HISTOIRE DE LA SECONDE RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

1848 - 1852

TOME SECOND

 

LIVRE VINGT ET UNIÈME. — LE SOCIALISME.

 

 

I

Si l'on a suivi l'histoire du parti démagogique, on a pu constater qu'il avait traversé depuis 1848 trois périodes distinctes. — Dans la première période, c'est-à-dire depuis la révolution de Février jusqu'à l'insurrection de Juin, il s'était étalé à l'aise et, quoique contenu par l'esprit de modération générale qui régnait alors, n'avait dissimulé ni son programme ni ses prochaines espérances. — La délaite de juin lui avait porté une atteinte cruelle, et, frappé par hi réprobation publique plus encore que par la salutaire rigueur des lois, il était rentré dans l'ombre. A la vérité, il avait bientôt repris son activité : les menées de la Solidarité républicaine, l'agitation du 29 janvier, la propagande électorale à l'approche du renouvellement de l'Assemblée, le soulèvement criminel du 13 juin 1849 avaient attesté tout à la fois l'audace et l'obstination de ses desseins. Mais le succès n'avait pas couronné ses efforts. La fermeté du général Changarnier avait prévenu ou déjoué toutes les tentatives anarchiques : le suffrage universel, en mai 1.849, avait envoyé au Palais-Bourbon une majorité royaliste : enfin, certaines élections partielles avant au printemps de 1850 effrayé l'opinion conservatrice, la loi du 31 mai avait été rendue dans le but de perpétuer et de consolider l'influence du parti de l'ordre. — Ainsi tenu en échec, le parti démagogique-socialiste n'avait pas abdiqué, mais il avait transformé sa tactique. Il avait renoncé à toute action immédiate et avait volontairement éloigné son but dans l'espoir d'y atteindre plus sûrement. Il avait pris pour objectif l'année 1852, comme s'il avait eu la certitude que' les multiples scrutins et l'inévitable confusion de cette époque lui offriraient quelque chance propice. Alors avait commencé pour lui une troisième période, période de lutte non ouverte, mais cachée, de cheminement patient et continu, d'action persévérante exercée moins sur les grandes villes que sur les petites bourgades et sur les campagnes. Préparons-nous pour 1852, et jusque-là soyons patients. Tel fut, dès 1850, le mot d'ordre des socialistes.

Le résultat des élections législatives disait assez sur quel point cette propagande porterait le plus de fruits. Au mois de mai 1849, les régions du Nord et de l'Ouest avaient voté en masse pour les députés conservateurs. Celles de l'Est et du Sud-Ouest avaient, sauf quelques exceptions, imité cet exemple. En revanche, clans les départements du bassin du Rhône depuis Dijon jusqu'à Marseille, dans ceux du bassin supérieur de la Loire depuis Saint-Mienne jusqu'aux limites du Loiret, les candidats de la démocratie la plus accentuée avaient obtenu un éclatant triomphe. Ce n'était pas que ces vastes provinces fussent acquises sans réserve au parti du désordre. Mais des causes très diverses avaient égaré les esprits ou y avaient jeté l'incertitude. Ici étaient les journaliers de la Nièvre et de l'Allier, envieux des grandes propriétés qui couvraient leur sol ; là, les bûcherons et les flotteurs du Morvan, hommes rudes, ignorants, faciles à tromper. En Bourgogne et dans le Dauphiné, deux sentiments partageaient les âmes, le culte du bonapartisme révolutionnaire et la haine de l'ancien régime : sous cette double impression, on inclinait à proscrire tout ce qui rappelait les vieilles formes religieuses ou monarchiques. Plus au sud, dans les hautes vallées des affluents du Rhône, vivaient, d'un côté, les montagnards des Alpes, pauvres et, comme presque tous les pauvres, un peu aigris de leur destin ; de l'autre, les paysans cévenols, se souvenant encore de leurs luttes religieuses et ayant conservé toute la chaleur de leur âme, même dans la vie paisible et solitaire de leurs lointaines campagnes. Enfin, sur les rives de la Méditerranée s'étendait la Provence avec sa population à la fois douce et rude, molle et ardente tour à tour, sage à ses heures, mais le plus souvent irréfléchie, s'enivrant de ses propres sophismes et aussi des sophismes des autres, crédule et passionnée tout ensemble, prompte à élever des idoles et non moins prompte à les briser. Telles étaient les contrées où le socialisme avait pris droit de cité et d'où il espérait s'étendre sur la France entière.

Dans ce terrain si bien préparé, l'action était aisée. Elle fut à la fois ardente et obstinée, audacieuse et contenue. — Les cercles devinrent de véritables centres de propagande. Le plus souvent leur nom même laissait pressentir leur objet. Il y avait le cercle des travailleurs, le cercle démocratique, le cercle national, le cercle philanthropique, le cercle montagnard. Là se rassemblaient tous les anciens habitués des clubs. La meilleure partie des cotisations était employée à la politique. Les cercles des villes se reliaient à d'autres petits cercles, créés dans les villages et connus dans tout le Midi sous le nom de chambrées. — En outre, malgré toutes les sévérités administratives, les journaux démagogiques s'étaient multipliés. Ils groupaient autour d'eux, sous la désignation d'actionnaires, tous les hommes remuants et exaltés du pays. Ces actions étaient divisées en petites coupures de vingt, dix, cinq et même un franc, et l'on accroissait de la sorte le nombre des adhérents. — Enfin, dans les départements du Sud-Est, une société secrète s'était formée sous le nom de Nouvelle-Montagne, société savamment hiérarchisée, ayant ses chefs, ses affiliés qui presque tous étaient pourvus d'armes, son mot d'ordre, ses signes de reconnaissance, sa caisse qui était alimentée par des cotisations périodiques ou des collectes extraordinaires. Cette société, créée à la fin de 1849, prit l'année suivante un développement tout à fait imprévu.

Au printemps de 1850, le principal agent de cette propagande était un sieur Alphonse Gent. Gent, après une jeunesse marquée par un regrettable scandale, avait habité tour à tour Nimes et Avignon, et y avait exercé la profession d'avocat. C'était un homme besogneux, ambitieux et ardent. Il avait fait partie de l'Assemblée constituante, mais n'était pas parvenu à se faire porter sur les listes démagogiques pour l'Assemblée législative. Exclu de la vie parlementaire, il avait cherché dans une organisation insurrectionnelle l'emploi de son activité. Il s'était fait le promoteur de la Nouvelle-Montagne. Il avait recruté des auxiliaires : c'étaient, dans la Drome, Saint-Prix et l'instituteur Bouvier de Crest ; dans les Basses-Alpes, Bouvier, Sauve et surtout un ancien ouvrier devenu journaliste, nommé Longomazimo ; dans les Bouches-du-Rhône, c'était l'avocat Thourel, d'Aix. Grâce à ses soins et à ceux de ses amis, quinze départements de la région du Sud-Est furent bientôt affiliés. Le comité directeur siégeait à Lyon et, sous des noms de convention, correspondait lui-même avec Paris et avec Londres. Un congrès des délégués de la société se tint à Valence dans la nuit du 29 au 30 juin 1850. A la suite de ce conciliabule, l'activité redoubla. Les rapports de police signalaient une extrême agitation dans l'Ardèche et dans la Drôme. Dans le Gard, dans les Bouches-du-Rhône, on fabriquait ou l'on achetait de la poudre. L'Hérault n'était guère moins bien disposé, quoique le recouvrement des cotisations y fût plus difficile qu'ailleurs. A Toulon, des intelligences étaient pratiquées dans les troupes de l'armée et de la marine. Le 30 septembre, les chefs de la société tinrent une seconde conférence, cette fois dans une hôtellerie de Mâcon. Quoique, dans les conseils de la Nouvelle-Montagne, on dédaigna fort les démocrates de l'Assemblée, taxés de modérantisme, quelques représentants de l'extrême gauche avaient été convoqués et assistaient à la réunion. En ce moment, les circonstances parurent si favorables que, sans attendre 1852, on se prépara à une prochaine prise d'armes. On hâta la rentrée des fonds, on pressa les achats de fusils et de munitions. Gent, au mois d'octobre, se rendit à Genève et s'aboucha avec les réfugiés étrangers qui étaient nombreux dans cette ville et qui, pressentant des troubles prochains, y affluaient de tous les points de la Suisse et de l'Italie. Le plan était vaste et hardi. Tous les départements du Sud-Est devaient se soulever d'un élan unanime : d'un côté on tendrait la main aux départements du Sud-Ouest qui étaient déjà fort travaillés, et, de l'autre, on tacherait de gagner la Bourgogne et la Franche-Comté ; on formerait ainsi une sorte de demi-cercle menaçant autour de la capitale, puis, par un mouvement convergent, on se rapprocherait peu à peu de Paris : en cas d'insuccès, le voisinage de la Suisse et du Piémont offrirait une retraite assurée. Dans tout le Midi courait déjà la rumeur d'une insurrection prochaine. Le soulèvement éclaterait, disait-on, à la rentrée de l'Assemblée législative : des feux allumés sur les montagnes seraient l'annonce de la prise d'armes : six mille insurgés se rassembleraient, à un signal donné, dans les montagnes du Lubéron. Cependant le gouvernement recueillait ces indices et était sur ses gardes. La saisie de lettres adressées à Gent ne permit plus de doutes sur l'imminence du complot. Gent fut arrêté le 24 octobre 1850, ainsi que ses principaux complices. Après une longue instruction, il fut condamné le 28 août 1851 à la déportation[1].

Cet acte de vigueur prévint l'explosion, mais ne ramena pas le calme dans les esprits. La propagande démocratique se dissimula davantage, elle ne s'arrêta pas. Si l'on abandonna le rêve, un instant caressé, d'un soulèvement immédiat, ce fut pour reprendre ce travail patient et obstiné qui, en 1852, devait, espérait-on, livrer le pays à la démagogie. Les idées socialistes continuèrent à s'infiltrer peu à peu comme une pluie lente qui pénètre le sol et en atteint les couches les plus profondes. A vrai dire, ce socialisme provincial différait un peu du socialisme parisien tel qu'on l'avait vu se développer et fleurir en 1848. A Paris, l'âpreté des convoitises s'était voilée sous le masque des théories : quelques-unes de ces théories avaient même revêtu des formes spécieuses, spécieuses au point de séduire certaines âmes honnêtes et désintéressées. Là-bas, rien de scientifique, rien qui sentit le système ou l'école. Aux yeux des paysans nivernais, bourguignons, cévenols ou provençaux, le socialisme pouvait se résumer d'un mot : c'était la suppression de toutes les vieilles entraves et la satisfaction de tous les désirs jusque-là inassouvis. Chacun l'accommodait à ses appétits. Le socialisme, c'était pour le braconnier l'abolition des lois sur la chasse ; pour le marchand de vin ou l'aubergiste, la suppression de l'exercice ; pour le bûcheron, la faculté de couper du bois dans la forêt voisine ; pour le paysan, l'agrandissement de sa terre aux dépens de celle du seigneur ; pour l'ouvrier, le partage des bénéfices de l'usine ; pour le repris de justice ou le conscrit réfractaire, la libre vengeance contre les gendarmes ; pour le contribuable arriéré, le droit de piller la caisse du percepteur ; pour le débiteur menacé de saisie, l'occasion de brider impunément les papiers du notaire. Certains meneurs parmi les bourgeois favorisaient ces grossières et criminelles espérances. Eux aussi, ils étaient socialistes à leur manière ; eux aussi, ils guettaient leur proie ; eux aussi, ils calculaient quel bénéfice l'échéance de 1852 leur apporterait. L'un, qui était greffier, voulait être juge de paix ; l'autre, qui était négociant ou artisan, vétérinaire ou cafetier, aspirait à être maire ; celui-ci, ancien instituteur révoqué, songeait à se faire nommer inspecteur primaire ; celui-là, officier ministériel besogneux, visait à devenir sous-préfet. Ces modestes emplois étaient attendus avec un extraordinaire acharnement, car l'ambition Hait dans les sphères les plus humbles comme dans les plus hautes, et son ardeur est indépendante de la grandeur de l'objet qu'elle poursuit.

Ce sourd travail, si dissimulé qu'il fût, se révélait aux esprits clairvoyants. Il y avait longtemps que Montalembert, avec sa prophétique éloquence, avait dénoncé les sophismes qui empoisonnaient les populations rustiques. Il y avait longtemps aussi que M. Dupin s'était efforcé de mettre en garde contre les doctrines socialistes ses compatriotes du Nivernais et du Morvan. Depuis 1850, les rapports des préfets permettaient de pressentir les trames : à la vérité, quelques-uns de ces rapports grossissaient à dessein le péril ; mais, même en faisant la part de quelque exagération voulue, il restait de quoi préoccuper les plus insouciants. En dehors des informations officielles, d'autres informations survenaient, non moins inquiétantes et non moins précises. Les hommes que leurs relations ou leurs intérêts appelaient dans les régions du Sud-Est étaient stupéfaits du spectacle qui s'offrait à leurs yeux. Le soir, dans les bourgades les plus reculées de la Provence, on voyait les paysans se glisser mystérieusement dans la demeure de quelqu'un d'entre eux et n'en sortir que bien avant dans la nuit : c'étaient les chambrées, ces cercles on s'ébauchait la Révolution prochaine. D'autres fois, les oreilles étaient frappées par des chants horribles, tels que Paris, même aux plus mauvais jours, n'en avait pas entendu de pires. En certaines auberges perdues dans les sentiers des liasses-Alpes, les étrangers ne revenaient pas de leur surprise, en retrouvant appendus aux murs les portraits de Ledru-Rollin ou de Barbès, personnages un peu démodés a Paris, mais ici en pleine laveur. Des journaux affreux étaient répandus par les soins des comités, et, au retour du travail, assis sur le pas de leur porte ou au pied de leur platane, les vignerons ou les bûcherons les lisaient d'un mil mal exercé. Enfin, les jours de fête votive, si joyeux autrefois dans la vallée du Rhône, n'étaient plus consacrés au plaisir, niais devenaient l'occasion de rendez-vous, d'échanges de mot d'ordre, de conciliabules, de manifestations ; et, quand la gendarmerie survenait, elles se terminaient souvent par des rixes. A mesure que l'année 1851 avançait, on observait un redoublement d'irritation : aux mois d'octobre et de novembre, quelques agitations partielles éclatèrent, semblables à ces mouvements précipités qui précèdent les grandes prises d'armes.

Ce dangereux état des esprits permet de deviner ce qui suivit. — A la nouvelle du coup d'État, les départements du Nord demeurèrent calmes. Il en fut de même de ceux de l'Ouest, sauf une tentative d'insurrection à la Suze, dans la Sarthe. Dans l'Est, la paix publique ne fut troublée que dans la petite ville de Poligny. Dans le Sud-Ouest, deux départements, le Lot-et-Garonne et le Gers, furent le théâtre d'agitations fort graves, mais l'ordre y fut presque aussitôt rétabli. L'Orléanais, le Berry, le Bourbonnais, le Limousin ne se soulevèrent point non plus, si l'on excepte toutefois quelques essais de sédition à Saint-Amand et dans les arrondissements de Montargis et de La Palisse. — Tout autre fut le sort des provinces du Sud-Est, et, par extension, de ces provinces du bassin de la Loire, qui confinent au Morvan et au bassin du Rhône. A la vérité, dans les grandes villes, à Lyon, Marseille, Saint-Étienne, Toulon, la présence d'une force publique imposante et des mesures préventives énergiques maintinrent le calme matériel. Il arriva aussi que certains départements, inféodés de vieille date à la faction démagogique, restèrent à peu près paisibles, malgré toutes les apparences contraires : tel fut le turbulent département de Saône-et-Loire. Mais, nonobstant ces heureuses exceptions, presque partout la fermentation fut extrême. Quelques-uns, mais en bien petit nombre, s'affligèrent de la Constitution violée ; tous les autres ne songèrent qu'à l'anéantissement de leurs criminelles espérances. Le coup d'État triomphant, la date fatidique de 1852 s'évanouissait. Il fallait renoncer à cette franche lippée révolutionnaire, à ce long carnaval démagogique, à cette gigantesque farandole, à tous ces excès qu'on avait rêvés L'exaspération ne connaissant plus de bornes, on assista à une véritable explosion de passions grossières et matérielles. Il serait trop long de décrire dans tous ses détails cette agitation provinciale. Il suffira de la montrer sur les trois points où elle éclata avec le plus de violence : — d'abord dans le département de la Nièvre, et spécialement à Clamecy ; — en second lieu, dans le département de l'Hérault, et en particulier à Bédarieux ; — en troisième lieu, enfin, dans les départements de la rive gauche du Rhône, la Drôme, le Var, les Basses-Alpes, où se déroulent à nos yeux de véritables épisodes de guerre civile.

