HISTOIRE DE LA SECONDE RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

1848 - 1852

TOME SECOND

 

LIVRE DIX-NEUVIÈME. — AVANT LE COUP D'ÉTAT.

 

 

I

La révision une fois rejetée, le président n'avait d'autre alternative que de rentrer dans la vie privée à l'expiration de son mandat ou de se perpétuer dans sa charge au mépris de la loi. C'est à ce dernier parti que son esprit s'était arrêté. Tout l'intérêt de notre récit se concentre désormais dans les préparatifs de l'audacieux coup de main qui assurerait au pays lassé le douteux bienfait du repos sous le pouvoir absolu.

Un tel dessein ne pouvait réussir, s'il n'était préparé de longue date.

La première condition de succès était le concours de l'année. Il fallait qu'à l'heure suprême du conflit, la force publique demeurât sourde aux appels de l'Assemblée. Une défection même partielle eût amené peut-être un irréparable échec.

Cet appui, le plus indispensable de tous, ne suffisait pas. On observe souvent chez les militaires un assez singulier mélange de hardiesse et de timidité. Même lorsqu'ils affectent le dédain de la légalité, ils n'aiment à s'engager à fond que s'ils se sentent couverts par un ordre de l'autorité civile. Que cet ordre soit régulier ou irrégulier, peu leur importe ; mais il leur en faut un. De là pour Louis-Napoléon la nécessité de grouper autour de lui une sorte d'état-major civil qui, soit par dévouement, soit par l'appât du profit, consentirait à assumer la première responsabilité de l'aventure.

Ce n'est pas tout. L'Assemblée, quoique désarmée par la disgrâce de Changarnier et discréditée par ses propres disputes, avait encore conservé, aux veux d'un assez grand nombre, une portion de son prestige. 11 était essentiel que, le jour où elle serait frappée, ni la bourgeoisie ni le peuple ne prissent fait et cause pour elle. Ce double danger inspira une double prévoyance. — Vis-à-vis de la bourgeoisie, la tactique était tout indiquée : elle consistait à surexciter chez elle le sentiment de la peur déjà si éveillé, à mettre en lumière les desseins anarchiques de la Montagne, à grossir les périls, hélas ! trop réels de 1852, à railler l'impuissance des corps délibérants, à pousser ainsi les âmes vers la dictature comme vers l'unique refuge. — Quant aux masses, un moyen presque sûr s'offrait pour acheter leur neutralité, sinon leur faveur. L'Assemblée, par la loi du 31 mai, avait mutilé le suffrage universel : on proposerait le rappel de cette loi et l'on tournerait de la sorte contre la liberté elle-même les instincts démocratiques froissés. Cette loi, à la vérité, Louis-Napoléon l'avait présentée : mais une contradiction importait peu, si l'on en tirait quelque profit.

En résumé, les efforts du président, avant l'heure de l'action, allaient se porter sur quatre objets bien distincts : — constituer un parti militaire ; — former un petit noyau de fonctionnaires civils ayant peu à perdre et disposés à tout oser ; — paralyser par la crainte d'une crise prochaine et terrible les aspirations libérales de la bourgeoisie ; — endormir enfin la vigilance du peuple en faisant luire à ses yeux le suffrage universel rétabli.

Cette quadruple tâche accomplie, on aurait enlevé au hasard tout ce que l'habileté ou la ruse pouvait lui ravir. Il ne resterait plus qu'à se confier à la fortune et à frapper le dernier coup, le dernier coup qui, selon l'échec ou le succès, conduirait le prince à Vincennes ou le pousserait jusqu'au château des Tuileries.

 

II

Jaloux depuis longtemps de se créer des partisans dans l'armée, Louis-Napoléon avait tourné ses regards vers l'Algérie.

L'Algérie était, depuis vingt ans, le champ de bataille des troupes françaises. Là, Bugeaud avait mis le sceau à sa renommée ; là, les princes d'Orléans avaient noblement appris le métier des armes ; là s'étaient illustrés Changarnier, Lamoricière, Bedeau, Cavaignac, Duvivier. De ces valeureux soldats, la mort ou l'exil avait pris les uns, la politique avait absorbé les autres. Déjà, à leur place, une nouvelle génération s'élevait, vaillante elle aussi et elle aussi avide de trophées. Les événements avaient favorisé ces nouveaux venus de la gloire. Un fait d'armes surtout avait contribué à les grandir. — A la fin de l'été de 1849, un soulèvement ayant éclaté dans le sud de la province de Constantine, les plus déterminés d'entre les rebelles s'étaient enfermés dans la petite ville de Zaatcha, sous la direction d'un chef qu'on appelait Bou-zian. Le général Herbillon, s'étant dirigé sur ce point avec l'espoir d'un facile succès, avait été contraint, après plusieurs coups de main infructueux, de recourir à un siège régulier. Alors s'était engagée entre les Arabes révoltés et le corps expéditionnaire une lutte modeste par l'humble théâtre on elle se livrait, grandiose par l'héroïsme que, de part et d'autre, on y déploya. Protégés par leurs faibles remparts et par des jardins enclos de murs ou coupés de canaux d'irrigation, les assiégés bravèrent pendant plus de six semaines les efforts de leurs ennemis. Nos troupes, de leur côté, supportèrent sans fléchir toutes les extrémités de la misère : les surprises incessantes de leurs adversaires, la privation de vivres, les pluies, le vent du désert, les craintes d'une insurrection générale. pour comble de maux, le choléra. Des renforts survinrent : ce fut d'abord le colonel de Barrai, qui arrivait de Sétif, puis le colonel Canrobert, qui arrivait d'Aumale : la petite armée atteignit ainsi le chiffre de six à sept mille hommes ; mais les combats et les maladies diminuaient chaque jour cet effectif. Il fallut détruire les murs des jardins, abattre les palmiers, combler les fossés, pratiquer une brèche dans les remparts, et cela sous le feu d'un ennemi animé du double fanatisme religieux et guerrier. Le 26 novembre, l'assaut fut donné : mais, l'enceinte prise, chaque maison se transforma en forteresse. Enfin, Bou-zian ayant été capturé et mis à mort, la résistance cessa, et nos soldats purent s'établir en maîtres dans la malheureuse bourgade presque consumée[1]. — Ce siège, qui coûta a notre armée environ mille hommes tués ou blessés et qui dura plus de quarante jours, mériterait d'être retracé en détails, si les proportions de notre récit ne l'interdisaient. Pour l'objet qui nous occupe, une chose surtout est digne de remarque. Dans cet héroïque et sanglant épisode de notre histoire militaire apparaissent, encore au début de leur carrière, des chefs inconnus jusque-là : c'est le général Herbillon, c'est le colonel Canrobert, qui commande les zouaves, c'est M. de Lourmel, lieutenant-colonel du 8e de ligne, c'est le commandant Bourbaki, chef de bataillon aux tirailleurs d'Afrique. Eu même temps, sur d'autres points de l'Algérie, d'autres officiers grandissent, se formant à l'administration ou à la guerre. A Oran commandait le général Pélissier dans la même province étaient, au 5e de ligne, le lieutenant-colonel Bazaine, et au 12e léger, le lieutenant-colonel Vinoy ; dans la province de Constantine, le colonel Marulaz commandait le 20e de ligne. Ne sont-ce pas là les noms que les guerres du second empire vont populariser ? N'est-ce pas là la jeune Afrique, ainsi qu'on prit coutume de l'appeler par opposition aux vieux Africains, les Changarnier, les Lamoricière, les Bedeau, que la vie parlementaire avait absorbés ?

C'est, disons-nous, parmi les soldats de cette jeune Afrique que Louis-Napoléon, en quête de dévouements nouveaux, chercha ses meilleurs soutiens.

Plusieurs raisons conspiraient pour que ses appels fussent entendus. Le métier des armes serait trop beau si la passion de l'avancement ne le gâtait parfois, comme un vulgaire alliage altère l'or le plus pur. La rapide fortune de Lamoricière, l'élévation subite de Cavaignac, les succès éclatants de Changarnier avaient créé une émulation qui, chez quelques-uns, allait jusqu'à l'envie : de là une tendance à épouser le parti contraire à celui que ces illustres soldats avaient embrassé. — En outre, si les princes d'Orléans, en répandant sur l'armée d'Afrique les faveurs et les témoignages d'affection, s'étaient créé beaucoup de titres à la reconnaissance, ils avaient fait aussi, comme il arrive toujours, quelques mécontents, peut-être quelques ingrats. Ces officiers, laissés injustement à l'écart ou oublieux des bienfaits reçus, étaient tout prêts à se donner à un nouveau chef dont ils pressentaient la fortune et dont ils espéraient les bonnes grâces. — Enfin les expéditions aventureuses de l'Afrique, les habitudes d'arbitraire qu'autorisait un régime encore mal défini avaient altéré dans certaines aines, loyales pour tout le reste et vaillantes, le sentiment de la légalité, le respect du pouvoir civil et de ses attributions. Dans les entretiens du bivouac, on s'égayait volontiers du bouillant Lamoricière transformé en législateur ou de Cavaignac discutant en casuiste sur la République : on raillait Le Flô, Charras surtout, qui, disait-on, tournait au fanatisme ; on ne dissimulait pas quelque dédain pour ces généraux-avocats : de là au dédain des institutions elles-mêmes, la distance était facile à franchir. On recueillait de loin l'écho des passions socialistes qui, en juin 1848, avaient fait dans l'armée tant de nobles victimes. Le Parlement apparaissait, sinon comme complice du désordre, au moins comme impuissant à le prévenir. Ces sentiments un peu confus, moitié erreur, moitié vérité, hantaient ces Lunes de soldats. Plusieurs, si on les avait un peu pressés, auraient avoué qu'un coup de main contre la constitution n'eût été considéré par eux que comme une brillante razzia.

Parmi ces militaires jeunes de grade et de renommée, il en est un qui semble avoir fixé plus que les autres l'attention du président de la République, c'est le Général Saint-Arnaud.

Jacques Leroy de Saint-Arnaud était né à Paris le 20 août 1798. En 1815, âgé de dix-sept ans, il entra dans les gardes du corps. Puis sa carrière subit une longue interruption. Ses amis les plus zélés n'ont pas dissimulé que sa jeunesse fut orageuse. De lointains voyages et des fortunes très diverses développèrent en lui l'initiative, l'aplomb, la hardiesse, le savoir-faire : peut-être aussi cette vie d'aventures émoussa-t-elle cette délicatesse de l'âme qui repousse les entreprises équivoques avec autant de fermeté que les mauvaises. Après la révolution de Juillet, Saint-Arnaud reprit du service : à trente-quatre ans, il était encore sous-lieutenant. Ayant été détaché à la citadelle de Blaye en 1833, il y fut l'un des gardiens de la malheureuse duchesse de Berry. Cette mission ingrate fut le point de départ de sa fortune. A Blaye, en effet, il connut le général Bugeaud, qui aussitôt l'apprécia. En 1836, il partit pour l'Algérie. Sur ce nouveau théâtre, son courage prêt à tout, son esprit vif, alerte, résolu, lui firent une place à part, et, le patronage de Bugeaud aidant, il s'éleva en moins de douze ans jusqu'au rang de général de brigade. Il venait d'être promu à ce grade, lorsque éclata la révolution de 1848. Il était alors un brillant officier, encore très alerte malgré ses quarante-neuf ans et dominant par son énergie morale les fréquentes défaillances de sa santé, d'un sang-froid imperturbable, tour à tour gai comme le plus insouciant des troupiers et prévoyant comme le plus sage des capitaines, confiant en lui-même jusqu'à la présomption, mais trop avisé pour le montrer tout à fait, très ambitieux avec une certaine affectation d'indifférence, habile à se pousser, bien vu de ses chefs comme des princes, léger d'argent et peut-être aussi de scrupules, capable des actions héroïques et aussi, ajoutait-on, des douteuses, mais ne devant s'y porter qu'à contre-cœur et seulement en vue d'un grand profit, vaillant soldat, à tout prendre, avec une nuance de condottiere.

A partir de 1848, la correspondance de Saint-Arnaud permet de suivre pas à pas les progrès de son ambition. Il n'aimait pas la République, et il avait de bonnes raisons pour cela. Étant en congé à Paris le 24 février, il avait pris le commandement d'une brigade, avait été hué, maltraité par la foule, avec cela légèrement blessé. Avec sa sagacité habituelle, il jugeait à leur vraie valeur les hommes imprévoyants qui détenaient le pouvoir. Aux sérieux motifs d'éloignement se mêlaient de petits griefs : la République avait diminué ou supprimé ses frais de représentation, et il n'était pas insensible à ce léger ennui : car il payait encore à cinquante ans les dernières dettes de sa jeunesse[2]. Dès cette époque il appréciait avec une extrême justesse sa propre situation et son avenir gi J'entre dans l'année 1849, écrivait-il, avec quatorze mois de grade de général : je ne suis en position pour rien ; il faut attendre et laisser aux autres le temps de s'user. Les autres, c'étaient Cavaignac, Lamoricière, Changarnier. Le dernier mot de ce drame, ajoutait-il, n'est pas plus dit que le dernier acte n'est joué. Notre tour viendra peut-être d'entrer en scène[3]. La politique l'effraye et l'attire : il répète souvent qu'il l'a en horreur ; mais il y revient toujours, comme à une préoccupation qui le domine. Ce qu'il convoite, c'est le gouvernement général de l'Algérie : mais on sent que souvent sa pensée s'envole ailleurs. A mesure que les événements se déroulent, son aversion pour la démagogie s'accroit. Il déteste les avocats et surtout ceux du Parlement. C'est un amas de tracassiers, de parleurs, de révolutionnaires quand même[4]. Cette Assemblée, écrit-il dès le mois de janvier 1850, nous mènera bien loin et bien bas[5]. Ses vues, d'abord très vagues, se précisent. Après nos désordres et nos folies, il nous faut une main de fer pour nous gouverner. Un passage par le régime despotique absolu peut seul nous ramener à un gouvernement constitutionnel sage[6]. L'Ère des Césars, de Romieu, qui arrive jusqu'à sa résidence de Constantine, l'émeut et le ravit. La conclusion surtout lui parait fort à son gré : Je ne me laisserai jamais dominer par la rue. Plutôt lever la bannière du chef de bande, et de là à devenir César, il n'y a rien d'impossible[7].

