HISTOIRE DE LA SECONDE RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

1848 - 1852

TOME SECOND

 

LIVRE QUINZIÈME. — LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT.

 

 

I

On s'entretenait encore des débats sur la question romaine lorsqu'une évolution brusque, se produisant à l'Élysée, fournit à la curiosité publique un nouvel aliment.

Le vote récent des crédits relatifs à l'expédition de Rome avait marqué la communauté de vues entre le ministère et la majorité. Il ne restait plus trace des légers dissentiments qui naguère s'étaient élevés. Mais, aux yeux du plus grand nombre, c'était l'auteur de la lettre à Edgar Ney qui avait payé les frais de cet accord ; et Louis-Napoléon était moins disposé que jamais à accepter pour sa politique personnelle unetelle humiliation. Le silence de M. Thiers l'avait profondément blessé : le langage de M. Barrot ne lui avait paru qu'une insuffisante réparation. Dans cet état d'esprit, il repassait volontiers tous les incidents qui, depuis une année, avaient blessé son amour-propre. Ses ministres paraissaient le protéger plus que le servir : le plus souvent, ils arrivaient au conseil avec des opinions arrêtées d'avance : il avait peine à obtenir, lui chef d'État, que ses lettres fussent lues et publiées. Que lui restait-il, sinon la pompe extérieure du pouvoir, les voyages princiers, les solennelles inaugurations de chemins de fer, les réceptions, peu suivies encore, de l'Élysée ? La mauvaise humeur du président était si réelle qu'elle se reflétait jusque sur son visage d'ordinaire impassible. Impatient d'échapper à la tutelle du cabinet ou de l'Assemblée, il revenait à toutes les idées de sa jeunesse. A l'intérieur, retour à la politique révolutionnaire et rupture complète avec la droite ; à l'extérieur, alliance avec la Prusse contre les puissances rétrogrades et abandon de la papauté, tels étaient les projets dangereux ou chimériques qu'il accueillait ou rejetait, suivant que le dépit ou la sagesse l'emportait dans son âme. Je crains quelque folle entreprise, écrivait le 26 octobre M. de Tocqueville, et je ne puis dire quelles mauvaises nuits nous avons passées[1]. Les agents de notre politique à Rome étaient surtout l'objet de la réprobation de Louis-Napoléon. Le général Rostolan est trop attaché au parti prêtre, ne cessait-il de répéter. Il avait d'abord songé à lui donner pour successeur le général Randon, qui était protestant[2] ; puis, sur le refus de celui-ci, il désigna pour le remplacer le général d'Hautpoul et, quelques jours plus tard, le général Baraguey d'Hilliers. Quant à M. de Corcelles, le président proposa, le 29 octobre, de le désavouer publiquement : le cabinet ayant refusé de s'associer à une telle mesure, le prince céda, mais de si mauvaise grâce qu'on craignit qu'une note de désaveu ne fût publiée malgré le ministère et à son insu : cette appréhension était si vive que le ministre de l'intérieur, M. Dufaure, recommanda au directeur du Moniteur de ne consentir à aucune insertion sans lui en avoir référé, cette demande d'insertion vint-elle de l'Élysée[3]. Les ministres ne se faisaient guère illusion sur leur chute prochaine. Quoiqu'ils ne fussent pas encore remplacés, plusieurs d'entre eux avaient déjà abandonné la direction des affaires. M. Odilon Barrot, malade et découragé, s'était retiré à Bougival. M. de Falloux, démissionnaire de fait depuis plus d'un mois, était parti pour le Midi où l'appelait le soin de sa santé ébranlée. M. Dufaure et M. de Tocqueville étaient restés à Paris, inquiets, vigilants, cherchant à contenir le prince sans le pousser à bout, et se demandant à quelle résolution nouvelle sa mauvaise humeur le porterait.

L'orage éclata le 31 octobre. Il éclata, non, comme le craignit un instant M. de Tocqueville, sous la forme d'un coup d'État, mais sous la forme beaucoup plus bénigne d'un manifeste. Le matin, le président réunit ses ministres, leur exposa les dissentiments qui rendaient une séparation nécessaire, et leur demanda leur démission. Il les combla d'ailleurs de ses témoignages d'estime, et il le fit avec cette aménité qui lui était familière et qui désarmait souvent les plus légitimes griefs : mime il avait envoyé à M. Odilon Barrot, retenu encore à Bougival, le grand cordon de la Légion d'honneur que celui-ci avait refusé. — A la fin de la séance parlementaire, un aide de camp venu de l'Élysée arriva au Palais-Bourbon, et, s'approchant du fauteuil du président, lui remit un message de Louis-Napoléon. On achevait alors la discussion d'un projet insignifiant. A la vue de l'envoyé du prince, on comprit qu'on allait connaître le dénouement de la crise annoncée depuis quelques jours. Un grand silence s'établit aussitôt, et il fut donné lecture de la déclaration suivante :

MESSAGE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE.

MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

Dans les circonstances graves où nous nous trouvons, l'accord qui doit régner entre les différents pouvoirs de l'État ne peut se maintenir que si, animés d'une confiance mutuelle, ils s'expliquent franchement l'un vis-à-vis de l'autre. Afin de donner l'exemple de cette sincérité, je viens faire connaître à l'Assemblée quelles sont les raisons qui m'ont déterminé à changer le ministère, et à me séparer d'hommes dont je me plais à proclamer les services éminents, et auxquels j'ai voué amitié et reconnaissance.

Pour raffermir la République menacée de tous côtés par l'anarchie, pour assurer l'ordre plus efficacement qu'il ne l'a été jusqu'à ce jour, pour maintenir à l'extérieur le nom de la France à la hauteur de sa renommée, il faut des hommes qui, animés d'un dévouement patriotique, comprennent la nécessité d'une direction unique et ferme et d'une politique nettement formulée, qui ne compromettent le pouvoir par aucune irrésolution, qui soient aussi préoccupés de ma propre responsabilité que de la leur, et de l'action que de la parole.

Depuis bientôt un an j'ai donné assez de preuves d'abnégation pour qu'on ne se méprenne pas sur mes intentions véritables. Sans rancune contre aucune individualité, contre aucun parti, j'ai laissé arriver aux affaires les hommes d'opinions les plus diverses, mais sans obtenir les heureux résultats que j'attendais de ce rapprochement. Au lieu d'opérer une fusion de nuances, je n'ai obtenu qu'une neutralisation de forces. Au milieu de cette confusion, la France, inquiète, parce qu'elle ne voit pas de direction, cherche la main, la volonté de l'élu du 10 décembre. Or, cette volonté ne peut être sentie que s'il y a communauté entière d'idées, de vues, de convictions entre le président et ses ministres, et si l'Assemblée elle-même s associe à la pensée nationale, dont l'élection du pouvoir exécutif a été l'expression. (Bruit à gauche.)

Tout un système a triomphé au 10 décembre... Car le nom de Napoléon est à lui seul tout un programme. Il veut dire : à l'intérieur, ordre, autorité, religion, bien-être du peuple ; à l'extérieur, dignité nationale. C'est cette politique, inaugurée par mon élection, que je veux faire triompher avec l'appui de l'Assemblée et celui du peuple. Je veux être digne de la confiance de la nation en maintenant la constitution que j'ai jurée. Je veux inspirer au pays, par ma loyauté, ma persévérance et ma fermeté, une confiance telle que les affaires reprennent et qu'on ait foi dans l'avenir. La lettre d'une constitution a sans doute une grande influence sur les destinées d'un pays ; mais la manière dont elle est exécutée en exerce peut-être une plus grande encore...

Relevons donc l'autorité sans inquiéter la vraie liberté. Calmons les craintes en domptant hardiment les mauvaises passions et en donnant à tous les nobles instincts une direction utile. Affermissons le principe religieux sans rien abandonner des conquêtes de la Révolution, et nous sauverons le pays malgré les partis, les ambitions, et même les imperfections que nos institutions pourraient renfermer.

LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE.

 

Le lendemain, on publia les noms des nouveaux ministres. Le général d'Hautpoul était appelé à la guerre. M. de Rayneval, ministre de France à Naples, recevait le portefeuille des affaires étrangères, qui, sur son refus, fut confié plus tard au général de la Hitte. M. Rouber, avocat à Riom, peu connu encore, mais déjà signalé au prince pour ses habitudes laborieuses et sa parole facile, devenait garde des sceaux. Un autre avocat de l'Auvergne, M. de Parieu, succédait à M. de Falloux comme ministre de l'instruction publique. Un banquier fort répandu dans le monde des affaires, M. Fould, était nominé aux finances. Les portefeuilles de la marine, des travaux publics et du commerce échurent à MM. Romain-Desfossés, Bineau, Dumas. Quant au ministère de l'intérieur, il fut attribué à M. Ferdinand Barrot, secrétaire général de la présidence, personnage assez inconnu, très inégal à de si difficiles fonctions, désigné, d'ailleurs, moins que personne pour entrer dans le cabinet : car il était le propre frère de l'ancien président du conseil ; et ses liens de famille s'ajoutant à sa propre médiocrité semblaient former un double obstacle à sou élévation.

Ce n'était pas un coup d'État, mais c'était beaucoup plus qu'une crise ministérielle. L'impression fut très vive. Le sentiment qui domina chez un grand nombre fut celui de l'étonnement. Pourquoi ce changement soudain ? Pourquoi ce programme nouveau ? Pourquoi cette subite disgrâce d'un cabinet qui avait dans l'Assemblée trois cents voix de majorité ? Ainsi s'exprimaient avec beaucoup d'animation les parlementaires naïfs qui croyaient que les Chambres seules peuvent provoquer des crises ministérielles. La révolution de Février ayant été faite, pensaient-ils, contre le pouvoir personnel du Roi, ils ne revenaient pas de leur surprise en voyant renaître, à moins de deux ans d'intervalle, ce même pouvoir qu'on avait voulu abattre. Les monarchistes et surtout les anciens familiers de la maison d'Orléans essayaient cependant de les éclairer : ils faisaient observer, non sans malice, que sans doute la situation était étrange, mais qu'un président responsable, surtout quand ce président s'appelait Bonaparte, devait avoir plus de liberté d'action qu'un simple roi constitutionnel. A l'étonnement se mêlait le dédain. On répétait avec affectation les noms publiés par le Moniteur : on se demandait en commentant les paroles du message si c'étaient bien là les hommes d'action dont la venue était annoncée : il sera bien nécessaire, ajoutait-on, de publier au plus ténia biographie des nouveaux conseillers du prince ; ce sera le seul moyen de leur acquérir quelque notoriété. En même temps, à travers la surprise des uns, à travers l'ironie des autres, l'inquiétude se révélait. On comprenait que Louis-Napoléon se considérait comme revêtu non d'un simple titre, mais d'un emploi réel. Aucun des membres du cabinet n'était investi des fonctions de président du conseil, ce qui indiquait chez Louis Bonaparte la volonté de gouverner lui-même. En vain s'égayait-on aux dépens des ministres : dans ces hommes au nom modeste, les plus avisés voyaient le noyau d'un parti qui allait grossir. Cette obscurité était même pour quelques-uns un motif de s'alarmer davantage. Louis-Napoléon voulait des ministres qu'il pourrait dominer : or, sa propre taille étant petite, il fallait qu'il les prît eux-mêmes fort petits, se réservant sans doute de grandir plus tard avec eux.

Il n'était pas dans la nature du président d'aller d'un seul bond au bout de ses desseins. C'était le propre de ce personnage à la fois brusque et contenu d'aimer à surprendre l'opinion par ses résolutions imprévues, puis de s'arrêter comme pour endormir la vigilance de ses adversaires, quitte à reprendre tout à coup l'offensive lorsque déjà l'on se rassurait. Par le message du 31 octobre, il avait affirmé sa politique personnelle : par le choix de ses conseillers, il avait rompu avec la tradition parlementaire. A ceux qui avaient voulu l'humilier, il avait fait une éclatante réponse. Il ne poussa pas plus loin l'audace. Tout au contraire, il s'ingénia à adoucir la blessure que sa main venait de porter.

Le 2 novembre, le général d'Hautpoul vint lire à la tribune sa profession de foi et celle de ses collègues. On aurait cherché en vain dans cette déclaration un reflet même affaibli du message. Les membres du cabinet rendaient humblement hommage à leurs devanciers. Ils protestaient de leur communauté de vues avec la majorité. Ils promettaient, suivant la formule ordinaire, de veiller aux intérêts du pays. Dans ce programme écourté et banal, rien ne rappelait cette politique d'initiative naguère vantée par Louis-Napoléon. La conduite des nouveaux ministres répondit à leurs paroles. Nul ne fut plus attentif qu'eux à se garder de toute nouveauté. Toutes les mesures d'ordre prises par l'administration précédente furent confirmées. Le général Changarnier fut maintenu dans son double commandement. Les gardes nationales factieuses demeurèrent dissoutes. Sur un point même, le nouveau cabinet se montra plus empressé que l'ancien à plaire à la majorité. L'épuration des fonctionnaires administratifs et judiciaires était toujours restée incomplète, grâce aux scrupules libéraux de M. Odilon Barrot et de M. Dufaure : M. Boulier et M. Ferdinand Barrot, étrangers à de pareils scrupules, se hâtèrent d'éliminer des emplois publics les derniers partisans de la république de Février. Tandis que ses conseillers agissaient de la sorte, le président, comme s'il eût oublié son propre message, s'appliquait à rassurer les esprits. Comme des bruits de coup d'État circulaient, il profitait de la cérémonie d'installation de la magistrature pour exhorter au respect de la loi, ce premier devoir des peuples libres[4]. A quelques jours de là, le 10 novembre, une note du Moniteur démentait formellement les rumeurs qui troublaient la sécurité publique[5]. Un peu plus tard, dans un banquet à l'Hôtel de ville, Louis-Napoléon portait un toast à l'union des pouvoirs. — Vis-à-vis du parti catholique, le prince retrouva bientôt sa bienveillance ordinaire, bienveillance que les derniers incidents de la question romaine avaient un peu altérée. A la vérité, un des premiers actes du nouveau ministère avait été de révoquer M. de Corcelles. Mais lorsque ce diplomate, revenu de Rome, se présenta à l'Élysée pour y rendre compte de sa mission, Louis Bonaparte le reçut avec une extrême courtoisie et lui manifesta les plus vifs regrets d'un désaccord passager. Le soir du même jour, le président, dans une entrevue avec M. de Montalembert, exprima en termes très chaleureux les mêmes sentiments[6]. En présence de ces témoignages si multipliés, l'Assemblée sentit ses inquiétudes s'apaiser. Les chefs parlementaires conseillèrent la patience. Peu à peu l'entente se rétablit.