 

II

Le parti démocratique, très puissant dans le département de la Nièvre, l'était surtout à Clamecy. Dans cette petite ville la démagogie était depuis longtemps organisée. Elle avait ses chefs, chefs obscurs, mais actifs, influents, résolus : c'étaient Millelot père, imprimeur, et ses deux fils, Numa et Eugène Millelot ; c'était un sieur Guerbet, qui avait été candidat aux élections législatives ; c'étaient l'aubergiste Kock et le cafetier Gommier. Rien n'avait été négligé pour faire naître ou entretenir l'exaltation. En 1850, un banquet avait été offert aux représentants montagnards. Des relations suivies s'étaient établies entre le chef-lieu d'arrondissement et les communes voisines ; des intelligences avaient même été pratiquées jusque dans les villages du département de l'Yonne. La position de la ville et la nature même de son industrie facilitaient la propagande. Assise sur la rive gauche de l'Yonne, lieu principal d'entrepôt pour les bois du Morvan, Clamecy renfermait une population assez nombreuse de bûcherons, de mariniers, d'ouvriers flotteurs, gens peu instruits et accessibles aux plus vulgaires convoitises. Chaque jour, quelques émissaires se répandaient dans les cabarets du port, y éveillaient les passions, y entretenaient les espérances. Parmi ces émissaires, Eugène Millelot se distinguait par son ardeur, et ses prédications avaient valu à la cause socialiste de nombreux prosélytes[2].

C'est le 3 décembre qu'on connut le coup d'État. Aussitôt les lieux publics se remplirent de monde, le travail fut suspendu, et, bien que le calme matériel subsistât, on put craindre une prochaine explosion. Le 4, le comité démocratique, avide de nouvelles, envoya des délégués à Auxerre. La journée s'écoula sans que ceux-ci revinssent : aussi, parmi les chefs, une grande hésitation régnait : les uns voulaient surseoir à toute résolution ; les autres, qu'on marchât aussitôt sur Auxerre, et de là sur Joigny et Paris. Le 5 au matin, on apprit que l'autorité se préparait à arrêter les principaux fauteurs de sédition. A cette rumeur qui semblait, fondée, le parti de l'action prévalut : seulement il fut décidé que l'insurrection n'éclaterait que le soir, afin de permettre aux contingents ruraux d'arriver. Millelot père quitta aussitôt Clamecy, et se rendit dans les communes voisines pour y transmettre le mot d'ordre du comité[3].

Vers six heures du soir, un rassemblement armé se forma dans le quartier de Bethléem, faubourg situé sur la rive droite de l'Yonne, et où se réunissaient d'ordinaire les démagogues. Les socialistes des villages n'étant pas encore arrivés, on résolut de ne pas les attendre. La colonne se mit en marche, franchit le pont de l'Yonne au son de la Marseillaise, et gravit les rues tortueuses qui conduisaient à la place. Autour de la place étaient groupés, comme en beaucoup de petites villes, les principaux édifices, la mairie, l'église, la maison d'arrêt[4]. Les émeutiers se dirigent d'abord vers la prison : ils somment le gardien d'ouvrir, et, sur son refus, tirent un coup de feu contre la porte, qui bientôt cède aux efforts des assaillants : quarante détenus sont mis en liberté, entre autres Guerbet, qui avait été récemment condamné pour cause politique. En ce moment débouche une patrouille de gendarmerie. Elle est assaillie par des coups de feu. Les gendarmes ripostent et engagent le combat. Mais ils sont en trop petit nombre. Deux d'entre eux sont tués, un troisième blessé ; les survivants regagnent leur caserne. Laissés libres, les socialistes s'emparent de la mairie et s'introduisent dans le clocher pour y sonner le tocsin. Le maire s'enfuit et court à Nevers pour y aviser le préfet des événements qui viennent de s'accomplir.

Dès ce moment, les socialistes étaient maîtres de la cité. Clamecy n'avait pas de garnison : la plupart des autorités s'étaient réfugiées à la caserne de gendarmerie : une poignée de gardes nationaux, qui avaient essayé de défendre l'Hôtel de ville, avaient été promptement dispersés. On entendait dans le lointain le bruit du tambour : c'étaient les villages voisins qui s'apprêtaient à verser leurs contingents sur la ville. Certaines communes s'étaient levées presque tout entières : dans rune d'elles, à Oisy, c'était un père accompagné de ses trois fils qui conduisait le rassemblement[5]. On pouvait prévoir que la nuit qui suivrait serait terrible. La réalité dépassa toutes les craintes, tant les crimes furent nombreux et atroces ! Peu après la prise de la mairie, un instituteur du nom de Munier fut atteint mortellement d'un coup de feu ; et, si l'on en croit un témoignage d'ailleurs un peu suspect, le meurtrier ne fut autre qu'Eugène Millelot[6]. Un agent général du commerce des bois, le sieur Tartrat, fut menacé de mort et ne dut la vie qu'à l'intervention de Guerbet[7]. Un avocat, M. Mulon, appartenant à l'opinion républicaine modérée, et qui avait été commissaire sous le gouvernement provisoire, fut, au moment où il rentrait chez lui, frappé d'un coup de bisaiguë à la tête : il s'affaissa, et quelques minutes après il expirait[8]. La nuit s'avançant, les attentats se multiplièrent. Les uns parcouraient la ville en bandes, poussaient des cris, proféraient des menaces ; les autres s'introduisaient dans les maisons pour y saisir les munitions et les armes[9]. L'abbé Vernet, curé d'Arthel, qui venait d'arriver à Clamecy et était descendu à l'auberge Deschamps, fut entouré et assailli : on voulut le forcer à marcher aux barricades : comme il cherchait à donner quelques conseils aux insurgés, à leur faire comprendre que les villages qu'il avait traversés étaient tranquilles, que Napoléon aurait la victoire, ses paroles exaspérèrent ses agresseurs : il fut frappé à coups de bâton et à coups de poing, un pistolet fut braqué sur lui, il fut enfin atteint d'un coup d'épée dans le côté[10]. Pendant cette même nuit, à six ou sept kilomètres de la ville, au village de Pousseaux, un crime plus odieux encore s'accomplissait. Là vivait avec sa famille un vieillard, M. Bonneau, très attaché au parti de l'ordre. Les gens de la commune, avant de partir pour rejoindre les insurgés de Clamecy, se portèrent vers sa demeure. Au bruit du tambour qui annonçait l'arrivée des bandes, le vieillard se leva, ainsi que son fils. Comme on les sommait de livrer leurs armes, tous deux refusèrent. Non seulement nous ne les donnerons pas, répondirent-ils, mais nous tuerons le premier qui viendra pour les prendre. Du dehors on répondit par des menaces, on essaya d'enfoncer la porte. Outré de cette agression, M. Bonneau père entrouvrit les volets et se montra son fusil à la main. Aussitôt il fut visé, atteint de plusieurs coups de feu, et tomba pour ne plus se relever[11].

Telle fut à Clamecy et dans les communes environnantes cette nuit sinistre du 5 au 6 décembre. La journée qui suivit ne fut pas marquée par de moindres excès. Un seul point restait au pouvoir de l'autorité, c'était la caserne de la gendarmerie située dans le quartier le plus élevé de la ville et fort loin du faubourg de Bethléem, où l'insurrection recrutait ses principaux adhérents. Là s'étaient groupés autour de leur lieutenant les braves soldats qui avaient survécu au combat de la veille. Impuissants à rétablir l'ordre — car ils étaient réduits au nombre de neuf —, ils n'avaient d'autre ambition que de garder leurs armes et d'échapper à toute capitulation déshonorante. La matinée se passa sans qu'ils fussent attaqués. Vers deux heures, les bandes socialistes se dirigèrent vers leur caserne. Elles se composaient de sept cents individus environ. Guerbet et quelques autres parlementèrent avec le lieutenant, l'engageant à capituler. Les conditions furent tour à tour acceptées et rejetées. Cependant, parmi les insurgés était un individu du nom de Rollin, qui avait été récemment condamné à une peine d'emprisonnement pour voies de fait envers l'un des gendarmes, le sieur Bidan, et qui guettait une occasion de vengeance. Il chercha Bidan et, l'ayant aperçu au sommet du perron, se précipita sur lui en le couchant en joue. Une lutte s'engagea entre les deux hommes, Bidan essayant d'arracher le fusil des mains de son agresseur, Rollin de son côté s'efforçant d'attirer à lui le gendarme et de l'entraîner au bas de l'escalier et jusqu'au milieu des groupes insurgés. Aidé de quelques-uns de ses compagnons, Rollin réussit dans son dessein. Alors commença une scène qui défie toute description. Les plus exaspérés parmi les bandits se ruèrent sur l'infortuné gendarme. L'un d'eux lui tira un coup de carabine : les autres le rouèrent de coups de pied et de coups de poing. Le malheureux Bidan se leva, puis retomba, se redressa à demi et enfin s'affaissa tout à fait. Il fut frappé de coups de crosse et de coups de picot. Un des émeutiers nommé Mannevy lui tira un coup de feu dans les reins. Des injures et des railleries atroces s'ajoutaient aux violences. Il est bien dur à mourir, disait  l'un. Apportez de la paille pour le faire brûler comme un cochon, disait un autre : voilà trois de ces gueux de gendarmes morts, il faut en finir avec les autres[12]. Cependant Bidan respirait encore. On apporta un brancard et on le transporta à l'hospice. Chemin faisant, la populace, non désarmée par de telles souffrances, l'insultait, essayait de le fouiller, de lui arracher ses bottes, de lui déchirer ses épaulettes. En arrivant à l'hospice, l'infortuné agonisait : un prêtre fut appelé et lui administra les derniers sacrements : une heure après, il expira. Lorsqu'on le déshabilla pour le mettre au cercueil, son corps n'était qu'une plaie : il avait reçu seize blessures, et, d'après l'examen médical, plus de dix personnes avaient dû le frapper[13].

Les violences sont le plus souvent le signe, non de la force, mais de la faiblesse. Cette lâche multitude s'empressait à satisfaire ses fureurs comme si elle eût eu conscience que sa sinistre domination ne durerait pas. Le 6, dès le matin, les dépêches arrivées de Paris avaient déconcerté les espérances des chefs socialistes. La capitale était tranquille ; le département de l'Yonne ne se soulevait pas ; Clamecy demeurait isolée. A ces nouvelles, les plus timides avaient disparu. En outre, tous ceux qui avaient conservé quelque sentiment d'humanité étaient consternés des forfaits qui venaient de déshonorer la cité. La journée s'avançant, cette impression d'horreur s'était accrue. Aux crimes de la nuit, au meurtre du gendarme Bidan s'étaient ajoutés deux assassinats commis près de la barricade du pont de Ladron[14]. Millelot père, désespérant du succès, prévoyant les représailles qui suivraient, était d'avis de publier les dépêches et de cesser une résistance sans objet. Seul, Eugène Millelot s'indignait à la pensée de déposer les armes. Il est impossible, disait-il, que l'insurrection soit vaincue à Paris, elle n'est que refoulée aux barrières : demain sans doute elle renaîtra. Il se rend chez le receveur particulier et se fait remettre 5.000 francs pour solder quelques-unes des dépenses des insurgés : il affiche des décrets et des proclamations : il s'efforce de mettre un peu d'ordre dans ses bandes et aussi d'empêcher le pillage : il songe enfin à marcher sur Auxerre avec les gens de Clamecy et les paysans des communes environnantes. Mais cette fébrile activité se dépense en pure perte. Les mauvaises nouvelles, d'abord soigneusement cachées, finissent par transpirer : le découragement s'accroît : plusieurs contingents se débandent. Ainsi s'achève la journée du 6 décembre.

L'heure de la répression était proche. Le 7 dans la matinée, k préfet de la Nièvre, accompagné d'un détachement de deux cents hommes, arrivait en vue de Clamecy : ses troupes étaient trop peu nombreuses pour une attaque de vive force, mais il avait demandé des renforts qui ne tarderaient pas à paraître ; en attendant, il prit position avec ses hommes au lieu dit les Chaumes, lieu élevé d'où l'on dominait tout le pays. Le bruit se répandit bientôt que les soldats approchaient. A cette nouvelle, les plus compromis et les plus ardents parmi les insurgés éclatèrent tout d'abord avec de grands élans d'indignation. Les perquisitions se multiplièrent en vue de rassembler de la poudre et des armes. Des barricades furent construites pour défendre la partie supérieure de la cité et en particulier les hauteurs du Crot-Pinçon, par on l'on prévoyait que la troupe attaquerait : on en éleva, dit-on, vingt-trois. Des hommes s'introduisirent dans le clocher pour surveiller la campagne et dénoncer les mouvements de l'ennemi[15]. La sortie de la ville fut interdite : les sentinelles eurent l'ordre de tirer sur tous ceux qui déserteraient la défense : deux paysans ayant voulu fuir, l'un fut tué, l'autre blessé[16].

Hâtons-nous de le dire, ce fut là le dernier effort d'une résistance criminelle autant qu'insensée. A la surexcitation succéda l'abattement. Toutes les illusions s'évanouissaient. Les rapports des voyageurs et les lettres saisies ne laissaient plus aucun doute sur l'état de Paris et des départements voisins. De Nevers, de Bourges, d'Auxerre, des troupes allaient arriver. Le soir, les débris du comité insurrectionnel se réunirent. Devait-on marcher sur les Chaumes et engager la bataille ? Convenait-il de renoncer à la lutte et de chercher le salut dans la fuite ? C'est à cette dernière résolution qu'on se rallia[17]. Eugène Millelot lui-même, si ardent jusque-là, n'osa conseiller la résistance. Pendant la nuit, la plupart des insurgés franchirent l'Yonne et se cachèrent dans les grands bois qui couvrent la rive droite de la rivière. Le lendemain, le général Pellion avant rejoint le préfet avec des forces nombreuses, l'autorité reprit possession de la ville que les socialistes avaient évacuée. La répression fut proportionnée à la grandeur des crimes. Tous les lieux publics furent fermés, tous les rassemblements interdits : les fonctionnaires indécis furent destitués : les imprimeurs et les maîtres de poste qui avaient pactisé avec les socialistes furent privés de leurs brevets : les officiers ministériels hostiles furent révoqués. Des colonnes mobiles se répandirent dans les campagnes pour arrêter les insurgés fugitifs : beaucoup d'entre eux furent chassés de leur retraite par la faim ou le froid : d'autres furent dénoncés par les hommes d'ordre exaspérés et affolés. M. Carlier, ancien préfet de police, nommé commissaire extraordinaire dans les départements du Centre, présida, au moins dans les premiers jours, à ces mesures de rigueur. Enfin les funérailles des gendarmes tombés sous les coups des socialistes fournirent l'occasion d'une sorte de cérémonie expiatoire destinée, suivant le langage du temps, à rassurer les bons et à faire trembler les méchants[18].

