LE VRAI ET LE FAUX SUR PIERRE L'HERMITE

 

DEUXIÈME PARTIE. — Le nom de Pierre.  - Ses ancêtres et ses descendants. - Sa patrie et son état.

 

 

1° Le nom de Pierre.

Dans toutes les chroniques, le nom donné à notre hermite est Petrus, mais toutes n'ajoutent pas la désignation Eremita ; d'ailleurs, depuis Guillaume de Tyr, il s'est formé une nouvelle opinion à l'égard de ce surnom : non seulement Pierre aurait été un hermite, c'est-à-dire un solitaire, mais, et c'est ici l'opinion admise depuis Guillaume seulement, le nom de l'hermite aurait été son nom de famille. Guillaume écrit en effet[1] : Petrus qui et re et nomine cognominabatur Heremita. Le fait est que la plupart de ses contemporains le nomment Petrus heremita[2] ; les uns expliquent le sens dans lequel ils entendaient le mot heremita ; les autres n'ajoutent aucun éclaircissement ; mais aucun ne dit expressément, comme le fait Guillaume de Tyr ou comme on interprète d'habitude les termes dont il s'est servi, que le nom Eremita ait été aussi le nom de famille de Pierre. L'auteur anonyme des Gesta Francorum[3], Raimond d'Aiguilhe[4], Foucher de Chartres[5], Tudebode[6], l'annaliste de Melk[7], le moine Robert de Reims[8], Baudri de Dol[9] le nomment simplement Petrus heremita. Quelques-uns de ces écrivains ajoutent que ce surnom n'a pas d'autre sens que l'indication de sa profession. Ainsi, Robert[10] dit expressément : Erat in illis diebus quidam, qui eremita extiterat nomine Petrus ; et Baudri[11] : Petrus quidam magnus heremita : Guibert[12], le contemporain de Pierre l'hermite, Guibert qui l'a vu en personne, le nomme expressément celeberrimus heremita ou non incognitus heremita. Foulques et Gilon[13] le nomment heremita Petrus. Ajoutons que certains chroniqueurs contemporains tels que l'annaliste de Bosenfeld[14] et ses copistes : l'annaliste saxon[15], l'annaliste de Magdebourg[16], Albert de Stade[17], l'annaliste de Dysibodenberg[18], et Florentius Wigornensis[19], n'emploient pas le mot heremita, mais ils le remplacent par la désignation reclusus ou monachus ; de même Ekkehard d'Aura[20] et Anne Comnène[21] si l'on admet avec Ducange que le nom Κουκουπετρος par lequel elle désigne l'hermite signifie Petrus cuculatus[22] : le froc dont Pierre était vêtu aurait inspiré à la princesse grecque l'idée de le désigner sous ce nom. Tout récemment, M. Léon Paulet, marchant sur les traces de Michaud[23] et de l'abbé Corblet[24], a tenté de démontrer[25] que Koukou répond au tchou du patois picard, ou à l'expression tiot ou petiot qui a cours dans d'autres provinces de France, de sorte que Pierre aurait reçu ce surnom de ses compatriotes en Picardie[26] et qu'Anne Comnène l'aurait reproduit comme elle l'avait entendu. Parmi les chroniqueurs ou narrateurs de la première moitié du XII. siècle, tels qu'Albert d'Aix[27], l'auteur de l'Historia belli sacri[28], Guillaume de Malmesbury[29], Tutebode B[30], Richard de Cluny[31], Hugues de Fleury[32], Florent de Worcester[33] († 1118), Orderic Vital[34], Foulques d'Anjou[35] et autres, les uns nomment Pierre Petrum Eremita, les autres ajoutent expressément qu'il était hermite ou moine, mais aucun ne rapporte ce que l'on veut voir dans les expressions de Guillaume de Tyr citées plus haut, à savoir, non seulement que Pierre aurait été un hermite, mais encore que le nom de l'Hermite, aurait été son nom de famille, et que, par conséquent, ses ancêtres l'auraient porté comme lui. Guibert écrit bien une fois[36] : Petrus quem heremitam agnominant et, dans un autre passage[37] déjà cité, il nomme Pierre celeberrimus heremita ; mais il est faux que Guibert, et, en général tous ceux qui emploient l'expression Eremita au lieu du mot Monachus aient voulu par là désigner son nom de famille, et la raison en est que, dans le cas contraire, ceux qui ajoutent comme explication le mot Monachus, ceux qui placent le mot de Eremita de telle sorte qu'il ne peut désigner que son état, ou ceux encore qui, comme saint Bernard de Clairvaux[38] se servent à son égard du terme général vir quidam, n'auraient certainement pas manqué de faire remarquer que Heremita était aussi son nom de famille. Du reste, si Guibert avait voulu dire une chose pareille, il aurait assurément employé d'autres expressions, ou bien il faudrait trouver dans l'un ou dans l'autre des chroniqueurs les expressions Petrus Eremita, magnus monochus, écrites et ponctuées de telle sorte qu'il fat évident qu'Eremita était son nom de famille. Les écrivains du temps ont donné à Pierre le surnom de Eremita, cela est vrai, mais, au sens moderne, il y a une grande différence entre un surnom et un nom de famille ; il ne faut pas oublier qu'à cette époque les noms de famille, dans le sens on l'on entend actuellement cette expression, étaient extrêmement rares, et, pour en revenir au cas qui nous occupe, il est bien probable que Pierre n'en a jamais eu.

Le nom de l'Hermite dans Guillaume de Tyr.

Et maintenant, disons-le, il est bien difficile d'admettre qu'en employant les termes qui font l'objet de cette discussion Guillaume de Tyr ait voulu par le mot heremita désigner le nom de famille de Pierre ; ce qu'il a entendu dire au contraire, c'est que ce surnom lui venait de son état, de sa profession, et que c'est pour cette raison qu'il lui est resté ; c'est qu'on lui avait donné ce surnom, non pas seulement parce qu'il portait un costume de solitaire et parce qu'il en avait l'extérieur, mais parce qu'il était, en fait, un hermite dans toute l'acception du mot. Bien d'autres ont pu porter le même nom, mais sans l'être dans le sens où Guillaume de Tyr l'entend et que comporte le nom en lui-même[39]. Admettant cependant, bien que, jusqu'à présent, nous n'ayons rien trouvé qui le prouve, que Guillaume de Tyr ait entendu donner à ses expressions, le sens que veulent y trouver tous ceux qui font[40] du mot Heremita un nom de famille ; on pourrait, peut-être, expliquer cette erreur de Guillaume par la croyance erronée que le solitaire avait laissé de la postérité. A l'époque où vivait Guillaume il y avait sans doute des individus qui portaient le nom de l'Hermite et il n'y a rien d'impossible à ce que quelqu'un d'entre eux ait prétendu faire remonter son origine jusqu'à Pierre. Descendre de cet homme célèbre, qui dès lors était déjà considéré comme un grand héros[41], c'était, en effet, sinon un mérite, du moins un grand honneur : cet honneur, plus d'un individu a pu y prétendre, soit qu'il portât effectivement le même nom, soit qu'il s'en fût affublé de lui-même, et cette prétention a pu se renouveler des milliers de fois peut-être à une époque où 1 n'était guère possible de contrôler l'authenticité d'une pareille généalogie ou d'en démontrer la fausseté. Il n'est pas impossible que l'archevêque de Tyr ait connu tel individu qui prétendait descendre de Pierre et qu'il ait par ce motif employé les expressions que nous discutons ; mais il eut été singulièrement embarrassé lui aussi, s'il avait dû fournir la preuve de l'authenticité d'une pareille généalogie[42].

Le nom de l'Hermite et les chroniqueurs contemporains.

II nous est permis maintenant de tirer de la discussion qui précède une conclusion certaine : Pierre était moine et solitaire et c'est là le seul motif pour lequel il est surnommé Eremita par ses contemporains et spécialement par ceux qui l'ont connu en personne, tels que Guibert de Nogent, l'auteur anonyme des Gestes, Raymond d'Aiguilhe, Foucher de Chartres et autres : avant Guillaume de Tyr aucun écrivain ne fait allusion au nom de l'Hermite comme nom de famille[43], et il est très improbable qu'en réalité Guillaume ait eu l'intention de donner à ses expressions et re et nomine cognominabatur le sens dans lequel on les interprète.

Mais si ce surnom n'appartenait ni à sa race ni à sa famille, an peut se demander comment il se fait qu'appliqué à sa personne il se retrouve d'une manière aussi générale chez les chroniqueurs du temps. Nous avons déjà dit que le 'nom de Pierre, accompagné de son surnom, se trouve dans la lettre que l'on suppose avoir été écrite par le pape Urbain II à l'empereur Alexis en date du 25 décembre 1096 : il y est placé parmi les chefs les plus éminents de la première croisade. Ce document serait assurément le plus ancien de ceux où le solitaire est désigné et nommé par son nom ; mais il est extrêmement probable qu'il est apocryphe. S'il était authentique, Urbain n'aurait donné ce surnom à Pierre que pour faire ressortir sa qualité de moine et non parce qu'il aurait déjà été généralement adopté : nous avons déjà vu, en effet, que, dans le peuple, Pierre portait un autre nom. Moine et hermite, il avait mis tant d'énergie et d'ardeur à soutenir l'entreprise patronnée par Urbain ; moine, il avait su assembler autour de lui une telle foule de croyants, animés de la même foi que lui, pour la diriger sur Jérusalem, que les écrivains du temps, inscrivant son nom à côté de celui des autres chefs qui n'étaient point des hermites, on cru devoir faire ressortir officiellement sa qualité.

Les seigneurs laïques qui commandaient les divers détachements de l'armée portaient comme surnom le nom d'une terre leur propriété ; mais Pierre. n'était ni duc ni comte, et c'est pour cela que les historiens des croisades et surtout l'auteur anonyme des Gestes duquel les autres se sont inspirés[44] directement ou indirectement, voulant le placer sur la même ligne, lui ont donné comme surnom la désignation de sa profession, l'Hermite, et ce nom lui est resté pour toujours. Assurément ce nom n'est pas celui que lui donnait la foule : à cet égard le témoignage d'Anne Comnène est irrécusable ; peu importe qu'elle ait plus ou moins exactement rendu par l'expression Κουκουπετρος le mot qu'elle avait entendu ; il prouve que ses compatriotes, les Français du Nord, ne le nommaient pas l'Hermite, sans quoi la fille de l'empereur aurait assurément entendu une autre consonance plus conforme à celle du mot Hermite. De ce fait nous pouvons à juste titre conclure que le surnom de Eremita lui a été donné, non pas par le peuple, mais par les historiens et que, peut-être, en cela ils n'ont fait que suivre l'exemple du pape. Il est tout naturel que si des témoins oculaires de la première croisade, à la fois acteurs et chroniqueurs, ont trouvé cette désignation, pour ainsi dire officielle, dans une lettre du pape, ils l'aient adoptée à leur tour. On sait l'usage que les écrivains postérieurs ont fait de leurs écrits ; ils ont reproduit le nom du solitaire, comme ils l'avaient lu dans les originaux[45].

2° Les ascendants et les descendants supposés de Pierre.

Nous pourrions, sur ce sujet, nous en tenir à ce que nous avons déjà dit à propos du nom de Pierre, si l'on n'avait pas abusé de la manière la moins excusable de la signification, selon nous erronée, que l'on a attribuée aux expressions de Guillaume de Tyr. Voici ce qui s'est passé : si le mot Eremita désignait le nom de la race, le nom de famille de Pierre, son père devait aussi porter ce nom ; il ne s'agissait que de le retrouver ; ce n'était pas un problème difficile pour un admirateur et un panégyriste enthousiaste. En outre, comme Pierre n'était pas un homme ordinaire, on a admis que ses parents ne pouvaient pas avoir été de basse extraction. Enfin on savait que quelques individus s'étaient vantés de l'avoir pour ancêtre : il est vrai que les premiers qui avaient émis cette prétention avaient attendu plus d'un siècle après sa mort ; mais, naturellement, on ne s'inquiétait nullement de savoir si leur prétention était fondée ou non et on concluait que, nécessairement, Pierre devait avoir été marié, etc. Bref, en 1645 d'Oultreman se trouvait en mesure de terminer son opuscule par une généalogie complète : il disait l'avoir empruntée à un vieux manuscrit qui se serait trouvé en 1682 entre les mains d'un prétendu descendant de Pierre l'hermite, le seigneur de Bétissart[46] : si M. Paulet était bien informé, ce même manuscrit était, en 1856, en la possession de M. Descamps, vicaire général du diocèse de Tournai[47]. Dans ses Recherches M. Paulet en donne une copie, mais il ne peut pas indiquer à quelle époque il a été écrit : doué d'un esprit méticuleux, cet écrivain manque absolument de critique, et pour tout ce qui concerne Pierre il se montre d'une extrême crédulité : or, s'il lui arrive, par extraordinaire, de ne pas oser garantir[48] l'authenticité de ce manuscrit, on admettra bien que nous nous croyions dispensé de la démontrer.

