tout espoir de salut[59]. Raimond de Toulouse et Adhémar du Puy tombèrent malades ; Étienne de Blois déserta avec tous ses gens. Mais, au plus fort de leurs souffrances, un événement extraordinaire vint relever les courages des croisés : ce fut l'Invention de la Ste. Lance, qui eut lieu le 14 juin 1098[60]. Nous avons déjà longuement parlé de ce fait[61]. Cette découverte suscita une joie indescriptible. A partir du moment où les croisés se crurent l'objet d'une faveur divine, le doute disparut de leurs esprits, tous eurent fermement foi au succès final de leur entreprise et conformèrent leur conduite à leur croyance ; au reste, d'autres signes de la grâce divine contribuaient à relever les courages. Le jour de la bataille était fixé au 28 juin[62] ; l'ardeur de combattre enflammait tous les cœurs ; les hommes du peuple eux-mêmes, jusque-là si abattus par la crainte et les privations, reprochaient hautement aux princes de tarder à marcher à la rencontre de Kerbogha[63] ; cependant, la veille, le 27 juin par conséquent, on envoya des ambassadeurs porter à Kerbogha la sommation d'avoir à lever volontairement le siège[64]. Les ambassadeurs étaient Pierre l'Hermite, un certain Herluin[65] et, probablement, encore trois autres personnages[66]. Pierre était le chef de l'ambassade, Herluin son interprète[67]. Pierre s'était sans, doute offert de lui-même ; les Gestes le donnent à entendre et la Chanson d'Antioche le dit positivement[68]. Si cela est vrai, on peut supposer qu'il voulait se rehausser un peu dans l'estime des chefs, que sa biche conduite lui avait aliénée. On peut admettre, en tout cas, qu'en ce moment il se montrait un des plus ardents. On avait déjà traversé tant de dangers sans y périr, qu'il ne doutait plus du succès, et, comme tout le monde, il voyait certainement dans le fait de l'invention de la Ste Lance un signe évident de la protection divine. L'envoi de l'ambassade avait été décidé dans un Conseil des princes[69]. D'après les Gestes,
on y résolut unanimement de faire demander aux ennemis du Christ comment ils
avaient eu la hardiesse d'envahir le pays des Chrétiens et de s'y établir et
pourquoi ils voulaient anéantir les serviteurs du Christ[70] ? Suivant
Raimond, Pierre fut chargé par les princes de faire comprendre à Kerbogha
qu'il devait renoncer à poursuivre le siège d'Antioche, par la raison que
cette ville était le bien de St. Pierre et du peuple chrétien[71]. Suivant
Anselme, l'ambassade était chargée de transmettre au général turc la décision
des princes formulée comme il suit : Ainsi parle
l'armée du Seigneur : éloigne-toi de nous et de l'héritage de St. Pierre, si
tu ne veux en être chassé par la force[72]. Foucher indique
en termes analogues les paroles que Pierre devait adresser à l'émir : S'il ne quittait pas le pays qui, depuis l'antiquité,
appartenait aux Chrétiens, il serait attaqué le lendemain par les croisés[73] ; il pouvait le tenir pour certain. Foucher ajoute
que, si Kerbogha refusait de se retirer, on devait lui proposer de vider le
différend en combat singulier : pour éviter une inutile effusion de sang, on
désignerait de chaque côté cinq, dix, cinquante ou cent champions, et le
parti vainqueur resterait maitre de la ville et du pays[74]. Foucher n'est
pas un témoin oculaire[75], mais ce
renseignement est confirmé par Albert[76], par Caffaro[77] et enfin par
Raimond : celui-ci raconte que, le lendemain, pendant la bataille, Kerbogha
envoya aux chefs des croisés un message par lequel il se déclarait prêt à accepter
la proposition de Pierre ; mais il était trop tard, les croisés refusèrent[78]. Ce passage de Foucher nous renseigne sur le véritable objet
de la mission que Pierre avait à remplir auprès de Kerbogha. En effet, les
croisés ne pouvaient point s'y tromper ; une sommation pure et simple d'avoir
à lever le siège, une menace plus ou moins énergique ne pouvait pas avoir de
résultat ; il s'agissait donc, si le Turc refusait, de trouver un moyen
d'avoir pour soi, dans la lutte qui allait s'engager, le plus de chances
possibles. En effet, malgré l'ardeur qui animait en ce moment l'armée, les
chefs, plus prudents, ne pouvaient perdre de vue que leurs hommes, affaiblis
par la faim et par toutes sortes de privations, pourraient succomber dans une
bataille rangée : un combat singulier leur offrait plus de chances de succès.
C'est, sans doute, la proposition faite par Pierre à Kerbogha qui a donné naissance
à la légende que rapporte Anne Comnène : Le comte de
Flandre, dit-elle, avec trois autres
chevaliers, mit en fuite Kerbogha et son armée. Le dit comte avait demandé
aux autres princes la permission d'attaquer le premier les Turcs, seul avec
trois de ses compagnons, ce qui lui fut accordé. Avant d'en venir aux mains,
il mit pied à terre et se prosterna par trois fois jusqu'au sol en invoquant
Dieu ; puis, poussant le cri Dieu avec nous que tous répétèrent après lui, il
se lança à toute bride vers la colline sur laquelle se tenait Kerbogha,
renversant avec sa lance tout ce qu'il rencontrait sur son chemin : les Turcs
épouvantés prirent la fuite sans attendre que la bataille fût réellement
engagée[79]. Quoi qu'il en soit, d'après ce que nous avons dit jusqu'ici, il nous parait impossible d'admettre que les envoyés aient eu pour unique mission d'aller porter à Kerbogha des menaces, à l'effet de, le déterminer à battre en retraite ; nous nous permettrons donc de modifier quelque peu la description que les chroniqueurs font de leur attitude, Car enfin, il est bien permis de se demander s'il est réellement possible que les envoyés aient montré à l'audience qui leur fut accordée la raideur qu'on leur prête. Ce qui n'est point douteux, c'est qu'à leur retour et surtout après l'heureuse issue de la bataille du lendemain, ils aient dépeint leur propre conduite sous les couleurs les plus dramatiques. Ils ne pouvaient manquer de se vanter de leur hardiesse, de raconter qu'ils avaient peu tenu compte des cérémonies usitées dans ces sortes d'audiences et que leur langage avait vivement impressionné le païen : il fallait cette fanfaronnade pour donner et conserver à leur mission le caractère d'importance qu'ils voulaient lui attribuer. Mais quand on sait que, par crainte pour sa vie, Pierre avait tenté de se sauver du camp des Chrétiens, comment croire que, se trouvant en face du plus puissant ennemi des croisés, à sa discrétion, sans secours à attendre des siens, il ait eu intentionnellement cette attitude rogue et rébarbative ? On raconte par exemple, qu'en paraissant devant Kerbogha il ne consentit pas même à s'incliner et qu'on dut l'y contraindre par force[80]. Il est vrai que c'est un des caractères de cette époque, que l'on trouve souvent chez un seul et même personnage un singulier mélange de violence, unie à la piété ; mais nul doute que les choses ne se soient passées autrement ; on mit Pierre au courant des usages qu'il aurait à observer au cours de l'audience et il s'y conforma, bien qu'avec une répugnance qu'il fit plus tard passer pour de la contrainte. Il en est aussi, sans doute, de même pour le discours que l'on place dans sa bouche. Il y mit, probablement, beaucoup moins de malice et certainement plus de douceur que les Gestes et leurs copistes ne lui en prêtent. Voici ce discours, d'après les Gestes : Nos chefs sont extrêmement surpris de ce que vous vous soyez permis d'envahir sans motif et avec tant d'audace un pays chrétien, qui est en même temps notre bien. C'est à croire que vous n'êtes venu que pour vous faire chrétien ou pour faire du bien à tous les chrétiens. Tous nos chefs vous somment donc de sortir promptement du pays de Dieu et des Chrétiens que le bienheureux apôtre St. Pierre a depuis si longtemps déjà converti à la religion chrétienne par sa prédication. Ils veulent bien permettre que vous emportiez avec vous, là où il vous plaira, tout ce qui vous appartient, c'est-à-dire vos chevaux, mulets, ânes, chameaux, moutons, bœufs, et tous vos bijoux[81]. Naturellement, l'auteur des Gestes met dans la bouche de Kerbogha une réponse du même genre ; car, comme dit le proverbe : à rustre, rustre et demi : voici donc, d'après lui, ce qu'aurait répondu l'émir : Nous ne connaissons ni votre Dieu ni votre chrétienté, et nous les méprisons comme vous. Nous sommes venus ici parce que nous sommes surpris que vos chefs réclament comme leur appartenant un pays que nous avons conquis sur un peuple amolli. Voulez-vous donc savoir ce que nous vous conseillons ? Retournez au plus vite sur vos pas et dites ceci à vos chefs : Si vous voulez vous faire Turcs, renier votre Dieu et abjurer votre religion, nous vous céderons ce pays, ses villes, ses châteaux et encore plus, et aucun de vous n'appartiendra plus à la basse classe ; tous vous serez dans les rangs de la chevalerie, comme nous mêmes, et nous vivrons toujours avec vous dans les rapports d'amitié la plus intime. Si non, sachez que vous périrez ou que vous serez chargés de chitines et menés dans le Chorassan, pour y servir à perpétuité d'esclaves, à nous et à nos enfants. Assurément, la réponse fait pendant à la sommation comme un œil à l'autre ; mais, pour admettre que les envoyés chrétiens se soient permis de faire au général turc une sommation sur un ton pareil, il faudrait commencer par admettre aussi qu'au milieu des difficultés qu'ils avaient traversées, les Francs avaient perdu toute prudence et toute circonspection. Il est bien certain que les paroles que l'on met dans la bouche de Kerbogha et de Pierre l'Hermite eussent été tout autres si l'issue de la bataille avait tourné en faveur des Turcs. C'est parce que les croisés ont été victorieux que l'auteur des Gestes a prêté à Pierre et au général turc ce langage arrogant ; cette victoire a exercé sur lui une influence remarquable ; elle l'a amené à introduire dans son récit, en général si sobre et si véridique, des choses tout à fait incroyables ; dans le nombre nous plaçons au premier rang l'entretien absolument fabuleux entre Kerbogha et sa mère[82]. Ce que nous disons ici de l'auteur des Gestes s'applique encore mieux à ses copistes. Ils entassent invraisemblance sur invraisemblance dans le récit de l'entrevue de Pierre et de Kerbogha. Baudri[83] fait parler Pierre absolument comme si le sort du général turc avait uniquement dépendu de la bienveillance des croisés ; Pierre le somme de se faire chrétien et lui garantit que l'on consentira à lui accorder le baptême ; Robert, au contraire, fait apostropher Kerbogha par Herluin, l'interprète, en ces termes flatteurs : O Princeps nullius militiœ sed totius malitiœ ; sur quoi, Kerbogha, outré de ses insultes, ordonne à l'ambassade, sous peine de la vie, d'avoir à s'éloigner au plus vite de son camp[84]. La Chanson d'Antioche raconte les choses à peu près de même ; son récit est évidemment emprunté à Robert : d'après elle, la réponse de Kerbogha à l'Hermite avait causé à Herluin une telle indignation, qu'il faillit étouffer de colère ; il le traita de fou et de voleur, ajoutant qu'on voyait bien qu'il ne savait pas quel crime c'était que de ne point adorer le Christ, sans quoi lui, Herluin, eût imposé silence à sa gueule d'imposteur. S'apercevant que ces paroles indisposaient l'émir, Herluin s'éclipsa aussi vite qu'il put[85]. D'autre part, le manuscrit (n° 5513) de l'Hist. Jerosol. de Baudri, appartenant autrefois à la bibliothèque du château de Blois et actuellement à la bibliothèque nationale de Paris, renferme un passage qui renchérit encore sur celui que nous citions tout à l'heure ; on y lit que Pierre couvrit Kerbogha d'injures et de malédictions, sur quoi l'un des assistants lui donna un violent soufflet ; Kerbogha, indigné de voir maltraiter ainsi un ambassadeur, fit sur le champ trancher la tête à ce Turc et un interprète dit à Pierre que Kerbogha poussait si loin le sentiment de l'honneur et de la justice qu'il n'airait pu souffrir que personne subît devant lui un pareil traitement et moins encore un ambassadeur que tout autre[86]. Albert prête à l'Hermite une attitude beaucoup plus convenable et plus digne d'un ambassadeur ; mais lui aussi veut que Pierre ait proposé au général turc de se faire chrétien, et ajouté qU'à cette condition les croisés lui rendraient la ville d'Antioche et deviendraient ses vassaux. Kerbogha n'aurait fait que rire de cette proposition et aurait affirmé qu'il ne changerait point de religion. Alors seulement Pierre lui aurait fait la seconde proposition, celle d'un combat singulier entre des champions choisis dans chaque camp, l'avertissant qu'en cas de refus on en viendrait aux mains dès le lendemain. A quoi Kerbogha aurait répondu qu'il laisserait aux croisés le choix, soit de mourir, soit d'être emmenés en captivité chargés de chaînes ; en même temps il montrait à Pierre un gros tas de chaînes de différentes sortes : puis il l'aurait congédié[87]. Guillaume de Tyr[88], qui suit en général le récit d'Albert, affirme expressément que Pierre se présenta devant Kerbogha sans se plier à aucune forme de respect, et lui adressa la parole sans se laisser intimider : il offrit à Kerbogha le choix, ou de lever le siège de la ville, possession légitime des Chrétiens, ou de combattre après un délai de trois jours[89] ; dans ce dernier cas, il lui offrait encore l'alternative, soit de combattre en personne et seul, contre l'un des princes, soit de désigner un certain nombre de Turcs qui combattraient contre un nombre égal de Chrétiens, soit enfin de tenter le sort des armes dans une bataille générale. Les écrivains postérieurs ont traité de diverses manières la question de la mission de Pierre et de l'attitude de Kerbogha, selon que l'un ou l'autre point de vue entrait mieux dans leurs idées ou qu'ils tenaient plus ou moins à ménager sa considération : en général, ils ont donné libre cours à leur imagination. D'après d'Oultreman, on n'aurait offert la mission à Pierre, qui l'accepta, qu'après l'avoir offerte aux princes, qui, eux, l'auraient refusée. Cependant d'Oultreman laisse avec raison de côté tout ce qui a été dit de la grossière attitude des envoyés ; selon lui ils n'auraient point enfreint les règles de la politesse, bien que Kerbogha s'exprimât avec une extrême arrogance sur leur compte et sur celui des Chrétiens[90]. Parmi les auteurs modernes nous citerons Mailly et ceci
nous fournira l'occasion de donner un exemple de sa manière d'exposer les
faits et de rectifier les renseignements qu'il a reçus[91] : On résolut, dit-il, d'envoyer
une députation à Kerbogha ; et ce fut sur Pierre l'Hermite qu'on jeta les
yeux. Dans toute autre occasion, un pareil choix aurait paru insensé. La physionomie
ignoble de Pierre, sa petite stature, la pauvreté et le ridicule de ses
habillements ; tout était capable d'inspirer au roi de Mosul le plus profond
mépris pour le député et ceux qui l'envoyaient. . . . . . . . . . . .
. . . . Mais il s'agissait ici d'épouvanter l'ennemi
par le fanatisme ; et nul n'y était plus propre que Pierre. Le recouvrement
de la Lance l'avait rendu tout entier au feu qui l'avait précédemment dévoré
: il avait été le premier à croire le miracle possible, le premier à se
prosterner devant ce prétendu gage de la protection du Ciel ; et ce prestige
n'avait servi qu'à persuader plus intimement qu'il en était l'instrument, et
que c'était de lui qu'il tenait sa mission[92]..... Il ne trompa point leur attente. Son discours à Kerbogha,
qui lui avait envoyé un sauf-conduit, ainsi qu'à Herluin, dont il était
accompagné, comme interprète, respirait son enthousiasme ordinaire, comme ses
premières démarches, en se présentant devant ce général, indiquaient le
mépris le plus dédaigneux pour les infidèles. Sans être épouvanté, ni de
l'air menaçant du Sarrasin, ni de l'éclat de sa cour, qui environnait l'espèce
de trône qu'on lui avait dressé, ni de la nombreuse garde qui l'entourait ;
ce ne fut qu'avec peine qu'on lui fit courber le corps devant le Roi de
Mosul, malgré les menaces des Musulmans, qui, indignés de sa fierté, auraient
violé contre lui le droit des gens, s'il ne se fût enfin rendu et abaissé
devant le prince. Sa harangue répondit à un début aussi hautain..... il était chargé de leur faire trois propositions. Qu'ils
eussent à lever promptement leur camp et à retourner en paix dans leur pays ;
on leur promettait de ne point les inquiéter dans leur retraite..... ou, ce qui valait mieux, et ce qu'il leur conseillait d'exécuter,
qu'ils abjurassent leurs faux dieux ; et que, recevant le baptême, ils se
rangeassent sous les étendards du Christ ; alors tous les croisés étaient
disposés à les regarder comme des frères, et à leur céder même la possession
de cette ville qui faisait l'objet de leur ambition ; ou enfin, si leurs
infernales divinités avaient assez répandu sur eux l'esprit de vertige pour
leur faire tenter la fortune d'un combat ; qu'ils eussent à choisir du duel
de leur général avec l'un des princes croisés, ou du combat d'un certain
nombre de soldats choisis dans les deux partis, ou d'une bataille générale.....