 

III

Le département de l'Hérault rivalisa avec Clamecy par le nombre et l'horreur des crimes. Les dissensions civiles de 1815, si violentes en ces contrées, y avaient laissé des traces non effacées. Là, plus que partout ailleurs, la population était divisée en deux camps bien tranchés, les blancs et les rouges : avec le temps, ces dénominations avaient un peu changé de sens et étaient devenues le symbole de deux systèmes sociaux plutôt que de deux partis politiques : on appelait blancs ceux qui voulaient l'ordre et la propriété ; on appelait rouges ceux qui, par égarement d'esprit ou convoitise, rêvaient une organisation nouvelle. Dans les cantons montagneux qui touchaient aux Cévennes, les divisions entre protestants et catholiques accroissaient l'esprit d'antagonisme. Ajoutez à cela une certaine âpreté de mœurs, des rivalités de famille assez fréquentes et extrêmement vives, enfin l'ardeur naturelle du caractère méridional, et l'on aura l'idée des éléments d'hostilité qui n'attendaient qu'une occasion pour éclater.

Depuis deux ans, les meneurs du parti démagogique n'avaient rien négligé pour entretenir les haines. Les sociétés secrètes, fortement organisées, embrassaient dans certaines communes la presque totalité des habitants. En 1850 et en 1851, certains signes non équivoques avaient révélé l'égarement des âmes. Au carnaval de 1851, des mannequins blancs avaient été promenés dans les rues et ensuite pendus ou brûlés. A plusieurs reprises, des hommes notables, attachés au parti de l'ordre, avaient été insultés ou assaillis à coups de pierres. Préparons-nous pour 1852, ne cessait-on de répéter[19]. Il faudra, ajoutait-on, couper la tête aux propriétaires, fusiller ceux des fabricants qui sont le plus hostiles aux ouvriers, frapper les autres d'un impôt extraordinaire[20]. Sans doute ces propos étaient le plus souvent tenus clans l'ivresse et la colère : mais, la part faite à l'exagération, ils ne révélaient pas moins l'exaltation des esprits.

C'est sur ces entrefaites qu'on apprit le coup d'État. On assista alors, non à un soulèvement politique, mais à une soudaine explosion de passions perverses. A Béziers, le 4 décembre, un immense rassemblement se forma au Cimetière-Vieux, se porta vers la sous-préfecture et ne fut dissipé que par l'énergie du sous-préfet et la ferme attitude de la troupe. Les bandes dispersées s'étant répandues dans la ville, deux hommes furent entourés, frappés à coups de fusil et à coups de fourche : l'un était un avocat, M. Bernard-Maury, l'autre le greffier du tribunal civil : le premier expira sur place ; le second, quoique dangereusement atteint, survécut à ses blessures. Tous deux étaient de simples passants, désarmés, inoffensifs, et allaient au collège pour y chercher leurs enfants. On les frappa, dit-on, uniquement parce qu'ils possédaient quelque bien et étaient vêtus d'habits de drap[21]. — A Pézenas, les habitants des communes voisines se dirigèrent en masse vers la ville. Un propriétaire, M. Billière, vieillard de soixante-six ans, qui se rendait à la mairie pour y défendre la cause de l'ordre, fut lâchement attaqué et grièvement blessé[22]. — A Capestang, la foule se porta vers la caserne de gendarmerie, assaillit les gendarmes et en blessa plusieurs. En outre, certaines âmes criminelles profitaient de la confusion pour assouvir leurs vengeances particulières : c'est ainsi que, le 5 décembre, un sieur Valat, de Capestang, se rendit chez un curé du voisinage et le tua d'un coup de pistolet en pleine poitrine[23].

Une ville eut le triste privilège de dépasser tous ces excès, ce fut Bédarieux.

La nouvelle du coup d'État parvint à Bédarieux le 3 dans la soirée. Aussitôt des instructions furent demandées au comité de Béziers. Le 4, une voiture venant de cette dernière ville s'arrêta devant le café Villebrun, rendez-vous ordinaire des démagogues, et y déposa des paquets de dépêches. C'était, sans doute, l'ordre de prendre les armes ; car presque immédiatement les ateliers se vidèrent, les ouvriers se rassemblèrent dans les lieux publics ; peu après arrivèrent quelques contingents des villages les plus rapprochés. A la chute du jour, les socialistes se formèrent en colonne et se dirigèrent vers la mairie. Le maire, M. Verzanobre, était seul à l'Hôtel de ville. Il n'avait auprès de lui que le commissaire de police et une brigade de six gendarmes. Bédarieux, malgré sa population de près de dix mille âmes et ses nombreuses manufactures, n'avait pas de garnison. Une demande avait été faite quelques mois auparavant pour qu'on en envoyât une : mais nul n'avait osé appuyer cette sollicitation, de peur de s'exposer aux vengeances démagogiques. Les hommes d'ordre ne formaient qu'une infime minorité : eussent-ils tous pris les armes qu'ils n'auraient pu soutenir le choc de leurs adversaires : un appel, au surplus, leur avait été fait et était demeuré vain. Ainsi réduit à l'impuissance, désarmé en face d'un rassemblement de plusieurs milliers d'hommes, le maire déclara qu'il cédait à la force et se retira, ainsi que le commissaire de police et les gendarmes. Les insurgés prirent possession de la maison commune et y installèrent aussitôt une commission municipale composée de l'horloger Bonnal, d'un conseiller général du nom de Bélagou et d'un sieur Victor Caux[24].

Jusque-là le sang n'avait pas coulé : mais le drame qui suivit est demeuré gravé en traits ineffaçables dans la mémoire des habitants de la malheureuse cité.

Il était sept heures et demie du soir. La mairie prise, une foule compacte se porta vers la gendarmerie. Parmi les émeutiers se trouvaient un grand nombre de paysans : quelques-uns étaient masqués ; beaucoup étaient des repris de justice, des braconniers de profession, gens que la Constitution n'inquiétait guère, mais qui poursuivaient à travers les troubles leurs vengeances longtemps contenues.

Les gendarmes, en quittant l'Hôtel de ville qu'ils n'avaient pu défendre, étaient rentrés à leur caserne. Le commandant de la brigade, le maréchal des logis Léotard, achevait un rapport destiné à annoncer à l'autorité supérieure les faits qui venaient de s'accomplir. Deux de ses hommes étaient à l'écurie, en train de seller leurs chevaux, et s'apprêtaient à partir pour Béziers, afin d'y porter la dépêche de leur chef. La brigade, ainsi qu'on l'a dit, se composait en tout de six hommes ; c'étaient Léotard, Bruguière, Lainai, Circq, Sellères et Flacon. Le rassemblement approchait. Ceux des insurgés à qui leur exaltation laissait quelque clairvoyance pressentaient que de la gendarmerie partirait sans doute un avis qui donnerait l'éveil et provoquerait l'arrivée de la force publique. Il fallait à tout prix empêcher qu'aucune estafette ne sortit. Les bandes étaient nombreuses, bien armées, disposées à tout : elles se serrèrent autour de la caserne et entreprirent de la cerner,

Le maréchal des logis Léotard, persistant dans son dessein, voulut rompre le cercle. L'un des gendarmes, Bruguière, ayant entr'ouvert la porte, fut aussitôt couché en joue. Le maréchal des logis descendit alors lui-même et rejoignit son subordonné. Les émeutiers étaient en face d'eux, l'insulte à la bouche, prêts à tirer, commençant une sorte de siège dont l'issue n'était que trop facile à prévoir. Léotard et son compagnon s'indignèrent de tant d'audace : ils espérèrent qu'un acte de vigueur intimiderait leurs ennemis. Ils firent feu : deux insurgés tombèrent, l'un d'eux fut mortellement blessé.

Dès ce moment, entre ces bandes devenues furieuses et ces braves soldats fidèles à leur devoir, commença une lutte sans merci. Les émeutiers se répandirent dans les maisons voisines et entamèrent contre la caserne un feu continu. Il faut les fusiller ! criait-on dans la foule. Beaucoup de femmes étaient mêlées au rassemblement et se distinguaient par leurs clameurs. Retirés au premier étage, les assiégés ripostèrent vigoureusement. Léotard s'efforçait d'entretenir la confiance de ses hommes. Ici, disait-il, nous ne risquons rien, tant que nous aurons des munitions. Cette lutte inégale dura quelque temps, non sans de déchirants épisodes. La femme d'un des gendarmes, la femme Flacon, s'étant approchée d'une fenêtre, eut le mine traversé d'une balle. Je relevai ma femme, a dit plus tard Flacon, je la plaçai sur son lit, puis je repris mon poste de combat[25].

Toute multitude déchainée devient féroce. Le dénouement se faisait attendre, et les assaillants s'impatientaient : Mettons le feu ! crièrent quelques voix. Les plus ardents parmi les insurgés coururent chez les boulangers du voisinage, y prirent des fagots et les entassèrent contre la porte principale[26]. Bientôt on aperçut la fumée, puis les gerbes de flamme qui s'élevaient dans la nuit. Léotard et ses hommes continuaient leur défense désespérée. Cependant, à l'intérieur de la caserne, le spectacle était affreux. Les malheureuses femmes des gendarmes, éperdues au milieu de la fusillade, affolées par les lueurs de l'incendie, s'agitaient confusément et cherchaient à sauver quelques-uns de leurs meubles ou de leurs effets. Les enfants de la femme Flacon pleuraient auprès du lit de leur mère. Le feu étendait ses ravages. Bientôt les flammes gagnèrent le magasin à fourrage. Malgré son énergie, Léotard sentit l'impossibilité d'une plus longue résistance. Il faudra bientôt faire la paix, dit-il à ses compagnons d'un ton découragé[27]. A plusieurs reprises, Flacon se mit à la fenêtre, essaya de parlementer, mais ne put se faire écouter et fut même légèrement blessé. Bruguière, étant descendu à son tour dans le même dessein, fut criblé de coups de feu ; il s'affaissa, puis se releva et se blottit sous un tas de fumier où les assassins le découvrirent et l'achevèrent.

Cernés dans leur caserne, menacés par l'incendie, ayant épuisé leurs munitions, entourés d'une foule sans pitié, les cinq gendarmes survivants ne songèrent plus qu'à pourvoir à leur salut. Grâce à la complicité d'un insurgé plus humain que ses compagnons, le gendarme Sellères réussit à s'échapper et à gagner une maison sûre où il resta caché jusqu'au rétablissement de l'ordre. Flacon, Circq, Lamm. parvinrent, à l'aide d'une corde, à franchir un mur et arrivèrent dans une des maisons voisines, la maison Mical. Circq se cacha dans la trappe au fourrage, Flacon sous un lit, Lamm dans la chambre de la jeune Rose Mical, puis derrière des tonneaux. Mais la corde, demeurée appendue au mur, apprit aux insurgés quelle route ils avaient suivie. Les émeutiers, au nombre de plus de deux cents, firent irruption dans la maison Mical, ordonnèrent qu'on leur livrât les gendarmes, menacèrent de fusiller toute la famille si la retraite des fugitifs n'était pas révélée. Ayez, pitié de nous, implorait Charles Mical, mes deux sœurs sont évanouies. Les enfants pleurent, mon père et ma mère se croient perdus, retirez-vous. Les insurgés ne se laissèrent pas toucher. Une première perquisition demeura vaine. Je n'aurai donc pas le bonheur de tuer un gendarme ! disait un de ces misérables du nom de Mercadier[28]. — De nouvelles recherches firent découvrir Lamm. Lamm était probe et équitable, mais exact observateur de la discipline, et sa juste sévérité lui avait fait quelques ennemis. Sa vue provoqua une explosion de colère. Allons, mauvais sujet, lui criait-on, tu ne malmèneras plus de pauvres conscrits. Comme le malheureux demandait grâce : Nous as-tu fais grâce quand tu as verbalisé contre nous ? répondaient les assassins. Tout ce que les Mical purent obtenir, ce fut que le crime ne se consommât pas chez eux. L'infortuné gendarme fut atteint de plusieurs coups de fusil et tomba raide mort : les meurtriers s'acharnèrent sur son cadavre. Pendant ce temps, la femme Lamm, cachée dans une demeure voisine, entendait les cris de son mari qu'on assassinait — Circq fut découvert à son tour. Plus de quarante individus le couchèrent en joue. Il faut le tuer, criait-on, nous le fusillerons comme l'autre. L'un des insurgés du nom de Malaterre intervint. Circq lui avait rendu autrefois quelques services. Vous ne voudriez pas, dit-il, tuer un enfant du pays. Il obtint par ses instances que Circq fût conduit à la mairie. Chemin faisant, les uns voulaient le tuer, les autres lui faire grâce. Finalement, il fut sauvé[29]. — Flacon restait encore. On ne le trouva pas, peut-être l'oublia-t-on. Le lendemain, il fut conduit chez un sieur Jacques Mouton, qui le garda chez lui et le préserva de tout danger.

Un dernier crime s'ajouta à tous ces forfaits. Pendant que tous les gendarmes fuyaient, le maréchal des logis était resté seul dans la caserne. Il s'était réfugié dans une pièce du deuxième étage. Là, blessé et n'ayant plus de munitions, il attendait l'inévitable mort. Cependant une partie de la nuit s'écoula, et un instant il put espérer que, soit oubli, soit remords, il serait épargné. Cet espoir était vain. A trois heures du matin, sept ou huit des meurtriers pénétrèrent dans la chambre. Léotard était vigoureux, plein de force encore malgré sa blessure, et disposé à vendre chèrement sa vie. Celui des malfaiteurs qui marchait le premier portait une chandelle à la main. Le maréchal des logis éteignit la lumière. La lutte s'engagea dans l'obscurité. Longtemps Léotard résista, enfin il succomba sous le nombre. Les insurgés profanèrent son cadavre et lui firent, dit-on, subir de honteuses mutilations[30]. Puis ils soupèrent dans la chambre et se mirent à manger les provisions qu'ils avaient apportées. Telle fut à Bédarieux cette nuit du 4 au 5 décembre.

Ce qui suivit le crime ne fut pas moins horrible que le crime même. Lorsque le jour se leva, l'autorité insurrectionnelle établie à la mairie ne trouva pas un mot pour flétrir les assassinats. Les événements de la nuit ne lui apparurent que comme des malheurs regrettables. Elle fit retomber la responsabilité de ces malheurs sur ceux qui les avaient provoqués par le meurtre de quelques citoyens. — Sous le gouvernement du peuple souverain, ajoutait-elle avec une impudence qui n'avait d'égale que sa lâcheté, chacun trouve la sauvegarde de tous ses intérêts, de tous ses droits, de toutes ses libertés[31]. — Pendant ce temps, les meurtriers et leurs complices, assurés d'une passagère impunité, poursuivaient jusque dans la mort ceux qu'ils avaient massacrés. Les corps des gendarmes ayant été transportés à l'hospice, la foule y afflua, mue par un sentiment non de pitié, niais de vengeance inassouvie[32]. L'un soulevait les linceuls et demandait où était le brigand qui avait commencé le feu[33] ; un autre touchait du doigt les blessures et ajoutait avec un accent d'affreux orgueil : C'est peu de chose, mais c'est assez pour Bédarieux[34]. Les femmes se distinguaient par leur haine implacable. Un nominé Barthes disait en parlant de Lamm : Si tu avais vu les grimaces qu'il a faites quand on l'a fusillé ![35] Un nommé Pagès disait à la femme Lamm : Si tu veux voir ton gros cochon, il est étendu là-bas[36]. Lorsque le moment vint de fermer les cercueils, quelques individus s'y opposèrent, voulant jouir plus longtemps de la vue des victimes[37]. Enfin, quand arriva l'heure des funérailles, la plupart se refusaient à ce que les gendarmes fussent enterrés au cimetière : Il faut les noyer, non les enterrer : ils ne sont bons qu'à être jetés à la rivière[38]. C'est à grand'peine qu'on obtint qu'un prêtre accompagnait les cadavres jusqu'au lieu de la sépulture. En revanche, les obsèques des deux insurgés qui avaient succombé furent célébrées en grande pompe : plus de deux mille personnes v assistaient : ce n'étaient pas seulement des socialistes, mais des bourgeois, des notables, des hommes d'ordre, tant la terreur avait paralysé l'énergie des âmes ! Cette orgie révolutionnaire dura cinq jours. Le 10 décembre, le général Rostolan entra dans Bédarieux.