Donc, d'après se manuscrit, Pierre serait né à Amiens en 1053 et ses parents auraient été Renaud l'Ermite, d'une famille noble d'Auvergne, seigneur de Herrymont et Bacaumont, et Alide de Montaigu, issue d'une famille noble de Picardie. n aurait épousé Béatrix de Roussy, d'une famille noble de Normandie, et de ce mariage seraient nés deux enfants : un fils nommé Pierre et une fille du nom d'Alice. Après trois années de mariage sa &mime serait morte. Pierre se serait alors fait prêtre solitaire ; puis il aurait accompli un pèlerinage à Jérusalem, et, au retour, il se serait fait l'instigateur de la glorieuse entreprise de la croisade. Son fils, nommé Pierre comme lui, serait devenu gouverneur d'Antioche ; sa .fille Alice aurait épousé un noble Limousin, seigneur de Césarée, et aurait donné le jour à Aimar, qui devint plus tard patriarche d'Antioche. Un fils du fils de Pierre, nommé Baudouin, serait mort sans enfants à Baruth et aurait eu pour héritiers Eustache Ier et Tancrède, etc. — Certes toutes ces données auraient une grande valeur si l'on pouvait démontrer que le contenu de ce manuscrit mérite créance ; mais, cette preuve, ni d'Oultreman ni ses imitateurs n'ont eu le soin de l'apporter, et l'imposture est d'autant moins douteuse, que presque partout, chez d'Oultreman, l'invention romanesque se trahit à première vue[49]. Dans aucun des documenta de la première moitié du XIIe siècle on ne trouve trace de chose semblable ; leur silence démontre éloquemment que toutes ces indications généalogiques n'ont aucun fondement historique certain, et qu'on ne doit les considérer que comme une imposture à laquelle d'Oultreman et le seigneur de Bétissart n'ont peut-être pris que trop de part, supposition d'autant plus plausible que ce dernier n'a pas ménagé ses peines pour prouver au monde entier qu'il comptait Pierre l'hermite au nombre de ses ancêtres[50].

Les opinions depuis le temps de d'Oultreman.

Malgré tout d'Oultreman a exercé une influence considérable, même sur des hommes d'un esprit d'ordinaire sensé ; nous en trouvons une preuve dans Le Prévost : ainsi, dans son édition d'Orderic Vital, vol. III, p. 477, il accuse cet écrivain d'erreur, parce que, dit-il, celui-ci a pris le mot Eremita, nom de famille de Pierre, pour l'indication de sa profession : par là même, il adresse la même critique à toutes les sources contemporaines, où Pierre est expressément qualifié de Moine. En effet, comme il affirme que Pierre était marié avant la première croisade, ce qui ressort, pour lui, de la généalogie, il en conclut que Pierre ne fut jamais moine et que, par conséquent, le mot Eremita ne peut pas désigner son état[51]. Il nous semble cependant que Guibert, qui a vu Pierre de ses propres yeux lorsqu'il prêchait la croisade et qui, parlant de lui, dit savoir de source certaine solitariam sub habitu monachico vitam duxisse ; que Ekkehard et l'auteur des Annales de Rosenfeld etc. méritent plus de créance que Le Prévost, car, pour soutenir une hypothèse sans fondement, il néglige des témoins considérables et, dans ses affirmations, il va même plus loin que d'Oultreman ; celui-ci, au moins, ne nie pas que Pierre fût déjà moine avant d'entreprendre son pèlerinage.

De Reiffenberg, ayant vu des lettres de noblesse accordée par le roi Philippe IV (1621-1655) à un certain Jacques l'Hermite, s'est basé sur ce fait pour admettre que l'Hermite était un nom de famille et que Pierre était noble de naissance[52] : il ne nous semble pourtant pas qu'un diplôme de noblesse rédigé vers 1630, alors même qu'il a été authentiquement délivré par Philippe IV, puisse suffire à prouver qu'un moine qui vivait 530 ans auparavant, a porté le nom de famille de l'Hermite et était issu de famille noble.

Ces exemples montrent suffisamment quelle influence directe ou indirecte ont exercé sur un certain ordre d'écrivains le passage de Guillaume de Tyr et la signification erronée qu'on lui a prêtée. Il y a heureusement d'honorables exceptions ; parmi les savants modernes français et belges nous citerons en particulier MM. Paulin Paris[53] et de Hody[54] ; ils savent soumettre les documents à une saine critique et sont arrivés à des conclusions toutes contraires de celles des autres ; mais, nous le répétons, ils font exception.

3° La Patrie de Pierre l'hermite.

Paulin Paris écrit : Pierre était un homme de naissance obscure[55] ; c'est assurément l'expression de la vérité ; pas un des chroniqueurs du XIIe siècle ne dit un mot de ce que pouvaient être ses parents ; quant aux documents produits par d'Oultreman et par Reiffenberg, nous avons vu qu'ils ne méritent aucune créance ; ils sont sans valeur et le contenu en est pour la plus grande partie d'invention pure[56]. Par contre, nous trouvons chez quelques auteurs des indications sur sa patrie et son lieu de naissance : c'est un point qui doit nous arrêter un peu longuement, car il a donné lieu à des opinions contradictoires, et il a été, vers 1850, l'occasion d'un tournoi littéraire non sans une certaine acrimonie entre quelques savants Picards et Belges, les uns donnant comme paye d'origine à l'hermite la Belgique, les autres la France et, en particulier, la Picardie[57].

Documents primitifs : Guibert et Albert.

On trouve des indications sur la patrie de Pierre l'hermite dans Guibert, Albert, Foulques d'Anjou, Orderic Vital et autres chroniqueurs plus modernes, dont les renseignements méritent que l'on en tienne compte : ce sont Guillaume de Tyr et Graindor de Douai.

Guibert assistait en 1095 au concile de Clermont ; il a commencé à écrire son Historia quœ dicitur Gesta Dei per Francos après la conquête de Jérusalem, au moment où les croisés commençaient à regagner leur patrie : il est hors de doute qu'il ne l'a achevée que postérieurement à l'année 1108[58]. Voici ce qu'il dit de Pierre[59] : Sed numero frequentissimum vulgus Petro cuidam heremitæ cohæsit, eique interim, dum adhuc res intra nos agitur, ac si magistro paruit : Quem ex urbe, nisi fallor, Ambianensi ortum, in superiori nescio qua Galliarum parte solitariam sub habitu monachico vitam duxisse comperimus, unde digressum, qua nescio intentione, urbes et municipia prædicationis obtentu circumire vidimus, etc. Jusqu'à preuve du contraire nous supposons que l'expression urbs Ambianensis désigne la ville d'Amiens et non une autre ville de la région d'Amiens : nous sommes d'autant mieux fondés à le faire qu'Albert d'Aix, auteur de la seconde des sources importantes que nous avons citées, écrivant, un peu plus tard que Guibert, son Historia Hierosolymitanæ expeditionis, se sert de ces termes précis : ortus de civitate Ambianensi[60]. Ni Raimond d'Aiguilhe, ni Foucher, ni l'auteur anonyme des Gestes ne fournissent aucune indication relativement à la patrie de Pierre : les deux passages que nous venons de citer sont donc les renseignements les plus anciens que nous possédions, et ils sont d'autant moins contestables, qu'il n'y a aucun motif de douter de leur exactitude relative. Si Albert s'est inspiré de l'Historia de Guibert, ce qui est très invraisemblable et n'est, jusqu'à présent, nullement démontré, les mots nisi fallor de son modèle ne l'ont pas arrêté ; d'ailleurs s'il n'a pas mis en doute l'exactitude du renseignement fourni par Guibert, c'est qu'il avait d'autres raisons pour le croire vrai ; en effet, il a pu puiser à d'autres sources certains faits relatifs à la vie de Pierre l'hermite ; nous en avons la preuve dans les autres détails qu'il fournit, détails qui ne se trouvent que chez lui et auxquels il donne, dans son récit, une étendue relativement considérable[61]. S'il n'a pas connu l'Historia de Guibert, son témoignage, tout personnel, en concordant avec celui de Guibert le confirme et en rehausse la valeur.

Mais voici Guillaume de Tyr qui avait certainement sous les yeux la relation d'Albert, et, chose bizarre, il fait Pierre originaire non de civitate Amiens, mais de episcopatu Ambianensi. Pour s'écarter ainsi de l'original et mettre de episcopatu à la place de de civitate, il a dit avoir quelque- motif. S'il avait voulu substituer à l'expression de civitate une autre expression plus claire, il aurait dû écrire, du moins il est permis de le supposer, ex urbe, comme l'a fait Guibert. Mais il est évident qu'il. a eu en sa possession d'autres renseignements qui indiquaient non plus la, ville même d'Amiens, mais soit la banlieue soit le territoire dépendant de l'évêché de cette ville : dans le nombre se trouvaient peut-être les indications de Foulques d'Anjou et d'Orderic Vital et, suivant toute probabilité, celles que fournit la Chanson d'Antioche : ce dernier renseignement, moderne en apparence, pourrait cependant bien remonter à une haute antiquité : il fait expressément naître l'hermite dans le voisinage d'Amiens :

Il fut nés en Aminois, si avoit sa maison[62] ;

Amès fu et créus de la terre environ.

Puis que li saint apostle préechièrent le mont,

Ne fu uns tes hom nés pour bien dire sermon.

Il monta sur un asne, prist eséherpe et bordon, etc.

La Chanson d'Antioche est une chronique rimée, écrite peut-être par Graindor de Douai à la fin du XIIe siècle ou au commencement du XIIIe : elle se compose en partie d'emprunts faits à des poèmes antérieurs ; Paulin Paris l'a publiée sous sa forme originale : elle contient une histoire de la première croisade jusqu'à la défaite complète de Kerbogha devant Antioche ; les combats livrés par l'armée des croisés sous les murs se cette ville et son séjour dans la place forment le point culminant du récit[63]. Les chants du pèlerin Richard, l'un des acteurs de la première croisade, forment le fond de la chronique ; mais l'auteur n'a pas borné ses emprunts à ces chants ; il a utilisé d'autres sources verbales ou écrites, et dans le nombre il s'en est trouvé, sans doute, plus d'une où la vérité historique faisait absolument défaut. Il avait assurément aussi puisé dans La Chanson des Chétifs[64], poème composé vers l'an 1130 sur la demande de Raimond d'Antioche, où étaient dépeintes les épreuves et les souffrances de Pierre et de ses compagnons : sauf quelques fragments, ce poème est aujourd'hui perdu. Paulin Paris a essayé de démontrer que plusieurs épisodes légendaires de la Chanson d'Antioche sont extraits de la Chanson des Chétifs. D'après lui l'exorde, jusqu'à la relation du concile de Clermont, serait emprunté non pas aux chansons du pèlerin Richard, mais bien à la Chanson des Chétifs[65]. On peut d'ailleurs citer divers exemples qui démontrent que l'auteur a emprunté son exorde à plusieurs documents anciens : en voici un entre autres ; c'est la strophe où il est dit[66] :

Lors assemble ses homes de par tout son païs

Soissante mille furent, si com dist li escris[67].

D'après cela, le renseignement cité plus haut sur Pierre l'hermite remonterait au moine au premier tiers du XIIe siècle et très probablement même à l'époque immédiatement postérieure. à la première croisade ; la source où il a été puisé aurait été utilisée par l'auteur de la Chanson d'Antioche et par celui de la Chanson des Chétifs et, sans doute, aussi par. Guillaume de Tyr. On y désigne comme lieu de naissance de Pierre, non pas la ville d'Amiens, mais les environs de cette ville, ce qui est en désaccord avec les récits d'Albert et de Guibert : il est donc impossible de se dissimuler qu'il y a contradiction entre ces deux auteurs d'une part, Guillaume de Tyr et l'auteur de la Chanson d'Antioche de l'autre. Il est vrai que Guibert a exprimé lui-même un doute au sujet du fait qu'il avançait et qu'il a eu soin d'ajoute nisi fallor : il n'a donc pas voulu affirmer positivement ; d'autre part, pour ce qui concerne Albert, il n'est pas impossible que, par l'expression de civitate, il ait voulu comprendre la ville d'Amiens avec ses environs ; ce ne serait pas absolument une incorrection grammaticale[68] ; mais en faisant ces remarques nous n'avons nullement l'intention de pallier la contradiction que nous relevions tout à l'heure : au contraire, nous voulons le faire ressortir, et nous admettons que lorsqu'il écrivait de episcopatu[69], Guillaume de Tyr était d'un autre avis qu'Albert et Guibert et qu'il n'a point entendu donner une signification identique aux expressions de civitate et de episcopatu.

Foulques et Orderic.

Nous pourrions déjà terminer la discussion par une affirmation et dire : Pierre est né soit à Amiens même, soit aux environs de cette ville ; mais il ne nous est pas permis de passer sous silence un autre renseignement, qui nous est fourni par Foulques d'Anjou et Orderic Vital : peut-être était-il connu de Guillaume de Tyr et est-ce là ce qui l'a déterminé à s'exprimer comme il l'a fait.

