MŒURS ROMAINES

 

LIVRE V — LES FEMMES.

CHAPITRE UNIQUE.

 

 

Si la peinture des mœurs et des rapports sociaux de cette époque a dû rester jusqu’ici d’autant plus défectueuse que l’on n’a eu, pour arrêter les traits de la composition, qu’une base de données fortuites, incohérentes, et ne présentant souvent les choses que sous un de leurs aspects, cette observation s’applique encore plus à ce qui concerne la vie dés femmes, cette partie de notre sujet étant celle dont il est le plus difficile de gagner un aperçu général. Par le fait, la majeure partie des renseignements du temps sur elles, parvenus jusqu’à nous, ne se rapportent qu’aux femmes des classes supérieures.

Les jeunes Romaines ne restaient pas longtemps demoiselles ; à peine sorties de l’enfance, on les fiançait et les mariait. Les vœux et les soucis des mères, des proches, des gouvernantes et des bonnes d’enfants, les superstitions multiples qui s’attachent à tous les moments critiques du développement de cet âge, toutes ces préoccupations et manifestations d’une tendre sollicitude n’éclataient pas, dans ce temps-là, avec moins de vivacité que de nos jours. La mère adressait à la divinité ses plus ferventes prières pour que la beauté surtout, ce précieux don du ciel, fût départie à sa petite[1]. On attachait au cou des enfants, pour faciliter la dentition, des dents de cheval et de sanglier[2] ; on recourait à toute sorte de moyens, comme à l’usage d’innombrables amulettes, contre l’ensorcellement par des imprécations ou par le mauvais œil. Quand la petite en avait assez du ballon et de la poupée[3], elle venait s’asseoir, dans une religieuse attente, aux pieds de la vieille gouvernante, dont la bouche ne tardait pas à la fasciner par ce début traditionnel : Il y avait une fois un roi et une reine. Mais ce n’est pas seulement par cette conformité du point de départ que le conte merveilleux à l’usage de l’enfance, à Rome, ressemblait aux histoires populaires du même genre qu’on lui raconte aujourd’hui, au près du foyer domestique ; il était aussi conçu de manière à transporter l’imagination enfantine en plein dans la région des merveilles fantastiques et brillait de couleurs non moins chatoyantes. Parmi ses héroïnes non plus ne manquait la fille du roi, d’une beauté ineffable. Là aussi elle était la cadette de trois princesses, jalousée par ses aînées moins belles et en butte à leurs mauvais tours, mais finissant généralement par épouser le plus beau des poursuivants, pendant que les deux autres sœurs expiaient leurs infamies par une mort épouvantable.

Tous nous connaissons le serrement des cœurs du petit cercle, au moment où la fille du roi est astreinte à remplir ses trois grandes tâches, ainsi que le bonheur du soulagement avec lequel les petites poitrines respirent en apprenant comment elle réussit à s’acquitter de chacune, avec l’aide secourable d’êtres surnaturels. Sa méchante maîtresse lui enjoignant d’achever jusqu’au soir. le triage d’un énorme tas de grains à ensemencer, des fourmis viennent faire la besogne pour elle. Les roseaux de la rive du fleuve lui soufflent le moyen de se procurer des flocons de la toison dorée des brebis sauvages, et l’aigle va puiser pour elle l’eau merveilleuse de la source gardée par des dragons[4].

Venaient ensuite les années où il devenait nécessaire de songer à l’instruction. Les petites filles apprenaient à faire l’ouvrage de leur sexe, notamment à filer et à tisser ; car, à cette époque encore, les vêtements pour l’usage de la famille étaient confectionnés avec l’aide de la maîtresse de la maison, ou du moins sous sa direction, partout où l’on tenait au respect de l’ancien usage et des bonnes mœurs.

On sait par Suétone (Octave, 64) que les filles et les petites-filles d’Auguste étaient tenues de filer et de tisser, et que l’empereur ne portait d’ordinaire que des vêtements sortant de leurs mains ou de celles de sa femme et de sa sœur. Si, même dans le demi-monde de cette époque, des affranchies ayant reçu une éducation distinguée s’appliquaient à ces travaux domestiques, comme par exemple la maîtresse de Tibulle[5], on peut admettre que les bonnes ménagères le faisaient généralement. Si, d’autre part, déjà Columelle[6] se plaint de l’insouciance et de la paresse de la plupart des femmes, trop adonnées à leurs plaisirs pour veiller à ce qu’on file et tisse chez elles, il s’ensuit que ces soins domestiques, quelque négligés qu’ils fussent peut-être, n’en étaient pas moins comptés parmi les devoirs d’une maîtresse de maison. Des épitaphes en témoignent aussi, jusque dans les derniers temps de l’empire[7]. On a même retrouvé des tombeaux de femmes avec un métier à tisser, gravé sur la pierre.

Quant à l’instruction nécessaire pour la culture de l’esprit, les filles des classes supérieures la recevaient sans doute à domicile, dans la famille même, et les gens de condition médiocre seuls envoyaient, chaque matin de bonne heure, leurs enfants à l’école, où le magister, ce croque-mitaine de la jeunesse[8], les tenait sous une rigoureuse discipline. Là aussi, les modèles des deux littératures du temps, les œuvres des poètes surtout, figuraient parmi les objets de l’enseignement[9].

Souvent les mères lisaient elles-mêmes Homère et Virgile avec leurs filles ; mais, ordinairement, c’étaient des précepteurs que l’on chargeait de diriger en particulier l’instruction des garçons et des filles[10], malgré le danger de liaisons fâcheuses pouvant résulter, parfois, de l’intimité de rapports entre certains maîtres et leurs élèves du sexe, danger dont Suétone[11] cite un exemple, concernant, il est vrai, chose non moins grave, une femme mariée. On s’appliquait tout particulièrement à perfectionner les jeunes filles dans l’art de la musique et de la danse.

Discant cantare puellæ,

dit Ovide dans l’Art d’Aimer[12], et s’il ajoute un peu plus loin :

Quis dubitet quin scire velim saltare puellam,

ce n’est pas uniquement des jeunes affranchies qu’il entend parler, car ce talent d’agrément passait, à Rome, pour un complément de bonne éducation non moins indispensable que l’autre. Bien qu’il y eût aussi des hommes faisant profession de la musique et même de la danse, c’est chez les femmes et les jeunes filles qu’on appréciait naturellement le plus ces deux talents[13] qui, dans l’opinion de Stace[14], ne devaient pas tarder à procurer un mari à sa belle-fille, dont il fait ainsi l’éloge

Sic certe formæque bonis animique meretur

Sive chelyn complexa ferit, seu voce paterna

Discendum Musis sonat et mea carmins flectit ;

Candida seu molli diducit brachia motu ;

Ingenium probitas, artemque modestia vincit.

L’art de la danse consistait surtout dans un balancement cadencé du haut du corps et des bras, et si les danses nationales, qui ont généralement conservé ce caractère, ne sont pas ce qui contribue le moins, de nos jours encore, à donner aux Romaines, dans la démarche et le port, la grâce qui les distingue, peut-on douter qu’il n’en ait été de même dans l’antiquité ? La noblesse dé la démarche était un des avantages dont on faisait alors le plus de cas, chez les femmes. Ovide, d’ailleurs, n’est pas le seul qui l’ait dit, dans ce vers :

Est et in incessu pars non temnenda decoris[15].

Même sur une épitaphe du temps de la république[16], on loue une femme d’avoir été sermone lepido, turc auteur incessu commodo. Outre le chant, on apprenait aux jeunes filles à jouer des instruments à cordes, dont quelques-uns, cependant, étaient réprouvés par des juges plus sévères, comme énervant et surexcitant trop[17], de même que certaines danses grecques[18]. Telles étaient aussi parfois appelées à montrer publiquement leur talent de cantatrices. Dans les grands jours de prière et de fête religieuse, des chœurs de neuf vierges de famille noble chacun, marchaient par trois, en tête de la procession, chantant des hymnes. Aux obsèques d’Auguste, les mélodies funèbres devaient même être chantées par des enfants de l’un et de l’autre sexe appartenant aux premières familles[19]. Horace, dans une de ses odes (IV, 6, 41-44), se flatte de l’espoir que plus d’une femme se souviendra un jour du temps où, jeune fille, elle apprenait et répétait les hymnes de la composition de ce poète. Du reste, il parait qu’il était assez commun de trouver des jeunes filles et des femmes sachant mettre elles-mêmes en musique les textes des poètes et les chanter, avec accompagnement de luth, talent dont Pline le Jeune (Lettres, IV, 19) crut devoir faire honneur à sa femme non moins que Stace à sa belle-fille.

C’est au milieu d’occupations et d’amusements pareils que l’enfant grandissait et se formait jusqu’à l’âge de nubilité, qui imposait aux parents le devoir de déployer toute leur sollicitude pour assurer l’avenir de leur fille, par un sortable et heureux mariage. Les jeunes filles atteignaient la majorité, nécessaire pour contracter, un engagement matrimonial, avec l’accomplissement de la douzième année[20], et l’on peut admettre qu’elles se mariaient généralement entre leur treizième et seizième ou dix-septième année. Cela résulte clairement, du moins pour l’Italie, d’une multitude d’inscriptions de cette époque, païennes et chrétiennes. Il en était sans doute de même en Grèce et dans l’Asie, hellénisée ; mais il y a lieu de croire que les filles se mariaient encore plus jeunes en Égypte et en Afrique, tandis qu’elles devaient attendre plus longtemps dans les provinces du nord et du nord-ouest de l’empire. En Italie même, il y a des exemples d’enfants mariées dès avant l’age de douze ans, mais elles ne devenaient, dans ce cas, épouses légitimes que du moment où elles atteignaient cet âge[21]. Ainsi Octavie, la fille de Claude et de Messaline, étant, quand elle périt assassinée, en 62 après J.-C., dans sa vingtième année[22], n’avait que sept ans quand on la fiança, en l’an 49, et onze lorsqu’on la maria, en 53 après J.-C., au jeune Néron, âgé de seize ans[23]. Une femme arrivée à l’âge de vingt ans, sans être devenue mère, était déjà passible des peines décrétées par Auguste contre le célibat et le manque d’enfants. La dix-neuvième année révolue pouvait donc être considérée comme la dernière limite pour contracter mariage, dans une condition normale. Les inscriptions, plus rares, qui accusent chez les femmes un nombre d’années supérieur, à l’époque de leur hyménée, outre qu’il est possible qu’elles concernent en partie des veuves, se rapportent en général à des filles appartenant aux classes moyennes et inférieures, où le manque de dot, l’indigence même, peuvent avoir formé obstacle à l’établissement matrimonial.

Dans cette question, la volonté des parents était sans doute souveraine et d’un poids décisif pour la fille, bien que le consentement de celle-ci fût nécessaire pour la fiancer et la marier[24]. L’inexpérience de son jeune âge déjà, même abstraction faite du mode d’intervention si impératif de la puissance paternelle, ne permet guère d’admettre qu’il en fût autrement. Aussi, la conclusion d’un mariage n’était-elle certes très souvent que l’affaire d’un simple accord entre les deux familles. Une lettre de Pline le Jeune donne quelques indications sur les points regardés, dans les bonnes familles des classes supérieures, comme les plus déterminants pour le choix d’un gendre. Son ami Junius Mauricus l’avait prié de lui proposer un mari pour la fille d’un frère, Arulénus Rusticus. Pline désigne un de ses propres amis plus jeune que lui, Minucius Acilianus, qui ne devait guère avoir moins de trente ans, peut-être même plus que cet âge, puisqu’il avait déjà rempli des fonctions de préteur. Il était natif de Brescie, une des villes de la haute Italie dans lesquelles on tenait’ encore aux bonnes mœurs de l’ancien temps : Son père comptait parmi les notabilités de l’ordre équestre ; sa grand’mère était une femme d’une profonde austérité ; son oncle, un excellent homme : en un mot, il n’y avait, dans toute la famille, rien absolument qui pût offusquer Mauricus. Le recommandé, suivant le portrait de Pline, était un homme de beaucoup d’activité ; d’une grande énergie et cependant d’une modestie exemplaire. Il avait une noble figure, tout l’extérieur d’un bel homme, le teint frais et coloré de la santé, une prestance sénatoriale, autrement dit un air des plus distingués. Ce sont, poursuit l’auteur de la lettre[25], de ces qualités qu’il ne faut pas dédaigner, car elles constituent en quelque sorte le prix dû à la chasteté d’une jeune fille. Je ne sais pas si je dois ajouter que le père est possesseur d’une très belle fortune ; car, en ne songeant qu’à la personne à qui je propose un gendre, je pourrais presque me croire obligé dé me taire sur ce point ; mais, quand je considère l’état de nos mœurs et de nos institutions politiques, ainsi que le poids dont y pèse tout,particulièrement la fortune, il me semble, d’autre part, que je ne saurais pourtant passer cette question sous silence. C’est qu’en effet, lorsqu’on pense aux enfants à venir et surtout à l’éventualité d’une postérité nombreuse, il faut absolument faire entrer ce point aussi en ligne de compte, dans le choix d’un époux. Or, bien avant Pline, Horace[26] avait dit :

Scilicet uxorem eum dote fidemque et amicos

Et genus et formant regina Pecunia donat.

Et s’écria de même Juvénal[27] :

Quis gener hic placuit censu minor atque puellæ

Sarcinulis impar ! . . . . . . . . . .

Leur époque ne fut rien moins que l’âge d’or du sentiment.