 

IV

Il reste à raconter le soulèvement qui éclata dans la région de la rive gauche du Rhône. Trois départements surtout furent agités : la Drôme, le Var, les Basses-Alpes. — Dans la Drôme, ce ne fut qu'une insurrection locale, mais qui ne s'apaisa point sans effusion de sang. — Dans le Var, on vit un véritable corps d'armée parcourir le pays, lever des impôts, emmener des otages, se porter un peu au hasard, tantôt sur un point, tantôt sur un autre, suivant le caprice ou les irrésolutions de ses chefs, puis se dissoudre peu à peu sous l'influence des mauvaises nouvelles ou par lassitude, et enfin se disperser après un simulacre de combat. — Dans les Basses-Alpes, l'insuffisance de la force armée, l'éloignement de la capitale, la difficulté des communications, tout favorisa la résistance et retarda la répression : là, un gouvernement insurrectionnel fut formé, s'installa au chef-lieu, rendit des décrets, affecta les allures d'un pouvoir régulier ; et quelques jours s'écoulèrent avant que les agents de Louis-Napoléon reprissent possession du département.

 

V

La nouvelle du coup d'État parvint à Valence dès le 2 décembre. Le chiffre imposant de la garnison était propre à décourager la résistance ; d'un autre côté, les chefs du parti démocratique furent déconcertés par la soudaineté de l'événement. Sous l'influence de cette double cause, la cité demeura calme. Il n'en fut pas de même de la petite ville de Crest et des villages de la vallée de la Drôme.

A Crest, le 3 décembre, les bureaux d'octroi furent pillés et la caserne de gendarmerie envahie. Un détachement d'artillerie étant arrivé, et quelques arrestations ayant été opérées, le calme se rétablit au moins en apparence. Mais l'état des communes voisines faisait craindre de nouveaux troubles. L'inquiétude était si vive qu'une garde bourgeoise, recrutée parmi les hommes d'ordre, fut organisée en toute hâte en vue de repousser une attaque de la campagne.

L'événement justifia cette prévoyance. Le 5 décembre, un prêtre, le curé de la Castre, arriva tout effaré et annonçant les plus graves nouvelles : Tout le pays, disait-il, est agité : de tous côtés se forment des bandes armées : le tocsin sonne à Grâne, à Chabrillant, dans toute la vallée supérieure de la Drôme : il faut se préparer à un prochain assaut. Des reconnaissances envoyées dans les localités environnantes confirmèrent ces rapports. — Le lendemain dans l'après-midi, un rassemblement de trois cents hommes environ fut signalé, venant de la direction de Saillans et descendant la Drôme par la rive droite. Arrêtés au pont d'Aouste par un piquet de troupes, les paysans gravirent les hauteurs, et gagnèrent un plateau qui domine Crest et la vallée. Déjà ils s'apprêtaient à descendre dans la ville quand ils furent surpris par une fusillade partie d'une vieille tour où s'étaient postés quelques-uns des défenseurs de la cité. Intimidés par cette résistance, ils se retirèrent en arrière sur le plateau, non sans laisser quelques-uns des leurs sur le terrain. Puis, comme la nuit tombait, ils allumèrent des feux de bivouac, organisèrent une sorte de camp, établirent autour d'eux des sentinelles. Malgré leur échec, leur attitude était résolue, et ils semblaient attendre des renforts plutôt que de songer à la retraite. — Une nouvelle attaque dirigée d'un côté opposé suivit presque aussitôt cette première alerte. A sept heures du soir, on entendit des chants et le bruit du tambour sur la rive gauche de la Drôme : c'étaient les insurgés de Grâne et de Chabrillant qui débouchaient au nombre de huit cents environ et essayaient de forcer le pont qui donne accès dans la ville. Ils avaient emmené avec eux comme otages leur curé, leur vicaire, deux prêtres missionnaires qui étaient de passage dans leur commune, avec cela quelques notables, et de plus un enfant de quinze ans dont le seul crime était le dévouement de son père à la cause de l'ordre : par un raffinement de cruauté, ils avaient placé ces malheureux en tête de la colonne, afin qu'ils fussent exposés aux premiers coups. Le pont n'était gardé que par une vingtaine de fantassins et huit cavaliers. Malgré l'infériorité des forces, ceux-ci 'l'hésitèrent pas à entamer le combat. Le succès justifia leur audace. Deux des assaillants ayant péri, et quelques autres ayant été blessés, les bandes lâchèrent prise et s'enfuirent. La troupe perdit deux hommes : l'un d'eux, le maréchal des logis Carrier, fut tué traîtreusement par l'un des insurgés qu'il avait fait prisonnier et qu'il avait épargné[39].

Malgré ces avantages, la position des défenseurs de l'ordre était critique. Sur les deux rives de la Drôme, les colonnes socialistes étaient repoussées plutôt que vaincues, et tout annonçait un retour offensif pour le lendemain. La force publique ne se composait que d'une section d'artillerie, d'un faible détachement du 32e de ligne dirigé le matin même de Romans sur Die, et qu'à tout événement on avait gardé à Crest, enfin de quelques gardes volontaires et de quelques gendarmes. Des renforts furent demandés à Valence. Dès le lendemain matin, le chef d'escadron d'artillerie Delamothe arriva avec une section montée et deux bouches à feu : eu outre, une quarantaine d'hommes armés arrivèrent de Chabeuil, où ils avaient été expédiés quelques jours auparavant et où leur présence n'était plus nécessaire. Même avec ce supplément d'effectif, la petite garnison de Crest ne laissait pas que d'être bien insuffisante. Mais il eût été imprudent de dégarnir Valence : il l'eût été d'autant plus que quelques agitations avaient été signalées dans le département de l'Ardèche.

Le 7, la lutte recommença. — Sur la rive droite de la Drôme, une démonstration vigoureuse de la troupe chassa sans peine les contingents de Saillans du plateau où ils bivouaquaient depuis la veille. — Sur la rive gauche, un véritable combat se livra. Vers deux heures de l'après-midi, une colonne de plus de deux mille hommes fut signalée à quelques kilomètres de la ville, c'étaient les paysans de Saou, de Puy-Saint-Martin et surtout du canton de Bourdeaux, armés de fusils de chasse ou de pistolets, de fourches ou de tridents. Le commandant Delamothe alla au-devant d'eux avec un détachement d'infanterie, quelques cavaliers et un obusier. La fusillade s'étant engagée et les insurgés montrant une extrême résolution, les troupes se replièrent vers la ville et prirent position à la tête du pont qui en défend l'entrée. Dès que les assaillants s'approchèrent, ils furent accueillis par la mitraille, qui fit parmi eux de grands ravages. Les plus intrépides ne se découragèrent pourtant pas, et, se glissant le long de la rivière, tentèrent plusieurs fois de forcer le pont. Ce n'est qu'à la tombée de la nuit, qu'ils se dispersèrent dans la campagne

L'insuccès de cet engagement anéantit les dernières espérances des socialistes. Le 8, aucune nouvelle bande ne parut devant Crest. — Sur d'autres points du département, à Loriol, à Rochegude, à Montélimar, quelque émotion se manifesta : dans le canton de Marsanne, quelques rassemblements, poussant plus loin l'audace, essayèrent d'engager la lutte contre la troupe. Mais nulle part le soulèvement n'eut le même caractère de gravité que dans le canton de Crest. Le 10, la paix publique était partout rétablie.

 

VI

L'agitation, toute locale dans la Drôme, s'étendit dans le Var à une grande partie du département. Nulle contrée en France n'avait été plus travaillée par les menées socialistes Aux élections de 1849, la liste démagogique avait triomphé. En 1850, les affiliations aux sociétés secrètes avaient été extrêmement nombreuses ; de plus, une propagande très ardente avait été entreprise dans la garnison de Toulon, et, si l'on en croit certaines révélations, les troupes, surtout celles de l'infanterie de marine, n'avaient pas écouté ces prédications sans quelque faveur. L'arrestation de Gent et les poursuites intentées contre la Nouvelle-Montagne avaient surexcité les âmes, loin de les abattre. A la fin de 1850, des conciliabules s'étaient tenus à Avignon, à Marseille et surtout à Aix. Dans la réunion d'Aix, un jeune ouvrier de Toulon nommé Damnas n'avait, pas hésité à conseiller l'insurrection immédiate. Les soldats sont en partie gagnés, avait-il dit à ses amis, les régiments de la marine casernés au Mourillon sont prêts à nous seconder ; tentons audacieusement la fortune, soulevons-nous, et tout le Midi à notre exemple s'insurgera[40]. La majorité avait refusé de s'associer à une si téméraire aventure. Quelques jours plus tard, Daumas fut arrêté. Malgré la disparition d'un si ardent auxiliaire, la propagande socialiste continua. Dans les campagnes surtout, certains incidents caractéristiques révélèrent l'état des esprits Ici c'était un maire qui résistait ouvertement à l'autorité préfectorale. Là on voyait un rassemblement se porter vers une chambrée qui avait été fermée par mesure de police et en briser les scellés. Ailleurs, des manifestations menaçantes étaient organisées contre les propriétaires, les curés, les gardes champêtres, les gendarmes. Sur d'autres points, les réjouissances du carnaval servaient de prétexte à de scandaleuses exhibitions. Ni les rigueurs administratives, ni la surveillance de la police, ni la création de brigades de gendarmerie supplémentaires ne parvenaient à intimider les meneurs de la démagogie.

C'est sur ces entrefaites qu'on apprit le coup d'État. Toulon, la grande cité du département, Toulon, comme Marseille, demeura calme ; quelques rassemblements dans les rues, quelques clameurs, quelques conciliabules entre les chefs, et ce fut tout. Là, comme dans toutes les villes importantes, les membres les plus influents des sociétés secrètes inclinaient à attendre le mot d'ordre de Paris et, soit timidité, soit sagesse, étaient plus disposés à retenir qu'à exciter leurs amis. En outre, une garnison nombreuse répondait de l'ordre et, malgré toutes les espérances contraires, était, du moins dans son ensemble, disciplinée et fidèle. Dans la région qui avoisine Toulon, l'ordre public ne fut troublé que sur cieux points : — i Hyères, où une tentative de rébellion fut promptement réprimée par les matelots de la frégate l'Uranie ; — Cuers, où un sous-officier de gendarmerie, le brigadier Lambert, fut traitreusement assassiné ; dans cette dernière bourgade, le parti démagogique était très puissant, et de nouveaux excès se seraient sans doute ajoutés à ce meurtre si l'arrivée d'un fort détachement du 50e de ligne n'eût intimidé les fauteurs de sédition[41].

C'est au centre du département que l'insurrection éclata. A l'est de Toulon, à peu de distance du littoral, s'étend un massif montagneux qu'on appelle encore aujourd'hui, en souvenir des incursions sarrasines, la chaîne des Maures. Au milieu de ces montagnes couvertes en partie de chênes-lièges s'élève un petit bourg peuplé presque uniquement de bûcherons et d'ouvriers bouchonniers, et qu'on nomme la Garde-Freynet. Lorsqu'on descend ensuite le versant septentrional de cette chaîne, on débouche dans une belle plaine plantée d'oliviers et arrosée par l'Argens : là se trouvent la petite ville du Luc, située au débouché de plusieurs routes, et celle de Vidauban, voisine de la rivière. Les montagnards et les paysans de ces contrées étaient assez éloignés des centres militaires pour n'avoir pas à craindre une répression immédiate ; ils avaient accueilli avec une extrême faveur les prédications socialistes ; de plus, leur ardeur et leur crédulité les mettaient à l'abri des indécisions qui paralysent le plus souvent, en de pareilles conjonctures, les chefs plus éclairés. Dans tout ce territoire, moitié plaine, moitié montagne, le soulèvement fut général. Le Luc, la Garde-Freynet, Vidauban eurent le douteux honneur de donner aux localités environnantes un mot d'ordre qui fut presque partout écouté.

A la nouvelle du coup d'État, les démocrates du Luc se rassemblèrent en toute hâte. Après une courte délibération, la majorité décida une prise d'armes immédiate. Une commission révolutionnaire fut installée. Des estafettes furent expédiées dans les communes voisines pour convoquer au chef-lieu de canton les contingents socialistes. Le drapeau rouge fut arboré[42]. Enfin l'on procéda à l'arrestation des réactionnaires les plus compromis et on les garda comme otages : c'étaient, entre autres, un propriétaire du pays, M. de Colbert, un huissier du nom de Blanc, le directeur des postes, le maire, les gendarmes, et enfin deux individus qui avaient eu le courage de protester contre ces mesures de violence.

Les habitants de la Garde-Freynet ne se montrèrent pas moins résolus que ceux du Luc : eux aussi, ils envoyèrent des émissaires au dehors ; eux aussi, ils arrêtèrent les gendarmes, quelques propriétaires, quelques agents du fisc, et les retinrent à titre d'otages. Dans cette population de montagnards, les mœurs étaient plus farouches, les haines plus âpres qu'au Luc. Les otages furent aussitôt menacés, et il fallut l'intervention des chefs pour empêcher qu'on ne les massacrât : en outre, une proclamation ordonna aux réactionnaires de déposer leurs armes à la mairie, sous peine d'être fusillés ; enfin des sentinelles furent disposées autour du bourg afin d'empêcher les blancs de s'enfuir.

Pendant toute la journée du 5 et dans la matinée du 6 arrivèrent les contingents des communes environnantes. Au Luc affluèrent les gens du Cannet, de Gonfaron, de Pignans, de Flassans, de Moyens, ces derniers traînant avec eux leur curé ; à la Garde-Freynet se rallièrent ceux de Saint-Tropez, de Grimaud, de Cogolin, sous la conduite d'un chirurgien de marine du nom de Campdoras. Le 6, dans l'après-midi, tous ensemble se dirigèrent sur Vidauban. A l'imitation de leurs voisins, les démagogues de Vidauban avaient proclamé l'insurrection, envahi la mairie, séquestré les gendarmes. Ils accueillirent avec l'enthousiasme bruyant des populations méridionales les hôtes qui leur arrivaient. Le 6 décembre dans la soirée, Vidauban se trouva donc le lieu de concentration de toutes les forces socialistes. Cette petite armée, d'après les calculs les plus plausibles, s'élevait au chiffre de deux à trois mille hommes. Elle comptait beaucoup de paysans entraînés par intimidation ou de vagabonds lâches autant que fanfarons : en outre, un assez grand nombre de femmes s'étaient jointes aux rassemblements : pourtant certains contingents, notamment ceux de la Garde-Freynet, paraissaient un peu plus aguerris et offraient quelque apparence d'organisation militaire.