Cet homme si attentif à toutes les occasions de fortune ne connut pas tout de suite Louis-Napoléon. Il avait voté pour lui en décembre 1848, parce que, disait-il, c'était l'inconnu, et que derrière l'inconnu il y a l'espérance[8]. Peu à peu la haine des arguties constitutionnelles l'avait porté vers le chef du pouvoir exécutif : les subtilités parlementaires, les misérables débats sur la dotation excitaient surtout sa verve railleuse. Le message du 12 novembre 1850 le frappa : On dit qu'il est de la main du prince, mais alors c'est un homme... c'est plein de cœur et d'esprit[9]. C'est ainsi que Saint-Arnaud se rapprochait du président qu'il n'avait point encore vu — car il n'était point venu à Paris depuis 1848 —, mais que déjà il pressentait. Dès cette époque, Louis-Napoléon, de son côté, avait remarqué ce brillant général, alerte, spirituel, résolu, aimant la guerre plus que la politique, mais ne dédaignant pas la politique, à la condition qu'elle fût aussi mouvementée qu'une bataille. En quête d'hommes nouveaux, il comprit vite le prix d'un tel auxiliaire. Il l'apprécia à cause le ses rares qualités ; il l'apprécia aussi à cause de ses défauts : car ses défauts mêmes ne laissaient guère douter qu'il se donnerait sans scrupules et tout entier.

Au mois de février 1851, le bruit courut que Saint-Arnaud allait être promu général de division et appelé à Paris. Ce bruit ne se confirma pas. L'heure de la crise n'avait point encore sonné. En outre, Saint-Arnaud, très connu en Algérie, ne l'était pas en France et par suite n'était point encore au niveau d'un grand rôle. II fallait qu'une expédition considérable consacrât et vieillit sa jeune renommée. Alors, mais alors seulement, il pourrait peser d'un poids décisif dans les destinées de son pays. Louis-Napoléon le comprit et se mit à chercher pour son général favori quelque brillante occasion de gloire. Il ne tarda pas à la trouver. Au printemps de l'année 1851, l'expédition de Kabylie fut décidée.

A une vingtaine de lieues à l'est d'Alger et non loin du littoral commence une région montagneuse qui, de l'Oued-Isser jusqu'à Djijelli, s'appelle la Grande Kabylie ou Kabylie du Djurjura, et qui, de Djijelli jusqu'à Collo, est désignée sous le nom de Petite Kabylie ou Kabylie orientale. Là habite une population très différente de la population arabe, population industrieuse, agricole, sédentaire, ayant sa langue et ses mœurs propres, ayant surtout un goût très vif Pour l'indépendance. Les Kabyles n'avaient jamais accepté tout à fait la domination turque, et nos troupes elles-mêmes avaient cerné et enveloppé leur pays plutôt qu'elles n'y avaient pénétré. C'est cette contrée presque inexplorée qu'on entreprit d'occuper et de soumettre.

La guerre une fois résolue, sur quel point précis ferait-on porter les opérations ? Le gouverneur général inclinait à les diriger contre la Grande Kabylie : Saint-Arnaud, au contraire, jugeait plus opportune et, plus facile une attaque contre la Petite Kabylie ou Kabylie orientale[10]. Son avis prévalut, et il fut investi du commandement en chef. Au point de vue militaire, cette expédition avait l'avantage général de consolider et d'étendre notre domination. En outre, elle aurait, disait-on, pour conséquence de débloquer Djijelli, de mettre cette place en relation avec l'intérieur et avec Milah, d'assurer les communications entre Philippeville et Constantine, de Garantir enfin la sécurité des propriétés domaniales situées dans la vallée du Rommel[11]. L'entreprise avait un autre but sur lequel on se taisait, mais qui n'était pas le moindre, c'était de mettre en relief les services et la valeur de Saint-Arnaud.

Au commencement de mai, Saint-Arnaud rassembla à Milah, petite ville située au nord-ouest d-e Constantine, son corps expéditionnaire, composé de douze bataillons d'infanterie, huit pièces de montagne, quatre escadrons de cavalerie, et formant un effectif de 8.000 hommes. Ces troupes étaient divisées en deux brigades commandées par les généraux Luzy et Bosquet. C'étaient des régiments aguerris : le 8e de ligne, qui avait combattu à Zaatcha, le 9e et le 20e, qui étaient depuis longtemps en Afrique : le 10° de ligne seul était nouvellement arrivé de Toulon. Rien ne fut négligé pour rehausser l'expédition et pour grandir le futur vainqueur. L'entreprise fut annoncée avec éclat. Des officiers étrangers, belges, néerlandais, piémontais, furent envoyés pour suivre les opérations. De Paris était arrivé un jeune chef d'escadrons de cavalerie, le commandant Fleury, ami de Louis-Napoléon et ancien subordonné de Saint-Arnaud[12]. Le commandant Fleury ne venait pas seulement pour prendre part à la guerre, mais encore et surtout pour nouer des intelligences dans les régiments, pour découvrir les capacités, pour éveiller les dévouements.

Le plan de campagne était tracé. Le général en chef devait, en partant de Milah, percer le massif montagneux qui s'étend entre cette ville et Djijelli, et traverser ainsi du sud au nord la Petite Kabylie : une fois à Djijelli, il devait se porter à l'ouest, au sud, puis à l'est, prendre les tribus à revers, recevoir leur soumission, organiser, s'il était possible, les territoires, gagner Collo, de là Philippeville, et enfin, sa mission terminée, revenir à Constantine, chef-lieu de son commandement.

Le 10 mai, le général quitta Milah et se mit en marche vers Djijelli. Entre ces deux villes, toutes sortes d'obstacles arrêtèrent la marche de la colonne, ravins profonds, petites abruptes, cols presque impraticables. La route n'était le plus souvent qu'un sentier de deux ou trois pieds de large : parfois ce sentier disparaissait, et il fallait se frayer un chemin, la pioche à la main. Agiles, braves, bien pourvus d'armes, croyant à l'inviolabilité de leurs montagnes, les Kabyles n'attendaient pas toujours l'attaque de nos troupes, mais, débouchant de leurs villages, prenaient eux-mêmes l'offensive. Ils le pouvaient aisément : car nos convois, resserrés en d'étroits passages, s'allongeaient à certains endroits sur un espace de près de deux lieues. Pour ranimer leur confiance, les anciens du pays leur rappelaient que c'était dans ces défilés que leurs pères, en 1808, avaient taillé en pièces l'armée du bey Osman. De Milah à Djijelli, le corps expéditionnaire mit cinq jours. Ce furent cinq jours de luttes continuelles. Ces combats furent presque toujours heureux : toutefois, le 13 mai, deux compagnies du 10e de ligne, postées dans une position couverte de bois, furent surprises par les Kabyles et dispersées en désordre. Le 15 mai enfin, la colonne descendit dans la plaine. Quand on fut sorti de ces âpres gorges, quand on aperçut la ligne bleue de la nier, un soupir de soulagement s'échappa de toutes les poitrines, tant ces cinq jours avaient été féconds en épreuves ! Ou attaqua, sans rencontrer beaucoup de résistance, les villages des rives de l'Oued-el-Kébir. Puis on arriva à Djijelli. Les pertes, hélas ! étaient nombreuses, 90 tués, 312 blessés[13] : parmi les morts étaient plusieurs officiers d'avenir que l'armée pleura, et parmi eux un chef de bataillon du 20e de ligne, le commandant Valicon.

Ses troupes refaites par un repos bien gagné, Saint-Arnaud s'occupa de prendre 5 revers les tribus et de dégager le cercle de Djijelli. Il se dirigea d'abord vers le sud et, après deux combats brillants, reçut la soumission des Beni-Ahmed, des Beni-Khetab et d'une portion de quatre autres tribus. A Tibaïren, le général Bosquet, avec deux bataillons, se sépara de son chef et alla renforcer le général Camou, qui avait peine à contenir la Grande Kabylie, agitée par un prétendu chérif du nom de Bou-Baghla. Malgré cette diminution d'effectif, Saint-Arnaud continua ses opérations. Revenant sur ses pas, il se porta vers l'ouest contre les Beni-Fougghal et les Beni-Ourzeddin, dont il reçut la soumission, et cette soumission entraîna celle des tribus plus faibles.

L'ouest et le sud de Djijelli étant soumis, Saint-Arnaud rentra dans cette ville pour s'y ravitailler. Puis, fidèle au plan de campagne, il se remit en route le 18 juin et se dirigea vers l'est. Plusieurs combats furent encore livrés : l'un surtout, le 26 juin, nous coûta trente tués et cent cinq blessés ; heureusement, cette sanglante affaire ne fut point sans résultat, car plusieurs groupes de villages vinrent à composition. Continuant sa route vers l'est, Saint-Arnaud franchit l'Oued-el-Kébir ; après une nouvelle série d'engagements, il atteignit Collo et de là Philippeville. Avant la fin de juillet il était de retour à Constantine avec sa colonne diminuée de près d'un millier d'hommes, mais partout victorieuse.

La campagne était terminée. A Paris, la presse officieuse se hâta de célébrer cette opération, brillante sans doute, mais un peu trop rapide pour avoir des effets durables. On prit un tel soin de mettre en relief Saint-Arnaud, qu'on oublia presque le général Camou, qui, vers la même époque, triomphait de Bou-Baghla et dégageait le cercle de Bougie. L'heureux vainqueur fut élevé au grade de général de division : le prince avait tant de hâte de le nommer que, même avant la fin des opérations, il lui écrivit de sa propre main pour lui annoncer sa promotion[14]. Par une singulière coïncidence, le général reçut presque par le même courrier une lettre du duc d'Aumale, qui, toujours attentif aux choses de l'Afrique, s'empressait de féliciter son ancien lieutenant[15].

Le résultat souhaité était atteint : Saint-Arnaud était désormais connu et, un peu de bonne volonté aidant, pouvait être comparé aux vieux Africains. On l'appela au commandement d'une division à Paris : le 8 août, il s'embarqua pour la France, et, après un court congé, s'installa à l'École militaire. Le général Randon détenait encore le portefeuille de la guerre, mais ou le savait peu favorable, sinon à Louis-Napoléon, du moins à un coup d'État : aussi son successeur était-il déjà prêt.

On avait sous la main un ministre de la guerre. En outre, on s'était pourvu d'un commandant pour l'armée de Paris. Le 16 juillet, le général Magnan avait été appelé à ce poste. Magnan n'était pas un inconnu pour le prince, qui, dès 1840, à l'époque de l'échauffourée de Boulogne, avait tenté de l'attirer à sa cause et de corrompre sa fidélité[16]. C'était un militaire énergique, impitoyable au désordre, ayant exercé de grands commandements à Lyon et à Strasbourg, par malheur besogneux, et, par suite, dispose à se donner. Il ne se donna néanmoins qu'en prenant ses sûretés, ainsi qu'on le verra plus tard. Pour l'importante fonction qu'on venait de lui confier, on avait d'abord songé au général Castellane, et les journaux avaient même annoncé sa nomination. Mais le général Castellane, le général Baraguey, d'autres encore se souciaient peu de se compromettre dans une aventure. Ils laissaient entendre qu'ils ne seraient pas les adversaires d'un régime nouveau, mais, soit timidité, soit scrupule, ils tenaient à réserver leur concours jusqu'à ce que le succès fût assuré.

Entre Saint-Arnaud, déjà désigné pour le ministère de la guerre, et Magnan, installé à l'état-major des Tuileries, le commandant Fleury, revenu de Kabylie et promu vers cette époque, lieutenant-colonel, s'insinuait parmi les corps d'officiers, encourageait les indécis, éveillait les convoitises. Le colonel Fleury, le colonel Vaudrey, quelques autres formaient autour du prince une sorte d'état-major intime, beaucoup plus puissant que le ministre lui-même. C'étaient eux qui, le plus souvent, avaient, les premiers, connaissance des nominations et en donnaient avis aux intéressés : ce qui inspirait une haute idée de leur crédit et faisait remonter jusqu'au président les témoignages de la gratitude. J'étais un directeur du personnel ad latus, a pu écrire plus tard le colonel Fleury[17]. Le général Randon, très exact observateur de la hiérarchie, ne laissait pas de ressentir quelque dépit de cette atteinte à la discipline[18]. — Par d'habiles combinaisons, les chefs les plus brillants de la nouvelle Afrique avaient été appelés à Paris. Là étaient Canrobert, le héros de Zaatcha, Marulaz, naguère colonel du 200 de ligne et nommé général après l'expédition de Kabylie, d'Allonville, le brillant officier de cavalerie, Espinasse, lui aussi l'un des combattants de la Petite Kabylie, et tout récemment nommé colonel du 42e de ligne. Tous ces vaillants officiers s'étonnaient eux-mêmes d'être réunis en un aussi grand nombre dans la capitale, et, se retrouvant tous, il leur semblait qu'ils n'eussent pas changé de lieu[19]. Ils se voyaient souvent, comme il était naturel, et ne se lassaient pas de rappeler leurs courses et leurs combats d'Afrique. Au cours de l'entretien, quelque ami du prince survenait, leur parlait à mots couverts des conspirations de l'Assemblée, et les excitait surtout contre la démagogie, cet éternel ennemi du soldat. — Le président lui-même se livrait à une étude plus active que jamais des choses militaires. Les revues étaient plus fréquentes, les faveurs plus abondantes ; les officiers étaient, à tour de rôle, invités à diner à l'Élysée[20]. L'automne, saison ordinaire des changements de troupes, allait offrir une occasion naturelle pour achever de composer la garnison de Paris et pour l'adapter aux desseins qu'on méditait. Tel était le vigilant travail par lequel on s'assurait du concours de l'armée.

 

III

En dehors de l'élément militaire, il importait, avons-nous dit, que le prince trouvât, dans l'ordre civil, quelques hommes disposés à le suivre jusqu'au bout de ses desseins.

