HISTOIRE DU RÈGNE DE LOUIS XIV

PREMIÈRE PARTIE. — LA FRANCE POLITIQUE, RELIGIEUSE, LITTÉRAIRE SOUS MAZARIN

 

PRÉFACE.

 

 

Je dédie ce livre à Louis-le-Grand, mon vieux lycée, où j'occupe la même chaire depuis plus de quarante ans.

Je le dédie à mes collègues ; à ceux qui ne sont plus, comme un souvenir fidèle et pieux ; à ceux qui m'entourent aujourd'hui d'une si bienveillante considération, comme un témoignage de ma bonne volonté et ensemble de mon impuissance à leur exprimer dignement ma gratitude.

Je le dédie enfin à mes élèves ; je crois savoir que les plus anciens y retrouveront avec plaisir les habitudes et le langage d'un enseignement dont leur affection a conservé la mémoire. J'espère qu'il sera pour les plus jeunes, et en particulier pour ceux qui vont me quitter, la continuation et le complément de nos entretiens hebdomadaires.

Si je n'avais en vue que ces deux catégories de lecteurs, cette préface pourrait s'arrêter ici, et s'abstenir de tout exposé ou commentaire d'intentions. On n'a pas à expliquer ses sentiments et ses pensées à ceux qui les connaissent par des relations de chaque jour ; à quoi bon également s'excuser de ses défauts ou de son insuffisance auprès de juges qui comprennent, par leur pratique personnelle, le labeur des longues investigations, et la difficulté de mettre en ordre et en lumière des matériaux de toute nature ? Mais dès qu'un ouvrage entre dans le domaine de la publicité, il est justiciable de tout le monde, c'est-à-dire des indifférents et des inconnus, qui l'approuvent ou le condamnent sur leur impression du moment, et non sur des préventions antérieures. Comme il ne vaut que par lui-même, s'il est attaqué, il faut qu'il justifie par ses seules forces, son but, sa méthode et son esprit. Je vais donc, en peu de mots, rendre compte de ce que je me suis proposé, dire ce que j'ai fait du travail de mes devanciers et du mien, l'ordre dans lequel j'ai distribué les matières, les jugements quelquefois hardis que je ne crains pas de porter sur les hommes et sur les choses, et le genre de narration que j'ai estimé le plus convenable.

J'ai cru qu'une histoire du siècle de Louis XIV était encore à faire, malgré tant de livres publiés sur cet illustre sujet, même de nos jours où les études historiques ont pris un développement qui restera le caractère le plus sérieux de la littérature de notre époque. L'essai spirituel et brillant, tenté au dernier siècle, venait trop tôt pour être complet ; il y manquait bien des mémoires, des correspondances, des documents officiels, qui ne pouvaient être, qu'à la longue, tirés de l'obscurité des archives, ou abandonnés par les familles à la curiosité publique. D'autre part l'es. prit philosophique, qui égare souvent l'auteur, l'empêchait de saisir dans toute son étendue, et de présenter sous son vrai jour, l'histoire religieuse d'une société dont il aimait avant tout la splendeur politique et littéraire, les plaisirs et les voluptés élégantes. Il y a plus de plénitude dans les travaux de nos contemporains ; à force de science, ils offrent un intérêt plus vif, et plus d'éléments d'impartialité. Il suffit de citer l'Histoire de Louvois extraite de neuf cents volumes de pièces manuscrites, ou celle de Colbert abrégée de l'immense trésor des lettres, mémoires et instructions laissées par le grand administrateur, l'Histoire des négociations relatives à la succession d'Espagne, ou le Port-Royal de Sainte-Beuve, ou la Biographie des femmes galantes et politiques du XVIIe siècle, devant laquelle n'a pas reculé la gravité d'un philosophe éclectique. Mais quelque charme qu'on éprouve à séjourner dans ces vastes galeries où semblent revivre pour nous tant de personnages d'un siècle disparu, on ne peut méconnaître que ces riches collections ne répondent pas à tous les besoins de savoir ni à toutes les exigences de l'esprit français, dont la curiosité veut tout apprendre, et dont l'impétuosité veut apprendre vite ce qu'il lui importe de retenir. Ce sont en effet des œuvres de longue haleine qui réclament une persévérance de lecture, et un emploi de temps, dont seuls les hommes spéciaux sont capables. Ce sont en second lieu des tableaux partiels, individuels, malgré leur dimension ; des biographies ou monographies, qui subordonnent à leur héros ou à leur objet l'histoire générale ; des fragments d'un grand tout, sans liaison les uns avec les autres, qui n'embrassent ni toutes les époques ni tous les événements, et dont l'assemblage même serait bien loin de composer une histoire complète. Il y a donc des erreurs à réfuter qui remontent au moins à cent ans, des études savantes à ramener à des proportions convenables pour les faire entrer dans un cadre commun, des lacunes à combler par de nouvelles investigations sur les points où la science moderne n'a pas encore pénétré. Telles sont les conditions qui s'imposent à quiconque veut présenter fidèlement et dans son ensemble le XVIIe siècle ; tel est aussi le triple but que nous avons poursuivi : redresser, abréger, compléter. Nous craignons bien que nos forces ne soient inférieures à cette rude besogne ; mais si le travail est bon à entreprendre, il est utile que quelqu'un donne l'exemple ; nous le donnons à nos risques et périls, tout prêt à applaudir celui qui, après nous, réussira mieux que nous.