C'était beaucoup pour les socialistes d'avoir massé sur un même point toutes leurs forces. Cependant, il fallait, dresser un plan d'action et nommer un général. Dans la nuit du 6 au 7, les chefs tinrent conseil. On devine ce que furent les délibérations de ces hommes, la plupart grossiers, bruyants, sans instruction, tout à la fois enivrés et effrayés de leur rôle. Leur premier soin fut de confier au chirurgien Campdoras le dépouillement des dépêches interceptées, afin que les nouvelles défavorables à la cause républicaine ne plissent transpirer. Cette décision prise, on se mit à rechercher la conduite à suivre. Aussitôt la divergence des vues éclata. Devait-on marcher sur Draguignan, qui n'était distant que de vingt kilomètres ? Campdoras le pensait. Un des chefs vidaubanais du nom de Maillan soutint l'opinion contraire avec beaucoup d'ardeur. La discussion s'échauffant, on se menaça mutuellement d'arrestation, voire même de se faire fusiller[43]. Si l'adoption d'un plan était difficile, le choix d'un général ne l'était pas moins. Tous ces chefs de bandes étaient à la fois trop incapables pour commander et trop pleins de leur importance pour se plier sous l'un des leurs. On se débattait péniblement au milieu de cette anarchie lorsque survint tout à coup un personnage assez étrange qui était appelé à exercer une influence dominante sur la suite des événements.

On l'appelait Camille Duteil. C'était un journaliste de Marseille, rédacteur du journal le Peuple. Le 4 décembre, afin d'échapper à une arrestation qu'il croyait imminente, il était parti pour le Var. Dans la nuit du 4 au 5, il était arrivé à Brignoles. Sa haute taille, ses fortes moustaches, ses allures militaires, le sabre qu'il portait à son côté et les pistolets qui pendaient à sa ceinture, tout cela l'avait recommandé à l'attention de la multitude. Il avait péroré au café du Cours, avait raillé les indécisions des timides, s'était prononcé pour l'insurrection immédiate et avait entraîné la majorité. On aurait cru qu'après un tel succès il resterait à Brignoles. Il n'en fut rien. Soit qu'une journée eût suffi pour affaiblir son prestige, soit que des avis tenus du Luc lui eussent fait entrevoir ailleurs quelque occasion de fortune, il partit le 6 à la chute du jour et s'achemina vers Vidauban. Dix-sept hommes à cheval l'accompagnaient : presque tous l'abandonnèrent en chemin : un seul lui resta fidèle jusqu'au bout : c'était un ancien spahi qui avait, à cette occasion, repris son uniforme. Ainsi escorté, Duteil arriva à deux heures du matin à Vidauban, descendit à la mairie, s'introduisit dans le conseil des chefs démocrates. On cherchait un général. Personne ne se sentait de force à l'être, mais personne ne voulait que son voisin le fût. Duteil, en sa qualité d'étranger, ne portait nul ombrage. Il affirma qu'il avait servi dans l'armée, il avait l'extérieur d'un soldat, avec cela un certain air d'aventurier qui n'était pas hors de mise en un pareil moment. On lui déféra la présidence de la réunion : il offrit de prendre le commandement, et, d'un commun accord, on l'accepta.

Deux partis bien distincts s'offraient. — Le premier était de marcher sur Draguignan, de s'en emparer, d'y créer une autorité révolutionnaire : le chef-lieu une fois occupé, on pouvait espérer un soulèvement universel. — Le second parti consistait au contraire à éviter tout combat, à obliquer vers le nord, à s'établir solidement sur les rives du Verdon, qui sépare le Var des Basses-Alpes, a donner la main aux insurgés de ce dernier département, à profiter des difficultés des communications pour tenir longtemps la campagne, à attendre les nouvelles des autres provinces : alors, suivant l'occurrence, on déborderait en masse dans la plaine ou l'on chercherait un refuge dans la montagne. — Duteil inclinait-il vers ce second plan ? Peut-être serait-il téméraire d'affirmer qu'il l'ait, dès cette heure, nettement entrevu. Ce qui est certain, c'est qu'il était contraire à l'attaque de Draguignan : il jugeait ses troupes trop peu aguerries pour un tel coup de main : d'un autre côté, nue lettre récemment saisie sur un gendarme annonçait que la ville avait été mise en état de défense. Pourtant les plus influents parmi les insurgés s'obstinaient à demander qu'on se dirigeât sur le chef-lieu. A Draguignan ! à Draguignan ! tel était, pendant cette nuit du 6 au 7 décembre, le cri presque unanime. Impuissant à combattre une opinion si générale. Duteil feignit d'y céder. Il annonça qu'on marcherait sur Draguignan, se réservant de modifier, chemin faisant, l'itinéraire de sa colonne.

Le 7, à l'aube du jour, la petite armée socialiste se mit donc en route sous la conduite de son nouveau chef. Le départ fut plein de promesses. Les insurgés ignoraient les mauvaises nouvelles de Paris : aucune longue marche, aucune privation, aucun péril n'avaient encore mis à l'épreuve leur bonne volonté. Les tambours battaient, les femmes étaient aux fenêtres et encourageaient les soldats. Le soleil se levait dans un air vif et pur : c'était le soleil clair de ces belles contrées méridionales où l'hiver même n'a pas de nuages. Confiants dans leur nombre, ardents et crédules tout ensemble, ces pauvres paysans du Var portaient fièrement leurs piques ou leurs fusils de chasse et déployaient tout cet enthousiasme provençal qui s'exalte si vite et tombe si vite aussi. A la queue du rassemblement, les otages suivaient sur des chariots. C'est dans cet appareil qu'on franchit l'Argens. Un peu plus loin, de nouveaux contingents rallièrent le gros de la troupe. Une heure plus tard, on était aux Arcs, petit bourg à trois lieues de Draguignan. Si l'on avait suivi le plan arrêté pendant la nuit, c'eùt été l'occasion de marcher résolument sur la ville. Sans démasquer encore ses vrais desseins, Duteil dirigea sa colonne vers le nord, c'est-à-dire vers Lorgnes. Les socialistes tournaient ainsi autour du chef-lieu, sans s'en éloigner encore tout à fait.

Les armées insurrectionnelles, lorsqu'une grande passion politique ou religieuse ne les soutient pas, n'échappent guère au découragement et à l'indiscipline. Entre les Arcs et Lorgnes, les premiers signes de désordre apparurent. Quelques-uns commençaient à ressentir la fatigue, d'autres se plaignaient du froid qui était assez vif malgré la sérénité du ciel : plusieurs s'étaient enivrés et suivaient en chancelant la colonne : chemin faisant, quelques désertions se produisirent[44]. En outre, les plus animés jetaient des regards cruels sur les voitures qui contenaient les prisonniers. Il faudrait, disait-on, les massacrer sans pitié si l'on apprenait la moindre arrestation de patriotes au Luc ou à la Garde-Freynet. Les têtes s'exaltant, on voulut fusiller sur place l'un des brigadiers de gendarmerie, et l'énergique intervention de Duteil empêcha seule l'accomplissement du crime[45]. Comme on arrivait à Lorgnes, les principaux habitants allèrent au-devant des socialistes, convinrent que des vivres seraient apportés aux insurgés, mais qu'en revanche ceux-ci n'entreraient point dans la ville. Malgré cette convention, le bataillon de Vidauban et après lui presque tous les contingents firent irruption dans la malheureuse bourgade. Ils y entrèrent en poussant de grands cris et en hurlant des chants infimes dans le patois de leurs pays. Les citoyens les plus connus pour leur attachement au parti de l'ordre s'étaient réunis à la mairie et contemplaient avec stupeur cet étrange défilé. Seize d'entre eux furent arrêtés : c'étaient des propriétaires, MM. de Gasquet et Andéol de Laval, M. de Command aire, ancien garde du corps, M. Vacquer, ancien soldat de l'Empire ; c'étaient en outre le maire, le juge de paix, des conseillers municipaux ; c'était enfin un journaliste de Draguignan, M. Magnan, qui devait plus tard raconter les incidents de sa captivité. Le nombre total des otages, depuis le commencement de l'insurrection, était de quatre-vingts. A la tombée du jour, les socialistes quittèrent Lorgnes. Se dirigeant de plus en plus vers le nord et s'éloignant de plus en plus de Draguignan, ils prirent la route de Salernes. Ils y arrivèrent à une heure avancée. Salernes, à l'inverse de Lorgnes, était acquise aux idées démagogiques et accueillit avec empressement les hôtes que le hasard lui envoyait.

La journée du 8 fut une journée de repos. L'armée, un peu diminuée par quelques désertions, mais beaucoup accrue par l'arrivée de nouveaux contingents, dépassait trois mille cinq cents hommes. Duteil tint conseil avec les principaux chefs. Il s'efforça d'organiser des cadres de compagnie. Il donna des ordres pour forger des piques, fondre des halles, rassembler de la poudre. — Malgré ces préparatifs, le dénouement n'était que trop certain. Les dépêches interceptées et dépouillées par Campdoras ne laissaient plus aucun doute sur le triomphe du coup d'État à Paris et sur l'indifférence de la plupart des provinces : quelque soin qu'on mit à cacher ces nouvelles, on ne pouvait se flatter de les dissimuler longtemps. Les insurgés étaient en général peu accoutumés à la vie militaire : le plus grand nombre n'avait pas servi : ils étaient partis pour une manifestation bruyante, pour une sorte de bravade, non pour une longue expédition[46]. Ceux mêmes qui étaient le plus résolus n'avaient que des armes insuffisantes, avec cela point de vêtements chauds, point de souliers, en un mot rien de ce qu'il faut pour une campagne prolongée. Si de nouvelles bandes arrivaient, d'autres se lassaient : quelques villages promettaient un concours très chaleureux, mais seulement après le succès[47]. Tout en appelant bruyamment le combat, on le redoutait ; quelques coups de fusil ayant été entendus aux environs de Salernes, l'alerte fut très vive : après information, il fut reconnu que c'étaient non des ennemis, mais des chasseurs répandus dans la montagne. Alors seulement on se rassura.

De telles dispositions n'encourageaient guère à prendre l'offensive. Duteil, qu'on a accusé plus tard d'incapacité, voire même de lâcheté, et dont le principal défaut fut peut-être de trop bien connaitre ses auxiliaires, Duteil résolut de marcher décidément vers le nord, de pénétrer dans les Basses-Alpes, de se joindre aux insurgés de ce département. De la sorte on gagnerait du temps, on verrait se dessiner les événements, on éviterait dans tous les cas une déroute. Enfin, si toutes les chances de fortune s'évanouissaient, on aurait au moins la ressource de gagner le Piémont par les montagnes. Cette dernière pensée était dominante chez beaucoup de chefs, gens vaniteux plus encore que fanatiques, et soucieux avant tout de leur sûreté. Le 9, de grand matin, l'armée partit donc pour Aups, petite ville située à l'extrémité septentrionale du Var, tout près des frontières des Basses-Alpes : elle y arriva avant le soir. Là, Duteil comptait réorganiser ses troupes, puis franchir avec elles le Verdon. Cet espoir était vain. Déjà il avait épuisé toutes les faveurs de la fortune. C'est à Aups même que cette étrange prise d'armes des paysans provençaux devait aboutir au plus vulgaire, au plus misérable dénouement.

A la nouvelle de l'insurrection du Luc, de la Garde-Freynet et de Vidauban, le 50e de ligne, qui tenait garnison à Toulon, avait reçu l'ordre de marcher vers le nord pour étouffer la rébellion. Le 7, le colonel Trauers était parti avec quinze compagnies ; il emmenait avec lui M. Pastoureau, ancien sous-préfet d'Avranches, qui venait d'être nommé préfet du Var et se rendait à son poste. Les troupes, doublant l'étape, étaient arrivées le soir au Luc, où elles avaient rétabli une municipalité régulière. Le lendemain, elles avaient traversé Lorgnes, naguère occupée par Duteil. Elles ignoraient encore où était le gros de l'armée socialiste. A Flayosc, une bande de cent cinquante paysans s'enfuit à leur approche. Le 8 au soir, le régiment était à Draguignan[48]. — Cette malheureuse cité avait depuis deux jours passé par de cruelles angoisses. Elle avait appris le soulèvement des campagnes voisines. Dès le 6, elle avait redouté une attaque. La garnison se composait d'un bataillon d'infanterie, mais à l'effectif très réduit et formé presque uniquement de conscrits. Une association de volontaires avait été créée autrefois sous le nom de Société de Saint-Martin : les membres de cette Société se réunirent à la préfecture, où s'étaient réfugiés avec leurs familles, en prévision d'un prochain assaut, les principaux fonctionnaires. Pendant la nuit du 6 au 7, les anxiétés redoublèrent : on annonça même l'arrivée imminente des socialistes. Ce n'était heureusement qu'une fausse alerte ; mais quand, le 7 au matin, on apprit que les bandes insurgées étaient aux Arcs, on ne douta plus un instant qu'elles ne se dirigeassent vers la ville. Contre toute attente, elles s'éloignèrent, et alors seulement on commença à respirer[49]. — Après de telles anxiétés, on devine avec quels transports furent accueillis, le 8 décembre, les soldats du 50e. La journée du 9 fut consacrée partie à des reconnaissances, partie il un repos bien gagné, car les troupes avaient franchi plus de vingt lieues eu deux jours. Le 10, de grand matin, le colonel Trauers partit pour Aups avec onze compagnies et quelques cavaliers. Il se flattait de joindre l'armée insurgée et d'en finir avec elle. Le préfet, M. Pastoureau, jaloux de reconquérir son département, accompagnait les soldats. Pendant ce temps, une autre colonne partie de Marseille et placée sous les ordres du colonel de Sercey, pénétrait dans l'arrondissement de Brignoles et se disposait à prendre à revers les contingents rebelles[50].

Duteil, ainsi qu'on l'a dit, était arrivé à Aups le 9 au soir. L'un des chefs socialistes, nommé Arrambide, avait été posté avec quelques centaines d'hommes sur les hauteurs de Tour-tour qui dominent le chemin venant de Draguignan. En outre, le contingent des Arcs avait été envoyé dans la direction de Fox-Amphoux et avait pour mission d'observer la route de Brignoles. Ainsi gardé coutre toute attaque, soit du colonel Trauers, soit du colonel de Sercey, Duteil se croyait en sûreté. Le 10 au matin, il avait réquisitionné des blouses et d'autres objets d'habillement : il avait frappé la ville d'une contribution forcée : de plus, par une dernière violence, les chefs démagogiques avaient publié nue sorte de levée en masse des hommes de dix-huit à quarante ans[51]. Avant de commencer son mouvement de retraite vers le nord, l'étrange général voulut passer en revue ses bandes. A dix heures, les contingents socialistes, bien nombreux encore, se rassemblèrent sur une esplanade assez vaste, plantée de gros arbres et située en avant du bourg. Duteil harangua les troupes. Comme il commençait à parler, on vit, à une certaine distance, au milieu des champs d'oliviers, reluire les baïonnettes. C'étaient les soldats du 50e de ligne qui s'avançaient en tirailleurs, précédant le gros de la colonne. Par un miracle d'activité, le colonel Trauers, avec ses hommes fatigués, avait franchi en moins de six heures le chemin long et pénible qui sépare Aups de Draguignan. Arrambide, chargé d'occuper les hauteurs de Tourtour et de défendre les défilés à travers lesquels passe la route, s'était enfui à la vue des fantassins. C'est ainsi que les troupes avaient pu arriver jusqu'aux abords de la ville sans qu'on les signalât.