Ici l'embarras était assez grand. Les amis de l'exil étaient peu nombreux, humbles de situation comme de fortune, étrangers aux affaires, ignorants de la politique. Louis-Napoléon rencontrait dans sa famille plus d'entraves que d'appui. Ses cousins, à l'Assemblée, votaient avec la Montagne : son oncle, le roi Jérôme, était vieux, peu instruit des choses du temps présent, enclin à défendre les écarts de son fils. Dans cette pénurie, le président n'avait d'autre alternative que de se confier à des hommes sans consistance ou de se donner aux chefs parlementaires qui le raillaient en le servant. II n'est pas téméraire de conjecturer que cet isolement, en attristant son âme phis rêveuse au fond qu'active, n'ait contribué à le pousser hors des voies légales et dans les aventures. Parmi les rares fidèles de la première heure étaient M. Mocquard, secrétaire intime de l'Élysée, M. de Persigny, rachetant ses étrangetés par son dévouement, quelques autres bien obscurs encore.

Louis-Napoléon chercha, soit dans l'administration départementale, soit dans la société parisienne, deux ou trois hommes ayant une fortune à faire et disposés à tout risquer pourvu que cette fortune fût haute et rapide. L'administration lui donna M. de Maupas : les salons de Paris lui donnèrent surtout. M. de Morny.

M. de Maupas était sous-préfet à Beaune lorsque éclata la révolution de Février en janvier 1849, il avait été appelé à la sous-préfecture de Boulogne, et quelques mois plus tard à la préfecture de l'Allier. Une fois préfet, il s'était appliqué à conquérir moins les bonnes grâces des ministres que la faveur de Louis-Napoléon. En dehors de ses rapports à son chef hiérarchique, il s'était accoutumé à adresser directement à l'Élysée les informations qu'il recueillait. ; et ces dépêches, fort espacées dans les premiers temps, devinrent plus tard assez suivies. Il ne pouvait rien faire qui fùt plus agréable au prince : celui-ci aimait surtout à avoir sa police à part, à agir en dehors de ses ministres et quelquefois contre eux. Cette correspondance confidentielle avait principalement pour objet les mouvements de l'opinion, l'activité de la propagande démagogique, l'impuissance de l'Assemblée à rassurer les gens d'ordre. Charmé de tant d'à-propos, le président se promit de pousser cet agent avisé qui le devinait si bien. Le 7 mars 1851, il lui écrivit lui-même pour lui annoncer sa nomination à Toulouse. Là, se sentant soutenu par une si haute protection, M. de Maupas n'hésita pas à se découvrir davantage. Il multiplia ses rapports : il poussa jusqu'à la provocation son ardeur contre les démocrates ; à l'occasion de mandats d'arrêt qu'il avait sollicités de l'autorité judiciaire et qui lui furent refusés, un conflit très vif s'éleva même entre les magistrats de la cour d'appel et lui[21]. Le ministre de l'intérieur, M. Léon Faucher, approuva d'abord son subordonné, puis, mieux informé, le désavoua. Non seulement il le désavoua, mais il commença à s'inquiéter des hardiesses de ce jeune fonctionnaire, ne lui ménagea pas les remontrances, lui reprocha avec son âpreté ordinaire de ne point se pénétrer des nécessités constitutionnelles. Louis-Napoléon s'empressa de consoler son agent. Je regrette, lui écrivait-il le 19 juillet, qu'on vous adresse des reproches là où vous ne méritez que des éloges. Puis, faisant allusion à M. Léon Faucher, qui aimait le chef de l'État, mais plus encore la légalité : Il faut, ajoutait-il, pardonner les défauts des meilleurs esprits[22]. Il ne tarda pas à laisser pressentir à M. de Maupas qu'il avait ses vues sur lui, et qu'il l'élèverait bientôt à quelque grande fonction. A la fin d'août 1851, le préfet de la Haute-Garonne fixait à la fois l'attention du ministre et celle du prince. Le ministre songeait à le disgracier, parce qu'il le soupçonnait d'être favorable à un coup d'État : le prince, précisément pour ce motif, guettait l'heure où il l'attirerait à ses côtés.

M de Morny, l'autre futur collaborateur du président, n'avait pas, comme M. de Maupas, passé par la filière des fonctions publiques. Il était essentiellement Parisien d'habitudes et de mœurs. Il passait pour le frère utérin de Louis-Napoléon, et loin de cacher cette naissance irrégulière, il en tirait quelque vanité. Sa vie, mêlée de dissipations élégantes et de labeurs intermittents, s'était éparpillée en mille objets divers. Il avait servi en Afrique, non sans distinction, avait été officier d'ordonnance du général Trézel et avait été décoré. De bonne heure, il avait quitté l'armée et s'était lancé dans l'industrie, puis dans les spéculations de Bourse. La politique l'avait aussi attiré, et en 1842, à l'âge de trente ans, il était devenu député.

Vers la fin du régime de Juillet, M. de Morny était un de ces hommes inconnus du grand public, mais très répandus dans le inonde, qui grandissent par leurs relations et leur savoir-faire, mieux que d'autres par leur travail et leurs services. Le trait dominant de sa nature, c'était une aptitude remarquable à tout effleurer et une invincible répugnance à rien approfondir. On retrouvait en lui un singulier mélange d'activité et de paresse, de curiosité d'esprit et d'insouciance, de dissipation et de calcul. Il était ami des arts sans être artiste ; lettré sans être écrivain ; trop peu orateur pour les discussions parlementaires, assez disert cependant pour briller dans les couloirs ou les salons ; trop ennemi du travail suivi pour débattre à fond les affaires ou la politique, mais devinant parfois les unes et les autres par une vive et naturelle intuition. Homme de plaisir, il gardait toujours son sang-froid, et sa raison n'abandonnait jamais les rênes même lorsqu'elle les laissait flotter. Conservateur avec une nuance progressiste, il avait d'habiles velléités d'indépendance et laissait douter de son concours juste assez pour qu'on ne dédaignât pas de se l'assurer. A la veille de la révolution de Février, il donna au cabinet de sages avis. Pour éclairer le pouvoir, il recourut aux entretiens privés, il employa la voie des journaux ; dans la discussion de l'adresse, il monta même, contre son habitude, à la tribune. Il y apporta une simplicité un peu étudiée, comme s'il eût voulu, pour masquer son inexpérience oratoire,

copier l'abandon familier des Chambres anglaises. Ce n'était pas, d'ailleurs, par ce trait seul que se révélait chez lui l'imitation de l'Angleterre. Il avait emprunté à nos voisins leur politesse un peu froide, leur courtoisie faite d'estime pour soi-même plutôt que de cordialité pour autrui, leur goût pour les chevaux et les courses, goût nouveau alors en France, leur sollicitude pour les intérêts positifs, leur aisance à associer tous les raffinements de la vie mondaine avec toutes les préoccupations de la vie des affaires. Il inaugurait un type nouveau de grand seigneur, assidu à la Bourse ou aux assemblées d'actionnaires autant que dans les boudoirs. Ne pouvant être tout à fait gentilhomme, il s'était fait gentleman, et cette habile contrefaçon, si commune depuis, avait alors un air d'étrangeté exotique qui forçait l'attention, sinon la sympathie.

La révolution de 1848 déconcerta fort M. de Morny. Il était l'homme le moins propre à réussir dans une démocratie républicaine. Il flotta quelque temps indécis, inclinant vers la royauté, songeant même, dit-on, à Henri V[23]. Il connaissait peu Louis-Napoléon. Celui-ci ayant été élu, il mit à profit le lien étroit, bien que mystérieux, qui le rattachait au prince. Ces deux personnages sentirent qu'ils avaient besoin l'un de l'autre, et la communauté d'intérêt les unit.

M. de Morny était pour le président, surtout dans une si grande disette d'hommes, un auxiliaire précieux. Il connaissait le pays ; il avait l'audace, la décision, cette sorte d'impassibilité hautaine que donne l'habitude des spéculations hasardeuses, beaucoup de relations dans tous les partis, peu de scrupules, mais de la générosité naturelle : on devinait qu'il ne reculerait devant aucune nécessité pour forcer le succès ; mais, comme il n'était ni vindicatif ni cruel, on était assuré qu'il s'emploierait ensuite à adoucir la victoire et à ramener ou à séduire ses adversaires. — Si le prince avait intérêt à s'attacher M. de Morny, M. de Morny ne devait pas trouver un moindre avantage à s'attacher au prince. La République répugnait à ses instincts. D'un autre côté, il n'avait ni l'éloquence, ni l'application au travail, ni la hante autorité des mœurs, ces conditions d'élévation dans les gouvernements vraiment libres. Il lui fallait, pour se développer, un état de choses où les grands dons qu'il ne possédait pas deviendraient inutiles et où les capacités de second ordre occuperaient toute la scène, un gouvernement absolu tempéré par des fantaisies libérales, une société polie, élégante, avec une pointe de corruption. M. de Morny pressentit que l'Empire réaliserait tout cela. Il se donna d'avance à ce régime qui semblait fait à sa taille, ni plus haut, ni plus bas.

Un préfet remarqué pour son audace et sa fermeté, un homme du Inonde à l'esprit délié et résolu, mais peu versé jusque-là dans la grande politique, avec cela quelques compagnons de jeunesse, c'était peu pour foncier un régime nouveau ; mais c'était assez pour contresigner les premiers décrets, pour rassurer les consciences militaires, pour endosser les premières responsabilités toujours si lourdes à porter. En cas d'échec, les vaincus ne seraient plus que des rebelles, et alors peu importerait leur nombre. En cas de succès, on comptait que ce petit noyau de fidèles deviendrait une armée.

 

IV

Les auxiliaires une fois choisis, il était essentiel de prévenir les résistances de la bourgeoisie en exploitant en elle la peur du socialisme.

Sur ce terrain, la tâche était facile. Les assemblées départementales s'étaient réunies pour leur session du mois d'août. Or, quatre-vingts conseils sur quatre-vingt-cinq venaient de formuler un vœu en faveur de la révision, naguère repoussée par le Parlement. Le sens de ce vote n'était pas douteux : il permettait de mesurer à quel point la crise annoncée pour 1852 agitait les âmes. Une préoccupation dominait, celle de concentrer l'autorité, de la fortifier en vue des périls prochains, de lui conférer des attributions exceptionnelles : de là les demandes d'un grand nombre de conseils généraux qui, dès l'année précédente, avaient sollicité l'embrigadement des gardes champêtres, la création de nouvelles brigades de gendarmerie, la nomination directe des maires par le pouvoir. Qui serait élu président de la République ? Quelques hommes politiques avaient prononcé le nom du prince de Joinville, et à Claremont, cette combinaison n'était ni avouée ni démentie. D'autres songeaient à M. Thiers ou au général Changarnier. Les républicains pensaient à voter pour Carnot, peut-être fixer leur choix sur quelque nom plus radical encore. Aucune de ces candidatures n'inspirait confiance. Celle du prince de Joinville, la plus sérieuse de toutes, ne résistait guère à un examen approfondi. Le prince de Joinville aurait contre lui les légitimistes, les fusionnistes, les bonapartistes, les républicains. Que lui resterait-il ? On raillait ce Bourbon à deux fins, premier magistrat dans une république, prince du sang dans une monarchie. Beaucoup jugeaient que, pour le prestige de la maison d'Orléans, un succès serait plus redoutable encore qu'un échec. De guerre lasse, l'opinion publique revenait à Louis-Napoléon, sur qui elle reportait non seulement le bien qu'il avait fait, mais celui que la représentation nationale avait accompli : elle s'irritait de ne pouvoir le réélire ; elle s'attachait d'autant plus à cet abri que la loi lui interdisait de le conserver. Dans sa mauvaise humeur, elle rejetait volontiers ses embarras sur la constitution qui avait été imprévoyante, sur l'Assemblée qui avait rejeté la révision.

Cet état d'esprit, les journaux de l'Élysée ne négligeaient rien pour l'entretenir. Ils revenaient avec complaisance sur la crise de 1852, montraient la caducité des partis monarchiques, raillaient la fusion, bafouaient le parlementarisme ; puis, après avoir établi l'impuissance de toutes les autres solutions, ils ajoutaient, tantôt avec une franchise brutale, tantôt avec une sorte de mysticisme, qu'un sauveur pourrait surgir pour la société menacée. M. Romieu, qui, l'année précédente, avait écrit l'Ère des Césars, venait de publier le Spectre rouge. Les périls étaient assez réels pour émouvoir la société : on les grossissait au point de l'affoler.

Les Montagnards se faisaient, à leur manière, les auxiliaires de Louis-Napoléon. Ce n'était pas leur premier service, et, comme on le verra, cc ne fut pas le dernier. A la fin de la session, les représentants de l'extrême gauche avaient publié un manifeste où se révélaient leurs détestables espérances, nouveau sujet de crainte pour les âmes déjà troublées. Un comité révolutionnaire de résistance existait à Paris, comité dont la police saisissait avec éclat les bulletins. — Vers le même temps se déroulaient à Lyon devant la juridiction militaire les débats d'un complot qu'on appela le Complot du Sud-Est. On apprit par les dépositions de ce procès que, dès 1850, quinze départements de la vallée du Rhône avaient été enrôlés dans une organisation révolutionnaire secrète, que des conciliabules de démagogues et de représentants montagnards s'étaient tenus à Valence et à Mâcon, que des mots d'ordre avaient été transmis, que la saisie de correspondances compromettantes et l'arrestation des principaux meneurs avaient prévenu une explosion peut-être imminente. Ces détails, reproduits par la Gazette des Tribunaux[24] et, après elle, par toute la presse, fournissaient aux propagateurs d'alarmes un argument de phis. Si telle était déjà l'audace des démagogues, que serait-ce en 1852 ? Ce langage trouvait des oreilles complaisantes, et l'on s'encourageait de plus en plus à conserver a n'importe quel prix le pouvoir exista ut.

Sur ces entrefaites, des troubles assez sérieux éclatèrent dans l'arrondissement de Largentière et spécialement à Laurac. Les gendarmes étant intervenus, plusieurs d'entre eux furent assaillis, et il fallut d'assez importants renforts pour rétablir l'ordre. Ce n'étaient pas les gens du pays qui étaient les vrais coupables, mais une petite armée de démagogues ambulants qui exploitaient tout le Midi et se portaient tantôt sur un point, tantôt sur un autre pour y fomenter la sédition. Les journaux officieux, loin de dissimuler cette petite émeute, la publièrent. Bien plus, le département de l'Ardèche fut mis en état de siège.

 

V

Ces manifestes bruyants des démagogues, ces révélations des débats judiciaires, ces soulèvements partiels, tout cela servait à merveille les desseins de Louis-Napoléon.

Au commencement du mois de septembre, les conjonctures parurent même tellement favorables qu'on songea un instant à précipiter la solution.