Dans le Fragmentum historiæ Andegavensis du comte Foulques d'Anjou[70] il est parlé de Pierre l'hermite en ces termes : Heremita quidam Petrus Acheriensis : Orderic Vital[71], qui écrivit plus tard et qui connaissait l'Historia Andegavensis, emploie à l'égard de Pierre la désignation Petrus de Acheris monachus. Ainsi, tous deux usent à l'égard de Pierre d'une seule et même désignation, car de Acheris doit être équivalent à Acheriensis, et ces mots se rapportent à une localité qui doit être soit le lieu d'origine de sa famille ou son lieu de naissance, soit le pays où il possédait des terres ou son fief, soit encore un endroit où il aurait longtemps résidé : en tout cas, ce ne peut pas être son nom de famille : l'adjectif employé par le comte Foulques le prouve clairement. Il faut donc rejeter toutes les explications, toutes les hypothèses, y compris celles de Lappenberg[72] et de Sybel[73], dont le point de départ et le de Acheris pris pour nom de famille de Pierre ; car enfin il est bien difficile d'imaginer que Foulques ait été employer d'une manière ai exceptionnelle la forme de l'adjectif pour indiquer , un nom de famille. Son expression ne peut signifier que de deux choses l'une ; ou bien : un certain Pierre, qui était moine à Achéry ; ou bien : un certain moine, nommé Pierre, né à Achéry ou demeurant à Achéry : maintenant, des deux acceptions, quelle est la véritable ? c'est une question que nous ne sommes pas en état de trancher.

Récemment M. Guillon est venu soutenir une nouvelle thèse : d'après lui, l'expression employée par Foulques et Orderic ne peut pas avoir d'autre signification que : le moine Pierre, seigneur d'Achéry[74] : cela est inexact. Ce n'est pas que nous veuillons nier absolument qu'il soit possible de comprendre cette expression de cette façon ; mais, dans le cas présent, nous croyons que c'est extrêmement peu probable : en effet on le comprend, lorsqu'il y a lieu de donner de semblables indications, à moins de motifs sérieux, on donne d'abord le lieu de naissance, la patrie ; puis, dans le cas présent, les expressions Eremita Petrus, Petrus monachus, s'accordent mal avec le titre dominus de Acheris : enfin l'hypothèse de la noblesse d'origine de Pierre, admise jusqu'à ce jour, et que M. Guillon d'ailleurs, suppose exacte[75], nous paraît tout au moins manquer de fondement.

D'après le Dictionnaire des villes, communes, etc. de la France[76] de Duclos, il y a en France quatre villages du nom d'Achères : l'un est situé dans le département de Seine et Marne, un autre dans le département de Seine et Oise, un troisième dans le département du Cher, et le quatrième dans le département d'Eure et Loir, canton de Châteauneuf en Thimerais. M. Guillon s'est prononcé en dernier lieu en faveur du dernier de ces villages : c'est une idée que personne n'avait eue avant lui. D'autres[77] désignent un Achéry, situé en Picardie près de Laon, ou bien encore deux localités du nom d'Acheux, dans le département de la Somme. Les deux Acheux et Achéry près Laon auraient dépendu autrefois de la juridiction et du diocèse d'Amiens. Un Acheux fait aujourd'hui partie de l'arrondissement d'Abbeville, et la partie basse du village s'appelle, parait-il, encore Achéry : quant à l'autre Acheux, rien ne démontre qu'il se soit appelé autrefois Achéry ; il est situé au nord d'Amiens et de Péronne et à égale distance de tes deux villes, et dépend aujourd'hui de l'arrondissement de Doullens : il se nommait autrefois Taceaco ou Aceaco. Vion[78] s'est prononcé pour le premier des deux Acheux, M. Léon Paulet, pour Achéry, tandis que la plupart dos historiens antérieurs ont adopté Acheux entre Amiens et Péronne. Que si l'on nous demande laquelle de ces localités ont voulu désigner Foulques et Orderic, nous nous abstiendrons de répondre : en un pareil sujet il est difficile de toucher juste et les motifs que l'on fait valoir en faveur de l'une ou de l'autre localité ne sauraient nous convaincre de la nécessité de se déterminer pour l'une ou pour l'autre[79]. Tout ce que nous pouvons dire, c'est qu'il faut se garder se chercher en dehors du diocèse d'Amiens, car sur ce point les indications de Guibert et d'Albert sont précises et elles ont plus de poids que toutes les opinions opposées qui ont pu se produire après eux.

Nous nous permettrons cependant d'appeler l'attention sur une circonstance qui pourrait singulièrement ébranler l'opinion accréditée jusqu'à ce jour que le lieu de naissance ou la patrie de Pierre l'hermite doit être une localité du nom d'Achéry ou d'Achères : c'est le cas où il viendrait à être démontré que Foulques avait écrit non pas Acheriensis, mais Amianensis, et que cet orthographe a été changée par un copiste en Acheriensis, qu'Orderic aurait de nouveau transformé dans son Historia eccles. en de Acheris. Cette hypothèse nous parait aussi justifiée que toutes les suppositions au sujet de la localité d'Achéry et, si elle était admise, la question de savoir où était situé Achéry deviendrait absolument sans objet.

Conclusion.

Quoi qu'il soit, il ressort de la discussion qui précède un fait indubitable, c'est que Pierre est né, sinon à Amiens même, du moins dans le diocèse d'Amiens, et que, par conséquent, il était Picard[80]. Tous ceux qui placent son lieu de naissance autre part, en Belgique ou même en Allemagne, n'ont pour eux aucun document original ; ils négligent les renseignements authentiques que nous venons de discuter et se livrent à des hypothèses sans fondement.

Opinion des savants belges.

Pour qualifier le procédé de certains savants belges, qui réclament Pierre comme leur compatriote, il suffit de dire qu'entre autres MM. Grandgagnage[81], Ch. de Thier[82], Du Mortier[83], etc. se raccrochent, pour appuyer leur prétention, à un certain manuscrit ancien, le Nécrologe de Neufmoustier, document absolument sans valeur : citons le passage qui nous intéresse[84] : Julii a. D. MCXV. VIII Id. obiit dominus Petrus Pie memorie venerabilis sacerdos et heremita, qui primus predicator sancte crucis a domno meruit declarari. Hic post acquisitionem Sancte Terre cum reversus fuit ad natale solum, ad petitionem quorundam virorum nobilium et ignobilium fundavit ecclesiam istam in honore sancti Sepulchri et beati Johannis Baptiste, in qua idoneam elegit Bibi sepulturam.

Admettons que cette notice soit très ancienne, qu'elle remonte même, si l'on veut, à l'année de la mort de Pierre, ce qui n'est assurément pas, car M. Polain[85] lui-même affirme que le manuscrit ne peut avoir été composé que de 1230 à 1240 au plutôt : n'est-il pas bien étrange que l'on fasse jouer un rôle aussi prépondérant à ces quelques mots : cum reversus fuit ad natale solum et que, sous prétexte qu'immédiatement après il est question de la fondation du couvent de Huy, l'on vienne prétendre que, nécessairement, les mots natale solum indiquent que c'est précisément à Huy on aux environs qu'il faut chercher le lieu de naissance de Pierre[86]. Il est clair que les mots natale solum sont placés dans ce passage en opposition avec les mots Sancte Terre, et ils ne peuvent signifier qu'une chose ; c'est qu'au retour de la Terre sainte Pierre revint dans sa patrie, dans son pays, d'où il était parti, et que, par la suite, il a fondé un couvent à Huy ; mais ils laissent absolument hors de question le lieu de sa naissance et sa patrie : d'après les termes employés, il pourrait être situé en Espagne, en Allemagne ou en Angleterre, tout aussi bien qu'en Belgique. Ce serait peine perdue que de suivre pas à pas la singulière démonstration de ces écrivains belges[87] et d'entreprendre une oiseuse réfutation en leur opposant l'opinion de leurs adversaires, comme p. ex. celle de M. Léon Paulet dans ses Recherches. Ce qui a été dit précédemment suffit à qui veut savoir si Pierre était Français ou Belge : la réponse ressort d'elle-même, pour peu qu'à des hypothèses gratuites et à de frivoles interprétations, on préfère les renseignements originaux et contemporains : quelques peines que l'on se soit donné pour découvrir des documents originaux en faveur des Belges, on n'en a point trouvé par la raison qu'il n'en existe point.

Les annales de Rosenfeld et les écrivains récents.

Dans les Annales Rosenveldenses et dans leurs copies[88] on lit que Pierre in finibus Hispaniæ emersit. Ce renseignement contiendrait une erreur au même titre que ceux que nous avons discutés dans le paragraphe précédent, si cela voulait dire qu'il était Espagnol[89]. Mais ces expressions ne signifient qu'une chose ; c'est que Pierre l'hermite commença la prédication de la croisade sur les frontières d'Espagne : nous mentionnons ce renseignement en passant, nous réservant d'y revenir dans le cours du récit. Quelques écrivains modernes ont voulu retrouver la patrie de Pierre en Allemagne, en Hongrie, voir même en Syrie[90] : nous laisserons ces indications de côté sans nous en occuper davantage, leurs auteurs n'ayant pas même apporté un semblant de preuves. à l'appui de leurs étranges affirmations.

Date de la naissance de Pierre.

L'indication de l'année de la naissance de Pierre est encore une de celles qu'il faut laisser aux nombre des affirmations erronées. C'est en vain qu'on la chercherait chez les contemporains et les écrivains postérieurs. D'Oultreman, le premier, en 1632, a fixé cette date à l'an 1053 ; il l'a, il est vrai, empruntée à cette généalogie manuscrite, dont nous avons déjà apprécié la valeur ; ce renseignement n'a aucun fondement et ne mérite aucune attention. La Chanson d'Antioche appelle une fois Pierre l'hermite li pelerins senés, et Gilles d'Orval écrit (Chapeauville II, 47) in bona senectute diem extremam clausit. Voilà à notre connaissance, les seuls renseignements sur son âge qui remontent à une époque ancienne[91].

4° La profession de Pierre.

Rangeons encore dans la même catégorie les notices, les éclaircissements déduits par certains écrivains de quelques remarques des documents originaux : quelques-uns veulent que Pierre ait été étudiant à Paris et à Amiens, où il aurait eu pour compagnon d'études Godefroi qui fut plus tard évêque d'Amiens ; qu'il ait visité les universités d'Italie, d'Espagne et de Grèce ; qu'il ait possédé une vaste érudition, et ait été précepteur de Godefroy de Bouillon et de son frère ; on va même jusqu'à dire que, dans sa jeunesse, il aurait pris part avec Guillaume le conquérant à la conquête de l'Angleterre[92], etc., etc. ? Pures inventions d'historiens aux abois, auxquelles on pourrait en ajouter des centaines d'autres avec autant de raison et autant de vraisemblance.

Pierre fut-il un savant ?

C'est certainement Orderic Vital qui, le premier, a affirmé que Pierre avait reçu une éducation très complète et devait être un des premiers savants de son époque ; dans son Historia eccles., l. IX, 723, il le qualifie de doctrina et largitate insignis : il est cependant fort douteux que Pierre ait mérité une réputation de grand érudit. Orderic écrivait vers l'an 1140 : or, aucun de ceux qui ont écrit à une époque antérieure ne relève cette particularité ; ni Raoul de Caen, qui lui attribue seulement un spiritus acer[93], ni Albert, qui le nomme dans un passage prædicator in omni admonitione et sermone[94], et dans un autre[95], sermone et corde magnus ; ni Guibert[96] : et pourtant, au commencement de sa relation, Guibert va jusqu'à dire qu'il n'a connu aucun homme qui ait été entouré d'autant d'honneurs que l'hermite : aucun de ces écrivains ne semble connaître cette particularité toute honorable, et même Guibert pourrait bien nous donner une idée toute contraire : témoin cette apostrophe qu'il adresse à Pierre[97] :

Siste gradum : veterem recolas heremum, jejunio prisca. Junxeris hactenus ossa cuti, tenui radice ruentem. Tendere debueras stomachum, peculiali gramine vesci. Quid dapis immodicæ memores ? nil tale monasticus ordo, Nil tua te genitura docet, vel dogmata te tua pulsent. Ceu populos ad id angis iter, fieri quoque cogis egenos, etc.

Voilà certes des paroles qui ne viennent rien moins qu'à l'appui de ceux dont la riche imagination attribue à Pierre une haute naissance et une éducation recherchée ; elles pourraient même bien servir à prouver le contraire[98].

Il est vrai que le moine Robert, qui écrivait dans les dix premières années du XIIe siècle, dit quelque part[99] : Petrus qui apud illos qui terrena sapiunt magnus æstimabatur, et super ipsos presules et abbates apice religionis efferebatur : eo quod nec pane, nec carne vescebatur, sed tamen vino aliisque cibis omnibus fruebatur, et summam abstinentiam in deliciis querebat : mais il n'y a pas grand chose dans ce portrait qui rappelle la grande érudition attribuée à Pierre par Orderic.

Les témoins oculaires de la première croisade rapportent que le 27 juin 1098[100], pendant le 'siège d'Antioche, Pierre fut envoyé en mission auprès de Kerbogha, mais ce n'est pas une raison pour conclure de ce fait qu'il possédât la langue arabe, chose rare à cette époque chez les occidentaux, et qu'il fit, par conséquent, un érudit distingué : il est, au contraire, très probable qu'il ne connaissait pas cette langue, car l'auteur anonyme des Gestes dit expressément[101] qu'on lui adjoignit un interprète, nommé Herluin, qui parlait les deux langues. Si Pierre avait bien su l'arabe, il n'aurait pas eu besoin d'interprète. Rien d'impossible cependant, à ce que, pendant son premier pèlerinage, Pierre eût acquis quelques rudiments d'arabe et une certaine connaissance des coutumes de l'Orient et que cette expérience eût fait jeter les yeux sur lui lorsqu'il s'agit d'envoyer une ambassade au chef musulman. On peut néanmoins comprendre pourquoi, plus tard, à l'époque d'Orderic Vital, alors que sa gloire et sa réputation avaient considérablement grandi dans les esprits, on lui attribuait une grande érudition : c'est que sans elle on ne pouvait plus s'expliquer le succès légendaire de sa mission[102].

