MŒURS ROMAINES

 

LIVRE IX — LES BEAUX-ARTS DANS L’EMPIRE ROMAIN.

CHAPITRE II — But et emplois de l’art plastique et de la peinture.

 

 

§ 1. — L’art décoratif.

Le développement d’activité vraiment prodigieux de l’architecture, sur un domaine de cette immensité, suffisait déjà pour déterminer un emploi extrêmement étendu de tous les arts figuratifs, auxquels on recourait partout, dans une large mesure, pour l’ornement et la décoration de l’extérieur et de l’intérieur des bâtiments de tout genre. Nulle part, à Rome moins que partout ailleurs, on ne voyait s’élever un édifice public, de quelque importance, dont l’ornementation n’offrît aussi de l’emploi au ciseau du sculpteur en pierre, au travail duquel venaient s’associer, selon les besoins, le stucateur, le ciseleur, le sculpteur en bois, le fondeur, le peintre et le mosaïste. Des statues, posées isolément ou en groupes, remplissaient les frontons et la toiture, les niches, les interstices des colonnes et les limons supportant les escaliers des temples, les théâtres, comme celui de Scaurus, dans lequel il n’y avait pas moins de trois mille statues en bronze[1], les amphithéâtres, les basiliques et les thermes ; elles contribuaient de même à l’ornement du portail et de la balustrade des ponts et des arches de toute espèce, à celui des grandes portes d’entrée des villes, ainsi qu’à celui des viaducs. Les arcs de triomphe, surtout, étaient habituellement couronnés de statues équestres, de trophées, de quadriges et de chars à six chevaux, conduits par des déesses de la Victoire[2]. Des reliefs et des médaillons ornaient les frises, des reliefs ou des peintures, les panneaux ; les voûtes et les plafonds resplendissaient d’ornements en stuc ou de peintures à vives couleurs, les parquets, de brillantes mosaïques. Toutes les membrures architecturales, les piliers, le seuil et les linteaux des portes, les fenêtres et leurs moulures, voire même les gouttières, étaient couverts d’ornements plastiques, que l’art y répandait, à pleines mains, de sa corne d’abondance.

On se fait difficilement une idée de la multitude d’établissements et d’édifices publics qui sortirent de terre, simultanément ou successivement, comme par un effet de magie, dans le cours des premiers siècles de notre ère, à Rome seulement. Déjà cette succession continuelle de grandes entreprises, se pressant les unes les autres, suffisait à procurer une occupation large et durable, indépendamment de celle qu’elles assuraient aux architectes et aux autres professions concernant l’industrie du bâtiment, à toute une armée d’artistes, de peintres et de sculpteurs, ainsi que d’ouvriers de toutes les industries qui demandent de l’art. Agrippa qui, pendant son édilité de l’an 33 avant J.-C., s’occupa de constructions grandioses, pour approvisionner d’eau la ville de Rome, établit dans cette seule année, d’après Pline l’Ancien[3], 700 bassins, 500 fontaines à tuyaux et 130 réservoirs ou châteaux d’eau (castella), dont plusieurs magnifiquement ornés. Il employa, en outre, 400 colonnes de marbre et 300 statues, partie de bronze, partie de marbre, à la décoration de ces ouvrages. Les créations postérieures du même genre ne le cédaient probablement pas à celles d’Agrippa. Claude aussi pourvut à la distribution des eaux de l’aqueduc, par lui construit, dans une multitude de bassins, très richement ornés[4]. Le bassin d’Orphée, dans la cinquième région, et celui de Ganymède, dans la septième, tiraient sans doute leurs noms des sculptures qui les ornaient[5]. Domitien, entre autres manies, eut celle de multiplier tellement, dans tous les quartiers de Rome, les arcs de passage et de triomphe, offrant les plus grandes dimensions, avec des quadriges et des insignes triomphaux, qu’ils devinrent un objet de risée[6]. Une image de la porte triomphale, également décrite par Martial, qui avait été construite, après le retour de Domitien de la guerre des Sarmates, en janvier 93, montre bien la magnificence de ces bâtiments. Des bustes en médaillon y ornaient les espaces au-dessus du cintre, des bas-reliefs ou des sculptures en ronde bosse, l’entablement et l’attique ; deux quadriges, attelés d’éléphants et conduits chacun par une figure colossale, représentant l’empereur lui-même, couronnaient le bâtiment[7]. Indépendamment de débris considérables, en partie mis à découvert par les fouilles opérées sur l’ordre de Napoléon Ier, des images gravées sur des médailles font soupçonner de quelle extrême richesse devait être, également, la décoration plastique du Forum de Trajan et de ses différentes parties, comme la basilique Ulpienne, l’arc de triomphe et le temple érigé par Adrien à son prédécesseur, constructions dont le magnifique ensemble éclipsait tous les autres monuments de Rome[8].

En général, les places publiques, à Rome et dans les autres villes, ne manquaient pas plus que les édifices des ornements de la plastique ; mais, naturellement, ceux-ci consistaient dans les premières, principalement ou exclusivement, en statues posées librement et en plein air. L’énorme approvisionnement qui en existait, dans les villes de la Grèce et de l’Asie, n’avait été que partiellement épuisé, même par le pillage, systématiquement continué pendant deux siècles, de leurs dominateurs romains, qui avaient été jusqu’à en dégarnir les marchés des plus petites localités, comme Andros et Mycone, pour remplir les places (fora) et les temples de Rome. Le dernier grand pillage de l’espèce eut lieu par ordre de Néron, dont le commissaire, un affranchi nommé Acratus, parcourut dans ce but presque tous les pays du monde, n’oubliant pas un village[9]. L’île de Rhodes seule fut, à ce que l’on prétend, épargnée par lui, comme elle l’avait été par tous ses prédécesseurs, dans le pillage des objets d’art ; il s’y trouvait, sous Vespasien, trois mille statues, nombre constaté probablement par des relevés officiels[10], dans lesquels on l’aura pris ; mais Athènes, Olympie et Delphes n’en possédaient pas moins[11], d’après les évaluations sommaires du temps ; suivant lesquelles un ensemble de vingt à trente mille statues, pour la Grèce et les îles qui en dépendent, paraîtrait avoir été, à cette,époque, plutôt au-dessous qu’au-dessus de la réalité. Or, bien qu’une grande partie de ces statues ornassent les édifices publics, les temples surtout, à titre de dons votifs[12], cette richesse était telle qu’il en restait assez pour peupler également les rues et les places de statues anciennes et modernes, d’airain ou de marbre, des divinités et des héros, ainsi que des hommes et des femmes les plus distingués par leur mérite et les plus honorés. Nous spécifierons bientôt comment, pendant les premiers siècles de notre ère, les lacunes ne furent pas seulement comblées, mais le stock s’accrut encore.

Il est vrai que ni les villes d’Italie, à l’exception de Rome, ni celles des provinces occidentales, n’avaient à offrir, au commencement de la période impériale, en fait de statuaire, une richesse d’ornements comparable à celle qui s’était amassée dans les villes grecques, depuis la période alexandrine. Cependant, même les villes d’Italie n’étaient plus, dans les derniers temps de la république, entièrement dépourvues de ces ornements. Vitruve (II, 7, 4) dit que les monuments de Ferentinum, en Étrurie, témoignent de l’excellente qualité de la pierre tirée des carrières des environs de Tarquinies et du lac de Bolséna, vu que l’on trouvait, dans la ville précitée, de grandes statues d’un travail parfait, de petites figures, de bas-relief probablement, et des ornements de fleurs et d’acanthe des. plus gracieux, faits de cette pierre et paraissant, quoique réellement anciens déjà, aussi neufs que s’ils eussent à peine quitté l’atelier. Parmi les statues nouvellement posées dans beaucoup de villes d’Italie, figuraient probablement celles des rois et des généraux victorieux de Rome, conformément au choix qui avait présidé à l’ordonnance des statues qu’Auguste avait fait. ériger, en l’an de Rome 752, sur son Forum, dans les portiques du temple de Mars. A Arezzo, on a trouvé sept socles de pareilles statues, qui représentaient M. Valerius Maximus, Appius Claudius Cæcus, Q. Fabius Maximus, Paul-Émile, Tiberius Sempronius Gracchus, C. Marius et L. Licinius Lucullus ; à Pompéji, deux socles des statues d’Énée et de Romulus ; à Lavinium, un qui portait celle d’Énée Silvius, fils du père Énée et de Lavinie[13]. Peut-être le Marius que Plutarque (Marius, II) vit à Ravenne appartenait-il à la même série.

En général, une décoration convenable des places publiques, mais surtout du forum, avec des statues, était regardée comme un des ornements les plus désirables pour les villes, qui aspiraient toutes à se le procurer : c’était là une occasion de se montrer, offerte surtout à l’ambition ou à l’esprit civique de ceux dont les moyens ne suffisaient pas pour la construction d’édifices publics. A l’instar de celle-ci, on élevait aussi des statues avec le produit des droits payés par les prêtres et par les fonctionnaires, à leur entrée en charge, ou comme équivalents de ces taxes ; parfois aussi des particuliers en faisaient don volontairement, ou en ordonnaient l’érection par testament[14]. Les statues destinées à l’ornement des édifices publics et des places publiques étaient, sans doute, le plus souvent des images d’empereurs ou de divinités[15]. Parmi ces dernières, celle du génie tutélaire de la ville devait, à ce qu’il semble, manquer d’autant moins que, sur le Forum de Rome aussi, se dressait le génie du peuple romain, depuis. Aurélien, sous la forme d’une statue en or, ou en bronze doré[16]. Il est aussi fait mention de statues de l’espèce en argent[17]. En général cependant, l’or et l’argent étaient réserves pour des statues de divinités et d’empereurs[18], et cette règle ne souffrait que très peu d’exceptions[19]. On montrera plus loin jusqu’à quel point les progrès de la mode d’honorer les personnes par des monuments contribuèrent, en Occident aussi, à peupler de statues les places publiques des villes.

Cependant la décoration des constructions privées réclamait, peut-être encore à un plus haut degré que celle des places et des édifices publics, l’activité des beaux-arts, car une riche variété d’ornements artistiques, de tout genre, était regardée comme également indispensable pour le digne achèvement des palais, des maisons de, campagne, des parcs et des jardins. Du temps de Sylla déjà, des peintures et des statues servaient, aussi généralement que les tapis et l’argenterie[20], à l’ornement de toute maison opulente, ainsi qu’à celui des maisons de campagne des grands. Elles n’y manquaient qu’exceptionnellement, comme dans la maison de campagne de Séjus, près d’Ostie[21], et comme plus tard dans les villas d’Auguste, où des antiquités et des curiosités d’histoire naturelle suppléaient, dans la décoration, aux œuvres d’art[22]. Cicéron fit faire, par Atticus, des achats d’œuvres pareilles pour ce qu’on appelait l’académie de son Tusculanum. Il alloua 20.400 sesterces (4.500 francs) pour des statues de Mégare, acquises par cet ami, qui avait acheté en outre des hermès d’Hercule, en marbre du Pentélique, avec têtes en bronzé, et une Hermathène (hermès de Minerve) pour Cicéron. Celui-ci le pria de lui procurer, de même, tout ce qu’il pourrait encore trouver d’objets d’art convenant pour son but, particulièrement des bas-reliefs, à incruster dans le revêtement, de stuc d’un petit atrium, et deux encadrements de fontaines, ornés aussi de reliefs. Tous les achats d’Atticus ne devaient servir que pour le Tusculanum ; quant à la décoration de sa villa près de Gaëte, Cicéron entendait la réserver pour un moment où il serait plus en fonds. Il témoigna, d’un autre côté, son mécontentement, au sujet d’un achat de quatre ou cinq statues, parmi lesquelles se trouvaient des Bacchantes et un Silène, qu’avait fait pour lui radius Gallus, parce qu’il les trouvait beaucoup trop chères, et qu’elles ne convenaient pas pour l’académie. Il y avait fait établir, sous une colonnade, de nouveaux reposoirs, qu’il désirait orner de tableaux, car la seule branche capable de l’intéresser peut-être, sur tout le domaine de l’art, c’était la peinture[23]. Mais, moins Cicéron avait l’amour de l’art et comprenait celui-ci, plus son exemple est un témoignage frappant de la mode, devenue générale alors, de la décoration artistique des maisons de ville et de campagne.

Sous l’empire, cette mode alla plutôt en croissant qu’en diminuant. La maison d’un riche venait-elle à brûler, les amis qui se cotisaient pour aider à la reconstruire se chargeaient de fournir des statues de marbre nues, de magnifiques bronzes d’artistes célèbres, de vieux ornements provenant de temples de l’Asie Mineure, et des bustes de Minerve pour la bibliothèque[24]. Il se peut que des villas, et les jardins en particulier, fussent souvent, alors, tellement remplis d’œuvres d’art qu’il était permis de parler de jardins de marbre[25]. Autour d’une source dans le jardin d’Arruntius Stella, par exemple, on voyait un groupe de figures en marbre, représentant de jeunes garçons d’une beauté remarquable ; dans une grotte à côté, un Hercule[26] ; la décoration des autres parties était, sans doute, à l’avenant. Le riche Domitius Tullus avait, dans ses magasins, un tel approvisionnement d’œuvres d’art des plus magnifiques, dont il ne prenait d’ailleurs aucun souci, qu’il put garnir un parc très étendu, le jour même où il en avait fait l’achat, d’une multitude de statues anciennes[27]. Silius Italicus possédait plusieurs villas, dont chacune offrait une multitude de statues et d’images[28]. Dans les jardins de Regulus à Transtévère, d’immenses portiques occupaient un très vaste espace, et la rive du Tibre était toute garnie des statues du propriétaire[29]. S’il s’était conservé, sur les fouilles des siècles passés, des rapports plus nombreux et plus détaillés, on arriverait peut-être à se faire, approximativement, une idée de la décoration artistique de mainte villa romaine. La collection du chevalier Azara, par exemple, qui consiste principalement en bustes (il n’y en a pas moins de 30) et se trouve maintenant à Madrid, provient en majeure partie, sinon tout entière, de fouilles opérées dans la villa dite des Pisons à Tivoli, par Azara lui-même, en 1779[30]. Au sujet de la villa d’Adrien, dans la même localité, Winckelmann ne s’avance probablement pas trop, en disant qu’avec la multitude de statués qui en ont été retirées, depuis deux siècles et, demi, tous les musées de l’Europe se sont enrichis ; que, même après les fouilles qui y continuent et amènent saris cesse de nouvelles découvertes, il en restera encore assez à faire pour les générations futures. Le cardinal d’Este, qui construisit sa villa sur les ruines de celle de Mécène, à Tivoli, la garnit d’innombrables statues, que l’on y avait trouvées. Ajoutons que celles-ci ayant été, successivement, achetées et emmenées par le cardinal Albani, une grande partie en fut incorporée, dans la suite, au musée Capitolin[31].

Il est vrai qu’on employait souvent aussi à la décoration des œuvres de peinture et de sculpture plus anciennes, comme on avait fait, par exemple, dans le parc de Domitius Tullus, ainsi que dans le magnifique temple de la Paix construit par Vespasien[32]. Mais ceci n’était pas faisable partout ; puis, la spoliation même la plus étendue des pays helléniques ne put, évidemment, suffire qu’en petite partie à un accroissement de besoins incommensurable, par la raison surtout que la destruction fréquenté d’une masse d’œuvres d’art, causée principalement parles vastes incendies qui, depuis le premier siècle de notre ère, sévirent déjà itérativement à Rome, produisait, constamment de nouvelles lacunes, lesquelles ne pouvaient être comblées, chaque fois, que par une nouvelle production en grand. C’est ainsi que l’on satisfit à la partie de beaucoup la plus considérable des demandes d’ornements artistiques, non pas avec l’ancien stock, mais par la production de nouvelles œuvres d’art, et cela d’autant plus que, dans beaucoup de cas, on voulait des sujets qui se rapportassent au présent.

Toutefois ce n’est pas seulement par les masses d’œuvres d’art produites dans un but -décoratif que l’industrie artistique du temps dont il s’agit ici se distingue de celle de toutes les époques postérieures ; il y a une autre différence beaucoup plus essentielle, fondée sur la généralité beaucoup plus grande de l’emploi de ses produits, au temps de l’empire romain. Car la diffusion du besoin des jouissances de l’art, dans le monde d’alors, besoin auquel avait à satisfaire la production, dans toutes les branchés du domaine des beaux-arts, était sans exemple ; et sans exemple aussi, de même que le prodigieux développement de son activité, l’universalité qu’elle déployait, en s’appliquant à suffire à une infinité de désirs, d’exigences et de fantaisies. de la nature la plus hétérogène, depuis les plus élevés jusqu’aux plus communs, depuis, les plus extravagants jusqu’aux plus modestes. Elle servait ainsi à réaliser les caprices de sultan des maîtres de la terre, en même temps qu’à égayer la pauvre cellule de l’esclave. A toutes les époques de l’âgé moderne, au contraire, l’art a été plus ou moins aristocratique, et, comme tel, n’a travaillé aussi, d’une manière plus ou moins exclusive, que pour une petite minorité de privilégiés. Il a été au service de l’église, du pouvoir, de l’opulence, mais n’a contribué que dans des circonstances particulièrement favorables à embellir l’existence des classes moyennes, sans jamais relever la condition de ceux qui forment les couches inférieures de la société. Il a demeuré dans les grands centres de la vie nationale, les capitales et les résidences princières, et a donné isolément à ces points un éclat dont manquaient, et manquent encore, des provinces et des contrées entières. La limitation de la faculté de jouir de ses créations à de petits cercles, a toujours été en rapport direct avec cette tendance exclusive ; car l’intelligence de ces créations suppose, en général, une culture et une faculté d’abstraction qui ont toujours fait défaut aux masses. Ainsi, l’art moderne n’a véritablement existé que pour une minorité, relativement faible. L’art du temps de l’empire romain, au contraire, produisait pour tous les de grés de la culture et pour toutes les classes de la société ; aussi répandit-il l’intelligence et multiplia-t-il le goût, nécessaires pour jouir de la diversité des créations de l’art, sur de bien plus vastes cercles. Il savait créer des chefs-d’œuvre, finement conçus et exécutés de main de maître, qui font ; encore aujourd’hui, les délices des connaisseurs, et remplissait en même temps les temples, les portiques. et les places publiques de figures intelligibles pour tous, comme il couvrait la longueur des murs et toute l’étendue des parquets d’applications de couleurs variées, qui captivaient aussi le public des rues. Les œuvres qu’il produisait ne firent pas seulement de la métropole du monde une ville de merveilles ; elles prêtèrent aussi aux municipes et aux colonies de l’Italie et des provinces une parure très hétérogène, il est vrai, différant selon l’aisance, la culture et le goût de leurs habitants, mais dans tous les cas d’une richesse extrême, comparativement aux temps modernes ; et, si l’on tenait à cette parure, ce n’était celtes pas uniquement pour les édifices publics. La découverte d’Herculanum et de Pompéji a révélé au monde moderne, à son grand étonnement, combien la décoration des maisons particulières, par le moyen de l’art plastique et de la peinture, s’était généralisée dans l’usage même des villes moyennes de l’empire, et jusqu’à quel point elle y était regardée comme un agrément indispensable, même dans les conditions d’une existence modeste. Un riche emploi de marbre et d’autres matériaux précieux dans l’architecture, ou de figures de marbre et de bronze dans la décoration des appartements, ne pouvait, naturellement, trouver place que dans les maisons et les jardins des gens les plus aisés ; mais ce genre de décoration en particulier était, généralement, réputé de rigueur pour le luxe des habitations dont il s’agit et de leurs dépendances[33]. Non seulement à Rome, mais dans les maisons pompéiennes aussi, il existe de magnifiques fontaines, richement ornées de bronze et de marbré, comme celle de Silène, où l’eau coulait de l’outre du dieu, et d’autres, où elle s’échappait de masques et de têtes d’animaux[34]. Le péristyle de la maison dite casa di Lucrezio contenait 12 ouvrages plastiques de dimensions majeures, ainsi que de moindres, au nombre de huit à dix[35] ; et si à Milan, comme le prétend Ausone (Cl. urbes, 5), tous les péristyles étaient ornés de statues, on peut en conclure que ce genre de décoration aussi était extrêmement répandu.