Souvent les filles étaient fiancées encore enfants[28]. Vipsanie Agrippine, fille d’Agrippa et de Pomponia, fut, dès sa première année, promise à Tibère[29]. Une des filles de Séjan, mise à mort après la chute de son père, sur un sénatus-consulte, avait été fiancée à un fils de Claude, Drusus, qui périt peu,de jours après les fiançailles, étouffé par une poire ; tous les deux étaient encore des enfants[30]. Claude, qui avait d’abord promis sa fille Octavie, déjà mentionnée plus haut, à L. Silanus, la fiança en 49 à Néron ; le mariage fut toutefois, comme on l’a vu, reculé jusqu’à ce que Néron eût seize ans[31]. Tout se négociait ordinairement par voie d’intermédiaires[32]. La langue latine n’a point de terme spécial pour la demande en mariage. Les jeunes aspirants, ou ceux qui venaient demander pour eux, ne s’adressaient pas à la jeune fille, mais à ses parents ou tuteurs. Nous avons déjà vu que les fiançailles étaient célébrées comme une grande fête[33] ; mais elles ne changeaient rien dans les rapports entre les futurs époux et ne leur procuraient guère l’occasion d’apprendre à se connaître mieux qu’auparavant[34].

Les idées du temps ne plaçaient pas les fiancés dans une condition à part. Ni les Romains ni les Grecs n’ont jamais partagé le sentiment, si vivement exprimé dans les mœurs germaniques, qui prête à la fiancée : une espèce d’auréole, en consécration du changement d’état de la vierge, appelée à passer de cette condition à celle d’épouse. Entre autres cadeaux de circonstance, le fiancé faisait présent à sa future, en gagé de sa fidélité, d’une simple bague en fer, sans l’ornement de la moindre pierre fine ; mais il ne recevait pas même de bagne d’elle en retour[35].

Ce n’était pas la fiancée même qui s’engageait, c’étaient les personnes sous la puissance desquelles elle se trouvait.

A l’approche des noces, toute la maison n’était occupée et préoccupée que de l’achat des bijoux et des parures nuptiales, du trousseau, ainsi que du choix, de la composition et de l’équipement de la domesticité destinée à suivre la jeune femme dans sa nouvelle demeure. Pline le Jeune (Lettres, V, 16) mentionne la garde-robe, les perles et les pierreries comme des objets à fournir par le père de la fiancée. Le même (ibid., IV, 32), à l’occasion de la noce d’une fille de Quintilien, lui envoie 50.000 sesterces, pour que, dit-il, sa toilette et sa suite répondent à la condition du mari[36]. La jeune fille disait adieu à son passé, en vouant ses poupées et autres jouets aux divinités qui avaient protégé son enfance[37].

Venait enfin le jour où la mère se chargeait de parer sa fille, pour l’importante cérémonie[38]. La partie principale de la parure de noce consistait en une pièce d’étoffe carrée et couleur de feu, que l’on posait sur la tête et rabattait derrière et des deux côtés, de manière à ne laisser que le visage de la fiancée à découvert[39].

Dès le point du jour, les demeures des deux fiancés se remplissaient d’amis, de parents et de clients[40], qui servaient en même temps de témoins à la signature du contrat de mariage. Il fallait alors dix témoins, comme plus tard encore. Les deux maisons étaient splendidement illuminées, surtout l’atrium, dans lequel on ouvrait les armoires renfermant les images des ancêtres[41], et que l’on ornait de tentures en tapisserie, de couronnes et de ramée verte[42]. Une dame, chargée de conduire la fiancée, joignait les mains du couple, qui s’approchait alors de l’autel, pour y offrir un sacrifice aux dieux, auxquels on sacrifiait également dans les temples. Les rues où devait passer le cortége nuptial étaient encombrées d’une foule curieuse. Il paraît qu’on y dressait même quelquefois des tribunes, pour plus de commodité[43]. Anciennement, on attendait, pour conduire la fiancée dans la maison de son époux, le moment où l’étoile du soir apparaissait au firmament ; cet usage était tombé, mais toujours encore la fiancée était menée à la lueur des flambeaux au domicile conjugal[44]. Il y a même lieu de croire qu’on illuminait quelquefois les maisons sur son passage. On allumait des feux de joie aux environs, comme cela se voit encore aujourd’hui, lors des fêtes célébrées dans les grandes maisons, à Rome[45]. Le son des flûtes se mêlait aux chants d’allégresse. On élevait la fiancée en triomphe, pour lui faire franchir le seuil de sa nouvelle maison, et, à moins que le repas de noce n’eût déjà été servi dans la maison de ses propres parents, la fête se terminait par un festin dans celle du jeune époux, à côté duquel la mariée prenait place et se tenait couchée à table[46]. Auguste avait cherché à modérer par une loi le luxe de ces repas ; elle portait que la dépense pour la noce et les fêtes qui s’ensuivaient ne devait pas dépasser 9.000 sesterces, somme tellement exiguë qu’on a peine à croire que cette disposition ait été jamais observée[47]. Les frais de ce festin, abstraction faite de ce que l’on dépensait pour régaler la foule et en distributions d’argent aux clients, étaient encore augmentés par l’usage d’offrir également un présent en argent aux convives, en reconnaissance de l’honneur fait par eux à la maison, usage qui, selon toute probabilité, existait déjà au deuxième siècle de notre ère, à Rome[48]. Les couples qui désiraient s’épargner l’ennui de ces fêtes bruyantes et la charge des grandes dépenses, célébraient leur mariage dans la retraite d’un séjour champêtre ; ce qui leur procurait, en outre, l’avantage d’échapper aux nombreuses et gênantes invitations à une suite de, festins, dont on accablait d’ordinaire les nouveaux mariés, pour leur faire honneur. Ce qu’Apulée raconte de son mariage devait se pratiquer de même à Rome, dans les cas semblables[49].

L’entrée dans le mariage, vu la grande jeunesse des femmes, devait en général être pour elles comme le brusque saut d’une condition de dépendance absolue à une liberté illimitée, un soudain et immense élargissement dé l’horizon de leur existence. En effet, il y a lieu d’admettre, ne fût-ce que par analogie avec l’usage observé présentement dans les pays du Midi, qu’à Rome aussi les filles non mariées étaient tenues dans un séquestre assez rigoureux, partout où l’on tenait aux bonnes mœurs. Il y a même quelques témoignages positifs de ce fait[50]. D’autre part, il est vrai, Martial (X, 98, 3) mentionne la présence d’une jeune fille à un festin, et Ovide, dans ses Tristes[51], dit, à propos des représentations du théâtre et même de celles des mimes :

Nubilis hos virgo, matronaque virque puerque

Spectat, et e magna parte senatus adest.

Mais il est permis de croire qu’en général ce n’était pas l’usage de conduire les jeunes filles à ces spectacles.

Naguère,encore claquemurées dans l’espace étroit d’une chambre d’enfants, les filles des nobles maisons se voyaient ainsi, tout à coup, transportées dans un monde de jouissances sans bornes à leurs yeux, ainsi que tout rempli de merveilles, de splendeurs et d’attraits pour elles. Traditionnellement, la coutume et les mœurs ne les excluaient. pas plus de cette variété infinie de plaisirs et de divertissements, qui leur étaient offerts, incessamment et à profusion, par ce monde nouveau, qu’elles ne les protégeaient contre les tentations et les dangers multiples qu’il renfermait aussi d’autre part. Dans leur intérieur, les femmes tenaient une place qui leur donnait une grande, indépendance. L’ancien droit qui avait, en ce qui concerne la famille, conféré, chez les Romains ; au maître de la maison, le pouvoir le plus absolu sur tous les siens, s’étant peu à peu relâché, dans le cours des siècles ; et à la fin complètement détraqué, la loi avait complété l’émancipation des femmes en leur attribuant la propriété de leurs apports. Dans ce qu’on appelait le mariage libre, devenu, sous l’empire, la forme ordinaire du mariage, la dot seule se réunissait à la fortune du mari, dont les droits étaient sujets à des restrictions, même à cet égard ; la femme conservait la propriété de tous ses autres biens, tant mobiliers qu’immobiliers, dont le mari n’avait même pas en droit l’usufruit. Aussi abusait-on étrangement de l’inviolabilité de ces biens, insaisissables dans les cas de banqueroute frauduleuse. Quand le mari, suspendant ses payements, avait disposé du restant de sa propre fortune en faveur de sa femme, avant de s’être déclaré lui-même insolvable, les créanciers perdaient tout recours sur ces biens[52].

Souvent les femmes riches avaient. leur homme d’affaires ou procureur attitré, qui était naturellement aussi jusqu’à un certain point leur confident. Des inscriptions parvenues jusqu’à nous en témoignent. Il s’en est trouvé une à Sestinum, dans l’Ombrie, décernée à une dame du nom de Pauline, ob merita ejus, par un certain Petronius Justus, son ami et procureur[53]. Une autre du grammairien Pudent, procureur de Lépida, qui, fiancée d’abord à L. César, devint ensuite la femme de P. Sulpicius Quirinus et fut exécutée en l’an 20[54], est très originale[55].

Ces amis et serviteurs dévoués des dames, absurdes et insipides dans la société des hommes, mais rusés et parfaits jurisconsultes auprès des femmes, étaient le sujet de propos moqueurs déjà du temps de Cicéron[56]. Ces relations paraissaient le plus scabreuses, quand l’élu, jeune et bel homme, remplissait en même temps, auprès de la dame, le rôle de sigisbée. Il est déjà question du beau procureur dans un petit roman criminel de l’école des rhéteurs du temps, rapporté par Sénèque[57]. Le type du procureur frisé[58] apparaît, à la même époque, dans le personnel formant la suite de la femme, envers lequel le mari est obligé de se montrer plein d’égards. Ce personnage ne discontinue pas de faire figure dans l’entourage des femmes riches, jusque dans les derniers temps de l’empire[59]. Quel est, demande Martial (V, 61) à un mari complaisant, ce damoiseau bouclé quine bouge pas des côtés de votre femme, quia continuellement quelque chose à lui chuchoter à l’oreille et toujours le bras droit passé autour de son siège ? Il s’occupe des affaires de votre femme, me dites-vous ; eh ! c’est bien des vôtres qu’il se mêle, homme candide que vous êtes.

Il est dans la nature des choses que des femmes, dans une position aussi indépendante, devaient souvent prendre les rênes du gouvernement de toute la maison et arriver ainsi à dominer leur époux, dans toute la force du terme. Horace (Odes, III, 24, 19), dans sa description des mœurs primitives des Scythes, relève, comme un trait caractéristique, que chez eux la femme ayant de la fortune ne domine pas son mari. Vous me demandez, dit Martial[60], pourquoi je ne veux pas épouser une femme riche ? C’est que je n’ai nullement envie de devenir la très humble servante de ma propre épouse. Juvénal[61], aussi, ne connaissait rien d’insupportable comme une femme riche. Il paraît même que les mariages de pure comédie, auxquels des hommes sans fortune et sans vergogne se prêtaient pour de l’argent, n’étaient pas rares ; ils offraient le moyen d’éluder lés lois contre le célibat et de jouir, en ménageant ainsi les dehors, d’une liberté d’autant plus grande[62]. Disons, en passant, que déjà chez les Grecs et les Romains la pantoufle était le symbole de la domination de la femme sur le mari[63].

La position des Romaines, dans la société, n’était pas moins indépendante que dans l’intérieur de la maison. Même anciennement, sous la république, elles ne furent jamais assujetties au même frein que les Grecques mariées, dont la plus grande ambition était que l’on parlât d’elles le moins possible entré hommes, soit en bien, soit en mal, et qui voyaient dans le seuil de la maison, une barrière, qu’elles ne pouvaient se permettre qu’exceptionnellement de franchir sans danger pour leur réputation. Bien que, dans l’ancienne Rome aussi, les vertus domestiques fussent seulement ou principalement appréciées chez la matrone, l’usage ne l’y avait cependant jamais exclue de la société et des endroits publics. Les femmes ne craignaient pas de s’y montrer, elles fréquentaient les spectacles et elles assistaient aux festins[64]. Avec la dissolution de l’ancien régime de la famille et la disparition de l’austérité des mœurs, prévalut de plus en plus la tendance dés femmes à s’affranchir de toute contrainte extérieure, et, déjà au commencement de l’empire, c’est à peine s’il y avait encore des barrières arrêtant quelque peu les Romaines dans le rayon d’influence de leur position sociale.

Les rapports du rang et de la condition des femmes, les titres, privilèges et distinctions auxquels elles pouvaient prétendre, n’étaient pas moins exactement réglés pour elles que pour les hommes[65], comme on l’a vu.

La femme de rang sénatorial eut formellement droit, sous les Sévères, à la qualification de très illustre (clarissima), qui lui était probablement déjà accordée beaucoup plus tôt, par courtoisie. Si, comme il va sans dire, l’état et le rang de-la femme se réglaient ordinairement sur la position du mari, les empereurs conféraient cependant quelquefois le rang consulaire, auquel se rattachaient aussi pour elles, comme il parait, les insignes de cette dignité, même à des dames qui n’étaient pas mariées avec des personnages consulaires[66], ou bien, mais très rarement, ils le leur laissaient, quand même elles épousaient, en se remariant, un homme d’un rang inférieur[67]. Héliogabale éleva au rang consulaire une esclave carienne, mère de son favori Hiéroclès[68]. Il paraît que les distinctions accordées aux dames consulaires étaient très grandes, puisqu’il y eut doute sur le point de savoir si même un personnage du rang des préfets aurait le pas sur elles, ce qu’Ulpien n’affirme pas très clairement[69].