On était à cette saison de l'année où la politique chôme, où la capitale se vide, où les laborieux se reposent de leurs labeurs et les mondains de leurs plaisirs. La commission de permanence tenait ses séances ordinaires : elles étaient calmes, sans incidents, soit que les soupçons se fussent affaiblis, soit que la fréquence des alertes eût émoussé l'inquiétude elle-même. Une Exposition universelle s'étant ouverte à Londres, cette imposante solennité industrielle attirait de l'autre côté du détroit un grand nombre de Français. Le ministre de l'intérieur, M. Léon Faucher, s'était rendu en Angleterre : on lui avait parlé de coup d'État ; mais il s'était ingénié à l'assurer tout le monde : ne répondait-il pas de la légalité comme de l'ordre, et pouvait-on suspecter sa parole ? Il avait visité l'Exposition avec la curiosité intelligente d'un touriste attentif et d'un économiste éclairé. De retour en France, son activité s'était tournée vers des objets très divers, mais non vers la politique ; il songeait à organiser des missions scientifiques en Orient, à imprimer une impulsion plus vive aux travaux publics dans les départements, à encourager par des récompenses les œuvres les plus morales de l'art dramatique[25]. Les autres ministres jouissaient, eux aussi, de leurs vacances. MM. Fould, Magne, de Crouseilhes étaient en villégiature. Dans les régions officielles régnait l'accalmie. Pouvait-on choisir pour un coup de main un moment plus favorable que celui où personne ne s'y attendait ?

Une autre considération impressionnait vivement le prince. En ce temps-là, il vivait retiré dans cette belle résidence de Saint-Cloud que son oncle affectionnait tant. Là, il rêvait beaucoup selon sa coutume ; et ses rêveries le ramenaient toujours vers le projet hardi qui devait couronner sa fortune ou l'abattre pour jamais. En homme soucieux de fonder un édifice durable, il pensait non seulement au présent, mais à l'avenir. Consommer le coup d'État pendant que le Parlement était réuni, c'était s'obliger à d'assez nombreuses arrestations préventives : en outre, il était vraisemblable que l'Assemblée résisterait, et qu'il serait nécessaire de la disperser par la force. N'était-il point à craindre que ces regrettables rigueurs n'éloignassent du régime nouveau, non seulement la Montagne dont l'hostilité était prévue, mais une foule d'hommes honnêtes, éclairés, jeunes encore, aptes à servir la chose publique avec dévouement et avec éclat ? Si au contraire l'entreprise s'accomplissait pendant la prorogation, ces mesures de coercition pourraient être évitées, et, par suite, les amours-propres n'étant point engagés, l'œuvre de fusion des partis serait moins malaisée. Si l'on ajoute foi à certaines révélations, ce sont ces pensées, inspirées par un patriotisme élevé, qui poussèrent Louis-Napoléon à hâter le dénouement, et, l'ensemble des circonstances paraissant d'ailleurs propice, il se prépara pendant quelques jours à une action immédiate.

Déjà le 11 août, dans un conciliabule tenu à Saint-Cloud, on s'était entretenu, sinon du coup d'État — car le plus souvent on évitait de prononcer ce mot —, au moins des réformes extralégales qui deviendraient bientôt urgentes. A cette réunion assistaient M. de Morny, M. de Persigny, le préfet de police Carlier et aussi M. Rouher, qui ignorait l'objet de la convocation, mais était assez dévoué pour qu'on pût sans péril s'ouvrir à lui. On rédigea, dit-on, ce jour-là, quelques-uns des décrets ou des circulaires dont on se servit trois mois après[26].

Un peu plus tard, le 9 septembre, M. Carlier avait proposé à Louis-Napoléon d'adresser une proclamation au peuple, de former un ministère d'action, d'adopter une série de résolutions propres à intimider les gens de désordre. Ces mesures ayant paru plus provocantes qu'efficaces, M. Carlier se ravisa et apporta le lendemain à Saint-Cloud un véritable programme de coup d'État.

Ce plan consistait à prononcer par décret la dissolution de l'Assemblée. Le décret serait affiché en plein jour. Les troupes seraient consignées dans les casernes, prêtes à agir en cas de soulèvement. L'Assemblée n'étant pas réunie, on n'aurait à sévir contre aucun représentant. On se contenterait, deux heures avant l'affichage, de procéder à l'arrestation préventive des chefs des sociétés secrètes. Pour ces arrestations, on pouvait se reposer sur M. Carlier, car nul ne connaissait mieux que lui les ramifications du parti radical, et, s'il inclinait à ménager les monarchistes, il était prêt à frapper sans pitié les meneurs de la démagogie[27].

Les vues de M. Carlier furent adoptées : on fixa même le jour de l'exécution, ce serait le 17 septembre. Cependant, le général Saint-Arnaud, qui était le ministre de la guerre désigné pour l'heure de l'action, refusa son concours. Il faut, dit-il, attendre que les représentants soient réunis à Paris : si l'on fait le coup d'État pendant la prorogation, ils se grouperont ci sur quelque point du territoire, appelleront à eux les généraux, et ce sera la guerre civile. Cette considération impressionna. Peut-être aussi ne se fiait-on pas tout à fait à M. Carlier, qui était très avant dans la confiance des royalistes. Le projet fut abandonné ou du moins ajourné. Le secret ne fut pas tellement bien gardé qu'il ne transpirât. Les 18 et 19 septembre, des bruits de coup d'État coururent. Les journaux officieux démentirent la rumeur, et, rien de nouveau ne survenant, le public, un instant tenu en éveil, retomba dan, sa quiétude.

 

VI

Les choses étant en cet état, on reprit cet habile et méthodique programme qui devait livrer pièces à pièces l'Assemblée au pouvoir exécutif. Déjà Louis-Napoléon avait un état-major militaire. Il avait en outre un état-major civil peu nombreux, mais prêt à tout. De plus, il était assuré que la bourgeoisie, obsédée par le fantôme de 1852, verrait avec plus de faveur que de colère l'exécution de ses desseins. Restait le peuple. Pour acheter sa bienveillance ou au moins son inaction, on fit miroiter à ses yeux la loi du 31 mai abolie et le suffrage universel rétabli.

Il y avait à cette évolution quelque hardiesse, peut-être quelque impudence. Cette loi du 31 mai, Louis-Napoléon l'avait présentée. Les ministres qui siégeaient encore dans son conseil, M. Baroche, M. Léon Faucher, en avaient été les avocats et les patrons. Naguère encore, le département des Landes ayant eu un député à élire, le ministre de l'intérieur n'avait pas craint d'écrire dans ses dépêches qu'elle était digne de l'adhésion explicite de tous les bons citoyens[28]. On ne pouvait, comme pour la révision de la Constitution, invoquer le vœu public nettement manifesté : car huit conseils généraux seulement avaient demandé le retour au suffrage universel. A la vérité, le nombre des radiations opérées en vertu de la loi nouvelle avait dépassé toutes les prévisions : le chiffre des électeurs s'était abaissé de 9.618.057 à 6.809.281[29] ; en présence de ce résultat, les esprits les plus sages pensaient qu'il serait bon d'abréger la durée du domicile légal et surtout de faciliter les modes de preuve de ce domicile. Mais de là à l'abrogation totale, il y avait loin. Le rappel pur et simple n'était guère réclamé que par les journaux démocratiques, auxquels il fallait joindre le Constitutionnel, inspiré ou rédigé par le docteur Véron[30]. On se refusait à croire que le docteur Véron fût le porte-voix du président. Rien cependant n'était plus vrai.

Au commencement d'octobre, Louis-Napoléon fit connaître à son conseil son projet de rapporter la loi du 31 mai. Les membres du cabinet combattirent ce dessein, puis, la volonté du prince étant inébranlable, manifestèrent leur résolution de se retirer. C'était, en effet, le seul parti qui sauvegardât leur dignité. Ils avaient voté la loi ; ils ne l'avaient pas seulement votée, ils s'étaient compromis à son service. Quant aux deux ministres qui n'appartenaient pas à l'Assemblée, M. Magne et le général Randon, ils n'étaient pas moins que leurs collègues disposés à déposer leur portefeuille. M. Magne répugnait à la politique violente. Le général Randon, de son côté, ne suivait pas sans inquiétude le mouvement de propagande qui s'exerçait clans l'armée. Le plus souvent il se taisait ; mais son silence même laissait deviner l'improbation. Un incident venait d'accroître sa mauvaise humeur. Le 6e de ligne ayant été appelé de Metz à Paris, le colonel Garderens de Boisse, qui commandait ce corps, avait adressé à ses soldats un ordre du jour empreint d'un zèle ardent et avait représenté l'appel du régiment dans la capitale comme la marque d'une confiance particulière. Le ministre avait blâmé le colonel. Le président aussitôt avait à son tour blâmé le ministre[31]. Ainsi Froissé clans son action et ne se sentant plus le véritable chef de l'armée, le général devait saisir avec empressement tout prétexte de retraite.

Le 12 octobre, la Patrie, journal officieux, annonça la crise. Cette nouvelle fut accueillie avec une vive émotion. Les bruits de coup d'État circulèrent de nouveau. C'est pour aujourd'hui, répétait-on, ou pour demain. Les représentants des départements voisins de Paris accoururent en toute bâte. La Commission de permanence se réunit : sur l'assurance que la crise n'avait d'autre cause que le rappel de la loi du 31 mai, elle se décida à ne pas convoquer l'Assemblée. Toutefois elle ne se sentit pas rassurée : car, le 14 octobre, le général Bedeau, vice-président, remplaçant M. Dupin absent, établit des réquisitions en blanc à l'effet de nommer un commandant de la force publique chargé de protéger la représentation nationale. On se tenait ainsi prêt à tout événement, et le nom seul du chef militaire restait à remplir[32]. Le langage des journaux conservateurs fut très amer. Le président inaugure, disait-on, la politique de fantaisies et d'aventures. La presse étrangère ne fut pas moins sévère dans ses jugements. Le prince, disait le Journal de Francfort, se jette dans les bras de la démocratie, mais ne pourra la maîtriser. Le Times dévoilait avec une précision saisissante les perspectives prochaines : L'avenir pour le président, c'est, à l'expiration de ses pouvoirs, de quitter le palais de l'Élysée, comme le lord-maire de Londres quitte Mansion-House pour rentrer dans sa résidence privée de Clapham ou de Stamford-Hill. Or, c'est une solution que ni le passé ni le caractère de Napoléon ne peuvent accepter. Il vient de montrer son intention de conserver le pouvoir à travers tous les hasards... A défaut de l'appui de la majorité de l'Assemblée, il se jette dans les bras des masses populaires[33]. Seule, la Montagne se réjouit franchement de l'évolution présidentielle. C'est parmi les Montagnards, disait-on ironiquement, que le prince devrait désormais prendre ses conseillers.

C'est au bruit de toutes ces rumeurs que furent entamées les négociations pour former un cabinet. M. Billault, ancien constituant, fut, à deux reprises différentes, appelé à l'Élysée. L'embarras était grand : car la peur combattait l'ambition. Où veut-on nous mener ? disaient les candidats aux portefeuilles. On voyait nettement comme programme le projet d'abrogation de la loi du 31 mai : mais que réserverait ensuite l'avenir ? Ici l'incertitude commençait ; et il ne convenait pas à Louis-Napoléon de dévoiler davantage ses desseins.

Après de longs et infructueux pourparlers, le Moniteur publia enfin le 27 octobre les noms des nouveaux ministres. M. de Thorigny, ancien avocat général, fut appelé au ministère de l'intérieur ; M. de Turgot, ancien pair de France, devint ministre des affaires étrangères ; M. Corbin, procureur général à Bourges, reçut les sceaux et fut plus tard, sur son refus, remplacé par M. Daviel, procureur général à Rouen. Un professeur de l'École de droit, M. Giraud, fut nommé ministre de l'instruction publique ; un autre professeur, M. Fortoul, entra au ministère de la marine. Les portefeuilles des finances, de la guerre, de l'agriculture et des travaux publics furent attribués à MM. Blondel, Saint-Arnaud, Casabianca, Lacrosse. Trois ministres seuls appartenaient à l'Assemblée : c'étaient MM. Lacrosse, Fortoul, Casabianca. Par une singulière contradiction, tous trois avaient voté la loi du 31 mai !

Cette liste fut accueillie dans les cercles parlementaires avec cette ironie hautaine qui est la consolation des faibles et la revanche des vaincus. On a le mépris le plus superbe pour les discoureurs, et l'on veut des hommes pratiques : mais de ce qu'on ignore la politique, ce n'est pas du tout une raison pour qu'on connaisse l'administration. Ainsi se répandaient en railleries les représentants de la droite, déjà revenus en grand nombre à Paris. On s'égayait de M. Fortoul, professeur de belles-lettres, devenu ministre de la marine. Le ministre de l'instruction publique, M. Giraud, semblait seul à sa place, et, de fait, ajoutait-on dédaigneusement, il devient le membre le plus important du cabinet.

Les conjonctures étaient trop graves pour que ce persiflage fût de saison. Dans la combinaison nouvelle deux noms se détachaient, qui imprimaient à l'acte présidentiel sa véritable portée.

Peu avant que la crise ministérielle éclatât, M. de Maupas, préfet de la Haute-Garonne, était arrivé à Paris. M. Léon Faucher l'avait reçu avec froideur ; le prince n'avait pas manqué de le dédommager. Il l'avait appelé à Saint-Cloud : là, s'ouvrant a ce confident encore inconnu de tous et qui avait si vite conquis sa faveur : Je me vois, lui avait-il dit, au bord d'un fossé plein d'eau : je vois sur l'autre rive le salut du pays ; j'ai besoin de quelques hommes pour m'aider à franchir ce fossé : voulez-vous être un de ces hommes ? M. de Maupas s'était empressé de saisir cette occasion inespérée d'une haute fortune. Le 27 octobre, il devenait préfet de police et remplaçait M. Carlier, qui suivait dans la retraite les ministres démissionnaires[34].