Cependant un besoin des jouissances de l’art aussi général, dans les classes moyennes et inférieures devait être, nécessairement aussi, accompagné d’un large emploi de matériaux à bon marché, d’argile et de stuc notamment.

Des bas-reliefs et autres ornements en stuc, souvent peints, surtout aux moulures, plafonds et voûtes, ainsi que le dit Pline et le confirment les résultats des fouilles opérées dans les villes ensevelies, étaient d’un usage général dans les maisons. Des bustes en plâtre ornaient les appartements, surtout les bibliothèques et les cabinets d’étude des personnes qui trouvaient trop chers ceux de marbre et de bronze. Partout on voyait figurer en plâtre, au temps de Martial et de Juvénal, chez les hypocrites du stoïcisme et autres pseudo philosophes, les têtes de Démocrite, de Chrysippe, de Zénon, de Platon et d’autres encore, avec des barbes incultes[36]. En argile, il s’est conservé nombre d’ornements d’architecture pratiqués à des colonnes, fenêtres, moulures et gouttières, ainsi que des frises, servant à la décoration extérieure et intérieure des murs, voire même des moules, de ceux qui servaient à fabriquer ces diverses pièces. Souvent aussi les bas-reliefs et ornements d’argile sont peints soit d’une seule couleur, soit, d’après nature, des diverses couleurs propres aux objets représentés[37], et c’est précisément dans ces ouvrages, ordinaires et de fabrique, que l’on trouve reproduites les plus magnifiques conceptions et les formes les plus nobles du temps de la plus grande splendeur de l’art hellénique. La peinture aussi était employée à la décoration des appartements, plus généralement encore que la plastique en substances molles, souvent aussi en combinaison avec cette dernière, quand on reculait devant les prix d’une incrustation de marbre. La décoration qui résulte de l’emploi des couleurs était inséparable du revêtement de stuc[38]. Les frontons mêmes des bâtiments étaient parfois peints, nu du moins badigeonnés diversement de couleurs vives, comme on le voit par ce distique, adressé à la nymphe d’une source[39] :

Tiburis adversæ dominus qua despicit ædem

Frontibus et pictis Ælia villa nitet.

Tout le monde sait comment, à Pompéji, chaque maison et, dans l’intérieur des maisons, chaque pièce, brillent de peintures sereines, jetées sur les murs, d’une main aussi légère que hardie, et tout cela, avec un charme de couleurs ravissant parfois, dans sa beauté pittoresque. Or, indépendamment des restes qui s’en sont conservés dans les provinces, nombre de mentions fortuites parvenues jusqu’à nous[40] montrent que l’usage de ce genre de peinture murale, dans les appartements, était aussi répandu que la culture romaine en général. Bien que, du reste, la découverte d’Herculanum et de Pompéji ait suffit à elle seule, pour modifier de plus en plus, avec les progrès des fouilles, l’idée que l’on s’était faite de la peinture antique, il est clair cependant que cette découverte et d’autres encore ne nous font connaître qu’une fraction imperceptible du fonds d’images qui s’est’ formé, avec le temps, dans tout l’empire romain ; c’est-à-dire qu’une partie très restreinte des sujets et des substances sur lesquels s’exerçait la peinture décorative. Si parmi ces sujets figuraient aussi, par exemple, des scènes comiques du règne animal, nous n’en sommes informés que par une mention accidentelle du fabuliste Phèdre, qui vivait sous Tibère, époque à laquelle on voyait la guerre des souris et des belettes représentée souvent, en peinture, dans les tavernes de Rome[41].

L’usage de la peinture murale notamment, de même que l’emploi des autres arts servant à la décoration, demeura général dans l’empire romain, jusque dans les derniers temps de l’antiquité. D’ans le tarif de Dioclétien, de l’année 301, fixant le maximum des prix, ainsi que celui des journées de salaire, pour toutes les industries courantes, la liste des professions coopérant à l’industrie du bâtiment comprend aussi le marbrier (principalement pour ce qui concerne l’incrustation des murs et des parquets, mais probablement aussi le travail d’ornement), le mosaïste, le badigeonneur, le peintre en bâtiments et le peintre de sujets ; on y trouve, en outre, une cote de prix pour la fonte des bas-reliefs et statues coulés en bronze, le modelage des figures, en stuc ou en argile, et les autres, opérations concernant l’état du stucateur[42]. Les mêmes professionnalistes figurent également dans un édit de l’année 337, adressé par Constantin au lieutenant investi. du gouvernement des provinces occidentales de l’empire, relativement à l’immunité des artistes et artisans, exemptés des charges communales ; ils appartenaient, par conséquent, à la catégorie de ceux qui se trouvaient, encore à cette époque, régulièrement domiciliés dans les villes d’Occident. Valentinien, dans un édit au gouverneur d’Afrique, de l’an 374, conféra des privilèges encore plus grands aux peintres, mais seulement à ceux qui étaient de naissance libre. Il leur procurait, entre autres faveurs, celle de l’obtention gratuite, sans payement d’aucun loyer, des locaux et ateliers nécessaires pour l’exercice de leur art, sur les terrains des communes, l’avantage de pouvoir s’établir dans chaque ville et celui de ne pouvoir être contraints, par aucun fonctionnaire public, à livrer, sans rétribution, des portraits de personnages sacrés, c’est-à-dire d’empereurs, ni à exécuter des peintures commandées pour la décoration d’édifices publics[43].

La continuité de l’emploi de la sculpture en pierre dans un but décoratif, jusque dans les derniers temps de l’empire, résulte le plus clairement de la légende du martyre de Claude et de ses compagnons d’infortune, sous Dioclétien, légende dont l’auteur, qui ne la transcrivit guère avant le milieu du quatrième siècle, doit avoir évidemment assisté, comme témoin oculaire, aux travaux des carrières de la Pannonie, théâtre des faits qu’il raconte. Or, suivant le rapport qu’il nous a laissé, Dioclétien faisait exécuter, dans ces carrières, des colonnes de porphyre avec des chapiteaux à feuillage, de grands réservoirs d’eau en forme de conques et des bassins (lacus), ornés en partie de fruits et de, feuilles d’acanthe ; en partie de figures en relief. Il commanda aussi des déesses de la Victoire et des Amours, des lions crachant de l’eau, des aigles, des cerfs et une grande variété d’autres figures d’animaux, le tout évidemment pour servir à la décoration de grands encadrements de fontaines peut-être, ainsi que de bassins en marbre ; ce qui est de nature à faire supposer, pour ce temps-là, un emploi général de l’ornementation en pierre, autant que le comportaient l’architecture et les moyens techniques dont on disposait alors[44].

Dans la peinture murale comme dans l’art plastique, les sujets des temps les plus anciens paraissent s’être, en grande partie du moins, maintenus en faveur jusque dans les derniers temps de l’antiquité. A la fin du quatrième siècle, du vivant d’Ausone, on voyait souvent encore les murs ornés de fresques, représentant des scènes mythologiques. Il décrit lui-même une de ces peintures murales, qui se trouvait dans la salle à manger d’un certain Éole ; à Trèves, et montrait des héroïnes, jadis poussées par l’Amour à un sort tragique, au moment où elles exercent leur vengeance, en, tourmentant et liant Cupidon[45].

Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont vers 450, auquel tout l’art païen était odieux, en raison des sujets mêmes, mais plus encore à cause des nudités que cet art affectionnait, fit blanchir simplement les murs intérieurs de là chambre de bains de sa maison de campagne. , dit-il[46], les yeux ne sont blessés par aucune image, que dépare la beauté nue de chairs peintes, et qui, sous prétexte d’honorer l’art, fasse honte à l’artiste ; là, on ne voit pas de comédiens avec des masques grimaçants et ridicules, dans des costumes burlesques de toutes les couleurs ; point de couples de lutteurs entrelacés. Il s’est, d’ailleurs, conservé des restes d’anciens parquets de mosaïque, beaucoup plus durables que les peintures murales, en bien plus grand nombre que les vestiges de celles-ci, dans presque toutes les provinces : à savoir en Espagne, en France, en Angleterre, en Suisse et en Bavière, comme dans les pays rhénans, le Salzbourg, la Transylvanie et le nord de l’Afrique ; ils ne laissent aucun doute sur l’usage général de ce genre de décoration, qui avait même survécu à l’antiquité.

La généralité de l’usage que l’on faisait d’ornements fournis par l’art n’apparaît pas moins dans le mobilier que dans là décoration du logis même. Les meubles et ustensiles de ménage des maisons pompéiennes à eux seuls, quoique les habitants aient dû en sauver, dans leur fuite, ou en retirer, peu de temps après, de dessous la couverture de cendres, encore molle, une grande partie, ces trouvailles consistant en tables, bancs, chaises, sofas, candélabres, vases, lampes, trépieds, ustensiles de toilette et objets de parure de toute espèce, ont été, pour l’art industriel des modernes, un trésor presque inépuisable de modèles pleins de goût. Et ce n’étaient pas seulement les candélabres en marbre et en bronze, autour desquels serpentaient, en guise d’ornement, les formes élégantes d’une végétation fantastique ; les tasses et les buires d’argent ou d’or, sur lesquelles on admirait le travail du ciseleur ou de l’estampeur, ainsi que celui d’anses élégamment ornées ; les magnifiques vases, en verre de toutes les couleurs, que l’on voyait enrichis d’une multitude de figures en relief : mais la vaisselle en poterie de terre du pauvre, les bagues à cachet en verre fondu, la lampe d’argile, qui servait à éclairer le travail de la nuit, tout cela était orné d’images ou de figures, et les couvercles des lampes d’argile, notamment, ont conservé à l’art un riche fonds de sujets et de motifs. Même dans le plus pauvre logis, on se passait plus facilement du mobilier le plus nécessaire que des ornements de l’art, qui trouvait alors moyen de s’introduire partout. Juvénal décrit l’installation d’un savant ou poète dans le dénuement. Il y avait là, nous dit-il[47], un lit trop court et une vieille caisse, avec de divines poésies grecques, rongées par des souris mal élevées, mais aussi une table à dessus de marbre, avec six petits pots à anse, y compris un gobelet haut de forme, à anse aussi, et la table avait pour support la figure d’un centaure couché, ce que l’on appelait un trapézophore.

C’est, toutefois, par les monuments funèbres que l’on voit le plus clairement combien les beaux-arts, à cette époque, où ils étaient si prodigues de leurs dons, se montraient généreux, même à l’égard des plus humbles et des moins. gâtés par la fortune. Les sarcophages, il est vrai, avec leurs riches ornements en haut et bas-relief, bien qu’ils ne doivent pas, sans doute, avoir été très dispendieux alors, comparativement aux prix modernes, né devaient se trouver, en général, qu’à la portée des gens aisés[48]. Dans le premier siècle de notre ère, toutefois, la règle générale n’était pas d’enterrer, mais de brûler les morts. Dans la rue des tombeaux, à Pompéji, il ne s’est point trouvé de sarcophage. La coutume d’enterrer ne reprit qu’au deuxième siècle, à partir duquel elle est redevenue de plus en plus générale. Ces petites urnes de marbre, qui souvent frappent par la beauté surprenante et la richesse de leurs ornements pleins de vie, et qui, selon Gœthe, semblent faites pour réjouir encore, dans leur étroite prison, les cendres qu’elles renferment, sont évidemment, en majeure partie sorties des ateliers d’artistes subalternes, voués au métier, et ne sauraient, par conséquent, avoir été inabordables, même pour les familles peu aisées. La peinture surtout était, généralement, employée de préférence à orner l’intérieur des sépulcres, comme le prouve notamment aussi le maintien de l’usage de ce genre de décoration, dans les caveaux des tombes chrétiennes ; elle servait même certainement, dans bien des cas, à la décoration des murs extérieurs. Même les tombeaux badigeonnés, dont parle l’Évangéliste, étaient sans doute aussi surpeints[49]. Les colombaires (columbaria) aussi, ces grands caveaux contenant de longues rangées, superposées par étages, de niches pour des urnes cinéraires, lieux de sépulture des petites gens, ainsi que des esclaves, partant des plus humbles et des moins fortunés, sont parfois très agréablement ornés, comme des chambres d’habitation, de peintures murales, faisant quelquefois un assez bon effet sur les espaces libres des piliers et des murs qu’elles remplissent. Quand une nouvelle urne était déposée dans la niche achetée pour en garder le dépôt, les personnes qui portaient le deuil du mort devaient encore éprouver un certain contentement à regarder la parure qu’ils avaient procurée, avec leurs petites épargnes, à sa dernière demeure. Il y avait là des scènes mythologiques, des images de la vie quotidienne, des paysages, des sujets d’animaux, de fleurs et de fruits ; là, Hercule abattait d’une flèche le vautour attaché au foie de Prométhée ; Ulysse regardait d’un air ému son chien mourant, Argos ; de grotesques pygmées prenaient la fuite devant un crocodile ; des jongleurs dansaient au son des castagnettes ; une girafe, la clochette au cou, était promenée par son gardien, comme à l’amphithéâtre, et ainsi de suite[50].

 

§ 2. — L’art monumental.

Avec cette prodigieuse activité de la sculpture et de la peinture, appliquées à la décoration, marchait de front un autre emploi de ces deux branches de l’art, celui qui tend aux créations monumentales proprement dites, c’est-à-dire destinées à perpétuer le souvenir des hommes et des événements, et qui jamais, à aucune époque antérieure ou postérieure, ne prit un développement aussi colossal que dans les deux premiers siècles de notre ère, où il atteignit des proportions gigantesques, dans lesquelles il continua à se maintenir jusqu’au troisième siècle, et même jusqu’au quatrième.

Comme en toutes choses, l’art était également ici, pour les Romains, non le but, mais un moyen. L’employer pour travailler à l’embellissement des villes et des maisons qu’ils habitaient, pour en accroître la splendeur et pour y répandre le confort, c’est ce qu’ils n’apprirent que par la conquête des pays helléniques ; tandis qu’une tendance toute nationale, toute romaine, chez eux, apparente déjà dans l’ancienne coutume des familles nobles de conserver les masques en cire peinte de leurs ancêtres, c’était de l’employer comme un moyen de fixer le souvenir de leurs faits et gestes, pour les contemporains et la postérité, ainsi que d’immortaliser la figure et les traits de personnes honorées et chéries. La coutume d’ériger publiquement des statues honorifiques était très ancienne aussi, à Rome ; elle y remontait pour le moins jusqu’au temps des décemvirs (an de Rome 450, soit 304 avant Jésus-Christ) ; la plus ancienne statue de l’espèce, dont l’existence ait pu être constatée avec certitude, était celle de leur interprète grec, au Forum. Cette statue, comme toutes celles que nous connaissons des deux siècles suivants, était de bronze, matière que l’on avait commencé à employer depuis l’an de Rome 485 (269 avant Jésus-Christ), pour faire les statues des dieux. La première que l’on fit en bronze doré fut la statue équestre du vainqueur d’Antiochus, Acilius Glabrion, élevée par le fils de celui-ci, au temple de la Piété, en l’an de Rome 573 (181 avant Jésus-Christ[51]). C’est vers le commencement du troisième siècle ; ou l’an 300 avant Jésus-Christ, correspondant à peu près au milieu du cinquièmes siècle, en comptant à partir de la fondation de Rome, que les rois et les hommes célèbres du premier âge de la république paraissent avoir obtenu leurs premières statues[52]. Après la secondé guerre Punique, le Capitole et le Forum en regorgeaient déjà. En l’an de Rome 575 (179 avant Jésus-Christ), une partie de celles du Capitole furent éloignées, et en l’an de Rome 596 (158 avant Jésus-Christ), les censeurs firent enlever du Forum toutes les statues de fonctionnaires non décrétées par un plébiscite ou par un sénatus-consulte. Caton déjà aimait mieux que les gens demandassent pourquoi il n’avait pas de statue, que de les entendre demander pourquoi on lui en élevait ; une de ses complaintes portait sur ce que, dans les provinces, on commençait déjà à en poser même aux femmes ; or cet exemple ne tarda pas à être également suivi à Rome : la statue contemporaine de Cornélie, mère des Gracques, y était encore debout au temps de Pline l’Ancien[53].