Si jamais il y eut d'étonnement marqué, ce fut celui
des Sarrasins,..... ils frémissaient tous de
surprise et d'indignation ; ils jetaient les yeux tantôt sur le général comme
pour tâcher de lire sur son visage, s'il partageait les mouvements de leurs
cœurs, tantôt sur l'insolent député, comme s'ils eussent voulu deviner
comment on pouvait allier tant d'arrogance avec un extérieur aussi vil, aussi
peu imposant. Kerbogha, de son côté, resta quelque temps muet d'étonnement et
de fureur : enfin le courroux faisant place à la raillerie et à la plus
insultante pitié, il répondit sur le même ton ; et, avec un ris amer, il
conseilla à Pierre et à son compagnon de sortir bien vite de son camp s'ils ne
voulaient pas qu'on oubliât leur titre de Députés..... Comme, malgré la hauteur de cette réponse, Pierre
paraissait vouloir encore contester ; le roi de Mosul, qui avait peine à se
contenir, et qui avait mis déjà plusieurs fois la main sur son sabre[93], ordonna qu'on le délivrât de ces mendiants, c'est ainsi
qu'il les appelait ; et, pour éviter quelques scènes sanglantes, ils furent
obligés de regagner promptement la ville. Cet extrait suffira pour
montrer à quel point on a brodé et exécuté des variations sur cette affaire
de l'ambassade, que les sources, au contraire, relatent avec tant de sobriété
: avec une pareille méthode il ne peut plus être question de fidélité à la
vérité historique. Wilken, calquant son histoire sur la Chronique de Guillaume de Tyr, donne un détail qui ne se trouve dans aucune des sources ; c'est qu'avant le départ de l'ambassade on avait négocié un armistice avec Kerbogha et que Pierre et Herluin ne partirent pour le camp ennemi qu'après sa conclusion : il donne encore ce détail, introduit frauduleusement dans sa chronique par Guillaume de Tyr, que Pierre prévint Kerbogha d'avoir à se tenir prêt à combattre dans trois jours : enfin il dit que Godefroi de Bouillon s'était préparé à se battre avec Kerbogha en combat singulier ; ce renseignement est tiré de la Chanson d'Antioche. Dans le poème il n'est pas dit que Pierre en ait donné avis à Kerbogha, mais l'auteur raconte en détail le conseil tenu par les princes tandis que Pierre était au camp des Turcs ; s'il faut l'en croire, ils discutèrent sur le choix de celui d'entre eux qui devait se battre seul à seul avec le général turc : ce choix étant tombé sur Godefroi de Bouillon, Robert de Normandie en fut tellement irrité, qu'il fit seller son cheval, dans l'intention de quitter Antioche et de retourner dans sa patrie[94]. Concluons : de quelque manière que l'on se représente cette épisode de l'ambassade, soit que l'on se base sur les quelques renseignements fournis par les sources, soit que l'on se laisse aller aux fantaisies de son imagination, tout ce que l'on peut affirmer comme certain se réduit, selon nous, à ceci : Pierre, envoyé en mission par les princes auprès de Kerbogha, s'est présenté devant ce général en compagnie d'Herluin, et il s'est acquitté de sa mission en se conformant aux coutumes adoptées pour les ambassades à cette époque ; il l'a fait dans les seules formes qui fussent de mise pour obtenir une audience du chef de l'armée turque, et assurément sans affectation de grossièreté : dire le contraire, ce n'est plus écrire de l'histoire, c'est faire de la légende ; rien d'impossible, d'ailleurs, à ce que Pierre, à son tour, ait raconté les choses de cette manière, afin de donner plus d'importance à sa mission. Il est encore certain qu'il a émis la prétention qu'Antioche était une ville chrétienne, et commencé par prier Kerbogha de laisser les chrétiens, en ce moment maîtres de la ville, jouir en paix de leur possession ; puis cette demande étant rejetée, il a proposé le combat singulier. Peut-être laissa-t-il percer dans ses paroles une certaine arrogance, dont il ne s'était déjà pas fait faute en face d'Alexis, mais il n'alla certainement pas aussi loin qu'on l'a raconté plus tard. Kerbogha le congédia en le chargeant de répondre aux chefs des Francs qu'il n'acceptait point leurs propositions et qu'il entendait vider le différend par les armes, si toutefois ils avaient l'audace de se mesurer avec lui. Son intention était, en fait, de réduire la ville par la famine. Sans doute, il fit porter aux chefs des Francs le conseil de bien se pénétrer de cette pensée que si l'issue du combat leur était défavorable, ils n'avaient à compter sur aucun ménagement de sa part. L'ambassade retourna ainsi à Antioche sans avoir rien obtenu[95]. Disons encore, en finissant, qu'Albert[96] termine la relation de l'ambassade par un renseignement qui n'est, d'ailleurs, appuyé par aucune autre autorité : c'est qu'à son retour dans Antioche, Pierre dut raconter à la foule assemblée les péripéties et le résultat de sa mission ; mais, comme il commençait à répéter les menaces proférées par Kerbogha, Godefroi de Bouillon le tira à part et l'engagea à ne rien dire qui pût inspirer de la crainte et de l'épouvante aux gens du peuple et ébranler leur courage : la plupart des historiens postérieurs ont reproduit ce renseignement[97], mais il n'est question de rien de pareil, ni dans les Gestes, ni dans Raimond, ni dans Foucher, ni dans Anselme. Victoire sur Kerbogha, 28 juin 1098.La nouvelle du retour de l'ambassade se répandit promptement dans toute la ville. Il devenait impossible de reculer le moment de la décision suprême. Toute hésitation cessa ; chacun fit ses préparatifs pour le lendemain, 28 juin 1098[98] ; il s'agissait de briser par la force des armes le cercle de fer qui étreignait la ville. La victoire fut complète. Le camp des Turcs, leurs approvisionnements restèrent au pouvoir des croisés[99]. Leur défaite mit fin pour longtemps à leurs attaques. A partir de ce moment ils durent renoncer à disputer aux Occidentaux la domination de la Syrie[100]. Cette victoire donna en Orient un nouvel éclat à la réputation de bravoure et de puissance des Francs, et il n'est pas impossible que le nom même de l'Hermite ait eu un regain de considération et qu'on l'ait plus souvent prononcé. Il avait eu le courage de prendre volontairement le chemin du camp de Kerbogha, il avait donné une preuve éclatante de dévouement, et écarté par cette attitude le nuage qui, depuis sa tentative de fuite, projetait une ombre sur son caractère et sur la pureté de ses intentions ; les esprits étaient donc mieux disposés en sa faveur et l'on rendait de nouveau plus de justice à sa loyauté. Néanmoins, après cette ambassade, les contemporains ne font que rarement mention de lui, et l'on doit en conclure indubitablement qu'il ne joua plus qu'un rôle secondaire. On sait que, jusqu'au commencement, de l'année suivante, Antioche fut la base des opérations de l'armée croisée en général et de chacun des princes en particulier. Après leur victoire, leur premier acte fut d'envoyer Hugues le Grand offrir à l'empereur Alexis de prendre possession de la ville[101] ; puis le conseil décida que l'on ne s'en éloignerait pas avant le 1er novembre ; la chaleur et la sécheresse étaient telles qu'il eût été imprudent rien entreprendre avant cette époque[102]. Cependant, quelques chefs poussèrent des pointes dans les pays environnants, dans le but de procurer des vivres à leurs gens ; mais toujours ils rentrèrent à Antioche[103]. Le 1er août 1098 Adhémar, évêque du Puy[104], mourut victime d'une effroyable peste qui ravageait la ville : il emportait les regrets de toute l'armée. Dissensions entre les princes.Mais ce qui plus que la peste exerça une influence désastreuse sur la masse du peuple, ce furent les dissensions qui se produisirent entre les chefs. Bohémond élevait des prétentions à la possession de la ville, que, d'ailleurs, on lui avait promise avant de la prendre. Il expulsa, par force, de la citadelle, les gens de Godefroi, de Raimond et de Robert de Flandre[105]. On n'arriva à apaiser la querelle qu'au commencement du mois de novembre, après un conseil de guerre où les princes furent sur le point d'en venir aux mains, aucun d'eux ne voulant renoncer à ses prétentions[106], et encore cette accalmie ne fut-elle point durable. Ils décidèrent d'un commun accord de ne point apporter d'obstacles d'aucune sorte à la marche sur Jérusalem, et ils en firent le serment entre les mains des évêques[107]. Mais comme, en dépit cet engagement, ils retardaient de jour en jour le départ et continuaient à se quereller à tout propos, le mécontentement se répandit dans les rangs des gens du peuple, et surtout chez les plus pauvres, et ils déclarèrent qu'ils entendaient accomplir leur vœu au plus vite, attendu qu'ils voulaient ensuite retourner dans leur pays, et qu'en conséquence ils choisiraient un brave chevalier et le mettraient à leur tête pour marcher à la conquête de la Ville Sainte. Ils chargeaient d'imprécations et d'anathèmes ceux qui manifestaient l'intention de rester en arrière et menaçaient de raser les murailles d'Antioche, moyen extrême pour amener les princes à composition[108]. Marche sur Marra et Irkha.Sous la pression de ces menaces inattendues, on se décida à hâter le départ. Vers le milieu de novembre, Raimond de Toulouse et Robert de Flandre se mirent en marche sur Marra, qu'ils atteignirent le 27 novembre 1098. On 'commença immédiatement le siège ; au bout de quelques jours Bohémond, qui se défiait des projets de Raimond, arriva avec une partie de ses gens ; grâces à ce renfort on put se rendre maitre de la ville dès le Il décembre ; la population fut massacrée avec des raffinements de cruauté[109]. La ville conquise, Raimond et Bohémond s'en disputèrent la possession ; aucun ne se montrait plus empressé d'aller de l'avant ; Bohémond déclarait même qu'ils ne repartirait pas avant Pâques ; or, on était à Noël de l'année 1098 ; voyant cela, les chevaliers et le peuple supplièrent Raimond de se mettre à leur tête ; il lui rappelaient que c'était à lui que l'on avait confié la Ste Lance, gage de la faveur divine ; s'il ne voulait pas les conduire, ils le sommaient de leur remettre la Ste Lance, résolus qu'ils étaient à marcher, fût-ce sous la direction de Dieu seul[110]. Raimond refusa de fixer à lui seul le jour de départ ; il craignait de n'être point soutenu par les autres princes. Il les invita donc à conférer ensemble à Rugia, localité située à peu près à moitié chemin entre Antioche et Marra[111] ; tous ceux qui étaient restés à Antioche vinrent au rendez-vous avec Godefroi. Malgré les instances de Raimond, qui offrait de payer à chacun d'eux de grosses sommes d'argent[112] s'ils voulaient se joindre à lui pour marcher sur Jérusalem, ils prétextèrent toutes sortes de difficultés et l'on se sépara sans résultat. Les plus pauvres des croisés, restés à Marra, ne tardèrent pas à apprendre que Raimond avait l'intention d'y laisser une grande partie des cavaliers et des hommes de pied ; à cette nouvelle la colère des gens du peuple n'eut plus de bornes et, sourds aux prières de l'évêque d'Al-Bara, ils se mirent à raser les murailles de la ville pour enlever tout prétexte aux retards qu'on leur opposait[113]. Ce ne fut point en vain ; le 13 janvier, Raimond reprenait la marche en avant[114] : il reconnaissait dans les actes du peuple révolté un signe de la volonté divine[115], et, d'ailleurs l'horrible famine commençait à faire son apparition ; on dévorait, parait-il, déjà, avec avidité les cadavres à moitié décomposés des Sarrasins tués au moment de la prise de Marra[116]. Quant à Godefroi, à Bohémond surtout, il fut impossible de les décider à se mettre en mouvement ; et il est bien certain que si le bas peuple n'avait exercé une forte pression, si Raimond ne s'était pas laissé contraindre, les dissensions et les hésitations des autres princes eussent donné à l'expédition un coup mortel, et probablement on n'eût jamais réussi à prendre Jérusalem. On voit déjà combien il est injuste de tresser des couronnes à Godefroi et de lui attribuer tout le mérite du succès de la croisade ; en vérité, si cela n'eût dépendu que de lui, de lui que ni prières ni offres d'argent ne pouvaient tirer de son immobilité, la première armée croisée n'aurait probablement jamais mis le pied en Terre-Sainte ; non pas que lui et les autres eussent renoncé à l'atteindre, mais leurs querelles et leurs retards auraient fini par éparpiller leurs forces à ce point qu'il ne leur eût bientôt plus été permis de songer à la conquête de la Palestine. Siège d'Irkha, 14 février 1099.Le 14 février 1099, Raimond arriva devant le château d'Irkha et en commença aussitôt le siège[117] ; en route, à Kafartâb, il avait rallié Tancrède et Robert de Normandie[118]. Pendant ce temps, Godefroi et Robert de Flandre assiégeaient Gibellum (Gibelin) : prévenu par le bruit public, sans doute, de l'approche du Papa Turcorum, à la tête d'une armée[119], Raimond adressa à ces princes un message qui les décida à se joindre à lui, et, au mois d'avril, ils vinrent prendre part au siège d'Irkha. A cette époque, raconte Raimond d'Aiguilhe, on annonça qu'en raison du grand nombre de pauvres et de malades qui se trouvaient à l'armée, le peuple aurait à donner la dîme de tout ce qu'il recevrait. Cette dîme devait être répartie comme il suit : un quart aux prêtres qui disaient la messe ; le deuxième quart aux évêques, et les deux derniers quarts à Pierre l'Hermite, chargé de l'administration des pauvres et du clergé. Cette prescription fut exécutée et, à partir de ce moment, Pierre partageait, dit-on, le produit de la dîme entre les pauvres clercs et les pauvres laïques[120]. Pierre, trésorier des pauvres.Suivant Raimond d'Aiguilhe, on fut amené à prendre cette mesure, d'un côté, pour mettre fin aux vanteries des gens du comte de Toulouse, qui allaient partout racontant le riche butin, les nombreux chevaux arabes qu'ils avaient pris dans le pays des Sarrazins, de l'autre pour calmer les plaintes des pauvres[121]. Mais d'après Tudebode, c'est pendant le siège de Marra que cette mesure fut adoptée par l'assemblée des croisés, sur l'initiative de Pierre Barthélemy, à qui St. André était apparu et avait ordonné de la proposer[122]. Quoiqu'il en soit, il y a de bonnes raisons pour supposer que l'Hermite avait embrassé avec ardeur la cause du bas peuple et porté la parole en son nom, zèle louable, à défaut duquel on ne l'eût sans doute pas chargé de l'administration du trésor des pauvres. Probablement il occupait déjà cette situation à Antioche, alors qu'il s'agissait de faire comprendre aux chefs que de plus longs retards pourraient décourager une grande partie des croisés, et que beaucoup d'entre eux laissaient percer l'irritation que leur causaient les vues égoïstes des princes[123]. Nous pouvons également admettre comme certain que, lorsque Raimond partit d'Antioche, au milieu du mois de novembre, Pierre ne resta pas en arrière avec Godefroi de Bouillon : c'eût été répudier la cause du peuple, que révoltait la politique des princes, renoncer à accomplir son serment ; il suivit donc les