Elle se rétablit, disons-nous, mais pas au point d'effacer les traces d'une si chaude alarme. L'harmonie désormais fut précaire, non cordiale. Si l'on demeura uni, ce n'était pas que l'envie de se brouiller manquât : seulement on trouvait à se brouiller plus de péril que de bénéfice, et cette considération prévint les conflits. A partir du 31 octobre, il y eut deux partis qui cheminèrent parallèlement, partis non encore opposés, mais déjà distincts, le parti de l'Élysée et le parti de l'Assemblée.

A l'Élysée commencèrent à se grouper autour du prince bon nombre de représentants. C'étaient les hommes que leur passé ne rattachait à aucun parti : c'étaient les indécis qui, dans l'embarras de faire un choix, se ralliaient d'instinct au pouvoir exécutif : c'étaient surtout les ambitieux. Ceux-ci, en voyant arriver aux affaires des personnages tout nouveaux, avaient compris qu'aucun espoir ne serait désormais déplacé : la perspective de supplanter les chefs parlementaires, qui offusquaient parfois par leur talent ou leur hauteur, surexcitait encore leur bonne volonté : dans cette disposition, ils s'apprêtaient à offrir à Louis-Napoléon un dévouement discret d'abord, mais qui deviendrait plus bruyant avec les progrès de sa for tune. Vers cette époque, on vit paraître, dans les mouvements diplomatiques, les premiers noms bonapartistes, les Murat, les Walewski, les Bassano. M. Routier venait d'entrer au ministère. M. de Morny ne devait se donner qu'un peu plus tard. L'Élysée avait un précieux agent de propagande dans M. de Persigny, personnage actif et surtout dévoué. Vers la fin de 1849, il fut chargé d'une mission à Berlin : il revint plus tard à Paris. Là on le voyait souvent au Palais-Bourbon, entretenant un à un ses collègues, réveillant à mots couverts les souvenirs de l'Empire, s'adressant de préférence aux besogneux et aux mécontents, et leur tenant le langage le plus propre à satisfaire leur avidité ou leurs rancunes. Dans ce parti nouveau, on se gardait bien d'attaquer encore l'Assemblée. Seulement on laissait volontiers entendre que les chefs parlementaires personnifiaient les vieilles doctrines et le président la souveraineté nationale. On s'appliquait à raire retomber sur les représentants légitimistes ou orléanistes la responsabilité des mesures répressives et à se donner à soi-même le bénéfice des mesures populaires. Si quelque enfant perdu hasardait quelque agression directe, on ne manquait pas de le désavouer : mais on ne le désavouait que tardivement et quand le coup avait porté. Tel était à la fin de 1849, tel fut surtout plus tard le parti de l'Élysée.

En face du parti de l'Élysée se dressait, bien nombreuse encore, la majorité de l'Assemblée. Elle se composait de légitimistes, d'amis de la monarchie d'Orléans, d'hommes préoccupés avant tout des questions religieuses, de parlementaires à idées flottantes, hésitant entre la monarchie et la République, prêts à accepter de l'une ou de l'autre la paix et la liberté. A la tête de cette majorité étaient M. Thiers et M. Berryer, tous deux peu favorables à Louis-Napoléon ; M. Molé et le duc de Broglie, plus pénétrés de la nécessité de l'union, plus confiants dans la loyauté du président ; M. de Montalembert, préoccupé avant tout des intérêts catholiques et, dans cet état d'esprit, enclin à ménager le prince, à le ménager même jusqu'à se compromettre auprès de ses propres amis. Dans cette majorité les ministres tombés le 31 octobre avaient repris leur rang. M. de Tocqueville y avait rapporté sa disposition habituelle, disposition un peu triste et découragée : M. Dufaure était défiant : M. Barrot était inquiet ; il avait beaucoup vu le président et, malgré son optimisme ordinaire, soupçonnait quelques-unes de ses ambitions : quant à M. de Falloux, il était malade et absent, et ses amis, privés de son concours, regrettaient son tact politique si fin et si exercé. Ce vaste parti, comme on le voit, n'était rien moins qu'homogène : mais, quelles que fussent les divergences partielles, deux sentiments dominaient déjà à l'égard de Louis-Napoléon et se retrouvaient, à des degrés divers, chez les plus hostiles comme chez les moins malveillants. On le dédaignait et on le redoutait tout à la fois. Le dépit surtout était grand. Ce n'est jamais sans déplaisir qu'on voit croître un rival : mais lorsqu'on a soi-même créé ce rival, le déplaisir est double. Il semblait aux chefs de la majorité que Louis Bonaparte, en acceptant jadis leur patronage, se fût engagé à ne jamais grandir ; et ses efforts pour se mettre hors de page étaient à leurs yeux une sorte de félonie. Ainsi apparaissait le parti de l'Assemblée.

Tant de causes de froissements laissaient entrevoir une rupture plus ou moins éloignée. On marchait encore de concert, mais à la manière de certaines armées alliées qui se jalousent en combattant ensemble et qui se haïssent presque autant qu'elles haïssent l'ennemi commun. Pourtant la double voix du patriotisme et de l'intérêt devait retarder l'heure inévitable de la séparation définitive. Pendant six mois encore, c'est-à-dire pendant tout l'hiver de 1849 à 1850, la majorité de l'Assemblée eut une influence prépondérante sur la politique. Elle profita de ces derniers mois de paix pour faire une loi fameuse qui restera comme son titre le plus solide à la reconnaissance de l'avenir. Je veux parler de la loi sur la liberté d'enseignement. Cette loi est assez importante pour qu'on l'étudie jusque dans ses origines et pour qu'on décrive le mouvement d'opinion qui l'a rendue possible et nécessaire.

 

II

Sous l'ancien régime, de nombreux établissements pourvoyaient en France n l'éducation de la jeunesse. C'étaient les

Universités : c'étaient les collèges des Oratoriens, des Bénédictins, et, jusqu'en 1762, des Jésuites : c'étaient, dans une sphère plus modeste, les écoles des abbayes ou les maîtrises des cathédrales. La sollicitude des princes ou le zèle des Ordres religieux avait créé ces foyers de vie intellectuelle : de généreuses libéralités les avaient accrus et développés : les lettres divines et humaines y étaient enseignées avec un éclat qui ne fut guère surpassé.

La Révolution survint. Accomplie au nom des lumières, elle eut pour premier résultat de les éteindre toutes. Universités, Ordres religieux, établissements de toute sorte furent emportés dans la tempête. Les écoles les plus humbles disparurent elles-mêmes. L'Assemblée constituante, l'Assemblée législative, la Convention, le Directoire firent de vains efforts pour remplacer ce qu'on avait détruit. Les écoles officielles végétèrent : la jeunesse fut livrée à des spéculateurs avides, le plus souvent sans moralité et sans instruction. A la fin du siècle, le régime révolutionnaire avait accumulé presque autant de ruines dans l'ordre intellectuel que dans l'ordre matériel. Ce régime ne pourvut que les camps, l'exil et l'échafaud.

Le premier consul parut, apportant avec lui le pouvoir absolu, le seul qu'après tant de crimes notre pays méritât. Après avoir réorganisé les finances, l'administration, la justice, Bonaparte tourna sa sollicitude vers l'instruction de la jeunesse. La conception qu'il imagina porte bien la marque de son génie, amoureux de régularité, avide surtout de domination.

Un corps enseignant fut créé auquel on donna, par un souvenir du passé, le nom d'Université de France. A la tête de l'Université se trouvait un grand maitre qui était appelé à la gouverner avec l'assistance d'un conseil. Le pays était divisé, au point de vue de l'instruction publique, en un certain nombre de ressorts désignés sous le nom d'Académies. Chaque académie était administrée par un recteur, aidé, comme le grand maître, d'un conseil. Les établissements d'éducation étaient appelés lycées ou collèges suivant qu'ils étaient entretenus par l'État ou laissés à la charge des communes. Un système d'inspections périodiques compléta cette organisation. Les membres de l'Université formaient une sorte de corporation, qui se distinguait toutefois des corporations anciennes par son caractère essentiellement laïque et par son esprit de centralisation. Des examens ouvraient l'entrée de la carrière. Une hiérarchie était établie, aussi savamment calculée que celle de l'armée. Les programmes étaient déterminés avec un soin scrupuleux, de façon à prévenir toute initiative téméraire ou seulement hardie. De peur qu'on ne fût tenté de l'oublier, on rappelait que toutes les écoles de l'Université devaient prendre pour base de leur enseignement : 1° les préceptes de la religion catholique ; 2° la fidélité à l'Empereur, à la monarchie impériale, dépositaire du bonheur des peuples, et à la dynastie napoléonienne, conservatrice de l'unité de la France et de toutes les idées libérales proclamées par les constitutions[7]. La discipline était presque aussi rigoureuse que dans un cloître. Les membres du corps enseignant devaient promettre obéissance au grand maitre. Une fois agrégés à l'institution, ils ne pouvaient la quitter sans l'agrément de leur chef. On leur imposait même la révélation de tout ce qu'ils pourraient apprendre de contraire à la discipline et aux principes du corps[8]. L'obligation du célibat était étendue aux proviseurs, censeurs, principaux et maîtres d'étude[9]. En revanche, cette étroite dépendance était compensée par de nombreux privilèges. Des distinctions honorifiques étaient créées. Des récompenses stimulaient le travail ou le dévouement au prince. Enfin les membres de l'Université étaient exempts du service militaire ; et cette immunité n'était pas la moins appréciée, en un temps où l'impôt du sang pesait d'un poids si lourd sur les familles.

Ce grand corps, avec sa discipline moitié militaire, moitié monacale, imposait aux autres le joug qu'il subissait lui-même. Il ne pouvait parler sans la permission de l'Empereur, mais nul ne pouvait parler sans sa propre permission. Aucune école, aucun établissement d'instruction publique ne peut être formé hors de l'Université impériale et sans son agrément. Ainsi s'exprimait l'article 2 du décret du 17 mars 1808. Seule l'Université faisait passer des examens ; seule elle décernait des diplômes ; seule elle avait le droit d'ouvrir des écoles primaires, secondaires ou supérieures : nul n'était admis à enseigner à côté d'elle sans son estampille, en sorte qu'elle n'avait d'autre concurrent que ceux qu'il lui plaisait d'accepter. Comme on le voit, le monopole était établi, et sans qu'on prît la peine de l'adoucir ou de le dissimuler.

Telle fut l'organisation ébauchée par le décret du 11 floréal an X, développée et complétée plus tard par les décrets du 17 mars 1808 et du 15 novembre 1811 : œuvre étrange qui, par une sorte de mainmise sur la jeunesse, semblait assurer au despote la perpétuité du despotisme. Si extraordinaire qu'elle fût, cette œuvre s'explique par le temps même où elle surgit. La Révolution avait emporté les établissements scientifiques que le travail des siècles avait élevés. La France étant devenue une table rase, il fallait construire au plus vite et de toutes pièces un abri pour les générations nouvelles. Napoléon construisit cet abri ; comme il n'était gêné par aucun précédent, il donna libre carrière aux instincts qui le poussaient à la centralisation et au pouvoir absolu.

Lorsque la Restauration remplaça l'Empire, on put croire qu'elle allait, sinon supprimer l'Université — ce qui eût été imprudent et excessif —, au moins la dépouiller de son monopole. Deux raisons paraissaient l'y convier. — La première, c'est que le monopole était surtout défavorable à l'Église. De temps immémorial, le clergé, tant séculier que régulier, avait revendiqué comme une de ses attributions essentielles le droit de concourir à l'éducation de la jeunesse : or, d'après la législation existante, il ne pouvait enseigner que sous le bon plaisir de l'Université. L'Université elle-même, malgré ses statuts, était loin d'offrir, au point de vue religieux, les garanties que les consciences scrupuleuses ou même simplement délicates réclamaient. Cette situation devait faire naître dans les familles chrétiennes et dans les rangs du sacerdoce ou de l'épiscopat un concert de plaintes qu'un gouvernement comme celui de la Restauration ne manquerait pas d'accueillir. — Indépendamment de cette considération, un second motif tiré de l'ordre politique poussait à restreindre l'œuvre de Napoléon Ier. L'éducation universitaire, qui accaparait l'enfant au nom de l'État et jetait dans le même moule toutes les générations, convenait à merveille à un État absolu, non à un État libre. Au moment ou la maison de Bourbon introduisait dans notre pays les institutions de l'Angleterre, il était malaisé de comprendre qu'elle gardât, en matière d'enseignement, un système qui semblait emprunté aux mœurs de Lacédémone et qui tendait à briser les volontés sous un joug uniforme, non à les fortifier peu à peu par une discipline éclairée.

Nonobstant ces apparences contraires, la Restauration recueillit et conserva dans son intégrité le legs de l'Empire. A la vérité, en février 1815, une ordonnance annonça la présentation prochaine d'une loi sur l'instruction publique. Mais les Cent jours survenant, le projet fut différé et plus tard oublié. Le gouvernement des Bourbons, en assurant tontes les libertés constitutionnelles, omit la liberté d'enseignement, la seule peut-être qui fût pour lui sans danger. Il se contenta de grandir l'Église par des faveurs et par des privilèges, il négligea de l'affranchir de ses servitudes. Les évêques purent développer à l'aise leurs petits séminaires. L'ouverture d'assez nombreux établissements ecclésiastiques fut autorisée. On protégea même les Jésuites,... au moins jusqu'au jour où on les dispersa. Beaucoup de membres du clergé pénétrèrent dans l'enseignement officiel, sans en modifier sensiblement l'esprit général. Un prélat, M. Frayssinous, fut placé, sous le ministère Villèle, à la tête de l'instruction publique. L'Église, liée au pouvoir par des chaînes d'or, devint impopulaire comme l'était le pouvoir lui-même. Quant à l'Université, sa situation était étrange : on la tenait en défiance, et on lui conservait sa toute-puissance : elle était à la fois suspecte et dominatrice, tyran et victime tout ensemble : on lui marquait assez de défaveur pour la rendre hostile, et, en même temps, on la laissait souffler son hostilité aux générations nouvelles que le monopole mettait à sa merci.

On atteignit ainsi 1830. On sait le débordement de passions antireligieuses qui suivit : les croix abattues ; le costume ecclésiastique insulté dans les rues ; certains évêques comme le cardinal de Rohan n'osant rentrer dans leur diocèse ; l'archevêché de Paris saccagé ; le gouvernement obligé d'affecter l'indifférence. Bien que, par une distraction législative, la liberté d'enseignement eût été écrite dans la Constitution nouvelle, on ne cloutait guère que cette liberté, profitable surtout à l'Église. ne fût indéfiniment ajournée.