L’usage de parler aux yeux du peuple des hauts-faits et des grands événements de son histoire, par le moyen d’images, prit aussi de bonne heure. M. Valérius Maximus Messala fut le premier qui exposa, à un mûr de la curie Hostilia, un tableau de bataille, représentant la victoire qu’il avait remportée, en Sicile, contre les Carthaginois et Hiéron, en l’an de Rome 490 (264 avant Jésus-Christ). On portait notamment aussi de ces tableaux, peints sur bois et sur toile, dans les marches triomphales, comme par exemple, celui de la prise de Syracuse (en 242 avant Jésus-Christ), au triomphe de M. Marcellus. Paul-Émile fit venir exprès d’Athènes le peintre Métrodore, pour l’illustration de son triomphe de l’an 168. avant notre ère. L. Hostilius Mancin, qui avait le premier forcé un des ouvrages extérieurs de Carthage, en 148, fit exposer au Forum des vues de l’aspect général, du siège et du sac de cette ville, qu’il expliquait lui-même au peuple, ce qui le rendit si populaire, qu’il obtint en 141 le consulat. Tibérius Gracchus fit peindre, dans le temple de la Liberté, un banquet donné en 214 à son armée, parles gens de Bénévent, après un combat heureux livré dans le voisinage. On y voyait surtout figurer les esclaves incorporés à l’armée, avec les signes du don qui leur avait été fait de la liberté, en récompense de la valeur dont ils avaient fait preuve[54]. La première image peinte d’un combat de gladiateurs fut exhibée au sixième siècle de la fondation de Rome, ou plutôt au septième, par un certain L. Térence Lucain, dans le temple de Diane, à Aricie.

Cet emploi des beaux-arts à l’illustration et à la glorification des personnes et des événements, tant pour des besoins de circonstance que pour une commémoration durable, continua sous l’empire, en affectant les plus grandes proportions. Par son principe, accusant une tendance descriptive, diamétralement opposée à celle de l’idéalisation des formes, qui domine dans la peinture grecque, ainsi que par la large empreinte du cachet, positif que portent ses illustrations, la peinture romaine de la période qui nous occupe se rapproche extrêmement, dans son but comme dans sa manière de faire, de celle de l’Égypte et de l’Assyrie antiques, et ses œuvres offrent beaucoup de ressemblance avec les peintures des palais de Thèbes, les tables d’albâtre de ceux de Ninive et les tapis de Babylone. C’étaient les empereurs romains eux-mêmes qui parlaient au peuple, dans ces peintures contemporaines. A cette époque, où la presse n’existait pas, les images tenaient lieu de manifestes et de proclamations[55] ; de même, au moyen âge aussi, à Florence et à Rome, on usait d’images historiques et allégoriques, en s’adressant au peuple[56]. Chaque triomphe fournissait de l’occupation à une multitude d’artistes, chargés d’illustrer, de toute sorte d’images et de tableaux, la nature du pays vaincu, et l’histoire de la campagne terminée, pour les spectateurs de la solennité. Au triomphe de Vespasien et de Titus sur la Judée ; on promena des tribunes de trois à quatre étages, tendues de tapis brodés d’or, parées d’ornements d’or et d’ivoire, et décorées d’images, où toutes les péripéties de la guerre étaient représentées. On y voyait la dévastation d’un pays riche, le massacre des troupes ennemies, la panique des fuyards : et les prisonniers qu’on emmenait, des murs énormes cédant aux coups des machines de siége, l’assaut de grandes forteresses, l’escalade des murs d’enceinte de cités populeuses, l’armée se répandant dans l’intérieur de celles-ci et y remplissant tout de carnage, les habitants sans défense, implorant le pardon des vainqueurs, entendant les mains vers le ciel ; on voyait les brandons lancés sur les temples, les maisons s’écroulant sur les têtes de leurs habitants, et, après toutes ces scènes de ravage et de deuil, des eaux torrentielles se déversant, non sur des champs cultivés, ni dans les canaux servant à désaltérer les hommes et les animaux, mais sur une ville embrasée de tous les côtés[57]. Les figures plastiques des montagnes, fleuves, contrées et villes, personnifiés suivant la mode antique, n’y manquaient pas non plus. Encore aujourd’hui, nous voyons par un bas-relief de l’arc de Titus, comment la statue couchée du Jourdain fut portée à ce triomphe, et, pour, les triomphes célébrant la défaite de peuples germaniques, on ne se faisait jamais faute de commander des figures colossales du Rhin[58]. Les bûchers artificiels aussi, que l’on élevait au champ de Mars, d’après l’usage asiatique, pour la cérémonie de la consécration d’empereurs défunts, et qui se composaient de plusieurs étages diminuant successivement, sous la forme d’une pyramide, au sommet de laquelle on posait le cercueil du mort, étaient extérieurement surchargés de couvertures brodées d’or, de sculptures d’ivoire en relief et de tableaux, représentant les scènes principales de la vie du souverain dont il s’agissait de faire l’apothéose. Au moment où toutes ces magnificences, vouées à la destruction d’une façon vraiment barbare, s’en allaient en flamme, un aigle, prenant son essor du faite du tabernacle couronnant l’étage supérieur, s’élevait dans les airs[59].

Cependant rien ne met en évidence jusqu’à quel point on avait pris l’habitude de se servir de la peinture pour l’illustration momentanée des faits, comme l’emploi d’images à la barre des tribunaux. Déjà dans les derniers temps de la république, il était d’usage d’appuyer les actes d’accusation, ceux du moins qui étaient portés devant le for des assemblées populaires, d’enseignes peintes, ayant pour objet de faire sauter aux yeux les crimes prétendus ou réels des accusés[60]. En l’an 67, le tribun A. Gabinius montra au peuple, en y joignant de vive voix toutes les explications nécessaires, une vue de la villa tusculane de Lucullus, pour convaincre la multitude assemblée de la vérité de ce qu’on disait de la vie luxueuse du riche consulaire[61]. Quand, en l’an 68 de notre ère, Galba somma ses troupes, à Carthagène, de marcher avec lui sur Rome, il fit dresser devant lui, au tribunal, comme autant d’accusateurs muets, tous les portraits qu’il avait pu réunir d’hommes ayant péri victimes du despotisme de Néron. Un accusé, que soli adversaire avait fait peindre sur une toile, comme un joueur incorrigible, dans des situations diverses, tantôt dépouillé jusqu’à la chemise, tantôt détenu dans la prison pour dettes, tantôt racheté par ses amis, ne put s’empêcher de dire aux juges. Tout cela est bel et bon, mais je n’en ai pas moins aussi maintes fois gagné[62]. Quintilien (VI, 3, 72) lui-même avait vu quelquefois, de ses propres yeux, comment on cherchait à prévenir les juges contre l’accusé, par l’exhibition de portraits repoussants de celui-ci, sur bois ou sur toile. Il désapprouvait ce moyen au plus haut degré, parce que, disait-il, l’accusateur se faisait ainsi l’affront de convenir lui-même qu’il comptait plus sur l’éloquence d’une image muette que sur la valeur de ses propres arguments[63]. De même qu’il y avait des actes d’accusation en peinture, il y avait aussi des demandes d’aumône peintes. Les naufragés et les imposteurs qui prétendaient avoir, fait naufrage portaient ordinairement sur eux des images du sinistre dont ils se disaient les victimes, peint sur un fond de mer gros bleu[64]. On suspendait aussi de pareilles images dans les temples, en guise de tableaux votifs, notamment dans les sanctuaires d’Isis, patronne de la navigation. On sait, dit Juvénal (XII, 28), qu’Isis fait vivre les peintres. Nous ne mentionnerons ici qu’en passant les innombrables ex-voto d’images et de bas-reliefs, dans lesquels on s’appliquait à représenter, le plus exactement possible, avec toutes ses particularités, la périlleuse aventure de laquelle le donateur avait eu la chance de se tirer[65]. Ces ouvrages, comme ceux dont il vient d’être fait mention, étaient sans doute, en grande majorité, fournis par des gens faisant métier de l’art, plutôt que par des artistes proprement dits ; mais il devait y avoir de nombreuses exceptions, car les riches et les grands faisaient, naturellement, exécuter aussi de pareils travaux par de bons artistes. Tacite, par exemple, rapporte que Domitien, après avoir été fort en péril, dans l’assaut du Capitole, pendant la nuit du 18 décembre 69, fit construire, sur l’emplacement de la demeure d’un servant du temple, dans laquelle il s’était caché, une chapelle dédiée à Jupiter Sauveur, et qu’un autel, avec des ornements en marbre, représentant le danger qu’il avait couru, y fut érigé par son ordre[66]. En général, de pareilles représentations d’aventures personnelles par des images n’avaient probablement rien d’extraordinaire. Dans le roman d’Apulée ; la fiancée, qui s’est sauvée des mains des brigands, avec le secours de l’âne, se propose de faire dresser, dans l’atrium de sa demeure, une image de cet heureux événement[67]. Dans la maison de Trimalcion, Pétrone (Satiricon, 29) parle d’une colonnade dont plusieurs faces étaient couvertes de peintures représentant des scènes de l’Iliade et de l’Odyssée, un combat de gladiateurs et tous les événements de la carrière du maître du logis, en partie présentés sous une forme allégorique. On l’y voit encore enfant sur un marché d’esclaves, un caducée à la main, pour indiquer le futur favori de Mercure, puis introduit à Rome par Minerve. Viennent ensuite des images, toutes signées, où l’on voit comment il apprend à lire, comment il devient caissier, etc. A l’extrémité du mur, Mercure, le prenant par le menton, le hisse sur une tribune élevée ; la déesse de la Fortune, avec sa corne d’abondance, est à ses côtés, et près d’elle se tiennent-les trois Parques, filant de l’or. Or il y a lieu de présumer que-là, comme partout dans ce roman, on ne retrouve que la description de ce qui était la mode dans certains cercles de la société du temps, ou, pour le moins, d’admettre que de pareilles aberrations du goût n’étaient pas précisément inouïes.

Quant aux événements, exploits et actes les plus mémorables, il ne s’agissait pas seulement d’en procurer une image pour des occasions déterminées, mais d’en conserver le souvenir pouf la postérité la plus reculée. Batailles et sièges, conventions et traités de paix, triomphes, discours de la tribune, actes de bienfaisance, sacrifices, chasses et autres faits et gestes des empereurs, voilà quels étaient, avec les spectacles, les combats de gladiateurs et les tueries d’animaux surtout, ces événements que la sculpture, la peinture et la mosaïque s’appliquèrent à immortaliser en grand, dans toutes les dimensions, pendant la durée entière de l’empire. Depuis le troisième siècle de notre ère, c’étaient principalement les deux dernières de ces trois branches de l’art qui s’en chargeaient, soit par suite d’un déclin dans les moyens techniques et le savoir-faire du côté de l’art plastique, soit à cause du fait indubitable que de grandes peintures, à couleurs éclatantes, devaient mieux répondre au goût déjà corrompu et au besoin d’illusions grossières de la multitude, à cette époque[68]. Le triste état de délabrement dans lequel se trouvent déjà les bas-reliefs de l’arc de triomphe de Septime Sévère, par exemple, est de nature à faire supposer que la série de tableaux représentant la succession, certainement très longue, de tous les exploits de cet empereur, devait avoir été exécutée, en peinture ou en mosaïque, dans un portique distinct, construit probablement par son fils[69]. Quand, après la mort d’un souverain détesté, on se mettait à renverser et à détruire les statues et les monuments qu’il s’était fait ériger, les peintures du même genre n’étaient, naturellement, pas épargnées davantage. Ainsi le sénat fit brûler, après la chute de Maximin, un grand tableau posé devant la curie, sur lequel ce prince avait fait peindre une victoire remportée par lui sur les Germains[70]. Cependant beaucoup de choses échappaient, heureusement aussi dans ces cas, à la destruction, surtout dans l’intérieur des châteaux impériaux. Encore du temps de Dioclétien, on voyait, sous une colonnade en forme de croissant, dans les jardins de Commode, une mosaïque où ce prince était représenté offrant un sacrifice à Isis, avec ses amis, parmi lesquels on remarquait le futur prétendant à l’empire, Pescennius Niger[71].

Les portraits que fournissait la peinture étaient, naturellement, destinés surtout pour l’intérieur des appartements, c’est-à-dire faits pour les particuliers plutôt que pour l’exposition publique. Cependant on voyait aussi parfois, à côté des statues, des tableaux honorifiques dans les temples ou autres édifices publics, des villes grecqués du moins[72]. Néron se fit peindre, sur toile, dans les dimensions colossales d’une figure de 420 pieds romains de hauteur[73]. Héliogabale s’annonça à Rome en y envoyant, comme avant-coureur de sa personne, avec ordre de le placer dans la salle du sénat, au-dessus de la statue de la Victoire, un grand portrait, peint par lui-même, qui le représentait dans le costume sacerdotal de son pays, offrant un sacrifice à son dieu[74]. A Rome, il se peignit aussi lui-même, tour à tour en marchand de comestibles et d’onguents, en gargotier, en débitant de boissons et en proxénète[75].

Il est probable que l’on trouvait, fréquemment aussi, des portraits peints d’empereurs dans les maisons des particuliers ; on est porté du moins à le croire, d’après la motion de l’empereur Tacite au Sénat, que chacun, c’est-à-dire sans doute chaque sénateur, fût tenu d’avoir chez lui un portrait du défunt empereur Aurélien[76]. Les tableaux représentant Alexandre Sévère en pied, revêtu d’un costume blanc très simple, encore existants à l’époque de Constantin, doivent avoir été, en partie, des portraits d’après nature[77]. Un portrait de Trajan étant, lors de la naissance d’Alexandre Sévère, dans un temple, tombé sur le lit de la mère de ce dernier, fut regardé comme un présage de son avènement à l’empire[78]. Ajoutons que la ressemblance de Théodose le Grand avec Trajan était facile à constater, par la comparaison avec des portraits de celui-ci[79]. Pausanias ne connaissait les traits du bel Antinoüs que par ses statues et par des tableaux ; il y avait surtout un grand nombre de ces derniers dans le temple qu’on lui avait élevé à Mantinée, où il figurait le plus souvent peint en Bacchus[80]. La coutume royale de se faire envoyer des portraits de princesses, pour se guider dans le choix d’une épouse, coutume mentionnée par Honorius dans Claudien[81], paraît avoir pris naissance en Orient et s’être, de là, répandue en Occident. La princesse juive Alexandra envoya à Marc-Antoine ; d’après le conseil de Dellius, les portraits de ses deux enfants, à savoir, du jeune Aristobule, adolescent de seize ans, et de la belle Marianne, femme d’Hérode, afin de le disposer, par l’aspect de la beauté merveilleuse de l’un et de l’autre, en faveur de la demande, faite par elle, de la dignité de grand-prêtre pour son fils Aristobule[82].

Dans la vie privée aussi, on recourait généralement â la peinture de portraits, quand on tenait à fixer, pour des individus ou pour un plus grand cercle, les traits et la figure d’hommes célèbres et intéressants, de personnes honorées et chéries. Un portrait de Flore, courtisane admirablement belle, devenue célèbre par sa liaison avec Pompée, à l’époque de la jeunesse de celui-ci, fut exposé par Metellus le Dalmatique au Forum, dans le temple de Castor, qu’il y avait fait restaurer, ainsi qu’orner de peintures et de statues[83]. Les productions des peintres de portraits, alors le plus en vogue à Rome, Sopolis et Dionysius, remplissaient encore les galeries au temps de Pline ; mais, pour les portraits de femmes, on leur préférait, à l’un et à l’autre, une femme artiste, la virginale Jaja de Cyzique, qui s’était aussi peinte elle-même devant une glace[84]. L’allégation de Pline, que la peinture de portraits aurait été complètement supplantée par, la nouvelle mode des médaillons de bronze et d’argent, ne peut s’appliquer directement qu’aux atria des grandes maisons ; car ces médaillons étaient d’un trop grand prix pour comporter un large débit. Depuis que Varron avait publié un livre d’images, contenant sept cents portraits d’hommes célèbres, on peut, admettre que les livres devaient être, ordinairement, précédés du portrait de l’auteur, pour le moins. Martial (XIV, 156) fait mention d’une petite édition en parchemin de Virgile, ornée d’un pareil portrait, et probablement les ophtalmies que, d’après Galien[85], les peintres gagnaient en peignant sur du parchemin blanc, ne laissaient-elles pas d’avoir quelque rapport avec la peinture de ces frontispices et autres illustrations coloriées des livres du temps. On ornait les bibliothèques Non seulement des bustes, mais aussi de portraits peints des auteurs en renom. Pline le Jeune commanda, chez un ami, dans une ville de la haute Italie (du pays des Insubres), pour la bibliothèque d’un autre ami, des portraits de Cornélius Népos et de T. Catius, qui, tous les deux, y étaient nés ; il prie le premier de charger, autant que possible, un artiste digne de confiance du soin de copier les portraits pouvant y exister de ces deux écrivains[86]. On avait, sans doute, au moins dans chaque ville d’importance majeure, le choix entre plusieurs peintres et, par conséquent, ce qu’il fallait pour le porte. r sur un artiste éprouvé[87]. Martial se fit peindre pour faire plaisir à un ami, Cécilius Secundus, qui commandait sur le Danube[88] ; quant à son portrait pour la bibliothèque de Stertinius Avitus, ce pourrait bien aussi avoir été un portrait peint[89]. Il mentionne, en outre, des portraits du poète tragique Mémor, de Césonius Maximus, de Camonius Rufus enfant, mort depuis à l’âge de vingt ans, de Marc-Antoine Primus, dont il ceignit le portrait d’une couronne de violettes et de roses tous ces portraits ne représentaient, paraît-il, que le buste[90]. La mère du sophiste Alexandre Péloplaton était, d’après ses portraits, d’une rare beauté ; elle ressemblait à l’Hélène d’Eumèle[91]. Les plaisanteries de Lucien aussi, quand il se moque de la sottise des gens qui recommandaient aux peintres de les embellir, de diminuer un peu le nez, par exemple, ou de rendre la teinte des yeux plus noire, et ainsi de suite, comme faisaient surtout les dames, autorisent la supposition d’un usage généralement répandu de la peinture de portraits[92].