Pierre a-t-il été précepteur de princes ? a-t-il été soldat ?

Une fois cette hypothèse acceptée, on en a tiré des conséquences et l'on a admis que, pour acquérir cette érudition, il avait visité divers pays, fréquenté plusieurs universités, et exercé pendant un certain temps les fonctions de précepteur de princes ; cela démontre à quel point la postérité a embelli l'histoire de son héros et comment elle a cherché à remplir le vide laissé par l'insuffisance des renseignements que l'on possédait sur sa vie passée ; mais aussi quel mauvais service elle a rendu à la vérité !

Il en est de même pour toutes les autres assertions basées, soit sur la généalogie de l'hermite, soit sur d'autres traditions salis garantie d'authenticité ; en voici un exemple : d'après quelques auteurs, Pierre aurait, en qualité de vassal noble, fait la guerre en Flandre en l'année 1071, sous la bannière du comte Eustache de Boulogne ; blessé à Cassel, et fatigué du métier des armes, il se serait marié, et, après la mort de sa femme, il serait entré dans le cloître[103]. C'est à n'en pas croire ses yeux ; et cependant MM. Vion et Paulet appuient ces données fournies par d'Oultreman, ils y voient quasi une certitude[104] et le défendent du reproche de faire du roman. Voici le passage de d'Oultreman[105] : L'on tient que plus de 22.000 hommes y moururent (à Cassel), et l'on vit ce mont couler de torrens de sang. Eustache, comte de Boulogne, y fit des prouësses admirables, et Pierre l'Hermite ne s'y feignit non plus, mais cependant l'un et l'autre s'estant engagés plus auant que la fortune de leur party ne demandait, ils furent pris et emmenés eu lien sûr. Et M. Vion ajoute : Pierre fit preuve dans ce combat d'un immense attachement pour ses élèves (Godefroi, Baudouin et Eustache) et d'un remarquable courage, en se jetant de son corps entre eux et l'ennemi, pour que les fils d'Eustache ne fussent pas pris avec leur père. C'est à ce trait de dévouement qu'il dut sa captivité, sur les circonstances et la durée de laquelle nous n'avons pu découvrir rien de certain[106]. Toute cette histoire, où l'on nous présente Pierre blessé en combattant et fait prisonnier à la bataille de Cassel en Belgique, a pour point de départ une notice d'après laquelle il se serait trouvé parmi les vassaux d'Eustache un nommé Petrus Acheriensis. Il existe, parait-il, à la bibliothèque nationale de Paris et aux archives de l'Artois[107], certaines chartes contenant un rôle des vassaux d'Eustache, parmi lesquels on rencontre ce nom : noue regrettons de n'avoir pu trouver une indication précise de ces documents ; quoi qu'il en soit, comme ce nom et celui que donne Foulques d'Anjou ont la même consonance, on admet que les deux noms appartiennent à une seule et même personne, que l'induction logique, y oblige ; on conclut de là que Pierre a pris part à la bataille de Cassel, et tout le reste ; on prétend fournir ainsi une démonstration appuyée sur des documents authentiques, et (du moins c'est l'avis de M. Paulet) laver d'Oultreman du reproche de faire du roman ; on se trouve amené à torturer le raisonnement pour donner un air de solidité et de vraisemblance aux affirmations sans fondement de d'Oultreman et de ses pareils[108].

Les autres données sur le mariage de Pierre, sa postérité, la mort de sa femme et autres choses semblables ont pour point de départ le même manuscrit : nous n'avons donc pas besoin de perdre notre temps à en discuter l'authenticité ; nous avons déjà suffisamment fait connaître notre opinion à cet égard.

Résidence de Pierre avant la première croisade, soit comme moine soit comme hermite.

On prétend qu'avant de partir pour son pèlerinage de Terre-Sainte Pierre était moine au couvent du Mont Saint-Quentin : c'est encore là une de ces assertions dont on ne saurait faire la preuve : on cite à ce sujet un manuscrit conservé dans cette abbaye ; M. Paulet attribue à ce témoignage une importance de premier ordre, une autorité absolue[109], et cependant il reconnaît lui-même que cette pièce est d'une date postérieure à la première croisade : en fait d'authenticité il faut mettre ce manuscrit sur la même ligne que la généalogie : c'est une invention d'une époque postérieure. Que Pierre ait été moine et hermite, c'est ce que nous avons admis nous-même ; mais, quant à déterminer s'il habitait un couvent ou un hermitage, et à préciser le lieu de sa résidence en France avant son pèlerinage d'Orient, Amiens, St-Quentin, St-Rigaud[110], ou autre lieu, nous tenons cela pour impossible[111]. Si l'on voulait se permettre des hypothèses à ce sujet, il faudrait tenir compte du passage des Annales de Rosenfeld[112] et de leurs copistes où on le fait partir de la frontière d'Espagne : ce document remonte à l'époque où Pierre vivait encore ; il a donc une toute autre valeur que le manuscrit de Mont St-Quentin. Du reste, c'est encore un des points sur lesquels nous aurons à revenir.

En résumé, on le voit : on a entassé sur le nom de Pierre l'hermite, une quantité de romans et de récits absolument étrangers à l'histoire et l'on ne possède, en réalité, sur sa vie antérieurement à son premier pèlerinage, qu'un nombre extrêmement restreint de documents doués d'un caractère de certitude historique. Il s'appelait Pierre, il était né à Amiens ou aux environs de cette ville et fut moine : ajoutons encore qu'il n'exerça jamais d'autre profession et nous aurons cité tout qu'il est possible d'extraire des sources pour en former le noyau solide d'une histoire vraie. Tous les autres renseignements et particulièrement ceux que fournissent d'Oultreman et ses imitateurs ont un défaut commun : c'est l'absence d'une base authentique et originale : on ne doit y voir que des inventions, des légendes, et, pour la plupart, que des hypothèses lancées à la légère et issues d'imaginations affolées de romanesque.

 

 

 



[1] Lib. I, 11. Dans les manuscrits, on lit tantôt heremita, tantôt eremita, mais il est évident que ces différences d'orthographe n'ont ici aucune importance.

[2] Mansi, dans la Sacr. Conc. ampliss. collectio, t. XX, 660, Rensnerus dans les Epistolæ Turcicæ (Francf. 1598), I, p. 9, et d'autres éditeurs catalogués par le comte Riant dans son Inventaire, p. 124, donnent un bref attribué au pape Urbain II et daté du 25 déc. 1096, dans lequel on rencontre l'expression Petrus heremita. Si cette pièce était authentique ce serait, à notre connaissance, la plus ancienne de celles où l'on trouve ce nom ; mais le comte Riant a démontré, par un raisonnement aussi clair que solide, que cette pièce n'est, indubitablement, qu'un exercice de style, composé par Geronimo Donzellini en 1574. Voy. aussi v. Sybel, Gesch. d. erst. Kreuzz. 2e éd., p. 9, note 1, et Hans Delbrück, Zur Gesch. d. erst. Kreuzz. dans l'Historische Zeitschrift de Sybel. Neue Folge XI, p. 425.

[3] Bongars, p. 1, 24 ; p. 11, 14 ; 20, 29 ; 28, 25 ; Recueil, Hist. Occ. III, 121, 125, 150, 162.

[4] Bongars, 142, 10 ; 154, 2 ; 165, 15 ; Rec., Hist. Occ. III, 240, 259, 278.

[5] Bongars, p. 384, 59 ; 393, 17 ; Rec. p. 327. 347. Sybel dit (Gesch. d. erst. Kreuzz. p. 241) que Foucher ne parle pas du tout du nom de Pierre, mais c'est une erreur.

[6] Rec. III, 10, 11, 13, 40, 77, 113.

[7] Annales Mellicenses, éd. Wattenbach, dans les Mon. Germ. SS. IX ad ann. 1095.

[8] Bong. I, 33, 12 ; 34, 9, 27 ; 48, 3 ; 62, 8. 52 ; Rec. III, 731. 734. 735. 781. 825, 826.

[9] Bong. 90, 39, 43 ; 119, 89 ; 136. 48 ; Rec., Hist. Occ. IV. 20, 74, 107.

[10] Bong. 32, 58 ; Rec. 731.

[11] Bong. 89, 35 ; Rec., Hist. Occ. IV, 18.

[12] Bong. 484, 34 ; 501, 53 ; 520, 31 ; Rec., Hist. Occ. IV, 146. 174. 204.

[13] Historia Gestorum viœ nostri temporis Hierosol., publ. par Du Chesne, Hist. Franc. SS. IV, 892, C. 911 C.

[14] Mon. Germ. SS. t. XVI.

[15] Mon. Germ. SS. t. VI ad ann. 1096.

[16] Mon. Germ. SS. t. XVI ad ann. 1096.

[17] Mon. Germ. SS. t. XVI ad ann. 1096.

[18] Mon. Germ. SS. t. XVII.

[19] Historia, publ. dans les Mon. Germ. SS. V, 564.

[20] Mon. Germ. SS. t. VI ad ann. 1096 ; Hierosolymita, c. I, 1.

[21] Alexiad. lib. X, éd. Paris, p. 283 ; éd. Ven. p. 224 ; Rec., Hist. Grecs, I, pars. II, p. 4 ; éd. Reifferscheid, p. 29.

[22] Au sujet du vocable Κουκουπετρος voy. les notes du livre X de l'Alex. d'Anne Comnène (Reiffersch. p. 594).

[23] Histoire des Croisades éd. Breholles, I, 44 : Anne Comnène l'appelle Cucupietre, qui parait tiré du mot picard Kiokio, petit, et du mot Petrus, Pierre : Petit Pierre. V. aussi, du même, l'art. sur Pierre l'hermite dans la Biographie univers., t. 34, p. 400.

[24] Glossaire Picard de l'abbé Corblet : Kieukiot, petit (picard). Pierre l'hermite portait le surnom vulgaire de Kieukiot Pierre, que les Grecs modernes ont rendu par Koukiou.

[25] Dans ses Recherches sur Pierre l'hermite, p. 156, Léon Paulet dit : De nos jours encore le mot français petit se traduit en picard par tchou ou chtou (ce petit, ech'tou) que les habitants seuls de la Picardie prononcent ainsi et que les Français des autres provinces prononcent tiot ou petiot, expressions qui se rapprochent plus du français moderne que de la langue d'oil. Il y a dans l'expression picarde, prise en bonne part, quelque chose de plus amical que dans le mot petit ; et, prise en mauvaise part, elle semble rapetisser l'individu davantage. L'expression chtou chtou Pierre est donc, à mon avis, le surnom ou sobriquet attaché par les Picards au nom de notre prédicateur, et ce qui le prouve, c'est qu'au concile de Clermont, le peuple n'appelait l'hermite que kiokio Pierre. Mon ami l'abbé Corblet a recueilli en Picardie les surnoms donnés à Pierre l'hermite. Il écrit kiokio Pierre. Une tradition conservée dans l'Artois veut que Pierre n'ait pas eu d'abord tout le succès que méritait son éloquence, que la fougue de ses paroles, au lieu d'électriser les hommes, le fit regarder comme fou par le vulgaire et que les petits enfants le poursuivaient dans les rues et sur les chemins en criant : Oh ! oh ! chtou Pierre ! chtou Pierre ! A la même page, L. Paulet dit : Dans ce temps, comme dans le nôtre, les soldats donnaient, souvent des sobriquets à leurs chefs. Si Napoléon était pour les soldats le petit caporal, pour les soldats du moyen-âge Pierre l'hermite fut le petit Pierre (ech'tou Pierre) comme saint Bruno, évêque de Wurtzbourg, alors chef de l'armée de Conrad le salique (1087) avait été le petit père. Il est remarquable que les petits hommes jouent un grand rôle dans le monde.

Puisque nous nous occupons de l'ouvrage de L. Paulet, notons ci qu'il existe de ce livre deux éditions, dont le titre est absolument identique et la pagination absolument la même : seulement, dans l'édition qui est assurément la plus ancienne, on trouve, de la p. 105 à la p. 122, un morceau intitulé : Autorités à consulter sur Godefroi de Bouillon, Pierre l'hermite et la première Croisade ; dans l'édition postérieure, ce morceau manque et, à sa place, de la page 105 à la p. 122, on trouve un autre morceau qui n'existe pas dans la première, intitulé : Lettre à M. le baron de Hody sur Pierre l'Hermite et les Croisades.

[26] Oster, dans son Anna Comnena, IIe partie, Rastatt 1870, note 43, prétend que c'est par un sentiment de haine patriotique à l'égard des Occidentaux qu'Anne Comnène a nommé Pierre Koukoupetros ; on nous permettra d'en douter. Si cela était vrai, on devrait trouver dans sa relation d'autres transformations du même genre pour les noms d'autres personnages occidentaux ; en tout cas, elle ne se serait pas contentée de ces expressions : Κελτος τις Πετρος τ' ουνομα, της επιονυμιαν κουκουπετρος ce qui ne peut assurément signifier qu'une chose, c'est que Pierre était généralement appelé Kουκουπετρος.