 

III

Dieu n'est jamais si près de nous que lorsqu'il semble nous abandonner. Ce qu'un gouvernement ami de la religion n'avait su faire, les catholiques l'accomplirent par la propre vertu de leurs efforts. A l'heure même où l'impiété éclatait dans les rues, un mouvement inattendu de renaissance chrétienne s'accomplissait dans les âmes.

Ce mouvement avait été préparé de longue main par la Providence. Presque à la même époque, de 18'21 à 1824, entraient au séminaire d'Issy trois jeunes hommes dont le nom restera lié à l'histoire de l'Église de France. — Le premier appartenait à une noble famille, venait de quitter la magistrature pour le sacerdoce, et, jaloux d'un sacrifice plus complet, songeait déjà à devenir Jésuite : il avait gardé de son éducation la simplicité aisée du gentilhomme ; il devait à ses fonctions judiciaires une gravité précoce ; l'auréole de la sainteté brillait déjà sur son front : on l'appela plus tard le Père de Ravignan. — Le second, quoique bien jeune encore, avait, lui aussi, passé par le monde avant d'entrer dans l'Église : il était de famille bourgeoise, d'opinions libérales, presque démocratiques : en se consacrant à Dieu, il n'avait pas cru qu'il fût nécessaire d'abdiquer les convictions généreuses qui avaient conquis son intelligence : le plus souvent il les contenait ; de loin en loin elles débordaient de son âme trop pleine, et ses supérieurs l'écoutaient, charmés de sa juvénile franchise, éblouis de sa chaude éloquence, un peu effrayés pourtant par des témérités si nouvelles dans la sage et savante société de Saint-Sulpice. Ce jeune homme était Lacordaire. — Le troisième de ces privilégiés de la vertu et de la gloire était un obscur enfant de la Savoie que sa mère avait amené de bonne heure à Paris et qui, avant d'entrer à Issy, avait suivi les cours du séminaire de Saint-Nicolas : encore adolescent, il avait étonné ses maîtres par ses aptitudes non moins que par sa piété : dès cette époque, on remarquait en lui les qualités qu'il déploya plus tard, la puissance dans l'application, la ténacité dans les desseins, l'activité réglée quoique fougueuse, avec cela un esprit souple, délié, toujours vaillant, capable à la fois de tourner les obstacles ou de les aborder de front. Le monde devait bientôt le connaître sous le nom de l'abbé Dupanloup. — En 1830, le Père de Ravignan, l'abbé Lacordaire, l'abbé Dupanloup arrivaient à la vie publique comme si Dieu eût ménagé à son Église ces vaillants auxiliaires pour le jour où le pouvoir lui retirerait son appui. Tous trois étaient très différents de caractère ou d'aptitudes, et par cela même se complétaient. Ils avaient le talent, ils avaient la vertu ; en outre, ils possédaient un don plus précieux que tous les autres, celui de parler au siècle le seul langage que le siècle pût alors entendre et goûter.

Le clergé qui recueillait de telles recrues recevait lui-même à son insu, et comme en s'en défendant, l'impression des temps nouveaux. Au lendemain de la révolution de Juillet, Lamennais avait fondé le journal l'Avenir, dont le programme consistait dans l'alliance étroite de l'idée religieuse et de l'idée libérale. L'œuvre échoua et devait échouer. Cette alliance, préconisée sous une forme absolue, ne laissait pas que d'avoir ses dangers. Le ton amer du journal, ses attaques présomptueuses, la fausse situation de M. de Lamennais, naguère champion du trône et de l'autel, puis contempteur des royautés, tout faisait présager un insuccès. Cependant, du mal même naquit quelque bien. Une opinion, jusque-là peu répandue, commença à se faire jour dans le clergé de France. Cette opinion, c'est que l'Église devait désormais compter, non sur les faveurs du pouvoir, mais sur elle-même, réclamer non des privilèges, mais le droit commun, et, le droit commun une fois conquis, s'en servir comme d'une arme pour le bien et le salut des âmes.

Tandis que l'ancien clergé de France se retrempait par l'infusion d'un sang plus généreux et se pénétrait presque malgré lui des aspirations modernes, le retour vers les idées religieuses se marquait dans le monde laïque. Quelques jeunes hommes surgissaient, se distinguant de leurs contemporains, non pas seulement par la ferveur de leurs croyances, mais surtout par une manière toute nouvelle de pratiquer et de propager leur foi. Ils avaient toute l'inexpérience de leur âge, ils en avaient aussi toute l'ardeur. Les questions sociales ou d'économie charitable, les problèmes les plus ardus de la politique les captivaient ; et ils les discutaient avec une hardiesse qui eût déplu si leur sincérité n'eût fait oublier leur présomption. Embrassant d'un coup d'œil tout l'avenir, ils rêvaient volontiers une Église ouvrant les bras à la société issue de la Révolution et l'absorbant dans son sein. Ces idées, un peu confuses, fort étranges pour l'époque, périlleuses même par certains côtés, étaient l'objet de leurs méditations passionnées, et aucune distraction mondaine ne les en pouvait détacher. Souvent, pour prix de leurs efforts, ils avaient le privilège de ne plaire à personne : les croyants leur reprochaient leurs témérités, et les non-croyants leur foi. Eux pourtant ne se lassaient pas de caresser la vision qui les avait charmés. On les voyait assistant aux cours de la Sorbonne ou du Collège de France et attentifs à saisir l'erreur pour la réfuter. Ils se réunissaient dans de fréquentes conférences, s'exerçant à la parole publique en vue des prochains combats qu'ils livreraient pour Dieu[10]. Les œuvres de charité surtout les attiraient, et ils s'y adonnaient avec l'ardeur de leurs vingt ans. Un d'eux, M. Ozanam, conçut la pensée de fonder une association pour secourir et visiter les indigents. Ils se réunirent à huit dans une chambre d'hôtel du quartier latin, et on adopta quelques familles. Il y avait alors au faubourg Saint-Marceau une pieuse fille de la charité, Sœur Rosalie, qui passait sa vie à aider et à évangéliser les pauvres, et qui avait acquis par l'ascendant de ses vertus une incroyable popularité. On lui demanda ses conseils, on lui prit quelques bons de pain. L'œuvre naissante fut placée sous le patronage de saint Vincent de Paul. Telle fut l'origine de cette société fameuse, aujourd'hui répandue dans le monde entier[11].

Il appartenait à la prédication de seconder ce mouvement généreux. Mais les prédicateurs le plus en vogue, fidèles aux anciennes habitudes de la chaire, par suite un peu compassés et méthodiques à l'excès, étaient plus propres à affermir la foi chez les croyants qu'à l'éveiller chez les incrédules ou chez les hésitants. Le siècle blasé et sceptique avait besoin d'être attiré par la curiosité : c'était le seul moyen de s'emparer de lui. Une pétition, signée par Ozanam et par plusieurs de ses amis[12], demanda l'établissement de conférences à Notre-Dame, conférences destinées à démontrer la vérité du christianisme et à en faire ressortir les bienfaits. L'archevêque de Paris était alors M. de Quélen. Nul n'était plus attaché que lui aux traditions sacerdotales de l'ancien régime : pourtant son esprit était trop éclairé, son âme trop sincère pour qu'il méconnût l'évolution qui s'accomplissait sous ses yeux : il se sentit à la fois effrayé et charmé ; tantôt son cœur allait aux jeunes catholiques, tantôt sa prudence épiscopale le ramenait en arrière ; de là des accès de défiance un peu hautaine suivis de la plus bienveillante cordialité. Après bien des hésitations, le prélat, en 1835, appela Lacordaire dans la chaire de Notre-Dame. Au jour annoncé, un étrange auditoire se pressa dans la vieille basilique. Ce n'était plus la foule respectueuse qui d'ordinaire entoure la chaire chrétienne. Aux croyants se mêlaient en grand nombre les curieux, les sceptiques, les malveillants. On arrivait de bonne heure pour être placé non loin de l'orateur ; on se disputait les places ; on lisait les journaux ; on s'appelait de distance en distance, comme au théâtre ; quelques-uns achevaient dans le sanctuaire le repas commencé au dehors. Un tel spectacle n'était pas de nature à dissiper les appréhensions des timides. Heureusement, dès que l'abbé Lacordaire parut, il s'empara de ses auditeurs, les fascina par la nouveauté presque téméraire de son langage, conquit tour à tourie silence, l'attention, le respect, la sympathie, l'admiration. Le Père de Ravignan continua l'œuvre de Lacordaire : leurs deux talents si divers se complétaient. Lacordaire, par l'éclat de sa parole, attirait les auditeurs jusqu'au pied de l'autel : le Père de Ravi-gnon, par l'onction communicative de son âme, les y retenait.

Le mouvement une fois commencé ne s'arrêta plus. Le monde étonné fut ému par des conversions soudaines ou des renoncements inattendus. Déjà l'on avait vu entrer dans l'Église des magistrats comme M. de Bonnechose, des jeunes gens de haute naissance comme M. de la Bouillerie, des professeurs déjà presque illustres comme M. Bautain, des hommes de science comme M. Gratry. Dans le même temps, l'abbé Lacordaire partait pour Rome afin d'y préparer le rétablissement de l'Ordre des Frères Prêcheurs : les Jésuites ne se dissimulaient plus ; l'Ordre des Bénédictins se relevait à Solesmes. Autour de la jeune Société de Saint-Vincent de Paul ou en dehors d'elle, des œuvres nombreuses se créaient, destinées aux apprentis, aux enfants abandonnés, aux pauvres honteux, aux pauvres malades[13]. Il n'était pas jusqu'aux tendances artistiques qui ne vinssent favoriser la renaissance chrétienne : car la mode se détachait de la froide imitation de l'antique pour revenir aux édifices de l'architecture ogivale élevés dans les âges de foi. — Au bout de quelques années, il ne fut plus possible aux observateurs même les plus superficiels d'ignorer ou de méconnaître ce retour de l'opinion : des symptômes visibles et non équivoques l'attestaient. M. de Quélen étant mort, on vit une foule innombrable vénérer le cercueil de celui dont on avait jadis menacé la personne et saccagé la demeure. Le Père de Ravignan ayant inauguré la communion pascale des hommes, d'abord à Saint-Eustache, puis à Notre-Dame, des milliers de fidèles remplirent le sanctuaire et s'approchèrent de la table sainte. Un peu plus tard, Lacordaire, qui avait restauré l'Ordre des Dominicains, revint à Paris et s'y montra librement dans les rues, revêtu de sa robe blanche. L'homme ne se précipite plus loin de Dieu, écrivait dès 1838 M. Guizot ; il s'est retourné vers l'Orient, il y cherche la lumière... Ce n'est pas encore l'adoration, mais la crainte de Dieu, ce commencement de la sagesse[14].

 

IV

C'est dans ce groupe catholique que nous venons de décrire que la liberté d'enseignement trouva ses défenseurs.

Du milieu de ce groupe, un homme se détacha qui fit de cette cause sa propre cause, qui en fut non seulement le champion, mais l'apôtre, ce fut M. de Montalembert.

Le comte Charles de Montalembert avait vingt ans lorsque éclata la révolution de 1830. De longs voyages, des résidences diverses, avec cela une extrême curiosité intellectuelle, avaient imprimé à son esprit un développement précoce. Par sa famille paternelle, il appartenait à l'ancienne noblesse française : sa mère était Anglaise. Il semble que sa nature se soit ressentie de cette double origine : car en lui devaient se retrouver tout ensemble cette ardeur chevaleresque propre aux vieilles races de notre pays et ce goût de la liberté réglée si vivace dans le peuple anglo-saxon. La Providence épargna à sa jeunesse ces longs stages, ces épreuves pénibles où certaines âmes se fortifient, mais où d'autres se découragent et s'aigrissent : son père qui siégeait à la haute Chambre étant mort au commencement de 1831, il fut l'un des derniers à bénéficier de l'hérédité de la pairie, comme si le principe d'hérédité, déjà frappé de déchéance, eût voulu incarner en lui sa dernière protestation. Dès cette époque, le jeune homme se révélait sous les traits principaux qui le distinguèrent plus tard : il était, disent ses contemporains, laborieux, avide de savoir, modeste et fier, sincère jusqu'à la candeur, porté par générosité vers les vaincus comme d'autres par calcul vers les victorieux, plein d'indignations magnanimes contre tout ce qui était intrigue, égoïsme ou bassesse, terrible dans l'ironie, trop terrible peut-être, car sous l'empire des déceptions et de la souffrance, cette disposition devait plus tard se transformer parfois en amertume.

A l'âge de vingt et un ans, en 1831, Montalembert imagina, pour revendiquer la liberté d'enseignement, un procédé d'une originale hardiesse. De concert avec Lacordaire et se fondant sur la promesse écrite dansa Charte, il ouvrit une école libre. Un procès-verbal fut rédigé : des poursuites furent intentées. C'est ce qu'attendait Montalembert. Les poursuites lui fournirent l'occasion de plaider sa cause, et, comme il venait d'entrer à la haute Chambre, de la plaider, par privilège de juridiction, devant la Cour des pairs. Il fut condamné à une amende, dénouement fort bénin et, d'ailleurs, bien prévu. Mais il avait affirmé avec éclat le droit nié ou différé. Tonte proportions gardées, on eût dit une lointaine imitation d'O'Connell, d'O'Connell que Montalembert avait vu et dont le rôle l'avait ébloui.

Toutefois, le procès de l'École libre n'eut qu'un retentissement tout à fait passager. Quelques-uns, même parmi les mieux intentionnés, jugèrent un peu excentrique la revendication du jeune pair. Ce ne fut qu'une de ces escarmouches d'avant-garde qui précèdent de beaucoup la vraie bataille.

C'est seulement dix ans plus tard que la question de la liberté d'enseignement commença à préoccuper l'opinion publique. Encore les catholiques n'étaient-ils point, même alors, entièrement fixés sur le choix du terrain où ils se placeraient. Les évêques songeaient surtout à prévenir toute ingérence du pouvoir civil dans la direction de leurs petits séminaires. Beaucoup de membres du clergé, parmi les plus vertueux et les plus éclairés, hésitaient à mettre au service d'une religion de paix les armes redoutables de la parole et de la presse : il leur semblait plus sage de négocier une entente avec le gouvernement et d'obtenir de sa bonne volonté de larges tolérances pour les établissements religieux. Les plus ardents enfin étaient moins empressés à réclamer la liberté pour eux-mêmes qu'à attaquer l'Université : souvent, dans ces attaques, ils dépassaient toute mesure, dénonçant les personnes, articulant des faits inexacts, ajoutant à des griefs trop réels de chimériques ou puériles accusations : en cela, ils compromettaient leur propre cause et fournissaient à leurs adversaires de faciles occasions de représailles.