bandes de Raimond et de Robert de Flandre au siège de Marra : ces bandes n'étaient pas uniquement composées de Provençaux ; toute la masse du bas peuple s'était jointe à eux[124] ; il est juste d'ajouter qu'après la prise de Marra Robert de Flandre retourna à Antioche, laissant en arrière les plus pauvres de ses gens. Il n'était évidemment resté avec Bohémond, Godefroi et Robert, que les chevaliers et les troupes exercées au service militaire. D'après ce que l'on vient de lire, il est probable que Pierre fut l'un des principaux agitateurs qui poussèrent à la continuation de la guerre et provoquèrent les soulèvements que nous avons vu éclater à Antioche comme à Marra. Pendant l'hiver de 1098-99 la croisade était fort languissante ; ce serait donc l'influence exercée par Pierre sur le peuple qui lui aurait donné son impulsion définitive. Il est bien entendu cependant, que nous ne donnons ceci que comme une supposition : le fait serait difficile à démontrer d'une manière positive, mais, pour nous, il est extrêmement vraisemblable. Quoi qu'il en soit, on peut affirmer que Pierre devait avoir derrière, lui un parti puissant, sans quoi il n'aurait pas occupé la situation que lui attribue Raimond, et surtout on ne l'aurait pas chargé des intérêts du bas peuple et du bas clergé. Il n'est pas à notre connaissance que, pendant la marche de l'armée à travers la Syrie, aucun fait révèle que les capacités pratiques de Pierre aient été au-dessous de sa position ; s'il avait été incapable, personne assurément ne l'eût proposé pour un pareil office, personne surtout n'eût voulu le lui confier. Il est cependant curieux qu'en dehors de Raimond d'Aiguilhe pas un seul écrivain contemporain, pas même Albert, n'ait mentionné cette fonction de trésorier des pauvres, confiée à Pierre l'Hermite[125]. Dans ce silence il y a oubli ou préméditation, et ceci s'applique en tout cas à l'auteur des Gestes, ou bien encore il y a ignorance du fait. Il est très probable que si Raimond d'Aiguilhe l'a mentionné, c'est que, pour lui, la situation de Pierre, son action sur le bas peuple avaient eu une importance capitale et qu'il avait reconnu les résultats de cette influence dans l'attitude du peuple à l'égard des princes, dont la conduite politique lui déplaisait. Il est d'autant plus surprenant que Guillaume de Tyr, qui a, non seulement connu, mais même copié le livre de' Raimond, n'ait pas dit un mot de cela. L'a-t-il fait avec intention ? eût-il cru, en signalant ces faits, rabaisser son héros ? Ses copistes ont fait comme lui, cela est tout naturel ; mais d'autres écrivains, qui 'connaissaient la relation de Raimond et en ont profité sur d'autres points, ont gardé le même silence ; citons, par exemple, d'Oultreman[126], Vion, Paulet. Et pourtant quelle matière à déclamations, quelle occasion de célébrer la gloire de leur héros préféré et de l'exalter à leur façon ! Il est probable que Pierre conserva cette fonction jusqu'après la bataille d'Ascalon ; c'est l'époque où les débris de l'armée croisée regagnèrent leur patrie. Jusqu'à ce -moment, nous ne trouvons plus son nom cité que deux fois dans les sources, à propos de deux événements qui survinrent, l'un immédiatement après la prise de la Ville Sainte, l'autre avant la bataille d'Ascalon. Continuation de la marche sur Jérusalem.Le 13 mai 1099, les croisés avaient levé le siège d'Irkha[127], et repris leur (marche en avant ; le 7 juin, ils arrivaient sous les murs de Jérusalem[128] ; ils avaient donc parcouru cette dernière étape en un temps relativement court. Sur la route qui longe la mer, ils ne rencontrèrent pour ainsi dire point d'ennemis ; sans doute la terreur les précédait et les habitants du pays, effrayés et tremblants, n'eussent pas osé se mesurer avec eux. Déjà, avant leur arrivée devant Irkha, la prise de Marra et les actes de férocité qui la suivirent, puis la prise du château d'Aréthuse, considéré jusque-là comme imprenable, avaient jeté la consternation chez les Sarrazins. La renommée du comte Raimond et la crainte qu'il inspirait étaient telles dans ces régions, que la ville de Camela et le prince de Tripoli lui firent des offres d'alliance, afin d'obtenir sa protection[129]. Le prince de Tripoli surtout était très bien disposé en faveur des princes croisés et leur procura tout ce dont ils avaient besoin. Au milieu du mois de mars et au mois d'avril, la saison redevint favorable, et, comme la moisson fut particulièrement abondante, on commença à se remettre des misères passées. A la fin du mois d'avril et au commencement du mois de mai, les vivres arrivèrent en abondance et les fonctions d'aumônier des pauvres durent certainement donner à l'Hermite moins d'occupation qu'aux jours de grande famine, où les pèlerins pauvres avaient plus besoin de lui. On fit route ainsi par Tripoli, el Batrun, Dschebeil, Béryte, Sidon, Tyr, Ptolémaïs et Haïfa, vers Césarée de Palestine, et de là on arriva par Ramla (et non par Joppé) devant les murs de Jérusalem[130]. A la vue des murs de la Ville Sainte, les cœurs des
pèlerins furent remplis d'allégresse. Ils oubliaient
leurs fatigues et hâtaient le pas, dit Albert, et en arrivant devant les murs, ils fondaient en larmes et chantaient des
louanges du Seigneur[131]. Il s'agit,
sans doute, ici de ces pauvres qui avaient tant insisté pour arriver à
l'accomplissement de leur vœu, car le plus grand nombre, c'est Raimond qui le
constate en gémissant, ne témoignèrent pas, en mettant les pieds sur terre
sacrée, toute le respect dont ils auraient dû être pénétrés. Pierre
Barthélemy avait autrefois dit que, lorsqu'on serait arrivé à deux milles de
Jérusalem, on devrait se déchausser et faire le reste du chemin nu-pieds ;
mais Pierre Barthélemy n'était plus ; il avait subi, le 8 avril le jugement
de Dieu, devant Irkha, et, le 20, il était mort des suites de ses brûlures[132] ; maintenant on
oubliait ou l'on négligeait ses avertissements, et chacun ne songeait qu'à
arriver le premier. L'ambition, le désir des posséder des châteaux, des
villes, se donnait ici libre carrière. Car, parmi
nous, dit le même Raimond, la coutume était que
celui qui entrait le premier dans un château-fort ou dans un village et y
plantait sa bannière, en devenait le maitre et aucun de ceux qui venaient après
lui ne pouvait lui en disputer la possession. Aussi, pendant la dernière nuit
(du 6 au 7 juin), un nombre considérable de croisés partirent en avant
pour aller occuper la région des montagnes et les localités riveraines du Jourdain.
Petit fut le nombre de ceux qui, préférant se conformer aux ordres de Dieu ;
marchèrent pieds nus et soupiraient de cette profanation du sol sacré, et
pourtant aucun ne chercha à détourner un autre de son projet ambitieux. Mais
tandis que nous approchions de Jérusalem avec tant de hâte, les habitants de
la ville firent une sortie, tuèrent trois ou quatre des nôtres et en
blessèrent un grand nombre[133]. Siège et prise de Jérusalem.Jérusalem fut investie et assiégée par trois côtés. La partie orientale restait libre[134]. Au bout de six jours, on tenta une attaque de vive force : on se rendit maître de la première enceinte, mais il fallut s'arrêter là ; on manquait des outils de siège nécessaires pour aller plus loin[135]. Dès les premiers jours, la famine, avec toutes ses horreurs, ajouta ses souffrances, aux fatigues du siège ; enfin, au bout de dix jours, on vit arriver des vivres, expédiés par la flotte mouillée à Joppé, et, avec eux, des ingénieurs capables de construire des machines de siège[136]. Mais de temps à autre encore, la misère se fit rudement sentir ; il fallait aller chercher l'eau à six milles de distance, et ceux qui y allaient, attaqués par les partis arabes qui couraient la campagne, ne le faisaient qu'au risque de leur vie. On transportait l'eau dans des outres en peau de bœuf qui lui communiquaient une odeur infecte[137]. Il fallut attendre que les machines de siège et les tours fussent terminées peur tenter un deuxième assaut. On commença l'attaque dans la nuit du 13 au 14 juillet[138], mais ce fut seulement le 15 au matin que l'on réussit à emporter les murs : à 9 heures, un nommé Leuthold, qui était en tête des assiégeants, mit le pied sur le haut de la muraille ; de là il sauta dans la ville, et fut suivi par les autres. Parmi les premiers se trouvaient Tancrède et Godefroi, qui versa, ce jour-là, des torrents de sang[139]. Alors commença un carnage comme il s'en voit rarement ; il dura sans interruption jusqu'au lendemain matin ; les dernières victimes furent les Sarrazins qui s'étaient réfugiés sur la toiture du temple : Tancrède leur avait donné son fanion un signe de protection et promis la vie sauve, mais il ne put empêcher que tous, femmes et hommes, ne fussent ou égorgés ou précipités sur les dalles du parvis[140]. Il faut lire dans les Gestes ce récit dramatique. L'auteur, témoin oculaire, le termine par ces mots : Tales occisiones de paganorum gente nullus unquam audivit nec vidit, quoniam pyræ erant ordinatæ ex eis, sicut metæ ; et nemo scit numerum eorum nisi solus Deus[141]. Et Raimond d'Aiguilhe[142] raconte le même fait en ces termes : Lorsque les nôtres se furent rendus maîtres des murailles et des tours, ce fut un massacre merveilleux ; aux uns on coupait la tête, d'autres étaient percés de traits et on les forçait à sauter du haut des tours en bas, d'autres furent lentement martyrisés et brûlés vifs. Dans les rues et sur les places, on voyait des amas de têtes, de mains, de pieds, il fallait enjamber des cadavres d'hommes et de chevaux, mais tout cela n'était encore rien, et l'on ne croira pas ce que je vais dire : dans le temple et dans le portique de Salomon, les chevaux marchaient dans le sang jusqu'aux genoux et à la bride : juste jugement de Dieu, que cet endroit fût arrosé du sang de ceux qui l'avaient si longtemps souillé de leurs profanations ! Procession autour de la ville, 8 juillet 1099.Le 8 juillet, huit jours avant la prise de la ville, les
évêques et les prêtres avaient organisé une procession solennelle, qui avait
été décidée la -veille, dans une assemblée générale des chefs et du peuple.
On disait qu'Adhémar, archevêque du Puy, était apparu au prêtre. Pierre
Désiré et lui avait parlé en ces termes : Va trouver
les princes et le peuple, et dis leur : Vous qui êtes venus ici de pays si
lointains, pour prier le Seigneur, le Dieu des armées, purifiez vous de vos
impuretés et que chacun fasse pénitence de ses pêchés ; après cela vous ferez
une procession autour de la ville de Jérusalem en invoquant Dieu et vous
jeûnerez. Si vous faites ce que je vous dis, vous prendrez la ville dans neuf
jours, sinon tous les maux que vous avez soufferts jusqu'ici vous accableront
en redoublant de rigueur. Désiré avait raconté cette apparition au
frère d'Adhémar, nommé Guillaume Hugues de Monteil, au comte Isoard, son
suzerain, et à quelques membres du clergé ; sur leur proposition on convoqua
cette assemblée et la procession fut décidée. Le lendemain, 8 juillet, le
clergé se mit en marche, ayant des cierges à la main et portant les saintes
reliques ; les chevaliers et tous les hommes armés venaient après, avec
trompettes pt drapeaux ; ils marchaient en armes, mais pieds nus. Nous fîmes cela de bon cœur, dit Raimond, pour suivre les ordres de Dieu et de nos chefs. Et lorsque
nous fumes arrivés sur la montagne des oliviers, à l'endroit d'où Notre
Seigneur est monté au ciel, nous nous mîmes à prêcher le peuple et nous lui
dîmes : puisque nous avons suivi le Seigneur jusqu'au lieu de son ascension
et que nous ne pouvons pas pousser notre pèlerinage plus loin, chacun de nous
doit maintenant pardonner à son prochain, afin que Dieu tout puissant nous
fasse aussi miséricorde. Quoi de plus ? ajoute Raimond, tous se pardonnèrent mutuellement, et, faisant vœu de
distribuer d'abondantes aumônes, prièrent Dieu de se montrer secourable, et,
maintenant que son peuple était arrivé au but, de ne point l'abandonner après
l'avoir glorieusement et miraculeusement amené jusque là. Or, Dieu fut
apaisé, car tout ce qui jusqu'à ce jour nous avait fait obstacle, tourna, à
partir de ce moment, en notre faveur[143]. Sermon de Pierre sur la Montagne des Oliviers.Albert rapporte que Pierre remplissait, à cette procession, des fonctions de premier ordre, et nous devons signaler cette indication, car nous ne saurions pas démontrer qu'elle ne soit pas conforme à la vérité historique. Voici ce passage d'Albert : Sur le point de la montagne des oliviers d'où Notre Seigneur est monté au ciel et sur un autre point de la même montagne, celui où il enseigna à ses disciples à prier, Pierre l'Hermite et Arnoulf de Rohes, clerc de grande science et de grande éloquence, prêchèrent au peuple et par leurs paroles apaisèrent les graves dissensions qui, pour diverses causes, s'étaient élevées entre les pèlerins et, particulièrement, entre Tancrède et Raimond[144]. Il est vrai que ni Raimond ni Tudebode ne disent que l'Hermite ait prêché pendant cette procession : cependant ils étaient tous deux témoins oculaires et le dernier dit expressément et avec insistance qu'il était présent à la procession[145]. Raimond ne désigne par son nom aucun prédicateur ; Tudebode nomme seulement Arnoulf, très digne clerc[146], dit-il : cet Arnoulf devint plus tard patriarche de Jérusalem. Mais Raimond dit : namque quum venissemus in montem Oliveti et essemus in loto unde Dominus post resurrectionem ascendit in cœlum, prœdicavimus in populo, dicentes[147] : etc. : cela signifie évidemment, qu'il y a eu plusieurs prédicateurs et que lui-même était du nombre : la foule était telle, d'ailleurs, qu'il ne pouvait en être autrement, si l'on voulait faire comprendre à tout le monde le but de la procession, et, sans doute, on prêcha sur différents points de la Montagne des Oliviers : Tudebode n'entend probablement pas dire qu'il ne fut prononcé aucun autre sermon que celui d'Arnoulf[148]. Nous devons donc croire que le renseignement fourni par Albert est conforme à la vérité, d'autant plus que ce chroniqueur est absolument d'accord avec Raimond sur l'objet du sermon, qui était de réconcilier les esprits, malheureusement divisés, et que, de son côté, l'auteur des Gestes rapporte qu'après la prise de Jérusalem, le 10 août, jour où les croisés se mirent en marche sur Ascalon pour aller à la rencontre de l'armée égyptienne, Pierre resta dans la Ville Sainte, chargé de diriger les cérémonies du service divin[149]. Baudri reproduit un long sermon, prononcé par un orateur qu'il ne nomme pas. Avant l'attaque de Jérusalem, dit ce chroniqueur, les prêtres, revêtus de leurs ornements de fête, prêchèrent au peuple, et l'un d'eux, placé sur une éminence, s'exprima en ces termes : Mes frères et mes seigneurs, écoutez[150], etc. (suit le sermon). Évidemment, Baudri reproduit ici la partie de la relation des Gestes, son modèle, relative à la procession, mais il y fait des changements importants et même il y ajoute des morceaux