La soudaineté de l'attaque enlevait à la défense ses meilleures chances de succès. Cependant, si l'on avait voulu combattre, rien n'eût été désespéré. L'armée socialiste comptait près de 3.000 hommes et était trois fois plus nombreuse que l'armée assaillante. Elle était massée sur un seul point. Elle avait en outre pour elle une position favorable : car l'esplanade était située sur une hauteur et dominait les prairies voisines. Enfin, les gros arbres de la place fournissaient des abris sûrs derrière lesquels les insurgés auraient pu continuer longtemps la fusillade. Tous ces avantages demeurèrent vains. Dès qu'on aperçut les baïonnettes, les rangs commencèrent à vaciller. Quelques hommes résolus distribuèrent des cartouches, voulurent charger les armes des plus inexpérimentés : ou ne les écouta pas. Voilà les soldats ! criait-on de toutes parts. Aux premiers coups de feu des tirailleurs, ce fut un sauve-qui-peut général. Duteil, craignant que sa retraite ne fût coupée, appela à lui les contingents de la Garde-Freynet et de Saint-Tropez, traversa la ville, gagna le portail des Aires, et, après quelques coups de fusil échangés avec la troupe, gagna en toute hâte la montagne. Pendant ce temps, les malheureux paysans s'enfuyaient de tous côtés, poursuivis par les gendarmes qui avaient accompagné la colonne et qui, exaspérés par le désarmement de leurs camarades, ne faisaient pas de quartier.

La bataille — si l'on peut donner ce nom à cette débandade presque sans combat —, la bataille était finie. En moins d'une demi-heure, l'armée socialiste avait disparu. La troupe avait eu un homme tué et sept blessés. Les insurgés perdirent une trentaine des leurs pendant l'action : une cinquantaine d'autres furent sabrés dans la déroute[52]. — Un incident dramatique marqua la fin de la lutte. Ainsi qu'on l'a vu, les paysans soulevés avaient, chemin faisant, recueilli partout des otages et se plaisaient à les traîner à leur suite. Lorsqu'ils arrivèrent à Aups, les prisonniers étaient au nombre de quatre-vingt-trois, propriétaires, fonctionnaires et surtout gendarmes[53]. La plupart d'entre eux avaient été déposés dans une maison de la ville, à l'hôtel Crouzet. Tour à tour menacés et rassurés, les malheureux attendaient, ne sachant quel sort leur était réservé. Soudain, vers dix heures, ils avaient entendu la fusillade. Une jeune fille, mademoiselle Crouzet, était entrée et leur avait jeté ces mots : Ce sont les soldats. — Quels soldats ?Les Français. On devine la joie des infortunés. Mais, avant leur délivrance, une épreuve terrible les attendait encore. Quelques-uns des socialistes, avant de s'enfuir, s'étaient ralliés aux-abords de l'hôtel et avaient tiré quelques coups de feu. Cette défense fit croire aux soldats que la maison Crouzet était le quartier général de l'armée insurrectionnelle. Aussitôt ils s'y portent et criblent de balles les fenêtres. Les otages se montrent. Les prisonniers ! les prisonniers ! s'écrient-ils. Les fantassins, étourdis et enivrés du combat, n'écoutent rien. En vain on multiplie les signes. Un des otages de la Garde-Freynet s'affaisse frappé à mort. Un autre prisonnier, M. Andéol de Laval, se dévoue, descend, essaye de dissiper l'horrible malentendu : il est percé de balles et de coups de baïonnette. Enfin, les gendarmes étant parvenus à se faire reconnaitre, le feu cessa. Les officiers étaient consternés de cette effroyable méprise. L'un d'eux prit dans ses bras M. de Laval tout sanglant : Pauvre monsieur, pardonnez-nous. — Je suis blessé, répondit M. de Laval : n'importe : vive la ligne ! Heureusement aucune des blessures n'était mortelle[54].

La déroute d'Aups termina l'insurrection du Var. Les paysans regagnèrent leurs villages. La plupart des chefs, à l'exemple de Duteil, s'acheminèrent vers les montagnes, et, de là, à travers mille péripéties, atteignirent la frontière piémontaise. La répression fut sans pitié. Il paraît certain que, même après le combat, plusieurs individus, compromis dans l'émeute, furent fusillés sans jugement. Des colonnes mobiles furent formées, parcoururent les villages et bientôt traînèrent après elles de longues files de prisonniers : car on arrêtait tous ceux que les gendarmes dénonçaient ou contre qui s'élevait le moindre soupçon. Certaines communes furent presque dépeuplées, et les travaux de l'agriculture y furent suspendus. Au bout de peu de jours, les forts de Toulon furent encombrés Plus de seize cents personnes furent internées ou expulsées.

Si terribles que fussent ces répressions, les hommes du parti de l'ordre, loin de les trouver excessives, les jugeaient à peine suffisantes. La peur avait été si grande qu'elle paralysait même la pitié. Aucune expression ne paraissait trop forte pour peindre l'audacieux soulèvement. C'est une Jacquerie, disaient les uns ; c'est une Vendée socialiste, ajoutaient les autres. A vrai dire, ces jugements révélaient plus de terreur que de sang-froid. Les paysans provençaux de 1851 ne ressemblèrent ni aux Jacques du quinzième siècle, ni aux Vendéens de 1793. De ces deux comparaisons, la première est trop sévère, la seconde impliquerait un éloge immérité. Jacques ! ils ne le furent pas : car, dans cette course désordonnée à travers leur département, ils menacèrent plutôt qu'ils ne frappèrent, ils furent plus bruyants encore que malfaisants, ils se permirent plus d'exactions qu'ils ne commirent de crimes. Un seul meurtre fut consommé, ce fut celui du brigadier Lambert, massacré à Cuers. Du reste, point d'incendies, point de viols, point de pillages à main armée, point de ces excès abominables que nous avons vus ailleurs. Vendéens ! ils l'étaient moins encore. Ce n'était pas pour une idée religieuse qu'ils se levaient ; ce n'était même pas pour une idée politique, car la plupart ignoraient qu'il y eût une Constitution et que cette Constitution fût violée. En outre, si l'on excepte quelques compagnies, la plupart des contingents se composaient d'hommes faibles, crédules, entrainés, vaniteux, dépourvus surtout de toutes qualités militaires ; et ils le montrèrent bien à Aups, lorsqu'ils se dispersèrent à la seule vue de la troupe. Après la défaite, Duteil écrivit de la terre d'exil un livre où il dépeignit avec plus de sévérité que de faveur les hommes que le hasard l'avait appelé à commander. Les républicains, à leur tour, accusèrent. Duteil d'incapacité, de lâcheté et même de trahison. Ce débat nous importe peu. Nous en voulons pourtant tirer une double conclusion. Nous croyons volontiers les soldats de l'armée socialiste, quand ils gourmandent la faiblesse de Duteil ; mais nous ne croyons pas moins volontiers Duteil, quand il accuse la faiblesse de ses soldats.

 

VII

De tous les départements de France, celui des Basses-Alpes était l'un des plus éloignés des grands centres, le moins envahi par l'industrie, et, en apparence, le moins accessible aux agitations révolutionnaires. Mais le caractère principal de la propagande démagogique de 1849 à 1851, ce fut la faveur qu'elle rencontra jusque dans les campagnes les plus reculées. Dans toute la vallée de la Durance et même dans les régions montagneuses, le socialisme avait recruté de nombreux adhérents. Crédules, ignorants, supportant mal leur pauvreté, les paysans s'étaient donnés sans peine à qui les éblouissait par la perspective du partage des terres et de la suppression des impôts. Dans la bourgeoisie elle-nième, les idées nouvelles avaient fait quelques prosélytes. Longomazimo, ancien ouvrier devenu rédacteur de l'Indépendant des Alpes, avait été longtemps l'instrument le plus actif des menées radicales. En octobre 1850, il avait été compromis dans le complot du Sud-Est et arrêté ; mais d'autres l'avaient remplacé et s'étaient appliqués avec non moins de zèle à entretenir l'ardeur démocratique : parmi ces agents de troubles, on distinguait Aillaud (de Volx), Escoffier et surtout Buisson (de Manosque).

De tous les arrondissements, le plus agité était celui de Forcalquier, qui renfermait la turbulente petite ville de Manosque : c'est de là que partit le signal de l'insurrection.

Le sous-préfet de Forcalquier était alors M. Paillard, homme jeune encore, dévoué à la cause de l'ordre, brave avec cela et avisé. Témoin des menées socialistes, il s'était attaché à organiser une sorte de garde nationale secrète sur laquelle il pût compter ; de plus, il n'avait rien négligé pour rendre aux gens de bien courage et confiance. Le 3 décembre, dans la soirée, il apprit le coup d'État, et, quelques heures plus tard, par une autre dépêche, sa nomination comme sous-préfet à Dunkerque. Il aurait pu partir pour rejoindre son nouveau poste. Il resta, prévoyant des troubles et ne voulant pas fuir le péril. Pendant la nuit du 3 au 4 et pendant toute la journée qui suivit, il s'employa avec beaucoup de zèle à prévenir la sédition ou du moins à la contenir, si l'on ne pouvait l'éviter. Un détachement d'infanterie étant de passage, il prit sur lui de le retenir pendant vingt-quatre heures à Forcalquier, afin d'assurer, au moins pendant ce temps, la paix publique. Le 4 au soir, un rapport l'avertit que les chefs socialistes délibéreraient dans une maison de campagne voisine de la ville ; il s'y porta aussitôt, accompagné du substitut du procureur de la République, M. Paulmier, et d'un piquet de soldats ; mais l'alarme avait été donnée, et le propriétaire de la maison fut seul arrêté. Le 5, à l'aube du jour, le détachement partit. Livré à lui-même, M. Paillard convoqua à la sous-préfecture les hommes de bonne volonté ; à neuf heures, une trentaine de personnes s'y trouvaient réunies, ainsi que les gendarmes. Comme aucune attaque ne paraissait imminente, on ne tarda pas à se séparer, en se promettant de revenir bientôt. Le sous-préfet resta seul avec M. Paulmier. C'est à ce moment-là même que les bandes socialistes, arrivant tout à coup, firent irruption dans la ville.

A onze heures, une avant-garde d'une centaine d'hommes, suivie de près par une colonne dix fois plus nombreuse, déboucha sur la place de la sous-préfecture. C'étaient, pour la plupart, des gens de Manosque. Ils étaient assez bien armés, et paraissaient résolus. Escoffier et Buisson semblaient les chefs du rassemblement. Quand on eut atteint la place : Montagnards, halte ! commanda Escoffier, et aussitôt les bandes s'arrêtèrent. M. Paillard avait en toute hâte barricadé sa demeure et revêtu son uniforme. Il s'avança au balcon. La Constitution est violée, lui cria Escoffier, l'insurrection est un devoir pour nous, vos pouvoirs sont finis. — On vous trompe, répliqua M. Paillard, la République est maintenue ; le président fait appel au peuple. Ces paroles furent couvertes par les clameurs. Rendez-vous, vociféraient les plus exaltés, résignez vos pouvoirs. En même temps quelques fusils s'abaissèrent commune pour tirer. Tirez, si vous êtes des assassins ! s'écria le sous-préfet. Sur les instances de Buisson, les armes se relevèrent, mais sans que l'irritation se calmât. Le peuple vous ordonne de descendre, répétait Escoffier. Déjà l'on s'apprêtait à enfoncer les portes, et toute résistance eût été vaine. C'est à moi qu'on en veut, dit M. Paillard ; je vais descendre. Il avait à peine mis le pied sur la place que quelques hommes de Manosque, qui portaient une cocarde rouge en signe de reconnaissance, l'entourèrent et l'assaillirent. Il fut insulté, frappé de coups de sabre et enfin d'un coup de baïonnette qui lui fit une assez grave blessure : il s'affaissa, et ou le conduisit à la maison d'arrêt, où M. Paulmier, tombé, lui aussi, entre les mains des insurgés, le rejoignit bientôt[55].

Dans cette extrémité, l'emprisonnement était une faveur, car il interposait une barrière entre les malfaiteurs et les victimes. Cette protection précaire fut bientôt inefficace. La prison fut forcée. Un des émeutiers, nommé Godefroid, essaya, mais en vain, de garantir de tout outrage le malheureux sous-préfet. Les factieux voulaient que l'infortuné, tout couvert de sang, suivit à pied la colonne qui s'éloignait de la ville. Je ne le puis, murmurait le blessé. — Il le faut, répliquait-on durement. On voulut mettre les menottes aux captifs. M. Paulmier, qui partageait le sort de M. Paillard, s'indignait : Fusillez-nous donc tout de suite. On chantait une sorte de refrain infâme :

Braves montagnards,

Nous pendrons le Paillard !

Ce supplice dura longtemps. Enfin, à l'embranchement de la route de Manosque, Escoffier survint, fit monter à cheval le prisonnier, puis le déposa dans une ferme où on l'abandonna, épuisé de la perte de son sang et presque évanoui. Un peu plus tard, le courageux sous-préfet, avec la complicité de M. Paulmier, de l'ingénieur des ponts et chaussées et d'un officier en congé, M. Devaulz, parvint à s'échapper et à gagner Avignon, où le bruit de sa mort s'était déjà répandu[56].

C'est par ces scènes honteuses que l'insurrection avait débuté. De Forcalquier et de Manosque, elle gagna toute la vallée de la Durance. Sisteron se souleva, et les autorités se réfugièrent à la citadelle. Les Mées, Valensole, Volonne, Riez, Mezel imitèrent cet exemple. Dans tous les villages de la plaine et jusque dans les premiers défilés des montagnes, en un mot, dans toute la région de l'olivier, comme on dit dans le pays, la révolte fut générale. Seuls, l'arrondissement de Castellane et les bourgades perdues clans les grandes Alpes échappèrent à la sédition ; elles n'y échappèrent même pas entièrement Barcelonnette, la petite ville de Barcelonnette, fit elle-même sa révolution : deux jours plus tard, le 7 décembre, elle tint, elle aussi, à honneur de désarmer les gendarmes, d'arrêter les principaux fonctionnaires et d'établir une commission insurrectionnelle.

Pendant que le département se soulevait presque en entier, que se passait-il au chef-lieu ?

La nouvelle du coup d'État avait tout d'abord produit à Digne moins d'émotion qu'ailleurs la population était peu considérable ; les fonctionnaires étaient nombreux et assez influents ; la garnison, quoique composée d'un simple dépôt du 25e léger et diminuée encore par le récent départ d'un détachement, paraissait suffisante pour protéger contre un coup de main. Il fut procédé à quelques arrestations, notamment à celle de l'avocat Charles Cotte, et l'on se flatta un instant que l'ordre ne serait point troublé. — Cette sécurité dura peu. Le 5, les courriers manquèrent, le 6 également. Bientôt les rumeurs les plus sinistres coururent : Forcalquier, disait-on, s'est insurgé : le sous-préfet y a été assassiné ; Manosque, Sisteron sont au pouvoir de l'émeute ; tous les contingents ruraux vont marcher sur le chef-heu. Aux nouvelles vraies se mêlaient comme toujours les exagérations inspirées par la peur : Paris était, affirmait-on, en révolution : Lyon, Marseille et tout le Midi étaient en feu. Sous ces impressions défavorables, on se relâcha des premières rigueurs. Cotte et ses amis furent mis en liberté. Le 6, dans l'après-midi, le préfet passa en revue la garde nationale et les troupes. Des rangs de la garde nationale partirent les cris : Vive la Constitution ! On pouvait à peine compter sur la troupe, car, dans une des compagnies, les prédications socialistes avaient été écoutées avec faveur : les autres compagnies se composaient de recrues. Tous les rapports venus de la campagne annonçaient comme imminente l'arrivée des bandes insurgées. Se jugeant impuissante à défendre la ville, l'autorité résolut de l'évacuer. Le 6 au soir, le préfet partit et se réfugia au fort de Seyne : le procureur de la République, très compromis, chercha de son côté un asile en lieu sir. Quant aux soldats du 25e, ils se retirèrent dans leur caserne et s'y retranchèrent[57].