Les images de personnes à placer dans des endroits non couverts, des lieux publics surtout, rie pouvaient être que des figures plastiques. Une partie notable de celles-ci, ainsi que les socles, pourvus d’inscriptions, d’une autre, partie bien plus considérable encore, se sont conservées ; et l’impression de ces restes, extrêmement nombreux, combinée avec les rapports des auteurs du temps, fait concevoir de la multitude incroyable, de la variété générique et de la diversité d’origine de ces monuments, une idée tout autre et bien plus haute que les maigres données, encore existantes, comme il a été dit plus haut, sur l’emploi de la peinture à la reproduction de l’image des personnes. En effet, rien ne saurait donner mieux une mesure approximative de l’immensité de la production artistique, dans les deux premiers siècles de notre ère, que l’examen des principaux genres d’images pareilles, destinées à perpétuer la mémoire des personnes qu’elles représentent, dans des cercles publics ou privés.

En première ligne, se rangent ici les bustes, médaillons et statues des empereurs et des personnes de leur famille. Une image de l’empereur régnant, publiquement exposée aux regards, ne pouvait manquer dans aucune ville, dans aucun camp[93], par la raison déjà qu’elle n’avait pas tardé à devenir l’objet d’un culte introduit partout et rendu obligatoire. Le sénat n’avait-il pas déjà pris, en l’honneur de César, une résolution portant que sa statue devait être placée dans toutes les villes et dans tous les temples de Rome[94] ? Auguste avait restreint le culte de sa personne aux provinces, Tibère, généralement interdit que l’on rangeât sa statue avec celles des dieux, et permis seulement de l’adjoindre aux œuvres d’art qui servaient à l’ornement des temples[95]. Caligula encore rendit, au commencement de son règne, une défense semblable, mais qu’il ne tarda pas à retirer[96], et bientôt, comme nous l’apprend Josèphe (B. j., II, 10, 3), tous les peuples soumis à l’empire, ville après ville, firent une place à sa statue, à côté de celles des dieux. Dès l’origine de l’empire, selon toute probabilité, s’était établie. la coutume d’envoyer, à l’avènement de chaque empereur, dans les villes de province, sous une escorte de soldats et de joueurs de flûte, des images du souverain, ceintes d’une couronne de laurier, lesquelles pouvaient fort bien, il est vrai, n’être que des images peintes. Le peuple venait les y recevoir solennellement, en procession, avec des flambeaux et en brûlant de l’encens[97]. Les images des empereurs avaient le privilège d’offrir un asile aux malheureux que l’on persécutait, aux esclaves notamment[98], et on leur adressait, comme à celles des dieux, l’hommage de sacrifices, d’offrandes, d’encens et de libations de vin. Sous le règne de Domitien, la rue menant au Capitole n’était pas assez large pour les troupeaux que l’on y faisait monter continuellement, afin d’alimenter ces sacrifices, dans lesquels, suivant l’expression de Pline le Jeune[99], on faisait couler, devant les hideuses images du despote, en signe de vénération, autant de sang d’animaux qu’il versait lui-même de sang humain. Le refus d’adoration était puni comme un crime de lèse-majesté, et fut une des causes principales de la persécution des chrétiens[100]. Cependant ce culte païen des images d’empereurs continua même dans la période chrétienne, et Théodose II se vit obligé de le restreindre en 425, afin, dit-il, de réserver pour la divinité une vénération dépassant la limite de ce que comporte la dignité humaine[101]. Toute atteinte ou insulte à l’image de l’empereur était punie bien plus sévèrement encore que le refus d’adoration, avec le plus de rigueur chez les soldats. Déjà en l’an 15, Granius Marcellus, préteur de Bithynie, qui avait fait enlever la tête d’une statue d’Auguste polir y substituer celle de Tibère, fut accusé du crime de lèse-majesté, et n’échappa qu’avec peine à une condamnation ; bientôt ce fut un crime capital d’avoir frappé un esclave ou changé de vêtements près de l’image d’Auguste[102]. Les jurisconsultes du troisième siècle font observer expressément, il est vrai, qu’en livrant à la fonderie des statues délabrées d’empereurs, on ne se rend, pas coupable de lèse-majesté, non plus qu’en réparant une statue délabrée, vu en touchant, par inadvertance, une statue de l’espèce d’un coup de pierre. Septime Sévère et Caracalla déclarèrent, de même, qu’il n’y avait rien de répréhensible dans la vente d’images non encore consacrées d’empereurs ; il s’ensuit que la fonte, ou toute autre dégradation d’une image déjà consacrée, devait être réputée un acte d’autant plus criminel[103].

Plus on supportait difficilement, sous le règne d’empereurs détestés, la lourde contrainte d’une adoration de leurs images, plus la passion populaire, longtemps comprimée, éclatait avec fureur, lors d’un changement de règne, en s’acharnant à les livrer à là destruction et à l’insulte. Le plus violent de ces éclats de la fureur populaire fut peut-être celui qui eut lieu à la mort de Domitien, et c’est probablement aussi pour cette raison que ses monuments subirent la destruction la plus radicale. Non seulement le Capitole, rempli de ses statues et de ses bustes d’or et d’argent[104] (car on n’y en admettait point d’autres, et encore fallait-il qu’ils eussent un poids déterminé[105]), non seulement Rome tout entière, mais presque tout l’empire, suivant Dion Cassius (LXVII, 8), étaient couverts de ses monuments, respirant l’arrogance, et qui, souvent, étaient de dimensions colossales. Or, à la nouvelle de l’assassinat de ce prince,. le sénat ne se contenta pas de faire éclater la joie que lui causait la chute du tyran, par de bruyantes invectives, mais il arrêta que l’on apportât tout de suite des échelles, pour démonter ses images et les médaillons à son effigie, les jeter à bas et les briser contre terre ; puis, que les inscriptions le concernant fussent partout effacées, pour qu’il ne restât plus trace de sa mémoire[106]. Le renversement, ainsi que la destruction de ses innombrables et précieuses statues, dit Pline le Jeune[107], quatre années plus,tard, fut un sacrifice porté à l’allégresse publique. On se réjouissait de jeter contre terre cette face pleine d’insolence, de la mutiler avec des barres de fer et à grands coups de hache, comme si ces coups pouvaient causer des blessures et des douleurs réelles. Personne ne savait modérer assez sa joie et sa jubilation tardive, pour ne pas trouver ses désirs de vengeance satisfaits à la vue de ce corps et de ces membres lacérés et mis en pièces, de cette figure sombre et repoussante, jetée au feu et fondue par les flammes. C’est ce passage, ou un récit semblable, qui a donné lieu au conte traditionnel, rapporté par Procope[108], que, Domitien ayant été mis en pièces, sa femme aurait fait couler sa statue en bronze, d’après une recomposition de son corps, opérée au moyen de ces pièces, avec la permission du Sénat. Cette statue, qui se trouvait placée sur la voie par laquelle on montait du Forum au Capitole, à main droite, était, d’après Procope, la seule encore existante de Domitien, et offrait la plus grande ressemblance entre cet empereur et Justinien. Les images de Commode[109], de Maximin, dont on fit en partie disparaître les portraits sous fine couche de noir[110], et d’autres empereurs, eurent le même sort que celles de Domitien. A la suite des révoltes incessantes, des guerres civiles et des révolutions de palais, qui ne discontinuèrent pas dans les siècles postérieurs, de pareilles scènes se reproduisirent continuellement, jusque dans les derniers temps de l’antiquité[111]. Nous savons, par le témoignage de saint Jérôme[112], qu’au lieu de détruire les images, on se bornait le plus souvent à les métamorphoser, comme on l’avait fait, quelquefois, antérieurement déjà. Ainsi, quand un tyran a été assassiné, on renverse toujours encore ses statues et ses portraits ; mais, après avoir modifié les traits du visage ou enlevé la tête, on y substitue le visage du vainqueur, pour l’échanger, plus tard, contre de nouvelles têtes, toujours posées sur le même torse.

Dans les deux premiers siècles de notre ère, cependant, Domitien fut, que nous sachions, le seul empereur dont les images furent presque partout anéanties, et n’échappèrent qu’exceptionnellement à la destruction ; car les statues et les monuments de Commode doivent avoir été relevés, au moins en partie. Le 1er janvier de l’année 193, le sénat avait décrété, au bruit d’acclamations passionnées, la démolition des statues de l’ennemi de la patrie, du meurtrier, du gladiateur, et fait substituer la déesse de la Liberté à une statue, érigée en face de la Curie et qui, comme beaucoup d’autres, le représentait en Hercule, menaçant d’un arc bandé[113]. En l’an 197, le même sénat fut contraint par Septime Sévère à reconnaître Commode pour un dieu[114]. Il va sans dire que la consécration assurait, postérieurement aussi, la durée des images et, souvent même, en déterminait le renouvellement. De même que Sévère avait fait voter par le sénat l’apothéose de Commode et de Pertinax, Macrin en obtint celle de Caracalla, par le meurtre duquel il était parvenu au trône. A cette occasion, le sénat disposa que l’on élèverait deux statues en costume de triomphe à Septime Sévère, et six à Caracalla, à savoir deux statues équestres, deux en pied, le montrant en tenue militaire, et deux autres, le représentant en civil[115]. Les empereurs des deux premiers siècles non mis au rang des dieux furent, outre Domitien, Tibère, Caligula, Néron, Galba, Othon et Vitellius. Cependant les images et monuments, en partie relativement très nombreux, qui se sont conservés de ces princes, montrent assez que la consécration n’était nullement indispensable pour la conservation, mais cependant un moyen de garantir celle-ci, et le plus efficace, comme il va sans dire. A Tarragone, capitale de l’Espagne citérieure et centre du culte des empereurs dans cette contrée, un des hommes les plus considérés de la diète provinciale avait été élu spécialement pour veiller au bon entretien des statues du divin Adrien[116]. Pline le Jeune ayant fait, avec l’acquisition de divers immeubles, aussi celle de statues d’anciens empereurs qui s’y trouvaient, les y laissa et prit soin de leur conservation. Déjà sous le règne de Nerva, il avait voulu faire bâtir, à Côme, un temple pour les y placer ; mais, l’exécution de ce projet ayant souffert des retards, il demanda en 101, et obtint derechef de Trajan, la permission de les transférer à Côme, ainsi que d’y joindre celle de cet empereur[117]. La consécration contribuait, d’ailleurs, aussi à l’accroissement du nombre des monuments dont il s’agit, en renforçant de plus en plus le groupe des empereurs et impératrices divinisés : ainsi, tandis que, sous Commode, il. n’y en avait encore que quinze dans le temple impérial des Arvales, celui-ci en comprenait déjà vingt sous Alexandre Sévère, à savoir : Auguste, Julie, Claude, Poppée (ou L. Élius César), Vespasien, Titus, Nerva, Trajan, Plotine, Adrien, Sabine, Antonin, Faustine, L. Verus, Marc-Aurèle, Faustine II, Commode (ou Julie Pie), Pertinax, Septime Sévère et Caracalla[118]. Il va sans dire que la disposition de ce groupe dut être aussi successivement renouvelée, dans l’ensemble, par suite du changement de sa destination monumentale, et pour les besoins du culte. Ainsi Domitien fit construire, à Rome, une colonnade, l’empereur Tacite un temple des empereurs divinisés, dont Alexandre Sévère fit placer les statues colossales au Forum de Nerva[119]. Au culte officiel venait aussi, quelquefois, se joindre une vénération générale qui n’était pas de commande. Elle se manifestait par l’intérêt que l’on prenait à la conservation et à la restauration des images impériales. C’est avec le plus pieux attachement que le monde romain maintenait l’image transfigurée de Marc-Aurèle parmi les bons génies auxquels il s’adressait, dans ses prières ; plus d’un siècle après la mort de ce prince, on voyait encore sa statue figurer dans beaucoup de maisons ; au milieu des dieux Lares[120].

Par la raison déjà qu’un des premiers soins de chaque gouvernement nouveau devait être de pourvoir, le plus promptement possible, à l’érection des images impériales dans toutes les villes et dans tous les camps, il fallait aussi que l’on eût des sculpteurs et des peintres à sa disposition, dans tous les centres de l’Italie et des provinces ; peut-être même ces artistes faisaient-ils, ordinairement, partie de la suite, officiellement attachée aux gouverneurs, aux généraux et aux hauts fonctionnaires. Le fait qu’il se. trouvait dans tous les municipes italiens, à l’époque de la mort de Galba, assassiné le 15 janvier 69, des images de cet empereur, qui n’avait cependant quitté l’Espagne qu’après y avoir reçu la nouvelle de la mort de Néron (8 juin 68) et n’avait marché sur l’Italie qu’à petites journées[121], ne doit pas plus surprendre que le renversements avant la bataille de Crémone, vers la fin de l’année 69 encore, dans le camp de la flotte, à Ravenne, d’images de Vitellius, qui n’avait, lui, paru dans la haute Italie qu’à la fin de mai[122]. Mais aussi lui avait-on érigé des statues équestres en plusieurs endroits, déjà pendant sa marche de Cologne sur l’Italie par Lyon, avant même qu’il eût atteint Vienne, et l’écroulement de ces statues avait-il paru d’un mauvais augure[123]. Les images du premier Gordien se répandirent dans les villes d’Afrique immédiatement après son élévation à l’empire[124]. Le règne de Pupien et de Balbin ne dura que trois mois, à peu prés de mars en juin 238[125]. Quand Maximin fut assassiné devant Aquilée, au commencement de mai, on y renversa ses statues et images, et l’on obligea ses soldats, admis dans la ville, à l’adoration de celles des deux empereurs du sénat[126]. Le consul Claude Julien, dans une lettre, qui paraît avoir été adressée à Pupien et Balbin immédiatement après leur nomination à l’empire, félicite les légions et les troupes auxiliaires, qui, est-il dit dans cette lettre, adorent déjà vos images dans tout l’empire[127]. Dans les camps, le besoin de la confection et du renouvellement des médaillons à l’effigie impériale et des autres ornements et signes distinctifs du militaire[128], suffisait pour rendre désirable la présence d’artistes, que rien n’empêchait d’occuper autrement encore : ainsi Caracalla eut l’idée de faire poser, dans les camps, nombre de statues du grand Alexandre[129].

Non seulement les statues et images des empereurs régnants ne manquaient dans aucune localité de l’empire, mais toutes les places d’une certaine importance en offraient un grand nombre. Elles faisaient, en général, l’ornement des places et des édifices publics, mais surtout des bâtiments occupés par le gouvernement, l’administration et les tribunaux. Apulée[130], dans son apologie prononcée devant le proconsul Claude Maxime à Carthage, s’indigne de ce que, devant les statues d’un Antonin le Pieux, le fils vienne reprocher des infamies à sa mère. Il est probable que les gouverneurs et autres employés du gouvernement se chargeaient de faire poser des statues en des lieux pareils, mais les corporations rurales et provinciales, aussi, et toutes les communes aisées, étaient tenues de présenter leurs hommages à l’empereur sous cette forme, et, quand elles voulaient se distinguer, elles étaient obligées d’offrir des statues colossales ou d’un prix extraordinaire, ou bien d’en offrir plusieurs en même temps. Ainsi une députation spéciale vint présenter à Caligula, dans la première année de son règne, l’hommage des honneurs que la diète provinciale de l’Achaïe, autrement dite le synode des Panhellènes, avait résolu, par lin vote, de lui décerner. Ce vote comprenait la résolution de lui ériger un grand nombre de statues ; mais Caligula ne voulut en accepter que quatre, à dresser, d’après son désir, dans les lieux où se tenaient les jeux sacrés : Olympie, Delphes, Némée et l’isthme corinthien[131]. C’est dans les localités où il y avait des sacerdoces particuliers, affectés au culte des statues d’empereurs, que celles-ci devaient ; sans doute, être le plus nombreuses et avoir le plus d’importance[132]. Très souvent enfin, même de simples particuliers ne pouvaient se dispenser de témoigner leur dévouement de cette façon, notamment à Rome. On y voyait, à l’époque des Antonins, les images des empereurs dressées partout, dans les comptoirs des changeurs, les boutiques et les ateliers, sous toutes les échoppes, dans tous les vestibules et à toutes les fenêtres ! Le plus souvent, il est vrai, mal peintes ou grossièrement modelées[133] ; à plus forte raison, il ne devait pas y avoir manque de bons portraits et de bonnes statues dans les maisons opulentes et aristocratiques. Ajoutons qu’il n’était pas rare non plus de voir, dans les grandes villes, des statues d’empereurs publiquement exposées par des particuliers.

De tous les empereurs, Adrien fut peut-être celui en l’honneur duquel on érigea le plus de monuments, dans toutes les provinces ; mais nulle part il n’en eut autant qu’en Grèce, la contrée à laquelle il avait le plus prodigué ses bienfaits. L’existence de plusieurs statues d’Adrien, érigées par des communes, des cantons ou des corporations provinciales d’une importance majeure, peut y être constatée en divers lieux, comme par exemple à Delphes, à Olympie, à Thèbes, à Syros, à Coronée[134] ; mais celui où elles étaient, sans contredit, de beaucoup le plus nombreuses, c’est Athènes, la ville qui lui devait le plus, et dans laquelle aussi elles sont devenues l’objet des recherches les plus actives. Dans chacune des treize sections cunéiformes du théâtre de Bacchus, récemment mis à découvert, il y avait, selon toute probabilité, une statue d’Adrien, et toutes, sauf une, y avaient été érigées par les douze phyles ou tribus de l’Attique. Pausanias en mentionne deux autres au Céramique ou dans l’Agora, et sur les hauteurs de l’Acropole, au Parthénon. De plus, nous en connaissons, à Athènes, deux qui y furent érigées par, des particuliers, l’une par Hérode Atticus, conjointement avec son fils Hérodien. Mais l’endroit qui en réunissait le plus, c’était le temple de Jupiter Olympien, achevé par Adrien, avec ses abords. Devant les façades probablement, s’élevaient deux statues du constructeur en marbre de Thasos et deux en marbre égyptien ; devant les colonnes (celles des colonnades sans doute qui courent autour de l’édifice), des statues en bronze, provenant de villes d’outre-mer ; ailleurs, d’autres statues en pied, données par des villes grecques ; mais, de toutes ces statues, il ne reste plus que treize socles et des inscriptions. Toutes étaient dominées par une statue colossale très curieuse, que les Athéniens avaient fait ériger derrière le temple[135]. Cependant les statues que nous connaissons d’Adrien ne devaient former qu’une petite partie de ce, qui existait de statues de ce prince à Athènes, s’il est vrai, comme d’excellents témoignages portent à le croire, que les Athéniens en érigèrent, jadis, plus de trois cents au seul Démétrius de Phalère[136]. Ils eurent peut-être encore plus sujet de se montrer reconnaissants envers Adrien, et certainement plus de motifs poussant à l’exagération dans le témoignage de leur reconnaissance envers ce dernier. La dépense à faire pour l’érection de statues était d’ailleurs, à cette époque, moindre qu’elle ne l’avait été quatre siècles auparavant. Mais, quelle que fût l’émulation entre les provinces et les villes, dans le zèle qu’elles mettaient à témoigner, par de nombreuses statues, de leur fidélité et de leur attachement loyal à la personne de l’empereur régnant, c’est toujours Rome qui excellait sous ce rapport ; pour le nombre comme pour la magnificence. Auguste, dans le mémoire qu’il rédigea sur les actes de son règne, rapporte qu’environ 80 statues d’argent, comprenant des statues en pied, d’autres posées sur des quadriges, et des statues équestres, lui furent érigées à Rome, les unes par des États, les autres par des particuliers, et qu’il les fit fondre toutes, pour faire poser, avec le produit, tant en son nom propre qu’en celui des fondateurs, dans le temple d’Apollon sur le mont Palatin, des offrandes d’or, consistant surtout en trépieds[137]. Il faut croire, d’après cela, que ses statues en pied, de bronze et de marbre, se comptaient de son vivant déjà, par centaines à Rome, et peut-être par myriades dans tout l’empire, quelque fabuleux que paraissent aujourd’hui ces chiffres. Bien que, du reste, même dans la période d’organisation de l’empire naissant, la servilité, qui se manifestait par des offrandes aussi prodigieuses, fût encore loin d’avoir atteint son apogée, et que, de plus, Auguste s’appliquât lui-même à la tenir en bride, aucun des empereurs qui lui succédèrent n’obtint autant d’hommages qu’il en reçut, comme sauveur du monde et fondateur d’un nouvel ordre de choses. Il est vrai que sa domination dura 44 ans ; aussi le nombre de monuments qu’on lui éleva, tant de son vivant qu’après sa mort, peut-il avoir été plus considérable que sous aucun règne, et ce qui reste de ce fonds de statues n’est-il pas sans importance[138].