Lors de l’admission d’une femme dans cette première classe de la hiérarchie nobiliaire féminine, une espèce de chapitre de dames, du premier ordre sans doute (conventus matronarum), probablement le même que celui dont Suétone fait déjà mention, dans sa Vie de Galba (au chapitre V[70]), s’assemblait solennellement. Héliogabale faisait régler par ce sénat de femmes une foule de questions d’étiquette : comme, par exemple, de savoir quel devait être le costume dés femmes, suivant leur rang ; laquelle devait avoir le pas sur les autres, laquelle marcher au-devant de l’autre pour le baiser ; à quelle espèce de voiture et d’attelage (de chevaux, d’ânes, de mulets ou de bœufs) chacune avait droit, à qui d’entre elles serait permis l’usage de la chaise à porteurs, des chaises garnies d’argent ou d’ivoire en particulier, ou bien celui des chaussures ornées d’or et de pierreries[71]. L’historien de cet empereur traite ces sénatus-consultes de ridicules. Cependant le biographe d’Aurélien dit que ce dernier crut devoir rendre aux femmes leur sénat, en y assignant les premières places aux dames qui avaient été revêtues de dignités sacerdotales[72]. Il semblerait, d’après un passage du même auteur, que cette assemblée aussi eut à s’occuper du costume[73].

Le mariage procurait aux jeunes femmes des hautes classes, qu’il délivrait de l’isolement et de la dépendance où vivait la jeune fille dans la maison paternelle, une liberté presque illimitée. Des impressions sans nombre venaient les assaillir de toutes parts, souvent jusqu’à les enivrer et brouiller entièrement leurs idées. La jeune femme s’entendait saluer avec respect, même par son mari, du nom de domina (donna, madame)[74], usage qui persista dans les temps chrétiens[75]. Des centaines de mains n’attendaient, pour se remuer, qu’un signe de sa part. Sa volonté, dans ce petit monde que formait toute grande maison avec ses domaines étendus, ses légions d’esclaves, sa nombreuse séquelle de clients et de subalternes, décidait de leur fortune, dans le bon ou le mauvais sens, souvent même de leur vie ou de leur mort[76]. Aussi les clients ne l’appelaient-ils pas seulement madame, mais souvent reine (regina), comme il appert d’une dédicace de Martial à Polla Argentaria, veuve de Lucain[77].

La jeune dame voyait autour d’elle les jeunes gens et les hommes à cheveux gris, les savants et les braves, les hommes de mérite et ceux de grande naissance briguer à l’envi ses bonnes grâces[78]. Quels que fussent ses titres à la prétention d’être admirée, beauté, esprit, talent, instruction, elle était sûre d’un brillant succès. Dans les cercles où l’introduisait le mariage, la vanité et la coquetterie trouvaient leur pleine et entière satisfaction ; l’intrigue, son terrain le plus favorable ; la passion, les excitations les plus fortes ; la galanterie, des ressources inépuisables, pour varier ses plaisirs ; et l’ambition, les plus grandes perspectives. Combien ne vit-on pas de femmes de noble maison s’asseoir en secondes noces sur le trône impérial !

Nous ne manquons, il est vrai, ni de données sur des faits significatifs, ni d’appréciations générales des contemporains, pour juger de l’état des mœurs des femmes, aux diverses époques de la période qui nous occupe. Les appréciations sont, généralement et sans exception, défavorables ; cependant, il faut avouer qu’elles réveillent de la défiance par cette rigueur absolue même, qui fait hésiter à les admettre sans critique. Ainsi, au rapport d’un homme de la gravité et de l’autorité de Pline l’Ancien, c’en était fait de la chasteté à Rome, depuis l’époque de la censure de M. Messalla et de C. Cassius[79]. A la profonde et terrible subversion de toutes les idées morales, qui fut l’effet le plus désastreux des longues guerres civiles, il n’y avait, d’abord, possibilité d’apporter remède qu’extérieurement. Quand, en l’an 18 avant notre ère, Auguste fulminait contre le célibat, ou se récriait au sénat contre l’inconduite des femmes[80], les déclamations pathétiques d’Horace[81], comme les plaintes élégiaques de Properce[82], s’accordaient avec les plaisanteries les plus risquées d’Ovide[83], sur ce point que la vertu des femmes était, de leur temps, chose introuvable à Rome.

Des plaintes semblables se renouvellent continuellement, dans les temps postérieurs. Sénèque loue sa mère de ne pas s’être ravalée par l’impudicité, le plus grand mal du siècle, au niveau de la majorité des femmes[84]. Quiconque, dit-il dans un autre passage[85], ne s’est pas fait remarquer par une liaison galante, ou ne fait pas une rente à quelque femme mariée, est méprisé des dames et regardé comme un amateur de servantes. Quand Vespasien prit les rênes du gouvernement, la licence et la luxure avaient, au rapport de Suétone[86], envahi la société, par suite du manque de lois pénales répressives, auquel le nouvel empereur se mit en devoir de suppléer de son mieux[87]. Tacite[88] loue en Germanie ce contraste avec Rome que l’on n’y rit pas du vice et que séduire, ou se laisser séduire, ne s’y appelle pas suivre l’esprit du temps. Si un Martial[89] se permet de dire qu’il n’y a, pas à Rome une femme qui ne se donne

Quæro diu totam, Safroni Rufe, per urbem,

Si qua puella neget ; nulla puella negat,

il faut, quelque largement qu’on fasse la part de l’exagération que comporte ce genre de plaisanterie, admettre pourtant un fond de réalité qui le motivait, et les descriptions obscènes de la sixième satire de Juvénal, bien que la charge y soit poussée jusqu’à la bouffonnerie, devaient nécessairement aussi se fonder sur maint exemple du genre de turpitudes qu’il signale. Marc Aurèle se vit obligé de prendre des mesures contre la luxure des femmes et des jeunes gens de la noblesse[90]. Dion Cassius (LXXVI, 16), consul, après la publication des lois rendues par Septime Sévère contre l’adultère, trouva sur les registres l’inscription de trois mille plaintes formées pour pareille cause. Dans l’antiquité déjà les cornes avaient, dans le langage symbolique, la même signification qu’aujourd’hui, y servant aussi à désigner le malheur des maris trompés[91].

Bien des témoignages de contemporains, comme ceux que nous venons de rapporter, peuvent, il est vrai, ne reposer que sur des observations passagères, superficielles, ou purement individuelles, et n’avoir été souvent que l’expression d’un moment d’humeur, d’un dépit ou d’autres fâcheuses impressions. Il est évident aussi qu’on 1, a beaucoup visé à l’effet, en les chargeant des couleurs dans lesquelles se complaisaient des esprits imbus de la rhétorique du temps ; mais il n’y a pas non plus, d’autre part, manque de faits et de symptômes desquels il faut bien conclure à des progrès très alarmants de la corruption. Rappelons avant tout la frivolité coupable, engendrée et entretenue par la facilité du divorce, la légèreté avec laquelle se faisaient et se défaisaient les mariages[92]. Si Sénèque[93] dit qu’il y avait des femmes qui comptaient leurs années non d’après les consulats, mais d’après leurs maris, et Juvénal[94], que beaucoup de femmes, ne se faisant pas scrupule de divorcer, avant même que la ramée verte, ornant la porte à leur entrée dans la maison nuptiale, ne fût desséchée, arrivaient ainsi jusqu’à compter huit maris en cinq ans ; si Tertullien[95] encore assure que les femmes de son temps ne se mariaient, en quelque sorte, que pour se ménager l’occasion de divorcer, ce sont là évidemment des exagérations, amères ou badines ; mais il n’en fallait pas moins que la réalité fut bien triste, pour qu’elle conduisît naturellement à des exagérations pareilles.

Il ne faut pas oublier que l’esclavage aussi exerçait à Rome, comme partout, la plus déplorable influence sur la moralité conjugale. Si c’était là une des raisons qui avait fait, de tout temps, juger avec beaucoup d’indulgence l’infidélité des maris, il était naturel aussi que, par suite des fâcheux progrès constatés dans le sens du relâchement des mœurs et de l’émancipation des femmes, celles-ci prétendissent de plus en plus à jouir de la même liberté que les hommes, ou prissent du moins la violation de la foi conjugale par leurs maris pour excuse de leurs propres déportements[96]. Il y avait sans doute aussi, pour elles, une tentation dans la certitude de trouver toujours à choisir, parmi leurs esclaves, des amants soumis et discrets, et tout porte à croire que les liaisons de l’espèce n’étaient nullement de rares exceptions[97]. Votre femme, est-il dit dans une épigramme de Martial (XII, 58), vous appelle un coureur de servantes, lorsqu’elle est elle-même un tendron de porteurs de litière ; vous n’avez mutuellement rien à vous reprocher.

Mais les femmes étaient encore exposées à d’autres influences corruptrices de la nature la plus pernicieuse. N’appuyons pas trop sur les effets démoralisants de certaine littérature ; cependant, on est fondé à considérer comme des symptômes d’une effrayante dépravation des productions comme les élégies et l’Art d’aimer d’Ovide, qui surpassent peut-être en immoralité, du fond plus encore que de la forme, tout ce qui a été écrit dans ce genre. On peut attribuer une influence plus dépravante encore que celle de la littérature à la licence déployée dans les œuvres et les décorations de l’art. Déjà Properce[98] se plaignait des images et peintures murales qui pervertissaient les femmes et les jeunes filles, à force de blesser leurs yeux candides. Mais le pis, sans contredit, c’étaient les fascinations des spectacles et les excitations dés festins, signalés les uns et les autres par Tacite[99], comme les deux plus grands dangers menaçant l’innocence et la pureté des mœurs.

La passion pour les spectacles est une des faiblesses qui ont été le plus reprochées aux Romaines de cette époque.

Utque magis stupeas, ludos Paridemque reliquit,

dit Juvénal d’une dame du temps[100]. Stace aussi impute à l’amour des spectacles la répugnance de sa femme à quitter Rome, quand il lui dit[101] :

Cur hoc triste tibi ? Certe lascivia cordi

Nulla nec aut rapidi mulcent te prœlia circi,

Aut intrat sensus clamosa turba theatri.

Cette passion ne dérivait pas seulement de la curiosité, mais aussi, comme dit Ovide dans un passage connu, du désir des femmes de se montrer. Comparant, dans l’Art d’aimer (I, 93-100), l’affluence de toutes ces femmes parées au théâtre à des fourmilières, ou à des essaims d’abeilles, il termine par ce vers

Sic ruit in celebres cultissima femina ludos[102].

Jamais elles ne se paraient plus richement et avec plus de soin que pour les spectacles[103] : n’était-ce pas en ces lieux d’étalage de ce qu’il y avait de plus éblouissant dans les magnificences de la Rome impériale, qu’elles étaient sûres de trouver le plus grand et le plus brillant cercle d’admirateurs ? Si de graves historiens comme Tacite et Dion Cassius n’ont pas dédaigné de mentionner le manteau tissu d’or dans lequel l’impératrice Agrippine parut à la représentation d’un combat naval sur le lac Fucin, pièce à grand spectacle dont les splendeurs firent tellement sensation que Pline l’Ancien aussi crut devoir en parler[104], on peut se figurer avec quelle curiosité les femmes se regardaient et s’examinaient mutuellement, quels efforts de toilette elles faisaient pour paraître avec le plus d’éclat possible. Ce n’était quelquefois, il est vrai, qu’un éclat d’emprunt. A Rome, où la manie du far figura, si profondément enracinée dans le caractère italien, trouvait le plus d’aliment, où il y avait des milliers de gens voulant paraître supérieurs à leur condition, tout était à louer, jusqu’à ces bagues que de rusés avocats passaient à leurs doigts, quand ils se chargeaient de la défense d’un client, afin d’obtenir de lui des honoraires plus élevés[105]. Parmi les objets que les dames dont la cassette était vide louaient ainsi, pour se montrer au théâtre, Juvénal nomme des effets d’habillement, des coussins, une vieille duègne, une femme de chambre blonde et tout le personnel d’escorte[106]. La chaise à porteurs, après que l’on en avait retiré les brancards, servait de siège à l’amphithéâtre[107].

Par la présence de tant de femmes, les spectacles gagnaient naturellement aussi un puissant attrait pour la jeunesse masculine. Properce (II, 19, 9) se réjouit de la détermination de Cynthie d’aller à la campagne, où elle ne court aucun risque d’être pervertie par les spectacles, et Ovide recommande ceux-ci comme particulièrement propices aux intrigues d’amour. Au théâtre et à l’amphithéâtre, les hommes, depuis le temps d’Auguste, durent, il est vrai, se contenter de promener leurs regards sur les rangs de sièges supérieurs, exclusivement assignés aux dames ; mais, au cirque, elles étaient assises au milieu des hommes. C’est un endroit, » dit Juvénal[108], bon pour les jeunes gens d’âge à faire chorus avec les clameurs du public, à engager des paris à outrance et à se pavaner aux côtés d’une jeune femme parée. C’est là surtout qu’on se liait facilement, à la faveur de l’intérêt égal qu’on prenait au spectacle et des nombreux petits services que l’on était à même de rendre à sa voisine, comme de lui arranger son coussin, de lui procurer un escabeau, de l’éventer et de la protéger, le cas échéant, contre les importuns[109]. Ovide, qui trace pour tout cela des règles minutieuses, nous a également transmis des échantillons des sujets de conversation du cirque. On estimait heureux le conducteur de char auquel s’intéressait là belle voisine ; qu’on eût voulu être à sa place ! Faisait-il réellement si chaud ? La chaleur que l’on ressentait n’était-elle pas plutôt l’effet d’une flamme intérieure, etc.[110] ?

L’amour du théâtre avait toutefois aussi son côté bien grave et parfois même tragique. On ne saurait trouver des couleurs trop fortes pour dépeindre ce qu’il y avait d’affreux dans l’influence démoralisante des spectacles. Le cirque, où des cohues populaires, échauffées jusqu’au délire par l’entraînement de parti, tempêtaient les unes contre les autres, n’offrait d’ailleurs que des scènes beaucoup moins alarmantes pour l’innocence que le théâtre et l’amphithéâtre. Sur la scène régnaient la comédie de polichinelle, l’atellane et la farce (mimus), pleines d’obscénités grossières et non déguisées, auxquelles se complaisait la foule, et, au degré supérieur ; pour l’amusement du beau monde, le ballet pantomime, où l’on ne craignait pas d’aller jusqu’aux dernières limites, dans la représentation de sujets des plus graveleux pour la plupart, mais où l’on s’étudiait aux plus grands raffinements de la sensualité, pour l’excitation des nerfs les plus relâchés ou les plus blasés[111].