L'autre personnage qui entrait aux affaires était le général Saint-Arnaud, appelé au ministère de la guerre. Le public ne le connaissait que par l'expédition de Kabylie et ne savait rien de son caractère. Mais, parmi ses camarades d'Afrique, plusieurs avaient pénétré son ambition et son audace. Quelque temps auparavant, un soir, chez le duc de Luynes, on causait des éventualités de l'avenir. Lamoricière était présent. Le coup d'État, dit le général, ne se fera que quand le président aura trouvé l'homme pour cela. Ce ne sera ni Magnan ni Randon. Le premier est trop timide, le second trop honnête. Son homme est en Algérie : celui-là ne reculera devant rien. Quand vous verrez Saint-Arnaud ministre de la guerre, dites : Voilà le coup d'État[35]. Le pronostic de Lamoricière était en train de se réaliser. Les ministres nouveaux n'étaient qu'une troupe de figurants destinés à disparaitre bientôt. Saint-Arnaud resterait seul en scène avec de Maupas, et il escaladerait la Constitution comme naguère les rochers de la Kabylie.

Le président avait l'art de ne pas se brouiller avec les ministres qu'il congédiait ; et il en congédiait si souvent que cet art n'était pas superflu. Il ne négligea rien pour retenir dans son parti les conseillers dont il se séparait : c'était de sa part calcul, et aussi naturelle bonté de cœur. M. Léon Faucher, peu de temps auparavant, avait été fait commandeur de la Légion d'honneur ; M. Baroche, quelques jours plus tard, reçut la croix de grand officier. Quant au général Randon, Louis-Napoléon voulut le recevoir encore une fois à Saint-Cloud : à la fin de l'entretien, le prince tendit cordialement la main au général, et, cachant sous un affectueux reproche une dernière avance : Eh bien ! lui dit-il, vous ne voulez donc pas me suivre dans la nouvelle fortune que je vais tenter ?[36]

 

VII

L'Assemblée se réunit le 4 novembre. L'inquiétude dominait On s'entretenait d'une récente proclamation adressée par le préfet de police aux habitants de Paris, proclamation très ferme, mais muette sur l'obéissance due aux lois. On était surtout impressionné par le dernier ordre du jour du général Saint-Arnaud. Dans cet ordre du jour destiné à notifier aux troupes son entrée en fonction, le ministre de la guerre, dérogeant aux habitudes de ses prédécesseurs, s'était abstenu d'affirmer son respect pour la légalité et les institutions : en revanche, il avait fait un chaleureux appel fi l'esprit de corps et laissé entrevoir le jour où l'année apparaitrait comme un moyen de salut à la société menacée. Une circulaire aux commandants des divisions territoriales avait reproduit les mêmes tendances avec une netteté plus grande encore : Le véritable esprit militaire peut assurer le salut de la société ; mais cette confiance que l'année inspire, elle la doit à sa discipline : point de discipline dans une armée ou le dogme de l'obéissance passive ferait place au droit d'examen. Un ordre discuté amène l'hésitation, l'hésitation la défaite... Sous les armes, le règlement militaire est l'unique loi. Ces principes étaient justes, mais l'affectation à les rappeler à l'exclusion de tout le reste était peu rassurante. Les auteurs du coup d'État commençaient à se découvrir, et, à moins de fermer les yeux à l'évidence, il était impossible de ne pas apercevoir le péril.

Les représentants, réunis en groupes, commentaient encore ces graves incidents lorsque, la séance avant été ouverte, le ministre de l'intérieur, M. de Thorigny, monta à la tribune pour y lire le message. Le personnage paraissait bien mince pour un si grave emploi, et, à droite, les rires dédaigneux se continrent à peine. L'hilarité fut de courte durée, et les visages reprenant leur expression sérieuse, on écouta l'interprète des nouvelles volontés de l'Élysée.

Deux points ressortaient du message : d'un côté, l'imminence d'un vaste complot démagogique organisé pour 1852 et enrôlant à son service tout ce que les partis renferment d'insensé, de violent, d'incorrigible ; d'autre part, la nécessité d'abroger d'urgence la loi du 31 mai et de n'en rien laisser subsister. Le président dénonçait avec une extrême véhémence cette armée du désordre, composée de démagogues ambulants, d'ouvriers nomades, de gens sans ressource et sans foyer, éternels ennemis de la religion, de la morale et de la société ; puis il proposait, comme un remède, de réintégrer au plus vite dans leur droit électoral ces mêmes classes dangereuses qu'il venait de flétrir. Il y avait dans ce double langage une singulière inconséquence : mais cette inconséquence même était habile et surtout préméditée. Grossir le péril social, c'était jeter dans les bras d'un sauveur la bourgeoisie affolée ; proposer le rétablissement du suffrage universel, c'était semer la confusion dans les masses et les laisser incertaines entre l'adhésion et l'hostilité.

Après la lecture du message, les ministres déposèrent le projet d'abrogation et demandèrent l'urgence. L'urgence ayant été rejetée, la proposition suivit les formes ordinaires. L'Assemblée se réunit dans les bureaux pour nommer une commission.

Dans les bureaux, les représentants de l'extrême gauche, devenus subitement les auxiliaires du prince, se firent, comme de raison, les avocats du suffrage universel. Ils invoquèrent l'impopularité de la loi du 31 mai, insistèrent sur le nombre exorbitant de radiations opérées, tentèrent de jeter la division parmi leurs adversaires en objectant que les restrictions au droit de vote étaient peu favorables aux royalistes de l'Ouest. Mais les membres de l'ancienne majorité, poussés à bout cette fois, exhalèrent leurs sentiments avec une extrême vivacité. — Le projet est une audacieuse tentative de pouvoir personnel. L'Assemblée ne peut se déjuger à dix-huit mois d'intervalle. S'il plaît au président de se repentir, qu'il n'espère pas entraîner le Parlement à sa suite. Si la loi a des imperfections, qu'on la corrige, mais qu'on la corrige sans la détruire. Il s'agit ici d'une question, non d'amour-propre, mais de dignité. — Ainsi parlaient non seulement M. Berryer, mais le duc de Broglie, M. de Montalembert, M. Léon Faucher. Le choix des commissaires se ressentit de ces dispositions : deux seulement étaient favorables à l'abrogation, c'étaient M. Grévy, représentant de la gauche, et M. de la Rochejaquelein, esprit indiscipliné, depuis longtemps détaché du gros du parti légitimiste, et ne voyant de salut que dans l'appel au peuple.

La Commission se prononça donc contre le projet gouvernemental. Néanmoins, la première irritation passée, elle tint à adoucir cet acte d'hostilité comme si elle eût encore caressé l'espoir d'un accommodement. Elle élut pour rapporteur M. Daru. Aucun choix ne pouvait être moins désagréable au président. M. Daru était un ami du prince, ami fidèle, quoique attristé, et l'on pouvait être assuré que de ses lèvres ne sortirait aucune parole amère. Le rapport, tout en concluant au rejet, faisait entrevoir une conciliation possible. La discussion s'étant ouverte le 13 novembre, M. de Vatimesnil, l'un des membres les plus honorés de l'Assemblée, se fit l'interprète de ce plan de transaction que M. Daru avait laissé pressentir. Voici quelle était cette combinaison : une commission avait été depuis longtemps nommée pour préparer une loi municipale et s'était appliquée à déterminer les conditions du domicile électoral communal ; ne pourrait-on pas détacher de la loi municipale le titre relatif à l'électorat, le déclarer applicable non seulement aux élections municipales, mais aux élections politiques, et saisir cette occasion pour tempérer dans ses excessives rigueurs la loi du 31 mai ? — Nous ne pouvons pas voter l'abrogation pure et simple, disait en substance M. de Vatimesnil, sans compromettre l'intérêt social et sans nous infliger à nous-mêmes un démenti. Nous sommes donc obligés de rejeter le projet ministériel. Mais que la loi municipale, déjà votée en première lecture, soit mise à l'ordre du jour de l'une des prochaines séances ; qu'on aborde le titre relatif à l'électorat ; alors, sur ce terrain nouveau, l'entente pourra s'établir : la loi du 31 mai sera de la sorte amendée dans ses parties défectueuses, maintenue dans ses principes salutaires.

Ce langage était loyal, et il était tenu par le plus honnête des hommes. Une sorte de fatalité rendait stériles les meilleurs efforts. Le ministre de l'intérieur persista à demander l'abrogation pure et simple, et trouva pour auxiliaire M. Michel de Bourges. Par trois cent cinquante-cinq voix contre trois cent quarante-huit, l'Assemblée refusa de passer à une seconde délibération. C'était pour le Parlement une victoire, mais bien inquiétante et précaire. Toute la gauche et tout le parti de l'Élysée s'étaient ligués contre la droite. Décidément, l'ancienne majorité n'existait plus, et quelques voix, se portant dans un camp ou dans un autre, devaient désormais décider des scrutins.

Le soir même de ce vote, le bruit se répandit au Palais-Bourbon que le coup d'État s'accomplirait la nuit suivante. Le commissaire de police de l'Assemblée annonçait que le président profiterait de l'effet produit sur la population des faubourgs par le refus de rétablir le suffrage universel. Une quarantaine de représentants, parmi les plus zélés, passèrent la soirée chez l'un des questeurs, M. Baze, s'attendant à une alerte. Vers minuit, ils se divisèrent en groupes et poussèrent une reconnaissance jusque dans le quartier de l'Élysée. La tranquillité de la capitale, le profond silence de la nuit les rassurèrent. Le lendemain, cette panique fit le sujet de tous les entretiens. Les journaux de l'Élysée et aussi ceux de la Montagne s'égayèrent fort de ces craintes et raillèrent à l'envi les uns des autres ces patrouilles parlementaires[37]. Rien n'était cependant plus légitime que ces alarmes. Louis-Napoléon avait autour de lui des fonctionnaires militaires et civils tout prêts à l'action : aux yeux de la bourgeoisie, il était le seul défenseur efficace contre le socialisme ; aux yeux des masses, il devenait le champion du suffrage universel. Entre les classes moyennes affolées et le peuple indécis, l'Assemblée serait livrée sans défense à ses coups.

 

VIII

Il reste à raconter le dernier effort du Parlement pour échapper à l'inévitable destin.

Toute illusion sur l'avenir étant impossible, plusieurs des membres importants de la majorité s'étaient, dès le retour de l'Assemblée, réunis en conférence et avaient débattu les moyens de pourvoir à la défense commune. Le général Bedeau, se fondant sur certaines confidences de ses anciens camarades d'Afrique, était à demi rassuré. M. Daru et M. de Broglie, persévérant dans leur longanimité, répugnaient à toute provocation contre le pouvoir exécutif. M. Thiers proposait d'augmenter l'effectif de la garnison spéciale du Palais-Bourbon. Le général Leflô, l'un des questeurs, était le plus alarmé de tous : il ne croyait pas, comme Bedeau, que l'année fût favorable à l'Assemblée : bien au contraire, pour qu'elle se tournât vers la représentation nationale, il fallait, pensait-il, qu'un texte formel, précis, net comme l'évidence, ralliât à la légalité toutes les consciences indécises ou ébranlées. Ce dernier avis, exprimé avec chaleur, produisit une vive impression[38].

La question une fois posée dans ces termes, on rechercha l'état de la législation existante, c'est-à-dire les textes de loi qui subordonnaient au Parlement la force armée. Il y avait d'abord l'article 32 de la Constitution, qui conférait à l'Assemblée nationale le droit de fixer l'importance des forces militaires établies pour sa sûreté et d'en disposer. Ce n'était qu'un principe général qui avait besoin d'être réglementé. Il y avait, en second lieu, le décret du 11 mai 1848 qui attribuait au président le droit de requérir directement les troupes. Si ce dernier décret était encore en vigueur, on ne pouvait rien imaginer de plus explicite. Mais le décret du 11 mai n'avait pas paru au Bulletin des lois : il n'était qu'une partie détachée du règlement de l'Assemblée constituante, règlement qui n'avait pas survécu à cette Assemblée. A la vérité, en 1849, à la suite d'une altercation entre M. Marrast et un général de brigade commandant aux Invalides, sa validité avait été reconnue, tellement reconnue qu'il avait été mis à l'ordre du jour des régiments et affiché dans les casernes. Néanmoins des doutes pouvaient subsister, et il importait qu'il n'y en eût aucun. — Pour dissiper toute incertitude, les trois questeurs, le général Leflô, M. Baze, M. de Panat, rédigèrent une proposition qui reconnaissait au président de l'Assemblée clans les ternies les plus clairs et les moins équivoques la faculté de requérir directement la force armée et toutes les autorités dont il jugerait le concours nécessaire. De la sorte, le droit parlementaire serait consacré, d'un côté, par l'article 32 de la Constitution, qui formulait un principe général, de l'antre, par une loi spéciale qui réglerait l'application de ce principe. Cette proposition fut déposée le G novembre : on l'appela aussitôt d'un nom qui lui est resté : on l'appela la proposition des questeurs.

Il y avait certes quelque chose d'étrange et d'excessif dans cette prétention de donner directement des ordres aux troupes, en dehors même de l'autorité du ministre de la guerre. Si le projet était adopté, il y aurait le général du Parlement et le général de l'Élysée, tous deux en face l'un de l'autre et prêts à la lutte. Mais l'attitude du pouvoir exécutif était elle-même si extraordinaire qu'aucune mesure de défense ne pouvait paraître exorbitante. Vers ce temps-là, Louis-Napoléon semblait prendre à tâche de justifier les défiances de ses adversaires. Recevant, le 9 novembre, les officiers des régiments nouvellement arrivés à Paris : Je me félicite, leur disait-il, de vous voir animés de cet esprit militaire qui fit notre gloire et qui est aujourd'hui notre sécurité. Je ne vous parlerai ni de vos devoirs, ni de la discipline. Vos devoirs, vous les avez toujours remplis avec honneur. La discipline, vous l'avez toujours maintenue intacte à travers les épreuves. J'espère que ces épreuves ne reviendront pas ; mais si la gravité des circonstances les ramenait et m'obligeait de faire appel à votre dévouement, il ne me faillirait pas, j'en suis sûr, parce que, vous le savez, je ne vous demanderai rien qui ne soit d'accord avec mon droit reconnu par la Constitution[39], avec l'honneur militaire, avec les intérêts de la patrie ; parce que j'ai mis à votre tête des hommes qui ont toute ma confiance et qui méritent la vôtre ; parce que, si jamais le jour du danger arrivait, je ne ferais pas comme les gouvernements qui m'ont précédé, et je ne vous dirais pas : Marchez, je vous suis ; mais je vous dirais : Je marche, suivez-moi ![40] Ce langage était, non d'un chef constitutionnel, mais d'un partisan prêt à livrer bataille.