[27] Lib. I, c. 2, 7 ; lib. II, c. 20 etc.

[28] Mabillon, loc. cit. p. 181 (Recueil, p. 189) : fuit quidam eremi accola in Galliarum regione, Petrus nomine ; p. 140 (Rec. 174) ; 142 (Rec. 175) : Petrus Eremita ; ibid. p. 165 (Rec. 188) ; 192 (Rec. 204) etc.

[29] Saville, Rec. Angl. Script. p. 133.

[30] Recueil, Hist. Occ. III, p. 10, 11, 13, 40, 77, 113. L'époque de la composition de l'Historia de Hierosolymitano itinere doit être fixée : pour Tudebode A avant l'année 1111, pour Tudebode B après l'année 1118 ; v. à ce sujet notre étude dans les Forschungen zur deutschen Gesch., vol. XV, p. 41 et 42.

[31] Richardi Cluniacensis Monachi, Chronicon ab imperio Caroli magni sive ab a. Chr. 800 usque ad a. 1162, éd. ex manusc. Cod. Biblioth. Vatic. in Muratorii, Antiquitat. Italic. med. œv., t. IV, p. 1087, B.

[32] Hugonis Floriacensis, Opera historica, éd. Waitz, Mon. Germ. SS. IX, 393 : Petrus quidam heremita.

[33] Chronicon ex Chronicis, éd. Guill. Howard ; Bouquet, Rec. XIII, 70.

[34] Hist. eccles., éd. Le Prevost, t. III, 477, 481, 524, 554, 615.

[35] Hist. Andegav, fragment., publ. par d'Achéry dans le Spicileg., p. 234 ; Chronique des Comtes d'Anjou, éd. Marchegay, I, 380.

[36] Bongars, 484, 34.

[37] Bongars, 501, 53 et 520, 31.

[38] Epistola 322 : Fuit in priori expeditione vir quidam, Petrus nomine, cujus et vos, nisi fallor, saepe mentionem audistis.

[39] Hody exprime le même avis que nous dans sa Description des tombeaux de Godefroi de Bouillon et des rois latins de Jérusalem. Bruxelles 1855, p. 125 (2e éd. Paris 1859, p. 110) : En disant que Pierre était ermite de nom et d'effet, Guillaume de Tyr ne me semble aucunement viser son nom de famille. Il s'est borné à indiquer que cette épithète n'était pas un simple sobriquet, selon l'usage du temps, témoin entre autres le courageux chevalier Gauthier sans Avoir, ou Guillaume le Charpentier, mais exprimait sa profession réelle. Cette opinion est d'ailleurs confirmée par une vieille traduction française de Guillaume de Tyr (Estoires d'Eracles, publiée dans le Rec. Hist. Occ. II.) ainsi conçue : Bien vous ai dit desus que de maintes terres venoient pelerins en Jhérusalem. Entre les autres en vint ung qui estait del règne de France, nez de leveschie d'Amiens, c'est-à-dire Pierres qui avoit esté hermites el bois, por ce l'apeloit-on Pierron l'ermite (Extrait du manuscr. n° 9492, fol. 7 recto, de la Bibl. de Bourgogne).

[40] Du nombre des écrivains qui admettent que l'hermite était le nom de famille de Pierre, nous exceptons Roger de Wendower et Mathieu Paris : ils attribuent à Pierre, le premier dans sa Chronica sive Flores historiarum (éd. Cois) II, 63, le second dans ses Chronica majora (éd. Luard) II, 48, la qualité de Sacerdos quidam nomine et heremita professione de regno Francorum : et encore Jacques de Vitry qui écrit (lib. I, 16) : In Ambianensi Episcopatu vitam eremiticam agenti, qui et Petrus Eremita ducebatur. Tous connaissent la relation de Guillaume et lui ont emprunté leurs indications. Il faut aussi mettre à part ces expressions de Mathieu Paris dans son Historia Anglorum sive Historia minor, (éd. Madden) I, 57 : Animabat nempe ipsos Petri Heremitte prædicatio, qui sacerdos religiosus extiterat, cognomento et professione Heremita, genere præclarus, moribus eximius, sponte fluens habens eloquium, literis eleganter eruditus ; enfin Albéric de Trois-Fontaines, à l'année 1094 (Mon. Germ. hist. Script. XXIII, p. 803), écrivant d'après Gui de Bazoches († 1202), il donne à l'hermite la qualité de Sacerdos quidam vere cognominatus Eremita : en effet, la signification attribuée aux expressions de Guillaume n'a fait son apparition qu'à une époque postérieure, et, dans les derniers temps, c'est Le Prévost qui, dans son édition d'Orderic, t. III, 477, l'a défendue avec le plus de partialité : nous reviendrons plus loin sur cette question.

[41] A preuve, les récits de Guillaume de Tyr et la Chanson d'Antioche (éd. Paulin Paris, Paris 1848).

[42] Dans la Continuatio Aquicinctina de Sigebert de Gembloux ad ann. 1192 (publiée par Pistorius, Rec. Germ. Script. I, 1001, sous le titre Chronicon Anselmi Gemblac.) Miræus relève un passage où il est fait mention d'un certain Albert l'hermite : Albertus Eremita Petri Eremitæ, qui belli sacri auctor Urbano II. Pontifici fuit, propepos, ex Episcopo Bethlehemifico, Patriarcha Hierosolymitanus, post Heraclium, a Cœlestino III. Papa constituitur. Cette remarque se trouve également dans l'Italia sacra III, 1097 ; mais elle renferme une erreur. Le successeur immédiat du patriarche Heraclius († 1191) fut un certain Sulpitius, auquel succéda Cyrille ; peut-être, après ce dernier, l'évêque de Bethléem Albert a-t-il été revêtu de cette dignité, qui n'était, à cette époque, qu'un simple titre ; voy. Riant, Haymari monachi de expugnata Accone, p. XXXVI. Cet Albert était personnellement connu de Guillaume de Tyr ; il l'accompagna à Rome en 1178. Cependant, ni aux chap. XXI, 26, et XXII, 7, où il fait mention de cet Albert, ni dans aucun autre passage Guillaume ne joint à son nom le surnom Eremita : nulle part non plus il ne fournit la moindre indication qui puisse donner lieu d'admettre qu'il ait été parent de Pierre l'hermite. Cet Albert ne doit pas être confondu avec Albert de Castelgauthier, évêque de Verceil, qui portait le surnom de Eremita et l'a conservé, parce qu'il se fit admettre au nombre des hermites du mont Carmel, auxquels il donna leurs règles, mais non pas parce qu'il aurait été parent de Pierre : il succéda en 1204 au patriarche Haymarus monachus ; voy. Riant, loc. cit. p. XXXVI et LIII. Hody, loc. cit. p. 124 (2e éd. p. 109) pense que cet Albert l'hermite n'appartenait pas à la famille de Pierre, pas plus que ce Guillaume l'hermite, qui était archevêque de Bourges vers l'an 1290 et doit avoir reçu ce surnom à cause de la simplicité de ses mœurs. Ducange, venant à parler de cette prétendue parenté dans Les Familles d'Outre-mer (éd. Rey) p. 725, affirme également qu'il est impossible de la démontrer : ainsi donc, lorsque Rey prétend, p. 726, que l'on peut attribuer cette parenté à un autre Albert, qui fût, de son temps, évêque de Bethléem, et quand il ajoute (p. 785) au nom d'Albert la qualification petit fils de Pierre l'hermite, on peut soutenir que lui aussi est dans son tort, car on ne peut pas plus apporter de preuves en faveur de nette affirmation qu'en faveur des autres.

[43] Récemment, M. Félix Guillon a exprimé le même avis dans son Étude sur Pierre l'hermite, Orléans 1874, p. 18. Nous reviendrons à l'occasion sur d'autres points éclaircis par cet écrivain.

[44] Voici ce passage de la lettre attribuée à Urbain, mais, suivant toute probabilité, composée par Geronimo Donzellini en 1574 : Primus omnium Petrua Eremita innumerabilibus se ducem præbuit, cui Godefridus, Eustachius et Balduinus fratres Bolonii comites se addiderunt, majores etiam copias paraverunt. Hinc Podiensis episcopns belli dux, et Raimundus S. Egidii comes, inde Hugo Magnus, Philippi Francorum regis frater, et Robertus Normanniæ, et alter Robertus Flandriæ, et Stephanus Carnuti comites. Quid dicam de Boamundo ipso qui ingenti magnanimitate iis se comitem adjunxit cum 7000 delectæ juventutis Italicæ ? recta fratri rerum omnium cura, quocum diu bellum contenderat. La liste des princes est en général à peu de chose près la même dans Raimond d'Aiguilhe, Foucher et l'Anonyme des Gestes. Au reste, comme c'est ce dernier qui a, le premier, consigné le nom d'Eremita, il est bien possible que ce soit par imitation que les autres aient donné le même nom à Pierre : on sait en effet que Raimond d'Aiguilhe et Foucher, Tudebode et l'Historia belli sacri ont fait plus d'un emprunt à l'Anonyme des Gesta Francorum : Robert, Baudri et Guibert ne s'en sont pas non plus fait faute.

[45] M. Léon Vieillard a publié récemment dans les Archives de l'Orient latin, t. I, 398, s. une charte du Chastulaire de Molesme, où, parmi les noms des témoins, on trouve celui de Peter Eremita. S'il était démontré que ce témoin fût effectivement notre Pierre, cela prouverait que Pierre signait Peter Heremita, et, par conséquent, qu'il se donnait lui-même ce nom. Y a-t-il identité ? ce n'est assurément qu'une hypothèse, car la charte n'est point datée ; M. L. Vieillard lui attribue la date de 1100 ; mais c'est encore une suite de la même supposition.

[46] Voy. d'Oultreman, p. 136 et 169.

[47] L. Paulet, Recherches sur Pierre l'hermite p. 80 et 71. À la page 29, l'auteur affirme que d'Oultreman avait eu entre les mains un manuscrit dans lequel Nicolas de Campis avait soigneusement réuni tout ce qu'il était possible de trouver en fait de renseignements sur Pierre l'hermite ; mais il ajoute que ce manuscrit a, depuis, été perdu. Nul doute que ce manuscrit ne soit autre que la collection de pièces indiquées et décrites déjà par Reiffenberg dans le Compte-rendu de la Commission royale d'histoire, t. II, année 1838, p. 249, sous le titre : Généalogie ou descente de la noble et anchienne maison de L'hermite, recopilée, curieusement recerchée et extraicte de divers autheurs, papiers et documens, par Nicolas de Campis, dict Bourgoigne, roy d'armes de Sa M. Cath. Philippe II, roy des Espaignes, et successivement de son fils Philippe III, et par achevée l'an MDCII, Grand in-f°, pap. orné d'une multitude d'armoiries coloriées, de portraits, sceaux et autre dessins, etc. Ce manuscrit avait été offert à la bibliothèque royale de Bruxelles, mais elle refusa de l'acheter, puisque, disait le rapport, l'utilité et la valeur du manuscrit n'étaient pas proportionnées au prix considérable qu'on en demandait.... il serait absurde de s'enthousiasmer pour des choses qui n'en valent pas la peine, de porter aux nues toutes paperasses quelconques, par un amour aveugle de l'inédit, et se consacrer à de pures inutilités les ressources réclamées par des objets d'une utilité réelle et incontestable.

[48] L. Paulet s'exprime comme il suit, au sujet de ce manuscrit : Il n'entre pas dans mes vues de faire des recherches sur cette généalogie et de m'intéresser aux prétentions de plusieurs branches de cette famille, qui firent dans le milieu du XVIIe siècle, assez de bruit dans le monde héraldique, pour revendiquer l'honneur de descendre du fameux hermite ; mais qu'il me soit permis de remarquer ici que plusieurs parties de la généalogie rapportée par le P. d'Oultreman s'appuyant sur des preuves authentiques (!), il pourrait très-bien se faire que le reste ne fût pas aussi frauduleux qu'on veut bien le dire. A ceux que cette généalogie intéresse à faire des recherches, je n'ai aucune prétention à la science de d'Hozier et décline ici mon incompétence sans le moindre scrupule. Recherches, p. 71.