Quant aux ravages profonds que devait nécessairement causer dans les âmes, en amortissant toute sensibilité, l’habitude des scènes d’égorgement et de torture de l’arène, on n’y peut songer sans frémir. C’est à cette école que les femmes apprenaient cette cruauté envers leurs esclaves des deux sexes de laquelle il y aurait à citer plus d’un exemple révoltant[112]. Cependant pas toute§ n’avaient, il faut le croire, l’habitude de fréquenter les spectacles, bien que les auteurs du temps n’aient fait nulle part aucune mention expresse de dames qui, par principes, se fussent abstenues d’y aller, et que Martial ait pu dire à ses contemporaines, avides de mauvaises lectures :

Ne legeres partem lascivi, casta, libelli

Prædixi et monui : tu tamen, ecce, legis.

Sed si Panniculum spectas et calta Latinum,

Non sunt hæc mimis improbiora, lege[113].

Pour les jeunes filles bien élevées, il va sans dire qu’on ne les conduisait pas au spectacle, puisque même des hommes jeunes, mais d’une direction d’esprit sérieuse, évitaient celui des pantomimes[114].

L’intérêt que les femmes prenaient aux spectacles s’étendait également aux artistes qui y paraissaient. Des athlètes, des cochers du cirque, des gladiateurs[115], faisaient ainsi fortune, ces derniers même auprès des dames du plus grand monde, pour lesquelles le maniement du fer avait un irrésistible attrait ; aussi, tout ferrailleur célèbre, fût-il personnellement laid, leur apparaissait-il sous les traits d’un Hyacinthe. S’agissait-il de se faire enlever par un gladiateur, les grandes dames, d’après Juvénal[116], ne craignaient même plus le mal de mer ; et, ce qui semblait le plus étonnant, dans une pareille détermination, on les trouvait même prêtes à renoncer au plaisir des spectacles. Les artistes dramatiques, les chanteurs, les musiciens, n’étaient généralement pas moins aimés des dames, qui se laissaient quelquefois entraîner par la passion pour eux aux plus grandes folies[117] ; on prétendait même que ces virtuoses vendaient leurs faveurs très cher[118]. Les instruments de célèbres joueurs de guitare étaient achetés à des prix exorbitants par leurs adoratrices, gardés par elles, comme un bien précieux et couverts de tendres baisers. Une dame d’une des plus nobles maisons procéda, d’après Juvénal[119], à un sacrifice solennel pour apprendre si un joueur de guitare, alors en vogue, remporterait là couronne au prochain concours qu’aurait-elle pu faire de plus, ajoute le poète, si son mari ou son fils était tombé dangereusement malade ?

Mais la faveur la plus générale et la plus haute était celle dont jouissaient les danseurs du ballet-pantomime, auxquels hommes et femmes faisaient à l’envi les plus grandes avances[120]. C’étaient pour la plupart de beaux jeunes gens, qui acquéraient, dans l’exercice de leur profession, tous les avantages de l’agilité la plus rare et de la grâce la plus séduisante. Déjà, en l’an 22 ou 23 de notre ère, on vint à bannir d’Italie tous les pantomimes, pour faire trêve aux dissidences factieuses qu’ils excitaient dans le public et au scandale de leurs relations avec des femmes, de grandes dames sans doute, parce qu’il serait impossible autrement de bien comprendre l’intérêt de la mesure[121]. Le beau Mnester, le plus choyé des pantomimes sous Claude, comptait parmi les dames dont il possédait la faveur, Poppée l’ancienne, la plus belle femme du temps ; devenu ensuite, bien malgré lui pourtant, l’amant de Messaline, cette liaison le conduisit à la mort[122].

Nous avons déjà dit que Domitien, par jalousie, fit assassiner en pleine rue le pantomime Pâris ; à la place où ce dernier était tombé, ses nombreux admirateurs répandirent des fleurs et des parfums. La rumeur publique trouva même un rapport entre le meurtre ultérieur de Domitien et la passion de sa femme pour Pâris ou un autre pantomime[123]. Marc-Aurèle supporta avec plus de stoïcisme les amours de Faustine, qui, d’après les bruits de la ville, avait aussi des faveurs pour ces artistes[124]. Galien reconnut la passion de la femme d’un certain Juste, pour un autre pantomime du nom de Pâris, au même symptôme qui, jadis, avait fait reconnaître au médecin Érasistrate D’amour d’Antiochus pour Stratonice. Ne parvenant à découvrir dans l’état physique de la malade aucune cause qui pût expliquer ses insomnies, il en conclut à une profonde affection morale, et le changement subit qu’il observa dans son teint, son regard et son pouls, quand fut prononcé le nom de ce danseur, lui procura toute certitude sur la nature du mal[125].

A côté des tentations des spectacles, Tacite a nommé celles des festins ; mais il n’est pas possible que, même dans les plus mauvais jours, les orgies auxquelles il pensait aient jamais été,si générales que des femmes n’eussent pu s’y soustraire, ni par conséquent que l’influence des festins ait été, à beaucoup près, aussi profonde et aussi pénétrante que celle des spectacles. A ces banquets, tirant à l’orgie, on recevait, il est vrai, des impressions semblables à celles avec lesquelles on revenait du théâtre ; car la musique, les danses et des scènes dramatiques formaient, à table aussi, le programme ordinaire des divertissements. De chastes oreilles y étaient blessées par des chansons grivoises[126] et des parades obscènes[127] ; des yeux pudiques, offensés parle spectacle des danses fameuses de Syriennes et d’Andalouses, qui, paraît-il, ne le cédaient pas, sous, le rapport de la mollesse voluptueuse et de la licence, dans le genre pantomime, aux pires des représentations des almées de l’Égypte[128].

Mais, abstraction faite de ces excitations des sens, les festins pouvaient encore devenir funestes à la vertu des femmes, en ce qu’ils offraient aux hommes, pour se rapprocher d’elles, l’occasion la plus favorable, avidement recherchée par eux et dont ils ne manquaient pas de profiter de leur mieux[129]. Dans un de ses poèmes les plus hardis, Ovide raconte la séduction de la belle femme d’un mari imbécile, sous, le déguisement de l’aventure de Pâris et d’Hélène, noms d’emprunt conventionnel qui reviennent dans le récit de toutes les histoires d’adultère du temps, comme on le voit déjà par Cicéron[130]. Or chaque trait de celle d’Ovide est emprunté aux réalités de l’époque, ce qui donne à sa narration un intérêt vivant très remarquable. Ainsi, la conduite de l’amoureux, au dîner, répond entièrement à ces préceptes du même poète :

Et modo suspiras, modo pocula proxima nobis

Sumis ; quaque bibi tu quoque parte bibis.

Ab quoties digitis, quoties ego tecta notavi

Signa supercitio pæne loquente dari[131].

Verba superciliis sine voce loquentia dicam,

Verba leges digitis, verba notata mero[132].

Quæ tu reddideris, ego primus pocula sumam,

Et qua tu biberis, bac ego parte bibam[133].

Fac primus rapias illius tacta labellis

Pocula ; quaque bibet parte puella, bibas[134].

La belle sent les regards hardis de son admirateur se porter fixement sur elle. Il soupire, il prend la coupe dont elle s’est servie et l’approche de ses lèvres, du côté où celles de sa bien-aimée viennent d’en toucher le bord ; il lui fait signe de l’œil et du doigt, il trace avec du vin sur la table des lettres sympathiques ; il lui raconte des histoires d’amour dans la transparence desquelles perce l’aveu de sa propre passion ; il va jusqu’à faire semblant d’être gris, pour voiler ce qu’il pouvait y avoir de compromettant dans sa témérité[135]. Du reste, l’ancien usage, pour les femmes, de s’asseoir à table, avait passé dès le commencement de l’empire ; elles prirent l’habitude de s’y étendre couchées comme les hommes[136].

Nous ignorons jusqu’à quel point il y avait, en dehors des festins, d’autres réunions de société proprement dites pour les deux sexes. On n’en trouve qu’une seule mention dans Tacite[137], mais elle est susceptible d’être interprétée dans un autre sens. D’ailleurs, les hommes ne manquaient pas d’occasions pour se rapprocher des femmes dans les endroits publics, où celles-ci se donnaient rendez-vous pour la promenade, particulièrement dans les nombreux portiques érigés autour des places, ornées de plantations formant des espèces de jardins ou de parcs[138]. Là il pouvait très bien arriver qu’au lieu du page, que l’on attachait souvent à la personne de la dame, pour la garder, et qui était quelquefois un eunuque[139], l’adorateur se chargeât du service de tenir le parasol[140]. Du reste, il n’est guère probable que des femmes de qualité touchassent souvent de leurs pieds délicats le noir pavé de basalte des rues ; habituellement, elles sortaient en chaise à porteurs ou en litière[141] ; la litière couverte notamment était, paraît-il, une distinction des femmes de sénateurs, bien que l’usage de ces véhicules, ainsi que les ordonnances qui s’y rapportent, ait certainement varié avec le temps, et que ces dernières aient dû être souvent enfreintes[142]. César avait limité cet usage aux femmes mariées et aux matrones ayant passé la quarantaine, ainsi qu’à certains jours[143]. Domitien l’interdit aux femmes de mauvaise vie[144]. La rigidité, en fait de mœurs, exigeait que les rideaux fussent complètement fermés, ces litières se trouvant en butte aux regards des curieux, partout où elles se montraient[145] ; mais les maris insistant sur l’observance de cette règle, dit Sénèque[146], passaient auprès des femmes pour des butors, leurs épouses pour des victimes, dignes de compassion, de la tyrannie conjugale.

Il y avait, dans la position indépendante des femmes, une forte tentation pour secouer les chaînes que la nature et les mœurs leur avaient imposées, aspirer à des avantages refusés à leur sexe et choisir des occupations inconciliables avec la véritable vocation de celui-ci. Ces répugnantes excentricités que Juvénal en particulier se complaît tant à décrire, ne sauraient avoir été fréquentes en aucun temps : nous voulons parler de ces femmes se livrant à la gymnastique, ou à l’escrime ; dans la tenue des gladiateurs[147], ou passant la nuit dans des orgies à boire à l’envi avec les hommes[148], ou les femmes processives rédigeant elles-mêmes leurs plaintes et mémoires pour l’action judiciaire[149]. Juvénal ne traite-t-il pas lui-même expressément d’exceptions toutes ces velléités d’émancipation, lorsqu’il fait dire à Laronie, dans une autre de ses satires[150] :

Luctantur paucæ, comeduat colyphia paucæ ?

Les femmes nouvellistes, qui se faisaient remarquer par le vif intérêt qu’elles prenaient aux affaires du monde entier, et dont il a déjà été question plus haut, étaient cependant plus nombreuses. Elles savaient vous renseigner, jusque dans les moindres détails, sur les pays les plus lointains ; non seulement elles recueillaient les bruits aux portes ou en faisaient naître de toute sorte mais elles prenaient résolument et gardaient hautement la parole vis-à-vis de militaires du rang le plus élevé, ou faisaient à quiconque les rencontrait dans la rue le récit des derniers tremblements de terre, des inondations les plus récentes, en un mot, de tout ce qui s’était passé, quelque part que ce fût[151]. Chez les personnes douées d’une organisation supérieure, l’ambition prenait naturellement son vol plus haut. Il était dans la nature des choses que les grandes dames prissent, directement ou indirectement, une influence décisive sur la marche des événements, et le désir d’arriver au pouvoir ou de faire valoir leur crédit ne peut avoir été que très commun chez elles. On sait que la destinée du. monde romain a été maintes fois déterminée par les femmes, que plus d’une impératrice gouvernait au nom de son époux, ou avait du moins une part considérable au gouvernement. Auguste lui-même, qui fut un des plus grands politiques de tous les temps, prenait souvent conseil de la prudence de sa femme, et on se racontait, à Rome, qu’il ne conférait jamais avec Livie sur une affaire importante, sans s’y être préparé d’avance par écrit, ce qu’il faisait toutefois aussi avec d’autres personnes[152]. Mais l’influence des dames de la noblesse, des amies de l’impératrice notamment, et de toutes les femmes ayant des relations suivies avec la cour, était sans doute aussi très grande et avait des ramifications au loin. Cette influence se montrait naturellement le plus efficace dans les nominations aux offices et, emplois, grands et petits, à Rome comme dans les provinces. Sénèque[153] loue sa tante maternelle d’être sortie de sa réserve ordinaire jusqu’à faire valoir son crédit en faveur de sa nomination à la questure. Gessius Florus devint procureur de Judée par sa femme Cléopâtre, amie de l’impératrice Poppée[154]. Le sophiste Philisque obtint la chaire d’éloquence à Athènes par l’impératrice Julia Domna[155]. Les femmes ambitieuses, quand leurs relations personnelles se trouvaient insuffisantes, exploitaient leurs fils, dont elles ne se gênaient pas de mettre à contribution l’éloquence et la fortune, dans l’intérêt de leurs propres visées ou de celles d’autrui[156]. Dans les provinces, on voyait les femmes des gouverneurs assister aux exercices des troupes, se mêler aux soldats, entourées de centurions, comme Plancine[157] et Cornélie, la femme de Calvisius Sabinus, gouverneur de Pannonie[158] ; elles prenaient part aux affaires, et les provinciaux étaient obligés de présenter leurs hommages à deux cours, souvent aussi de subir des exactions doubles. Il paraît même, d’après Tacite[159], que ces exemples n’étaient pas rares du tout.