Il n’a dû arriver que très rarement et exceptionnellement, dans les premiers siècles de notre ère, que l’on établît de nouvelles statues d’empereurs, en en transformant ou débaptisant d’anciennes, parce que ceux que l’on eût voulu honorer de cette manière, eussent vu une insulte plutôt qu’un hommage dans des monuments obtenus au moyen de procédés pareils, comme le fait remarquer avec raison Dion de Pruse[139]. Pausanias vit devant le temple de Junon, près de Mycènes, une statue, d’Auguste d’après l’inscription, mais que l’on y prétendait être une statue d’Oreste[140]. Cependant, c’est là, indépendamment de ceux que l’on a déjà mentionnés, le seul exemple connu de l’espèce des premiers temps de l’empire. Depuis l’an 15, il y a lieu de croire que peu de personnes osèrent, en vue d’un profit ou d’une économie, faire, même dans le plus grand secret, une chose dont la découverte pouvait les exposer à une accusation du crime de lèse-majesté. Dion[141], dans un long discours aux Rhodiens, qui étaient par trop enclins à prodiguer les honneurs de la statue, et qui, au lieu de la commander neuve, se contentaient très souvent d’en débaptiser une ancienne, c’est-à-dire de l’affecter à sa destination nouvelle au moyen d’un simple changement de nom, leur reproche l’indignité d’un procédé pareil. Cette conduite, dit-il, est d’autant moins excusable que, par le fait, ils ne continuaient pas moins à faire exécuter et poser tous les jours des statues neuves, de celles notamment que l’on érigeait aux empereurs et aux hauts fonctionnaires ; il n’y aurait cependant, ajoute-t-il, pas de raison pour le leur reprocher, si cette exception n’avait lieu qu’en faveur des empereurs seuls. Pour les images d’empereurs donc, une transformation, dans le genre indiqué, lui paraissait tout à fait inadmissible. Philon raconte que les habitants d’Alexandrie y profanèrent toutes les synagogues qu’ils ne pouvaient détruire, en y érigeant des images de Caligula ; dans la plus grande en particulier, sa statue en bronze sur un quadrige ; mais, n’en ayant pas trouvé de neuf, ils avaient retiré à la hâte du gymnase un vieux quadrige rouillé et endommagé, dédié jadis, au dire de maintes gens, à quelque Cléopâtre, autre que celle de Jules César et de Marc-Antoine. Or, pour Philon il était clair que les auteurs de cette substitution encouraient, par suite de ce méfait, le danger d’une accusation très grave, lors même que ce quadrige de femme eût été neuf, ou un quadrige d’homme, mais vieux, car c’était bien assez du fait qu’il avait été précédemment dédié à une personne autre que l’empereur. Ceux qui avaient opéré l’érection d’un pareil monument en son honneur, ne devaient-ils pas faire tout leur possible pour éviter qu’il n’en fût informé, lui qui attachait tant d’importance à tout ce qui concernait sa personne[142] ?

Dans les monuments autres que ceux dont on faisait hommage aux empereurs, la substitution de têtes ou d’inscriptions nouvelles[143], dispensant de l’exécution de toute une figure, ne semble guère non plus avoir été fréquente dans les premiers temps de l’empire ; il paraîtrait qu’il n’y avait des exemples plus nombreux de cette pratique que dans les villes grecques, où l’on avait un très grand choix de statues anciennes. Cependant, non seulement ceux que l’on connaît se présentent comme des cas isolés[144], mais Dion, dans le discours précité, où il tance les Rhodiens au sujet de la mauvaise habitude qui avait fait chez eux, depuis quelque temps, des progrès si fâcheux, dit aussi que d’autres villes, inférieures à Rhodes en richesse, ou même pauvres, comme Athènes, Sparte, Byzance, Mitylène, s’en étaient parfaitement gardées. Ainsi, selon toute apparence, Rhodes était alors la seule ville de la Grèce où ce procédé blâmable fût en grand usage ; aussi disait-on que les statues y étaient comme les acteurs, changeant continuellement de rôle[145].

Ce qui concerne les images d’empereurs s’applique en majeure partie aussi à celles des impératrices et des princes désignés pour la succession au trône, en grande partie même à celles des autres membres et parents de la maison impériale. Si, à l’époque où Tibère vivait à Rhodes dans la plus profonde disgrâce, les habitants de Nîmes renversèrent ses statues et ses images, il y a tout lieu de croire qu’il existait pareillement des statues de ce prince dans les autres grandes villes de l’empire, dès avant qu’il en fût devenu le chef[146]. Après la mort d’Élius Verus, qui avait été destiné au trône, Adrien lui fit ériger des temples, dans quelques villes, et des statues colossales, dans tout l’empire[147]. L’image du bel Antinoüs a, comme on sait, occupé la peinture et la sculpture dans les provinces les plus diverses, sinon dans toutes.

Les plus hauts fonctionnaires, ceux qui tenaient en mains les rênes du gouvernement, furent aussi honorés de monuments dans tout l’empire, à l’instar des empereurs eux-mêmes, surtout, comme il va sans dire, quand ils étaient les favoris déclarés du maître. A l’époque où, Séjan était à l’apogée de son pouvoir, le sénat et l’ordre équestre, les tribus et les plus grands personnages de Rome, lui firent élever à l’envi tant de statues que personne, suivant l’expression de Dion Cassius (LVIII, 2), n’aurait pu en dire le nombre, notamment depuis que Tibère lui avait fait ériger, sur une résolution du sénat, une statue en pied de bronze, au théâtre de Pompée[148]. Ou plaçait généralement l’une à côté de l’autre les images et les statues de l’empereur et de son alter ego[149] ; même dans les camps (mais peut-être là les premières seulement figuraient-elles sur les insignes militaires), ceux de l’armée de Syrie seule exceptés[150] ; et Tibère permit que les images de son favori fussent honorées sur les places de rassemblement des légions comme dans les places publiques et les théâtres des villes[151]. La chute soudaine de Séjan, en l’an 31 de notre ère, fut le signal de la destruction des monuments qu’une basse servilité lui avait élevés, au temps de son omnipotence. Ses statues, d’après Juvénal (X, 56 à 64), furent arrachées de leurs piédestaux, au moyen de cordes, et traînées dans la boue. Des coups de hache fracassèrent les roues des chars à deux chevaux et les jambes des innocentes bêtes de leur attelage de bronze ; bientôt on vit fondre, dans le brasier pétillant des hauts-fourneaux, attisé par des soufflets, cette tête naguère adorée du peuple, et se liquéfier, au milieu des crépitations, toute la figure colossale de Séjan ; puis, de ce qui, naguère, représentait les traits du second personnage de l’empire, on se mit partout à confectionner des pots, des casseroles, des bassins et des vases de nuit. On rapporte des choses semblables du favori de Septime Sévère, Plautien, qui tomba tout aussi soudainement d’une hauteur également vertigineuse. Dion[152] raconte qu’on lui avait érigé des images et des statues non seulement en bien plus grand nombre qu’aux empereurs, mais aussi de plus grandes dimensions, et cela non seulement dans les villes autres que Rome, mais dans cette capitale même, non seulement aux frais de particuliers, mais par l’ordre du sénat. C’est là précisément ce qui rendit Sévère ombrageux. La chute de Plautien fut dé même suivie du renversement de ses statues, dans toute l’étendue de l’empire.

Si le nombre de ceux auxquels on érigeait des statues ; dans tout l’empire, était nécessairement très limité, une multitude incroyable de personnes arrivaient à jouir de cet honneur dans un plus petit rayon ; ou dans une localité déterminée. C’était là, en effet, la forme dont usaient habituellement, de préférence, les provinciaux voulant rendre hommage à des Romains qui avaient, ou auxquels ils croyaient le pouvoir de leur nuire, ou de leur rendre service, et parmi lesquels les gouverneurs figuraient, naturellement, en première ligne. Déjà dans les derniers temps de la république, il était généralement d’usage, dans les Provinces, de leur ériger des temples[153]. Cicéron[154] se trouva, comme proconsul en Cilicie, dans le cas de décliner les honneurs de la statue, du temple, du quadrige même ; tandis que Verrès avait obligé les communes de la Sicile non seulement à lui ériger à lui-même, mais à élever en outre à son père, ainsi qu’à son fils, encore enfant, une multitude de statues en pied ; à Syracuse, il en existait même un tel nombre qu’on n’y en avait, semblait-il, pas posé moins qu’il n’en avait fait, lui-même, enlever de cette ville[155]. De plus, on voyait à Rome des statues équestres, dorées, qui lui avaient été décernées par les négociants romains, les producteurs de grains et la corporation provinciale de Sicile[156]. L’épouvantable régime des satrapes de cette époque subit, il est vrai, beaucoup de restrictions sous l’empire, mais il ne fut jamais entièrement réprimé, et, si les populations des provinces étaient toujours encore, directement ou indirectement, obligées d’honorer, par des monuments, leurs spoliateurs et leurs tyrans, elles ne pouvaient, généralement, dénier cet hommage à aucun gouverneur, sans que ce déni seul impliquât, tacitement, une accusation contre lui. Suivant Dion, les Rhodiens excusaient l’emploi de statues anciennes à de nouvelles démonstrations honorifiques, par l’obligation, dans laquelle ils se trouvaient, d’honorer tant de hauts fonctionnaires, et qui, l’on était bien forcé de le reconnaître, se fondait trop souvent non sur des mérites réels de ces derniers, mais uniquement sur l’opinion qu’on avait de leur pouvoir[157]. Tout fonctionnaire qui venait s’établir au milieu d’eux leur inspirait de la crainte, et, pour peu qu’ils eussent manqué une fois d’ériger à l’un ou à l’autre une statue en pied de bronze, ils croyaient leur liberté en danger. S’ils étaient réellement obligés de frétiller de la queue, comme les chiens, pour témoigner leur allégresse à chaque nouvel arrivant, s’ils avaient tout à craindre de sa haine et de sa colère, en oubliant de pratiquer la flatterie sans distinction de personne, leur condition, de l’aveu de Dion, devait être en effet bien malheureuse[158].

Les honneurs de la statue étaient aussi rendus, notamment en Grèce, à des Romains de distinction, qui venaient y résider, sans caractère officiel, comme le prouvent, particulièrement à Athènes, les inscriptions de nombre de socles des premiers temps de l’empire[159]. Naturellement, les villes et les provinces qui avaient à témoigner leur reconnaissance de bienfaits réels, de l’acceptation et de l’exercice d’un patronage surtout, pouvaient le moins se dispenser d’agir ainsi. Dans les villes de la Sicile, on voyait partout, sur les places publiques, des statues équestres des Marcellus, patrons de l’île[160]. Le héros du roman d’Apulée[161], ayant à se plaindre d’une farce qui lui avait été publiquement faite à Hypate, les magistrats de la ville lui font des excuses et l’informent que celle-ci, pour sceller la réconciliation, comme il est issu d’une famille considérée de la Thessalie, Vient de le choisir pour patron et d’arrêter l’érection de son image en bronze. Parmi les positions officielles et semi-officielles, dans les provinces, il y avait des emplois subalternes pouvant déjà servir de titre pour cet honneur. Au père de Vespasien, Flavius Sabinus, qui avait pris à ferme la perception du droit de 2 ½ pour 100 sur les marchandises, dans la province d’Asie, on y décerna des images et des inscriptions louangeuses[162]. Titus s’était fait, comme tribun militaire, en Germanie et dans la Bretagne, une grande réputation d’énergie en même temps que de modération, comme il appert de la multitude de ses statues et portraits, dans ces deux provinces, et des inscriptions qu’elles portent, au dire de Suétone (Titus, V). Avec une telle manie de prodiguer les monuments honorifiques, des monuments d’un prix et de dimensions extraordinaires pouvaient seuls établir une distinction réelle ; et Apulée (Florides, III, 16) n’exagère probablement pas trop quand il dit, à la louange du consulaire Émilien Strabon, que toutes les provinces se félicitent de lui ériger des quadriges et des chars à six chevaux, surmontés de sa statue en pied. L’érection de statues servait aussi généralement, dans les villes de toutes les parties de l’empire, à récompenser les particuliers qui avaient ou passaient pour avoir bien mérité de la commune. L’usage des statues portraits, rare d’abord, fut plus tard, comme nous le dit Pline l’Ancien[163], adopté par le monde entier, sous l’influence d’une ambition toute philanthropique ; les statues commencèrent à faire l’ornement des places publiques de tous les municipes : ainsi la mémoire des hommes de mérite fut portée à la postérité, et l’on inscrivit sur des piédestaux leurs titres d’honneur, afin de les conserver pour tous les temps, d’éviter que les générations futures ne fussent absolument réduites à les rechercher sur les tombeaux. Des milliers de socles conservés, avec des inscriptions grecques et latines, en témoignent. A Pompéji, ville d’environ 30.000 habitants, il y avait quatorze statues portraits, rangées en long sur le côté ouest seul du forum[164], et il y a lieu d’admettre qu’il en existait peut-être cinq ou six fois autant dans toute la ville, au moment où elle fut ensevelie. Le désir de se faire un nom et le patriotisme municipal s’alliaient, comme on l’a déjà fait remarquer, avec les égards auxquels on était tenu vis-à-vis de l’opinion publique, pour encourager les personnes aisées et notables à faire du bien à leurs communes respectives, et celles-ci, de leur côté, se faisaient gloire de témoigner, par de nombreux monuments, que beaucoup de citoyens avaient tenu à honneur dé faire des sacrifices pour elles, et qu’elles étaient parfaitement en état d’y répondre elles-mêmes, en récompensant leurs bienfaiteurs, tout en prenant soin d’orner leur ville[165]. Il ne devait guère arriver qu’une famille riche et considérable eût, pendant la durée de plusieurs générations, son domicile dans une ville d’importance majeure, sans s’être trouvée dans le cas de mériter les honneurs de la statue. Dion de Pruse est fier de constater que ses grands-pères et autres aïeux, son père, qui avait longtemps présidé à l’administration de la ville, ses frères et ses autres parents avaient été honorés, par celle-ci, de beaucoup de statues, de funérailles publiques, de jeux d’athlètes, donnés auprès de leurs tombes, et de nombre d’autres distinctions ; à sa mère, on y avait érigé non seulement une statue en pied, mais aussi un temple[166]. L’investiture de maintes dignités, qui n’étaient accessibles qu’à l’aristocratie des provinces, comme notamment celle du plus haut sacerdoce de celles-ci, entraînait naturellement les honneurs de la statue, comme une conséquence plus ou moins régulière[167]. Il suffit de mentionner les mérites qu’il était le plus commun de récompenser par des statues, dans les villes île l’Italie et des provinces, pour donner une idée de l’extension de cette coutume, devenue générale. C’étaient principalement de grands sacrifices d’argent et des services personnels ayant profité à la ville, après les constructions et travaux si fréquents et déjà mentionnés d’embellissement et d’utilité publique, des allocations et donations faites en vue des objets les plus divers, comme par exemple pour l’achat de blé ; en temps de disette, mais tout particulièrement et très souvent des fêtes, où l’on régalait une fois seulement, ou périodiquement d’année en année, tonte la bourgeoisie, et qui étaient, d’ordinaire ; accompagnées aussi de distributions d’argent ; puis, toute espèce de spectacles, notamment des tueries d’animaux et des combats de gladiateurs ; enfin, des missions volontairement acceptées et remplies aux frais des envoyés, auprès des empereurs et des gouverneurs. Mais à côté de ces titres, qui étaient les plus communs, il y en avait beaucoup d’autres encore, par lesquels on arrivait également aux honneurs de la statue. Des services distingués dans l’enseignement y donnaient droit. aussi, et ce n’étaient pas seulement les professeurs d’éloquence jouissant d’une réputation universelle, et dont les leçons attiraient une foule de disciples des contrées les plus lointaines, qui les obtenaient, mais parfois aussi de modestes pédagogues, quand ils s’étaient fait un nom comme savants. A Bénévent, au capitole, on voyait une statue assise, en manteau grec avec deux cases de livres, du précepteur d’Horace, Orbilius Pupillus, qui mourut ; presque centenaire, dans un galetas ; à Préneste, une de M. Verrius Flaccus, au-dessus de son calendrier, gravé sur des tables de marbre, au forum de cette ville[168]. Des travaux littéraires trouvaient de même ainsi une récompense, dont. les villes n’étaient, parfois, que trop prodigues envers leurs concitoyens. Au dire de Dion de Pruse[169], les Athéniens avaient érigé à un poète très insignifiant une statue en bronze, juste à côté de celle de Ménandre. Des femmes aussi furent très souvent jugées dignes de cet honneur. Il était d’usage, en outre, d’ériger des statues aux défunts, fussent-ils morts en bas âge, pour consoler et honorer les leurs, notamment le père et la mère[170]. A Brixia (Brescie), le conseil communal s’avisa une fois de décréter une statue équestre dorée à un garçon mort à l’âge de six ans, deux mois et cinq jours, pour faire plaisir au père survivant[171] : tellement ce genre de monuments, dans lesquels Cicéron déjà avait vu une preuve du défaut de mesure de son époque, étaient devenus communs avec le temps[172]. Une autre manière d’amplifier les honneurs de la statue, c’était d’en élever plusieurs à la même personne. Ce fut la manière dont, par exemple, les Athéniens récompensèrent leur riche concitoyen, également connu comme poète épique, Jules Nicanor, qui, sous le règne d’Auguste, racheta pour eux l’île de Salamine, que le besoin d’argent les avait obligés d’hypothéquer, sinon de vendre. Des inscriptions élogieuses le célèbrent comme un nouvel Homère et un nouveau Thémistocle[173]. A la même époque, un certain P. Lucilius Gamala eut, pour ses nombreuses constructions et donations à Ostie, deux statues en bronze, dont une dorée[174]. D’après une inscription trouvée à Avenches, tout le peuple (civitas) des Helvétiens avait, ainsi que ses divers cantons en particulier (pagatim), décrété des statues à un certain C. Valérius Camillus[175]. De même à Hippone, en Numidie, chaque curie avait fait élever, à ses frais, une statue à L. Posthumius Félix Célérin, pontife de l’empereur et premier magistrat de cette ville, en reconnaissance d’un magnifique jeu de gladiateurs et d’autres mérites[176]. A une prêtresse de Calama en Numidie, qui avait fait preuve d’une libéralité extraordinaire envers cette ville, le conseil communal résolut d’ériger cinq statues[177]. A Constantine, la commune offrit un nombre égal de statues de Sosia Falconilla, après la mort de cette dame, à son père Q. Pompée Sosie Priscus, consul en 169, lequel pourtant n’en accepta qu’une[178].