entiers ; le sermon qu'il cite en est un exemple. Quant à nous, nous n'hésitons pas à déclarer que le sujet du sermon doit être de pure invention[151]. On n'y trouve rien de ce qui aurait évidemment dû en être la note principale, de l'objet que fait bien ressortir Raimond, témoin oculaire et auriculaire de la réconciliation des croisés. Quant, à indiquer d'une manière positive quel orateur Baudri avait en vue, cela est impossible. Mais nous n'aurions point de doute, si nous pouvions déterminer quel est le témoin auquel il a emprunté cette digression et pour lequel il a fait infidélité à son modèle, les Gestes. Il n'a pas eu sous les yeux la relation de Tudebode, sans quoi il aurait, lui aussi, eu en vue Arnulf, cela est certain, et il n'est pas moins certain qu'il aurait donné son nom ; ni les Gestes, celle des sources A laquelle il a surtout puisé, ni les autres écrivains contemporains ne mentionnent le nom d'aucun prédicateur ; il ne connaissait certainement pas non plus la relation d'Albert, car il y eût trouvé le nom d'Arnoulf et celui de Pierre. Le passage qui nous occupe est donc l'un des morceaux peu nombreux qui lui appartiennent en propre, soit qu'il eût appris ce qu'il raconte par ouï-dire, soit qu'il l'ait emprunté à des sources écrites qui nous sont inconnues. Maintenant, comme il n'indique pas de noms, nous devons supposer qu'il n'était pas en mesure de le faire par la raison qu'il ne le connaissait pas lui-même[152]. Tandis que Guillaume de Tyr[153] a reproduit à peu près littéralement et sans développements le renseignement fourni par Albert, nous trouvons chez les écrivains postérieurs un long sermon, qu'ils attribuent à l'Hermite. Nous lisons, par exemple, dans la Conquête de Jérusalem[154] que Pierre, monté sur son âne et suivi des princes et des barons, se dirigea vers la Montagne des Oliviers, et que de là il leur montra les Saints-Lieux et leur fit un sermon sur ce sujet. Accolti[155] se contente de donner le discours d'Arnoulf ; mais d'Oultreman[156], puis Mailly[157], et, naturellement, après celui-ci, Vion[158] connaissent aussi celui de Pierre et abondent en détails qui feraient honneur à leur imagination s'ils n'avaient trop clairement tous les caractères d'une falsification historique. Assurément la Montagne des Oliviers était un point bien choisi pour parler à une foule telle que celle qui était rassemblée en ce moment et pour l'échauffer par la vue de Jérusalem et des provocations insultantes des Sarrazins[159]. Mais dans d'Oultreman et Vion le sujet du sermon n'a rien de commun avec ce que l'on peut supposer historiquement fondé et ce que Raimond nous apprend : quant à Accolti, il fait subir aux paroles d'Arnoulf de telles tortures qu'il devient bien difficile d'y retrouver la relation de Raimond. Voici, entre autres, quelques unes des paroles que d'Oultreman[160] met dans la bouche de l'Hermite : Le voyez-vous, le Sepulchre de Jésus-Christ ? Voilà les tours de l'église qui cache ce noble thrésor. Permettrez-vous que ces mastins déshonorent plus longtemps ce tombeau, qui a seruy de couche à l'Aucteur de la vie ? Et s'il est question de mourir, où trouuerez vous un plus beau lict d'honneur que là où vostre Dieu a sacrifié sa vie pour vous ? Les roches du Caluaire vous appellent, les maisons d'Anne, de Pilate, et autres vous conuient, la terre vous coniure de les remettre ès-mains de ceux qui sçauent le prix du sang qui les a empourprez. Ô l'honneur ! Ô la gloire ! Ô la joye ! que Dieu vous réserue en ceste ville où il a tant souffert d'affronts et de supplices ! etc. Mailly s'est emparé de ce sermon inventé par d'Oultreman, et l'a entremêlé avec les paroles que Baudri met dans la bouche de son prédicateur. Il est en mesure de nous apprendre qu'Arnold et Pierre parlaient ensemble sur la même place, tournés l'un d'un côté, l'autre de l'autre, et que les paroles de l'Hermite furent celles qui firent la plus vive impression. D'après Haken[161] la procession se serait partagée en deux troupes et chacune d'elles aurait entendu une allocution pathétique. Pierre l'Hermite, aspirant l'air de Jérusalem et surexcité au dernier point, aurait versé tous les flots de son éloquence, et Arnoulf de Rohes aurait fait de son côté tous ses efforts pour arriver au même but. Raumer[162] lui-même ne sait pas se refuser le plaisir de reproduire d'après Accolti le sermon évidemment apocryphe d'Arnoulf. Ces exemples suffisent pour faire voir quel usage on a fait des sources, comment on les a tantôt développées, tantôt laissées absolument dans l'ombre, pour mettre à leur place les produits de l'imagination pure[163]. Le turricola Monachus.Mais voici Vion[164] qui veut encore nous faire passer pour authentique une histoire de sa façon ; il faut tirer la chose au clair. Raimond[165] rapporte que, pendant le siège de Jérusalem, il y avait, sur la Montagne des Oliviers, un hermite auquel on crut devoir demander des conseils relativement aux opérations du siège. Les princes allèrent donc le trouver et, à leurs questions, il aurait répondu en ces termes : Si cras civitatem oppugnaveritis usque ad nonam, tradet vobis eam Dominus. Les princes suivirent son conseil, mais ne purent se rendre maître que de la première enceinte ; il fallut renoncer à pousser plus loin ce jour-là. Raoul touche aussi un mot de ce moine, dans le passage[166] où il raconte l'excursion solitaire que fit Tancrède sur la Montagne des Oliviers, afin de voir de là la ville de Jérusalem ; le moine, qualifié par le chroniqueur de opportunus Doctor turricola, et dans un autre endroit[167] de turricola monachus, aurait cheminé avec lui, et, sur sa demande, lui aurait désigné les points les plus fameux de la Ville Sainte ; entre autres choses, il lui aurait dit que la Grèce était sa patrie[168]. L'auteur de l'Historia belli sacri[169] raconte la même anecdote, d'après Raoul, il est vrai, et la commence en ces termes : Erat enim in eodem monte tunc quidam Dei servus qui se in turri quadam pro divino amore solitarius manebat. Enfin, Albert[170] lui aussi, mentionne le même fait. Les croisés, dit-il, assiégeaient depuis longtemps Jérusalem et la disette d'eau leur avait causé beaucoup de souffrances ; les évêques et le clergé engagèrent les chefs à aller demander avis à un certain homme de Dieu qui erat in antiqua turri proceræ altitudinis in monte Olivarum solitarius ; celui-ci leur conseilla d'ordonner une jeûne et des prières, leur affirmant qu'après cela ils pourraient recommencer l'attaque, certains d'obtenir la victoire.' Cet Hermite est peut-être le même que celui qu'Ekkehard, dans son Hierosolymita[171], nomme Herimannus et que celui que Daniel[172] désigne comme un anachorète austère accablé d'ans, d'un extérieur extrêmement imposant[173]. Mais il ne serait, certes, venu à la pensée de personne de confondre ce Grec avec Pierre l'Hermite, alors que tous les chroniqueurs que nous avons, cités, lorsqu'ils parlent de Pierre l'Hermite, le nomment Pierre en toutes lettres et que l'on peut être certain que, si cet hermite de la montagne des Oliviers avait réellement été l'Hermite d'Amiens, ils l'auraient désigné par son véritable nom. Par quel motif le tairaient-ils, ce nom, connu de toute l'armée ? Vion se permet donc une affirmation absolument inqualifiable[174] quand il prétend faire passer Pierre pour ce turricola solitarius et surtout lorsqu'il déclare qu'il ne croit pas pouvoir faire autrement, — écoutez et admirez ! — parce qu'il a lu ce passage dans les Secreta fidelium de Sanudo, V, 8 : Heremita quoque qui in monte Oliveti pœnitentiam agebat eis prædixit quia ipsa die caperent civitatem : il faudrait d'abord démontrer que les expressions de Sanudo ont la signification que leur prête Vion : remarquons en passant que Sanudo écrivait[175] au commencement du XIVe siècle ; mais Vion a bien été capable de le prendre pour un contemporain de Pierre l'Hermite[176] : en second lieu cet historien aurait pu s'adresser à de meilleures sources et il aurait eu immédiatement la preuve de son erreur. De la prétendue vénération des croisés à l'égard de Pierre.Nous avons déjà eu l'occasion de dire que le 10 août, lorsque l'armée partit pour Ascalon, Pierre resta à Jérusalem, chargé de la direction des cérémonies du culte. Nous discuterons ce renseignement, que garantit l'auteur des Gestes, mais nous devons encore, auparavant, parler d'un autre, qui nous est fourni par Guillaume de Tyr, et qui ne se trouve dans aucun des chroniqueurs qui l'ont précédé. Après la prise de Jérusalem, dit-il[177], lorsqu'on eut arrêté les mesures les plus indispensables pour la garde de la ville, les pèlerins déposèrent leurs armes, lavèrent leurs mains, mirent des vêtements neufs[178], puis, le cœur contrit, gémissant et versant des larmes, humblement, pieds-nus, ils firent le tour des lieux vénérables que le Sauveur avait sanctifiés de sa présence, et ils les baisèrent pieusement. Après cela, se basant sur les relations de ses modèles, Raimond et Albert, auxquelles il donne néanmoins des développements de son propre crû, Guillaume de Tyr raconte nomment les pèlerins rivalisaient de démonstrations de piété et d'actes de dévotion ; il ajoute que beaucoup de ceux qui étaient morts en route furent vus à Jérusalem[179] et que ces apparitions répandirent dans les rangs du peuple une telle allégresse que tous, oubliant les peines infinies qu'ils avaient souffertes jusqu'à ce jour, enviaient le bonheur de ceux à qui le Seigneur avait fait la grâce de les appeler à lui. Dans toute la ville on entendait les gens du peuple chanter de joyeux cantiques et faire fête, comme si le Seigneur l'avait ordonné en personne, de sorte qu'on semblait assister à l'accomplissement de cette prophétie d'Isaïe : Réjouissez-vous avec Jérusalem, soyez dans l'allégresse avec elle, vous tous qui l'aimez. Ce que Raimond et Albert rapportent de l'allégresse manifestée par les pèlerins immédiatement après la prise de la ville, Guillaume de Tyr l'arrange, comme toujours, à sa manière et donne des détails qui sont absolument de son invention. Non content de cela, il greffe sur ce récit l'histoire que voici, et qui est, elle aussi, sortie de son imagination.[180]. Alors on vit arriver les fidèles croyants qui avaient connu Pierre à Jérusalem, quatre à cinq ans auparavant, à cette époque le patriarche et d'autres personnages, tant du peuple que du clergé, lui avaient confié des lettres destinées à supplier les princes d'entreprendre la croisade ; maintenant ils venaient lui témoigner leur profonde vénération. Ils plièrent humblement le genou devant lui et lui rappelèrent le séjour qu'il avait fait autrefois au milieu d'eux et l'amitié qu'il avait bien voulu leur témoigner. Ils lui exprimèrent leur reconnaissance pour le zèle et la fidélité avec lesquels il avait, par pure piété, accompli la mission dont ils l'avaient chargé, reportant la gloire de tout ce qui s'était passé à Dieu, qui s'était glorifié dans ses serviteurs et avait contre toute espérance aplani les voies de cet homme et mis dans sa bouche des paroles assez puissantes pour entraîner facilement les peuples et les empires à affronter de si grandes fatigues au nom du Christ. En effet, sa parole semblait avoir été la parole même du Seigneur, qui dit : Ainsi ma parole qui sort de ma bouche ne retournera point à moi sans fruit ; mais elle fera tout ce que je veux, et elle produira l'effet pour lequel je l'ai envoyée. Is. 55, 11. Ils s'efforçaient eu commun et individuellement de rendre à cet homme toutes sortes d'honneurs, car ils n'attribuaient qu'à lui seul, après Dieu, le mérite de les avoir tirés du dur esclavage qu'ils avaient enduré si longtemps et d'avoir rendu à la Ville Sainte son antique liberté. Que dire de cette relation ? Ah ! assurément, si Pierre a été favorisé d'une apparition divine, si, après cela, il a parcouru tout l'occident, s'il a été le précurseur du pape, s'il lui a préparé les voies, si, comme le prétend Guillaume de Tyr, il a été le principal instigateur de la croisade, si, soutenu par la grâce divine, il a entraîné tout l'occident sur ses pas, l'attitude des Chrétiens de Jérusalem[181], qui l'avaient hébergé pendant plusieurs années, leurs témoignages de reconnaissance n'ont rien d'incroyable et sont indiscutables ; mais, malheureusement, il n'avait jamais été auparavant à Jérusalem, nous croyons l'avoir démontré, et aucun autre chroniqueur, pas même Albert ne relate rien de semblable ; la conclusion à tirer de là est donc bien claire, et l'on voit ce qu'il faut penser du récit de Guillaume de Tyr. Ici, comme sur tant d'autres points, il a lâché bride à son imagination, admis comme historiquement certain ce qui lui semblait tant soit peu vraisemblable, ce qui, en tout cas, était la conséquence nécessaire des renseignements qu'il avait précédemment donnés sur l'Hermite et sur les origines de la première croisade ; par là il a rehaussé les services et les mérites de l'Hermite ; en le présentant entouré d'honneurs et de reconnaissance, il lui a tressé une couronne, il a donné au rôle qu'il lui attribuait dans la première croisade une fin digne de son commencement. Les copistes de Guillaume de Tyr ont, naturellement,
reproduit son récit sans commentaires : ainsi ont fait Jacques de Vitry[182], puis Roger de
Wendower[183]
et Mathieu Paris[184], bien que ces deux
derniers laissent déjà indécis le point de savoir si ceux qui témoignèrent
leur vénération à Pierre après la prise de Jérusalem étaient les chrétiens de
Syrie ou les pèlerins ; enfin, par dessus tous, d'Oultreman[185]. D'après
celui-ci, chacun des princes aurait témoigné la plus grande reconnaissance et
rendu des milliers d'actions de grâces à Pierre, comme au premier instigateur
de leur glorieuse et heureuse entreprise ;
les chrétiens de la ville, le considérant comme leur libérateur, le portaient
aux nues et lui témoignaient, eux aussi, leur gratitude. Aucun d'eux, ainsi les fait parler d'Oultreman, n'oublierait jamais qu'un Pierre l'Hermite, sans autres
finances que de ses prières, sans autre trompette que de sa parole, sans
autre puissance que sa vertu, a pu alarmer toute l'Europe, joindre une armée
de 600.000 combattants et rendre une poignée de soldats vainqueurs de l'Asie
et libérateurs de la sainte cité de Jérusalem. Le saint homme, confus
et rougissant de leurs louanges, leur répondit en versant des larmes de joie
: Admirons.... la
toute puissance de Dieu et louons sa bonté infinie qui a daigné ouvrir ma
bouche et donner force à mes paroles, comme fit iadis l'asne de Balaam....
mais n'oubliez pas pourtant de rendre grâces à ces
valeureux princes, dont la constance et ardeur incomparable ont tenu bon
parmy tant d'estranges, de fâcheux accidents, sans iamais se relâcher :
croyez-moy que leur piété a fait plus de brèche dans le ciel que leurs armes
n'en ont faite dans les murailles de cette ville. C'est avec raison
que plusieurs des écrivains modernes ont laissé ce passage complètement de
côté[186].