[49] Toutes ces généalogies ont été inventées au XVIIe siècle pour rehausser la famille L'Hermite. Celui des membres de cette famille qui se donna le plus de peine pour faire remonter sa race jusqu'à Pierre l'hermite fut François l'Hermite, auteur dramatique français, né en 1601 au château de Boliers (Marche), mort le 7 sept. 1655 à Paris : il écrivit tout exprès son poème Le Page disgracié, Paris, 1643, in-8°. Voy. l'article L'Hermite (Franç.) de Soliers dans la Nouvelle Biographie universelle, publiée par Firmin Didot frères, t. XXXI, p 76. C'est d'ailleurs le moment de placer quelques remarques au sujet de l'opuscule du P. d'Oultreman. Il suffit d'avoir lu les sources originales et de savoir combien peu de renseignements elles fournissent sur Pierre l'hermite, pour être aussitôt irrésistiblement convaincu que cet opuscule n'est qu'un roman, d'ailleurs habilement composé, et ne pas se laisser prendre à l'indication de ses sources, dont la plupart ont, d'ailleurs, la même valeur que le manuscrit du sire de Bétissart. Noue donnons plus loin la liste des sources auxquelles d'Oultreman a puisé pour établir sa généalogie de la famille de Pierre, mais nous ne pouvons cacher notre étonnement, lorsque nous nous sommes aperçu que la plupart de ces pièces remontent à peine au XIIIe siècle, et que c'est là ce que lui et ses imitateurs admettent comme des documents originaux et des preuves indiscutables. C'est ainsi qu'à côté de la fameuse Généalogie on donne comme source le manuscrit d'Alonzo Gomez de Minchaca, dont nous avons déjà parlé, intitulé : Fechos Heroicos. Cet Alonzo Gomez aurait vécu vers l'an 1315 : d'après lui, le père de Pierre se serait nommé Raynald, et sa mère Béatrix de Roussis. A l'époque du P. d'Oultreman, l'original de ce manuscrit était conservé à la bibliothèque de St. Laurent à l'Escurial. Voy. d'Oultreman, p. 137. Nous trouvons ensuite : Le livre d'Armoires d'un certain Gonzalo Diez ; voy. ibid. p. 137 : Une vieille Chronique des Annales de France, finissant en 1380 : Une certaine Médaille ou pièce d'argent que le Seigneur de Bétissart garde en son cabinet, tiré de celui du Roy Philippe II, avec l'exergue : ALBERTUS : PATRI : Hieroso. : ARNO MCCVI ; d'Oultreman a donné à la p. 140 de son opuscule un dessin de cette médaille, réduit à la grandeur d'une pièce de cinq francs ; on la trouve également dans les Acta Sanctorum Boll., Mai III. Avril I : Un Epithalame de Jean le Bouteiller, Sire de Froymont, à l'occasion du mariage d'Etienne l'Hermite, chevalier et seigneur de la Fage, avec Catherine de la Croix, le 25 janvier 1419 ; d'Oultreman cite cette pièce en entier ; on la trouve également en entier dans le Compte-rendu des séances de la Commission royale d'histoire, Bruxelles 1838, p. 253, et en partie dans Vion, p. 178 : une pièce intitulée : Vers d'un certain héraut d'armes, dit Bourgogne, adressés à Messire Jean de Vergy, Seigneur de Pouvons et Vignory, chevalier de l'ordre de la Toison d'or, créé par le bon duc Philippe en 1433 ; enfin une autre pièce intitulée : Lettres patentes de Philippe III, roi d'Espagne, données à Valladolid, en faveur de Messire Jean l'Hermite, chevalier, aide-gentilhomme de la chambre. Datées du 15 février.

[50] A propos de la manie qu'ont certaines gens de descendre d'ancêtres illustres, voy. Paulet, Recherches, p. 75 : il cite entre autres ce Martin l'Hermite, sire de Bétissart, qui se glorifiait d'avoir une longue généalogie : Ces l'Hermites avaient la prétention de descendre de loin. — Jean, petit-fils du fameux compère de Louis XI, fit voir, au rapport de l'historien Mathieu, à Theuet, le cosmographe, des titres contenant l'alliance que les seigneurs de cette maison avaient eue avec les anciens romains. Il y a de ces familles qui ont trouvé le moyen de descendre d'Hector ou de Priam. Quelques unes remontent à Noé, qu'elles font roi, et auquel elles donnent des armoiries. Je sais tel historien, Charron, je crois, qui date d'Adam sa généalogie des rois de France. — Mailly, dans l'Esprit des croisades (Dijon, 1780, t. III, p. 59) est du même avis : la maison de l'Hermite et de Shouliers, dit-il, qui prétend sortir de Pierre, n'a peut-être d'autre titre pour appuyer cette généalogie, que le désir d'appartenir à un homme fameux : Wilmans, dans son excellent article Ueber die Chronik Alberichs, dans les Archives de Pertz, X, 210, fait d'ailleurs cette remarque : On reconnaît à deux choses jusqu'à quelle point l'amour de la légende, régnant au XIIIe siècle, dominait la science et la vie et avait pénétré partout : d'abord il semble qu'il était de mode de faire descendre los familles nobles les plus puissantes de personnages du cycle légendaire carolingien ; p. ex. les comtes des Amis et de Ramera devaient descendre du traître Ganelon ; voy. Alb. ann. 805 (p. 145) et ann. 989 ; et les deux comtesses Ida, de Namur et de Bouillon, du chevalier au Cygne, ann. 1076. En second lieu, les histoires légendaires ont exercé une telle influence sur les imaginations des hommes de l'époque, que quelques uns finirent par se figurer être eux-mêmes des personnages de ces histoires. A l'appui de sa thèse, Wilmans cite les paroles d'Albéric, ad. a. 1210 : A partibus Hispanorum venit hoc tempore quidam senio valde confectus miles grandævus, qui dicebat se esse Ogerum de Dacie, de quo legitur in historia Karoli Magni. — Hic itaque obiit hoc anno in Diocesi Nivernensi, prout illic tam clerici quam laïci qui viderunt, postea retulerunt. : ad ann. 1234, p. 553 : In Apulia mortuus est hoc tempore quidam, senex dierum, qui dicebat se fuisse armigerum Rolandi Theodoricum, qui dux Guidonius dictas est, et imperator ab eo multa didicit. De nos jours encore, il existe à Rome un personnage qui se fait appeler duc d'Achéry et prétend descendre de l'hermite Pierre.

[51] Le Prévost dit, loc. cit. : Notre auteur (Orderic) a tort de le présenter ici comme moine ; il n'embrassa la vie religieuse que lorsqu'il fonda l'abbaye de Neumoustier (novum monasterium), sous les murs d'Huy, où il mourut à l'âge de 62 ans, le 6 juin 1115. Ainsi il n'était âgé que de 43 ans, et probablement encore engagé dans les liens du mariage, lorsqu'il prit une part si active à la première croisade. On sait d'ailleurs qu'il était originaire de l'Amiénois. Son surnom provenait probablement d'Acheri, d'Acheux ou de quelque localité homonyme, voisine d'Amiens. Orderic aura été trompé, comme beaucoup d'autres, par le surnom de l'Ermite, qui ne veut pas dire qu'il eût embrassé la vie érémitique, mais qui est ici un nom de famille. Son père, Regnault l'Ermite, l'avait porté avant lui, et ses descendants le conservèrent. Plusieurs familles nobles de diverses provinces de France ont profité de la possession de ce nom, pour chercher à se rattacher à sa filiation. La fondation de Neumoustier fut le résultat d'un vœu fait par Pierre l'Ermite et Lambert-le-Pauvre, comte de Clermont, fils de Conon, comte de Montaigu et neveu de Godefroi de Bouillon, pendant une tempête qui mit leurs jours en danger, lorsqu'ils revenaient ensemble de la Terre-Sainte par mer en 1105. On voit par ce passage que Le Prévost prend pour argent comptant et admet, sans les vérifier, les fictions de d'Oultreman.

[52] On lit dans le Compte-rendu des séances de la Commission royale d'histoire, Brux. 1838, t. II, p. 26 : M. de Reiffenberg fait observer qu'il y a du doute sur la patrie de Pierre l'Hermite, le promoteur des Croisades. M. Grandgagnage a communiqué, en 1834, à l'académie un fragment de nécrologe, qui lui a fait soupçonner que ce personnage était belge, quoiqu'en général on le regarde comme appartenant à la Picardie. M. de Reiffenberg dit qu'une pièce qu'il a vu chez le libraire de Bruyn à Malines semble de nature à lever tons les doutes à cet égard. C'est une reconnaissance de noblesse accordée. par le roi Philippe IV, le 22 janvier 1630, à Jacques et à Antoine l'Hermite. Il en résulte qu'ils descendaient en ligne directe, et à la seizième génération, de Pierre l'Hermite d'Amiens, le fameux croisé, et de Béatrix de Roussy, sa femme.

[53] La Chanson d'Antioche, introd. p. XIV : Pierre l'hermite, celui dont l'éloquence avait éveillé les premiers vœux de croiserie, homme de petite apparence, de médiocre jugement, que l'imagination intéressée de nos tempe modernes a. transformé en preux chevalier, de fait et d'origine. Pierre était plutôt un homme de naissance obscure et d'éducation grossière. Il avait le don naturel de la parole, il n'avait pas celui de la sagesse.

[54] Description des tombeaux de Godefroid de Bouillon, p. 124 : En recourant aux écrivains contemporains, l'on obtient facilement la conviction qu'on ne sait ; presque rien sur le fameux personnage connu sous le nom de Pierre l'hermite ; il sort de l'obscurité pour se faire l'instrument de la Providence et des Souverains Pontifes, auteurs réels des croisades ; il y rentra dès que le but fut atteint.

[55] La Chanson d'Antioche, I, p. XV.

[56] La Nouvelle Biographie Univ., t. 40, p. 183, fait à ce sujet cette remarque assez singulière : Tous les historiens s'accordent à le faire descendre d'une famille noble, sans cependant la désigner.

[57] C'était une véritable pluie d'articles de journaux, de brochures, de traités complets, sur l'hermite et sa patrie. Voy. la liste qu'en donne Paulet : Recherches, p. 104.

[58] Voy. Sybel, Gesch. des erst. Kreuzz., p. 36 et Thurot, Études critiques sur les hist. de la Ire crois., dans la Revue hist. de Monod et Fagniez, t. II, p. 105 : Riant, Epistola Alexii ad Rob. Flandr., p. XLI et Inventaire, p. 73.

[59] Bongars, p. 482. Rec., Hist. occ., IV, 142.

[60] Lib. I, c. 2. Voici le passage en entier : Sacerdos quidam Petrus nomine, quondam eremita, ortus de civitate Ambiensi, que est in occidente de regno Francorum, omni instinctu quo potuit, hujus viae constantiam primum adhortatus est, in Beru, regione prefati regni, factus predicator in omni admonitione et sermone. Il ressort de l'ensemble de ce passage que le mot ortus doit être pris dans le sens de né et non de apparu pour la première fois, car Albert dit bien expressément que c'est dans le pays de Beru que Pierre fit entendre sa première prédication de la croisade. Dans Guibert, le même mot répété a la même signification, cela ne peut pas faire l'objet d'un doute.

[61] Dans l'Étude sur Pierre l'ermite, de Guillon, p. 31, on lit : Albert, qui vient après, puisqu'il ne termina son histoire sur la croisade que vers l'an 1120, a pu très-bien connaître l'ouvrage de Guibert, faire son profit de ce qui concernait Pierre l'Ermite et préciser Amiens comme lien de naissance, sans tenir compte des doutes que manifestait ce dernier sur ce point. Pour nous faire admettre cela, il faudrait commencer par le démontrer. A la p. 17, Guillon qualifie Albert de chroniqueur recueillant avidement toutes les relations, et il a raison, mais on trouve dans Guibert des renseignements et des récits qui manquent dans Albert et que celui-ci eût certainement reproduits, s'il avait connu l'Historia. Ajoutons qu'il est difficile de trouver dans Albert de ces concordances qui démontreraient l'imitation et dont l'existence serait indispensable pour justifier l'affirmation de Guillon. Nous sommes convaincu que rien n'indique une relation directe entre Albert et Guibert.

[62] Ed. Paulin Paris, t. I, p. 13, vers 170 et ss. : traduction française de la comtesse de Sainte-Aulaire, Paris 1862, p. 10. Dans le texte original, il est vrai, au lieu de en Aminois on lit : en Ermine, mais P. Paris fait remarquer, et assurément avec raison, que c'est une erreur de lecture du premier copiste. Pigeonneau (Cycle de la croisade p. 38) fait remarquer que les mots en Ermine se retrouvent dans tous les manuscrits de la Chanson et suppose qu'ils pourraient s'appliquer au territoire d'Hermies, petit château féodal situé à l'ouest de Bapaume, sur la frontière des diocèses d'Arras et d'Amiens. Mais Albert avait bien écrit Amiens, cela n'est pas mis en doute : or si Graindor s'est inspiré de lui, comment démontrer que P. Paris fait erreur sur ce point ?

[63] Pour ce roman en vers, lisez l'introduction très complète placée par Paulin Paris en tête de l'édition qu'il en a donnée. Voyez aussi l'Introduction du vol. VI des Monuments pour servir à l'histoire des Provinces de Namur etc. par de Reiffenberg, Brux. 1852 : elle e été publiée par M. Borgnet après la mort de Reiffenberg : l'auteur s'y étend sur les relations qui existent entre la Chanson d'Antioche et le poème Le Chevalier au Cygne et Godefroid de Bouillon. Pop. également, l'étude de Sybel : Sagen und Gedichte über die Kreuzzüge dans l'Allgem. Monatsschrift für Wissenschaft und Literatur, juillet à décembre 1851, réimprimée dans les Kleine historische Schriften du même auteur, III, 117-156 (Stuttg. 1881) ; Sybel, Gesch. d. erst. Kreuzzuges, 2e éd. p. 77. ss. ; Hippeau, Introduction au poème La Conquête de Jérusalem, et surtout Pigeonneau, Le Cycle de la croisade (St-Cloud, 1877).