Très souvent d’ailleurs, sinon généralement, les statues étaient érigées aux frais de ceux auxquels en revenait l’honneur. La formule satisfait de l’honneur, il a dispensé des frais, dans les inscriptions qui les accompagnent ; revient si souvent que, dans une foule de cas, on n’en saurait douter, les statues n’étaient évidemment décrétées qu’après une déclaration portant que les personnes, honorées de cette façon, étaient prêtes à en faire elles-mêmes la dépense. Exceptionnellement, on se cotisait aussi pour avancer les fonds nécessaires, dont la personne honorée restituait ensuite le montant[179]. A Fossombrone (Forum Sempronii), le conseil communal fit une fois porter une statue tout achevée chez une personne à laquelle on l’avait décernée par un vote secret, pour que celle-ci ne la refusât point par trop de modestie, comme elle avait déjà fait antérieurement[180].

Du reste, les villes honoraient aussi de statues des étrangers de distinction : ainsi particulièrement au deuxième siècle, les sophistes ou virtuoses les, plus marquants de l’art oratoire, dans leurs pérégrinations de place en place, comme, par exemple, Aristide, qui en obtint dans plusieurs localités. A Smyrne, il avait une statue pour l’érection de laquelle les villes d’Alexandrie, d’Hermopolis la Grande et d’Antinoé s’étaient cotisées avec les Grecs du Delta[181]. Apulée, dans le discours qu’il adressa au conseil communal de Carthage, pour le remercier de lui avoir voté une statue, dit que pareil honneur lui avait déjà été rendu dans d’autres lieux ; que, même dans des villes de médiocre importance, ni les fonds nécessaires à l’achat. du bronze, ni le talent d’un artiste, n’avaient fait défaut pour cela[182]. Le philosophe Démonax étant venu un jour, à Olympie, les Éléens lui votèrent une statue de bronze ; il la refusa parce que cela fût, dit-il, revenu,à un blâme de la conduite de leurs ancêtres, qui n’en avaient érigé ni à Socrate, ni à Antisthène[183]. C’était, encore au temps de Septime Sévère, l’habitude d’honorer les philosophes par des statues[184].

De même que, dans les municipes, cet honneur était ordinairement décrété, au nom de la ville, par le conseil communal, sinon par l’assemblée générale des habitants in corpore, il l’était à Rome par le sénat. Ce fut le sénat qui, en l’an 23, après la mort de Lucilius Longus, l’un des amis les plus anciens et les plus intimes de Tibère, résolut, indépendamment d’autres honneurs à lui rendre, de lui faire ériger, à frais publics, une statue au forum d’Auguste, attendu qu’alors, comme le dit Tacite (Annales, IV, 15), tout se traitait encore au sénat. La défense de Caligula, d’ériger une statue ou un buste à aucun vivant, sans sa permission expresse[185], abolit le droit du sénat de prendre de pareils arrêtés ; mais Claude le fit revivre, en l’an 45, et même dépendre dé la permission du sénat l’érection publique de statues fournies par des particuliers. Elle ne fut plus accordée qu’à des personnes ayant fait élever, de leurs propres deniers, un édifice public, ou à leurs parents, et seulement dans l’enceinte dudit bâtiment. Jusque-là, chacun avait été libre de faire exposer publiquement son image, soit en peinture, soit en pierre ou en bronze. Il s’en était suivi, dans Rome, une telle invasion de pareilles images, ayant la prétention de passer pour des monuments, que Claude dut y remédier en les répartissant autrement[186]. Cependant il est possible que l’on eût continué de permettre aux particuliers l’érection de statues dans les temples, à l’instar, par exemple, de celle qui avait été élevée, au moyen de contributions volontaires, dans ce temple d’Esculape, à Antoine Musa, médecin d’Auguste[187]. Comme du reste, le sénat ne décernait, certainement, jamais un pareil honneur, par son vote, que d’accord avec les empereurs, sinon d’après leur ordre exprès, on peut tout aussi bien rapporter à ces derniers l’érection des statues. De Tibère, par exemple, Dion Cassius rapporte (LVII, 21) qu’il honora par des statues la mémoire de beaucoup de défunts. Que l’on en accordât en général aux défunts plus facilement qu’aux vivants, cela va de soi. Ainsi, par exemple, sous Marc-Aurèle, les plus notables parmi les victimes de la peste en obtinrent, ainsi que, parmi celles de la guerre avec les Marcomans, tous les nobles, ces derniers au forum de Trajan[188]. A l’avènement d’un nouvel empereur, il paraît que ses parents défunts obtenaient ordinairement des statues. Claude, sous Caligula, faillit être dépossédé du consulat en l’an 37, pour avoir trop négligemment poursuivi l’exécution et l’érection de statues des frères prédécédés de l’empereur, Néron et Drusus (mort en l’an 30)[189]. Antonin le Pieux agréa, avec grand plaisir, les statues décrétées par le sénat à son père, sa mère, ses grands parents et ses frères, tous également prédécédés[190]. Marc-Aurèle honora de statues jusqu’aux amis de ses parents, après leur mort[191]. Septime Sévère en fit poser à tous ses parents défunts, à son père et à sa mère, à son grand-père et à sa première femme[192]. Cependant on ne saurait dire non plus que ni le sénat ni l’empereur ne fussent jamais chiches de ce témoignage honorifique, même à l’égard des vivants. Marc-Aurèle, qui demanda au sénat plusieurs statues pour Junius Rusticus, son professeur de philosophie, après sa mort, en demanda une pour Fronton, son professeur d’éloquence, déjà du vivant de ce dernier, sans nul doute[193]. Sur la demande de cet empereur aussi et de son fils Commode, déjà associé à l’empire, le sénat vota trois statues au préfet du prétoire, M. Basséus Rufus : une, dorée, pour le forum de Trajan, une autre, en costume civil, pour le temple d’Antonin. le Pieux et une troisième, cuirassée, pour celui de Mars Vengeur[194]. On décernait aussi des statues à titre de récompenses militaires[195]. Ainsi Constance, par exemple, fit dresser celles des officiers qui avaient commandé une sortie audacieusement faite de la forteresse d’Amida en Arménie (Diarbékir), pendant que les Perses l’assiégeaient en 359, sur une place populeuse d’Édesse, où Ammien les vit encore (XIX, 6, 12).

Toutes les places publiques d’abord, avec leurs colonnades, ainsi que les principaux temples avec leurs parvis, étaient remplies de statues, l’ancien Forum et le parvis du temple de Jupiter, au Capitole, déjà du temps de la république. De là Auguste transféra, à cause du défaut d’espace, un certain nombre de statues d’hommes célèbres au Champ de Mars[196]. Les statues triomphales décrétées parlé sénat étaient dressées au forum d’Auguste jusqu’à Trajan, après le règne de ce dernier ordinairement au forum de Trajan[197]. En général, cette place devint de plus en plus, avec le temps, le centre de tout ce qui avait de l’éclat et de la distinction, surtout par le fait d’Alexandre. Sévère, ce dont témoignent nombre de socles que l’on y a trouvés[198]. Une distinction honorifique des plus rares fut l’érection, au Palatium, d’une statue votée par le sénat au père de l’empereur Othon, pour la découverte d’un complot contre la vie de Claude[199]. C’est là, au-dessus des statues triomphales du Forum, que Néron aussi, en l’an 65, fit poser celle de Nerva, qui devint plus tard empereur, et celle de Tigellin[200].

Il va sans dire qu’il est bien plus rarement fait mention des monuments ayant un caractère privé que des monuments publics, mais la question de savoir si les premiers étaient moins nombreux que les seconds est encore à résoudre. Parmi les monuments privés se classent, entre autres,, les statues posées par les collèges (corporations de métiers, corporations religieuses et autres) à leurs patrons et autres protecteurs[201] ; puis, les monuments élevés aux acteurs, musiciens, athlètes et conducteurs de chars en vogue et en renom, par leurs partisans et leurs admirateurs. Ceux des conducteurs de chars leur furent, sans. doute, en grande partie du moins, décernés par les factions du cirque. Cette multitude de statues, dans le costume original du cirque, frappait les étrangers, vers le milieu du deuxième siècle, à Rome, où l’on en voyait non seulement de cochers, mais aussi de pantomimes, groupées avec les images des dieux, dans les temples. D’ailleurs, les communes aussi honoraient par des statues les artistes de ce genre, et cela non pas seulement en Grèce. La ville de Préneste aussi érigea, sur la demande du peuple, une statue à son concitoyen, Marc-Aurèle Agilius Septentrion, affranchi des empereurs Septime Sévère et Caracalla, et premier pantomime de son temps, lequel remplissait, dans cette même ville, la charge de sévir des Augustales, pour reconnaître le grand amour qu’il avait pour ses concitoyens et pour sa ville natale[202]. En général, les monuments publics décernés à des artistes ne devaient pas être chose rare ; ceux d’artistes célèbres étaient nombreux, dans tous les cas. Néron contraignit Pammène, acteur tragique déjà très vieux, à se mesurer avec lui, afin de pouvoir insulter à ses statues, après qu’il aurait remporté le prix[203]. Les traits des athlètes en renom étaient popularisés par les statues en bronze qu’on leur avait érigées en beaucoup d’endroits[204].

Au temps de Pline l’Ancien, des clients rendaient hommage à leurs patrons, en leur érigeant des statues dans l’atrium de leurs maisons[205], comme ailleurs certainement aussi. Des amis s’honoraient entre eux de la même façon. Ceux d’un certain D. Junius Mélinus, nommé le premier chevalier romain à Cartilna, ville de la Bétique, y avaient, de son vivant encore, commandé une statue pour lui ; comme il mourut, à ce qu’il paraît, avant l’érection, la mère du défunt la lui fit poser, à ses frais[206]. Un certain L. Licinius Secundus avait rempli les fonctions d’huissier auprès de son patron, le puissant L. Licinius Sura, pendant ses trois consulats des années 98, 102 et 107 ; or, à Barcelone, on n’a pas trouvé moins de treize socles appartenant à des statues, dont trois lui avaient été érigées par les conseils communaux de trois villes d’Espagne, une par les sévirs des Augustales de Barcelone, dont il avait été collègue, une par un collège, deux par des sévirs en particulier, quatre par des amis, et une par un affranchi[207]. Des personnes haut placées témoignaient de la même manière leur estime à des gens de moindre condition. Le consulaire Émilien Strabon avait déclaré, dans une lettre au conseil communal de Carthage, son intention d’ériger, dans cette ville, une statue à Apulée, qui en exprima sa reconnaissance dans les termes les plus vifs[208].

Enfin, il est certain que c’était chose fréquente, dans tous les temps, de voir des particuliers chercher à s’immortaliser eux-mêmes, de leur vivant, par des statues, ce qui, comme on l’a déjà fait remarquer, était d’ailleurs permis à Rome, avant l’année 45, même dans des endroits publics. De même que c’était le sénat, dans cette capitale, à partir de la date mentionnée, c’était, dans les autres villes, le conseil communal qui devait autoriser l’érection publique des monuments privés et assigner respectivement à ceux-ci leur place. Dans une ville du midi de l’Espagne, le conseil communal, indépendamment d’un régal public (cœnæ publicæ), ordonné en l’honneur d’un membre nommé à vie du collège des Augustales, assigna à ce membre une place pour y faire élever des statues tant à lui-même qu’à sa femme et à ses enfants, ce qui eut lieu effectivement[209]. Il va sans dire que toute personne, sur le terrain qui lui appartenait, était libre de faire ériger tout monument qu’il lui convenait d’y placer.

Regulus avait fait couvrir d’immenses colonnades un très vaste espace, dans son jardin au-delà du Tibre, dont il avait de plus fait border la rive de ses statues, pour témoigner, suivant l’expression de son antagoniste aigri, Pline le Jeune[210], de sa prodigalité, au milieu de sa profonde avarice, et triompher de sa mauvaise réputation par ses fanfaronnades. A son fils, mort en l’an 104, encore enfant, il fit élever une multitude de statues et de portraits, pour lesquels il mit en réquisition tous les ateliers, afin de se procurer cette image chérie dans tous les genres, en peinture et à l’encaustique, ainsi que de bronze, d’or et d’argent, d’ivoire et de marbre[211]. Parmi les monuments privés comme parmi les monuments publics, il se trouvait, sans doute, un plus grand nombre d’images de défunts que de vivants. Hérode Atticus honora non seulement sa défunte épouse, Annia Régilla, par une foule de monuments[212], mais fit en outre élever partout, dans les champs, les bosquets, près des sources et sous les ombrages des platanes, à ses pupilles, Achille et Polydeuce, après leur mort, des statués de marbre, qui les représentaient chassant, s’apprêtant pour la chasse, ou s’en reposant. Des inscriptions se répandaient en malédictions contre quiconque mutilerait ou déplacerait ces figures[213]. Une partie des monuments concernant les défunts ornaient naturellement leurs tombes. Parmi ces tombeaux aussi, il y en avait de publics, dont l’érection était, assez souvent, accompagnée d’obsèques à frais publics[214]. Les testaments contenaient, très souvent, des dispositions relatives aux statues à ériger sur les tombes[215]. Dans une ville du midi de l’Espagne, une dame disposa ainsi qu’une statue, du prix de 8.000 sesterces (2.175 fr.), lui fût érigée et qu’on la parât de divers bijoux, décrits par la testatrice avec l’indication minutieuse du nombre d’anneaux d’or et de perles de chaque rang du collier qu’elle voulait avoir ; son fils y ajouta des bracelets d’argent, garnis de pierres précieuses ; et une bague de jaspe, de la valeur de 7.000 sesterces[216]. Le testament d’un Romain aisé, propriétaire dans les environs de Langres, prescrit l’érection d’un mausolée à deux étages, dont l’étage supérieur devait offrir un espace ouvert sur le devant, tout au plus séparé du dehors par des colonnes, ce qu’on appelait une exedra, destinée à recevoir deux statues du défunt, l’une assise, du meilleur marbre d’outre mer, c’est-à-dire grec sans doute, l’autre de cinq pieds de haut au moins, du meilleur bronze de deuxième qualité (æs tabulare), que l’on employait pour les publications officielles. Devant cet édifice, un autel du meilleur marbre de Carrare, sculpté dans la perfection, devait être construit, pour recevoir les ossements du testateur[217]. Le Trimalcion de Pétrone, dont les dispositions testamentaires rappellent à maint égard celles de l’acte précité, commande pour sa tombe, en guise de monument, sa statue accompagnée d’un petit chien, avec l’accessoire de couronnes et d’essences, posées à terre ; à sa droite, il veut avoir la statue de sa femme, une colombe à la main, ainsi que tenant en laisse un petit chien[218]. L’affranchi Abascantus, secrétaire de Domitien, érigea à son épouse Priscille un mausolée semblable à un palais, dans lequel son image se trouvait diversement reproduite, sous les formes de plusieurs déesses : ainsi sous celles de Cérès et d’Ariane en bronze, de Maïa et de la Vénus pudique en marbre. En général on ne se faisait pas faute de représenter les morts sous la forme de divinités[219] ; mais la règle pourtant, c’était le portrait d’après nature. Une grande partie des bustes et statues portraits parvenus jusqu’à nous proviennent de monuments tumulaires. Les voyageurs qui marchaient vers les portes des grandes villes, entre les deux rangées de monuments de l’espèce bordant les grandes routes, à droite et à gauche, recevaient, en quelque sorte, s’il est permis de nous exprimer ainsi, les salutations de ces longues files de figures d’airain et de marbre d’hommes et de femmes des générations éteintes, avant d’aborder le théâtre de la vie tumultueuse du présent.

La confection de monuments personnels a été pratiquée, jusque dans les derniers temps de l’antiquité, sur une échelle relativement très grande, non seulement par le moyen de la peinture, mais aussi par celui de l’art plastique. L’ambition de s’immortaliser par de fastueuses images, notamment par des statues de bronze doré, était, à la fin du quatrième siècle encore, mentionnée par Ammien (XIV, 6, 8) comme une des manies caractéristiques de la noblesse romaine. Sous Zénon encore, peu de temps avant l’établissement de la domination des Goths, des statues en pied furent érigées à Rome[220].