Tout ce que font les hommes, tout ce qui touche à leur âme, à leur intelligence, à leur corps, quidquid agunt homines, appartient à l'histoire à plus juste titre encore qu'à la satire, nostri est farrago libelli. On en convient sans peine depuis Mezeray ; on ne réduit plus l'histoire à n'être qu'une généalogie des princes, ou une nomenclature de batailles et de traités de paix. On y admet toutes les classes de la société ; on y joint à la politique les controverses religieuses ; aux institutions publiques, à l'administration, les développements du travail, de l'industrie, du commerce ; à l'état des mœurs, de la prospérité ou de la misère, les progrès ou la décadence des lettres, des sciences et des arts. Mais si l'on s'accorde sur l'importance et le choix des matières, on dispute encore sur la disposition qu'il convient de leur donner. La difficulté de tout raconter à la fois sans confusion, d'assurer à chaque idée une place suffisante au milieu des autres, a fait adopter par plusieurs une méthode de division, qui, pour un mérite de clarté apparent, compromet l'exposition et l'intelligence de la vérité. Voltaire a encouru ce reproche de la part de ses amis mêmes : Il ne voit pas d'un seul coup d'œil les faits, les caractères, les mœurs, se développer devant lui. Il aime mieux diviser son sujet par groupes distincts de faits homogènes, racontant d'abord et de suite toutes les guerres depuis Rocroi jusqu'à la bataille de Hochstedt, puis les anecdotes, puis le gouvernement intérieur, puis les finances, puis les affaires ecclésiastiques, le jansénisme, les querelles religieuses[1]. Cependant suffit-il, pour expliquer le mécanisme du corps humain, d'en faire voir, l'un après l'autre, les membres et les organes séparés, au lieu de les retenir dans leur liaison naturelle pour démontrer la part de chacun au fonctionnement de tous ? On ne comprendra pas davantage la marche d'une société, si on ne met en mouvement à la fois, à leur date commune, et dans leur action réciproque, les intérêts qui s'y croisent, les aspirations diverses qui se heurtent ou s'entraident, les faits influant sur les idées, ou les idées sur les faits. Le jansénisme a été une des forces de la Fronde ; la déclaration de 1682 a poussé Innocent XI dans les rangs des ennemis de Louis XIV ; il n'est donc pas raisonnable de mettre en scène Broussel et le Coadjuteur avant d'avoir étudié l'Augustinus et les hommes de Port-Royal ; pour démêler tous les secrets de la ligue d'Augsbourg, on a besoin de connaître les querelles de la Régale et la question de l'Infaillibilité. On ignore une des causes majeures de la guerre de Hollande, si, avant l'explosion des hostilités, on n'a pas vu Colbert à l'œuvre dans les chantiers de la marine et dans les manufactures françaises, préparant la ruine du commerce des Provinces-Unies, ou dans ses négociations avec les marchands d'Amsterdam, ne leur laissant, par ses tarifs rigoureux, d'autre ressource que les armes pour sauver leur richesse. On ne s'étonnera plus des embarras financiers de Louis XIV, au moment d'entrer en lutte contre Guillaume III pour Jacques II, si, à la suite de la paix de Nimègue, l'historien a placé le tableau de cette magnificence dispendieuse qui compléta les splendeurs de Versailles, créa Marly et l'aqueduc de Maintenon. Il n'y a pas jusqu'à l'histoire littéraire, qui ne gagne en vérité et en agrément à être racontée par époques correspondant aux diverses périodes de la politique. La différence des genres naît de la différence des temps ; le langage change avec le gouvernement ; la fierté sous la fronde, la complaisance du panégyrique sous la domination respectée du maître absolu. Cette chronologie, si peu brillante qu'on la trouve, est pourtant bonne à beaucoup de choses. Elle empêche de confondre, comme contemporains ou comme rivaux, des hommes séparés par une grande distance d'âge ou par la diversité des talents, tels que Corneille et Racine, Bossuet et Fénelon. Elle prévient ou réforme les jugements erronés de la critique. Si, par exemple, on plaçait toujours les événements littéraires à leurs dates, on cesserait d'accuser Boileau d'injustice envers Quinault ; car on saurait que, au temps des satires, contre lesquelles ses admirateurs réclament, Quinault n'était encore que l'auteur d'Astrate, et n'avait produit aucun des ouvrages qui lui ont acquis dans la suite une juste réputation, comme parle Boileau lui-même[2].