La proposition des questeurs fut renvoyée, commue le voulait le règlement, à la commission d'initiative parlementaire, appelée à donner son avis pour ou contre la prise en considération. Au sein de la commission, un avis intermédiaire se fit jour : la politique de l'Élysée était trop menaçante pour que le projet fût repoussé ; d'un autre côté, le projet lui-même avait une apparence tellement belliqueuse qu'il semblait porter dans ses flancs la guerre civile. On songea à provoquer une déclaration ministérielle qui impliquerait la reconnaissance catégorique du décret du 11 mai 1848 et qui serait portée à la tribune. On avait la confiance que cette déclaration satisferait les plus exigeants et mettrait fin au débat. C'est dans cet esprit que la commission convoqua les ministres de l'intérieur et de la guerre[41].

Ils furent entendus le 10 novembre. Ils déclarèrent, comme on pouvait s'y attendre, que le gouvernement était hostile à la proposition. Le ministre de l'intérieur affecta au surplus le langage le plus conciliant : Quelle cause peut justifier les alarmes ? Serait-ce la nomination du nouveau cabinet ? Attendez ses actes. Serait-ce le projet sur les élections ? Mais dans le message on ne trouverait pas une parole agressive. Ce qu'il faut en présence de l'anarchie menaçante, ce n'est pas affaiblir le pouvoir exécutif, c'est le fortifier ; or, ce serait l'affaiblir que de diviser l'armée en deux camps. Ainsi parla M. de Thorigny. En s'exprimant de la sorte, il était quant à lui 'sincère, et un avenir prochain devait établir sa parfaite innocence.

Le président, M. Vitet, et les commissaires eux-mêmes ne se jugèrent point suffisamment édifiés par ces banales assurances. M. Vitet rappela la législation existante : puis, arrivant à l'objet même de la conférence : Le décret du 11 mai 1848 a-t-il, aux yeux du ministre de la guerre, conservé sa valeur ? La réponse ne se fit pas attendre : Les ordres donnés par le général Rulhières, pendant son ministère, en mai 1849, n'ont pas cessé d'être exécutés. Le décret est toujours copié sur les registres des régiments qui arrivent à Paris et affiché dans les casernes. Le renouvellement de ce décret qui est encore en vigueur aurait un caractère de défiance et produirait un mauvais effet sur les troupes. Que l'Assemblée, d'ailleurs, ajoutait Saint-Arnaud, s'adresse au ministre ; il s'empressera d'exécuter ses ordres et de marcher à sa défense. Cette dernière phrase laissait subsister quelque équivoque. Sans doute, reprit M. Vitet, pour les cas ordinaires, il suffira que le président de l'Assemblée s'adresse au ministre ; mais si le ministre est loin, si l'émeute intercepte les communications... M. Vitet, n'osant faire allusion à un coup d'État, laissait à dessein flotter sa pensée loin de l'hypothèse qu'il prévoyait. On peut toujours trouver le ministre, repartit Saint-Arnaud. Voulant pousser les choses à fond, M. Vitet se décida enfin à prononcer le grand mot qui était dans tous les esprits. Il peut se présenter un autre cas, dit-il avec toutes sortes de ménagements, c'est celui d'antagonisme : cette hypothèse, nous l'espérons, ne se réalisera pas, ne se réalisera jamais, mais les lois sont défiantes par leur nature ; pour ce cas d'extrême défense, le droit de réquisition doit être libre et non subordonné. — Je ne puis répondre à une supposition que je ne saurais admettre, reprit vivement Saint-Arnaud. Le débat s'égarant un peu : Il est bien regrettable, dit le président, que, dans les ordres du jour et circulaires du ministre de la guerre, le silence ait été gardé sur le respect dû aux lois et aux institutions. — A l'armée, répliqua le général, on parle de discipline, non de légalité ; mais il n'a pu entrer dans ma pensée d'oublier la loi ; je serais le premier à la respecter et à la faire respecter. Sur de nouvelles interpellations, les deux ministres affirmèrent à l'envi l'un de l'autre que le décret du 11 mai était encore en pleine vigueur : Saint-Arnaud se contenta de revendiquer pour le ministre le droit de nommer le commandant des troupes du Parlement. C'est dans ces conditions qu'on se sépara.

Parmi les commissaires, le sentiment général était celui de la satisfaction. Le décret du 11 mai 1848 était reconnu par le cabinet dès lors à quoi bon le projet des questeurs ? Il suffirait désormais de prendre acte des déclarations ministérielles, de les faire connaitre à l'Assemblée ; et, du même coup, la belliqueuse proposition du général Leflô s'évanouirait. On se flattait d'avoir trouvé une transaction qui évitait la bataille Un procès-verbal de la séance fut dressé, reconnu exact et adopté. Puis, dans la soirée, les commissaires, répandus dans les couloirs du Palais-Bourbon, communiquèrent à leurs collègues la bonne nouvelle de la paix reconquise. Quelques représentants manifestèrent un peu d'incrédulité. Vous avez bien facilement accepté les assurances de Saint-Arnaud, dit à M. Armand de Melun, secrétaire de la commission, le général Lamoricière. M. de Melun pressentait que la Montagne serait hostile à la proposition. Si nous avions persisté à soutenir le projet, reprit-il vivement, nous aurions été certains d'un échec devant l'Assemblée. Et, faisant allusion aux accointances de Lamoricière avec la gauche : Ce qui aurait consommé notre défaite, c'est la défection des gens qui siègent derrière vous[42].

Le lendemain, l'événement justifia les défiances de Lamoricière. Le ministre de la guerre et avec lui le ministre de l'intérieur protestèrent par lettre contre le procès-verbal ; on s'était mépris sur le sens de leurs paroles : jamais ils n'avaient reconnu que le décret du 11 mai fût encore en vigueur ; bien au contraire, ce décret avait, à leurs yeux, cessé d'exister. Parmi les membres de la commission, ce démenti inattendu provoqua une véritable colère. Le président était M. Vitet ; le secrétaire, M. Armand de Melun, et nul dans l'Assemblée ne se fût avisé de suspecter leur intelligence ou leur droiture. Évidemment, c'était par ordre de l'Élysée que Saint-Arnaud et son collègue désavouaient leurs propres paroles. Le procès-verbal fut de nouveau relu, de nouveau il fut approuvé à l'unanimité. Après un si pénible désaveu, tout essai de transaction eût été vain. Ne pouvant prévenir la lutte, on se décida l'accepter, malgré ses périls. Vingt-trois commissaires coutre six se prononcèrent pour la prise en considération. M. Vitet fut nommé rapporteur. Le 15 novembre, il lut son rapport à l'Assemblée. On avait hâte d'en finir. La discussion publique fut fixée au 17 novembre.

La curiosité était grande et surtout l'anxiété. Il y avait deux partis dont les dispositions n'étaient un mystère pour personne. On n'ignorait pas que les représentants de la droite et les chefs parlementaires, poussés à bout, étaient bien décidés à la résistance. On savait d'autre part que les amis de l'Élysée et les conservateurs qui siégeaient au centre seraient unanimes à rejeter la proposition. Restaient les républicains. Dans cette lamentable scission de la majorité, c'était à eux qu'il appartiendrait de faire pencher la victoire dans le camp où ils se porteraient.

Le 16 novembre et jusque dans la matinée du 17, des conférences eurent lieu entre les membres de la droite et de la gauche. M. Carnot notamment et M. Duvergier de Hauranne discutèrent avec beaucoup de vivacité les conditions d'une entente : C'est le sort de la République qui se joue, disaient les députés de la droite. — Soit, répondait-on à gauche ; mais quelles garanties avons-nous que, la victoire une fois acquise par nos votes, vous ne la tournerez pas contre nous ?La garantie de votre sécurité, ce sont nos divisions. D'ailleurs, il s'agit aujourd'hui non de la monarchie, mais de la République ; c'est sous votre drapeau que nous allons combattre ; c'est plutôt à nous qu'il appartiendrait de demander des gages. Peu à peu, le souvenir des anciennes luttes se ravivait, et, les esprits s'animant, on s'éloignait, loin de se rapprocher. Vous n'avez pas foi dans le peuple, répétaient les membres de la Montagne ; et, les unes après les autres, les conférences se rompaient[43].

Ces dispositions du parti républicain laissaient présager un échec. Cependant la part de l'imprévu était trop grande pour qu'on pût prédire avec certitude le résultat. Quels incidents compliqueraient le débat ? Quelles surprises la discussion ménagerait-elle ? Nul ne le savait. Cela est si vrai qu'à on avait concerté d'avance un plan d'action pour le cas où la proposition des questeurs serait prise en considération. Dès que le dépouillement du scrutin rendrait certain le vote du projet, des troupes seraient dirigées vers le Palais-Bourbon l'entoureraient, laisseraient sortir, non rentrer les représentants. A leur retour à leur domicile, les chefs les plus ardents de l'opposition seraient arrêtés : dans la soirée, le décret de dissolution de l'Assemblée et les proclamations du prince seraient affichés. Le général Magnan et M. de Maupas devaient assister seulement à la première partie de la séance, puis quitter la salle pour se tenir prêts à tout événement[44].

C'est sous cette impression que s'ouvrit ce grand débat, non plus tournoi oratoire comme au temps de la révision, mais duel à mort entre deux pouvoirs irrévocablement séparés.

Au début de la séance, deux ordres du jour de conciliation furent présentés : l'un, émané de M. de Lasteyrie, affirmait le décret du 11 mai 1848 ; l'autre, présenté par MM. Daru Montalembert, Oudinot et quelques autres, se bornait proclamer le droit général que l'Assemblée puisait dans l'article 32 de la Constitution. De ces deux ordres du jour, le premier, qui n'était que la reproduction du projet des questeurs, fut retiré par son auteur ; le second, qui laissait subsiste l'équivoque, se perdit dans le tumulte qui éclata bientôt.

Le général Saint-Arnaud monta à la tribune. Il cachait sous une feinte insouciance l'agitation de son âme : car, ainsi qu'il l'avouait à ses amis[45], il ressentait un grand trouble à l'approche d'une épreuve à laquelle sa vie passée l'avait si pet préparé. Il invoqua la règle de la séparation des pouvoirs ; i rappela le principe de l'unité de commandement, principe nécessaire dans tout État régulier ; il nia le décret du 11 mai portion détachée d'un règlement qui n'avait pas survécu à Constituante. Il reconnut, d'ailleurs, à l'Assemblée le droit de requérir tontes les forces nécessaires à sa défense, mais à la condition que les réquisitions passeraient par la voie hiérarchique. — Cette dernière concession était bien vaine, et le général Leflô, qui succéda à Saint-Arnaud. ne manqua pas de le faire observer. C'est en vue d'un antagonisme possible entre les deux pouvoirs que la proposition est rédigée, dit-il : or, et cas de conflit, le droit de réquisition est dérisoire s'il doit passer par la filière du pouvoir exécutif, du pouvoir exécutif qui serait, en cette occurrence, notre rival et notre ennemi.

C'est à ce moment que la Montagne entra en scène, avec M. Crémieux d'abord et puis avec Michel de Bourges. Tous deux, avec une perfidie bien maladroite, quoique assez naturelle, rappelèrent la longue alliance du président et de la majorité, tant de mesures prises en commun, tant de combats livrés contre la République ; ils feignirent de croire que l'irritation des royalistes n'avait d'autre cause que la perspective du suffrage universel rétabli ; ils raillèrent les terreurs des parlementaires. Michel de Bourges trouva pour apaiser les craintes un mot emphatique qui est devenu fameux, tant il révélait d'aveuglement ! Il n'y a pas de danger, s'écria-t-il, et j'ajoute que s'il y avait un danger, il y a ici une sentinelle invisible qui nous protège ; cette sentinelle invisible, c'est le peuple. A ce langage les Montagnards applaudirent. IIs n'étaient pas unanimes toutefois : quelques-uns se refusaient à croire à cette sentinelle invisible ; tel était notamment le colonel Charras, qui connaissait le général Saint-Arnaud et qui, se détachant du gros de ses amis, appuya la proposition des questeurs.

L'attitude de la Montagne indiquait la tactique à adopter. Il importait de lui remettre sous les yeux le péril qu'elle ne voulait point voir, de tendre la main aux républicains prévoyants, d'opérer au cours même des débats cette fusion que les conférences des représentants n'avaient pu réaliser jusque-là, de former en un mot, entre la droite et la gauche, une de ces coalitions qui, en temps normal, sont condamnables, mais que l'urgence du danger explique parfois.

Cette tactique ne fut pas comprise tout de suite. Déjà le général Leflô, avec plus de vérité que d'à-propos, avait rappelé que si, au 24 février, la Chambre des députés avait eu le droit de réquisition directe, la l'évolution n'aurait pu se consommer. M. Vitet, qui répondit à Michel de Bourges, aggrava cette imprudence. M. Michel de Bourges, dit-il avec une ironie hautaine, a demandé au rapporteur de motiver un seul péril qui justifiât la proposition. M. Michel vient de nous en révéler un, c'est son intime alliance avec ceux qu'il protège. Le mot était d'une précision cruelle, mais impolitique. La Montagne s'indigna d'autant plus du reproche qu'elle en sentait la justesse. Vous avouez que la proposition est faite contre nous ! s'écria M. Schœlcher. M. Charras, qui avait soutenu le projet, provoqua des explications. Les représentants du centre, voulant que le scrutin s'ouvrit sous l'impression de ces méfiances, réclamèrent avec insistance la clôture. Déjà elle était prononcée quand M. Thiers demanda la parole.

Dès ce moment, la séance prit un intérêt vraiment dramatique et appartient tout entière à l'histoire. M. Thiers avait assisté avec émotion à ces débats. En entendant les téméraires paroles de M. Vitet, il en avait compris la déplorable inopportunité. On le voyait s'agiter sur son banc, puis lever vers le ciel des bras éperdus. Quand il voulut prendre la parole, la Montagne, qui avait tant de fois éprouvé à ses dépens l'habileté d'un tel adversaire, poussa de véritables clameurs. La clôture est prononcée, disait-on. Parmi les plus hostiles se faisait remarquer le prince Napoléon, qui servait à la fois la démagogie et l'Élysée. Sur certains bancs du centre, la confusion n'était guère moindre qu'à l'extrême gauche. M. Thiers monta et redescendit plusieurs fois les degrés de la tribune qui était entourée et comme assiégée. Sa voix, étranglée par l'anxiété, était à peine distincte. Malgré ses efforts, un grand nombre de représentants se refusaient à ce qu'il parlât. A la fin cependant, le président ayant consulté l'Assemblée, la curiosité l'emporta sur la passion, et l'on décida que la séance continuerait.