 

§ 3. — L’art religieux.

Comme le troisième grand domaine de l’art, il faut nommer, après l’art décoratif et l’art monumental, celui de l’art religieux, sur lequel une. production incessante d’énormes quantités avait à satisfaire un besoin répandu dans tout le monde romain. Sur ce domaine, il est vrai, l’art plastique était presque le seul qui pût déployer son activité dans le sens des besoins réels du culte, la peinture et la mosaïque ne pouvant être mises à contribution que pour la décoration intérieure des sanctuaires[221]. Nous traiterons plus loin, d’une manière plus approfondie, de la nature, de la force et de l’universalité de la croyance aux dieux de ce temps-là, croyance inséparable du culte des images, car, du grand nombre des plus considérables du moins des figures de la mythologie romaine et grecque, aucune, n’avait encore perdu, à cette époque, le bénéfice de la vénération dont elle formait, traditionnellement, l’objet ; tandis que nombre de dieux étrangers, de divinités de l’Orient surtout, dont le culte était auparavant restreint à des espaces limités, s’étaient répandus sur tout ce grand empire, qui embrassait tout le monde alors connu. Le nombre des personnes divines s’était donc accru. Cependant, il arrivait assez souvent que la considération pour le culte d’une divinité en particulier et l’étendue du ressort de ce culte diminuassent ou augmentassent très sensiblement, par l’effet d’influences diverses. Notamment la prédilection marquée de quelques empereurs pour certains cultes, comme celle d’Auguste, pour Apollon, de Domitien pour Minerve, de Commode, pour Isis et Hercule, et de Septime Sévère pour Hercule et Bacchus[222], ne pouvait rester sans effet, car chacun de ces règnes procurait, dans un vaste cercle, la prépondérance au culte préféré, et contribuait, dans la même mesure, à la multiplication de ses idoles. On ne saurait se figurer la multitude d’images, représentant des divinités, qui ont dû, par suite des progrès de la propagande mythologique, s’accumuler dans toutes les villes d’importance majeure et riches en temples. La légende portant qu’il n’y avait pas moins de cent idoles au Capitole à Trèves n’a rien qui doive paraître incroyable, ni même nous s’étonner beaucoup[223].

La ferveur, dans l’adoration des dieux, et le désir de se procurer leurs bonnes grâces par des œuvres pieuses de toute espèce, se manifestaient, de préférence, par des donations et des fondations pour les objets du culte, mais surtout par le don d’images de ces divinités, destinées non pour les temples seulement ; car elles étaient regardées aussi comme les objets les plus dignes de former l’ornement des places et des édifices publics. La mention du fait, accidentellement rapporté par Pline l’Ancien[224], que la capitale des Arvernes (Clermont) fit exécuter une statue colossale de Mercure, pièce à l’établissement dé laquelle on travailla dix ans, et pour laquelle l’artiste reçut 400.000 sesterces (108.750 fr.) d’honoraires, donne une très haute idée des sommes que l’on dépensait, même dans les provinces, pour les images des dieux. Or, si l’exécution de celles-ci, dans toutes les dimensions, avec l’emploi de matériaux de toute espèce, ainsi qu’à tous les degrés de la valeur artistique auxquels on pouvait atteindre, occupait des milliers d’ateliers dans l’empire romain, on est, naturellement, porté à admettre aussi qu’il devait y avoir de nombreuses spécialités, dans cette fabrication. Le hasard nous en a fait connaître une, celle des fabricants de génies, dont les boutiques et les ateliers se trouvaient, parait-il, réunis en grand nombre à Rome, derrière le temple de Castor. Il y a lieu de croire aussi qu’il existait, dans le voisinage de chaque temple considérable, une colonie d’artistes et d’industriels pratiquant les beaux-arts. Elle procurait aux dévots, affluant de toutes parts, les moyens de témoigner leur vénération à la divinité, par des offrandes et des fondations pieuses d’images des dieux, d’ex-voto et de tables votives, ainsi que de se pourvoir des souvenirs, de toute espèce, qu’ils avaient l’habitude de rapporter chez eux du sanctuaire visité. Ces artistes se trouvaient ainsi également sous la main, pour exécuter les réparations et les travaux. de décoration, dont les temples avaient continuellement besoin[225]. Tout le monde connaissait l’orfèvre Démétrius, qui façonnait, à Éphèse, des modèles en argent, copiés du temple de la grande Diane, ce qui faisait gagner beaucoup à nombre d’ouvriers[226]. Il n’est pas besoin de dire, qu’il devait y en avoir d’autres, fournissant, à tous les prix, des copies de l’image célèbre de la déesse. Il en était probablement de même pour tous les grands temples, où affluaient les visiteurs, bien que l’on n’ait des données positives, à cet égard, que pour ceux d’Aphrodite, dans l’île de Chypre, dont les idoles d’argile passaient pour opérer des miracles, dans les périls de mer. Ainsi l’on sait, par un rapport qui remonte au commencement du septième siècle avant notre ère, que, dès lors, un navire de Naucratis fut, miraculeusement, sauvé d’une effroyable tempête par une statuette, d’un travail antique et de la longueur d’une palme, qu’avait achetée, à Paphos et portait avec lui un marchand qui se trouvait parmi les voyageurs du bord[227]. On trouve fréquemment des figurines en argile de la déesse de Chypre, les unes en pied, les autres assises, voire même avec un enfant sur les bras, en divers endroits de cette île même, et ailleurs, comme à Athènes, en Syrien à Bagdad, à Cyrène, en Crimée, etc. ; elles sont en partie, peut-être même toutes, strictement conformes à la sévérité des modèles archaïques[228].

La civilisation romaine marquait ainsi aux beaux-arts une triple tache ; elle leur demandait de procurer à la foi des. images de la divinité et d’orner dignement les lieux consacrés à celle-ci, de transmettre à la postérité la mémoire des personnes et des événements, ainsi que de remplir d’une sereine magnificence les demeures des vivants, comme celles des nions. Chacun de ces besoins avait sa racine profonde dans l’essence de la culture romaine, telle qu’elle s’était développée, depuis le commencement de la domination universelle de Rome ; elle les répandit tous les trois dans ce monde, qu’elle se soumit d’autant plus complètement que sa durée se prolongea ; aussi l’art, qui seul pouvait satisfaire à ces demandes, la suivit-il partout, jusqu’aux dernières limites de son immense domaine. C’est ce que les faits rapportés jusqu’ici prouvent suffisamment. Mais, voulût-on, ce qui serait très facile, encore accumuler beaucoup plus de mentions de ces faits, l’on ne réussirait jamais à donner une idée parfaite de cette immense production des arts, qui continua incessamment, pendant des siècles, sur un domaine de plus de cent mille lieues carrées géographiques de superficie. Nous, gens du monde moderne, nous ne connaissons le besoin de l’art et l’activité artistique, y correspondant, que comme des phénomènes relativement assez rares, isolés et très étroitement circonscrits. L’existence d’un besoin de l’art comme celui qui remplissait tout un monde, alors, et quia disparu avec la civilisation romaine, demeure jusqu’à un certain point incompréhensible pour nous, nous apparaît même comme quelque chose de fabuleux, malgré les nombreux témoignages qui en font foi. L’imagination se perd dans la tentative de nous faire une idée de l’exubérance des œuvres d’art, de toute espèce, qui se créaient, année par année, dans des milliers de villes, et s’y accumulaient de plus en plus, en dépit des lacunes causées par la destruction.

La découverte des villes ensevelies près du Vésuve nous a permis, il est vrai, de jeter un coup d’œil sur cette magnificence engloutie des arts du monde romain. ; et cette contemplation, bien qu’elle ne nous montre qu’une parcelle de cet immense ensemble, et ne nous l’offre que très défigurée, reste toujours d’un prix inestimable ; car on en reçoit l’impression que des richesses répandues, à pleines mains, avec une telle prodigalité, devaient dire effectivement inépuisables. On ne. saurait admettre, d’aucune façon, qu’Herculanum et Pompéji se distinguassent, sous aucun rapport, des autres villes d’Italie, par leur parure artistique ; tout, au contraire, conduit à penser que ces deux villes nous font, tout au plus, connaître la moyenne de la parure d’usage. Des fouilles exécutées à Aricie, durant neuf années seulement, de 1787 à 1796, ont fourni la majeure partie de la collection considérable de sculptures du cardinal Despuig[229], à Palma, dans l’île -de Majorque, et des chefs-d’œuvre, tels que le Jupiter d’Otricoli, la Minerve de Vellétri, etc., justifient la haute opinion que l’on peut concevoir des ornements répandus dans les villes d’importance moyenne. Or, autant celles-ci étaient éclipsées par la magnificence et la richesse des grandes villes, telles que Capoue, Bologne (Bononia), Ravenne, et de certaines autres localités, qui brillaient particulièrement sous ce rapport, comme, par exemple, Antium, autant toutes devaient-elles être éclipsées par Rome.

Nous avons quelques données numériques sur les œuvres d’art que renfermait cette capitale : elles proviennent, en partie, d’un recueil de notices statistiques, par lequel se termine une description de Rome du quatrième siècle, intitulée : Curiosum, en partie, d’un mémoire plus développé sur ces notices, auquel le rhéteur Zacharie, évêque de Mélétine, fit, en 546, des emprunts[230] pour son Histoire ecclésiastique. Ces données, probablement fondées sur des extraits des relevés du conservateur des statues (curator statuarum) à Rome[231], sont malheureusement très incomplètes, même pour les œuvres d’art publiquement exposées, auxquelles s’en borne l’objet. Il en résulte qu’il y avait alors, à Rome, deux colosses, dont nous ne connaissons qu’un, des plus remarquables entre tous, à savoir le colosse de Néron, de près de cent pieds de haut, transformé en dieu du soleil ; vingt-deux statues équestres, colossales aussi, dont quelques-unes appartenaient peut-être à des groupes ; quatre-vingts statues de dieux dorées et soixante-quatorze d’ivoire, en ne comptant pas celles de l’intérieur des temples ; trente et un socles de marbre (?), et trois mille sept cent quatre-vingt-cinq statues, en bronze, d’empereurs et de chefs d’armée. Les autres statues portraits de bronze, les statues profanes de marbre, probablement aussi nombreuses ; les images de dieux, en marbre et en bronze non doré, dont le nombre était, naturellement, bien plus grand encore que celui des statues de prix, ne sont pas comprises dans ces relevés. Après tant de ravages, causés notamment par de fréquents incendies, dont plusieurs avaient atteint des proportions énormes, Rome possédait ainsi, probablement, au quatrième siècle encore, plus de dix mille œuvres, publiquement exposées, de l’art plastique. En y ajoutant celles que renfermaient des centaines de temples, les édifices publics, tels que thermes, portiques, théâtres, etc., les palais et les maisons des particuliers, on comprend que, même deux siècles plus tard, après maintes nouvelles dévastations, Cassiodore pût dire qu’il existait encore, dans l’enceinte de Rome, tout un peuple de statues.

On ne saurait, il est vrai, imputer ces dévastations aux empereurs chrétiens, qui employèrent, au contraire, à l’ornement des villes, les statues païennes enlevées des temples et d’autres édifices[232]. Une très grande partie de ces ornements se conserva jusqu’au septième siècle, où Constant II, pendant le séjour qu’il fit à Rome depuis l’année 649, procéda à un pillage, qui ne peut y avoir laissé subsister beaucoup de restes considérables[233].

 

 

 

 



[1] Marquardt, Manuel, IV, 545. — Voir, par exemple, Henzen-Orelli, 5128 (Falerii) : Statuas... ad exornandum theatrum ; ibidem, 5320 (Rusicade) : Prœter HS X m. n... in opus cultumve theatri... statuas duas.

[2] Donaldson, Architectura numismatica, particulièrement les nos 55 à 58, 60 à 66, 73, 77 et 79 à 83.

[3] Hist. nat., XXXVI, 121.

[4] Suétone, Claude, ch. XX. — C. I. L., II, 3240 (Ilugo-Tarraconensis) : Lacus cum suis ornamentis. — Voir aussi, sur ces créations d’Agrippa, Jordan, Topographie de la ville de Rome, II, 58, etc. (en allemand).

[5] Preller, Régions, 120, etc., 136 (en allem.).

[6] Suétone, Domitien, ch. XIII. — Pline, Hist. nat., XXXIV, 127 : Attolli super cæteros mortales... et arcus significant novicio invento.

[7] Donaldson, Arch. num., n° 57. — Martial, VIII, 65.

[8] Donaldson, n° 7, 58, 66, etc., ainsi que Dierauer, Histoire de Trajan, 133, etc.

[9] Dion, Or., 31 ; p. 355, etc., M.

[10] Ibid., p. 325 M.

[11] Pline, Hist. nat., XXXIV, 36.

[12] Dion, Or., p. 337, etc., M.

[13] Mommsen, C. I. L., I, 277, etc.

[14] Digeste, XXXV, 1, 14. — Ibidem, XLIII, 9, 2 (Concession de la place pour l’érection de statues).

[15] Ainsi, par exemple, C. I. L., II, 1956 (Cartima) : Signum æreum Martis in foro porticus ad balineum — cum piscina et signo Cupidinis ; ibidem (Cisimbrium-Bætica) : NN II vir poncif. perp. forum ædes quinque signa deor. quinque statuas suas sua impensa dedit donavit.

[16] Preller, Régions, 141. — Voir aussi Henzen, 5320, et C. I. L., II, 2006.

[17] C. I. L., II, 3228 (signum argenteum, cum domo sua) ; 4071 (es arg. libris XV, unciis II).

[18] Preller, Mythologie romaine, 213, 2 ; Suétone, Vespasien, ch. XXIII ; Dion, LXXVIII, 12 ; Aurelius Victor, Césars, 40, 28.

[19] Voir, pour celles-ci, Pline le Jeune, Lettres, 4, 7, et C. I. G., 3085 et 3524.

[20] Cicéron, pro Roscio Amer., 45, 133 ; De orat., I, 35, 161.

[21] Varron, de Re rust., III, 2, 8.

[22] Suétone, Auguste, chap. LXXII.

[23] Cicéron, ad Atticum, I, 5, 6 (636), 8 ; 9, 10 (687), 4 (688), 3 (689), ad Fam., VII, 23.

[24] Juvénal, III, 215, etc.

[25] Ibid., VII, 79.

[26] Martial, VII, 50.

[27] Pline le Jeune, Lettres, VIII, 18, 11.

[28] Ibidem, III, 7, 8.

[29] Ibidem, IV, 5.

[30] Hubner, Antiques de Madrid, p. 19 à 21 (en allem.).

[31] Winckelmann, Histoire de l’Art, XII, 1, § 7. — Renseignements sur les fouilles opérées dans la villa d’Adrien de 1745 à 1748, dans Ficoroni, Notizie di antichita (Fea, Miscell., I, p. 144).

[32] Josèphe, Bell. Jud., VII, 5, 7.

[33] Paulus, XXXIII, ad Ed. (Digeste, XVIII, 1, 34) : Plerasque enim res aliquando propter accessionem emimus, sicuti cura domus propter marmora et statuas et tabulas pictas ematur. — Ulpien, XVIII, ad Sabinum (Digeste, VII, 1, 13, § 7) : Sed si ædium ususfructus legatus sit, Nerva filius et lumina immittere eum posse ait : sed et colores et picturas et marmora poterit, et sigilla, et si quid ad domus ornatum.

Par sigilla, il faut, semble-t-il, entendre principalement des ouvrages en relief, d’argile (voyez Marquardt, V, 2, 235, etc.) et de stuc pour la plupart, il est vrai. — Voyez aussi Pline, Hist. nat., XXXVI, 183 : Usus gypsi in albariis, sigillis ædificiorum et coronis gratissimus. — Digeste, XXXIII, 7, 12, § 23 : Papinianus quoque, l. VII Responsorum, ait : Sigilla et statua ; affixæ instrumento domus non continentur, sed domus portio sunt ; ibidem, 36 : Imagines (c’est de bustes qu’il s’agit sans doute ici) quoque eæ solæ legatæ videntur, quæ in aliquo ornatu villæ fuerunt. — Passio IV coronatorum (Rapports des séances de l’Académie de Vienne, X, 119) : Conchas sigillis ornatas... conchas et lacus cum sigillis et cantharis cum magna tenuitate artis.

[34] Becker, Gallus, II, 3, 222.

[35] Overbeck, Pompéji, 2e éd., 219, etc.

[36] Martial, IX, 47, et Juvénal, I1, 4, ainsi que Lucien, Nigrin, 2, où le plâtre, étant le moins cher des matériaux que l’on employait, se présente à l’idée naturellement, dans la mention de ces bustes ou masques, lors même qu’il n’est pas expressément désigné.

[37] Marquardt, Manuel, V, 2, 235, etc.

[38] Semper, le Style, I, 450, etc. — Voir Digeste, VI, 1, 3,8 (tectorium picturæque) ; ibidem, XV, 3, 3 ; 4 : Sed si... domum dominicam exornavit tectoriis (c’est-à-dire de fresques) ; puis O. Müller, Manuel d’archéologie, § 319, 5 (en allem.), et C. I. L., II, 4085.

[39] Appelée aqua Albula, dans Mommsen, I. R. N., 7146.

[40] Voir Müller, Manuel, § 210, 4 ; Raoul-Rochette, Peintures inédites, 198, et Lysons, Reliq. Brit. Rom., vol. II, pl. 1 ; ainsi que Tertullien, de Idolat., ch. VIII ; Philostrate, Apollonius de Tyane, V, 22 ; Lucien, de Domo, 21 à 31, et Plutarque (Conj. præc., 48), qui voit dans ces peintures un luxe superflu.

[41] Phèdre, Fables, IV, 6.

[42] Waddington, Édit de Dioclétien, p, 18, etc.