Cependant nous le trouvons encore reproduit par Mailly[187], Michaud[188], Wilken, Prat[189], Peyré[190] et
naturellement Vion[191]. Mais cela n'empêche
pas qu'il n'y ait là qu'une pure invention de Guillaume
de Tyr ; nous avons donné les motifs de notre opinion, tandis que
ces écrivains ont suivi leur modèle sans esprit de critique. Godefroi est élu protecteur du Saint-Sépulcre. Campagne contre les Égyptiens.Jérusalem prise, on donna quelques jours aux réjouissances destinées, à célébrer la victoire, puis il fallut songer à organiser l'administration ecclésiastique et civile de la nouvelle conquête. Huit jours après la prise de la ville, le 22 juillet 1099, on procéda à des élections, où le duc Godefroi de Bouillon fut nommé prince de l'État[192] et protecteur du Saint-Sépulcre[193] et Arnoulf de Rohes patriarche[194]. Tancrède et Eustache allèrent, avec des troupes nombreuses, prendre possession de Sichem[195] ; Raimond de Toulouse, dont le différend avec Godefroi, au sujet de la possession de la Tour de David, avait pris un caractère aigu, se porta vers le Jourdain, se proposant de tirer de là vers le Nord de la Syrie[196] : les deux Robert se disposaient à regagner leur patrie ; tout d'un coup, le 9 août 1099, arrive la nouvelle[197] qu'une grande armée, commandée par le calife d'Égypte, est en marche pour venir chasser les croisés. Sans perdre un instant, Godefroi, Robert de Flandre et l'évêque de Materano se mettent en marche sur Ascalon ; leur projet est, tout au moins, de reconnaître ce qu'il y a de vrai dans l'avis qui leur a été donné. Le comte Raimond, revenu de son pèlerinage au Jourdain, et le comte Robert de Normandie, ne croyant que médiocrement à l'arrivée des Égyptiens, restent ce jour-là à Jérusalem ; cependant ils envoient quelques-uns de leurs gens en reconnaissance, et, comme ceux-ci, à leur retour, leur confirment l'imminence du péril, ils partent, à leur tour, le lendemain[198]. Godefroi envoie à Tancrède et à Eustache l'ordre de revenir au plus vite de Sichem sur Ascalon. Ils répondent à son appel, traversent Césarée et Ramla, où ils culbutent un détachement égyptien, et ils apprennent de la bouche des prisonniers la position de l'armée ennemie[199]. Le 11 août, les différents corps de l'armée franque opèrent leur jonction[200]. Le lendemain, ils remportent sur les Égyptiens une brillante victoire. Ce succès termina la campagne et eut des suites de la plus haute importance pour la consolidation du nouvel État franc. Les deux témoins oculaires de la première croisade, l'auteur des Gesta Francorum et Raimond d'Aiguilhe, avaient suivi l'armée croisée à Ascalon et ils nous relatent toutes les péripéties de cette bataille[201]. L'auteur des Gestes note, en particulier, que les croisés rentrèrent joyeusement à Jérusalem, y ramenant un butin considérable[202]. C'est encore à lui que nous sommes redevables d'un autre renseignement, le dernier qui ait un Caractère d'authenticité, sur le rôle de Pierre l'Hermite pendant la croisade. C'est celui-ci[203] : Petrus vero Heremita remansit Hierusalem, ordinando et præcipiendo Græcis et Latinis atque clericis ut fideliter Deo processionem celebrent, et orationes eleemosynasque faciant, ut Deus populo suo victoriam daret. Clerici namque et presbyteri, induti sacris vestibus ad templum Domini conduxere processionem, missas et orationes decantantes, ut suum defenderet populum. Ainsi, pendant la durée de l'expédition contre les Égyptiens, Pierre était resté à Jérusalem. Tous les copistes des Gestes ont reproduit ce renseignement[204], et cela enlève toute vraisemblance à la légende relatée dans la Conquête de Jérusalem. L'auteur[205] de cette chronique rimée raconte que Pierre fut blessé grièvement au combat de Rama (Rama est indiqué comme théâtre de la dernière bataille, au lieu d'Ascalon), et fait prisonnier par les Sarrazins ; qu'il fut guéri par le suc d'une plante miraculeuse, et que, s'étant au cours de sa captivité converti à la foi mahométane, il fut enfin rendu à la liberté : — autant d'affirmations en contradiction absolue avec la nature des choses et la réalité. Les Gestes nous apprennent, au contraire, que, tandis que presque tons les hommes en état de porter les armés avaient quitté Jérusalem pour aller combattre et vaincre à Ascalon l'armée d'Al-Afdhal, Pierre était resté à Jérusalem ; et noirs savons par Raimond qu'on y avait laissé le clergé et les gens hors d'état de porter les armes, les vieillards et les infirmes, sous la protection d'une petite garnison[206]. Il restait avec ceux qui, déjà auparavant, avaient été confiés à sa sollicitude, c'est-à-dire, avec les plus petits du peuple[207] ; en même temps, il avait la direction des cérémonies du culte[208], parce que le patriarche Arnoulf et aussi, sans doute, un grand nombre d'autres prêtres (la chose est, en tout cas, certaine pour l'évêque de Materano) étaient partis pour combattre[209]. Il faut donc tenir pour inexacte l'indication d'Albert, qui veut que Pierre ait été appelé sur le théâtre de la guerre avec le patriarche Arnoulf[210], à moins que, pour se tirer d'embarras, on ne préfère admettre, avec Wilken[211], que Pierre reçut bien l'ordre de marcher avec le croisés, mais qu'il n'en tint aucun compte. Cependant il est certain que, s'il en avait été ainsi, Albert se serait exprimé avec plus de clarté. Peyré[212] réunit les deux relations en une seule : d'après lui Pierre n'aurait, tout d'abord, pas eu l'intention de se rendre sur le champ de bataille, niais il aurait ensuite reçu un appel spécial, et serait parti avec Arnoulf. Cette manière de présenter les choses est absolument démentie par le texte positif des Gestes. Pierre, vice-patriarche et vice-roi ! Pures suppositions.Parmi les copistes des Gesta Francorum, Robert le moine raconte que le patriarche Arnoulf laissa Pierre l'Hermite à Jérusalem à titre de suppléant (in vices suas) ; donc, d'après lui, Pierre aurait eu, en quelque sorte, les fonctions de vice-patriarche[213]. Il est le seul à donner ce renseignement et c'est par fraude qu'il l'introduit dans le récit des Gestes ; mais un certain nombre d'écrivains postérieurs ont déduit de là diverses autres conséquences. On a prétendu que, tandis que Godefroi tenait la campagne contre les Sarrazins, Pierre remplissait les fonctions, non seulement de vice-patriarche, mais aussi de vice-roi ; et ce nouveau point de vue ouvrait aux panégyristes de notre Hermite un vaste champ d'hypothèses qui leur permettait d'attribuer à leur héros une situation telle, qu'à les entendre c'est lui qui aurait eu la voix Prépondérante dans toutes les affaires du nouveau royaume Franc. D'Oultreman va jusqu'à le présenter comme le véritable fondateur du royaume latin de Jérusalem. Il met dans sa bouche un long discours en faveur de la royauté et va jusqu'à donner ce détail, que Pierre aurait pris à cœur de travailler en secret auprès des princes pour l'élection de Godefroi[214] et qu'il l'aurait obtenue. Il aurait été à cet époque le conseiller écouté de Godefroi, comme il l'avait été au temps de la jeunesse du prince[215], (car d'Oultreman ne doute point qu'il n'eût déjà été son gouverneur). Par suite, lorsque Godefroi dut partir pour aller combattre à Ascalon, confiant dans la prudence et la loyauté de l'Hermite, il l'aurait laissé à Jérusalem en qualité de vice-roi et vice-gouverneur de la Ville-Sainte[216]. D'Oultreman cite à l'appui de son opinion Platina, comme ayant déjà, avant lui, relaté la même circonstance ; mais, dans Platina on ne trouve que ces mots : Petro Eremita ad custodiendam urbem relicto[217]. Si l'on veut bien se souvenir qu'il n'était resté dans la ville qu'une petite garnison avec un certain nombre de prêtres et les invalides, on se rendra compte que la nomination d'un vice-patriarche et vice-roi eut été simplement une comédie ridicule ; au reste, le départ de Godefroi avait été trop précipité pour qu'avec la meilleure volonté du monde il eût eu le temps de remplir une pareille formalité. Il va de soi que Vion et Paulet se sont appropriés ces contrevérités : d'après ce que nous savons d'eux, il ne pouvait pas en être autrement, on le comprend[218]. Pour faire tomber toutes ces suppositions, affirmations et mensonges, entassés dans le but de glorifier Pierre l'Hermite, il suffit de présenter la simple relation des Gestes. Il en résulte qu'en sa qualité de prêtre, Pierre ne fut pas appelé à combattre, et qu'étant chargé, depuis un certain temps, de l'administration des pauvres et des malheureux, il ne voulut pas les quitter en un pareil moment et resta à Jérusalem : il est possible qu'à côté de cela il ait craint d'assister à un combat et d'en venir personnellement aux mains, et que, peu jaloux de risquer sa vie, il ait volontiers abandonné aux autres la gloire des armes. — Wilken admet[219] qu'au moment où les croisés partirent pour Ascalon, Pierre avait fini par se fatiguer de combattre, mais rien, dans les sources, ne justifie une pareille opinion ; il ne parait pas qu'il ait jamais combattu en personne, car les sources sont absolument muettes à cet égard, et si la Chanson d'Antioche et la Conquête de Jérusalem lui font accomplir des exploits aux sièges d'Antioche et de Jérusalem, ce ne sont pas là des documents qui méritent grande confiance[220]. Nous l'avons dit, le renseignement des Gestes que nous venons de discuter, celui qui nous apprend que tandis que les croisés allaient combattre à Ascalon, Pierre l'Hermite resta à Jérusalem, et le dernier renseignement authentique que nous possédions sur le rôle joué par lui pendant la première croisade et sur son séjour en Terre-Sainte. On sait que les deux principaux témoins oculaires terminent leur relation à la bataille d'Ascalon, qui fut le dernier fait d'armes de la campagne et consolida pour longtemps la domination des Francs en Palestine. Dans les écrivains contemporains, on ne trouve plus un mot sur l'Hermite. De tout ce que les écrivains postérieurs ont avancé avec tant d'aplomb comme des faits historiques, au sujet de son séjour en Palestine, rien n'est - fondé sur une source authentique : il en est de même pour toutes ces inventions fantaisistes que nous avons rapportées jusqu'ici et qui n'ont de valeur que pour l'écrivain qui voudrait faire l'histoire de la légende de Pierre l'Hermite. Nous croyons cependant bon de dire dans un chapitre final quelques mots de ce qui se raconte. |
[1] Voy. Cosmæ Chron. ad
an. 1096.
[2] Il n'est plus possible de déterminer à quelle époque ce Volkmar traversait la Saxe et la Bohême. Serait-il peut-être le même que le personnage nommé par Albert I, 22 : Folkmarus Aureliensis ? ce chroniqueur cite dans l'armée de Pierre l'Hermite deux individus de ce nom, mais il n'attribue à aucun d'eux la qualité de prêtre : en ce cas, il pourrait se faire que Volkmar fût parti en même temps que Pierre, et qu'il eût traversé la Saxe et la Bohême à l'époque où Pierre longeait le Danube ; il devrait s'être de nouveau rallié à lui après la catastrophe de Neitra. Voy. Ekkehard, Hierosol. pp. 123 et 132.
[3] Albert, I, 23, dit que c'était un prêtre allemand.
[4] Albert abonde en détails sur Gottschalk, I, 23, 24. Dans la Chronique d'Ekkehard, éditions de 1100 et de 1106, on trouve également une double relation sur ce personnage.
[5]
Sur le lieu du désastre, voy. Kugler dans l'Histor. Zeitschr. de Sybel,
neue Folge, vol. VIII, p. 31 :
Sybel, ibid. p. 44.
[6] Ekkehard, Chronic. ad. ann. 1096 ; Ekkehard, Hierosol. XII, 4, p. 126, ss. ; Albert, I, 27, ss. ; d'après Kugler, Gesch. der Kreuzzüge, p. 23, cette colonne aurait été forte de 20.000 hommes : c'est certainement un chiffre exagéré.
[7] Albert, I, 29.
[8] Au sujet de l'arrivée des diverses armées sous les murs de Constantinople et de leur transport sur la rive de Bithynie, voy. Hierosol. c. XIII, not. 12 et XIV, not. 1 ; de Sybel, Gesch. des ersten Kreuzzuges. pp. 311 333 ; 2e éd., p. 258, s. ; Kugler, Gesch. d. Kreuzz., p. 31, 88. Dans le calcul que nous avons fait pour fixer la date du passage de l'armée de Godefroi sur la rive de Bithynie, nous avons admis tout d'abord que les difficultés qui surgirent entre Alexis et Godefroi eurent lieu à Constantinople pendant la semaine sainte de l'année 1087 et que la date indiquée par Anne Comnène est exacte. Dans sa Kritik Alberts v. Aachen, Krebs exprime une opinion différente il rejette la date indiquée par Anne et reporte à une époque antérieure le passage de Godefroi sur la côte de Bithynie. Terminons enfin en renvoyant le lecteur à l'Inventaire, de Riant ; l'auteur y a publié, pour la première fois, dans l'appendice, p. 221, une lettre adressée par Urbain aux princes de Flandre et à leurs sujets et datée du 6 au 12 février 1096 ; il en ressort, d'une manière incontestable, que le Pape avait fixé le départ de tous les croisés pour l'Orient au 15 août 1086.
[9] Albert, II, 20 ; d'après ce chroniqueur au départ de Constantinople, après une journée de marche, le premier campement fut Rufinel.
[10] Albert, loc. cit., fait erreur en relatant que les comtes et leurs gens se rassemblèrent sur la rive de Bithynie, en face de Constantinople, et se mirent ensuite ensemble en marche sur Nicée. D'après cette relation, Pierre aurait trouvé toute l'armée réunie au moment où il vint se rallier à elle. Il n'est pas dit qu'il se soit joint à l'armée de Godefroi.
[11] Albert, II, 20 (19).
[12] Nous avons déjà dit plus haut, que, d'après la Chanson d'Antioche, Pierre était, pendant ce temps, retourné à Rome et reparti de là pour prêcher une seconde fois la croisade en Occident.
[13] Il est certain que les compagnons de Pierre prirent leurs quartiers d'hiver soit dans Constantinople, soit près de la ville, sur la terre d'Europe ; le fait est confirmé par les indications d'Anne Comnène et des Gestes ; ils disent expressément qu'Alexis recueillit à Constantinople les débris de l'armée de Pierre. On a trouvé un autre témoignage dans les vers suivants de Foulques, dans son Hist. Gest. viœ nostri tenip. Hierosol., éd. Du Chesne, dans Hist. Franc., ss., t. IV, 894, C.
[14] Foucher, 387, 5 ; Rec. 332.
[15] Alexiade., lib. X, p. 287 ; Rec. p. 9 ; éd. Bonn II, 35.
[16] On pourrait peut-être placer ce fait à l'année 1101, au moment où les Lombards, les Allemands et les Aquitains se mirent en marche pour traverser l'Asie-Mineure et firent route, eux aussi, par Nicomédie ; le premier objet de leur expédition était d'aller délivrer Bohémond, alors prisonnier dans Siwas. Voy. Ekkehard, Hieros., c. XXII-XXVI.
[17] Voy. Ekkehard, Hieros., XIV, 1, note 1 ss. Epistola I Anselmi de Ribod. ad Manassem, éd. Riant, dans l'Inventaire, Append. n° III.
[18] Gesta, 7, 50 (Rec. 129) ; Tudebode, Rec. 28 ; Foucher Carnot. 386, 45 (Rec. 334) ; Epist. Anselmi de Ribod. éd. Riant, dans l'Inventaire, loc. cit.
[19] Et non le 18 octobre, comme le disent Wilken, I, 176 et Röhricht, Beitr., II, 34.
[20] Ce que, dans les Chansons d'Antioche, on nomme les Ribauds, ce sont les gens de la basse classe, les pauvres, les paysans, les serfs ; leur roi Tafur n'est pas un personnage historique, c'est la personnification de cette sorte d'hommes. Voy. à ce sujet : La Chanson d'Antioche, I, 135, 216, 218, 219 ; II, 127, 128, 221 ; le Chevalier au Cygne, éd. Reiffenberg, v. 16281 ; et surtout les intéressantes explications de M. Pigeonneau dans le Cycle de la Croisade, pp. 67 et 77.
[21] Bohémond et les Normands étaient arrivés sous les murs de la ville le 21 octobre ; le comte Raimond, qui formait l'arrière-garde, le 22 seulement. Voy. pour plus de détails, Hierosolym., 5, note 21.
[22] Gesta, 10, 25 ; Rec. 133. Raimond, 144, 12 ; Rec. 243.
[23] Foucher, 390, 49 ; Rec. 340.
[24] Foucher, 891, 5 ss., (Rec. 341), dépeint cette famine en termes dramatiques.
[25] Foucher, 891, 5 ss., (Rec. 341).
[26] Gesta, 10, 88 ; Rec. 188, 11. 42 ; Rec. 188.
[27] Raimond, 245 ; Rec. 245.
[28] Raimond, 145, 21 ; Rec. 245.
[29] Raimond, 144, 15 ; Rec. 243 : dux maxime infirmabatur.
[30] Raimond, 144, 15 ; Rec. 243.
[31] Hist. Hierosol., 391, 15 ; Rec., 341.
[32] Gesta, II, 42 ; Rec. 136.
[33] La relation de la fuite de Pierre et de son retour au camp sous la conduite de Tancrède, ne se trouve que dans les Gestes et leurs copistes : Baudri 103, 28 (Rec. 43) ; Guibert 501, 36 (Rec. 173) ; Robert 48, 3 (Rec. 781) ; Hist. belli sacri, c. 42 (Rec. 188) ; Tudebode, Rec. 40. Tous les récits d'écrivains postérieurs et non témoins oculaires, qui brodent sur le fait rapporté dans les Gestes, doivent être rejetés comme étant en contradiction avec la réalité.
[34] Tota denique nocte Wilhelmus uti male res in tenda Boemundi jacuit. Guibert ajoute, pour plus de clarté : et pro curia magnifici Boemundi, tota nocte ibidem excubaturus, exponitur. C'est une exagération, car il est dit expressément qu'il gisait à terre in tenda dans la tente, mais comme un objet inutile, sans valeur, et, par suite, livré au mépris. Il est probable que ce fut pendant la nuit que Pierre essaya de fuir ; au reste, c'est ce que dit Robert le moine, 48, 3 (Rec. 781) : nocturno elapsu in fugam versi sunt. Les Gestes n'en disent rien.
[35] Gesta, II, 29 (Rec. 135).
[36] Albert IV, 37 et Guillaume de Tyr VI, 5 (Rec. 242) nous apprennent qu'Etienne de Blois déserta à cette époque, mais ils ne disent point que Guillaume Charpentier et Pierre aient essayé de fuir au mois de janvier. — L'épithète de funambuli venait de ce que les déserteurs se laissaient glisser le long d'une corde, du haut des murs d'Antioche : on la trouve employée par Baudri, Hist. Hieros., 114, 22 (Rec. 64) et par Ord. Vital IX, 740, XI, 805 ; éd. Le Prévost, III, 552 ; IV, 168.