Contre toute attente, la nuit du 6 au 7 fut calme. L'état de la cité était étrange. L'autorité régulière l'avait abandonnée : les insurgés n'avaient pas encore paru. C'est seulement le 7 au matin qu'une bande de cinq ou six cents hommes arriva, venant de Riez, de Mezel et des villages voisins. D'autres bandes beaucoup plus nombreuses suivirent bientôt : c'étaient les gens de Manosque, de Forcalquier, des Mées, d'Oraison. Tous ensemble formaient une petite armée de quatre à cinq mille hommes. Ils firent leur entrée dans la ville au chant de la Marseillaise et drapeaux rouges déployés. Ils envahirent la préfecture et la mairie, occupèrent de force quelques maisons, réquisitionnèrent des vivres. A Digne comme partout, la gendarmerie fut désarmée, plusieurs gendarmes furent même emprisonnés : en revanche, on s'empressa de mettre en liberté une partie des détenus de la maison d'arrêt, et en particulier plusieurs des condamnés de la cour d'assises[58].

Cependant, plus heureuse que Clamecy ou Bédarieux, Digne échappa aux excès qui avaient souillé presque partout la cause démagogique. Une fois maîtres du chef-lieu, les insurgés tentèrent de s'y constituer en pouvoir régulier. Une commission gouvernementale fut formée, composée de Buisson, d'Escoffier, de Charles Cotte, d'Aillaud de Volx et de quelques autres. Une sorte de convention fut conclue entre les chefs socialistes et l'autorité militaire : il fut stipulé que la caserne ne serait pas attaquée et que, de leur côté, les troupes observeraient la neutralité : les soldats étaient d'ailleurs plus favorables qu'hostiles aux émeutiers : on affirme même que, des fenêtres de leur caserne, les ouvriers de la compagnie hors rang criaient aux paysans : Vive la sociale ![59] Ces premières mesures prises, la commission organisa une municipalité provisoire, décréta la suspension des juges de paix, prescrivit la création d'un comité de résistance dans les communes. Une solde quotidienne de 2 fr. 50 fut allouée aux soldats de l'armée insurrectionnelle. Pour subvenir à ces dépenses, les chefs démagogiques saisirent une somme de 15.000 francs à la recette générale et s'emparèrent en outre des caisses de la poste, de la conservation des hypothèques, de l'entrepôt des tabacs ; beaucoup de ces fonctionnaires par vinrent à sauver une portion de leurs fonds en prétextant de récents versements. L'un des principaux soins était de cache' les mauvaises nouvelles : aussi les diligences, dès leur entrée en ville, étaient-elles escortées par des hommes armés qui les conduisaient jusqu'à la préfecture. A toutes ces mesures s'ajouta un décret propre à populariser la nouvelle administration. Le comité annonça solennellement la suppression des droits réunis. Cette sorte de don de joyeux avènement fut accueilli par des démonstrations bruyantes. Le lundi 8 décembre, les paysans socialistes, pauvres gens, crédules autant qu'enfiévrés, brûlèrent sur le Pré de foire les papiers et registres des contributions indirectes. Ces bandes, accrues par de nouveaux arrivants, s'élevaient alors à près de dix mille hommes, logés chez les habitants et remplissant la ville de tumulte. Malgré cet énorme rassemblement, la population paisible fut préservée des derniers excès. Si le désordre était grand, du moins les vies étaient épargnées : si les menaces étaient fréquentes et les exactions nombreuses, on n'avait à déplorer ni incendies, ni pillages à main armée. On côtoyait le crime, mais sans y tomber.

Cette étrange domination touchait à sa fin. Le S, à la chute du jour, une dépêche de Valensole annonça qu'un corps de troupes était entré dans les Basses-Alpes. La nouvelle était vraie. Deux colonnes arrivaient de Marseille ; l'une d'elles, commandée par le colonel de Sercey, était, à la vérité, encore éloignée et ne devait pénétrer dans le département qu'après avoir rétabli l'ordre à Brignoles et à Barjols[60] ; mais l'autre, dirigée par le lieutenant-colonel Parson, remontait déjà la vallée de la Durance.

La plupart des membres du comité insurrectionnel étaient assez éclairés pour comprendre l'inutilité de la résistance, l'ourlant, ils ne se résignèrent pas à une retraite sans combat. Le soir même, les paysans insurgés, au nombre de plusieurs milliers, quittèrent la ville au chant de la Marseillaise : comme ils ignoraient les mauvaises nouvelles, ils manifestaient quelque confiance : ces bataillons improvisés s'acheminèrent vers Malijai et vers les Mées, petits bourgs situés sur la route de Marseille. Non contents de se défendre, ils songeaient à prendre l'offensive et allaient au-devant des troupes de Louis-Napoléon.

Cette présomptueuse assurance ne dura guère. Une distance de près de cinq lieues sépare Digne de Malijai. Le froid était très vif. Cette longue et silencieuse marche nocturne abattit les âmes un instant surexcitées. Le plus grand nombre ne laissait pas que d'être effrayé par la perspective d'une prochaine bataille. Les désertions commencèrent. Elles furent même si nombreuses que les plus exaltés organisèrent une arrière-garde afin d'empêcher leurs camarades de quitter les rangs. Déjà durant les marches des jours précédents, un pauvre paysan nommé Bizot, ayant voulu s'enfuir, avait été fusillé sur place par un de ses compagnons[61]. Ces excès mêmes étaient impuissants à retarder l'inévitable dénouement. Le 9 au matin, l'armée socialiste arriva à Malijai et se porta ensuite jusqu'aux Mées : là, quelques coups de feu Curent échangés avec la troupe. Puis 'les insurgés battirent en retraite vers Digne, tandis que le colonel Parson, jugeant ses forces trop peu considérables pour une attaque du chef-lieu, rétrogradait lui-même jusqu'au petit bourg de Vinon sur les bords du Verdon.

Quoique les troupes fussent encore éloignées de Digne, l'issue n'était plus douteuse. Les dépêches saisies attestaient toutes le triomphe complet de Louis-Napoléon. Des force. importantes allaient arriver non seulement de Marseille, mais de Gap et d'Avignon. Les contingents ruraux se débandaient de tous côtés. Sous ces impressions, le comité insurrectionnel décida de cesser la résistance. Dans la nuit du 9 au 10, les socialistes abandonnèrent le chef-lieu après trois jours de domination. Les paysans regagnèrent leurs villages ; les chefs s'acheminèrent vers la montagne, et, de là, vers l'Italie. Seul, Aillaud de Volx essaya, pendant quelques jours encore, de tenir la campagne. Chose étrange ! l'autorité avait évacué Digne le 6, avant que les socialistes y entrassent : de même les socialistes la quittèrent bien avant que l'autorité régulière y revînt. Le 10 et le 11, la ville demeura sans administration, évacuée par les uns, non encore reconquise par les autres. C'est seulement le 12 que le préfet, avec quelques détachements du 40e de ligne, reprit possession du chef-lieu. Le 13, de fortes colonnes de troupes, infanterie, cavalerie, artillerie, occupèrent la cité. Bientôt tout le département fut pacifié. Il en fut de même de l'arrondissement d'Apt, voisin de celui de Forcalquier, et où le soulèvement s'était propagé. On décréta l'état de siège, et les répressions commencèrent. Elles furent rigoureuses, tellement rigoureuses qu'elles dépassèrent le vœu des gens d'ordre et éveillèrent même, dit-on, quelque intérêt en faveur des victimes.

 

VIII

Telles furent, dons les contrées du Centre et du Midi, les agitations qui suivirent l'acte du 2 décembre. A Paris, on apprit coup sur coup l'insurrection de la Nièvre, celle de l'Hérault, celle de la Drôme ; on connut les troubles moins graves de l'Allier, du Jura, du Lot-et-Garonne et du Gers ; on sut enfin que les régions les plus éloignées, le Var et les Basses-Alpes, étaient au pouvoir du socialisme. Chaque jour, le Moniteur annonçait la mise en état de siège de plusieurs départements. Bientôt, des pays insurgés, les correspondances arrivèrent, pleines de détails lugubres ou atroces. Les journaux officieux — et ceux-là seuls avaient alors la parole — s'empressèrent de publier ces récits ; ils accueillirent surtout avec faveur les relations qui, inspirées par la peur ou l'esprit de parti, ajoutaient encore à la réalité, comme si la réalité n'eût pas été assez douloureuse. Le viol, le pillage à main armée, l'incendie, l'assassinat, tels étaient, disait-on, les procédés des socialistes. Aux accusations qui n'étaient que trop fondées s'ajoutèrent des accusations imaginaires, soit qu'il fût impossible à cette heure de démêler la vérité de l'erreur, soit que l'exagération même parût nécessaire pour mieux frapper les esprits.

On devine quel fut l'effet de ces sinistres nouvelles. Sous l'empire de la crainte, l'opinion publique, d'abord réservée, presque hostile, se rapprocha du président. Voilà, répétait-on, ce que nous réservait 1852, et ce que l'initiative de Louis-Napoléon nous a épargné. La démagogie, qui avait déjà rendu au prince tant de bons offices, lui rendit un service suprême, ce fut de justifier presque le coup d'État par ses propres excès. Les plus malveillants se turent, les moins défavorables se rallièrent. Ce ne fut pas adhésion chaleureuse, ni même approbation : ce fut résignation, satisfaction de la paix reconquise et surtout sécurité du lendemain. Tœdio futurorum prœsentia placuere.

Ainsi garanti contre le mauvais vouloir de la bourgeoisie, Louis-Napoléon ne négligea rien pour assurer le succès définitif de son entreprise. Il y avait un parti dont il n'avait rien à espérer, c'était le parti démagogique, ou même, d'une façon plus générale, le parti républicain tout entier. Il le frappa sans pitié. Un décret du 8 décembre autorisa la déportation en Algérie ou à Cayenne, par mesure de sûreté générale, de tout individu qui avait fait partie des sociétés secrètes et dont la présence sur le sol français serait dangereuse pour l'ordre public. Une circulaire du ministre de l'intérieur aux préfets leur recommanda de signaler sans retard tous les fonctionnaires hostiles ou douteux. A Paris, les 5e et 6e légions furent dissoutes : des ordres furent donnés pour que, dans les départements, les gardes nationales fussent surveillées et pour que les fusils fussent mis en lieu sûr. Soit à Paris, soit dans les provinces, il avait été procédé à de très nombreuses arrestations : les uns furent relâchés, les autres furent traduits devant les conseils de guerre institués en vertu de l'état de siège ou furent renvoyés devant les juridictions de droit commun : beaucoup furent jugés par les commissions mixtes, sorte de tribunaux moitié militaires, moitié judiciaires, que l'on établit vers la fin de décembre, et qui statuaient sans débats contradictoires et en dehors de toutes les formes ordinaires. Restait à régler le sort des représentants arrêtés. Les représentants de la droite avaient presque tous été mis en liberté dès le 3 décembre : onze représentants orléanistes furent, plus tard, momentanément exilés : puni eux étaient M. Thiers, M. de Rémusat, et les généraux Changarnier, Bedeau, Le Flô, Lamoricière. Parmi les représentants républicains, six furent temporairement éloignés, soixante-six furent expulsés de France : cinq furent même désignés pour la déportation ; mais cette sentence fut commuée en une sentence d'exil : un seul député, le représentant Miot, fut transporté en Algérie[62].

Cette part faite à la rigueur, Louis-Napoléon s'appliqua à Conquérir pour toujours les deux forces qui devaient consolider sa domination : c'était d'un côté l'armée, et de l'autre le peuple.

L'armée d'abord, et c'était justice ! Ayant été à la peine, il était naturel qu'elle fût à la récompense. Un décret décida que les combats livrés pour le rétablissement de l'ordre, soit à Paris, soit dans les départements, seraient comptés comme services de campagne. Le prince visita dans les hôpitaux les soldats blessés, leur prodigua les consolations, leur accorda des croix, leur promit des secours. Les gendarmes qui, dans les troubles civils, s'étaient signalés par leur fermeté contre les socialistes, devinrent l'objet d'une sollicitude empressée autant que légitime. Deux nouveaux maréchaux furent créés : les maréchaux Ilari,pe et Vaillant. Quant aux chefs de l'armée de Paris, les distinctions de toute sorte leur furent prodiguées avec une libéralité inouïe jusque-là. Le général Magnan fut grand-croix de la Légion d'honneur, en attendant la dignité de maréchal. Les généraux de brigade Herbillon, Reibell, Dulac, de Courtigis, Forey, furent promus divisionnaires. Les colonels Courand, d'Hugues, Répond, Mayran, furent nommés généraux. A ces nominations s'ajoutèrent les promotions dans les grades inférieurs et les décorations distribuées à profusion. En outre, des secours furent accordés aux anciens militaires de l'Empire. Enfin, les décrets des 28 avril et 3 mai 1848, qui avaient réduit le nombre des divisions militaires ainsi que les cadres de l'état-major général, furent rapportés. En agissant de la sorte, Louis-Napoléon ne payait pas seulement sa dette de reconnaissance, il se conformait encore aux traditions de sa race. Héritier de l'Empereur, il s'ingéniait à en copier les allures, et, quoique n'ayant jamais fait la guerre, il lui plaisait de s'entourer d'un cortège de généraux qui lui devraient leur fortune et seraient plus tard la décoration de son trône.

Après l'armée, le peuple eut la première place dans les préoccupations du prince. Pour le rallier au nouveau régime, on s'efforça d'entretenir l'équivoque qui avait naguère facilité le coup d'État. Le suffrage universel était rétabli : la nation serait consultée et son arrêt obéi. Qu'importaient une Constitution vaine et une Assemblée discréditée ? Les seuls vaincus de la dernière crise, c'étaient les parlementaires indifférents au sort des masses ou les anarchistes qui spéculaient sur les misères populaires. Ainsi s'exprimait la presse officieuse. Dans le même temps, on se mit à annoncer de grandes entreprises d'utilité publique qui accroîtraient la richesse générale, à prédire une longue ère de paix qui aiderait la reprise du travail et permettrait l'accroissement des salaires. On vanta la sollicitude du prince pour les classes laborieuses. Aux stériles déclamations des socialistes, aux compétitions du parlementarisme, on opposa la féconde influence d'un pouvoir dont rien n'entraverait la libre initiative et qui serait plus soucieux de l'action que de la parole. Les masses ouvrières, tant de fois trompées par les démagogues, écoutaient non sans faveur ce langage nouveau et s'accoutumaient à l'idée d'une dictature qui satisferait les intérêts sans rien coûter à l'égalité.

L'armée et le peuple suffisent à toute rigueur à fonder un gouvernement. En dehors de cette force matérielle, il était naturel que Louis-Napoléon cherchât ailleurs quelque force morale propre à accroître son prestige et à épurer son succès. Les libéraux étaient trop meurtris de leur chute récente pour qu'on espérât les conquérir. Les classes intelligentes et lettrées refusaient ou marchandaient leur adhésion. Les classes élevées assistaient avec une curiosité plus ironique que bienveillante à l'expérience du nouveau régime. Dans cette pénurie, Louis-Napoléon se tourna vers le clergé. Deux actes significatifs marquèrent sa volonté de l'attirer à lui. Le 6 décembre, un décret rendit le Panthéon au culte catholique. Le 15, une circulaire de M. de Morny recommanda aux préfets de veiller, pour les entreprises de travaux publics, à l'observance du repos dominical. Les évêques qui ne demandaient qu'à être gagnés accueillirent avec une satisfaction visible ces marques de faveur. La plupart adhérèrent au régime nouveau. Chez quelques-uns, l'adhésion fut si chaleureuse qu'elle éveilla la surprise. Cet empressement était à la fois peu politique et peu généreux : peu politique, car le caractère du prince ne laissait entrevoir qu'une protection capricieuse et précaire ; peu généreux, car l'Assemblée législative qui venait d'être brisée avait, plus que toute autre assemblée, témoigné de son zèle pour la religion et la société. M. de Montalembert lui-même conseilla à ses amis de se rallier à Louis-Napoléon.