Il n’était guère possible que les femmes restassent étrangères au mouvement littéraire, d’autant moins qu’elles tenaient, dans les classes supérieures du moins, ordinairement une certaine instruction classique de leur éducation de jeunesse[160]. Pour Martial (XII, 97), la femme accomplie doit être riche, noble, instruite et chaste. Stace[161] appelle la femme de Lucain, Polla Argentaria, savante et douée d’un beau génie. Cependant ce goût pour l’instruction était, chez les femmes, souvent aussi plus affecté que réel, suivant Ovide, qui dit dans l’Art d’aimer :

Sunt tamen et doctæ, rarissima turba, puellæ,

Altera non doctæ turba, sed esse volunt[162].

Or, bien que ce poète assure continuellement qu’il n’entend parler que d’affranchies et d’un certain monde, pour désarmer les ressentiments excités par son livre, il ne faut pas s’y méprendre cependant : c’est bien au fond les femmes en général, telles qu’il les connaissait et qu’elles lui paraissaient être, qu’il a peintes là et partout dans ses vers.

On sait avec quelle vivacité les tendances. littéraires se faisaient valoir, dans les deux premiers siècles, et combien le dilettantisme poétique notamment était répandu dans la société bien élevée. Les femmes qui ne participaient pas activement elles-mêmes à ces tendances, s’y intéressaient au moins pour le compte de leurs maris ou de leurs amis, des succès desquels elles se montraient fières. Pline le Jeune loue sa femme d’avoir contracté le goût des lettres par amour pour lui. Non seulement elle lisait et relisait ses livres, elle les apprenait même par cœur. Faisait-il une lecture, elle écoutait derrière un rideau, attentive à toutes les marques d’approbation des auditeurs. Faisait-il un plaidoyer en justice, elle s’absorbait dans l’attente du résultat, et des messagers, échelonnés tout le long du chemin du tribunal à sa demeure, lui annonçaient, de minute en minute, la disposition des assistants, leurs murmures d’applaudissement et leurs bravos. Elle chantait ses poésies d’après des mélodies composées par elle-même, avec accompagnement de guitare, ce qu’aucun musicien, nous dit Pline[163], mais l’amour seul, le meilleur des maîtres, lui avait appris. Le talent de s’exprimer avec élégance et facilité était probablement aussi très répandu chez les femmes de condition[164], et si elles ne se hasardaient pas à livrer à la publicité leurs essais littéraires, ils passaient cependant sous les yeux d’amis. Pline raconte avoir eu ainsi communication des lettres de la femme d’un auteur de ses amis, si bien écrites qu’on eût cru entendre Plaute et Térence en prose. Il doute même qu’elles soient réellement d’elle, en ajoutant que, s’il en était pourtant ainsi, l’achèvement de son éducation faisait le plus grand honneur au mari, qu’elle avait épousé toute jeune[165], observation qui ne jette pas précisément un jour très favorable sur l’instruction donnée aux jeunes filles. La manie de se servir du grec au lieu du latin, ou du moins d’émailler la conversation de phrases jolies ou tendres dans l’idiome grec, paraît avoir été très fréquente aussi chez le beau sexe. On peut, dit Juvénal[166], passer cela aux femmes, tant qu’elles sont jeunes, mais chez des matrones de soixante-huit ans, c’est insupportable. Le grec était la langue favorite des amoureux, au temps de Lucrèce[167] déjà. Il était naturel que les femmes, dans un temps où foisonnait le dilettantisme poétique, fissent des vers grecs et latins ; non moins, que les femmes poètes aimassent à s’entendre comparer à Sapho, avec laquelle Martial, par exemple, met en parallèle Sulpicie et Théophile[168]. Sur le colosse de Memnon sont gravées trois poésies, en dialecte éolien et dorien, d’une certaine Julia Balbilla, qui le visita à la suite de l’impératrice Sabine, femme d’Adrien[169]. Les trois pièces, dit Letronne[170], annoncent toutes un talent poétique assez remarquable, mais en même temps une affectation de grammairien poussée à l’extrême... Balbilla devait être un bas-bleu du temps, fort entichée de sa noblesse, un porte suivant la cour, dont les productions devaient être fort goûtées de l’empereur et de l’impératrice, si l’on en juge de la peine qui a été prise de graver sur la pierre si dure du colosse et presque toujours en caractères grands et profondément creusés les trois pièces échappées de sa veine abondante et facile, mais pédantesque et prétentieuse. On a trouvé devant la porte de Saint Pancrace, à Rome, le socle d’une statue qui lui avait été décernée, avec une inscription grecque. Le choix des dialectes susmentionnés paraît, à Letronne, inspiré par le goût du temps pour les archaïsmes, d’après la comparaison avec la colonne de Hérode Atticus ; mais il pourrait bien aussi n’avoir été qu’une conséquence de l’imitation de Sapho.

Quand les femmes ne faisaient pas elles-mêmes des vers, elles critiquaient ceux des autres. Juvénal regarde ces femmes critiques comme pires encore que celles qui aimaient trop le vin. A peine attablées, elles s’engageaient aussitôt dans leurs conversations esthétiques sur Virgile et Homère, en s’appliquant à établir la balance entre les perfections de l’un et de l’autre. Le flux de leurs paroles courait si vite que personne ne trouvait plus un mot à placer ; c’était comme le tintement sans fin de bassins d’airain sur lesquels on frappe, ou de sonnettes agitées. Leurs autres parades d’érudition n’étaient pas moins insupportables, lorsqu’elles savaient, par exemple, débiter des citations de vieux livres oubliés, ou ignorés de leurs maris, qu’elles avaient toujours un traité de grammaire ouvert devant elles, qu’elles corrigeaient en puristes les expressions de leurs amies et ne laissaient pas passer la moindre faute de langage à leurs maris, qu’elles se donnaient, en un mot, le ridicule des Femmes savantes. Il ne faut pas, dit Juvénal, qu’une femme ait toute l’encyclopédie dans sa tête, ni qu’elle comprenne absolument tout dans les livres[171]. Martial aussi mentionne parmi les souhaits de bonheur de sa vie celui d’épouser une femme non pas trop savante (II, 90, 9), et, dit-il ailleurs ;

Quæris cur nolim te ducere, Galla ? Diserta es.

Sæpe solœcismum mentula nostra facit[172].

C’était toutefois contre l’application des femmes à la philosophie qu’on s’élevait le plus. Ceux qui, fidèles aux anciennes idées romaines, désapprouvaient cette tendance d’une manière absolue, alléguaient les uns que les femmes ne se livraient à cette étude qu’afin de briller[173], les autres l’impossibilité qu’elles ne devinssent pas arrogantes et hardies outre mesure, si, au lieu de passer leur temps à filer et à tisser à la maison, elles s’habituaient à converser toujours avec les hommes, à étudier des discours, à parler science et à ergoter[174].

Les partisans de l’opinion contraire ou voulaient que l’instruction philosophique des femmes fût limitée à la morale, déclarée par eux indispensable comme étant également la base de la vertu féminine[175], ou bien, allant beaucoup plus loin, conseillaient de joindre, d’après la méthode de Socrate, à l’étude de la philosophie celle des mathématiques et de l’astronomie, un esprit nourri des idées et images les plus sublimes leur paraissant devoir être inaccessible aux vanités, à la superstition et aux folies, parce qu’une femme sachant les mathématiques attrait honte de danser et qu’une femme connaissant le charme des dialogues de Platon et de Xénophon mépriserait les exorcismes et la magie[176].

En effet, ces sciences exactes paraissent avoir été quelquefois pratiquées par les femmes, à côté de la philosophie, non pas toujours à l’avantage de leur grâce et de leur amabilité cependant[177]. Mais des natures profondément sérieuses durent souvent, sans doute, chercher et trouver dans les doctrines des sages des moyens de consolation dans l’adversité. Il paraît que Livie, à la mort de son fils Drusus, en trouva dans les paroles du stoïcien Arée[178]. Un autre stoïcien qui vécut à la même cour, Athénodore de Cane, eut la permission de dédier un de ses écrits à Octavie, sœur d’Auguste[179]. L’impératrice Julia Domna aussi, quand les intrigues du favori Plautien l’eurent brouillée avec son mari Septime Sévère, se tourna vers la philosophie et les occupations scientifiques[180]. Elle s’entoura de mathématiciens et de sophistes[181], et ce fut à son instigation que Philostrate, qui faisait partie de ce cercle, écrivit le roman d’Apollonius de Tyane[182]. Galien[183] mentionne une dame de ses amies, du nom d’Arria, tenue en grande estime par les empereurs Septime Sévère et Caracalla, pour la profondeur de ses études en philosophie, sa connaissance de la doctrine platonicienne notamment. Mais, chez la plupart des femmes, ces occupations aussi n’étaient qu’un simple amusement. Au temps d’Épictète les dames, à Rome, avaient fait leur lecture favorite de la République de Platon, parce que l’abolition du mariage et la communauté des femmes y sont déclarées, dans une certaine mesure, la condition fondamentale de l’État idéalisé ; elles pensaient y trouver l’excuse de leurs propres écarts[184], et il y eut des philosophes qui les confirmaient dans cette opinion[185]. Quand l’exemple de Marc-Aurèle rendit générale l’application aux études de la philosophie et des sciences, les femmes de qualité aussi attachèrent à leur entourage, moyennant rétribution, des philosophes, des rhéteurs et des grammairiens grecs d’un extérieur vénérable, avec de longues barbes grises, lesquels avaient, entre autres, l’obligation d’escorter la litière de la dame, mêlés au reste de la domesticité. Mais ce n’est guère ailleurs qu’à table, ou pendant leur toilette, qu’elles trouvaient le temps d’écouter des dissertations philosophiques ; et si, par hasard, au milieu d’une tirade sur la chasteté, la femme de chambre venait à leur glisser le billet d’un amant, elles ne prenaient que le temps d’interruption nécessaire pour écrire la réponse, puis continuaient à écouter très attentivement. On emmenait les philosophes même en voyage. Dans ce cas, il pouvait, il est vrai, leur arriver d’être quelquefois, après avoir attendu longtemps à la pluie, emballés dans la dernière voiture avec un danseur, un cuisinier ou un coiffeur. Lucien raconte qu’une dame riche et de qualité, ayant un jour confié à la garde spéciale d’un vieux stoïcien à son service, sa chienne maltaise favorite, celle-ci, qui était grosse, mit bas, pendant la route, sur le manteau du pauvre philosophe[186].

C’est les femmes qu’atteignit le plus profondément et emporta surtout le mouvement religieux, qui avait déjà commencé au premier siècle de notre ère, gagna beaucoup plus de terrain et d’intensité au deuxième, puis vint à son apogée au troisième et au quatrième. Le paganisme se trouva réduit à tenter de suprêmes efforts pour se maintenir, par une régénération, vis-à-vis de l’esprit nouveau, dont le souffle, parti de l’Orient, remplissait le monde de sa puissance toujours croissante. Il s’agissait de remplacer la croyance éteinte au polythéisme grec et romain, qui s’en allait en fumée, et cette recherche faisait saisir avidement toute forme d’adoration de la divinité qui paraissait offrir les éléments d’un culte positif. Toutefois ce n’était pas dans une seule religion, mais dans un mélange, un véritable pot-pourri, des religions et des cultes les plus hétérogènes que le paganisme crut devoir chercher le salut. Les cultes orientaux étaient le plus à la mode. Leurs pompes étaient faites pour impressionner vivement les sens ; leur rituel compliqué imposait à la simplicité. Les croyants trouvaient le caractère d’une révélation supérieure dans leurs symboles, leurs miracles et leurs mystères ; la tendance mystique. à la communion intime avec la divinité y trouvait pleine satisfaction. Si ces cultes répondaient ainsi précisément le mieux aux besoins de l’âme féminine, ils devaient encore plus de prestige à leur promesse de conduire, par les voies de la pénitence et dé l’expiation, à la purification, la sainteté et une félicité plus haute, dans un autre monde. Le penchant pour l’ascétisme était une conséquence naturelle de la dissolution des mœurs et du débordement général de la licence ; la faiblesse morale, qui induisait dans le péché, s’imaginait pouvoir aussi se délivrer de celui-ci par des mortifications extérieures. Ainsi, notamment chez le sexe faible, malgré les avertissements de Plutarque (Conjug. præc., 19), le désir de trouver, dans certains exercices religieux, une consécration, des consolations ou le pardon, s’enflammait jusqu’à la passion.. Dans les femmes, les dieux de l’Orient avaient leurs plus ferventes adoratrices ; les prêtres de ceux-ci, leurs ouailles les plus crédules, les plus aveuglément soumises et les plus libérales de leurs dons. Tantôt elles se laissaient persuader, par une bande vagabonde de prêtres mendiants de la grande mère des dieux, que le mauvais air du mois de septembre leur donnerait la fièvre, si elles ne se procuraient l’absolution par un cadeau de cent œufs, moyennant lequel on promettait de détourner l’influence maligne dont elles étaient menacées, en la faisant passer dans leurs vêtements ; tantôt aussi, par ordre du prêtre, elles se plongeaient trois fois, de grand matin, dans le Tibre, charriant de la glace, et se traînaient à genoux, à peine vêtues et toutes tremblantes de froid et d’angoisses, sur un espace indiqué. Tantôt elles allaient en Égypte chercher de l’eau du Nil, quand elles avaient reçu en songe, d’Isis, l’ordre d’en arroser son temple[187]. La grande déesse Isis au million de noms était, dans tout le monde romain, celle que les femmes invoquaient le plus généralement et avec le plus d’ardeur, comme la divinité tutélaire, de la grâce de laquelle elles attendaient surtout leur salut. On voyait des masses de dévotes se rendre en pèlerinage dans ses temples, nombreux à Rome depuis le milieu du premier siècle, affublées des vêtements de lin de rigueur, participant tout échevelées, deux fois par jour, aux chœurs chantés en l’honneur de la déesse, se faisant asperger d’eau du Nil, observant les jeûnes et suivant toutes les autres prescriptions d’abstinence qu’il plaisait aux prêtres de leur imposer. Y manquaient-elles, ces prêtres, moyennant bonne rétribution, intercédaient pour la pécheresse, auprès d’Osiris, et par le sacrifice d’un gâteau, ou d’une oie grasse, les dieux courroucés se laissaient apaiser[188].