[37] Au moment où l'auteur des Gestes écrivait le passage où il relate la tentative de fuite de Pierre, la Croisade n'était pas terminée ; il ne pouvait donc pas savoir quelle serait dorénavant l'attitude de l'Hermite, et encore moins s'il persévérerait jusqu'à la Sn : néanmoins, comme jusqu'à ce moment il avait conformé sa conduite à sa promesse et comme il n'avait plus fait cause commune avec Guillaume Charpentier, le chroniqueur a vu là un motif suffisant pour parler de lui avec plus de ménagement. Notons en passant que les expressions : postmodum.... furtive recessit démontrent que ce passage a été écrit au plus tôt pendant l'été de l'an 1098 et non au mois de janvier, immédiatement après la tentative de fuite de Pierre l'Hermite.
[38] Robert le Moine, 47, 7 (Rec. 781). 48, 18 (Rec. 782). Radulphe c. 60, le nomme parmi les viris illustribus interque palatinos regis Franciæ non obscuris.
[39] Guibert, 501, 33 (Rec. 173).
[40] Hist. belli sacri. c. 42 : Totaque nocte Petrus Eremita, uti male res, in tenda domini Boamundi jacuit. Crastina autem die in summo diluculo, venit erubescendo ante domini Boemundi præsentiam. Hunc alloquens, etc.
[41] Hist. Hierosol., 501, 52 (Rec. 174) : Ad hoc, ut
stellæ quoque iuxta Apooalypsim de cœlo cadere viderantur : Petrus ille, de quo
supra actum est, celeberrimus Heremita, et ipse in desipientiam versus,
excessit :
Quo geris hæc, Petre, consilio ? cur nominis immemor extas ?
Si Petra constat origo Petri, solidum quid denique signant ?
Quid tibi vis meminisse fugæ ? faciles nescit petra motus.
Puis, après le mot egenos, on lit :
Sic prœiens modo jura feras, que quosque docendo tulisti.
Hic aliquando fugax
cereris, pisces ac vina terebat.
Sanctior esca foret Monacho, porri, nasturcia, napi,
Cardamus, atque nuces, corili, tysanæ, frux lentis, et
herbi,
Pisce meroque procul
posito, frusto tamen addita panis.
Dans son Annotatio historica scripta 1618 de Passagiis ad orationem Æneœ Sylvii super hoc argumento Romœ habitam (Voy. Bœcleri, Dissertationes academicœ, Argent. 1701, p. 605) Bœcler dit à propos de ce passage de Guibert : Apud Guibertum certe Abbetem Petrus Eremita false perstringitur ; cependant on ne trouve rien à l'appui de cette opinion.
[42] V. Ekkehard, Chron. ad ann. 1095 et Hierosolymita, I, 7, note 51. Ekkehard, a intercalé ce passage dans sa Chronique, en 1100 au plus tard. Cet on-dit, transmis par lui, a peut-être trouvé un écho dans la Chanson de Jérusalem (la Conquête de Jérusalem, publ. par Hippeau, chant VII, 253, m.). On y voit, au moment où les Sarrasins accourent pour délivrer la ville, l'Hermite, blessé grièvement, fait prisonnier et mené au camp des sarrasins, où il est guéri par le suc d'une herbe merveilleuse. Là, il embrasse la religion mahométane, en apparence seulement, il est vrai, et se prosterne devant la statue de Mahomet, jurant dans son cœur de faire payer cher aux infidèles sa soumission forcée. Voy. Pigeonneau, le Cycle de la Croisade, Saint-Cloud, 1877, p. 79.
[43] Il faut admettre qu'il en est ainsi pour l'auteur de la Chanson d'Antioche, s'il est vrai, comme M. Pigeonneau a cherché à le démontrer, qu'il eût sous les yeux, en écrivant son poème, les Gesta Francorum ou Tudebode et Albert. Voy. le Cycle de la Croisade, p. 37 ss.
[44] Cologne, 1472. Voy. Recueil des Hist. des Crois., Hist. occid., III, Préface, p. LI, et Riant, Alexii ad Robertum Epist. spirits (1879), p. X.
[45] Hanau, 1611.
[46] Hist. univ. des Crois., Paris, 1868, petit in-fol. p. 54.
[47] Gemälde der Kreuzzüge, I, 267. Je m'abstiens de citer les expectorations analogues de Mailly et de son plagiaire Heller, Gesch. der Kreuzz., II, 68 ss.
[48] Il est curieux que Raumer, Gesch. der Hohenstaufen, I, 177, attribue la tentative de Pierre au même motif, car aucune des sources ne dit rien de semblable.
[49] P. 333.
[50] P. 334.
[51] M. Vion avait invité Lamartine à assister à l'inauguration de la statue de Pierre l'Hermite à Amiens, et l'avait prié de le placer au nombre des grands hommes dont il a écrit l'histoire : qu'aura-t-il dit de la réponse qu'il reçut et qu'il a livrée, par la suite, à la publicité. La voici : elle a paru d'abord dans le Siècle, et, peu de temps après, dans l'Univers du 25 août 1878 :
Monsieur,
Excusez, un long retard causé
par une longue indisposition ! Je n'ai pu lire encore votre biographie savante.
Je l'emporte aux champs, séjour d'un peu plus de loisir. Le talent pourra me
séduire ; le sujet ne me séduit pas. Je considère Pierre l'Ermite comme un
derviche chrétien conduisant l'Europe en aveugle à la perte de son temps, de
son sang et de son bon sens. Rien de beau hors de l'humanité ; rien de vrai
dans le fanatisme. Amiens aurait, selon moi, d'autre, mémoires à honorer. Tous
les souvenirs ne sont pas des titres. Vous voyez, Monsieur, que je jurerais par
ma présence et par ma voix avec les sentiments qui animeront la ville. Excusez
moi donc et plaignez moi. On n'est coupable ni de ses admirations ni de ses
répugnances. Mais je suis vivement reconnaissant de votre lettre, et vous prie
d'agréer les bons sentiments qu'elle m'inspire avec l'assurance de ma haute
considération.
21 avril 1874. Signé LAMARTINE.
[52] Paulin Paris, La Chanson d'Antioche, I, 14, dit fort bien : Revenu d'un premier désastre (celui de Civitot), il continua le saint voyage à la suite de Godefroi de Bouillon ; mais il n'avait aucun crédit auprès des chefs de l'expédition. Il vivait avec les truands, les goujats de l'armée.
[53] La flotte génoise était arrivée dans le port de Saint-Siméon à.la fin de l'année 1097 (Raimond, 143, 49 ; Rec. 242) ; mais elle ne fut pas la seule à apporter les secours qui vinrent si le propos, au mois de février, soulager les misères de l'armée ; il était arrivé aussi des vaisseaux d'autres villes et d'autres nations : Raimond le dit positivement, 147, 4 (Rec. 248). Voy. aussi Heyd, Ital. Handelscolonien, dans la Zeitschr. für gesammte Staatswissenschaft, vol. 16, p, 6 ss., ; Heyd, Gesch. des Levantchandels, I, p. 147 88. ; et Ekkehard, Hierosol. XIV, 6, note 27.
[54] Gesta, 12, 26 (Rec., 137) ; Sybel, 395 ; Ekkehard, Hierosol. loc. cit.
[55] Voy. Gesta, 15, 33 (Rec. 142) ; Raimond, 149, 39 (Rec. 252) ; Albert, 4, 25. La date exacte ressort aussi de la lettre intitulée : Epistola cleri et populi Lucensis ad omnes Christifideles, datée du mois d'octobre 1098, publiée par M. le comte Riant dans l'Inventaire, n° LXVI, pp. 184 et 223. Les dates indiquées par Wilken, I, 200 (3 juillet), par Sybel, 414 (7 juillet), par Ibn-Khallikhan (20 juillet, voy. Röhricht, Quellenbeiträge, Berlin, 1875, p. 29, not. 4), sont inexactes.
[56] Voy. Röhricht, loc. cit. et Ekkehard, Hierosol. XIV, 6, not. 28.
[57] Foucher, 293 (Rec. 347) nomme 29 Émirs. Tudebode (Rec. 89) donne encore d'autres noms.
[58]
Voy. Ekkehard, Hierosol. XIV,
7, not. 31 ; Röhricht,
[59] Raimond, 153, 14 (Rec. 253). Gesta, 19, 29 (Rec. 148). Voy. aussi Epistola cleri et pop. Lucensis ad omn. Chr. fideles, publ. par Riant, Inventaire, p. 224. A propos du nombre de jours indiqués par l'auteur des Gestes pour la durée de la famine, il y a lieu de remarquer qu'il faut évidemment qu'il ait compris dans ce chiffre le 3 juin, jour de la prise d'Antioche, sans quoi il aurait dû en donner un autre. Albert, IV, 46, parle de 24 jours pendant lesquels les assiégés eurent à souffrir toutes les horreurs de leur situation.
[60] Cette date est donnée par Raimond, 152, 50 (Rec. 257) et par Tudebode, Rec. 74 : elle ne se trouve pas dans les Gestes. La date du 18 juin, indiquée par Muralt dans la Chronogr. byzant., II, 24, est fausse.
[61] Notons en passant que Caffaro dans la Liberat. Orient. (Mon. Germ. SS. XVIII, 43, 38, as.) et l'auteur de la Chanson d'Antioche (II, 154, 165, 166) attribuent à Pierre l'Hermite la vision et la découverte de la sainte Lance ; ils l'ont confondu avec le provençal Pierre Barthélemy. Au reste, cette erreur se retrouve chez beaucoup d'historions postérieurs. Anne Comnène commet une erreur semblable (Lib. XI, p. 826, Rec. 62) : d'abord elle confond Pierre l'Hermite avec l'évêque Adhémar, elle le désigne comme l'évêque, l'άρχιερεύσ même, des Latins ; puis elle raconte qu'il avait donné l'ordre de faire une fouille à droite de l'autel, affirmant que c'était là que l'on trouverait la sainte Clef.
[62] Cette date est indiquée positivement par les Gestes, 22, 2 (Rec. 152) ; IV kal. ful. in vigilia Apostolorum ; Raimond, 155, 34 (Rec. 261) ; Epist. Anselmi de Ribodi monte ad Manassem, Rec. 893 ; Albert, IV, 47 ; Epistola cleri et populi Lucens. publ. par Riant, Inventaire, p. 224.
[63] Raimond, 158, 56 (Rec. 259).
[64] Il est certain que le départ des envoyés pour le camp de Kerbogha et leur retour à Antioche n'ont pas pu avoir lieu le 24 juin, comme l'admet Sybel, (p. 432 ; 2e éd., p. 364), et comme nous l'avons admis nous-même dans notre édition de l'Hierosolymita, ch. XIV, not. 40, mais seulement le 27 juin. Voy. pour les preuves le suppl. VI de l'édition allemande.
[65] D'après Caffaro, Liberatio Orientis (Mon. Germ. SS., XVIII), 43, 23, ce compagnon de Pierre aurait été prêtre.
[66] Radulphe, c. 81, seul indique ce chiffre de cinq personnes. Robert-le-Moine, Rec. 825, dit : Tandem duo inventi sunt, Herluinus et Petrus Heremita. Hi cum interprete iter suum ad Turcorum castra direxerunt. Esohenloer, dans sa traduction, a sauté les mots cum interprete. Évidemment ces mots, ajoutés dans Robert, viennent d'un malentendu.
[67] Gesta, 20, 26 (Rec. 150). 20, 51 (Rec. 150). Lee copistes des Gestes désignent également Herluin comme le drogman de Pierre. D'un autre côté, Foucher, 893, 18 (Rec. 347), Raimond 158, 59 (Rec. 259), Albert, IV, 44 et Radulphe, c. 81, ne donnent pas d'autre nom que celui de Pierre.
[68] La Chanson d'Antioche, II, 171 : Chant VII, v. 609. Robert rend mal le sens du passage des Gestes que nous venons de citer, puisque, d'après lui, on aurait dû chercher longtemps pour trouver deux hommes qui voulussent se charger du message.
[69] Gesta, 20, 23 ; Rec. 149. Anselme de Ribemont, Rec. 893.
[70] Gesta, 20, 23 ; Rec. 149.
[71] Raimond, 153, 59 ; Rec. 259.
[72] Anselme de Ribod. epist. Rec. 803.
[73] Guillaume de Tyr change cela et dit le troisième jour.
[74] 393, 19, Rec. 347.
[75] A cette époque Foucher remplissait à Édesse les fonctions de chapelain du comte Baudouin.
[76] Lib. 5, 45.
[77]
Cafaro, Lib. Or. (Mon.
Germ. SS. XVIII) 43, 29.
[78] Raimond, 154, 46 ; Rec. 260.
[79] Anne Comnène, Rec. hist. byz.,
t. I, part. II, p. 83 ; éd. Reiffersch. p. 101.
[80] Raimond, 154, 2 ; Rec. 259.
[81] Gesta, 20, 32 ; Rec. 150. Voy. suppl. VI de l'éd. allemande.
[82] Gesta, 16, 45, ss. ; Rec. 144 ss. Voy. aussi sur ce point Sybel, p. 438 et ss., 2e éd. p. 370 : Toutes ces histoires, produits de l'imagination, ont pour origine le sentiment religieux. Les passions populaires s'y reflètent ; dans le détail elles prennent la forme de fait matériels ; dans le cas qui nous occupe, ils sont monstrueux. Pour résumer leur essence en un mot, c'est faculté poétique inconsciente ; combien on a eu tort de les introduire dans des relations historiques, comme on l'a fait si souvent ! Raumer exprime la même opinion, I, 138.
[83] Hist. Hieros., 119, 52.
[84] Robert, 62, 40 ; Rec. 826.
[85] La Chanson d'Antioche, II, 174, ch. VII, 26.
[86] Le Codex n° 5513 de la Bibliothèque nationale a été écrit soit à la fin du XIIe siècle, soit au commencement du XIIIe. Thurot en a indiqué les variantes dans son édition de l'Historia de Baudri, comprise dans le Rec. Hist. Occ., IV : elles sont placées sous le texte et forment le Codex G. Le point qui nous occupe en ce moment est relaté à la p. 75.
[87] Albert, IV, 44 : suppl. 6 de l'éd. allem.
[88] Lib. IV, 16.
[89] Cependant Guillaume de Tyr raconte, d'après Foucher, que l'armée croisée livra bataille à Kerbogha dès le lendemain du jour où Pierre était rentré à Antioche. — Parmi les écrivains plus récents, Séb. Brant, dans son traité : De origine et conversatione bonorum regum (Basil. 1495), fait également annoncer par Pierre à Kerbogha qu'on lui livrera bataille in tertium diem.
[90] D'Oultreman, p. 74 : Corbagath ne fit que rire de ce discours. Retourne, fit-il, à tes maîtres et dis leur que je ne trouve pas mauvais que des pauvres carcasses animées, des squelettes vivantes, de misérables anatomies telles qu'ils sont, s'escriment de la langue, puisque les bras leur faillent.
[91]
Mailly, vol. IV, liv. III, p.
259 ss.
[92] Personne, avant Mailly, ne dit rien de semblable ; sauf l'auteur de la Chanson d'Antioche et celui du roman du Chevalier au Cygne ; tous deux, en relatant l'invention de la S. Lance, ont confondu Pierre l'hermite avec Pierre Barthélemy. Cependant Mailly n'attribue pas la découverte de la lance au premier, mais bien au second.
[93] Mailly se conforme ici au récit de d'Oultreman, tel que celui-ci le donne dans la deuxième édition de son opuscule ; nous ne le connaissons point, n'ayant eu à notre disposition que l'édition de Paris, 1634, où ce passage ne se trouve pas. D'après Vion, p. 345, il serait conçu comme il suit : Pierre voulut répliquer ; mais le prince de Mossoul, mettant la main sur son sabre, ordonna qu'on chassât ces misérables mendiants qui joignaient l'aveuglement à l'insolence. Les députés des chrétiens se retirèrent à la bâte, non sans avoir couru plusieurs fois le danger de perdre la vie en traversant l'armée des infidèles. Il est vrai qu'on lit, dans l'Epistola ad Manassent d'Anselme de Ribemont, Rec. 893 : Quo audito, Corboran, evaginato gladio, juravit per regnum et thronum suum, quod defenderet se de omnibus Francis et dixit se terram possidere et semper possessurum juste vel injuste. L'auteur des Gesta Francor. Hieros. expugn. (Bartolph. de Nang.) Rec. p. 503, a transcrit ce passage dans sa relation ; mais dans aucune des sources il n'est dit que, Kerbogha ait tiré l'épée, soit pour imposer silence aux envoyés soit pour les frapper.