[43] Code Théodosien, XIII, 4, 2 et 4. Le maintien de l’usage de la décoration des murs avec des peintures à fresque jusqu’à une époque bien postérieure, celle du roi des Vandales Thrasamond, qui régna de 496 à 523 en Afrique, est également, attesté par les épigrammes contemporaines de Luxorius. Les sujets des peintures qu’il décrit devaient être rebattus plutôt que neufs, à en juger par l’énumération suivante. Elles traitaient : De turre in viridario posita, ubi se Fridamal aprum pinxit occidere (Anthol. lat., éd, Riese, I, 304). — De Romulo picto, ubi in muris fratrem occidit (ibid., 325). — De Diogene picto, ubi lascivienti meretrix barbam vellit et Cupido mingit in podice ejus (ibid., 374). Cette dernière cependant était peut-être un tableau.

[44] Passio sanctorum IV coronatorum, communiquée par Wattenbach dans les Rapports des séances de l’Académie de Vienne (1353), X, 115 à 137, et dans Budinger (Recherches sur l’histoire des empereurs romains, III, 323, etc., avec des notes archéologiques (de Benndorf) et chronologiques (de Budinger), en allemand).

[45] Ausone, Idylles, 6.

[46] Épîtres, II, 2 et 31.

[47] Satires, III, 203 à 207. — Marquardt, V, 1, 328.

[48] Dans Philogèle (éd. Eberhard, p. 97), il est fait mention d’une bière (σορός) pour 5 myriades. Ce compte est peut-être établi sur la valeur du denier au temps de Dioclétien (voir Hultsch, Métrologie, p. 252, etc.).

[49] Semper, le Style, I, 452.

[50] O. Jahn, Peintures mitrales du columbarium de la villa Pamfili dans les Dissertations de l’Académie bavaroise, 1857, t. VIII (en allem.).

[51] Tite-Live, XL, 34. — Il y a donc erreur dans ce passage de Cicéron (Philippiques, IX, 6, 13) : Statua... inaurata equestris, qualis L. Sullæ primum statuta est (une statue équestre et dorée, comme la première statue de L. Sylla). — Peut-être la statue dorée de Sylla ne fut-elle que la première statue dorée que l’on vit au Forum.

[52] Detlefsen, de Arte Romanorum antiquissima (Gluckstadt, 1868), P. II, p. 21 à 26.

[53] Hist. nat., XXXIV, 30, etc.

[54] Raoul-Rochette, Peintures inédites, p. 303, etc.

[55] Burckhardt, l’Âge de Constantin, 310 (en allemand).

[56] Preller, Mythologie romaine, 208.

[57] Josèphe, Bell. Jud., VII, 5.

[58] Jahn, ad Persium, VI, 47.

[59] Hérodien, IV, 2.

[60] Semper, le Style, I, 314, etc.

[61] Cicéron, pro Sestio, 43, 93. — Drumann, Histoire romaine, IV, 167.

[62] Suétone, Galba, ch. X. — Voir aussi Raoul-Rochette, p. 358, 1.

[63] Quintilien, VI, 1, 32.

[64] Raoul-Rochette, p. 329, 1.

[65] C’est ce qui a fait dire à Horace (Satires, I, 1, 76) :

. . . . . . . . . . Quo fit ut omnis

Votiva pateat veluti descripta tahella

Vita senis.

Voir aussi Raoul-Rochette, ouvrage précité.

[66] Tacite, Hist., III, 74.

[67] Apulée, Métamorphoses, VI, p. 129.

[68] Burckhardt, l’Âge de Constantin, 309, etc. (en allem.).

[69] Histoire Auguste, Vie de Sévère, XXI.

[70] Hérodien, VII, 2, 8. — Vie de Maximin, ch. XII.

[71] Vie de Pescennius Niger, ch. VI.

[72] C. I. G., 3008 B (Téos), 3085, 2775 c. d. (Aphrodisias), et 3524 (Cume).

[73] Pline, Hist. nat., XXXV, 51.

[74] Hérodien, VII, 6, 6.

[75] Vie d’Élagabale, ch. XXX.

[76] Vita Taciti : Ut Aurelianum omnes pictum haberent.

[77] Vie d’Alexandre Sévère, ch. IV.

[78] Ibidem, ch. XIII.

[79] Aurelius Victor, Épitomé, 44, 11. — Voyez aussi, sur les portraits des empereurs, Gothofred. ad Cod. Theodosianum, XV, 4, 1.

[80] Pausanias, VIII, 9, 4.

[81] Nuptiæ Honorii et Mariæ, 23 à 27.

[82] Josèphe, Ann. Jud., XV, 2, 5, etc.

[83] Plutarque, Pompée, ch. II, et Becker, Manuel, I, 299, 9.

[84] Pline, Hist. nat., XXXV, 147, etc.

[85] Ed. Kuhn, III, 776 (De usu part. corp. hum., X, ch. III).

[86] Pline le Jeune, Lettres, IV, 28.

[87] Scrihonius Largus, Ep. ad. C. Jul. Callist., éd. Rhode, p. 4 : Quum interim nemo ne imaginem quidem suam committat pingendam, nisi probato prius artifice per quædam experimenta atque ita electo.

[88] Martial, VII, 84. — Voir aussi Mommsen, Hermès, III, 79, n. 1.

[89] Le même, IX, præf.

[90] Martial, IX, 9, 74, 76 ; VII, 44 ; X, 32.

[91] Philostrate, Vies des sophistes, II, 5.

[92] Lucien, Quom. hist., 13 ; Pro imaginibus, 6.

[93] Voyez, par exemple, ce passage de la Vie d’Élagabale, ch. XIII : Misit et qui in castris statuarum ejus titulos luto tegeret (Il dépêcha des gens pour couvrir de boue les inscriptions de ses statues dans le camp).

[94] Dion Cassius, XLIV, 4.

[95] Suétone, Tibère, ch. XXVI. — Dion Cassius, LVII, 9.

[96] Dion Cassius, LIX, 4.

[97] Marquardt, Manuel, II, 3, 272, n. 1183.

[98] Lipsius, Exc. ad Tacitum (Annales, III, 36).

[99] Panégyrique, ch. LII.

[100] Le même, Lettres à Trajan, 96 (97), 5, etc.

[101] Code Théodosien, XV, 4, 1.

[102] Tacite, Annales, I, 74. — Dans le passage invoqué de Suétone (Tibère, ch. LVIII), il serait pourtant possible qu’il s’agit d’un cas différent.

[103] Digeste, XLVIII, 4, 4 à 7.

[104] Pline le Jeune, Panégyrique, chap. LII.

[105] Suétone, Domitien, ch. XIII ; Stace, Silves, V, 1, 189.

[106] Suétone, Domitien, ch. XXIII.

[107] Panégyrique, l. c.

[108] Hist. arcana, VIII, p. 55, éd. Dindorf.

[109] Dion Cassius, LXXIII, 2. — Vie de Commode, ch. XIX, XX. — Vie de Pertinax, ch. VI.

[110] Eusèbe, Hist. ecclés., IX, 11. — Lipsius, Exe. ad Tacitum (Annales), VI, 2.

[111] Marcellin Comes, Chron., 512 : Areobindam sibi imperatorem fieri clamitant, imaginibusque deinde statuisque Anastasii in terram dejectis, etc.

[112] In Habacuc, II.

[113] Hérodien, I, 14, 9.

[114] Vie de Sévère, ch. XII, 19. — A. Victor, Césars, XX, 36. — Dion Cassius, LXXV, 7.

[115] Vie de Macrin, ch. VI.

[116] C. I. L., II, 4230.

[117] Lettres à Trajan, 8 (24).

[118] D’après Marini Atti, p. 385 ; etc.

[119] Preller, Régions, 178, 232 ; Mythologie romaine, 791, 1.

[120] Vie de Marc-Antonin, ch. XVIII.

[121] Tacite, Histoires, III, 7.

[122] Ibidem, III, 12, etc.

[123] Suétone, Vitellius, ch. IX.

[124] Hérodien, VII, 5, 8.

[125] Clinton, Fast. rom., ad annum 238.

[126] Vie de Maximin, II, 23, etc.

[127] Maximin et Balbin, ch. XVII.

[128] Rein, dans l’Encyclopédie de Stuttgart, article signa.

[129] Dion Cassius, LXXVII, 7. — Voir aussi Hérodien, IV, 8. — A. Rein, dans un article intitulé Emplacements des castels romains de Niederbiber, près de Neuwied, et de Saalbourg, près de Nombourg-les-Bains, (Annales de la Société allemande des amis de l’archéologie dans le pays rhénan, XXVII (1859), p. 151), s’exprime ainsi : L’allégation que les fragments d’une grande statue montrée, avec quantité d’autres objets en bronze, dans le château de Hombourg, auraient été recueillis devant le prétoire du camp fixé que les Romains avaient à Saalbourg, m’intéressa d’autant plus qu’elle vient à l’appui de l’opinion, confirmée par la tradition et par des restes trouvés, qu’ils avaient élevé, dans plusieurs de ces camps, des statues en bronze, auxquelles semblerait se rattacher aussi (?) celle qui a été découverte en 1858, près de Xanten.

[130] Apologie, p. 534.

[131] Keil, Sylloge Inser. Bœot., n° 31, p. 120 et 124. — Herzberg, Histoire de la Grèce, II, 33, etc.

[132] Voyez, par exemple, sur les socles des statues d’empereurs à Tarragone, Hubner, Hermès, I, 120, etc.

[133] Fronton, éd. Naber, p. 74.

[134] Herzberg, Histoire de la Grèce, II, 333, etc.

[135] Pausanias, I, 18, 6. — Herzberg, II, 327.

[136] Kahler, Mélanges, VI, 355, 5 (en allem.). — Strabon, I, 9, 20, p. 371, etc.

[137] Mommsen, Res gestæ Divi Augusti, p. 69, etc.

[138] Hubner, La statue de marbre d’Auguste du musée de Berlin, d’après le programme de la fête de Winckelmann, 1868, p. 7, etc. (en allemand).

[139] Dion, Or., XXXI, p. 324 M.

[140] Pausanias, II, 17, 3.

[141] Or., XXXI, p. 343 M.

[142] Philon, Legatio ad Caïum, § 20, p. 565 M.

[143] Pline, Hist. nat., XXXV, 4.

[144] Müller, Manuel d’archéologie, § 157, 4 ; Kœhler, Mélanges, V, 357, en allemand.

[145] Dion, Or., XXXI, p. 312, 342, 348 et 357 M.

[146] Suétone, Tibère, ch. XIII.

[147] Histoire Auguste, Élius Verus, ch. VII.

[148] LVII, 21. — Tacite, Annales, III, 72 ; IV, 7.

[149] Dion Cassius, LVIII, 4 ; Tacite, Annales, IV, 74.

[150] Suétone, Tibère, ch. XLVIII.

[151] Tacite, Annales, IV, 2.

[152] LXXVII, 14 et 16. — Histoire Auguste, Sévère, ch. XIV.

[153] Suétone, Auguste, ch. LII.

[154] Ad Atticum, V, 21, 5.

[155] Cicéron, Verrines, II, 2, ch. LXIII, LXVII ; IV, ch. XLI, LXII.

[156] Ibidem, II, 2, ch. LIX, LXIX.

[157] Dion Chrysostome, Or., XXXI, 317, etc., 323 M.

[158] Ibidem, p. 344, etc., M.

[159] Herzberg, Histoire de la Grèce, II, 63, 221.

[160] Cicéron, Verrines, II, 4, ch. 40 (86).

[161] Métamorphose, III, 11, éd. Eyssenhardt.

[162] Suétone, Vespasien, ch. I.

[163] Hist. nat., XXXIV, 17.

[164] Overbeck, Pompéji, II, 2e éd., 144 (en allem.)

[165] Dion, Or., XXXI, p. 344 ; etc.

[166] Dion, Or., XLIV, p. 509 M. — Dion de Pruse, surnommé Chrysostome (Bouche d’or), né vers l’an 30 de notre ère, fut d’ailleurs lui-même un des hommes les plus considérés et les plus admirés de son temps. II avait, mais vainement, engagé Vespasien à rétablir la république, fut impliqué dans une conspiration et obligé de s’exiler sous Domitien, mais reparut, à la nouvelle de la mort du tyran, au camp de l’armée du Danube, et décida, par son éloquence, l’élévation de Nerva à l’empire, Il vécut jusque vers l’an 116, après avoir joui de toute la faveur de ce prince et de Trajan. L’historien Dion Cassius (né vers 155) descendait, par sa mère, de Dion Chrysostome.

[167] C. I. G., II, 4248 (Tarragone) : Statuam inter flaminales viros positam.

[168] Suétone, Ill. gr., 9, 17.

[169] Or., XXXI, p. 346 M.

[170] Voir, par exemple, Mommsen, C. I. L., II, 3251, et Borghesi, Bull. d. Inst., 1853, p. 158.

[171] Orelli, 4051.

[172] Cicéron, Philippiques, 9, 6, 13. — Pour des exemples de statues sur des chars à deux chevaux (bigæ), voyez I. R. N., 4059 (Minturnes) ; mais aussi C. I. L., II, 1086.

[173] Keil, Nouveau musée rhénan, XVIII (1863), 58 à 62.

[174] Orelli, 3882.

[175] Mommsen, Inscr. Helv., 192.

[176] Renier, Mélanges d’épigraphes, p. 221.

[177] Henzen, 6001.

[178] Borghesi, Bull. d. Inst., 1853, p. 185.

[179] Orelli, 3307. — C. I. L., II, 1971.

[180] Orelli, 4039.

[181] Baehr et Westermann, Aristide, dans l’Encyclopédie de Stuttgart, I2, 340.

[182] Apulée, Florides, III, 16.

[183] Lucien, Démonax, 58.

[184] Tertullien, Apologétique, ch. XLVI.

[185] Suétone, Caligula, ch. XXXIV.

[186] Dion Cassius, LX, 25.

[187] Suétone, Auguste, ch. LIX.

[188] Histoire Auguste, Vie de Marc-Antonin, ch. XIII et XXII.

[189] Suétone, Claude, ch. IX.

[190] Vie d’Antonin le Pieux, ch. V.

[191] Vie de Marc Antonin, ch. XXIX.

[192] Vita Severi, ch. XV : passage où il y a une lacune après les mots rumore belli Parthici, après lesquels il faut lire probablement (propinqùis) exstinctis, patri, matri, etc.

[193] Vie de Marc-Antonin, ch. II, III.

[194] Henzen-Orelli, 372 (Orelli, 3574).

[195] C. I. L., II, 3272.

[196] Suétone, Caligula, ch. XXXIV.

[197] Mommsen, C. I. L., I, p. 282 a.

[198] Preller, Régions, 232.

[199] Suétone, Othon, ch. I.

[200] Tacite, Annales, XV, 72.

[201] Henzen, 7215. — Herzog, Gall. Narb. App., 18. — Mommsen, Bull, d. Inst., 1853, p. 27 ; etc. Les signa collegiorum (Panég., VII, 8, 4) dont on avait paré la ville d’Autun (Augustodunum), quand Constantin y fit son entrée, devaient être des images de divinités.

[202] Orelli, 2627.

[203] Dion Cassius, LXIII, 8. — Suétone, Néron, ch. XXIV.

[204] Philostrate, Héroïques, éd. Kayser, p. 292.

[205] Pline, Hist. nat., XXXIV, 17.

[206] C. I. L., II, 1955.

[207] Ibid., II, 4536 à 48.

[208] Apulée, Florides, III, 16.

[209] C. I. L., II, 1721.

[210] Lettres, IV, 2, 5.

[211] Ibidem, 7, 1.

[212] Kiel, Hérode Atticus, dans l’Encyclopédie de Stuttgart, I2, 2101.

[213] Philostrate, Vies des Sophistes, II, 1, éd. Kayser, p. 241 ; voir aussi C. I. G., 989, etc.

[214] Comme, par exemple, dans le C. I. L., II, 339, 2063, 2131, 2188, 2344, etc., 3251, 4268 (statua post mortem adjectis ornamentis ædiliciis).

[215] Comme, par exemple, dans le C. I. L., II, 1923, 1941, 4020.

[216] C. I. L., II, 2060. — Voir aussi Marquardt, Manuel, V, 2, 293 à 295.

[217] Kiessling, Aneed. Basil., p. 6 ; etc. — Voir aussi C. I. L., II, 3165 a.

[218] Pétrone, ch. LXXI.

[219] Interp. ad Stat. Silv., II, 7, 123. — Voir aussi Suétone, Caligula, ch. VII.

[220] Preller, Régions, 233.

[221] Templum cum ornamentis et pictura (Rusicade) : Bull. d. Inst., 1859, p. 50.

[222] Preller, Mythologie romaine, 657.

[223] Braun, les Capitoles, p. 19 et 24 (en allemand).

[224] Hist. nat., XXXIV, 46.

[225] Les fabri subædiani à Narbonne (dans Henzen, 7215), les fabri subidiani (sic) à Cordoue (dans le C. I. L., II, 2211), les amici subædiani d’une inscription d’Antium (dans Lanciani, Bull. d. I., 1870, p. 15), le corpus subædanum, à Rome (dans Muratori, 1185, 8), et le marmorarius subædanus, à Rome (dans Henzen, 7245), étaient peut-être de ces artisans ou collèges, attachés à demeure aux temples, dans la construction, l’entretien et la décoration desquels ils trouvaient de l’emploi. Mommsen (Bull. d. Inst., 1853, p. 30) croit pouvoir admettre que l’on désignait ainsi les intestinarii, ouvriers travaillant en maison (sub ædibus), pour les distinguer des tignarii, travaillant en plein air (sub divo).

[226] Acta apost., 19, 23.

[227] Athénée, XV, 18, 676, Hesych.

[228] Vidal Lablache, Revue archéol., 1869, p. 341-344, statuette chypriote du musée d’Athènes, l’un des quatorze exemplaires conformes de la collection qui s’y trouve. — Le passage de Lucien (Amores, II) qu’on y cite, ne peut s’entendre que de figures d’argile obscènes, comme on en voyait alors beaucoup, paraît-il, dans les boutiques des potiers de cette ville. Pour les localités où l’on a trouvé des images d’Aphrodite, voyez Ross, Voyages dans les îles, IV, 100 (Idalion), et Preller, Mythologie grecque, I, 2e éd., 291, 5 (ouvrages allemands).

[229] Hubner, Antiques de Madrid, 292 (en allemand).

[230] Jordan, Topographie de Rome, I, 149 152 (en allemand).

[231] Notit. Dign., II, I, p. 200, etc.

[232] De Rossi, Bull. cr., III, p. 5, etc.

[233] Preller, Régions, p. 233.