Il n’est pas étonnant, d’après cela, que les temples d’Isis, si fréquentés par les femmes, fussent aussi devenus le foyer de tant d’abus, des lieux où s’accomplissaient toute espèce d’infamies. Les prêtresses, les prêtres, tous les serviteurs qui y fonctionnaient, étaient généralement suspectés de faire le vil métier d’entremetteurs, ce qui déconsidéra tout à fait ce culte. Un fait qui eut lieu en l’an 19 après Jésus-Christ, à Rome, donne une idée de ce qui ne se passait que trop souvent dans l’intérieur de ces temples. Un chevalier, Décius Mundus, avait longtemps, mais toujours en vain, poursuivi de ses propositions galantes une dame noble, nommée Pauline, d’une irréprochable chasteté, mais très adonnée au culte d’Isis. Les prêtres du temple où elle allait d’habitude, gagnés par une somme de 5.000 deniers, lui firent accroire que le dieu Anubis désirait une entrevue avec elle pendant la nuit. Ce fut naturellement Mundus qui parut sous le masque du dieu. Tibère ayant eu connaissance de cet attentat, outre qu’il bannit le principal coupable, fit endurer aux prêtres le supplice de la croix, démolir le temple et, jeter l’image de la déesse dans le fleuve[189]. D’ailleurs non seulement les temples d’Isis, mais torts les temples hantés par des femmes étaient décriés comme des lieux de séduction ; il n’y en avait pas un, dit Juvénal (IX, 22-26), où des femmes ne se prostituassent, et, à part l’exagération, il y a pourtant, certes, aussi un fond de vérité dans les rapports des auteurs chrétiens, stigmatisant les temples, bois et autres lieux sacrés du paganisme, non seulement comme des foyers d’adultère et de débauche, mais comme les théâtres de crimes affreux[190].

Properce (II, 19, 16) accuse les temples, aussi bien que les théâtres, de l’infidélité de sa Cynthie, tandis qu’Ovide recommande les uns et les autres, ainsi que les portiques, aux chercheurs d’aventures galantes, et nomme aussi le sabbat des Juifs parmi les fêtes qu’ils ne doivent pas négliger de courir[191]. Il existe de nombreux témoignages de l’extrême et toujours croissante expansion que le judaïsme avait, dès lors, prise dans le monde occidental, et il parait certain qu’il comptait plus de prosélytes parmi les femmes que parmi les hommes. L’impératrice Poppée semble avoir été du nombre. Josèphe la nomme comme une zélée protectrice des Juifs, car, dit-il, elle craignait Dieu[192]. Ce fut probablement la raison pour laquelle, après sa mort, son corps ne fut point brûlé, mais embaumé, comme on faisait pour les rois étrangers, et déposé dans le sépulcre de la famille Julienne[193]. La première mesure de rigueur contre les Juifs fut prise en l’an 19, à l’occasion et par suite de l’intervention déjà mentionnée du pouvoir dans les désordres du culte d’Isis. 4.000 affranchis, en âge de porter les armes, furent, comme nous l’avons dit, envoyés en Sardaigne contre les bandes de brigands de cette île, comme infectés de superstitions égyptiennes ou judaïques. Il paraîtrait qu’une escroquerie, dans laquelle figurait comme dupe une dame de qualité romaine, du nom de Fulvie, adonnée au judaïsme, fut ce qui détermina cette persécution, dans l’origine du moins. Ses précepteurs, appartenant à cette religion, l’avaient engagée à envoyer à Jérusalem une contribution pour le temple, puis escamoté cette offrande pieuse[194]. Sous Domitien, vers l’époque des années 88 à 90, Martial (IV, 4) se moquait de la mauvaise haleine causée par le jeûne des femmes qui célébraient le sabbat. D’après Dion Cassius (LXVII, 14), nombre de personnes furent alors poursuivies pour le fait de leur conversion au judaïsme, et les unes livrées au supplice, les autres dépouillées de leurs biens. Cependant les Grecs et les Romains, dans ce temps-là, confondaient sans doute encore très souvent le christianisme avec le judaïsme. L’accusation d’athéisme, sur laquelle, le consul Flavius Clément fut condamné à mort, et sa femme Domitilla au bannissement à Pandateria, avait été élevée contre les deux religions. Peut-être Clément et Domitilla professaient-ils effectivement le christianisme, comme peut-être aussi Pomponia Grécina, femme du consul Plautius, accusée en l’an 58, sous Néron, d’être imbue de superstitions étrangères, et remise au jugement de son mari, mais acquittée par lui. Cette dernière vécut longtemps, mais d’une vie abreuvée de continuels chagrins, dit Tacite[195], car elle passa dans une profonde mélancolie, sans jamais quitter les vêtements de deuil, les quarante années qui suivirent le meurtre de sa parente Julie, fille de Drusus (en l’an 44). Quant à Domitilla, l’église catholique reconnaît deux martyres et saintes de ce nom. Cependant on manque entièrement de données positives sur les progrès que le christianisme avait faits dans les premiers siècles, parmi les femmes des classes supérieures. On sait seulement que Mammée, femme qui, elle aussi, vivait dans la crainte de Dieu, suivant l’expression d’Eusèbe[196], fut une protectrice d’Origène[197], qui lui-même n’en a rien dit toutefois. Ajoutons que la découverte d’un tombeau dans les catacombes dé Calixte, avec des inscriptions païennes des Céciliens, non loin du mausolée de Cécilia Métella, paraît confirmer que sainte Cécile, suppliciée sous Alexandre Sévère, était de la famille noble des Metellus[198].

Si les femmes se montrèrent alors, sur le domaine de la religion, comme les étoiles guidant vers la foi[199], elles étaient particulièrement aussi non moins accessibles à toutes les superstitions nouvelles que tenaces dans leur attachement aux anciennes. Une seule des innombrables formes de la superstition qui, infestant et dominant alors, la société, tiraillaient la crédulité publique dans tous les sens, avait un plus grand nombre d’adeptes parmi les hommes : nous voulons parler de l’astrologie, dont les prédictions, inspirant et dirigeant les entreprises les plus grandes et les plus périlleuses, n’ont pas exercé sur les destinées du inonde une médiocre influence, à cette époque. Non pas que cette manière de lire dans l’avenir, si caractéristique pour ce temps et qui était surtout grandement en vogue dans la haute société, n’ait été également très goûtée chez les femmes. Auprès d’elles aucun astrologue, dit au contraire Juvénal (VI, 553-591), ne passe pour un génie, s’il n’a subi au moins une condamnation. Les plus célèbres étaient ceux qui, impliqués dans un grand procès politique, avaient été longtemps aux fers et n’étaient parvenus qu’à obtenir, à la dernière extrémité, la grâce d’une commutation de peine, sous la forme de l’exil dans une île sauvage. Il y avait même des femmes elles-mêmes très fortes en astrologie et n’entreprenant pas la moindre des choses sans consulter préalablement leur calendrier. Telles, attendant leurs couches, s’arrangeaient même de façon à ce qu’un Chaldéen se tînt prêt sur un observatoire du voisinage, où on avait soin de l’avertir, par un coup frappé sur un disque de métal, du moment de la naissance de l’enfant, à lui tirer aussitôt son horoscope[200].

Mais c’est par-dessus tout la magie, avec ses jongleries et ses mystifications, son délire, ses crimes et ses atrocités, qui avait la grande vogue chez les femmes. Ce genre de superstition aussi subit, avec l’influence croissante du mysticisme de l’Orient, dans le cours de cette période, une transformation complète, et les magiciens du deuxième siècle diffèrent essentiellement de ceux des premiers temps de l’empire. A ceux-ci appartenaient tout particulièrement les sorcières auxquelles croyait le bas peuple. C’étaient des femmes décriées et abhorrées, exerçant des professions équivoques, surtout le métier d’entremetteuses. Elles savaient préparer des onguents et des cosmétiques rendant la beauté, ainsi que d’autres médicaments, ayant plus on moins d’affinité avec le poison ; généralement aussi elles aimaient beaucoup le vin[201]. Toutefois, leurs pratiques avaient un air trop misérable et portaient trop le cachet de la mendicité, pour leur procurer beaucoup d’accès auprès des classes instruites de la société, bien qu’il fût impossible de leur fermer entièrement la porte des femmes, chez lesquelles la croyance aux vertus du philtre était surtout extrêmement répandue ; si bien que Plutarque lui-même n’a pas cru pouvoir se dispenser d’en parler dans un de ses écrits[202], adressé à un couple des plus distingués sous le rapport de l’éducation. Mais le prestige de la magie s’accrut et le nombre des personnes qui y croyaient se multiplia extrêmement, quand elle prit les formes qui convenaient à l’esprit du temps. Les philosophes du naturalisme se mirent à exercer la magie, et les magiciens se piquèrent de professer la philosophie du naturalisme. Les uns et les autres, puisant aux sources primitives de la plus haute sagesse, qui coulaient, disait-on, en Orient, se formaient dans les écoles des bords du Nil, de l’Euphrate et du Gange. Suivant Apulée[203], la multitude était même, en général, tentée de soupçonner de magie tous les philosophes indistinctement, et non tout à fait à tort. Dans son Philopseudès, Lucien met en scène un Libyen, qui fait des cures par la sympathie, un Babylonien ou Chaldéen, qui guérit par la magie et conjure les serpents, un Syrien de la Palestine exorcisant les démons et les expulsant du corps des possédés[204], un magicien arabe et même un sorcier hyperboréen. Aux sorcières d’autrefois, qui s’enivraient et servaient d’intermédiaires dans la débauche, succédèrent, à Rome, de pieux et saints thaumaturges, les uns personnellement originaires de l’Orient, d’autres ayant du moins séjourné bien des années dans les catacombes d’Égypte[205], ou même été jugés dignes de l’admission dans la communauté des brahmines : des hommes exempts. de passions humaines, dédaignant la nourriture et les boissons terrestres, vêtus de longues robes blanches en toile de lin[206], vénérables dans leur extérieur et hôtes bien vus dans les palais des grands.

Bref, si les sorcières, qui les avaient précédés, ressemblent à celles de notre moyen âge, ces magiciens de l’époque subséquente se rapprochent singulièrement des grands cophtes du siècle dernier. Leur pouvoir magique était également interprété par leurs partisans comme provenant de la sainteté de leur vie même, attendu que celui qui parvient à triompher des désirs de la nature humaine se rapproche de l’image des dieux et parvient à accomplir ainsi des prodiges, avec leur aide. Eux aussi durent peut-être la plus belle partie de leur succès aux femmes, qu’ils s’efforçaient particulièrement de gagner. Ils prenaient le plus grand soin de leur extérieur. Alexandre d’Abonotique était, d’après le portrait de Lucien, un bel homme, d’une remarquable prestance, ayant la figure remplie de dignité, la peau blanche, la barbe bien cultivée, le regard plein de feu et d’ardeur, la voix douce, mais pourtant sonore ; indépendamment de ses propres cheveux, il portait une perruque très artistement arrangée, qui faisait paraître sa tête comme naturellement encadrée d’une profusion de boucles ondoyantes. Il se, présentait vêtu d’une tunique blanche, garnie de pourpre, et d’un manteau blanc par-dessus, une faucille à la main, en signe de sa descendance de Persée, dont il se prétendait issu. La faveur des femmes lui échut partout, et cela, comme l’assure Lucien, au su et même d’après le désir des maris ; cette faveur du beau sexe n’étant du reste, sans doute, pas simplement envisagée par lui comme un but, mais aussi comme un moyen de fortifier sa position[207]. Peut-être aurions-nous appris des choses semblables sur Apollonius de Tyane, si celui-ci avait également eu pour biographe un Lucien. Mais Philostrate se borne à rapporter épisodiquement, comme un bruit, que son héros passait pour avoir eu l’amour d’une femme belle et beaucoup admirée à Séleucie, en Cilicie ; que cette dame, après avoir éconduit d’autres soupirants, se serait donnée à lui uniquement par le désir d’être bénie d’une postérité d’enfants parfaits, comme il fallait l’attendre de la nature divine d’un père doué d’avantages surnaturels, qui l’élevaient au-dessus de l’humanité. Il paraît que le sophiste Alexandre, dit Péloplaton, qui fut lui-même un homme d’une beauté remarquable, était issu de cette liaison. Mais Philostrate[208], comme de juste, déclare qu’il ne pense pas que ces bruits méritent créance.