Il fallait discipliner cette armée si peu homogène, lui imposer un plan général d'action, faire accepter par tous un même mot d'ordre, c'est-à-dire l'abolition du monopole et la liberté d'enseignement. Ici apparut de nouveau Montalembert. Ce n'était plus le jeune pair de 1831 dont on aimait sans doute la sincérité, mais dont la fougueuse ardeur excitait les sourires. Dix ans avaient passé sur sa tête. Son esprit s'était mûri Il avait secoué l'influence de M. de Lamennais trop longtemps dominante en son âme. A la Chambre haute, ses collègues, vieillis dans les affaires, l'avaient écouté d'abord avec une indulgence un peu ironique ; peu à peu l'ironie avait cessé, et l'on s'était aperçu bientôt que l'indulgence était inutile. Il avait conquis l'attention de tous, la sympathie d'un grand nombre, l'adhésion dévouée de quelques-uns. Les pairs, un peu jaloux de la Chambre des députés, se faisaient volontiers les propagateurs de sa renommée naissante. Dans cette lutte pour la liberté d'enseignement, son activité fut prodigieuse et son habileté presque aussi grande. Il avait les plus incommodes des alliés, c'est-à-dire les évêques, vénérables personnages qu'il fallait parfois diriger en feignant toujours de les suivre. On le vit encourageant les timides, retenant les plus fougueux, s'efforçant de vaincre les scrupules des prélats qui, comme l'archevêque de Paris, répugnaient à l'action publique, multipliant les discours et les brochures, ne se lassant pas de répéter le mot de saint Paul : Civis Romanus sum ego, et pressant les catholiques de le répéter avec lui, recrutant de précieux adhérents, M. Dupanloup, le Père de Ravignan, M. Beugnot, M. de Vatimesnil, Mgr Parisis, fondant le Comité de défense religieuse, cherchant, aux élections de 1846, à introduire dans le programme des députés conservateurs la liberté d'enseignement. Il trouva parfois dans son cœur quelques-uns de ces mots heureux qui valaient à eux seuls un programme et qui faisaient passer dans les âmes des catholiques un frémissement de légitime orgueil : Nous sommes les fils des croisés, dit-il un jour du haut de la tribune, et nous ne reculerons pas devant les fils de Voltaire. Nul, en France, n'avait pratiqué comme lui l'agitation légale : il la pratiquait à la grande surprise de ses adversaires qui, dans leur étonnement, oubliaient parfois de le railler, à la surprise presque aussi grande de ses amis qui hésitaient à le suivre, qui le suivaient pourtant, à la fois émus, ravis et un peu effrayés.

Comment cette campagne si vigoureuse resta-t-elle sans résultat immédiat ? Comment le régime de Juillet recula-t-il devant la concession d'une liberté érigée en principe dans la Charte et si peu dangereuse pour l'ordre public ?

A vrai dire, les projets ne manquèrent point. Durant les dix-huit années du règne de Louis-Philippe, quatre propositions de loi furent déposées par les ministres de l'instruction publique pour régler cette importante question. La première fut présentée par M. Guizot en 1836 ; la seconde et la troisième en 1841 et en 1814 par M. Villemain ; la quatrième en 1847 par M. de Salvandy. Pour des motifs divers, chacune de ces tentatives échoua. — Le projet de M. Guizot, conçu dans l'esprit le plus équitable, vint se heurter contre les préjugés de la Chambre des députés qui, adoptant un amendement de M. Vatout, refusa aux congrégations religieuses non autorisées le droit d'enseigner. — Le projet de 1841, beaucoup moins libéral, fut retiré avant même d'avoir été l'objet d'un rapport. — Le projet de 1844 fut voté par la Chambre des pairs, arriva au Palais-Bourbon, puis, sur un rapport hostile de M. Thiers, rentra dans la poussière des archives. — Quant au projet de 1847, il était précédé d'un exposé de motifs pompeux où les protestations libérales étaient prodiguées et où se retrouvait l'éloquence un peu théâtrale de M. de Salvandy ; en réalité, la proposition, pleine de restrictions et de réserves, ne répondait guère à ces solennelles promesses ; le rapport de la coin-mission, confié à M. Liadières, était moins favorable encore. On touchait alors à l'année 1848.

En dehors de toutes les surprises et de toutes les évolutions parlementaires, une cause générale expliquait ces avortements successifs. Cette cause, c'était l'esprit même du gouvernement et des Chambres. — Le gouvernement de Juillet n'avait contre le clergé ou les catholiques aucune hostilité de parti pris ; bien au contraire, il inclinait volontiers à la bienveillance toutes les fois qu'il le pouvait faire sans préjudice pour sa politique et sa popularité. Mais, chez le Roi comme chez la plupart de ses conseillers, le sens des choses religieuses manquait : presque seul, M. Guizot faisait exception : encore les soucis des affaires générales l'absorbaient-ils trop souvent. — Quant aux Chambres, elles étaient plus disposées à retenir la royauté qu'à la pousser en avant. Au Palais-Bourbon, plus encore qu'aux Tuileries, les principes de liberté et d'équité s'effaçaient devant la crainte des Jésuites et les doléances de l'Université. Certaines attaques excessives contre l'enseignement officiel affermirent encore cette disposition. Aux yeux prévenus du plus grand nombre, il s'agissait, non de supprimer le monopole au nom de la liberté, mais de décider entre l'Université qui représentait, disait-on, le progrès moderne et les congrégations qui défendaient les idées rétrogrades. Les esprits les plus éminents, M. Dupin, M. Cousin, M. Thiers, n'échappaient pas à l'erreur commune, et, loin de la dissiper, l'autorisaient de leur nom. Pour ramener à une appréciation plus équitable, il fallait une nouvelle leçon des événements. — La leçon arriva — trop rigoureuse, hélas ! — le 24 février !

 

V

On raconte que, quelques jours après la Révolution, M. Cousin, rencontrant M. de Rémusat sur le quai Voltaire, lui dit en levant les bras au ciel et d'un ton épouvanté : Courons nous jeter dans les bras des évêques ; eux seuls peuvent nous sauver aujourd'hui[15]. Ce mot peint bien quel trouble profond saisit les plus illustres parlementa ires à la proclamation de la République. La royauté constitutionnelle, les Chambres, le régime censitaire, toutes les institutions fondées par eux étaient subitement emportées. Dans leur effarement, ils se retournèrent vers la seule autorité morale qui restât debout. On eut si peur des socialistes qu'on oublia de redouter les Jésuites.

Néanmoins, la liberté d'enseignement ne bénéficia pas tout de suite de ces favorables dispositions. Le ministre de l'instruction publique, M. Carnot, en annonçant aux recteurs par voie de circulaire le régime nouveau, leur fit observer, au contraire, qu'une des conséquences de la révolution, c'était ci de mettre un terme à toutes les craintes qui, depuis trois ci années, avaient inquiété l'Université[16]. Le projet de constitution, dans son article 9, proclama, à la vérité, que l'enseignement était libre ; mais, le jour de la discussion publique, l'Assemblée écarta les amendements qui tendaient à restreindre ou à préciser le droit de surveillance de l'État : elle écouta même avec quelque défaveur M. de Montalembert qui aurait voulu que le droit d'enseigner fût rangé, comme le droit de s'assembler on de pétitionner, parmi les droits fondamentaux[17]. Cavaignac enfin refusa toujours de prendre aucun engagement sur cette grave question.

Soit esprit d'équité, soit désir de distancer son rival, Louis Bonaparte fut plus empressé à obtempérer aux vœux des catholiques. Avant son élection, il renouvela à plusieurs reprises à M. de Montalembert et à ses amis les assurances les plus satisfaisantes[18]. Une fois élu, il donna de sa bonne volonté une preuve plus manifeste en confiant à M. de Falloux le portefeuille de l'instruction publique. Ce jour-là, la cause de la liberté d'enseignement fit un pas décisif : le nouveau ministre était à la fois assez dévoué pour entreprendre l'œuvre et assez habile pour la mener à bien.

Le 4 janvier 1849, M. de Falloux institua au ministère de l'instruction publique deux commissions chargées de préparer un projet sur l'enseignement primaire et un projet sur l'enseignement secondaire. Un esprit d'intelligente équité avait présidé aux choix du ministre. L'Université était représentée par ses membres les plus éminents, M. Saint-Marc-Girardin, M. Cousin, M. Dubois ; le clergé, par l'abbé Dupanloup et l'abbé Sibour ; le parti catholique proprement dit, par M. de Montalembert, M. Augustin Cochin, M. Laurentie, M. de Riancey, M. Armand de Melun. Des hommes de nuance moins tranchée, mais tous recommandables par le talent et la bonne foi, formaient une sorte de groupe intermédiaire : c'étaient M. Janvier, ancien conseiller d'État ; M. Freslon, ancien ministre de l'instruction publique sous le général Cavaignac ; le pasteur Cuvier ; M. de Corcelles, qui revenait alors de sa première ambassade à Gaëte et devait repartir, quelques mois plus tard, pour une seconde mission. L'élément ouvrier lui-même n'était pas oublié et avait son organe en la personne du représentant Peupin. Le ministre enfin n'avait pas manqué de faire appel au concours de M. Thiers, et, de tous les choix, celui-là était le plus important et aussi le plus politique.

Dès la première séance, les deux commissions se fondirent en une seule. M. de Falloux en était de droit président ; M. Thiers fut nommé vice-président. Le ministre s'effaça, alléguant les devoirs de sa charge, les travaux de l'Assemblée. En réalité, il jugeait habile de laisser à M. Thiers la direction des débats : il espérait que cet homme d'État, une fois engagé, se ferait auprès de ses amis l'avocat de la liberté d'enseignement.

Cette déférence était justifiée et ce calcul fondé. Nul plus que M. Thiers n'avait subi l'impression des derniers événements. Le 2 niai 1848, dans une lettre rendue publique, il s'exprimait en ces termes : Quant à la liberté d'enseignement, je suis changé ! Je le suis, non par une révolution dans mes convictions, mais par une révolution dans l'état social. Quand l'Université représentait la bonne et sage bourgeoisie, enseignait nos enfants selon la méthode de Rollin, je voulais lui sacrifier la liberté d'enseignement... Mais l'Université est tombée aux mains des phalanstériens... Je porte ma haine et ma chaleur de résistance là où est aujourd'hui l'ennemi. Cet ennemi, c'est la démagogie, et je ne lui livrerai pas le dernier débris de l'ordre social, c'est-à-dire l'établissement catholique[19]. Au mois de septembre, en publiant son livre De la propriété, M. Thiers n'hésitait pas à proclamer la religion comme le fondement de la société[20]. Enfin, au commencement de décembre, il avait promis à M. de Falloux de le soutenir dans ses projets, et c'est même sur cette assurance que celui-ci avait accepté le portefeuille de l'instruction publique[21].

On commença par étudier les questions d'instruction primaire. La discussion générale fournit aussitôt à M. Thiers l'occasion d'exprimer ses convictions nouvelles. Avec une véhémence extraordinaire, il s'éleva coutre l'esprit des instituteurs, véritables antieurés dans les communes. Les écoles normales lui apparaissaient comme de véritables clubs silencieux, foyers des plus mauvaises passions. Avec une hardiesse que les plus compromis des rétrogrades n'eussent pas osé se permettre, il alla jusqu'à soutenir que l'instruction ne doit pas être à la portée de tous, qu'elle est un commencement d'aisance, et que l'aisance n'est pas réservée à tous. Résumant sa pensée sous une forme familière, presque triviale : Je ne veux pas, dit-il, mettre du feu sous une marmite sans eau. M. Thiers parla longtemps de la sorte avec cette éloquence abondante, facile, persuasive, qui lui était propre. La conclusion fut plus imprévue que tout le reste : il demanda que l'instruction primaire fût confiée entièrement et sans réserve au clergé[22].

Les membres de la commission écoutaient avec stupeur cet étrange langage. Ils croyaient bien à une évolution, mais ne pouvaient se figurer qu'elle fût si soudaine ni si complète. La plupart se turent ; quelques-uns, cependant, jugeant ces timidités excessives, suspectant peut-être la sincérité de ce retour, se récrièrent : Mais, monsieur Thiers, dit l'un des commissaires, à vous entendre, il faudrait posséder dix mille livres de rente pour avoir le droit d'apprendre à lire[23]. Quant aux membres du clergé, ils étaient plus surpris encore que charmés, et ils s'émerveillaient des transformations que la crainte avait opérées dans les âmes. Depuis quarante ans, disaient-ils, on a toujours demandé au prêtre de rester dans la sacristie ; voici qu'on le convie à en sortir. Ils déclinaient, d'ailleurs, le présent inattendu qu'on voulait leur faire, alléguant le défaut de loisir, la pénurie du personnel. Nous sommes disposés, disaient-ils, à surveiller l'école ; nous ne pouvons faire plus[24]. — M. Thiers n'était pas persuadé. La surveillance ne suffit pas ; les instituteurs sont gangrenés. Il insistait avec une extrême vivacité. Il invoquait l'exemple de certains pays de montagnes, comme les Basses-Alpes, où, affirmait-il, un grand nombre de desservants faisaient l'école[25]. Plusieurs membres du corps enseignant ayant été appelés à déposer devant la commission, il demandait à l'un d'eux, l'abbé Daniel, ancien recteur de l'Académie de Caen, si vraiment le clergé ne pourrait pas se charger de l'instruction primaire[26]. C'est à grand'peine qu'il renonça b cette idée que la peur du socialisme avait fait naître et avait affermie dans son esprit.

Une sous-commission fut nommée pour rédiger un projet sur l'enseignement primaire, et l'on passa aux questions d'enseignement secondaire.

Là se retrouvèrent, visibles et puissantes encore, les traces des anciennes luttes et des anciennes méfiances. Aux yeux de M. Thiers et de ses amis, la religion était un frein salutaire plus encore qu'une consolation suprême ou une clarté divine : en la propageant au sein des masses, ils se flattaient de s'assurer contre l'avidité socialiste ; de là, leur tendance à confier l'enseignement primaire au clergé. Ils estimaient, au contraire, que la bourgeoisie, à la différence du peuple, est suffisamment protégée par son éducation et ses lumières contre les passions mauvaises ; aussi, en matière d'enseignement secondaire, étaient-ils disposés à marchander aux autorités religieuses leur place légitime. En cela ils se trompaient grandement, car les désordres matériels qui éclatent en bas ont toujours pour origine première l'anarchie intellectuelle qui règne en haut.