[64] Les Chétifs ou Kaitis sont Pierre et ses compagnons de souffrances. La signification primitive de ce mot et sa racine se trouvent dans le mot captivus, en français moderne chétif et captif, en dialecte picard caitis. Voy. le Glossaire de Gachet pour le poème Le Chevalier au Cygne et Godefroid de Bouillon, t. III, vol. VI des Monum. pour servir à l'histoire des Provinces de Namur, etc. et Pigeonneau, Le Cycle de la croisade, p. 53.

[65] L'opinion de P. Paris, loc. cit., Introd., p. LXI est également celle de Borgnet, loc. cit., Introd., p. XXIX et de Sybel dans les Sagen und Gedichte über die Kreuzz. p. 36 (voy. Kl. hist. Schrift., III, p. 1285).

[66] P. Paris, p. 19 ; Sainte-Aulaire, p. 13.

[67] Ce passage renvoie, précisément, à l'Historia Francorum du provençal Raimond d'Aiguilhe. C'est le seul chroniqueur chez qui se trouve cette indication d'effectif (Bongars, 142, 16 : Recueil, 240) ; tous les autres, p. ex. les Gestes, Foucher, etc., gardent le silence sur ce point. Le poète qui, sur la demande de Raimond d'Antioche composa le Chant des Chétifs, connaissait assurément cette source provençale. Ainsi, soit que l'auteur de la Chanson d'Antioche ait trouvé cette, indication d'effectif dans Raimond d'Aiguilhe et dans la Chanson des Chétifs, soit qu'il l'ait prise seulement dans cette dernière, elle vient à l'appui de l'opinion de P. Paris, de Borgnet et de Sybel, et l'on peut admettre avec eux que la Chanson des Chétifs a fourni la matière des premières parties de la Chanson d'Antioche.

[68] Ducange, Glossarium, ad voc. civitas : Urbs episcopalis, cum ceteræ castra vel oppida dicerentur.... Hic solum addam ex Valesii notitia Galliarum p. 446, nomine civitatis non modo urbem caput gentis, aut unum ex capitibus, sed etiam totum urbis agrum pagumve aut diœcesim in veteribus notitiis designari.

[69] Lib. I, c. 11.

[70] D'Achéry, Spicilegium, III, 234. — Foulques d'Anjou était surnommé le Réchin : Orderic est l'écrivain le mieux informé sur son compte. Voy. Orderic, Hist. eccles. l. VIII, c. 10 ; IX, c. 4 ; X, c. 7. 17 ; XI, c. 16, etc. Foulques mourut le 14 avril 1109. Voy. l'édition d'Orderic publiée par Le Prévost, IV, 218.

[71] Hist. eccles. IX, c. 4. (Duchesne, Script. Rer. Norm. p. 723 : Le Prévost, III, 477).

[72] Lappenberg, Geschichte von England, vol. II, 218 (Hambourg, 1837) : Pierre de Achéris, dit généralement Pierre d'Amiens, l'hermite. On ne fait pas attention que cette qualification pourtant assez remarquable est le nom de famille de cet homme, nom conservé par Orderic, et l'on perd son temps en vaines recherches pour retrouver sa cellule d'hermite.

[73] Voy. Sybel, Geschichte des ersten Kreuzzuges, p. 243 (2e éd. p. 201) : Tandis que partout la masse du peuple était dans la plus grande fermentation, apparut en Normandie Pierre d'Achery (ce nom de famille lui est donné par Orderic et Foulques), natif d'Amiens et il commença à prêcher la croisade, etc.

[74] Guillon, Étude sur Pierre l'hermite, p. 9 : Ce mot ajouté au nom de Pierre, dénote à cette époque une idée de possession de terre ou de fief : Pierre d'Achères, sous-entendu Seigneur d'Achères.

[75] Guillon, Étude sur Pierre l'hermite, p. 27 : Nous suivons ici l'opinion qui fait Pierre l'Ermite de noble extraction ; cependant, quelques historiens avancent que Pierre était de naissance obscure. Nous ne craignons pas d'engager le débat sur cette dernière version, qui noue est également favorable. M. Guillon a fait trop de fonds sur les données mal établies des écrivains modernes ; s'il avait pris la peine de les vérifier et de les comparer avec les sources originales, il serait sans doute arrivé à se former une opinion toute contraire.

[76] Voy. Guillon, loc. cit., p. 28. C'est lui qui cite le dictionnaire de Duclos et nous nous en rapportons à son indication.

[77] P. ex. Michaud, Vion, Paulet.

[78] Vion, p. 170 : Achéry, situé au confluent de deux divisions de l'Oise, à trois kilomètres de La Fère, patrie de l'historien bénédictin Luc d'Achéry. Ce Luc d'Achéry, précisément, parle souvent de Pierre dans son histoire, mais sans mentionner qu'il soit natif du même village ; c'est ce silence qui empêche Vion d'admettre que cet Achéry soit le lieu de naissance de l'hermite. Paulet, au contraire, croit que ce ne peut être que cet Achéry près Laon : Le nom du savant Luc d'Achery, dit-il, né à Saint-Quentin en Picardie, aurait dû servir le guide.

[79] Guillon admet que l'hermite possédait un fief situé à Achères, dép. d'Eure-et-Loir, canton de Châteauneuf en Thimerais : noua ne pouvons absolument pas nous ranger à cet avis, par la raison qu'il n'est basé que sur des suppositions arbitraires et dénuées de preuves. En effet, Guillon ne fait aucun cas de l'indication d'Albert, parce-que la relation de ce chroniqueur présente de nombreuses erreurs de lieux et de personnes (p, 31), ni de celle de Guibert, parce que celui-ci indique lui-même que le renseignement qu'il donne n'est pas absolument certain ; mais il bâtit tout un système sur les explications singulières et surtout peu probantes d'un Souchet, d'un Mézeray, d'un Maimbourg, et c'est avec de pareilles armes qu'il veut battre Guibert, Albert et Guillaume de Tyr. Souchet, dans son Histoire de Chartres, t. I, 316-317 cite Pierre l'hermite, natif d'Amiens, d'autres disent de Blois (p. 24) et fait Gauthier-sans-Avoir natif de Thimerais (p. 24) ; Mézeray, dans son Abrégé chronologique de l'histoire de France, Amsterdam, 1723, t. II, p. 186, donne à ce même Gauthier le titre de de Saint-Sauveur (p. 26) ; ce nom doit être celui d'un village nommé Lévaville-Saint-Sauveur près Châteauneuf en Thimerais (p. 26) ; enfin, il y a, dans le voisinage de Lévaville-St.-Sauveur, un village d'Achères ; de plus, Maimbourg, t. I, p. 44, et la Gaule poétique, t. IV, p. 260, font de Gauthier un ami de Pierre. Et voilà sur quoi M. Guillon se base pour affirmer qu'Achères près Lévaville est identiquement le même que le village désigné par Foulques et par Orderic.

[80] Accolti (lib. I, 11, éd. Hofsnider) le fait naître ex urbe Morina, sans nommer Amiens ; il est vrai que l'on peut admettre que cette ville est placée sur le territoire des anciens Morins ; de même Malbrancq dans le De Morinis II, 803. D'après Boreau, Histoire du moyen-âge (Paris 1842) le lieu de naissance de Pierre serait Péronne en Picardie ; d'après Belleforest, Cosmogr. univ. I, 315, ce serait Blois.

[81] Pierre l'hermite, Liégeois ou Picard, Liège 1854.

[82] Articles publiés dans l'Organe de Huy : Pierre l'hermite et les Antiquaires de Picardie (n° du 18 mars 1854) : Pierre l'hermite (n° du 2 avril 1854) : Pierre l'Ermite, Réponse à M. L. Paulet (n° du 9 juillet 1854) : Charlemagne, Pierre l'Ermite, leur naissance, (n° du 1er oct. 1854).

[83] Art. de l'Émancipation du 29 mai 1854 : Pierre l'hermite et M. Grandgagnage.

[84] Voy. Notice sur le Nécrologe de l'Abbaye de Neufmoustier, par M. Grandgagnage, cons. de la Cour d'app. de Liège, dans le Bulletin de l'Institut archéol. Liégeois, 1er trim. 1853 : Polain, Pierre l'Ermite Picard ou Liégeois, dans les Bulletins de l'Acad. roy. des sciences etc. de Belgique, t. XXI, IIe part., 1854, p. 379 ss. : Paillet, p. 60 : Vion, p. 154.

[85] Polain, Pierre l'Ermite, Picard ou Liégeois, dans le Bullet. de l'Ac. roy. des sciences, etc. de Belgique. Voy. aussi : Indépendance belge du 27 août 1854 et Paulet, p. 77. Ce dernier est fermement convaincu que l'authenticité et l'antiquité du nécrologe ne sont qu'une plaisanterie : il ne trouve point de termes assez vigoureux pour exprimer son opinion. En tout cas, le nécrologe n'est qu'un emprunt fait à Albéric de Trois-Fontaines et à Gilles d'Orval, peut-être aussi à la Charte de Polain : cette question reviendra au dernier chapitre de notre étude.

[86] M. Grandgagnage écrit, loc. cit. : Il est donc venu mourir sur le sol natal. Il était donc de Hui. Ce mot doit nous suffire. — M. d'Héricourt, dans son Encyclopédie moderne, Paris 1850. Art. Huy place également le lieu de naissance de Pierre aux environs de Liège.

[87] Parmi les écrivains non Belges, Yves Duchat, dans son Histoire de la guerre sainte (Paris, 1620) désigne aussi, comme patrie de Pierre, la Gaule Belgique.

[88] Mon. Germ. hist. script., t. XVI.

[89] Déjà Ducange, dans ses notes pour l'Alexias d'Anne Comnène, dit, 1. X, p. 284 (éd. Paris), p. 222 (éd. Venet.) p. 594 (éd. Reifferscheid) : Sed neque videtur improbanda eorum sententia, qui Petrum putant in ipsa diœcesi Ambianensi, unde ei natales, non vero ex Hispanie, ut est apud Helmoldum l. I, 31 et Autorem incertum Historiæ Sclavon. cap. 14 vitam eremiticam induisse, cum doceat idem Guibertus lib. 3 de vita sua cap. 14 eadem ipsa tempestate Eremitas extitisse in Ambianensi territorio. Le Helmold dont il est question dans ce passage est l'historien connu, Helmold von Bosau, de Lübeck ; la Chronica Slavorum s'étend jusqu'à l'année 1170, et a été publiée par Lappenberg dans les Mon. Germ. SS. XXI : on y trouve, au sujet de Pierre, les lignes suivantes : Res digna relatu posteritatisque memoria contigit in diebus Henrici Senioris novissimis. Nam Petrus quidam, genre Hispanus, profession Monachus, ingressus fines Romani imperii, vocem prædicationis emisit in universo regno, adhortans populos, ire Hierosolimam pro liberatione civitatis sancte, que tenebatur a barbaris. Protulit autem epistolam, etc. Chose curieuse, Vion, loc. cit. p. 152, fait de ce Helmold lui-même un Espagnol, qui, par patriotisme sans doute, aurait réclamé Pierre comme un de ses compatriotes. Mais, toujours d'après Vion, Helmold, ce prétendu Espagnol, n'aurait point trouvé d'écho même en Espagne, et il lui oppose un autre Espagnol, Don Alonzo Gomez de Minchaca, auteur de l'ouvrage intitulé Fechos heroicos della cavalleria europeana en la conquest de Hierusalem, l'un des documents utilisés par d'Oultreman : cet ouvrage, écrit en 1313, fut imprimé en 1578 seulement à Burgos et publié dans l'Historia pontificale y Katholica etc. : l'auteur considérait Pierre comme Français. Röhricht, Beit. II, 14, a trouvé quelque chose de nouveau : s'il faut l'en croire, Helmold, l'auteur des Annales de Rosenfeld et celui des Annales de Dysibodenberg auraient employé ces expressions e finibus Hispanie emersit, parce que Pierre avait longtemps séjourné en Syrie, que l'on nommait aussi Hispania : cette supposition, je l'avoue, me parait erronée : autre erreur encore, la supposition qu'ils auraient voulu désigner par là seulement la province belge Hisbania, comme l'admet Lappenberg, Mon. Germ. SS. XXI, 33, not. 55. S'il en était ainsi, Helmold et les autres eussent assurément ajouté une indication quelconque précisant la signification du nom employé par eux.

M. Gaston Pâris, dans le dernier n° de la Romania, vient encore d'ajouter une preuve à l'opinion de M. Röhricht (qui est aussi celle de M. Riant), sur la confusion faite par les croisés entre l'Hispania minor, Espagne, et l'Hispania major (Ispahan, Perse). Le Carmen Guenonis, poème latin sur Roncevaux, place en Espagne des Syriens.