Si nous nous sommes jusqu’ici particulièrement occupé des faiblesses et des folies, des écarts et des vices des femmes, cela tient à ce que les contemporains eux-mêmes se sont généralement étendus de préférence sur ce chapitre, et rarement arrêtés à des vertus qui, fuyant l’éclat et ne prêtant pas à la satire ou aux exercices de la rhétorique, n’offraient, en partie du moins, aux lettrés qu’un thème assez ingrat, à ce point de vue. Cependant, les portraits d’épouses et de mères qui furent la lumière de leur maison[209] en ce temps-là, ne manquent pas absolument. Le recueil des lettres de Pline le Jeune fait notamment connaître toute une galerie de nobles et excellentes femmes. L’histoire aussi a conservé plus d’un lumineux exemple de grandeur d’âme et d’héroïsme donné par des femmes, précisément à des époques n’offrant, prises en général, que le tableau repoussant de la plus profonde abjection et de la plus basse servilité. A ces époques néfastes des plus grands excès du terrorisme impérial, alors que là persécution s’étendait même aux femmes, allant jusqu’à leur demander compte des larmes qu’elles versaient au souvenir des leurs, victimes de cet affreux despotisme[210], ce furent les femmes qui, plus d’une fois, donnèrent aux hommes l’exemple du courage, de la fidélité et du dévouement poussé jusqu’au sacrifice. Quand elles ne parvenaient pas à sauver les leurs, à force de prières, elles mouraient avec eux[211]. Des mères suivaient leurs fils, des épouses leurs maris dans l’exil[212]. L’inscription d’un monument sépulcral taillé dans la roche, à Cagliari, raconte une touchante histoire. Un certain Cassius Philippe ayant été relégué dans l’île de Sardaigne, qui servait alors de lieu de déportation[213], sa femme Atilia Pomptilla l’y avait suivi. Le mari tomba malade, peut-être par suite de l’insalubrité du climat ; la femme, nouvelle Alceste, se dévoua pour lui à la mort et mourut en effet, après vingt et un ans de mariage, heureuse d’avoir conservé la vie à son époux[214]. Parmi tant de femmes dont l’héroïsme aurait dû faire rougir le sexe fort, celle qui eut dans son lot la plus haute gloire, fut cette sublime Arrie, qui présenta le poignard, dont elle venait de se percer le sein, à son mari hésitant, avec ces mots immortels : Tiens, Pétus, cela ne fait point souffrir. Pline le Jeune (Lettres, III, 16) rapporte d’autres traits non moins mémorables de la magnanimité de cette femme sublime. Son mari et son fils se trouvaient simultanément atteints d’une maladie qui faisait craindre pour leurs jours. Le fils, l’espoir de ses parents, mourut et Arrie le fit ensevelir sans que Pétus en apprît rien. A toutes ses questions elle répondait, avec une tranquillité d’esprit feinte : Il va mieux, il a dormi, il a pris de la nourriture. Quand ensuite ses larmes, trop longtemps retenues, menaçaient d’éclater en sanglots, elle quittait la chambre et s’abandonnait à sa douleur, pour retourner, dès que la nature était satisfaite, avec des yeux sans pleurs et un air parfaitement calme, auprès du chevet de Pétus. Jouer ainsi le rôle d’une mère rassurée, après la perte du fils, dit Pline, ce fut plus grand que l’exemple qu’elle donna plus tard à son époux du mépris de la mort. La cause de la condamnation de Pétus avait été sa participation au complot du légat Scribonien contre l’empereur Claude, en Illyrie (42 ans après J.-C.). Scribonien fut mis à mort ; Pétus, fait prisonnier et conduit à Rome. Arrie supplia vainement qu’on lui permit de s’embarquer avec lui ; elle se déclarait prête à prendre, à bord du navire, la place de l’esclave servante dont on ne refuserait pas, sans doute, d’accorder l’assistance à un homme de son rang. Ayant essuyé un refus, elle loua une barque de pêche, dans laquelle elle suivit le navire. A la femme de Scribonien, que Claude fit comparaître et interroger comme témoin, elle dit : Vous voulez que je vous écoute, vous qui vivez encore, après que Scribonien a été immolé dans votre giron ? Son gendre, la conjurant de se conserver, dit entre autres : Voulez-vous donc que votre fille meure avec moi, si je dois périr ? Sa réponse fut : Si elle a vécu toujours en aussi parfaite harmonie avec vous que moi avec Pétus, oui. Cette réponse ne pouvait que rendre les siens de plus en plus inquiets à son sujet ; on l’entoura d’une surveillance plus attentive. S’en apercevant, elle dit : Vous n’atteindrez rien ; vous pouvez seulement me rendre la mort plus acerbe ; vous ne pouvez m’empêcher de mourir. A ces mots, elle se leva précipitamment de sa chaise et se heurta le front contre le mur avec une telle force qu’elle tomba. Rappelée à la vie, elle reprit : Je vous avais bien dit que je saurais trouver le chemin de la mort, fût-ce par les extrémités de la violence, si vous m’empêchez de la chercher par une voie plus douce. Sa fille, Arrie la jeune, voulut, suivant l’exemple de sa mère, partager le sort de son époux Thrasée, condamné à mort en l’an 66 ; mais il parvint à la persuader de la nécessité de ménager sa vie, pour ne pas enlever à leur fille l’unique soutien qui lui restât[215]. Cette fille aussi, du nom de Fannie, se montra digne de sa mère et de son aïeule. Deux fois, sous Néron (en l’an 66) et sous Vespasien, elle accompagna dans l’exil son mari, Helvidius Priscus ; après qu’on l’eut mis à mort, elle subit le bannissement une troisième fois, pour l’amour de lui. Hérennius Sénécion, ami d’Helvidius, écrivit la vie de celui-ci et fut mis en accusation pour ce fait, sous Domitien. Elle avoua, spontanément, qu’elle avait engagé Sénécion à l’écrire et lui avait remis, à cet effet, les papiers de son mari ; mais elle nia toute complicité de la part de sa mère, et ni le danger de sa situation, ni les menaces, ne purent lui arracher plus d’aveux. Hérennius fut livré au supplice, Fannie exilée, après avoir subi la confiscation de ses biens. Quant au livre qui avait été le corps du délit, bien que le sénat l’eût défendu et en eût ordonné la destruction, elle en sauva et garda soigneusement un exemplaire, qu’elle emporta dans son exil[216]. Il paraît que sa mère Arrie fut bannie avec elle, puisque Pline le Jeune mentionne le retour simultané de toutes les deux, après la mort de Domitien[217]. Il la dépeint comme une femme aussi pleine d’amabilité et de grâce que digne de vénération. Quelle est, demande-t-il, si elle vient à décéder, la femme que les maris pourront encore représenter comme modèle à leurs femmes ?

Ces données, nous l’avons déjà dit, concernent presque généralement des femmes lancées dans les hautes régions de la société, dont elles ne sauraient même offrir une image complète, la cause de l’incohérence et du mode fragmentaire de la transmission des faits, qui, ne montrant pas toutes les faces des choses-, ne permettent d’en saisir que très imparfaitement les rapports. Pour ce qui regarde les femmes du temps dans les couches moyennes et inférieures de la société, c’est à peine si l’on trouve à recueillir sur ce sujet, dans la littérature de l’époque, quelques indications éparses et fugitives. Il ne s’est conservé, pour l’étude de la vie privée des femmes appartenant à ces classes, que des pierres tumulaires, sur lesquelles les maris survivants font assez généralement l’éloge de leurs vertus. Une fois pourtant, il est vrai, un veuf ne recule pas devant l’expression d’un aveu fait avec une, franchise naïve dans l’épitaphe de sa femme, conçue en ces termes : Le jour de sa mort, j’ai témoigné ma reconnaissance aux dieux et aux hommes[218]. Dans le long panégyrique inscrit sur le tombeau d’une autre défunte, on dit expressément que, d’après la nature même des choses, les épitaphes des femmes doivent se ressembler beaucoup[219]. Comme l’éloge de toutes les braves femmes, porte littéralement l’inscription dont il s’agit, se formule d’ordinaire en termes simples et semblables, attendu que les vertus départies aux femmes par la nature, et qu’elles gardent le mieux en s’observant elles-mêmes, n’ont pas besoin de l’attrait piquant de la variété, mais qu’il suffit, pour les femmes, de justifier toutes également une bonne réputation par leur conduite passée ; comme, de plus, il est difficile, pour elles, d’acquérir une renommée sortant de cette ligne, leur vie n’étant pas sujette à tant de vicissitudes, il faut nécessairement qu’elles s’appliquent aux vertus regardées comme l’attribut général de leur sexe, de peur que l’inobservance de l’un des justes commandements auxquels elles doivent obéir ne flétrisse toutes leurs autres qualités. Aussi, ma très chère mère a-t-elle joui d’une réputation d’autant plus belle qu’elle a égalé en modestie, probité, chasteté, obéissance, application aux travaux domestiques (lanificio), soin et fidélité, toutes les honnêtes femmes, de manière à ne le céder en rien à aucune d’elles. Cette manière d’envisager le rôle et la condition des femmes est, à tout prendre, celle qui paraît avoir partout et toujours prédominé dans les cercles de la classe moyenne. On peut donc bien se permettre de fonder quelques appréciations sur le rapprochement de ces inscriptions tumulaires, malgré la diversité des lieux et l’incertitude des dates, souvent aussi difficiles à déterminer que l’état et-la condition des personnes en cause. Si, du reste, les inscriptions ne disent évidemment pas toujours la vérité sur les défuntes, elles servent du moins à faire ressortir les qualités que l’on estimait le plus chez les femmes. On leur faisait honneur de n’avoir été mariées qu’une fois (univirœ), ce qui, vu les conditions de jeunesse dans lesquelles avait lieu le premier établissement de presque toutes les femmes, ainsi que la légèreté avec laquelle on divorçait et se remariait, n’était évidemment pas la règle[220]. Un affranchi de la maison impériale dit à l’éloge de sa femme qu’elle a donné un magnifique exemple par sa chasteté et nourri ses fils du lait de son propre sein[221]. Il est douteux, cependant, que cette pratique maternelle ait pu jamais n’être qu’une exception rare, même dans les hautes classes, d’après ce qui semble résulter d’Aulu-Gelle, où Favorinus, tout en faisant aux mères un long sermon pour les persuader à nourrir elles-mêmes leurs enfants, ne généralise pas son reproche. Il demeure toutefois étrange qu’à Rome la plupart des nourrices du temps fussent d’origine étrangère et barbare[222]. Souvent on trouve dans lés inscriptions tumulaires l’ex-pression simple et touchante de l’accord le plus intime entre les deux époux. Il en est une qui porte : Ci gisent les ossements d’Urbilie, femme de Primus ; morte à vingt-trois ans, chérie de tous les siens, elle était pour moi plus que ma vie[223]. Une autre est ainsi conçue : A ma très chère épouse, avec laquelle j’ai vécu dix-huit ans sans le moindre sujet de plainte, sous l’impression de regrets qui me font jurer de ne jamais prendre une antre femme[224].

Un monument érigé à un mari par sa veuve porte une inscription dans laquelle des tours de phrase semblables reviennent souvent : Ce que j’espérais, y est-il dit, de mon époux après ma mort, j’ai dû moi-même, infortunée, le faire maintenant auprès de ses cendres[225]. Sur le mausolée d’un couple d’affranchis, le nom de la femme, décédée la première, est simplement accompagné de ces mots : J’attends mon mari[226]. La courte mais belle oraison contenue dans ces mots : Jamais elle ne m’a fait éprouver de chagrin que par sa mort[227] ; ou bien : Jamais elle ne m’a causé la moindre peine[228] ; jamais je n’ai entendu d’elle une parole blessante[229], a été d’un usage si fréquent qu’elle a passé pour ainsi dire à l’état de formule stéréotype. Un veuf dit que, s’il dépendait de lui d’honorer sa femme selon ses mérites, son épitaphe devrait briller en lettres d’or[230]. Un autre, verbeux jusqu’au burlesque, exhale sur la tombe de sa femme tout le chapitre de sa douleur, dans ce bavardage : A la plus vertueuse des épouses et la plus soigneuse des ménagères, objet de tous les regrets de mon âme, après 18 ans 3 mois et 13 jours de mariage. J’ai vécu avec elle sans qu’elle me donnât aucun sujet de plainte, mais maintenant je suis bien forcé de venir me plaindre auprès de ses mânes et demander au dieu des enfers qu’il. me rende l’épouse qui a vécu avec moi en si bonne harmonie jusqu’au jour du destin, ou te prier toi-même, Mévie Sophé, d’obtenir, s’il y a des esprits décédés sans retour, que je ne sois pas obligé d’endurer plus longtemps une si cruelle séparation. Passant étranger, que la terre te soit légère ; si tu ne dégrades rien à ce tombeau ; mais si quelqu’un s’avisait d’y commettre une dégradation, qu’il ne puisse jamais être reçu en grâce par les dieux, que l’enfer même le repousse et que le séjour de cette terre lui soit dur et pénible[231]. Souvent, non seulement les jours, comme dans l’inscription ci-dessus, mais les heures mêmes, complétant l’indication de l’âge de la personne défunte ou de la durée du mariage, sont ainsi marquées en chiffres, ce qui accuse un temps où l’on faisait religieusement attention aux heures de la naissance et des événements importants de la vie, pour les faire entrer dans la base des calculs astrologiques[232]. La précision, dans ces détails chronologiques, concourt à prouver combien s’était propagée cette superstition. Une veuve recommande son- mari défunt aux dieux infernaux et les prie de permettre à son esprit de la favoriser de ses apparitions, aux heures de la nuit[233].

Les monuments qui font l’éloge des vertus domestiques des femmes portent souvent qu’elles étaient bonnes conseillères, administraient bien leur fortune et s’occupaient beaucoup du travail de la laine. Ci gît, lit-on sur un sarcophage, Amymone, femme de Marcius ; elle était bonne et belle, fileuse, infatigable, pieuse, réservée, économe, chaste et bonne ménagère[234]. Une autre épitaphe résume plus brièvement la vie passée de la défunte, en ces mots : J’étais Anicie Glycère ; c’est en dire assez de ma vie ; j’ai fait mes preuves en rendant un bon mari content de moi[235]. Nous laissons de côté les inscriptions chrétiennes des temps postérieurs[236].

Il est à regretter, pour la raison déjà indiquée, que ces inscriptions contiennent si peu de renseignements sur l’individualité des personnes. Si elles étaient plus explicites à cet égard, elles feraient tomber sur la vie des femmes, à cette époque, de bien autres lumières que l’histoire et la peinture des mœurs ; car l’histoire, embrassant de haut les destinées du monde, ne conserve le portrait de l’individu, pour le transmettre à la postérité, qu’autant que les circonstances ou sa propre valeur l’ont élevé au-dessus du niveau de la masse, tandis que le peintre des mœurs, en s’appliquant à fondre dans son cadre une multitude de traits isolés, parvient difficilement, même avec le plus grand amour de la vérité, à s’affranchir complètement, dans la conception comme dans l’exposé de son sujet, de l’influence de ses idées personnelles.