Les débats trahirent bien vite cette différence de vues. M. Thiers parlait beaucoup : il parlait tellement que les séances n'étaient souvent qu'un monologue dont il faisait les frais. Dans un long discours, il s'appliqua à mettre en lumière les droits de l'État. Tout en reconnaissant le principe de la liberté, il proclama des maximes qui tendaient à la restreindre. L'État avait, disait-il, l'obligation de frapper la jeunesse à son effigie[27]. Les collèges et lycées n'étaient pas, selon lui, atteints du même mal que les écoles primaires. Le certificat d'études, ajoutait-il, devrait être maintenu[28]. Il ne s'expliquait pas sur l'aptitude des Ordres religieux à enseigner. Mais l'amertume de son langage quand il parlait des collèges étrangers de Brugelette et de Fribourg laissait deviner chez lui d'anciennes et vivaces répugnances[29].

Ce discours fit naître parmi les catholiques de la commission des inquiétudes très vives. A côté de M. Thiers était, d'ailleurs, M. Cousin, qui s'efforçait de le retenir sur la pente des concessions. Il fallait répondre à l'illustre président de la commission, et lui répondre sans le blesser. Qui assumerait cette charge ? Montalembert s'effaçait : il craignait que son intervention ne ravivât le souvenir des anciennes dissidences ; en outre, il se défiait de sa parole, toujours éloquente, pas toujours maîtresse d'elle-même. A cette heure qui pouvait être décisive pour le sort de la loi, on songea à l'abbé Dupanloup.

L'humble séminariste, que nous avons vu entrant à Issy en 1824, avait dépassé les meilleures espérances de ses supérieurs et de ses amis. En 1849, on le citait parmi les membres les plus éminents du clergé français. De toutes les questions, celles relatives à la liberté d'enseignement lui étaient surtout familières : il les avait traitées dans de nombreuses brochures, toujours nettes dans le fond, toujours courtoises dans la forme. Il avait en outre en ces matières l'autorité de l'expérience : longtemps supérieur du séminaire Saint-Nicolas, il avait élevé cet établissement à un degré de prospérité jusque-là inconnu. Dans la commission, il s'était déjà fait remarquer par la justesse de ses aperçus ; et, bien qu'il se fût assis modestement à l'un des bouts de la table en fer à cheval où étaient groupés ses collègues, tous les yeux se tournaient volontiers vers lui pour l'interroger. Au moment où le langage de M. Thiers excitait les alarmes des catholiques, il était plus disposé au recueillement qu'à la lutte : un grand deuil l'accablait : il venait de perdre sa mère. Le soir même de cette séance mémorable, M. de Montalembert, M. de Riancey, M. Cochin vinrent le trouver et, faisant appel à son dévouement, le conjurèrent de ne point manquer à l'Église en de si graves conjonctures. En face de ce devoir, l'abbé Dupanloup secoua sa douleur, et le lendemain, à l'heure de la réunion, s'achemina vers le ministère de l'instruction publique.

Tous les membres de la commission ont conservé un ineffaçable souvenir de la modération du prêtre et de l'autorité de sa parole. Le principe de la liberté d'enseignement était admis par tous ; mais on pouvait le rendre inefficace ou illusoire suivant l'application qu'on en ferait. En homme qui cherche non l'impossible satisfaction d'un triomphe absolu, mais les termes d'une transaction honorable, l'abbé Dupanloup fit avec netteté les sacrifices nécessaires. Il reconnaissait la faculté pour l'État d'entretenir des établissements officiels. Il s'inclinait, quoique à regret, devant le droit de surveillance et d'inspection exercé par l'Université. Il abandonnait même à ce corps le privilège exclusif de la collation des grades. Il acceptait enfin une sorte de grand conseil centralisateur préposé au gouvernement général de l'instruction publique. Mais, ces concessions faites, il énumérait avec beaucoup d'autorité quatre conditions sans lesquelles la liberté promise ne serait qu'un leurre. Il fallait d'abord que les certificats d'études fussent supprimés. Il était essentiel, en second lieu, que les congrégations reconnues par l'Église ne fussent exclues sous aucun prétexte du droit d'enseigner. Il importait, en troisième lieu, que les petits séminaires, sauf un droit de surveillance générale de l'État, restassent sous la direction exclusive des évêques. La quatrième condition était relative aux grades universitaires à exiger des chefs d'établissements libres : il était évident qu'une trop grande rigueur sur ce point rendrait impossible la création de ces établissements[30].

De ces quatre points, les deux derniers furent acceptés unanimement. L'abolition des certificats d'études fut concédée par M. Thiers et par M. Cousin, non sans doléances toutefois : ce certificat, disaient-ils, était le seul obstacle à ces préparations hâtives qui peuvent conduire au baccalauréat, mais qui n'attestent en réalité ni science acquise, ni sérieux travail. Restait la question des congrégations religieuses. Ici s'engagea la vraie bataille.

Au fond les Jésuites étaient seuls en jeu. Seraient-ils ou non exclus de la liberté commune ? M. Thiers, si changé qu'il fût sur tout le reste, était encore l'homme qui, en 1845, avait combattu de toutes ses forces cet Ordre fameux. Il le montra bien. Pour vaincre ses adversaires, il eut recours à tous les artifices de son éloquence persuasive. Il affecta de dédaigner les Jésuites, mais se démentit lui-même par le soin qu'il mit à les écarter. Contre eux, il invoqua Bossuet, les arrêts du Parlement, les répugnances de l'esprit public. S'il s'agissait de quelque Ordre vraiment français, des Oratoriens par exemple, notre langage, disait-il, serait bien différent : mais il s'agit d'un Ordre réprouvé. Volontiers M. Thiers eût affirmé qu'en proscrivant cette corporation, il servait les intérêts religieux. Gardons, répétait-il, cette belle et grande Église de France qui a su se préserver de tous les écueils, qui n'a versé ni comme l'Allemagne dans la séparation, ni comme l'Espagne dans l'inquisition. Qu'elle reste elle-même avec sa personnalité, sa physionomie propre, et qu'elle ne s'appuie pas sur un Ordre qui a ses racines à l'étranger[31].

C'est à M. Dupanloup qu'il appartenait de répondre. Il ne se livra point à une apologie des Jésuites. II se contenta de rappeler avec une brièveté modeste leur dévouement et leurs services. Puis, se plaçant au point de vue du droit commun, il demanda qu'on se gardât de faire des catégories parmi les bénéficiaires de la liberté. Ce que nous voulons, dit-il, c'est que le droit d'enseigner soit concédé à tout Français, sous les conditions déterminées de capacité et de moralité. Voilà le principe qu'il serait inique de limiter. Il n'est pas question des Jésuites, dit-il avec un redoublement d'autorité ; il est question de justice, d'équité, de liberté[32].

Sur ces mots, la discussion fut renvoyée au lendemain. Généralement M. Thiers s'intéressait peu aux discours des autres. Mais dès les premiers mots de l'abbé Dupanloup, son attention avait été conquise. On l'avait vu se lever du siège qu'il occupait comme président au haut bout de la table, faire le tour du fer à cheval, s'approcher de son contradicteur comme pour mieux recueillir ses paroles, donner parfois des signes d'approbation[33]. Il résistait encore, mais déjà il se sentait atteint. Le soir, comme il regagnait à pied, avec deux membres de la commission, son hôtel de la place Saint-Georges, on l'entendait répéter les dernières paroles de l'abbé Dupanloup : La justice ! l'équité ! la vérité ! disait-il, comme en se parlant à lui-même[34].

A la séance suivante, la discussion continua entre M. Thiers, M. Cousin, M. Dupanloup. Mais déjà l'attaque contre les Jésuites était plus molle. M. Dupanloup parla le dernier, et cette fois victorieusement. Par un habile mélange de courtoisie, de modération et de fermeté, il avait désarmé les préjugés. Nul ne lui répondit. L'abbé a raison, disait à M. Cousin M. Thiers surpris et presque aussi charmé que surpris[35]. Cependant, le souvenir des anciennes luttes lui revenant en mémoire, il ajoutait d'un ton moitié sérieux, moitié badin : Je ne m'oppose plus à l'article, seulement je demande que le jour où il sera discuté dans l'Assemblée, vous me laissiez me cacher sous mon banc : car comment voulez-vous que je défende ces Jésuites dont j'ai naguère demandé l'expulsion ?[36]

La discussion générale une fois close, la rédaction des articles fut confiée à une sous-commission. Le 18 juin, le ministre de l'instruction publique déposa le projet de loi sur le bureau de l'Assemblée.

Ce projet se référait à quatre ordres de matières : l'instruction primaire ; — l'instruction secondaire ; — l'organisation de l'Université ; — la création des conseils chargés du gouvernement de l'instruction publique.

En ce qui concerne l'instruction primaire, le projet prenait pour point de départ la loi de 1833, qui avait déjà consacré le régime de la liberté, et se contentait d'en modifier certaines dispositions. — En ce qui concerne l'enseignement secondaire, la suppression du monopole résultait de l'article 56 du projet : Tout Français, âgé de vingt-cinq ans au moins, pourra former un établissement d'instruction secondaire. Les seules conditions exigées étaient des conditions de capacité et de moralité. Il résultait donc implicitement de ce texte que les congrégations religieuses, quelles qu'elles fussent, bénéficieraient du droit commun. — Quant à l'Université, le projet, loin de l'amoindrir ou de la mutiler, la fortifiait en la réorganisant. Elle conservait ses lycées et collèges, et l'on s'engageait même à en augmenter le nombre de la collation des grades lui était, comme par le passé, réservée : c'est parmi ses membres que devaient être recrutés, au moins en fait, les fonctionnaires chargés de l'inspection des établissements publics ou libres : elle gardait, en un mot, sauf le monopole, tous les privilèges de sa situation officielle. — Toutefois, si elle avait encore une part prépondérante dans le gouvernement de l'instruction publique, elle n'exerçait plus seule cet important ministère. Dans le conseil supérieur de l'instruction publique entreraient désormais, avec les membres de l'enseignement officiel, des représentants de l'épiscopat, du clergé, des cultes dissidents, de la magistrature, du conseil d'État, de l'Institut, de l'enseignement libre. Dans les conseils académiques établis au chef-lieu de chaque département, les délégués des cours d'appel, du clergé, des conseils généraux seraient appelés, eux aussi, à siéger à côté du recteur et de l'inspecteur d'académie. Cette création des conseils était la partie la plus originale du projet de M. de Falloux et celle où apparaissait le mieux sa vraie pensée. En résumé, toutes les grandes influences sociales devaient être représentées dans les assemblées où se débattraient les questions relatives à l'éducation de la jeunesse. Quant à cette éducation elle-même, les familles avaient le choix entre les établissements universitaires qui conservaient l'estampille officielle et les établissements privés, ecclésiastiques ou laïques : ceux-ci pourraient se fonder en toute liberté, moyennant certaines conditions Générales et sous le contrôle de l'inspection de l'État.

 

VI

Le projet était une transaction ou, si l'on aime mieux, une sorte de concordat entre deux puissances rivales. Les transactions ont souvent la mauvaise fortune d'ameuter contre elles tous les partis extrêmes. L'œuvre de M. de Falloux n'échappa point à la règle commune. A peine fut-elle publiée qu'elle eut à subir le feu croisé des universitaires et de certains catholiques.

Les universitaires ne perdirent pas un jour pour annoncer la restauration des Jésuites, la domination du parti prêtre. N'osant se plaindre ouvertement de la suppression du monopole, ils signalaient avec une véhémence affectée les périls de l'avenir. On ne supprimait pas encore l'Université, disaient-ils, mais bientôt on la mutilerait. Le parti révolutionnaire tout entier s'associait à ces plaintes en les exagérant.

Pour les catholiques, ils espéraient, après tant de luttes, recueillir un meilleur résultat de leurs efforts. La nomination de M. de Falloux comme ministre de l'instruction publique leur avait paru le gage d'une décisive victoire. Lorsqu'ils lurent le projet ministériel, leur premier sentiment fut celui de la déception. — Le projet, dirent-ils, consacre l'enseignement officiel bien plus qu'il ne proclame la liberté. Qu'est-ce que ces grands conseils établis au sommet de l'État ou au chef-lieu de chaque département ? Qu'est-ce que ce droit d'inspection et de surveillance s'étendant partout ? Qu'est-ce que ces privilèges conservés au profit de l'Université ? Est-ce bien là l'indépendance que nous avons réclamée comme la prérogative essentielle de l'Église ? — Le journal l'Univers, qui tendait dès cette époque à devenir l'interprète ordinaire des catholiques, se fit l'écho de ces plaintes. Il avait, depuis quelques années, pour rédacteur en chef un écrivain au talent admirable, à l'incontestable droiture, rude à ses ennemis, redoutable parfois à ses alliés, M. Louis Veuillot. M. Louis Veuillot n'hésita pas à combattre la loi, insuffisante suivant lui et par là même plus dangereuse qu'utile. Il le fit d'ailleurs avec gravité et sans aucune agression malséante contre ses amis[37]. A sa suite, d'autres journaux entrèrent dans la voie des critiques, et avec plus d'acrimonie : l'un d'eux, le Mémorial catholique, publia même un article ainsi intitulé : Du projet présenté par M. de Falloux contre la liberté d'enseignement. On n'ignorait pas qu'un assez grand nombre d'évêques déploraient comme excessives les concessions du ministre de l'instruction publique[38]. Tout ou rien, tel fut le mot d'ordre de certains catholiques, plus ardents pour la défense de leur cause qu'éclairés sur les nécessités de la politique A leurs yeux, tous ceux qui avaient collaboré à l'œuvre ministérielle étaient suspects, presque traîtres. Il n'était pas jusqu'au très saint et très illustre Père de Ravignan qui n'excitât les défiances. Comme une liaison étroite l'unissait à M. Dupanloup et à M. de Montalembert, on le dénonça à Rome au général de son Ordre, et il fallut que l'éminent religieux défendît contre ces aveugles attaques la pureté de ses doctrines et la droiture de ses intentions[39].