[94] La Chanson d'Antioche, II, 177, chant VII, vers 330 : Cette relation, extrêmement naïve ne se trouve dans aucune des sources, pas même dans Albert. Voy. aussi Pigeonneau, Le Cycle de la Croisade, p. 148.
[95] Ibn-Khaldun raconte qu'ils avaient demandé à Kerbogha de les laisser sortir de la ville en liberté, et qu'à cette condition ils la lui auraient rendue (voy. Röhricht, Quellenbeitr., pp. 6 et 29, not. 6), mais cela est très invraisemblable.
[96] Lib. IV, 46.
[97] P. ex. Guillaume de Tyr, VI, 16 ; d'Oultreman, p. 75 ; Mailly, p. 507 ; Wilken, I, 218 ; Raumer, I, 139 ; Peyré, II, 154.
[98] C'était le 28 juin et non, comme le dit Michaud, le jour de la fête des SS. Pierre et Paul, qui tombe, on le sait, le 29 juin. Voy. Suppl. VI, p. 361 de l'éd. allemande.
[99] Gesta, 21, 40 (Rec. 151). Voy. aussi le récit de cette bataille dans la Lettre du clergé et du peuple de Lucques aux fidèles, dans Riant, Inventaire, suppl. IV.
[100]
Sur le développement de l'influence des Francs en Syrie, voy. Kugler, Boemund und Tankred, Fürsten von
Antiochien, Tub. 1862.
[101] Voy. Gesta, 22, 8 (Rec. 152) ; Kugler, op. cit., p. 6. ss. ; du même, Gesch. der Kreuzz., p. 55, et Riant, Inventaire, p. 177.
[102] Gesta, 22, 15. 40 (Rec. 152. 153).
[103] Gesta, 22, 20. 58 (Rec. 152. 153) ; Ekkehard, Hieros., p. 157.
[104] Gesta, 27, 48 (Rec. 153) ; Epistola princip. dans Foucher, 395, 31 (Rec. 351) ; Ekkehard, Hieros. XV, 1, not. 2. Sur le tombeau d'Adhémar, dans la partie gauche de l'église de Saint-Pierre à Antioche, voy. l'Estoire de l'Empereur Heracles dans le Rec. des hist. des crois., Hist. occ., II, 139, s. ; et Prutz, Kaiser Friedrichs I. Grabstätte (1879), p. 45.
[105] Raimond, 155, 43 (Rec. 262).
[106] Raimond, 158, 50 (Rec. 267).
[107] Gesta, 23, 26 (Rec. 154).
[108] Raimond, 158, 50 (Rec. 267).
[109]
Sur la prise de Marra ; voy. Raimond,
160 (Rec. 269) ; Gesta, 24, 32, 155 ; Kamel-ad-din, p. 223 (dans
Röhricht, Beitr. I) ; Ibn-Khaldun, p. 6 (dans Röhricht, Quellenbeiträge
zur Gesch.
[110] Raimond, 160, 47 (Rec. 270).
[111] Raimond, 160, 58 (Rec. 271).
[112] Raimond, 160, 58 (Rec. 271) : Il offrait 10.000 solidi à Godefroi, la même somme à Robert de Normandie, 6.000 à Robert de Flandre, 5.000 à Tancrède et des sommes proportionnelles aux autres princes.
[113] Voy. le récit dramatique de ces évènements fait par Raimond, 161 (Rec. 27) et reproduit par Sybel, 460.
[114] Gesta, 24, 66 (Rec. 156).
[115] Epistola Raimundi de Agiles, dans Ekkehard, Hierosol., c. XV, 2 et Historia Francor. du même, p. 161, 19 (Rec. 272).
[116] Raimond, 161, 20 ; Rec. 271. Voy. également la lettre de Raimond d'Aiguilhe, loc. cit., et Ekkehard, Hierosol., loc., cit.
[117] Gesta, 25, 35 (Rec. 157).
[118] Raimond, 161, 54 (Rec. 272). Gesta, 24, 57 (Rec. 156).
[119] Raimond, 165, 1 (Rec. 277). Papa Turcorum, en d'autres endroits, p. ex. dans les Gesta, 15, 42 (Rec. 142) Apostolicus : c'est le Calife : sur ce bruit, voy. Gesta, 25, 57 (Rec. 157). Raimond ajoute que c'étaient les Sarrasins eux-mêmes qui avaient fait courir ce bruit, afin d'épouvanter les assiégeants ; mais il est très-probable que c'était le comte Raimond qui l'avait imaginé pour décider Godefroi et Robert de Flandre à abandonner le siège de Gibellum et les attirer à lui ; il y trouvait le double avantage de les enlever à Bohémond, qui avait su les circonvenir et leur faire servir ses projets, et d'obtenir du renfort, car le siège de la forteresse d'Irkha présentait des difficultés qu'il n'était pas en état de surmonter avec ses seules forces : de plus, il avait à craindre de se trouver bientôt complètement isolé, s'il ne découvrait pas le moyen de rallier les autres princes à lui. Voy. Raimond, 160, 50 (Rec. 271) ; 161, 1 ss. (Rec. 271) ; 165 (Rec. 277. 278) ; Albert, V, 33 ss. On voit qu'il serait imprudent de soutenir que ce dernier fait erreur en prétendant que ce bruit était de l'invention de Raimond.
[120] Raimond, 165, 10 (Rec. 278).
[121] Raimond, 165, 10 (Rec. 278).
[122] Petr. Tudebode, Historia de Hieros. Itinere, Rec., p. 91 : Una pars datur episcopo, alia sacerdotibus, alia ecclesiis, alia pauperibus. Quod postquam fuit in concilio recitatum, concesserunt omnes. Il est possible que, par cette expression postquam, Tudebode sous-entende l'époque où, selon Raimond, fut rendue l'ordonnance. Il ne nomme point Pierre l'Hermite.
[123] Dans la Chanson d'Antioche, II, 221, il prend, lui aussi, le 28 juin, part à la bataille contre Kerbogha et il entraîne avec lui un grand nombre de ribauds.
[124] On est évidemment en droit de tirer cette déduction des expressions de Raimond, 153, 55 (Rec. 267) rapportées ci-dessus p. 288 note 4 : On y voit que les compagnons de Raimond de Toulouse n'avaient pas été seuls à protester contre les retards apportés à l'expédition, mais qu'ils avaient été soutenus pas les gens de basse classe de tous les corps d'armée. Rien ne prouve que Raimond n'ait voulu, dans ce passage, parler que des Provençaux, et cela serait assurément inexact. Le même fait ressort d'ailleurs clairement du passage où Raimond raconte le mécontentement du peuple après la prise de Marra, 160, 58 (Rec. 270).
[125] Nous ignorons s'il est question de cela dans la Chanson de Jérusalem, car, au moment où nous écrivons ces lignes, la partie de ce poème qui traite de la marche d'Antioche à Jérusalem n'est pas encore publiée. Mais la légende s'est emparée de la fonction remplie par Pierre auprès des pauvres et l'a singulièrement transformée. D'après La Chanson d'Antioche, II, 8, chant V, vers 1, ss., une grande famine règne dans le camp devant Antioche ; la foule est réduite au désespoir ; le roi Tafur vient demander conseil à Pierre l'Hermite ;
Sire, consilliés-moi, per sainte carité,
Por voir morons de faim et de caitivité.
Et Pierre lui répond :
C'est par vo lasqueté ;
Alés, prenés ces Turs qui sont là mort jeté,
Bon seront à mangier s'il sont cuit et salé.
Le roi Tafur reçoit parfaitement ce bon conseil et répond : Vous dites vérité, puis on se met à vider les cadavres des Turcs, à les dépecer et à les faire rôtir.
Volontiers les menjuent sans pain et dessalés,
Et dist li uns à l'autre : Carnages est entrés,
Mieus vaut de char de pore né de baron ullés,
Dahés ait qui morra, tant qu'il en ait assés.
Voy. de Sainte-Aulaire, La Chanson d'Antioche, p. 197 ; Sybel, Aus der Gesch. der Kreuzz. (Münchener Vorträge 158), p. 40 ; Kugler, Gesch. der Kreuzz., p. 53.
[126] D'Oultreman est extrêmement bref sur la marche d'Antioche à Jérusalem : cependant il y parle d'un prétendu gendre de Pierre l'Hermite ; on lit, p. 80 : Environ le commencement de novembre de cet an 1098, les Princes se mirent en chemin, et tirèrent droitement vers Marrha, ville forte, riche et bien munie ; nonobstant, après plusieurs assauts elle fut prise par force ; et le premier qui monta sur les murailles de la ville fut un brave et vaillant cavalier, appelé Geoffroy de la Tour, Limosin ; et lequel, selon que dit la Chronique de France, auait espousé la fille de Pierre l'Hermite : et à celuy-cy donna le comte de Thoulouse par aprés la ville de Casard, qui est au mesme terroir que Marrha : comme nous dirons cy-aprés. Enfin continuons tout leur chemin en fort bon ordre, ils se rendirent à la vele de la sainte cité de Jérusalem, etc. Il est bien vrai que les Gestes, 24, 26 (Rec. 155) et Raimond, 160, 13 (Rec. 270) citent Geoffroy (Gulferius de Turtibus) comme étant monté le premier à l'assaut de Marra, mais c'est plus tard que l'on a inventé le conte qui en fait un gendre de Pierre l'Hermite.
[127] Gesta, 26, 21 (Rec. 158).
[128] Fouchet, 357, 12 ; Gesta, 26, 49 (Rec. 159) ; Albert, VI, 6 ; Ekkehard, Hieros., not. 29 du ch. XV. La date du 17 juin indiquée par Röhricht, II, 36, n'est, sans doute, qu'une faute d'impression.
[129] Raimond, 163, 39 (Rec. 275).
[130] Sur la route suivie de Irkha à Jérusalem, voy. Gesta, 26, 25-50 (Rec. 158) ; Raimond, 173 (Rec. 291, 292) ; Ekkehard, Hieros. p. 163.
[131] Lib. V, 45 (D. Fol. 87). Au reste, il ne faut pas oublier qu'Albert n'était pas un témoin oculaire.
[132] Pour plus de détails, voy. Ekkehard, Hieros., p. 153.
[133] On peut comparer ici la réalité avec la version adoptée par la plupart des historiens, depuis Guillaume de Tyr jusqu'à nos jours, et voir à quel point chaque écrivain se laisse aller à son imagination. Voici ce qu'écrit d'Oultreman ; il est vrai qu'il prend Guillaume de Tyr à témoin : Fondans tous en larmes, et touchez d'un sainct et extraordinaire sentiment de piété, ils se jettèrent à genoux et baisèrent la terre, rendans grâces à Dieu de celles qu'il leur avait faites, de les conduire en cette S. Terre. Vion, p. 360, renvoie au Tasse, chant III, str. 3, 5, 6, 7 et 8, et voit là l'expression la plus exacte des sentiments qui devaient alors animer les croisés.
[134] Gesta, 26, 50 (Rec. 159) ; Raimond, 174, 12 (Rec. 293) ; Ekkehard, Hieros. p. 164.
[135] Gesta, 27, 1 (Rec. 159) : Raimond, 177, 8 (Rec. 297) ; Ekkehard, Hieros. p. 165.
[136] Gesta, 27, 6 (Rec. 159) ; Raimond, 175, 19 ; (Rec. 294) ; Ekkehard, Hieros. loc. cit. ; Heyd, Ital. Handelscolon., p. 6, et, du même, Gesch. des Levantehandels, I, 149.
[137] Gesta, 27, 30 (Rec. 159, 160) ; Raimond, 175, 1 (Rec. 294) ; Ekkehard, Hieros. loc. cit.
[138] Gesta, 27, 50 (Rec. 160) : Raimond, 178, 10 (Rec. 299).
[139] Gesta, 127, 56 (Rec., 160) ; Ekkehard, Hieros. 166 ; Raimond, 178, 49 (Rec. 300).
[140] Gesta, 28, 10 (Rec. 160. 161) ; Raimond, 178, 52 (Rec. 300) ; Ekkehard, Hieros. p. 173. Dans sa lettre adressée de Laodicée au Pape, Raimond d'Aiguilhe écrit : In porticu quæ dicitur Salomonis et in templo ejus victores equitabant in sanguine Saracenorum usque ad genua equorum.
[141] Gesta, 28, 26 (Rec. 161).
[142] Hist. Franc. 178, 54 (Rec. 800).
[143] Raimond, 175 (Rec. 297) donne les détails les plus complets sur cette procession. On en trouve également dans Tudebode (Rec. p. 105-106), spécialement sur l'attitude des Sarrazins de Jérusalem. Les Gestes, 27, 50 (Rec. 160) n'en disent que quelques mots : Sed antequam invaderemus civitatem ordinaverunt episcopi et sacerdotes prædieando et admonendo omnes ut prœessionem Deo in circuitu Hierusalem celebrarent, et orationes atque eleemosynas et jejunia fideliter facerent.
[144] Albert, VI, 8 (D. Fol. 90).
[145] Tudebode, Rec., p. 106.
[146] Sur cet Arnoulf, voy. Ekkehard, Hieros. X, c. XXIX, 2 ss. : Ekkehard, donne un sermon prononcé par Arnoulf à Joppé le 6 sept. 1101 ; voy. encore loc. cit. p. 264, not. 8.
[147] Raimond, 176, 50 (Rec. 297. B).
[148] Dans son article sur l'édition allemande de notre étude (Theol. Literatur-Zeitung, chez Schürer, année 1880, IV, 19, p. 458), M. K. Müller dit qu'il existe une relation qui fournit des renseignements tels que l'on doit positivement nier que Pierre ait fait un sermon pendant cette procession à la montagne des Oliviers ; c'est probablement de celle de Tudebode qu'il veut parler ; mais il est dans l'erreur. Tudebode, lui aussi, donne à entendre que d'autres ont prononcé des sermons remarquables : Et ibi sermonem suum fecit quidam honestissimus clericus, scilicet Arnulfus : ces expressions signifient bien que d'autres aussi ont fait leur sermon ; au reste, le passage de Raimond que nous avons cité ne peut laisser subsister aucun doute à cet égard.
[149] Gesta, 28, 54 (Rec. 162 et 306). Sybel a rejeté, comme inadmissible, le renseignement fourni par Albert (voy. Gesch. des erst. Kreuzzuges, p. 486 (2e éd. p. 411), mais il nous parait qu'il n'a peint donné de motif suffisant à l'appui de son opinion. Nous ne pouvons comprendre comment, ayant sous les yeux les expressions de Raimond, il a pu aller jusqu'à écrire : Il n'est nulle part question de prédications. Pour Müller, loc. cit., le renseignement fourni par Albert, au sujet du rôle joué par Pierre dans cette procession, rentre dans le nombre de ces fictions qui ont Pierre pour centre et lui imputent toute une série de faits vrais en eux-mêmes. Pour parler ainsi, cet écrivain part de deux affirmations qu'il faudrait d'abord démontrer, à savoir : qu'il y a une relation qui dément le fait et qu'Albert est une source trop peu digne de foi. Pour la première de ces affirmations, voy. la note ci-dessus ; pour la seconde, l'auteur a négligé d'en démontrer l'exactitude pour le cas qui nous occupe.
[150]
Histor. Hieros., 132, 56 ; Rec. 100.
[151] Voy. Rec. Hist. occ., t. IV, p. 12 de la préface, le passage où Thurot relève dans la relation de Baudri les fictions inventées par l'auteur. Le sermon cité dans notre texte rentre assurément dans le nombre.
[152] D'après Thurot, Rec. loc. cit. p. 100, c'est Arnoulf qui est le prédicateur en question. D'après Pavie, l'Anjou dans la lutte de la chrétienté, p. 351, ce doit être Pierre : Car, dit-il, c'est incontestablement Pierre l'Hermite qu'il faut voir dans l'aliquis innommé de Baudri.
[153] Lib. VIII, 11.
[154] Ed. Hippeau, chant II, p. 87, s. ; voy. aussi Gaston Pâris, La Chanson du pèlerinage de Charlemagne (Paris, 1880), p. 24.
[155] Liber IV, p. 342 (Hofsnider, Gron.
1731).
[156] Pag. 83.
[157] Vol. IV, liv. IV, p. 411 ss.
[158] Pag. 367.
[159] C'est Tudebode qui est le phis explicite sur ce point. Voy. ainsi Ekkehard, Hierosol. p. 166.
[160] Pag. 83.
[161] I, 87.
[162] Geschichte der
Hohenstaufen, I, 176.