Au milieu de cette Assemblée houleuse, jamais orateur ne déploya un art plus consommé. La question n'a-t-elle pas à vos yeux une gravité assez grande pour que quelques explications, données à ce moment suprême, vaillent la peine d'être écoutées ? On nous demande si nous votons la proposition contre un parti ou contre un autre. Non. Nous votons la proposition parce qu'il s'agit pour nous de l'Assemblée... Ce n'est pas une question de parti, c'est une question de principe.

Malgré ces précautions de langage, la gauche ne se laissait pas ramener. Mettez-vous d'accord avec M. Vitet ! criaient les uns ; d'autres évoquaient, sous forme d'interruption, les anciens dissentiments entre la droite et la gauche : sur quelques bancs, on persistait à réclamer la clôture. Est-il vrai, oui ou non, reprend M. Thiers, que l'Assemblée constituante, dont apparemment vous ne voulez pas décliner l'autorité, avait reconnu comme indispensable pour sa sécurité la faculté de réquisition directe ? Cela est-il vrai ? Est-il vrai que, dans la commission, qu'aujourd'hui encore, le ministre ait nié et nie à l'Assemblée cette faculté ?... Cela est-il vrai, oui ou non ? Poussant à fond le débat, M. Thiers écarte la loi du 31 mai, fait justice de tous les motifs de division, présente le projet comme une mesure de sécurité, rappelle la circulaire récente de Saint-Arnaud : le général Baraguey d'Hilliers, le général Magnan ont, dans leurs ordres du jour, protesté de leur attachement à la loi ; pourquoi le nouveau ministre de la guerre a-t-il gardé sur ce point le silence ?

Ainsi parle M. Thiers : mais la gauche qu'il a tant de fois confondue reste sourde à ses avances et prend plaisir à se venger. Elle coupe d'interruptions ou d'injures chacune de ses phrases. L'orateur, brisé par la fatigue, ne peut plus se faire entendre aux extrémités de la salle. Ceux qui l'ont vu ce jour-là ont gardé le souvenir de l'émotion extraordinaire qui se peignait sur ses traits et se reflétait dans sa parole heurtée, saccadée, quoique toujours maîtresse d'elle-même. Sou agitation nerveuse était telle que ses mains, dit-on, tremblaient, et que des larmes tombaient de ses yeux. Enfin, épuisé de ses propres efforts : Il est impossible, dit-il d'un ton découragé, il est impossible, au milieu de ces interruptions, de suivre un raisonnement. Et, se tournant vers la gauche : Dites à la France que, lorsqu'il s'agissait de l'indépendance de l'Assemblée, de l'avenir du gouvernement représentatif, de la dernière Assemblée peut-être qui nous représentera véritablement, du grand principe de la réquisition directe, de l'intérêt supérieur de la loi... vous n'avez pas voulu m'écouter.

Pourtant, avant la fin de la séance, un dernier incident survint qui laissa planer sur l'issue finale un reste d'incertitude. Le général Saint-Arnaud venait de répéter qu'il ne contestait pas le droit de l'Assemblée, à la condition que les réquisitions fussent transmises par voie hiérarchique. Jules Favre venait de renouveler contre la proposition les inintelligentes critiques de M. Crémieux et de Michel de Bourges. Soudain le général Bedeau se présenta à la tribune : Est-il vrai, dit-il, que le décret du 11 mai, approuvé dans sa signification légale par M. Barrot, affiché dans les casernes par le général Rulhières, qui était encore affiché il y a quelques jours, est-il vrai que, par l'ordre du pouvoir exécutif, ce décret ait été retiré ?

A cette interrogation pressante et inattendue, l'émotion triompha de la lassitude, et un grand silence se fit. Tous les yeux se tournèrent vers le banc ministériel. M. de Saint-Arnaud et M. de Thorigny conférèrent entre eux : puis M. de Thorigny se leva connue pour parler. Le ministre de la guerre ! cria-t-on de toutes parts. Saint-Arnaud prit la parole. Le décret, dit-il, n'était plus affiché que dans un petit nombre de casernes. Lorsque je suis arrivé au ministère, il m'a été demandé si ce décret devait être exécuté... J'ai dit qu'on l'enlevât partout où il existait encore.

Saint-Arnaud avait été écouté sans murmures, tant la stupéfaction était grande ! Lorsqu'il se fut assis, le tumulte éclata. Les membres de la commission d'initiative rappelaient que, huit jours auparavant, le ministre avait affirmé la légalité du décret du 11 mai, et ils dénonçaient la flagrante imposture. Beaucoup de représentants, debout et groupés autour du banc ministériel, interpellaient avec violence les membres du cabinet. Pourquoi avoir lacéré le décret du 11 mai, si l'on ne nourrissait pas de factieux desseins ? MM. Baze, Crémieux, Druet-Desvaux se disputaient l'accès de la tribune. Une partie de la Montagne semblait s'associer elle-même aux colères de la droite. Demandez la mise en accusation, s'écriait Charras, et nous la voterons. — Au milieu de cette confusion, MM. Magnan et de Maupas, qui assistaient à la séance dans l'une des tribunes publiques, se concertèrent du regard avec le ministre de la guerre et quittèrent la salle. M. de Morny était déjà parti. Saint-Arnaud sortit à son tour. On a raconté qu'à cette heure même son calme ne s'était pas démenti : On fait trop de bruit dans cette maison, aurait-il dit, je vais chercher la garde. D'autres, au contraire, qui l'ont vu à ce moment, affirment qu'il était pile, troublé, soucieux. Quelques instants après, les futurs complices du coup d'État étaient réunis, les uns à l'état-major des Tuileries, les autres à l'Élysée. Ils attendaient, prêts à l'action immédiate, si la proposition des questeurs obtenait la majorité.

Ils ne furent pas réduits à cette extrémité. La Montagne, devenue l'auxiliaire de Louis-Napoléon, prit à tâche de la leur épargner. Les aveux provoqués par Bedeau ne suffirent pas à convertir l'Assemblée. Ni Charras ni Cavaignac ne purent rallier le gros de leurs amis. On alla au scrutin. La prise en considération fut repoussée par 408 voix contre 300. Cette majorité nouvelle se composait de trois éléments : d'abord, la gauche tout entière, sauf quelques esprits clairvoyants tels que à MM. Dufaure, Charras, Cavaignac, Bixio, Grévy, Corne, et plusieurs autres ; en second lieu, tout le parti de l'Élysée ; en troisième lieu, le groupe des conservateurs qui, comme Montalembert, M. Buffet, M. Léon Faucher, voulaient malgré tout ménager le président. La droite monarchique seule avait voté en masse pour la proposition.

La bonne nouvelle fut portée à l'Élysée. Elle y fut accueillie avec joie, et non sans raison. Si le projet eût été voté, l'Assemblée eût sans cloute nommé aussitôt un général pour sa défense. Il eût fallu exécuter le coup d'État, non la nuit, mais en plein jour ; non en face d'une Assemblée surprise à l'improviste, mais en face des représentants exaltés par leur propre succès et peut-être déjà munis de troupes pour leur sûreté. En outre, les chefs militaires, au lien d'être pleinement confiants dans leur droit, eussent été troublés par le vote récent du Parlement. La proposition des questeurs rejetée, on pouvait choisir à l'aise le moment, l'heure, l'occasion.

Ce ne fut pas seulement dans l'entourage du prince qu'on se réjouit, ce fut aussi dans les rangs de la Montagne. A l'extrême gauche, on avait accueilli le résultat du vote par les cris : Vive la République ! et beaucoup de représentants démocrates, en quittant le Palais-Bourbon, laissèrent éclater leur imbécile satisfaction. Ils ignoraient quel destin prochain les attendait. La République, créée par un coup de force, allait périr par un autre coup de force : et, pour comble de disgrâce, elle venait de recevoir l'atteinte mortelle de la main même de ceux qui l'avaient fondée.

 

IX

Ce qui suivit ce vote mémorable n'est plus que la préface immédiate du coup d'État.

L'Assemblée offrait l'image d'une véritable Babel. Elle était grande encore par les individualités qu'elle renfermait : mais, dans l'ensemble, elle ne présentait plus qu'incertitude et confusion. Elle était irrévocablement partagée en trois fractions ennemies : la gauche, la droite, le parti de l'Élysée. Ces partis étaient divisés dans leur propre sein. Que de nuances dans la gauche depuis Dufaure jusqu'à Cavaignac, et depuis Cavaignac jusqu'à Madier de Montjau ! Que de fractions dans la droite depuis Berryer jusqu'à Thiers ! Dans les centres eux-mêmes, quelle divergence de vues ! Ici, Montalembert, uniquement occupé des intérêts sociaux on religieux, servant parfois le prince, mais sans l'aimer et presque sans le connaitre ; là, M. Daru et M. Léon Faucher, amis de Louis-Napoléon, plus amis encore de l'ordre légal ; plus loin, M. Baroche et M. Rouher, ministres d'hier et de demain ; plus loin encore, M. de Morny et M. de Persigny, confidents intimes de l'Élysée, mais eux-mêmes, par un dernier contraste, si différents par l'origine, l'esprit ou les goûts !

Les entretiens de chaque jour, bien mieux que les discussions de la tribune, révélaient cet émiettement des partis. Le lendemain du vote sur la proposition des questeurs, les plus ardents ne songeaient qu'à réparer leur défaite : un projet de loi sur la responsabilité du président venait d'être renvoyé du conseil d'État ; on y entrevoyait déjà l'occasion d'une prochaine revanche : une commission fut nommée pour l'examen du projet, et elle se composa uniquement de monarchistes et de Montagnards. De leur côté, les conservateurs modérés se répandaient en doléances sur la dissolution de la majorité : malgré toutes les apparences contraires, ils voulaient espérer encore. Le président a besoin de l'Assemblée, répétaient-ils, et l'Assemblée a besoin du président. D'autres se voilaient les yeux pour ne pas voir le péril : ils se refusaient surtout à croire à l'imminence d'une révolution militaire. L'Afrique, écrivait vers ce temps-là l'un des représentants les plus honorables de la droite, l'Afrique n'a pas appris à l'armée un pareil rôle : elle y porte les mœurs de la France, elle n'en rapporte pas les mœurs de l'Orient ; on ne part pas de Paris colonel, capitaine, général, pour y revenir janissaire[46]. Beaucoup enfin, lassés de leurs propres émotions, n'apercevant nulle part d'issue, renonçaient à diriger les événements : ils se résignaient presque à un coup de force, et ils en discutaient les chances avec une sorte d'impartialité sceptique, comme si leur propre sort leur fût devenu indifférent. Les amis particuliers du prince se répandaient dans les groupes ; les uns, plus naïfs ou moins sincères, niaient les projets de l'Élysée ; les autres, plus hardis ou mieux informés, avaient parfois l'audace de les dévoiler. Je parie ma tête qu'il n'y aura pas de coup d'État, disait familièrement l'un des ministres, M. de Casabianca, le lendemain du vote sur la proposition des questeurs. — Et moi, reprit avec vivacité M. de Persigny, je parie la mienne qu'il y en aura un[47]. M. de Persigny, qui avouait avec une si tranquille audace les intentions du président, se donnait d'ailleurs beaucoup de peine pour recruter des adhérents à la politique de son maitre. Malgré les étrangetés de sa nature, il devait à sa franchise et aussi à l'intégrité de sa réputation financière certaines sympathies. Laissez-nous faire, messieurs de la droite, disait-il, et la révolution se fera à votre profit : sinon, il faudra que nous cherchions ailleurs un appui. Nous nous adresserons à la multitude et nous le ferons sans scrupule : car, après tout, disait-il, d'un ton moitié plaisant, moitié sérieux, nous, nous n'avons pas de châteaux à perdre[48]. Ces avances étaient plus sincères qu'ou ne le croyait. Volontiers, même à cette heure, Louis-Napoléon dit gouverné avec le parti monarchique, mais à une condition qui rendait l'accord irréalisable, à la condition de l'asservir à ses desseins et de l'absorber en lui.

Pendant que le Parlement assistait ainsi à sa propre agonie, le président achevait d'organiser ses forces.

Son attention se portait surtout sur l'armée. La garnison de Paris, en y comprenant les Forts, Courbevoie, Saint-Denis, Saint-Cloud, Rueil et Vincennes, se composait de vingt régiments d'infanterie, quatre bataillons de chasseurs à pied, deux régiments de lanciers, dix-neuf batteries d'artillerie, sans compter les corps spéciaux à la capitale, tels que la garde républicaine et la gendarmerie mobile[49]. Elle était partagée en onze brigades formant trois divisions qui étaient commandées par les généraux Carrelet, Renault et Levasseur, et étaient groupées sous le commandement supérieur du général Magnan. A ces forces, il fallait joindre le 12e dragons, caserné à Saint-Germain, et la division de grosse cavalerie de Versailles placée sous les ordres du général Korte. — Cette armée — car on pouvait lui donner ce nom —, redoutable par le chiffre de son effectif, ne l'était pas moins par sa solidité et aussi par les dispositions qui l'animaient. Parmi ces régiments on remarquait le 14e de ligne, qui, le 24 février, avait combattu au Château-d'Eau ; le 42e, qui tenait garnison à Boulogne, quand Louis-Napoléon avait tenté sa descente sur cette côte ; le 6e, dont le colonel, M. Garderens de Boisse, avait adressé à ses soldats l'ordre du jour que l'on a vu. L'un des deux régiments de lanciers s'était distingué, à l'époque des revues de Satory, par la chaleur de ses acclamations. Enfin, la garde républicaine avait recueilli dans ses rangs bon nombre de ces malheureux gardes municipaux que les insurgés de 1848 avaient traités avec tant de cruauté. — Les chefs n'avaient pas été moins habilement choisis que les soldats. La plupart avaient servi en Afrique, et avec éclat. Aux qualités militaires communes à presque tous, beaucoup joignaient un dévouement particulier pour le prince ou une haine implacable contre la démagogie. Le général de division Renault, le général Marulaz, le colonel Espinasse avaient été l'objet d'avancements récents : il en était de même des généraux de Cotte, Ripert, d'Allonville[50]. Le général Dulac, le général Korte, le général de Cotte avaient combattu les insurgés de juin : le général Carrelet était un ancien colonel de gendarmerie. Revues, faveurs, promesses, rien n'avait été négligé. On a vu les ordres du jour de Saint-Arnaud et le discours prononcé, le 9 novembre, par Louis-Napoléon. Les corps d'officiers des régiments de lanciers, nouvellement arrivés à Paris, s'étaient mutuellement reçus, et ces politesses réciproques, très naturelles par elles-mêmes, étaient devenues l'occasion de bruyantes protestations de dévouement. Le 26 novembre, le général Magnan, réunissant les généraux de la garnison de Paris et leur laissant entrevoir les événements qui étaient proches, leur rappela que, quoi qu'il pût arriver, il les couvrirait de sa responsabilité. Pour exciter davantage le zèle des troupes, on leur laissait volontiers entendre que, le 24 février, elles avaient été humiliées par les démagogues, et qu'elles avaient une revanche à prendre. Enfin, on raillait les généraux du Parlement, et l'on s'assurait ainsi qu'au jour de l'action, pas un bataillon ne se laisserait entraîner par eux. — Quant à la garde nationale, cet autre élément de la force publique, le seul souci était, non de l'utiliser, mais d'empêcher qu'elle ne se montrât. On lui donna un nouveau général, le général Lawœstine, et un nouveau chef d'état-major qui s'appelait Vieyra. L'un et l'autre ne devaient avoir d'autre rôle que de retenir dans l'inaction les légions qu'ils commandaient.