Par ces considérations, nous avons préféré la méthode synoptique qui rend à chaque époque ce qu'elle a produit, e place chaque personnage dans son véritable centre. Nous ne recommençons pas la vie de Louis XIV après sa mort, pour suivre d'un trait les débuts, les progrès, les malheurs de son administration. Chacune de ces phases apparaît à son tour selon les vicissitudes du règne, comme cause ou résultat des événements généraux. Il en est de même de ses interventions dans les affaires de l'Église, de ses relations avec les hommes de lettres, des variations de sa vie privée, désordres insolents aux jours de la jeunesse et de la force gâtées par la gloire, ou régularité honorable, quoique mal comprise, aux jours de l'épreuve et du châtiment. Nous n'avons pas de chapitres spéciaux, sous le titre d'armée, de finances, ou de travaux publics, pour y faire figurer à la file Colbert et Louvois, Pont-Chartrain et Chamillard, en dehors des exploits de Condé, de Turenne, de Duquesne et de Luxembourg, ou des malheurs de Villeroi et de Lafeuillade. Mais les grandes créations de Louvois et de Colbert marchent de front et en rapport avec les guerres qu'ils ont préparées ou conduites ; l'inauguration du canal du Languedoc est mise en regard de la paix de Nimègue. Plus loin les successeurs malheureux de ces grands ministres fonctionnent à leur place, dans des conditions différentes, et au milieu d'événements que leur insuffisance ne peut changer, ou qui expliquent cette insuffisance. Nous avons réparti également l'histoire littéraire entre les diverses périodes qui divisent naturellement le siècle. Au commencement, sous Mazarin, dans un monde indécis et troublé, les Précieux et les premiers travaux de l'Académie, des erreurs de goût, des essais de régularité, sur lesquels tranchent deux fondateurs décisifs, Pascal et surtout Corneille, le génie unique, le poète longtemps sans rival. Au milieu, quand Louis XIV règne et domine seul, la grande explosion de poètes, d'orateurs, de savants, qui participent à l'éclat du souverain par leur perfection, leur nombre, et aussi par sa munificence. A la fin, à mesure que la gloire décroît et que les malheurs s'accumulent, l'affaiblissement du génie, la rareté des hommes supérieurs, et le vieux Boileau, infirme et morose, resté seul de ses contemporains, assistant à la chute d'une littérature dont il a été le législateur, comme Louis XIV assiste à la décadence de la monarchie.