On atteignit ainsi le 20 décembre, jour du plébiscite. Un premier décret avait décidé que le vote aurait lieu sur des registres ouverts. Ce mode de votation ayant soulevé de très vives critiques, un nouveau décret fut rendu qui établit le scrutin secret. Quel que fût le procédé adopté, le résultat ne laissait point de doute. Louis-Napoléon avait pour lui l'armée, les masses rurales, une partie de la population ouvrière ; la bourgeoisie était trop effrayée pour se séparer de lui ; par le clergé enfin, il ralliait à lui les catholiques et la portion la plus modérée du parti légitimiste. On sait que les termes mêmes du plébiscite étaient les suivants : Le peuple veut le maintien de l'autorité de Louis-Napoléon Bonaparte et lui délègue les pouvoirs nécessaires pour établir une Constitution sur les bases proposées dans sa proclamation du 2 décembre. Le dépouillement général donna, 7.439.216 suffrages affirmatifs et 640.737 suffrages négatifs. Seul, le département des Basses-Alpes, où le scrutin avait dû être retardé jusqu'au 28 décembre, n'était pas compris dans ce relevé. Les régions du Centre et du Midi ne furent guère moins empressées que les autres à voter pour le président, soit que la crainte paralysât l'hostilité, soit que l'horreur des crimes récents eût épouvanté toutes les âmes honnêtes.

 

Le 31 décembre, à huit heures et demie du soir, la commission consultative, qui avait été chargée de l'examen des dossiers électoraux, se rendit à l'Élysée et remit solennellement au prince une copie de son procès-verbal. En termes un peu emphatiques, M. Baroche, président de la commission, célébra le coup d'État, loua l'imposante manifestation du suffrage universel qui avait consacré l'œuvre du 2 décembre, flétrit surtout avec insistance les criminels attentats qui avaient souillé certains départements. Louis-Napoléon répondit par un de ces discours émus et élevés où il excellait, et auxquels, par malheur, ses actes ne répondaient point toujours. Il confessa qu'il était sorti de la légalité, mais qu'il n'en était sorti que pour rentrer dans le droit. — Je comprends, continua-t-il, toute la grandeur de ma mission nouvelle, je ne m'abuse pas sur ses difficultés. Mais, avec un cœur droit, avec le concours de tous les hommes de bien, avec le dévouement éprouvé de notre vaillante armée ; enfin avec cette protection que demain je prierai solennellement le ciel de m'accorder encore, j'espère me rendre digne de la confiance que le peuple continue de mettre en moi. J'espère assurer les destinées de la France en fondant des institutions qui répondent à la fois, et aux instincts démocratiques de la nation, et à ce désir exprimé universellement d'avoir désormais un pouvoir fort et respecté.

 

Le lendemain, 1er janvier, Louis-Napoléon se rendit à Notre-Dame, où un Te Deum fut célébré pour remercier la Providence et appeler la bénédiction de Dieu sur le nouveau pouvoir. Puis le président, quittant l'Élysée, s'installa au palais des Tuileries. Un décret rétablit l'aigle sur les drapeaux. L'effigie du prince fut gravée sur les monnaies comme au temps du Consulat. La prédiction de M. Thiers s'accomplissait : L'EMPIRE ÉTAIT FAIT. Il ne restait plus désormais qu'à le proclamer.

 

 

 



[1] Conseil de guerre de Lyon ; affaire du complot du Sud-Est, réquisitoire de convocation, pièces saisies et témoignages. (Gazette des Tribunaux, août 1831.)

[2] Conseil de guerre ; évènements de Clamecy, réquisitoire du commissaire du gouvernement ; déposition Tartrat, agent général du commerce des bois — (Gazette des Tribunaux, 2 et 3 février 1852.)

[3] Numa MILLELOT, Notes sur l'insurrection de Clamecy en 1851, p. 9 et 15.

[4] Aujourd'hui la maison d'arrêt, ainsi que la gendarmerie et le tribunal, est dans le bas de la ville, à une centaine de mètres du pont de l'Yonne.

[5] Conseil de guerre ; insurrection de Clamecy. (Gazette des Tribunaux, 22 février 1852.)

[6] Conseil de guerre ; affaire Millelot ; déposition Fèvre. (Gazette des Tribunaux, 2 et 3 février 1852.) — Eugène Millelot fut condamné à mort, puis gracié, et mourut à Cayenne. Dans le parti démocratique, de grands efforts furent faits pour établir son innocence. Son avocat, Me Alapetite, résuma, dans un volumineux manuscrit, les débats du procès et toutes les pièces de nature à infirmer les charges de l'accusation. (Bibliothèque communale de Clamecy. Manuscrit n° 1147.)

[7] Conseil de guerre ; déposition Tartrat. (Gazette des Tribunaux, 14 février. 1852.)

[8] Conseil de guerre. (Gazette des Tribunaux, 2 et 3 février 1852.)

[9] Conseil de guerre ; déposition Bonneau. (Gazette des Tribunaux, 15 février 1852.)

[10] Conseil de guerre ; déposition de l'abbé Vernet. (Gazette des Tribunaux, 16 et 17 février 1852.)

[11] Conseil de guerre ; déposition Alfred Bonneau et autres. (Gazette des Tribunaux, 7 février 1852.)

[12] Conseil de guerre ; déposition Sellier. (Gazette des Tribunaux, 27 février 1852.)

[13] Conseil de guerre ; dépositions diverses. Rapport médical du docteur d'Arcy. (Gazette des Tribunaux, 27 et 28 février 1852.)

[14] Conseil de guerre ; insurrection de Clamecy. (Gazette des Tribunaux, 5 février 1852.)

[15] Numa MILLELOT, Notes sur l'insurrection de Clamecy en 1851, p. 13

[16] Conseil de guerre. (Gazette des Tribunaux, 2 et 3 février 1852.)

[17] Numa MILLELOT, Notes sur l'insurrection de Clamecy en 1851, p. 37 et 38.

[18] Cette cérémonie expiatoire eut, à trente-trois ans d'intervalle, sa contrepartie. Le 21 septembre 1884, sur les hauteurs du Crot-Pinçon, à peu de distance du lieu où Bidan avait été égorgé, un monument fut élevé AUX MARTYRS DU DROIT ET EN MÉMOIRE DE LA RÉSISTANCE LÉGALE AU COUP D'ÉTAT DU 2 DÉCEMBRE 1851. Libre aux habitants de Clamecy de perpétuer le souvenir du sanglant épisode que nous venons de rapporter. Par le récit impartial qui précède, le lecteur a pu juger quelle place le souci de la Constitution tenait dans l'esprit des malfaiteurs que l'on essaye de réhabiliter aujourd'hui. Sur le socle de la colonne commémorative, on lit le relevé des condamnations prononcées dans la Nièvre par les conseils de guerre. Six citoyens, dit l'inscription, ont été condamnés à la peine de mort ; sept aux travaux forcés à perpétuité. Il est aisé de reconstituer le dossier judiciaire de la plupart de ces MARTYRS DU DROIT. — Les citoyens condamnés à la peine de mort furent les suivants :

1° Eugène Millelot, condamné le 1er février 1852, par le conseil de guerre séant à Clamecy, pour assassinat du sieur Munier. (Gazette des Tribunaux, 2 et 3 février 1852.)

2° Jouannin (Pierre). — Tentative d'assassinat sur le sieur Blin. Conseil de guerre, 3 février 1852. (Gaz. des Tribunaux, 5 février.)

3° Cirasse. — Assassinat de M. Donneau à Pousseaux. — Conseil de guerre, 5 février 1852. (Gaz. des Tribunaux, 7 février.)

4° Cuisinier (Pierre). — Assassinat du gendarme Bidan. — Conseil de guerre, 25 février 1852. (Gaz. des Tribunaux, 26 février.)

5° Trottet (Pierre). — Tentative d'assassinat sur un gendarme. — Conseil de guerre, 2 février. (Gaz. des Tribunaux, 4 février 1852.)

6° Le sixième condamné à mort ne serait-il pas un nommé Poulain, coupable de tentative d'assassinat sur un sieur Houx, pendant la nuit du 5 au 6 décembre ? Nous n'avons pas trouvé dans les journaux judiciaires du temps trace de cette condamnation, (mais elle est mentionnée par M. TÉNOT, La province en décembre 1851, p. 33 et note.

Quant aux sept condamnés aux travaux forcés à perpétuité, nous avons retrouvé les traces de six d'entre eux ; ce sont :

1° Calleux, dit Daumé (Jean-Baptiste). — Tentative d'assassinat sur les sieurs Bordet et Morin. — Conseil de guerre, 3 février. (Gaz. des Tribunaux, 5 février 1852.)

2° Ferrières (Charles). — Tentative de meurtre sur l'abbé Vernet, curé d'Arthel. — Conseil de guerre, 15 février. (Gaz. des Tribunaux, 16-17 février 1852.) 3° Roux (Martin), 4° Rollin (Jean), 5° Cuénot (Charles), 6° Mannevy (Thomas). — Complicité d'assassinat sur le gendarme Bidan. — Conseil de guerre, 25 février. (Gaz. des Tribunaux, 26 février 1852.)

Nous n'aurions pris aucun plaisir à cette recherche de noms propres, et volontiers nous aurions laissé à ces misérables le bénéfice de l'oubli. Mais puisqu'on essaye de transformer ces vulgaires criminels en martyrs, puisqu'on pousse l'impudence jusqu'à leur élever des monuments, il est bon que l'histoire rétablisse la vérité, qu'elle dépouille de leur masque ces prétendues victimes, et qu'elle montre que les assassins et leurs complices n'ont pas seuls conservé la faculté de se souvenir.

[19] A Capestang, un barbier se servait d'un plat à barbe au fond duquel étaient écrits ces mots en lettres majuscules : Préparons-nous pour 1852. (Conseil de guerre. — Gazette des Tribunaux, 8 avril 1852.)

[20] Conseil de guerre, passim. (Gazette des Tribunaux, 11 avril et 10 juin 1852.)

[21] Conseil de guerre. — Troubles de Béziers ; dépositions Vernhes, Foulquier, Aire, Dufour, etc. (Gazette des Tribunaux, 26, 27, 28 mars 1852.)

[22] Conseil de Guerre. — Evénements de Pétunas. (Gazette des Tribunaux, 23 et 24 avril 1852.)

[23] Conseil de guerre. — Troubles de Capestang. (Gazette des Tribunaux, n° des 6 avril et suiv.

[24] Conseil de guerre. — Troubles de Bédarieux ; dépositions Verzanobres, maire, Nougaret, commissaire de police ; Bonnes, ancien juge de paix. (Gazette des Tribunaux, 29, 31 mai, juin 1852.)

[25] Déposition Flacon. (Gazette des Tribunaux, 1er juin 1852.)

[26] Dépositions Benoit, Revel. (Gazette des Tribunaux, 6 et 11 juin 1852.)

[27] Déposition du gendarme Sellères. (Gazette des Tribunaux, 11 juin 1852.)

[28] Déposition Rose et Charles Mical, Bouquairol. (Gazette des Tribunaux, 2 et 4 juin 1852.)

[29] Déposition Circq. (Gazette des Tribunaux, 1er juin 1832.)

[30] Déposition Nogaret, Quairol. (Gazette des Tribunaux, 1er et 5 juin 1852.)

[31] Rapport du procureur de la République de Béziers.

[32] Déposition du docteur Tonzain. (Gazette des Tribunaux, 1er juin.)

[33] Déposition Pagès (Antoine). (Gazette des Tribunaux, 5 juin.)

[34] Déposition Cavalier. (Gazette des Tribunaux, 4 juin.)

[35] Déposition Rossignol. (Gazette des Tribunaux, 13 juin.)

[36] Déposition de la femme Lamm. (Gazette des Tribunaux, 1er juin.)

[37] Déposition Bonne, ancien juge de paix. (Gazette des Tribunaux, 1er juin.)

[38] Déposition femme Lamm, femme Blayar. (Gazette des Tribunaux, 1er et 4juin.)

[39] Rapport du général LAPÈNE sur l'insurrection de la Drôme. — Lettre de l'abbé Forget, missionnaire à Grâne. (Courrier de la Drôme, 23 décembre 1851.)

[40] Noël BLACHE, Histoire de l'insurrection de décembre 1851 dans le Var, p. 15 et suiv.

[41] Conseil de guerre. — Troubles de Cuers (Gazette des Tribunaux, 14-17 novembre 1852.)

[42] BLACHE, Insurrection du Var, p. 62. — DUPONT, le Parti républicain dans le Var, p. 12.

[43] Noël BLACHE, Insurrection du Var, p. 83 et 84.

[44] DUTEIL, Trois jours de généralat dans le Var, p. 29 et 31.

[45] DUTEIL, Trois jours de généralat dans le Var, p. 31.

[46] J'avais horreur de mon armée, a écrit plus tard Duteil. Chef d'hommes ignorants, brutaux, verbeux et d'une outrecuidance déplorable, je voyais se dessiner devant moi l'incendie, le meurtre, le pillage, dont l'affreuse responsabilité allait retomber sur ma tête. Je n'étais pour mes hommes qu'un pourvoyeur général, pas davantage. Habitués au bien-être dans les riches campagnes du Var, ils entendaient en guerre boire, manger et dormir comme à leur habitude. — Où dînerons-nous ? — Quand dînerons-nous ? Telles étaient  les questions qu'on m'adressait le plus souvent. (DUTEIL, Trois jours de généralat dans le Var, p. 40 et 41, Savone, 1852.)

[47] DUTEIL, Trois jours de généralat dans le Var, p. 51.

[48] Rapport du colonel TRAUERS sur les opérations du 50e de ligne pendant l'insurrection du Var (Union du Var, 16 décembre 1851.)

[49] MAQUAN, Insurrection du Var.

[50] Rapport du général LEVAILLANT sur les évènements du Var.

[51] DUTEIL, p. 80-83.

[52] Rapport du général Lavaillant. — Rapport du colonel Trauers.

[53] Rapport du colonel Trauers.

[54] MAQUAN, Trois jours au pouvoir des insurgés, p. 243 et suiv.

[55] Conseil de guerre de Marseille. — Insurrection des Basses-Alpes. Déposition Paillard. (Gazette des Tribunaux, 1er mai 1852.)

[56] Conseil de guerre de Marseille. — Insurrection des Basses-Alpes. Déposition Paulmier. (Gazette des Tribunaux, 1er mai 1852.) — Rapport du général D'ANTIST sur les évènements des Basses-Alpes et de Vaucluse.

[57] Le Glaneur des alpes, n° des 20 et 26 décembre 1851.

[58] Le Glaneur des Alpes, n° des 20 et 26 décembre 1851.

[59] Notes et relations manuscrites.

[60] Rapport du général LEVAILLANT sur l'insurrection du Var.

[61] Conseil de guerre de Toulon. — Insurrection des Basses-Alpes. (Gazette des Tribunaux, 3 septembre 1852.)

[62] Ces décisions relatives aux anciens représentants ne furent rendues que le 9 janvier 1852 ; nous avons cru devoir les mentionner ici, parce qu'on peut les considérer comme la conséquence immédiate du coup d'État.