Cependant le projet de M. de Falloux avait été renvoyé à une commission parlementaire composée des principaux membres de la commission ministérielle, MM. Thiers, Montalembert, Fresneau, Armand de Melun, et, en outre, de quelques autres représentants, Mgr Parisis, M. Baze, M. Beugnot. On comprend la douloureuse impression que produisirent parmi les commissaires ces attaques qui partaient de points si opposés et tendaient à détruire ou à désavouer rceuvre commune. Les hommes qui, comme M. Thiers, étaient pour les catholiques des alliés récents et inattendus, ne cachaient point leur irritation. Leurs anciens amis leur reprochaient leur défection : le parti religieux repoussait leurs avances. Quel bénéfice avaient-ils retiré de leurs concessions, sinon une double impopularité ? M. Thiers surtout se montrait fort sensible à ce déplaisir, et, prenant pour confident l'abbé Dupanloup, dont il avait apprécié la haute sagesse, se plaignait que sa patience fût mise à une trop rude épreuve[40]. Quant aux membres catholiques de la commission, ils se montraient non irrités, mais découragés. Ils étaient entourés, circonvenus : des prêtres, des évêques cherchaient à ébranler leur conscience. Seul l'abbé Dupanloup les soutenait. Courage, ne cessait-il de leur dire, ne vous arrêtez pas à des objections exagérées : vous faites une œuvre qui sauvera la jeunesse et la France[41]. M. de Montalembert était, plus que tous les autres, assailli de réclamations, et au point d'en être ébranlé. Un jour, il réunit ceux des membres de la commission qui étaient connus pour leur attachement aux idées religieuses, et leur montrant une foule de lettres épiscopales : En présence d'autorités si importantes, leur dit-il, ne convient-il pas d'abandonner la tâche commune ? En parlant de la sorte, Montabert, dit un témoin oculaire, avait le cœur navré et les larmes aux yeux : c'était l'œuvre capitale de sa vie qui allait sombrer, sombrer peut-être pour toujours : ses amis n'étaient guère moins émus que lui. L'opinion générale fut cependant que renoncer au projet serait coupable et funeste. A l'envi les uns des autres, les commissaires relevèrent le courage de leur illustre collègue. Que la loi soit imparfaite, dirent-ils, nous le savons mieux que personne : si imparfaite qu'elle soit, elle donne la somme de liberté qu'on peut attendre de l'Assemblée. Plus tard les évêques vous remercieront de ne pas les avoir écoutés[42]. Ils ne se trompaient pas. C'est au bruit de toutes ces attaques du dehors que se poursuivait au Palais-Bourbon l'étude du projet ministériel. Ce projet, modifié sur quelques points, fut adopté par la commission parlementaire. M. Beugnot fut nommé rapporteur. Le 6 octobre, il vint lire son rapport à l'Assemblée.

 

VII

On pouvait espérer qu'après tant de traverses, le jour de la discussion publique allait enfin arriver. Comme si aucune déception ne dût être épargnée, un nouvel obstacle survint.

Pendant que la loi d'enseignement était élaborée ou remaniée dans la commission, de graves événements s'étaient produits dans la politique générale. Louis-Napoléon avait écrit la lettre à Edgar Ney. La discussion des crédits de l'expédition romaine avait éloigné l'un de l'autre le pouvoir exécutif et l'Assemblée. La bonne volonté du prince vis-à-vis du clergé s'était un peu refroidie. En outre, M. de Falloux, malade, avait abandonné ses fonctions et avait quitté Paris. Le 31 octobre enfin, une crise ministérielle éclatait. Quelles seraient les dispositions du nouveau cabinet ? Le nouveau ministre de l'instruction publique, M. de Parieu, ne songerait-il pas à reprendre l'œuvre de son prédécesseur et à la refondre suivant ses vues personnelles ? Le président, moins zélé pour les catholiques, ne se prêterait-il point à quelque mesure dilatoire qui équivaudrait à un retrait de la loi ? Telles étaient les questions que se posaient, non sans trouble, les amis de la liberté d'enseignement.

Ces inquiétudes ne tardèrent pas à se justifier. Le 7 novembre, un député de la gauche, M. Pascal Duprat, montant à la tribune, rappela que la loi d'enseignement était émanée de l'initiative gouvernementale, et que par conséquent, aux termes de l'article 75 de la Constitution, elle devait, avant d'arriver à l'Assemblée, être renvoyée au conseil d'État : il ajouta que, le 3 juillet précédent, un représentant, M. Lherbette, avait demandé ce renvoi : il fit connaître, en outre, que le conseil d'État, par l'organe de M. Boulay de la Meurthe, avait, dans une lettre au président de l'Assemblée, protesté contre l'oubli de sa prérogative. — Le rapporteur de la commission, M. Beugnot, mit à repousser cette insidieuse attaque une ardeur qui révélait l'étendue de ses craintes. La loi d'enseignement, dit-il, est une loi organique : comme telle, elle échappe à l'article 75 de la Constitution. Cette loi a été préparée par les hommes les plus compétents, en sorte qu'un examen nouveau n'apporterait aucune lumière. Que renverrait-on au surplus au conseil d'État ? Le projet primitif ? mais il s'est absorbé dans l'œuvre de la commission. Le travail de la commission ? Mais ce serait subordonner la commission parlementaire au conseil d'État. La proposition, ajoutait en terminant M. Beugnot, n'a d'autre but que de faire échouer le projet sans discussion. J'avertis mes amis ; je leur dis : C'est un piège ; n'y tombez pas. On vous propose deux choses : la première, c'est d'étouffer une loi qui inquiète les adversaires de la liberté d'enseignement la seconde, c'est de préparer, dans des vues très diverses, contre la majorité le reproche d'impuissance. — Entre les deux opinions, le cabinet affecta la neutralité. Le gouvernement, dit le ministre de l'instruction publique, M. de Parieu, est ici tout à fait désintéressé : car il s'agit d'une question de procédure parlementaire. Si le renvoi au conseil d'État est repoussé, nous solliciterons un court délai afin de nous préparer à la discussion du projet. Si le renvoi est voté, nous détacherons du projet lui-même les dispositions qui ne peuvent pas souffrir de retard, c'est-à-dire celles relatives aux instituteurs primaires et aux certificats d'études, et nous vous demanderons de les voter d'urgence.

Cc débat préliminaire avait passionné l'Assemblée. A droite on sentait qu'un nouveau retard serait presque aussi fâcheux qu'un échec définitif. On redoutait l'esprit du conseil d'État émané de l'Assemblée constituante. On était d'autant plu : inquiet que les partisans de l'ajournement semblaient soutenu : en secret par l'Élysée : M. Boulay de la Meurthe, qui avait réclamé en faveur des prérogatives du conseil, était, en effet, un des familiers du prince. Enfin, M. de Parieu, en évitant de prendre parti et en annonçant des mesures provisoires qui pourvoiraient au plus pressé, paraissait offrir un moyen terme aux indécis et aux timides. C'est sous cette impression qu'on alla au scrutin. Le cabinet s'abstint : beaucoup des amis du président se séparèrent de la majorité : 307 voix contre 303 votèrent le renvoi. Les révolutionnaires de toute nuance applaudirent. Quelques catholiques s'associèrent à cette joie, et exprimèrent même le vœu que la loi envoyée au conseil d'État n'en revînt point.

Ce souhait imprudent ne fut pas exaucé. Au mois de décembre, le conseil d'État avait terminé son examen. M. Beugnot se hâta de déposer son rapport supplémentaire Les derniers incidents, loin de décourager les chefs de la majorité, avaient piqué au vif leur amour-propre. Nous soutiendrons le projet jusqu'à extinction, disait M. Thiers[43]. — Quant au gouvernement, il s'était empressé de préparer les mesures provisoires qu'il avait annoncées. Le 16 novembre, il avait, par décret, aboli le certificat d'études. Le 2 janvier 1850, le ministre de l'instruction publique demanda l'urgence pour la loi sur les instituteurs. A ce moment, entre le ministère et la droite de l'Assemblée, la situation fut assez étrange. Le projet de M. de Falloux était revenu du conseil d'État, et sur le point d'être mis à l'ordre du jour : or, c'est cet instant que le cabinet choisissait pour précipiter le vote d'une loi partielle qui devait presque aussitôt s'absorber dans une loi plus générale. A quoi bon cette loi secondaire si l'on voulait sincèrement la loi organique ? et si l'on ne voulait point la loi organique, que deviendrait l'harmonie entre l'Élysée et l'Assemblée ? On toucha à un conflit : heureusement il n'éclata pas. Après une première épreuve douteuse, la déclaration d'urgence réunit 329 voix contre 300. Les membres de la droite avaient compris qu'il ne fallait pas rompre l'union, à l'heure même où l'union allait devenir plus que jamais nécessaire[44]. La loi qui subordonnait provisoirement les instituteurs à l'autorité préfectorale fut votée le 11 janvier après quatre séances. On l'appela un peu dédaigneusement la petite loi, par opposition à la grande qu'on attendait. De fait, cette discussion fut pour les solennels débats qui allaient s'ouvrir une utile préface : elle montra l'anarchie qui régnait, depuis la révolution de Février, dans l'instruction primaire et combien était grand de ce côté le péril social. Trots jours plus tard, le 14 janvier, on aborda enfin la loi d'enseignement.

 

VIII

Dans le Parlement comme dans le pays, la loi rencontra trois sortes d'adversaires, les Montagnards, les universitaires, et enfin certains catholiques.

La Montagne, surtout depuis la fuite de Ledru-Rollin, était plus propre aux interruptions qu'aux discours. Dans cette pénurie, toute recrue nouvelle lui était précieuse. Elle eut cette fois la bonne fortune de trouver un interprète dans Victor Hugo, récemment passé dans le camp révolutionnaire et jaloux de se mettre à l'unisson de ses alliés. La loi sur l'enseignement, dit M. Victor Hugo, est l'œuvre du parti clérical. Or, je dis à ce parti : Je me méfie de vous : instruire, c'est construire : je me méfie de ce que vous construisez... Vous confier l'avenir de la France, c'est vous le livrer... Je ne veux, hommes du parti clérical, ni de votre main, ni de votre souffle sur les générations nouvelles. Je ne veux pas que ce qui a été fait par nos pères soit défait par vous. Après cette gloire, je ne veux pas de cette honte... Votre loi est une loi qui a un masque. Elle dit une chose et elle en fait une autre. C'est une pensée d'asservissement qui prend les allures de la liberté c'est une confiscation intitulée donation. Du reste, c'est votre habitude. Toutes les fois que vous faites une proscription, vous dites : Voilà une amnistie. A ce cliquetis de mots, la Montagne affecta de se pâmer d'aise. Le reste de la harangue fut digne de l'exorde. Campanella, Galilée, l'Inquisition, Torquemada, les Jésuites, aucun lieu commun ne fut oublié. L'orateur termina, comme il avait commencé, par une suite de métaphores retentissantes. Vous ne voulez pas du progrès, s'écria-t-il en finissant ; vous aurez la révolution. Aux hommes assez insensés pour dire : L'humanité ne marchera plus, Dieu répond par la terre qui tremble. L'extrême gauche, comme il convenait, applaudit à outrance : à droite, les uns s'égayèrent d'un tel accent théâtral, les autres s'attristèrent de l'éclipse d'un tel génie.

Les objections des universitaires trouvèrent deux organes, M. Barthélemy-Saint-Hilaire et M. Wallon. Tous deux se plaignirent, non sans quelque vivacité, que l'enseignement officiel ne fût pas dignement représenté, soit dans le conseil supérieur, soit dans les conseils académiques. L'inspection, ajoutaient-ils, était insuffisante ou incomplète. Les fonctions de l'instruction publique deviendraient trop facilement accessibles aux hommes étrangers à l'Université. Réunis par ces vues communes, M. Barthélemy-Saint-Hilaire et M. Wallon différaient en un point. Le premier, indifférent ou hostile aux idées religieuses, laissait percer toutes ses préventions contre les influences cléricales ou jésuitiques, et, sans oser se l'avouer à lui-même, réduisait la liberté d'enseignement au point de la supprimer Le second, chrétien très sincère, se prononçait avec netteté pour l'abolition du monopole : seulement, la loi nouvelle lui apparaissait moins comme une œuvre de paix que comme une machine de guerre. Les arrière-pensées des catholiques l'inquiétaient. Il s'effrayait non du présent, mais de l'avenir. M. de Montalembert et ses amis, disait-il, gardent les écoles publiques, mais ils les gardent sous bénéfice d'inventaire, avec la pensée de les supprimer un jour.

Quant aux répugnances des catholiques, elles se traduisirent non par une hostilité déclarée, mais par des réserves. Dans un langage très élevé, Mgr Parisis, évêque de Langres, tint pour ainsi dire la balance égale entre la critique et l'apologie. La loi nouvelle, selon lui, était une transaction plus favorable à l'Université qu'à l'Église. Il y avait lieu de regretter que l'enseignement religieux, au lieu de jouir d'une liberté complète, fût subordonné au contrôle de l'État. Quel serait, dans le conseil supérieur et dans les conseils académiques, le rôle des évêques réduits à l'état de minorité, impuissants pour le bien, désarmés contre le mal ? Nonobstant ces appréhensions, Mgr Parisis ne condamnait point le projet : il estimait même qu'il en pouvait résulter de grands avantages pour le bien des fines. Si on nous présente la loi comme une faveur, disait-il, nous la repoussons : mais nous sommes disposés à l'accepter comme une occasion de dévouement. Cette parole exprimait sous une forme ingénieuse le véritable sentiment du clergé, du clergé incertain entre l'adhésion et l'hostilité, défiant des transactions parlementaires, craignant surtout des pièges, en garde contre la gratitude au point de tomber dans l'excès contraire, disposé cependant, la loi une fois votée, à s'en servir avec zèle et vaillance. A la suite de Mgr Parisis, un autre représentant très estimé de ses collègues, M. l'abbé de Cazalès, entreprit, lui aussi, la critique du projet au point de vue spécial des intérêts catholiques. Tandis que l'évêque de Langres montrait, somme toute, plus de confiance que d'appréhensions, l'abbé de Cazalès inclinait à la désapprobation. La présence des évêques dans le conseil supérieur lui paraissait surtout compromettante et inacceptable. Le respectable prêtre fut interrompu plusieurs fois par les chaleureuses adhésions de la gauche ; et cet assentiment suspect aurait suffi à l'éclairer sur l'opportunité de son langage.