L'admiration que le XVIIe siècle s'était décernée à lui-même, a fait loi pendant longtemps pour les générations suivantes. Le siècle dernier y contredisait à peine, et c'est merveille de voir comment les philosophes et les souverains étrangers, les plus hostiles à la politique de Louis XIV, s'inclinaient devant la gloire .du grand roi et de ses grands hommes. Il en est resté, dans beaucoup d'esprits, un respect intraitable pour les personnes et les œuvres de cet âge d'or. Les uns, c'est le plus petit nombre, veulent que tout y ait été supérieur, incomparable, irréprochable. D'autres, qui ne méconnaissent pas les côtés défectueux, voudraient au moins que, en considération des grandeurs, on ne parlât pas des faiblesses, et qu'on leur laissât à eux-mêmes une illusion qui a été le charme de leurs premières études. Plusieurs, persuadés qu'il faut à l'homme un idéal parfait pour modèle et pour frein, craignent que, en faisant descendre les demi-dieux convenus au rang des mortels, et parfois des coupables, on ne débarrasse la médiocrité orgueilleuse d'une comparaison qui la retient à sa place, ou qu'on n'encourage les volontés faibles à ne pas pratiquer le devoir, par l'exemple des hommes célèbres qui ne l'ont pas respecté. Dieu nous garde d'être dépréciateur par système, et surtout de croire, à la manière de Saint-Simon, relever notre insuffisance par le rabaissement des supériorités ! Mais comme la justice ne doit pas être sacrifiée même à la charité, la vérité a le droit et le devoir de ne pas s'effacer devant les convenances et les routines de vénération mal éclairée. Il y a eu du mal, beaucoup de mal, au rune siècle ; les victorieux, les habiles, les brillants esprits, n'ont pas toujours été d'honnêtes gens, et les conséquences de cet alliage ont été d'autant plus ruineuses qu'il a été moins exactement signalé. L'historien a le droit, non-seulement de le dire, mais de le faire voir par l'exposé sincère des témoignages qu'il a entre les mains, afin de mériter la confiance publique, de ne produire que des personnages réels, et de donner au présent la vraie leçon que renferme le passé. Le courtisan Boileau pensait ainsi dans l'intimité : Quand on écrit la vie des gens, disait-il, il ne faut pas les ménager sur ce qu'ils ont de criminel ; cela gagne créance pour le bien qu'on dira d'eux. J'admire M. Colbert qui ne pouvait souffrir Suétone, parce que Suétone avait révélé la turpitude des Empereurs ; c'est par là qu'il doit être recommandable aux gens qui aiment la vérité. Voulez-vous qu'on vous fasse des portraits de fantaisie, comme en ont tant fait la Scudéry et son frère ?[3] Ajoutons que dire toute la vérité, ce n'est pas supprimer l'éloge mérité et bien établi. Pour n'être pas complet, le grand homme n'en conserve pas moins sa part légitime de distinction. Ses défauts, ses fautes même par où il tient à l'humanité, font d'autant mieux ressortir les talents par où il la domine. Mais il importe à la morale publique de savoir que, si les actes coupables ne détruisent pas l'illustration du mérite, l'illustration ne couvre pas non plus les actes coupables, et que les favoris de la gloire n'en sont que plus justiciables de la conscience, et soumis sans cour et sans suite au jugement de tous les peuples et de tous les siècles[4].

En vertu de ces principes de rétribution, nous disons tout, le mal comme le bien, les vices et les qualités du même homme, qu'il s'appelle le cardinal de Retz, le Grand Condé ou le Grand Roi. Lorsque le vainqueur lie Rocroi et de Lens n'est plus qu'un intrigant hypocrite ou sanguinaire dans la Fronde, un traître misérable au service de l'Espagne, nous ne dissimulons rien de ses violences ou de ses grimaces, de ses bassesses devant les Parisiens ou devant l'étranger. Les talents de Paul de Gondi, ni l'amitié de madame de Sévigné, ne nous inspirent pas d'indulgence pour ce prêtre conspirateur et libertin, et nous lui sommes moins favorables que ses contemporains eux-mêmes, parce que le temps nous a révélé bien des crimes qu'il était parvenu à leur cacher. Nous nous faisons honneur de n'avoir pas de faible pour la beauté quand elle n'est pas pure ; nous ne prenons pas en considération les charmes et l'esprit des femmes galantes, et, pour leur accorder notre intérêt, nous attendons que, par une retraite volontaire et un franc repentir, elles flétrissent d'elles-mêmes leurs succès usurpés. Ce chœur luxurieux, mené par Louis XIV, nous rebute, bien loin de nous séduire, par le ton distingué dont il prétend se faire une apologie. Quand on sait que cette élégance a été la crise décisive de notre décadence morale, on a le devoir de condamner, dans son principe comme dans ses conséquences, un exemple, trop contagieux depuis deux siècles, dont il est urgent de revenir.