[163] Il y a, à la bibliothèque de Bamberg, un manuscrit du XVe siècle, portant l'étiquette Q VI 39 ; c'est un petit in-4° écrit sur 80 feuilles de parchemin, avec une belle reliure en cuir rouge du dernier siècle, doré sur tranches et à ornements dorés sur les plats ; il appartenait autrefois au couvent de St. Michel. Il renferme, dit-on, un sermon prononcé en allemand par un moine bénédictin en 1098, à l'occasion de l'entrée du duc Godefroi à Jérusalem. Sur la première page, on lit la note ci-après, d'une écriture du siècle dernier : N. B. La feuille précédente a été perdue par la négligence du relieur ; elle portait le nom du Rév. P. bénédictin qui a prononcé ce sermon à Jérusalem, en l'an 1099, pendant la semaine sainte, à l'occasion de l'entrée du duc de Lorraine à la tête de l'armée chrétienne. Au-dessous de cette note, on en lit une autre, celle-ci de la main de M. J.-H. Jæck, qui fut plus tard conservateur de la bibliothèque de Bamberg : L'indication ci-dessus est complètement erronée, car 1° il n'existe pas de document original en langue allemande remontant au XIe siècle ; 2° dans ce sermon, un grand nombre de passages sont extraits des œuvres de saint Bernard, qui ne vivait qu'au XIIe siècle, et dont les œuvres n'ont été répandues que beaucoup plus tard, d'une manière générale, dans-le clergé régulier. Signé Jæck. Grâces à la bienveillante intervention de MM. les ministres d'État de Munich et de Carlsruhe, nous avons eu ce manuscrit entre les mains ; nous avons pu l'étudier et constater que, des deux observations faites par M. Jæck, la deuxième est, en tout cas, exacte ; nous pouvons même ajouter que l'on trouve dans ce sermon des passages extraits et copiés mot pour mot, non seulement de saint Bernard, mais aussi de Jacques de Vitry. Le sermon en lui-même a pour sujet la cantique VII, v. 8 : Ascendam in palmam et apprehendam fructus ejus : ce n'est pas autre chose qu'une méditation sur le Vendredi-Saint, toute allégorique et fort ennuyeuse ; il n'y a pas un seul mot qui touche à l'histoire des croisades, ni même qui y ait aucun rapport. Si effectivement on avait donné au manuscrit le titre qu'indique la première note, c'était une grossière tromperie. Dans son ouvrage intitulé : Taschenbibliothek der wichtigsten und interessantesten Reisen durch Palästina, I, Nuremberg 1827, 1re partie, p. 97, M. Jæck impute cette fraude aux bénédictins du Michelsberg : il y avait dans ce couvent une célèbre école d'écrivains où, dit l'auteur, on a copié, authentiqué et même forgé une quantité de documents-originaux.
[164] P. 378.
[165] Bongars, 174, 31 (Rec., 203, F.).
[166] Cap. 118.
[167] Cap. 118.
[168] Cap. 113 : Tunc illius sangnis es duels, quo fulminante totiens Græcia timuit ; quo bellante Alexius fugit ; quo obsidente Dyrachium patuit ; cuius imperio tota usque Bardal Bulgaria paruit ? Non loqueris ignaro : neque enim me tantus patricœ meœ fefellit populator. Ainsi parle le Monachus Turricola à Tancrède.
[169] Cap. 111.
[170] Lib. VI, 7.
[171] Cap. XXXII, 1.
[172] Pèlerinage en Terre Sainte, éd. de Noroff (St-Pétersbourg 1864), p. 45.
[173]
Pour plus de détails, voy. Ekkehard,
Hieros., ch. XXXII, not. 4.
[174] Pag. 376 : Nous inclinons à supposer qu'il n'y a ici qu'un seul et même personnage, notre Hermite, l'ermite par excellence, qui, dès l'arrivée de l'armée en présence de la Ville Sainte, se sera rendu sur le Mont des Olives, pour y mener sa chère vie de retraite. Quel autre que lui, en effet aurait pu d'emblée exercer un pareil ascendant sur une armée commandée par tant de chefs différents ? Lui seul devait voir sa réputation grandir à mesure que s'éloignait le souvenir des malheurs de la première expédition et que l'armée s'épuisait par des pertes et des épreuves successives.
[175]
Sanudo a remis, le 24 septembre 1321, au Pape Jean XXII deux exemplaires
complet de son ouvrage. Voy.
Kunstmann, Studien über Marino Sanudo den Aelteren dans l'Abh. d. III
Cl. d. kgl. bair. Ak. d. Wiss., vol. VII, 3e part., p. 735, 787, et
Simonsfeld, Studien zu Marino Sanuto dem Aelteren, dans les Neu.
Archiv der Gesellzchaft für ältere deutsche Geschichtskunde, VII, p. 46,
ss.
[176] Voy. Vion, p. 333.
[177] Lib. VIII, 21.
[178] Il est difficile de s'expliquer commet il était possible que tous les pèlerins eussent des vêtements neufs. Albert, VI, 25 (D. Fol. 963) écrit, il est vrai : Dux Godefridus.... exutus lorica et linea veste nudatis pedibus muros egressus, in circuitu urbis in humilitate processit ac per eam portam quæ respicit ad montem olivarum introiens ad sepulcrum Domini nostri Jesu Christi presentatas est, in lacrimis Deo gratias agens, etc. — C'est de là, sans doute, que Guillaume a conclu que tous les pèlerins avaient dû revêtir leurs habits de fête.
[179] Guillaume de Tyr avait lu ce qui suit dans Raimond, 179, 10 (Rec. 300) : Capta autem urbe operæ protium erat videre devotionem peregrinorum ante Sepulchrum Domini, quomodo plaudebant, exsultantes et cantantes canticum novant Domino. Etenim mens eorum Deo victori et triumphanti vota laudum offerebat, quæ explicare verbis non poterat. Nova dies (c'est-à-dire le jour de la prise de Jérusalem), novum gaudium, nova et perpetua lætitia, laboris atque devotionis consummatio, nova verbe, nova cantica ab univenis exigebat.... In hac die dominas Ademarus, Podiensis episcopus, a multis in civitate visas est ; etiam multi de eo testantur, quod ipse primus murum ascendens, ad aspendendum socios arque populum invitabat.
[180] Lib. VIII, 28.
[181] Il est fort douteux que, pendant le siège de Jérusalem, il fût resté des chrétiens dans la ville ; mais il est certain qu'il y avait, dans le camp des croisés, des Syriens et des Grecs : on en a la preuve dans une anecdote unique dans son genre, rapportée par Tudebode. Ce chroniqueur, complétant la relation des Gestes, raconte (Rec. p. 107) que les Sarrazins de Jérusalem avaient envoyé un des leurs au dehors de la ville espionner les assiégeants ; les Syriens et les Grecs qui se trouvaient au camp le reconnurent pour un Sarrazin et le signalèrent aux croisés : il fut saisi sur le champ. Aux questions d'un interprète, il répondit que les Sarrazins de la ville l'avaient envoyé voir comment les Francs construisaient leurs machines de siège. Pour lui en faire mieux connaître la construction, on le plaça, pieds et poings liée, sur une catapulte et on le lança dam, la ville ; mais, avant d'arriver hauteur des murs, il était mis en pièces par la violence du jet.
[182] Histor. Orient., c. 20.
[183] Flores Historiarum, éd. Henr. O. Coxe, II, 141.
[184] Hist. Angl., I, 149, éd. Fréd. Madden.
[185] Pag. 87, s. ; et Vion, 876.
[186] Mentionnons spécialement Raumer, Geschichte der Hohenst., et Sybel, Gesch. des ersten Kreuzzuges. Parmi les écrivains plus anciens, Accolti n'a point non plus reproduit ce renseignement, bien qu'il l'eût trouvé dans Guillaume de Tyr, qui lui servait de modèle.
[187] L'Esprit des Croisades, t. IV, à la fin.
[188] Hist. des crois., t. I, c. 16.
[189] Pierre l'Hermite et la première croisade, Paris 1840, p. 388.
[190] Tom. II, 394.
[191] Loc. cit. Vion copie littéralement d'Oultreman.
[192] Gesta, 28, 30 ; Rec. 161.
[193] Epistola crucif. (Raimundi de Agiles) dans les Mon. Germ. SS. XVII, 17, et Jaffé, Mon. Bamberg., p. 176. Raimond d'Aiguilhe, Historia Franc., 176, 13 ; Rec. 296.
[194] Voy. Ekkehard, Hieros., XVII, 2, note 5 et XXIX, 2 ss.
[195] Ekkehard, Hieros.,
XVII, 3, not. 12 (p. 175) ; Gesta, 28, 87 (Rec. 161).
[196] Ekkehard, Hieros.,
XVII, 3, not. 6 (p. 174).
[197] Ekkehard, Hieros.,
XVII, 3, not. 12 (p. 175) et c. XVIII, 1, not. 1 (p. 179).
[198] Raimond, 181, 8 (Rec. 303) ; Gesta, 28, 46 (Rec. 161) : Comes vero S. Agidii ac Robertua Normannus dixerunt se non exituros, niai certum bellum scirent. Jusserunt ergo militibus suis ut pergerent videre si bellum vere esset, et reverterentur quantocius, quia ipsi mox essent parati ire. Ierunt illi videruntque bellum, et cito renuntiaverunt se vidisse oculis suis. On voit, par ce passage, à quel point chacun des chefs agissait à sa guise et suivant son humeur, et l'on peut se rendre compte que, bien qu'élu protecteur du S. Sépulcre, Godefroi de Bouillon n'avait pas la situation que l'on se figure d'ordinaire. Il était obligé de compter avec la bonne volonté de ceux qui s'étaient faits volontairement ses compagnons. Röhricht n'est donc pas tout à fait dans la vérité, lorsqu'il le présente (Beitr., II, 37) comme le général en chef de toute l'armée, quittant Jérusalem à la tête de 20.000 hommes ? Même observation à l'égard de M. Sepp, qui écrit dans son dernier ouvrage, Meerfahrt nach Tyrus zur Ausgrabung der Käthedrale mit Barbarossa's Grab (1879), p. 241 : Le noble duc de Lorraine avait fait la guerre au Pape et était entré à Rome à la tête des troupes impériales ; néanmoins sa réputation de valeur le fit nommer, au concile de Clermont, général en chef de la première armée croisée. Tout le succès de l'expédition dépendait de sa haute personnalité.
[199] Gesta, 28, 40 (Rec. 161).
[200] Raimond, 180, 15 (Rec. 303).
[201] Gesta, 28, 36, jusqu'à la fin ; Rec. 161-163. Raimond 180, 38, jusqu'à la fin ; Rec. 302-305. Voy. encore la lettre écrite an nom des princes croisés par Raimond d'Aiguilhe, datée de Laodicée, et adressée au Pape, dans Jaffé, Mon. Bamb., p. 176, et Mon. Germ. SS., XVII, 17.
[202] Le livre de Raimond est mutilé. Les Gestes se terminent comme il suit : Reversi sunt nostri cum gaudio Hierusalem, deferentes secum omnia bona, scilicet camelos et asinos onustos pane biscocto et farina et frumento et casis et pane et oleo et omnibus bonis quæ illis necesse erat. Hoc bellum factum est pridie Idus Aug., largiente hoc Domino nostro Jesu Christo : cui est honor et gloria, nunc et semper et in simula seculorum. Dicat omnis spiritus : Amen.
[203] Pag. 28, 56 ; Rec. 162.
[204] Guibert, 541 (Rec. 235) ; Baudri, 186, 50 (Rec. 107) ; Robert-le-Moine, 77, 45 (Rec. 87) ; Tudebode, (Rec. 113) ; ce dernier reproduit mot pour mot les Gestes.
[205] La Conquête de Jérusalem, éd. Hippeau, chant VII, p. 247 ss. ; Le Chevalier au Cyne et Godefroi de Bouillon, éd. Reiffenberg, t. III, p. 104, ss. vers 22050, ss. : voy. l'Introduction donnée en tête de ce poème, par Borgnet, t. III, p. LXXII. s., et Pigeonneau, le Cycle de la Crois., p. 79.
[206] Raimond, Epist. crucif. (Mon. Germ. SS. XVII, 17) et Ekkehard, Hierosol., XVII, 3 (p. 175).
[207] Avec les Ribauds ; voy. la Chanson d'Antioche, II, p. 358.
[208] Guibert, 541, 1 (Rec. 285) le désigne comme : pii hucusque operis executor.
[209] Voy. Gesta, 29, 1 (Rec. 162).
[210] Albert, lib. VI, 41 (D. Fol. 102a).
[211] Gesch. der Kreuzzüge, II, p. 7 : Pierre, lui aussi, fut invité à aller combattre avec les autres ; mais, dégotté des batailles, il préféra rester à Jérusalem pour y organiser, pendant l'absence du patriarche et à sa place, les processions solennelles où les clergés grec et latin imploraient l'assistance de Dieu en faveur de leurs frères les combattants. A ce passage, Wilken ajoute la note suivante : Gesta Francorum, loc. cit., et les autres écrivains, sauf Albert d'Aix.
[212] Histoire de la prem. croisade, II, 420.
[213] Rob. mon. 77, 45 (Rev. 873) : Patriarche quidem dereliquit vices suas Petro eremitæ, ut misses ordinaret, orationes constitueret, et processiones componeret ad Sepulcrum, ut Deus homo, qui in eo jacuit, populo suo fieret in præsidium. L'auteur de l'article sur Pierre l'Hermite dans la Nouvelle biographie générale, 40, p. 186, a tout simplement traduit ce passage comme ceci : Le nouveau patriarche Arnoulf le choisit pour son vicaire général.
[214] D'Oultreman, p. 90 : Pierre l'Hermite, comme chante le Tasse, 'selon le crédit et auctorité que ses vertus luy auaient acquises parmy les Princes, qui lui donnoient tousiours place trée honorable en toutes leurs assemblées d'estat, se leva, et prouua par bonnes et solides raisons que la Monarchie était nécessaire en ce nouule état, comme elle est utile ès autres. Vient une longue dissertation de Pierre sur les avantages de la monarchie pour le nouvel État, puis l'auteur continue, p. 93 : Ce discours fut prononcé en public : mais en privé il travailla grandement à persuader ana Princes de choisir la noble duc de Lorraine, Godefroy, et le couronner Roy de Jérusalem, en quoy il fit un seruice à Dieu et à la République chrestienne, aussi grand presque et aussi signalé que la croisade mesme : veu que tout le monde confessa depuis, que si ceste couronne fut tombée en autre main elle couroit risque d'estre bientôt foulée aux pieds, ou des Sarrasins, ou des chrestiens mesmes : les guerres intestines étant bien plus dangereuses que les estrangères.» Après cela, d'Oultreman nous apprend encore que Godefroi refusa non pas le titre de roi, mais la couronne d'or seulement.
[215] D'Oultreman, p. 94 : Or, comme ce Roy auoit respecté la prudence et honoré la vertu de Pierre l'Hermite en sa jeunesse (comme nous auons rapporté cy-dessus), ainsi voulait-il se servir de ses conseils, et aduis en ce temps auquel il en auoit plue de besoing.
[216] D'Oultreman, p. 95 : Ceste Procession acheuée, le Roy Godefroy se confiant en la prudence et prud'hommie de Pierre l'Hermite, le laissa pour le Vice-Roy et Gouverneur général de la ville de Jérusalem.
[217] Platina (bibliothécaire du Vatican, † 1481), Opus in vitas summorum pontificum ad Sixtum IV, Venise 1479, p. 159. Vion, p. 386 : Avant son départ, il confia la garde et le gouvernement de la ville à Pierre l'Hermite pour, en cas de quelque fâcheux événement, en soutenir le siège par sa prudence et la défendre par sa valeur. Comme le nouveau patriarche Daimbert accompagna Godefroi de Bouillon, pendant son absence, il le fit grand-vicaire. Ce qui fit connaître la haute estime qu'on avait de sa valeur et de sa piété, ayant en même temps le pouvoir des clefs de S. Pierre et celui de l'épée de S. Paul.
[218] Il est vraiment fâcheux que le passage où Anne Comnène, lib. XI (p. 326, Rec. 62) désigne Pierre l'Hermite comme έπιοκοπος et αρχίέρεος des latins, ait échappé à d'Oultreman et à Vion ; ils auraient su en faire un bel usage, mais assurément point pour rabaisser sa gloire.
[219] Voy. le passage de Wilken, II, 7, précédemment cité.
[220] La Chanson d'Antioche, II, 127 ; la Conquête de Jérusalem, chant VII.