A tout prendre, ces objections, venues de points divers, ne mettaient point en péril le sort définitif de la loi. La Montagne, male grossie des républicains modérés, était peu redoutable. Les universitaires ne formaient qu'un bien petit groupe. Quant aux très rares catholiques dissidents, leur hostilité, à supposer qu'elle ne fléchit pas au moment du vote, ne se traduirait, pensait-on, que par une abstention. Ce qui était essentiel, c'était de prévenir toute défection dans la majorité, c'était de rallier dans une pensée commune les amis de l'Élysée peu empressés pour le projet, les conservateurs encore imbus de préjugés antireligieux, les indifférents qui s'intéressaient peu à cette querelle de l'Université et des Jésuites. L'union seule pouvait assurer le succès, et les sentiments étaient si divers que l'accord semblait précaire, incertain, fragile. A cette cause de l'union, le ministre de l'instruction publique, M. de Parieu, rendit un mémorable service en apportant à la tribune une déclaration très nette et très loyale en faveur de la loi. Mais ce fut à M. de Montalembert et à M. Thiers qu'il appartint de maintenir jusqu'au bout l'harmonie. Ils furent bien les vrais champions de la liberté d'enseignement.

Avec un admirable courage, Montalembert décrivit le mal qui minait la société française.

Le monopole de l'instruction publique, dit-il, a fait sous la Restauration ce qu'on appelait dans ce temps-là des libéraux et des révolutionnaires : sous le régime de Juillet, il a fait des républicains : sous la République, il fait des socialistes. L'éducation publique, telle qu'on la donne en France, développe des besoins factices qu'il est impossible de satisfaire : elle fomente une foule innombrable de vanités et de cupidités dont la pression écrase la société... Il suit de là que chaque gouvernement élève des générations qui le renversent lorsqu'elles arrivent à la maturité.

Ce langage, qu'on eût trouvé excessif quelques années auparavant, ne semblait que juste, tant les derniers événements avaient porté de lumière dans les âmes. — C'est pour remédier à ce mal, continuait l'orateur, que nous avons imaginé le projet actuel qui se propose deux buts : le premier, c'est d'améliorer l'enseignement officiel ; le second, c'est de permettre à l'enseignement libre de se créer et de se développer. Ce projet a été attaqué à gauche et à droite. A gauche, on nous a traités d'ultramontains et de Jésuites : à droite, on nous a dénoncés à Home pour avoir trahi les intérêts de la religion. En réalité, qu'avons-nous fait ? Nous avons substitué l'alliance à la lutte. — Ici Montalembert faisait un retour vers le passé : lui, l'homme des rivalités ardentes, âpres, quelquefois amères, il se faisait avec une éloquence qu'on n'a pas surpassée l'apôtre de la conciliation.

Messieurs, j'ai fait la guerre et je l'ai aimée, je l'ai faite plus longtemps, aussi bien et peut-être mieux que la plupart de ceux qui me reprochent aujourd'hui de la cesser.

Mais je n'ai pas cru que la guerre fût le premier besoin, la première nécessité du pays. Au contraire, j'ai pensé qu'en présence du danger commun, des circonstances si graves et si menaçantes où nous sommes, et en présence aussi — pourquoi ne le dirais-je pas ? — des dispositions que je rencontrais chez des hommes que nous avions été habitués à regarder comme adversaires, le premier de nos devoirs était de répondre à ces dispositions nouvelles. Et c'est a cette pensée honorable que j'ai consacré, depuis un an, toute l'activité et tout le dévouement de mon âme. (Approbation à droite.)

... Oui, nous avons rencontré des adversaires pour qui les leçons des événements n'avaient pas été stériles, pas plus qu'elles ne l'ont été pour nous, car tout le monde avait à apprendre, et tout le monde à profiter. (Très bien !) Nous avons rencontré des hommes, nos adversaires de la veille, qui nous ont tendu la main au lendemain de ce que nous regardions tous comme une catastrophe imprévue. Devions-nous repousser cette main ? Non ; ce serait le plus grand reproche que je me ferais de ma vie si je l'avais repoussée.

Certes, ces hommes ne croient pas tout ce que nous croyons ; certes, ces hommes ne veulent pas tout ce que nous voulons. Mais ils croient aujourd'hui au péril qu'ils niaient jadis et que nous signalions d'avance ; ils veulent, comme nous, un remède à ce péril : ils veulent le salut de la société, et ils nous ont invités à y travailler avec eux.

Eh bien, nous avons accepté l'invitation avec le juste empressement d'un cœur dévoué à la patrie et à la société. (Très bien ! très bien !)

Messieurs, ajoutait Montalembert avec tin redoublement d'émotion et au milieu de l'Assemblée suspendue a ses lèvres, on fait la paix le lendemain d'une victoire, on fait la paix le lendemain d'une défaite, mais on la fait, surtout, selon moi, le lendemain d'un naufrage. (Sensation.)

Eh bien, que l'honorable monsieur Thiers me permette de le lire, nous avons fait naufrage, lui et moi, en février (mouvements divers), quand nous naviguions ensemble, quand nous voguions ensemble sur ce beau navire qu'on appelait la monarchie constitutionnelle... (Rires ironiques à gauche. — Approbation à droite.)

... Nous nous sommes trouvés au lendemain du naufrage sur une frêle planche qui nous sépare à peine de l'abîme. Fallait-il, sans nécessité impérieuse, recommencer la lutte de la veille ? Fallait-il repousser la main que, tout naturellement, nous étions portés à nous offrir l'un à l'antre ? Fallait-il ressusciter toutes les récriminations, tous les ressentiments, même les plus légitimes ? Non. Je ne l'ai pas pensé, je ne l'ai pas voulu, je ne l'ai pas fait, je ne m'en repens pas. (Très bien ! très bien !)

Voix à droite. Cela vous honore !

M. DE MONTALEMBERT. — Voilà pourquoi, Messieurs, j'ose lire que l'œuvre que nous vous apportons, malgré ses imperfections, est dès à présent une œuvre sacrée, sacrée par l'esprit qui l'a dictée, par l'esprit d'union, de paix et de conciliation, en même temps que de patriotisme qui l'a inspirée. (A droite : Très bien ! très bien !) Il y a un an que nous y travaillons, nous et nos anciens adversaires, il y a un an que nous y travaillons : nous sommes entrés dans ce labeur avec le souvenir de nos anciennes luttes ; mais nous n'avons gardé ce souvenir que pour nous encourager à traverser les ennuis, à surmonter les difficultés et les contradictions, et les amertumes inséparables d'une œuvre de cette nature. Nous n'y avons sacrifié aucune conviction. Nous n'avons sacrifié ni la vérité ni la justice ; nous n'avons sacrifié que l'esprit de contention, l'esprit d'amertume et d'exagération, qui sont malheureusement inséparables des luttes même les plus légitimes, lorsqu'elles sont prolongées. (Très bien ! très bien !)

C'est pourquoi je ne crains pas de maintenir à cette tribune et d'appliquer à cette loi l'expression de concordat que j'ai risquée dans la discussion des bureaux... Il y a, poursuivait l'orateur, deux mots que l'Église ne dit jamais : c'est Tout ou rien et Il est trop tard. Elle ne dit jamais : Tout ou rien. Car c'est le mot de l'orgueil, de la passion humaine qui veut jouir et vaincre aujourd'hui parce qu'elle doit mourir demain. (Très bien !) L'Église comme on l'a tant dit, est patiente parce qu'elle est éternelle, et voilà pourquoi elle ne dit jamais : Tout ou rien. Elle ne dit pas non plus : Il est trop tard, ce mot coupable et impitoyable, parce que, s'il n'est jamais trop tard pour sauver une âme, il n'est jamais trop tard non plus pour sauver une société qui consent à être sauvée. (Très bien ! très bien !)

 

M. Thiers fut le digne émule de Montalembert. Très différent de lui par ie caractère, la nature, les tendances, il fut son rival par le talent et son rival par la sagesse. Il commença par un de ces merveilleux exposés auxquels il excellait et dont la lucidité faisait oublier la longueur. Il décrivit l'organisation du corps universitaire, rendit hommage à ses qualités, adoucit ses défauts sans toutefois les dissimuler tout à fait. Puis, arrivant au projet actuel : Qui s'en plaindrait ? Serait-ce l'Université ? de notre loi elle sort consolidée et agrandie : elle conserve son budget, son droit de surveillance, et, avec cela, la collation exclusive dos grades. Attentif à prévoir les objections de ses amis et jaloux de les rallier à ses convictions nouvelles, M. Thiers mit un soin extrême à écarter toute idée de privilège au profit de l'Église. Le projet, dit-il, se borne à consacrer le système de la liberté d'enseignement. L'Église, objecte-t-on, jouira de cette liberté. Eh ! sans doute. Mais comment pourrait-on, sans injustice flagrante, l'exclure du droit commun ? A l'exemple de M. de Montalembert, M. Thiers considérait la loi nouvelle comme nue transaction après la lutte. Déjà, dit-il en terminant, la guerre a cessé. Qu'est-ce qui a fait cesser la guerre ? Le voici : d'un côté, les grands intérêts qui doivent réunir tous les honnêtes gens, en présence des dangers qui nous menacent, et, de l'autre, la certitude, en lisant votre Constitution, que ce qu'ils désirent ne peut leur être refusé. Savez-vous ce qu'il faudrait pour faire renaître la guerre ? Il faudrait refuser la loi ; je ne dis pas tous ses détails, mais le principe de la loi.

Après ces discours, l'Assemblée, par 455 voix contre 187, décida qu'elle passerait à une seconde délibération. A la seconde délibération qui commença le 4 février, se produisirent de nombreux amendements proposés, les uns par la gauche, les autres par les universitaires, quelques-uns par le gouvernement. MM. Quinet et Chauffour demandèrent qu'on attribue à l'Assemblée la nomination des membres du conseil supérieur. Le droit d'inspection, son caractère, son étendue furent longuement discutés. A propos de l'instruction primaire, les députés de la Montagne essayèrent d'introduire dans la loi le principe de l'obligation. — Mais de tous les amendements le plus débattu fut celui qui refusait aux congrégations religieuses non reconnues par l'État le droit d'ouvrir ou de tenir des écoles. Quand M. Thiers, dans la commission extraparlementaire, s'était résigné, sur les instances de M. Dupanloup, à laisser aux Jésuites la jouissance de la liberté commune, il avait ajouté, on s'en souvient : Le jour de la discussion, je me cacherai sous mon banc. Il ne se cacha pas : loin de là, il monta à la tribune, et, quoique souffrant, défendit avec une rare énergie l'institut fameux dont, cinq années auparavant, il avait demandé la dispersion. Il faut, dit-il, qu'il n'y ait ici aucun doute, aucune obscurité. Un individu laïque ou ecclésiastique se présente : les deux preuves de moralité et de capacité par lui faites, il n'y a plus rien à lui demander. S'il porte la robe du prêtre, on ne peut lui demander s'il appartient à telle ou telle congrégation. Cela ne se peut pas. M. Thiers ajouta, d'ailleurs, que la question des Jésuites serait discutée plus utilement quand on s'occuperait des associations. L'Assemblée repoussa l'amendement par 450 voix contre 148.

La troisième délibération suivit de près la seconde. Le 15 mars, on mit aux voix l'ensemble du projet. Tous les membres de la gauche, depuis les Montagnards les plus exaltés jusqu'à Lamartine et Cavaignac, s'unirent dans un vote hostile. Ils trouvèrent des alliés dans M. Wallon et dans l'abbé Cazalès. Parmi les ministres, MM. Roulier, Ferdinand Barrot, Bineau s'abstinrent. Il en fut de même de Mgr Parisis. Cette dernière abstention ayant été commentée avec amertume[45], le prélat déclara dans une lettre publique qu'il était personnellement favorable au projet, mais qu'il avait craint que son suffrage, s'il l'exprimait, ne parût un blâme à ceux de ses collègues de l'épiscopat qui ne partageaient pas son sentiment. Quant aux membres de la droite, ils 'l'hésitèrent pas à manifester leur adhésion : 399 voix contre 237 se prononcèrent pour la liberté d'enseignement.

 

IX

Ainsi fut votée cette loi fameuse qui avait soulevé tant de débats, excité tant de colères, traversé tant d'épreuves. On pouvait craindre que les catholiques, an lieu de profiter de la liberté nouvelle, ne continuassent entre eux des controverses qui n'avaient que trop duré. Il n'en fut point ainsi. Le 15 mai, une lettre du nonce aux évêques donna à la loi une sorte d'approbation, approbation pleine de réserves, précieuse néanmoins et bien propre à ramener la paix[46]. A la suite de cette circulaire, l'Univers cessa l'ardente polémique qu'il avait soutenue. Plus notre opposition a été vive, dit-il, plus il importe qu'aucun nuage ne puisse s'élever sur la sincérité et l'intégrité de notre soumission aux directions du Vicaire de Jésus-Christ[47]. Un bref de la secrétairerie pontificale félicita M. Molé, M. de Montalembert, M. de Falloux, des services rendus par eux à l'Église. Le Père de Ravignan, agissant sans doute au nom de son Ordre, remercia M. Thiers de sa loyale intervention[48]. Enfin Mgr Parisis, qui n'avait pas osé ratifier par son vote l'œuvre de ses amis, publia bientôt un commentaire de la loi, commentaire pratique et lumineux qui en montrait manifestement les bienfaits.

Ce retour était légitime, et l'on ne pouvait regretter qu'une chose, c'est qu'il eût été si tardif. Malgré ses lacunes, la loi nouvelle, aux yeux de tout observateur attentif, offrait à l'Église d'inappréciables facilités pour le bien. — Le premier de ces avantages, c'était l'abolition du monopole : désormais tout Français, fût-il prêtre, fût-il Jésuite, pouvait ouvrir un établissement d'instruction[49] : aucune entrave directe ou indirecte : le certificat d'études, déjà supprimé par le décret du 16 novembre 1849, était définitivement aboli[50] : aucune condition excessive de grade n'était exigée. — Partout apparaissaient en outre le respect du clergé et le souci de son influence morale. Le curé était l'une des autorités préposées à la surveillance de l'enseignement primaire[51]. C'est de concert avec lui que le maire devait dresser la liste des enfants admis à la gratuité[52]. Tout ministre du culte non interdit avait le droit de tenir une école primaire, sans rapporter aucun brevet de capacité et sans justifier d'aucun stage[53]. Les supérieurs des associations religieuses jouissaient de la faculté de présenter directement les candidats aux postes d'instituteurs communaux[54]. La lettre d'obédience remplaçait le brevet de capacité pour les institutrices appartenant à des congrégations religieuses reconnues par l'État[55]. En ce qui concerne les petits séminaires, les fameuses ordonnances de 1828 étaient abolies : ainsi plus d'obligation pour les jeunes gens de porter le costume ecclésiastique ; plus de limitation du nombre des élèves ; plus de défense de recevoir des externes[56]. — A la vérité, l'État conservait le gouvernement de l'instruction publique ; mais il convenait d'observer deux choses : la première, c'est que le conseil supérieur et les conseils académiques, au lieu d'être entièrement à la dévotion de l'Université, formaient une sorte de haute magistrature où toutes les forces sociales étaient représentées[57] ; la seconde, c'est que l'inspection, si elle s'étendait à tous les établissements sans exception, était restreinte dans des limites soigneusement déterminées[58]. — Comme on le voit, non seulement les catholiques participaient au droit commun, mais encore certaines dispositions de la loi trahissaient envers les ministres du culte et les congrégations enseignantes une équité bienveillante qui s'est rarement retrouvée depuis.