La composition d'une histoire complète de cette époque, si riche en événements, présentait deux difficultés contraires, également à craindre et à éviter ; trop d'étendue si l'on voulait tout raconter, trop d'aridité, si, pour être plus rapide, on se résignait à abréger les détails. Dans le premier cas, le nombre des volumes eût découragé le lecteur ; dans le second, les faits entassés sans explication et sans caractère eussent manqué de clarté et d'intérêt. Nous nous sommes efforcé de concilier ces deux exigences. Nous supprimons les faits accessoires, ceux qui n'ajoutent rien à l'importance des grands résultats, à l'intelligence des idées nécessaires. Que de combats partiels on peut omettre sans nuire à l'histoire de la guerre civile ou étrangère ! Que d'écrits on peut laisser dans l'ombre, sans altérer aucunement l'histoire des débats politiques, des controverses religieuses ou de la littérature ! En revanche, et à la place que nous rend cette méthode, nous développons les idées, les caractères, les mœurs, les institutions. Nous mettons en scène les personnages pour les faire revivre, agir, parler, au lieu de résumer sèchement le sens ou l'effet de leurs paroles ou de leurs actions. Nous ne reculons pas devant les citations : extraits textuels des discours, des lettres, des livres vantés, des actes officiels, édits, arrêts judiciaires, traités de paix et d'alliance, tous documents où la couleur locale abonde, et où se révèle spontanément l'esprit du siècle, sans qu'on puisse accuser de partialité le jugement de l'historien. C'est, à notre avis, un défaut capital, quoique assez commun, de procéder par allusions, de traiter le lecteur comme s'il connaissait d'avance les personnes et les choses, et qu'il suffit de lui en rafraîchir, par quelques mots, la mémoire affaiblie. Nous croyons plus utile et plus consciencieux de séjourner, pour ainsi dire, au milieu des événements et des hommes, de prendre le temps de les considérer à loisir, pour les connaître par eux-mêmes. C'est là ce que signifie le sous-titre : RÉCITS ET TABLEAUX, que nous avons ajouté à notre titre principal. Pour dire toute notre pensée, nous aurions été heureux de faire, d'un livre d'histoire, un livre de lecture, capable de plaire en instruisant, et digne d'être, non-seulement consulté sur un nom, un fait, ou une date, mais lu d'un bout à l'autre et repris quelquefois avec agrément.

Le public décidera si ce désir n'était qu'une illusion. Il n'y a d'appel de ses sentences que pour les chefs-d'œuvre du génie : de son accueil dépend même le sort des volumes que nous ne publions pas immédiatement quoique le travail en soit fort avancé. Mais quel que soit le jugement, bienveillant ou défavorable, nous ne regretterons jamais le temps, les fatigues opiniâtres, que notre tentative nous aura coûté. Car ces recherches et ces efforts nous transportent, nous retiennent, au milieu d'une société qui attire par sa grandeur, qui instruit et corrige par ses fautes ; et, en dernier lieu, tant est bienfaisant l'attrait de l'étude et des lettres, elles détournaient par moments et reposaient notre pensée des épreuves formidables qu'il a plu à la justice divine d'envoyer à notre pays, et qui ont fait d'une seule année un long espace de la vie humaine.

 

Paris, 1er juillet 1871.

 

 

 



[1] Villemain, Littérature au XVIIIe siècle, tome II, leçon XVII.

[2] Boileau, Préface de la dernière édition des Satires.

[3] Bolœana, ou Entretiens de Monchenay avec l'auteur, Amsterdam, 1742.

[4] Bossuet, Oraison funèbre de la duchesse d'Orléans.