[90] Dans la Chronique du monastère de St.-André de Bruges, Arnold Gœthals, s'appuyant sur le témoignage de Paulet, loc. cit. p. 59, 137, 144, tient l'hermite pour un Allemand. Dans son article : Die Deutschen auf den Kreuzzügen (Zeitschr. für deutsche Philologie, VII. 127) Röhricht compte Pierre dans le nombre des croisés allemands : ce n'est pas, il est vrai, qu'il entende par là affirmer que l'hermite était d'origine allemande ; il veut seulement établir qu'il était le chef d'au moins 15,000 Allemands partis sous sa conduite à la conquête de l'Orient : ainsi entendue, la mention de Pierre parmi les Allemands est tout à fait à sa place. D'ailleurs, dans les Beitr. II, suppl. I, p. 293 as. Rôhrioht donne un catalogue plus complet et remarquablement étudié des pèlerins allemands à l'époque de la croisade, et cette fois, le nom de Pierre ne s'y trouve plus. — Dans son Précis de l'histoire du moyen-âge, 9e éd., Paris 1846, p. 242, Des Michels en fait un Hongrois : Pèlerin hongrois Pierre l'hermite. Au 16e siècle, l'auteur de la Chronica comitum et principum Clivæ, publiée par Seibert dans les Quellen der westphäl. Gesch. II, 159, prétendait faire de Pierre un Syrien : s'inspirant plus ou moins directement d'Albert, il écrivait : Gualterus siquidem Sueviæ dux, non expectatis ceteris, cum potentissimo cruce signatorum exercitu, Ungariam, Walachiam, atque Bulgariam percurrens, Constantinopolim ad Alexium imperatorem Græcorum pervenit, quem mox secutus est Petrus heremita, Syrus natione, hujus principalis actor et sollicitator cum 60.000 bellatorum ad Bulgarorum usque fines progrediens, etc.

[91] Éd. P. Paris II, p. 221 (Ste. Aulaire, p. 273). L'auteur de l'article sur Pierre l'hermite dans la Nouv. Biogr. univ., 40, 184, le fait naître à Amiens en 1080. J'ignore où il a pu trouver cette date. D'après Le Pevost, il était âgé de 43 ans lorsqu'il prêcha la première croisade, et de 62 ans à l'époque de sa mort. Mélart et Gorissen, dans leur Histoire de la ville de Jluy (1839, in-8°) chap. VII, p. 68, ne font que suivre d'Oultreman.

[92] Si l'on veut avoir une idée sommaire du degré auquel peuvent atteindre ces fantaisies, que leurs auteurs veulent ensuite avec tant d'assurance faire passer pour des vérités historiques, on n'a qu'à lire le livre de Vien : rien que d'après la liste des titres que nous donnons ci-dessous on peut déjà voir à combien de points il touche, et chose curieuse, il le fait de si bonne foi que c'est à peine si, çà ou là il laisse percer un doute : IIe part. chap. II, p. 173 : — Pierre élevé comme fils de gentilhomme. — Raisons qui permettent de supposer que Pierre a fait partie de l'expédition de Guillaume-le-Conquérant. — Chap. III, p. 188 : Pierre au couvent du Mont-Saint-Quentin. — L'abbé Godefroi admet aux vœux de religion St. Godefroi et Pierre l'hermite. — Relations qui s'établissent entre Pierre l'hermite et la famille de l'abbé du Mont-Saint-Quentin. — Pierre étudie les lettres et les langues, il fait un voyage au midi de la France. — Son séjour à Paris. — Son dégoût de l'état ecclésiastique. — Chap. IV, p. 204 : Pierre l'hermite gouverneur des enfants d'Eustache II, comte de Boulogne. — Il se trouve à la guerre de Flandre, où il est fait prisonnier. — Son heureuse influence sur Godefroi de Bouillon (1070-1073). — Chap. V, p. 216 : Mariage de Pierre l'hermite. — Ses enfants. — Sa postérité (1073-1076).— Chap. VI, p. 226 : Pierre l'hermite prêtre et anachorète. — Ses divers séjours au Mont-Saint-Quentin, en Picardie, en Belgique, au couvent de St-Rigaud, à Cluny. — Initiative personnelle de Pierre l'hermite dans la préparation des croisades, etc. etc. — Voy. aussi (dans Paulet, p, 72) la Généalogie de Pierre : Pierre dès sa jeunesse s'adonna à l'étude des bonnes lettres et ayant vu les académies d'Italie et de Grèce, il retourna à Paris, où il se mit à l'école de Mars, pour apprendre le métier des armes. Godefroy, évêque de Paris, l'envoya à son frère Eustache, comte de Boulogne, où, après avoir demeuré quelque temps, il fut allié par mariage à Béatrix de Roussy, de la noble maison de Normandie, de laquelle il eut un fila de son nom Pierre, et une fille appelée Ailide. Pierre, affligé de la mort de sa femme, la troisième année de son mariage, quitta le monde et se fit prêtre solitaire, laissant ses deux enfants en la tutelle de ses parents, avec l'administration de leurs moyens, etc. — Le P. d'Oultreman nous indique comme ses sources le fameux Manuscrit de Paul Émile du Haillan, les Fleurs de l'église de Liège, le roman du Chevalier au Cygne, et il en a tiré une foule de détails. — Voy. encore Vion, p. 198 et Paulet, p. 183. D'après ce dernier (p. 97) il serait hors de doute que l'évêque d'Amiens avait été compagnon d'études de Pierre. — Au sujet de la situation de Pierre comme précepteur chez Eustache de Boulogne, on trouve quelques absurdités dans le livra du P. jésuite Waha, Labores Herculis Christiani Godefridi Bullionii, Leodii 1688, p. 165. — Collin de Plancy fait aussi de Pierre le précepteur de Godefroi de Bouillon et son compagnon dans son voyage à Rome en 1084. — Sur les voyages entrepris par Pierre en Italie et en Grèce au cours de ses études, voy. Paulet, p. 124, 154, 183, s. : Vion, p. 199, ne croit pas probable un voyage que Pierre aurait fait en Grèce de 1067 à 1070, et qui, d'après Paulet, doit avoir nécessairement avoir eut lieu : le motif donné par Vion est, qu'à cette époque il existait en France et aux environs d'Amiens un assez grand nombre d'écoles où l'on pouvait se perfectionner dans toutes les branches de l'instruction : les écoles universellement recherchées de Corbie, de St. Riquier, du Bec, de Laon, de Cluny et surtout les écoles de Paris ; de plus il aurait été dès lors inutile de sortir du pays pour apprendre la langue grecque. D'un autre côté, Vion admet volontiers que Pierre visita les écoles de hautes études de Pise, de Pavie, de Rome et du Mont-Cassin : nous admettons sans peine que Pierre ne pouvait y manquer. — Paulet, à son tour (p. 188), nous apprend que Pierre aurait aussi étudié en Espagne : quelques Espagnols mirent dans leurs livres que Pierre fréquenta les écoles de Cordoue, de Grenade, de Salamanque et de Séville (!).

[93] Gesta Tancredi, cap. 81.

[94] Lib. I, c. 2.

[95] Lib. IV, c. 44.

[96] Bongars, p. 482 : Rec., Hist. Occ. IV, 142 : neminem meminerim similem honore haberi.

[97] Bongars, p. 501 : Rec., Hist. Occ., IV, 174 : cette apostrophe s'adresse à Pierre au moment où il fuit du camp devant Antioche.

[98] Dans son édition de La Chanson d'Antioche, P. Paris s'appuie sur ce passage pour établir son opinion, que Pierre était d'origine basse et obscure et qu'il ne peut pas être question d'admettre qu'il ait reçu une éducation distinguée. Nous ne saurions lui donner tort.

[99] Bongars, 82, 56 ; Recueil, p. 731.

[100] Et non le 24 juin, comme nous l'avons nous-mêmes admis dans notre éd. de l'Ekkehardi Hierosolym. I, 7, note 40. Voy supp. VI, de l'éd. allemande.

[101] Bongars, p. 20, 50 ; Recueil, p. 150 : Fertur Herluinus utramque scisse linguam, fuitque interpres Petro Heremitæ. Tudebode (Rec. p. 77) : Petrum heremitam et Herluinum dragomandum. Voy. aussi le moine Robert (Rec. p. 825).

[102] C'est ainsi que Mathieu. Paris écrivait, vers 1250, dans son Hist. Angl., éd. Madden, I, 57 : Literis eleganter eruditus.

[103] A cette croyance se rattache la notice suivante de la Nouv. Biogr. univ., t. 40. 183 : Il avait longtemps guerroyé ; mais touché subitement par la grâce, ou pour expier quelque méfait, il renonça tout à coup au monde, se construisit une retraite dans un endroit désert, etc.

[104] Paulet, Recherches, p. 36.

[105] La vie du V. Pierre l'Hermite, p. 10 ; Vion, p. 208 s.

[106] Il est malheureux que le P. d'Oultreman n'ait rien dit de cela ; il est certain qu'il aurait pu donner tous les renseignements désirables.

[107] Paulet, p. 82 : dans les archives de l'ancien pays d'Artois (?).

[108] Bœhmer dans ses Fontes IV, 618 et Ehrenfeuchter dans les Mon. Germ. SS. XXII, ont publié l'ouvrage intitulé Gesta imperatorum et pontificum, du minorite florentin Thomas le Toscan, sur lequel ils s'appuient pour affirmer en général que Pierre avait choisi le métier des armes et, en particulier, qu'il fut blessé à la bataille de Cassel : il y a là une erreur : l'auteur, font-ils remarquer, qualifie l'hermite de Miles in armis probus ; cela est exact, mais la raison unique pour laquelle l'auteur fait cette remarque est assurément que Pierre a joué, dans la croisade, le rôle d'instigateur, et que, dans l'opinion de l'écrivain, il y a vaillamment combattu. Th. le Toscan écrivait vers l'an 1280, cent quatre-vingts ans après l'époque de l'hermite : il dit que Pierre était neveu de l'évêque de Meaux ; voilà un renseignement qui ne se trouve, à notre connaissance, chez aucun autre, mais il n'est pas difficile de deviner où il l'a pris, si l'on se rappelle combien l'on rencontre dans sa chronique de noms travestis : son-modèle, surtout pour la première croisade, était Guillaume de Tyr, mais il ne savait pas bien déchiffrer son manuscrit : de là ses erreurs : pour en citer quelques exemples, au lieu de Hugo magnus (Hugues le Grand) frère du roi de France il écrit Hugo Monachus (éd, Bœhm. p. 619 ; Mon. Germ. p. 501) ; au lieu de Balduinus comes Hanoniensis, B. comes Nance ; au lieu de Bœmundus, Boamons (éd. Bœhm. p. 619 ; Mon. Germ. p. 501) ou Boagdmons (Bœhm. 621, M. G. 502) : après cela, quoi d'étonnant s'il reproduit les expressions de Guillaume : de episcopatu Ambianensi, sous cette forme : nepos episcopi Meldensis ?

[109] Voici les expressions du manuscrit : Sur la fin de l'onzième siècle, certain personnage, nommé Pierre l'Hermite, natif du diocèse d'Amiens, voulant se consacrer au service de Dieu, se rangea et prit l'habit de religion en ce monastère du Mont-St.-Quentin, d'où il sortit, avec la licence de son abbé, pour aller visiter les S. Lieux. D'après Paulet, p. 36, ce manuscrit se trouverait actuellement aux archives du dép. de la Somme. M. le comte Riant a, en effet, récemment trouvé ce passage aux archives d'Amiens, mais dans un manuscrit du XVIe siècle : il l'a reproduit en entier dans les Exuviæ, I, 192 : à la p. CXI il le réduit à sa juste valeur.

[110] Ducange, Notæ in Alex., éd. Reifferscheid, p. 594 : Jam vero quod Petrum in superiori Galliarum parte eremiticam duxisse vitam ait Guibertus, firmari videtur ex Chronico Canonici Laudunensis, in quo narratur, Petrum Eremitam de territorio Ambianensi primo Monachum apud S. Rigaudum in Foresio egisse (sans doute dans le diocèse du Puy), postea prædicatorem effectum, tanta coepisse populorum multidune vallari, tot cœli numeribus donari, tantis denique sanctitatis prœconiis acclamari, ut multæ ætatis homines non meminerint honore simili quempiam habitum. D'après une note que nous a communiquée M. le comte Riant, le manuscrit de cette chronique est classé comme suit : Cod. Paris. lat. n° 5011. f° 123, V°, membr. sæc. XIII in-4°. Le passage de Ducange ci-dessus se trouve ad ann. 1219.

[111] S'il était vrai que, dans la Charte publié par M. Vieillard, dans les Archives de l'Orient latin, I, 393 s. et que nous avons déjà mentionnée, notre Pierre fût désigné comme fondateur du prieuré de Sainte-Marie de Bellevaux (près Belfort), il devrait avoir fait cette fondation soit avant l'année 1096, soit après le printemps de l'année 1100, dans le premier cas on devrait admettre que, probablement, il résidait, avant la première croisade, aux environs de Belfort ; mais, comme nous l'avons dit, il faudrait démontrer d'abord que le fondateur désigné était effectivement notre Pierre, et en second lieu qu'il a fait la fondation antérieurement à l'année 1096.

Il convient peut-être de rappeler l'unique et très fort argument de M. Vieillard, le titre de venerabilis eremita, qui est absolument insolite en diplomatie et ne peut s'appliquer qu'à un ermite exceptionnel.

[112] Mon. Germ. SS. XVI, 101 : Quidam cui Petrus nomen erat, in finibus emersit Hispanie, qui ut ferebatur primum reclusus, inde claustris axiens, predicatione sua totam commovit Provinciam etc.