Quand on prépare quelque surprise, c'est une diversion assez commune que d'accuser les desseins de ses adversaires. Cette tactique, bien que vulgaire, manque rarement de réussir Le prince et ses amis ne dérogèrent point à cette coutume. Le 24 novembre, l'un des journalistes favoris de l'Élysée, M. Granier de Cassagnac, dénonça, dans un article véhément du Constitutionnel, les prétendues conspirations de l'Assemblée et deux projets successifs de dictature : une dictature blanche avec le général Changarnier, une dictature rouge avec le général Cavaignac. L'article fit sensation par le double motif de son extraordinaire violence et de son origine officieuse. Signaler le complot était plus aisé que le prouver. Lorsque, le lendemain, le représentant Creton, et, après lui, Berryer, sommèrent le cabinet de déclarer s'il avait entre les mains quelque indice d'un complot parlementaire, les ministres se bornèrent à décliner toute solidarité entre le journaliste et eux : puis, sur des instances plus pressantes, ils confessèrent en termes embarrassés qu'ils n'avaient surpris aucunes traces de menées inquiétantes pour la paix publique. M. Granier de Cassagnac fut amplement dédommagé de l'implicite désaveu du cabinet par la chaleureuse approbation du prince : celui-ci le reçut, le félicita, lui prescrivit d'écrire de nouveaux articles d'une égale âpreté. Ne craignez pas d'en trop dire, aurait-il ajouté dans un langage familier, chauffez la chaudière énergiquement, car je désire qu'elle éclate[51]. Lui-même, avec la réserve que son rang lui commandait, ne dédaignait pas de s'employer au même résultat. Comme il présidait, le 25 novembre, la distribution solennelle des récompenses aux exposants français de Londres, il saisit cette occasion pour flétrir les idées démagogiques et les hallucinations monarchiques : il signala ces royalistes devenus conventionnels pour désarmer le pouvoir issu du suffrage populaire... Combien cette nation serait grande, ajouta-t-il, si l'on voulait la laisser respirer à l'aise et vivre de sa vie !

On atteignit ainsi le moment du coup d'État.

Dans l'Assemblée, les derniers jours qui précédèrent ce suprême dénouement furent relativement paisibles et presque sans orages. Après les débats de la proposition des questeurs, les esprits lassés cédaient à cette prostration qui suit d'ordinaire un grand effort. La droite, soucieuse de modifier la loi du 31 mai sans l'abroger, avait détaché de la loi municipale le titre relatif à l'électorat : la durée du domicile avait été réduite à deux ans, et il ne s'en était fallu que d'une voix qu'elle le fût à un an. Les représentants modérés s'ingéniaient à conjurer la crise de 1852 et cherchaient, avec plus de bonne volonté que de bonheur, une solution qui sauvegardât la légalité. Dans la réunion de la rue des Pyramides, on songeait à une nouvelle proposition de révision. La commission chargée de l'examen du projet sur la responsabilité du président de la République était le seul asile où les passions bruyantes trouvassent un écho ; mais, même clans cette commission, la perplexité était grande : si l'on adoptait des mesures préventives, le projet revêtait des formes vexatoires ; si l'on n'en adoptait point, la répression risquait de n'arriver que quand le mal serait accompli. Au milieu de tous ces travaux législatifs, une sorte de sécurité régnait, sécurité trompeuse assez semblable aux espérances obstinées des mourants. On ne consommera pas le coup d'État avant le 1er janvier, disait-on, on ne voudra pas troubler le commerce de Paris... — Nous avons encore un mois devant nous, répétait le général Changarnier, qui avait quelques intelligences dans la police de M. Carlier. A la vérité, des confidences assez précises furent faites, assure-t-on, à M. Duvergier de Hauranne et à M. de Malleville, et ceux-ci eu furent d'abord impressionnés ; mais lorsque l'auteur de cet avis ajouta que M. de Morny serait le principal agent du complot, ils se récrièrent : Quoi ! ce joueur, cet homme de plaisir ! et ils crurent à une mystification[52]. Le 30 novembre, une élection eut lieu à Paris, au milieu de la capitale paisible jusqu'à l'indifférence. Le lendemain, 1er décembre, l'Assemblée discuta, comme dans les temps les plus calmes, la loi électorale municipale et la question du chemin de fer de Lyon à Avignon.

Ces derniers jours furent employés par le prince en conférences avec ses auxiliaires qu'il recevait parfois ensemble et plus souvent en tête-à-tête. Les rôles, arrêtés d'avance, furent définitivement distribués. Déjà le général Saint-Arnaud occupait le ministère de la guerre, et M. de Maupas la préfecture de police. Il fut décidé que M. de Morny prendrait, au moment de l'action, le ministère de l'intérieur. Quant aux autres portefeuilles, on résolut d'y pourvoir plus tard, quand le succès aurait enhardi les bonnes volontés jusque-là un peu craintives. M. de Morny, le général de Saint-Arnaud, M. de Maupas paraissent avoir été, avec M. Mocquard, secrétaire du prince, et MM. de Persigny et Fleury, ses amis particuliers, les seuls confidents du coup d'État. Le général Magnan, commandant de l'armée de Paris, avait promis son concours, mais avait demandé à n'être prévenu qu'à la dernière heure et en recevant les ordres d'exécution. Le prince ne s'ouvrit de ses desseins à aucun des membres de sa famille. Sans doute, dans l'entourage de Louis-Napoléon, on put saisir des fragments de conversation, recueillir des bruits, surprendre des demi-confidences. Des généraux avaient été sondés ; des mesures préparatoires avaient été prises ; quelques agents de la police avaient pu, à certaines instructions, deviner l'œuvre qu'on méditait et en pressentir même l'heure ou le plan : de là, certains avis à mots couverts transmis aux députés, avis accueillis avec peu de confiance, tant on avait été souvent trompé par de faux avertissements ! Malgré ces indiscrétions inévitables, on peut dire, d'une façon générale, que le silence fut bien gardé. Le secret put être deviné, mais ne fut ni complètement divulgué, ni surtout trahi.

Chose étrange ! tandis que l'Assemblée, arrivée à l'heure fatale, se rassurait à demi sur son sort, le président, sur le point d'engager la suprême bataille, éprouva, assure-t-on, un instant d'incertitude. Lui qui recommandait à M. Granier de Cassagnac un redoublement d'invectives, lui qui, dans son discours aux exposants de Londres, dénonçait les monarchistes à l'égal des Montagnards, il parut hésiter à poursuivre jusqu'au bout ses desseins. Était-ce timidité, répugnance à briser avec une portion du parti de l'ordre, dernier respect pour de solennels serments ? Nul n'a pénétré le secret de celte âme qui ne se livrait guère. Toutes ces suppositions sont cependant vraisemblables. Le prince était poussé hors des voies légales par ambition, instinct de conspirateur, difficulté d'une solution régulière, impossibilité de revenir au rang de citoyen ; mais, par nature, il était bon, doux, bienveillant envers les personnes, et surtout répugnait aux violences. Le coup d'État, d'abord fixé au 20 novembre, fut remis au 25, puis au 2 décembre. Au dernier moment, Louis-Napoléon aurait voulu tarder encore. Tout était prêt : ses conseillers insistèrent, et il céda[53]. La date du 2 décembre fut maintenue ; c'était d'ailleurs une date fatidique pour les Bonaparte : c'était l'anniversaire d'Austerlitz.

 

 

 



[1] Rapport du général Herbillon sur le siège de Zaatcha. (Moniteur de 1850, p. 2941.) — Le Siège de Zaatcha, par M. Ch. BOCHER. (Revue des Deux Mondes, 1er avril 1851.)

[2] Correspondance du maréchal de Saint-Arnaud, t. II, p. 183 et 295.

[3] Lettre du 26 décembre 1848. (Correspondance, t. II, p. 103.)

[4] Lettre du 22 novembre 1849. (Correspondance, t. II, p. 227.)

[5] Correspondance, t. II, p. 238

[6] Lettre du 3 février 1850. (Correspondance, t. II, p. 241.)

[7] Lettre du 11 novembre 1850. (Correspondance, t. II, p 309.)

[8] Lettre du 15 décembre 1848. (Correspondance, t. II, p. 191.)

[9] Lettre du 20 novembre 1850. (Correspondance, t. II, p. 310.)

[10] Correspondance du maréchal de Saint-Arnaud, t. II, p. 316.

[11] Rapport du ministre de la guerre au président de la République sur l'expédition de Kabylie.

[12] Correspondance du maréchal de Saint-Arnaud, t. II, p. 322 et 330.

[13] Rapport du ministre de la guerre. — Saint-Arnaud (Correspondance, t. II, p. 37) parle de deux cent soixante-dix blessés et de quatre-vingt-dix-sept tués. Nous avons adopté de préférence la version officielle.

[14] Correspondance du maréchal de Saint-Arnaud, t. II, p. 347.

[15] Correspondance, t. II, p. 330.

[16] Procès de Boulogne. Cour des pairs, audience du 30 septembre. Déposition du général Magnan. (Gazette des Tribunaux, 1er octobre 1840.)

[17] Souvenirs du général Fleury, t. Ier, p. 144.

[18] RANDON, Mémoires, t. Ier, p. 42-44.

[19] J'ai passé hier la journée à Vincennes chez le colonel Répon avec Canrobert, d'Allonville, Marulaz... Tout Orléansville était là. (Lettre de Saint-Arnaud, 11 septembre 1851. — Correspondance, t. II, p. 360.)

[20] RANDON, Mémoires, t. Ier, p. 38 et 39.

[21] Voir Odilon BARROT, Mémoires, t. IV, p. 169.

[22] M. DE MAUPAS, Mémoires, t. Ier, p. 184.

[23] M. de Morny est venu voir Clément ; il lui a dit qu'il ne voyait plus qu'une chance de salut pour la France : il fallait appeler Henri V au trône. Il veut faire le voyage de Frohsdorf à l'insu des siens. — (Journal de la princesse Mélanie, août 1848, Mémoires du prince de Metternich, t. VIII, p. 31.)

[24] Voir Gazette des Tribunaux, août 1851.

[25] Voir Œuvres de Léon Faucher, t. II, p. 519, 521, 531.

[26] M. DE CASSAGNAC, Souvenirs du second empire, Ire série, p. 142. — M. MERRUAU, Souvenirs de l'Hôtel de ville, p. 437.

[27] M. DE MAUPAS, Mémoires, t. Ier, p. 208-215.

[28] Dépêche du 21 avril 1851 au Préfet des Landes et séance parlementaire du 23 mai 1851. (Moniteur de 1851, p. 1468.)

[29] Chiffre fourni par le ministre de l'intérieur à la seizième commission d'initiative parlementaire.

[30] Le Constitutionnel, 10, 16, 21, 26 mai 1851, 11 septembre 1851.

[31] RANDON, Mémoires, t. Ier, p. 39 et suivantes.

[32] Ces réquisitions furent saisies plus tard et publiées par le Constitutionnel, n° du 16 décembre 1851.

[33] Le Times, 16 octobre 1851.

[34] M. DE MAUPAS, Mémoires, t. Ier, p. 192.

[35] M. Armand DE MELUN, Mémoires inédits.

[36] RANDON, Mémoires, t. Ier, p. 48.

[37] Voir notamment le Constitutionnel, n° du 15 novembre 1851.

[38] BARROT, Mémoires, t. IV, p. 187.

[39] Le Moniteur parisien, en rapportant ce discours, omit ces mots : reconnu par la Constitution.

[40] Œuvres de Napoléon III, t. III, p. 266.

[41] M. Armand DE MELUN, Mémoires inédits.

[42] M. DE MELUN, Mémoires inédits.

[43] BARROT, Mémoires, t. IV, p. 193.

[44] M. DE MAUPAS, Mémoires, t. Ier p. 253.

[45] Correspondance, t. II, p. 363.

[46] M. FRESNEAU, la Planche de salut.

[47] M. DE MELUN, Mémoires inédits.

[48] M. DE MELUN, Mémoires inédits.

[49] Annuaire militaire, années 1851 et 1832.

[50] Le Général de Cotte avait été promu le 3 janvier 1851 ; le général de division Renault, le 14 juillet ; les généraux Marulaz et Rippert, le 3 août ; le général d'Allonville, le 31 octobre ; le lieutenant-colonel Espinasse avait été nommé colonel le 14 juillet. (Annuaire militaire de 1852.)

[51] M. GRANIER DE CASSAGNAC, Souvenirs du second Empire, 1re série, p. 206.

[52] BARROT, Mémoires, t. IV, p. 213.

[53] M. DE MAUPAS, Mémoires, t. Ier, p. 275.