Les résultats dépassèrent même les plus favorables prévisions. Sous l'aiguillon de la concurrence, les établissements universitaires devinrent meilleurs. Quant aux établissements religieux, ils se multiplièrent. Les difficultés étaient grandes : difficultés avec les entrepreneurs, difficultés pour les avarices de fonds, difficultés pour recruter un personnel enseignant. Ces obstacles furent surmontés. Avant même que la loi du 15 mars 1850 fût promulguée, certaines villes comme Ancenis et Saint-Dizier demandèrent que leurs collèges fussent remis au clergé[59]. Au bout de quelques mois, Arles, Guingamp, Tarascon, Draguignan, Château-Gontier, Brignoles, Orthez, Saint-Chamond virent s'élever des maisons ecclésiastiques[60]. Un grand nombre de municipalités étaient disposées à offrir aux prêtres leurs collèges communaux ; elles espéraient une direction meilleure et étaient assurées, dans tous les cas, d'une sérieuse économie[61]. De 1850 à 1852, 257 établissements libres furent créés[62].

Bientôt on ne craignit plus qu'une chose, c'est que ces maisons ne fussent trop nombreuses et ne se fissent tort par leur nombre même. — Les congrégations ne furent pas moins empressées à profiter de la liberté commune. Le Père de Ravignan avait même dû modérer l'ardeur des religieux de sa Compagnie qui voulaient ouvrir des écoles sans attendre le vote de la loi[63]. A Saint-Affrique, à Mende, ailleurs encore, s'ouvrirent, dès 1850, des établissements tenus par les Jésuites. La restauration de cet institut jadis si impopulaire ne souleva pas les répugnances qu'on aurait pu craindre. Bien plus : un incident se produisit qui marqua les progrès de l'esprit de tolérance. Un Jésuite, le Père Valentin, en traitant avec la municipalité de Mende pour la cession du collège de cette ville, avait figuré au contrat, non en son nom personnel, mais au nom de la Société de Jésus. La convention, qui contenait d'ailleurs d'autres irrégularités, fut soumise à l'approbation du conseil supérieur. L'occasion était belle pour raviver les anciennes querelles. Nul n'y songea. Le traité fut accepté sous la seule condition que le Père Valentin y figurerait comme particulier, non comme mandataire de son Ordre[64].

Les institutions créées par la loi du 15 mars 1850 pour le gouvernement de l'instruction publique ne justifièrent pas les alarmes que les catholiques avaient conçues. Dans le conseil supérieur, les évêques furent accueillis avec déférence et leurs avis le plus souvent écoutés. Les prélats désignés pour y siéger furent Mgr Morlot, archevêque de Tours, Mgr Gousset, archevêque de Reims, Mgr Parisis, évêque de Langres, Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans : on ne pouvait choisir des personnages plus recommandables ni plus éclairés. Dans les conseils académiques, le même esprit d'équité régna. L'inspection des établissements libres ne souleva elle-même que peu de difficultés. Les circulaires des ministres veillèrent à ce que ces inspections fussent non tracassières, mais réservées, surtout dans les petits séminaires où la surveillance épiscopale était une suffisante garantie d'ordre et de moralité[65]. De toutes les dispositions de la loi, une seule souleva dans le corps universitaire de vives doléances : l'abolition du certificat d'études permit à beaucoup de jeunes gens de se présenter au baccalauréat sans avoir terminé leurs classes, et les doyens des Facultés, dans leurs rapports au ministre, signalèrent avec une inquiétude peut-être un peu affectée cet état de choses qui leur semblait le prélude ou l'indice d'une décadence dans l'enseignement[66]. Le mal n'était pas si grand qu'on ne le proclamait : car il suffit pour le conjurer d'éliminer des épreuves les candidats incapables ou mal préparés.

Un comité de l'enseignement libre avait été formé. Dans ce comité avaient pris place M. Molé, M. de Montalembert, M. Beugnot, M. Augustin Cochin, M. de Corcelles, tous anciens membres des commissions ministérielles ou parlementaires. C'est avec bonheur que ces hommes éclairés, soucieux à la fois des intérêts de l'Église et de ceux de leur pays, voyaient leur œuvre se développer et fleurir ; et ils se disaient que cette conquête achetée par tant d'efforts n'avait pas été payée trop cher. Ils n'étaient pas seuls à se féliciter. Dans son message du 4 novembre 1851, le président de la République n'hésita pas à reconnaître les heureux résultats de la liberté d'enseignement. C'est que cette loi était bien un édit de pacification. Plus tard, à la vérité, elle fut atteinte en plusieurs de ses parties : elle ne subsista pas moins dans son ensemble, tant elle était vivace, tant elle avait pénétré dans les mœurs publiques !... Malgré les iniquités de l'heure présente, elle n'est pas encore tout à fait détruite, et, au milieu de toutes les institutions qui passent et disparaissent, elle permet d'inculquer aux générations qui s'élèvent le goût et le respect des choses sacrées.

Une ombre attriste toutefois ce consolant tableau. Si la loi du 15 mars 1850 fut féconde en résultats, les catholiques ne rendirent qu'une demi-justice à ceux qui leur avait assuré ce bienfait. Du haut de la tribune, Montalembert, faisant allusion aux reproches de quelques-uns de ses anciens alliés, avait laissé échapper de ses lèvres cette phrase mélancolique : J'offre à l'Église mon impopularité comme un dernier hommage[67]. Ni lui ni ses nobles auxiliaires ne retrouvèrent au sein de leur parti la faveur qui les avait soutenus jadis. Leur œuvre réussit : mais, leur œuvre achevée, ils n'eurent plus qu'à descendre, jeunes encore et déjà un peu usés, frappés au seuil de la maturité d'une sorte d'impuissance relative, voués aux haines implacables de leurs adversaires qui ne leur pardonnaient pas leurs services à l'Église, mollement soutenus par leurs amis qui jugeaient ces services incomplets ou les croyaient viciés par des calculs humains. Chose étrange ! ils eurent plus de peine à se faire amnistier de leur triomphe que d'autres à se relever d'une défaite ; et le même vote qui consacra leur victoire commença le déclin de leur influence. Cette parcimonie dans la gratitude a de quoi attrister les âmes généreuses. Ne nous affligeons pourtant pas trop. Entre les plus nobles âmes et dans les meilleures causes, il y a parfois des dissentiments que le temps efface et qui sont le témoignage de notre humaine faiblesse. Rappelons-nous aussi que la reconnaissance et l'affection ne remontent guère, et que ceux qui recueillent la moisson se souviennent rarement de ceux qui ont semé. N'oublions pas enfin que Dieu, comme pour montrer que tout bien procède de lui, se plaît parfois à diminuer les instruments qui lui ont servi. Lui seul peut permettre sans injustice cette apparente iniquité, parce que seul il peut, dans un monde meilleur, couronner les dévouements qui n'ont été récompensés ici-bas qu'à demi.

 

 

 



[1] Correspondance inédite.

[2] RANDON, Mémoires, t. Ier, p. 36.

[3] Papiers et documents inédits.

[4] Moniteur de 1849, p. 3183.

[5] Moniteur de 1849, p. 3589.

[6] Papiers et documents inédits.

[7] Décret du 17 mars, art. 38.

[8] Décret du 17 mars, art. 46.

[9] Décret du 17 mars, art, 101.

[10] Voir Correspondance de Frédéric Ozanam, passim. — Voir aussi Lettres de M. Léon Cornudet à M. de Montalembert. (Correspondant, 10 juin 1884.) Les lettres de M. Cornudet sont un peu antérieures à 1830, mais peignent à merveille, à son origine, le mouvement que nous décrivons.

[11] Vie de M. Ozanam, par Mgr OZANAM, p. 132 et suiv.

[12] Vie de M. Ozanam, par Mgr OZANAM, p. 206.

[13] On rêvait alors des associations laïques de foi et de charité, unissant l'enseignement à l'assistance et formant une sorte de Chevalerie de Malte du dix-neuvième siècle. (Mémoires inédits de M. Armand DE MELUN.)

[14] Revue française, octobre 1838, p. 12.

[15] Maxime DU CAMP, Souvenirs de 1848, p. 113.

[16] Circulaire du 25 février 1848. (Moniteur de 1848, p. 504.)

[17] Moniteur des 19, 21, 22 septembre 1848.

[18] M. DE FALLOUX, Les républicains et les monarchistes depuis la révolution de Février. (Revue des Deux Mondes, février 1851.) — M. DE FALLOUX, le Paris catholique. — Mémoires inédits de M. Armand DE MELUN.

[19] Lettre de M. Thiers à M. M... de M..., ancien député, 2 mai 1848 (Voir l'Ami de la religion, n° du 18 juin 1848.)

[20] M. THIERS, De la propriété, liv. IV, chap. VII.

[21] L'Évêque d'Orléans, par M. DE FALLOUX, p. 19

[22] Procès-verbaux de la commission de 1849, réunis par M. DE LACOMBE, p. 34-40.

[23] Mémoires inédit, de M. Armand DE MELUN.

[24] Procès-verbaux de la commission de 1849, p. 85 et 86.

[25] Procès-verbaux de la commission de 1849, p. 85.

[26] Procès-verbaux de la commission de 1849, p. 60.

[27] Procès-verbaux de la commission de 1849, p. 197.

[28] Procès-verbaux de la commission de 1849, p. 198. — Le certificat d'études avait été institué par l'article 1S du décret du 16 février 1810. Pour être admis aux examens du baccalauréat, il fallait rapporter la preuve qu'on avait fait sa rhétorique et sa philosophie dans un lycée ou dans une école autorisée à ce double enseignement.

[29] Procès-verbaux de la commission de 1849, p. 199.

[30] Procès-verbaux de la commission de 1849, p. 220-226.

[31] Procès-verbaux de la commission de 1849, p. 238 et suiv.

[32] Mémoires inédits de M. Armand DE MELUN.

[33] L'Évêque d'Orléans, par M. DE FALLOUX, p. 44.

[34] Mémoires inédits de M. Armand DE MELUN.

[35] Les Débats de la commission d'enseignement, par M. DE LACOMBE, p. 299. — L'Évêque d'Orléans, par M. DE FALLOUX, p.58.

[36] Mémoires et papiers inédits de M. Armand DE MELUN.

[37] Articles du 29 juin, 1er et 29 juillet, 1er, 2 et 3 août 1849. (Voir Mélanges de Louis VEUILLOT, t. V, p. 394 et suiv.)

[38] Plusieurs évêques autorisèrent publiquement notre opposition, dit M. Louis Veuillot. (Histoire du parti catholique, t. Ier des Mélanges, p. 474.)

[39] Vie du Père de Ravignan, par le Père DE PONTLEVOY, t. II, p. 164.

[40] Voir lettre de M. Thiers à M. Dupanloup, 10 août 1849. (Vie de Mgr Dupanloup, par l'abbé LAGRANGE, t. Ier, p. 501.)

[41] Mémoires et papiers inédits de M. Armand DE MELUN.

[42] Mémoires inédits de M. Armand DE MELUN.

[43] Lettre de Mgr Dupanloup à M de Montalembert. (Vie de Mgr Dupanloup, par M. l'abbé LAGRANGE, t. Ier, p. 511.)

[44] Dans une lettre à M. de Falloux, M. Armand de Melun expliquait ainsi son vote en faveur de l'urgence : Tout en murmurant contre nos ministres, nous avons pensé qu'une loi qui avait besoin de la bonne volonté de tous ne devait pas se faire précéder par un soufflet donné au Gouvernement et à quelques-uns du nos amis. (Correspondance inédite.)

[45] Cette abstention souleva quelque colère : ce n'était pas la peine, murmuraient certains conservateurs, d'avoir fait une si grande concession aux catholiques pour que le seul évêque membre de l'Assemblée ne donnât pas même à cette loi l'adhésion de son vote. (Mémoires inédits de M. Armand DE MELUN.)

[46] Voir le texte de cette lettre dans l'Univers du 18 mai 1850.

[47] L'Univers, 24 mai 1830.

[48] Lettre du Père de Ravignan à Mgr Dupanloup. (Vie de Mgr Dupanloup, par l'abbé LAGRANGE, t. Ier, p. 516.)

[49] Art. 25 et 60.

[50] Art. 63.

[51] Art. 44.

[52] Art. 45.

[53] Art. 25.

[54] Art. 31.

[55] Art 49.

[56] Art. 70. Les écoles secondaires ecclésiastiques sont maintenues sous la seule condition de rester soumises à la surveillance de l'État.

[57] Art. 1er à 16.

[58] Art. 21.

[59] Rapport au comité de l'enseignement sur la loi du 15 mars 1850, par M. le comte BEUGNOT, p. 63.

[60] Rapport de M. le comte Beugnot, p 63 et 64.

[61] Comité de l'enseignement libre : séance du 1er février 1852. (Rapport, p. 8.)

[62] Rapport de M. le comte Beugnot, p. 66.

[63] Vie du Père de Ravignan, par le Père DE PONTLEVOY, t. II, p. 171.

[64] Rapport de M. le comte Beugnot, p. 31-33. — Recueil des lois et actes de l'instruction publique, année 1851, p. 68.

[65] Voir Instruction du 10 mai 1851 de M. DE CROUSEILHES, ministre de l'instruction publique. (Recueil des lois et actes de l'instruction publique, année 1851, p. 288.)

[66] Voir Rapports des doyens des Facultés des lettres de Poitiers, Strasbourg, Dijon, Besançon, Lyon, Aix, Bordeaux (1852), cités par M. le comte Beugnot dans son Rapport au comité de renseignement libre, p. 81 et suiv.

[67] Séance parlementaire du 17 janvier 1850. (Moniteur de 1850, p. 200.)