 

 

 

 



[1] Juvénal, X, 289 :

Formam optat modico pueris, majore puellis

Murmure, quum Veneris fanum videt anxia mater

Usque ad delicias votorum        

(La beauté pour ses enfants, c'est ce que demande à voix basse pour ses fils, à voix plus nette pour ses filles, la mère venue inquiète au temple de Vénus, et trouvant de la douceur à faire des voeux)

[2] Pline, Hist. nat., XXVIII, 78.

[3] Ovide, dans les Métamorphoses (X, 262), mentionne les ballons de couleur parmi les jouets de prédilection des petites filles (pictæ pillæ, grata puellis munera). Sur les poupées (papi, pupæ), voyez Lactance, Instit., lib. II, c. 4, 13, 14, et S. Jérôme, Lettres, 128, 1. — Il va sans dire que beaucoup de jeux, comme ceux de la balle et des osselets, servaient aussi à l’amusement des garçons. — Voyez sur les passe-temps de ceux-ci en particulier : Horace, Satires, I, 3, 247 ; Perse, III, 48 ; Sidoine Apollinaire, Épîtres, III, 3.

[4] Voyez la notice sur la fable d’Amour et Psyché.

[5] I, 3, 85. — Voir aussi Properce, I, 3, 41 ; III, 6, 15.

[6] XII, préface, 9.

[7] Orelli, 4639 et 4860. — Anthol. lat., éd. Meyer, 1376, avec cet éloge d’une femme : Lanifica, præclara fide, pietatis alumna. — Tertullien, dans ses Exhortations à la charité, chap. XII, spécifie comme le but du mariage les objets suivants : Domum administrandam, familiam regendam, loculos, claves custodiendas, lanificium dispensandum, victum procurandum, curas domesticas (une maison à gouverner, des serviteurs à conduire, des magasins et des clefs à garder, des ouvrages de laine à distribuer, des dépenses auxquelles il faut veiller...). On voit que rien ne manque à ce programme. — Voyez, en outre, Symmaque, Lettres, VI, 67 et 79 ; ainsi qu’Ausone, II, 3 ; XVI, 2.

[8] Invisum pueris, virginibusque caput (tête odieuse aux jeunes garçons et aux petites filles) Martial, IX, 69.

[9] C’est sans doute à l’enseignement scolaire qu’Ovide fait allusion dans ces deux vers des Tristes (II, 369) :

Fabula jucundi nulla est sine amore Menandri

Et solet hic pueris virginibusque legi.

(Il n'est pas une pièce du divin Ménandre qui ne soit basée sur l'amour,

et pourtant on le donne à lire aux jeunes garçons et aux jeunes filles.)

Les tragédies et les poèmes épiques avaient aussi leur place dans le programme des études, suivant cette tirade de Martial (VIII, 3, 13) :

An juvat ad tragicos soccum transferre cothurnos

Aspera vel paribus bella tonare modis,

Prælegat ut tumidus te rauca voce magister

Oderit et grandis virgo bonusque puer.

(Serait-ce que tu voudrais échanger le brodequin contre le tragique cothurne, ou bien chanter la guerre et ses fureurs en hexamètres ronflants, pour avoir l'avantage d'être déclamé d'une voix enrouée par un pédant boursouflé, et pour faire la désolation de quelque fille déjà grande ou de quelque pauvre écolier ?)

Sous Honorius, Claudien, De nupt. Honorii et Mariæ, 232, dit de la fiancée de cet empereur :

. . . . . . . . . . Latios nec volvere libros

Desinit aut Graios, ipsa genetrice magistra,

Mæonius quæcunque senex aut Thracius Orpheus,

Aut Mitylenæo modulatur pectine Sappho.

Enfin, plus, tard encore, un poète chrétien, Claude Marius Victor (Ep. ad Salmonem, dans Wernsd, Pœtæ min., III, p. 108), se scandalise, en ces termes, de l’usage qui permet toujours à des vierges chrétiennes la lecture des poètes du paganisme :

. . . . . . . . . . Paulo et Salomone relicto

Quod Mato cantatur Phœnissæ et Naso Corinnæ,

Quod plausum accipiunt lyra Flacci aut scena Terenti,

Nos horum, nos causa sumus. . . . . . . . . .

[10] Pline le Jeune (Lettres, V, 16) dit de la fille de Fundanius, morte à l’âge de 14 ans : Ut nutrices, ut pædagogos, ut præceptores, pro suo quemque officio diligebat ! quam studiose, quam intelligenter lectitabat ! ut parce custoditeque ludebat ! (Et ses nourrices, ses pédagogues, ses maîtres, avec quel tact elle donnait à chacun l'affection qui convenait à sa condition. Quelle application, quelle intelligence dans ses lectures ! Quelle retenue, quelle réserve, dans ses jeux !)

[11] Q. Cæcilius Epirota, Tusculi natus, libertus Attici equitis romani, ad quem sunt Ciceronis epistolæ, cum filiam patroni nuptam M. Agrippæ doceret, suspectas in ea et ob hoc remotus. (Grammairiens illustres, 16.)

[12] III, 315 : (C'est une chose charmante qu'un chant agréable) — Ibid., 349 : (Qui peut douter que j'exige dans une jeune beauté le talent de la danse ?)

[13] Horace, Satires, I, 10, 98, dit :

Demetri teque Tigelli

Discipularum inter jubeo plorare cathedras,

(Démétrius, et toi, Tigellius, je vous envoie gémir au milieu des fauteuils de vos écolières !)

[14] Silves, III, 3, 63.

[15] Art d’aimer, III, 299 : (il est dans la démarche une grâce qui n'est point à dédaigner)

[16] Orelli, 4848.

[17] Psalteria et spadicas etiam virginibus probis recusanda (le luth et le spadix, que les jeunes filles elles-mêmes devraient s'interdire) dit Quintilien, I, 10, 31.

[18] Horace, Odes, III, 6, 22, dit :

Motus doceri gaudet Ionicos

Matura virgo  . . . . . . . . .

(La vierge nubile se réjouit d'apprendre les danses Ioniques ......)

[19] Canentibus neniam principum liberis utriusque sexus (en faisant exécuter les chants funèbres par les fils et les filles des principaux citoyens), Suétone, Octave, 100. — Dans ses Tristes, II, 23, Ovide dit même :

Ipse quoque Ausonias matresque nurusque

Carmina turrigeræ dicere jussit Opi.

(César lui-même a prescrit aux matrones et aux jeunes épouses de chanter des vers en l'honneur de Cybèle couronnée de tours)

[20] Une épitaphe, chez Mommsen (I. R. N. 1603), porte :

Bis mihi jam senos ætas compleverat annos,

Spemque dabat thalami conjugiumque (mihi).

[21] Plutarque, Parallèle de Lycurgue et de Numa, 4, 2. — Pomponius (Digeste, XXIII, 2, 4) dit positivement : Minorem annis duodecim nuptam tunc legitimam uxorem fore apud virum quum explesset duodecim annos. — Voir aussi Tertullien, De virgine velanda, 11.

[22] Tacite, Annales, XIV, 64.

[23] Ibid., XII, 9 et 58.

[24] Mais, dit Ulpien (Digeste, XXIII, 1, 12) : Quæ patris voluntati non repugnat ; consentire intelligitur. Tunc auteur solum dissentiendi a patre licentia filiæ conceditur, si indignum moribus vel turpem sponsum ei pater eligat.

[25] Pline, Lettres, II, 14.

[26] Épîtres, I, 6, 36 : (La richesse est une reine qui donne à la fois une femme avec une dot, du crédit, des amis, de la naissance et de la beauté)

[27] III, 161 : Quel pauvre a-t-on couché sur un testament ou choisi comme assesseur aux édiles ?

[28] Dion Cassius, LIV,16. — Voyez aussi Suétone, Octave, 34. — Voici dans le Digeste (XXIII, 1, 14) l’avis de Modestin à cet égard : Iu sponsalibus contrahendis ætas contrahentium definita non est, ut in matrimoniis ; quapropter et a primordio ætatis sponsalia effici possunt, si modo fieri ab utraque persona intelligatur, id est, si non sint minores quam septem annis.

[29] Cornélius Népos, Atticus, chap. XIX.

[30] Tacite, Annales, V, 9. — Dion Cassius, LVIII, 11. — Suétone, Tibère, 61, et Claude, 27.

[31] Tacite, Annales, XII, 3, 9 et 58. — Dans Juvénal (III, 111), le jeune fiancé (sponsus levis adhuc) paraît logé dans la maison du beau-père.

[32] Ulpien (Digeste, XXIII, 1, 18) dit à ce sujet : In sponsalibus constituendis parvi refert, per se et coram, an per internuntium vel per epistolam, an per alium hoc factum sit, et fere plerumque conditiones interpositis persouis expediuntur.

[33] Cicéron, ad Quint. fr., II, 6. — Festus, éd. M., p. 343. — Sénèque, De beneficiis, IV, 39, 3. — Pline le Jeune, Lettres, I, 9. — Suétone, Auguste, 53 (in turba sponsaliorum die vexatus). — Tertullien, De idol., 16.

[34] Sénèque, De matrini. — Dans S. Jérôme, ad Jovinian., I, p. 190, etc. (Haase, 111, p. 429), on lit : Adde quod nulla est uxoris electio, sed qualiscumque obvenerit, habenda. Si iracunda, si fatua, si deformis, si fœtida, quodcumque vitii est, post nuptias discimus. Equus, asinus, bos et vilissima mancipia, vestes quoque et lebetes, sedile ligneum, calix et urceolus fictilis probantur prius et sic emuntur : sola uxor non ostenditur, ne ante displiceat quam ducatur.

[35] Sur ces cadeaux, voyez Digeste, XVI, 3, 25 : Die sponsaliorum aut postea res oblatas puellæ, etc. ; Vie de Maximin le Jeune, chap. I : Desponsata illi erat Junia Fadilla... manserunt autem apud eam arræ regiæ... monolinum de albis novem, reticulum de prasinis undecim, dextrocherium cura costula de hyacinthes quatuor præter vestes, auratas et omnes regias, cæteraque insignia sponsaliorum (Il avait été fiancé à Julia Fadilla... elle conserva les cadeaux princiers... un collier de neuf perles blanches, une résille de onze émeraudes, un bracelet avec quatre hyacinthes au fermoir, et en outre des vêtements brochés d’or, tous d’une classe vraiment royale, ainsi que les autres ornements nuptiaux). — Voir aussi Code de Justinien, V, 1-3, et Code Théodosien, III, 5 ; enfin, sur la bague des fiançailles en particulier, Pline, Hist. nat., XXXIII, 12 ; Juvénal, VI, 25 ; Digeste, XXIV, 1, 36, 1.

[36] Sénèque, De matrim., éd. Haase, III, 429, dit : Honoranda nutrix ejus (uxoris) et gerula, servus paternus et alumnus et formosus assecla et procurator calamistratus et in longam securamque libidinem exsectus spado, etc.

[37] Veneri donatæ a virgine pupæ (ce que fait Vénus des poupées que lui consacrent les jeunes filles), Perse, II, 70.

[38] Claudien, sous Honorius, décrit ainsi cette toilette :

Ac velut officiis trepidantibus, ora puellæ

Spe propiore tori mater solertior ornat

Adveniente provo, vestesque et cingula comit

Sæpe manu, viridique angustat jaspide pectus,

Substringitque comam gemmis, et colla monili

Circuit, et baccis onerat candentibus aunes.

[39] Segmenta et longos habitus et flammea sumi (Des garnitures en or, de longues robes, le voile rouge du mariage), Juvénal, II, 129.

[40] Stace, Silves, II, 1229, etc. — Juvénal, II, 132.

[41] Sénèque, Controv., VII, 21, p. 222, Burs. : Indicit festum diem, aperire jubet majorum imagines.

[42] Stace, Silves, 236. — Juvénal, VI, 239. — Lucain, préface, II, 354. — Claudien, Noces d’Honorius et de Marie, 206, etc. — Apulée, Métamorphoses, IV, 81 : Consensu parentum, tabulis etiam maritus nuncupatus, ad nuptias officio frequenti cognatorum et affinium stipatus, templis et ædibus publicis victimas immolabat. Domus tota lauris obsita, tædis lucida, constrepebat hymenæum. Tunc me gremio suo mater infelix tolerans mundo nuptiali decenter ornabat (Déjà le titre de mon époux lui était conféré par l'aveu de ma famille et par les actes publics. Entouré d'un nombreux cortège de parents et d'alliés, il préludait à notre union, en offrant dans tous les temples des sacrifices aux dieux. Notre maison, tapissée de laurier, resplendissait des feux, résonnait des chants d'hyménée. Ma pauvre mère, tenant sa fille sur ses genoux, ajustait ma parure nuptiale). Cette description ne contient évidemment que ce qui était généralement usité. — Voir aussi Tacite, Annales, XI, 27.

[43] On ne saurait du moins donner une autre explication de ce vers de Juvénal (VI, 79) :

Longa per angustos figamus compita vicos.

(Dressons de longs tréteaux dans les rues étroites)

[44] Præluxere faces, velarunt flammea vultus (On a porté devant eux les flambeaux; le voile nuptial a couvert leurs visages). Martial, XII, 42, 3.

[45] Tel est du moins le sens probable de ces expressions de Stace (Silves, 231) : Effulgent compita flammis.

[46] Gremio jacuit nova nupta mariti (l’époux tient la nouvelle mariée sur ses genoux), Juvénal, II, 120. — Voir aussi Tacite, Annales, XI, 29, et Dion Cassius (XLVIII, 44), sur le repas de noce, lors du mariage d’Auguste avec Livie.

[47] Aulu-Gelle, II, 24.

[48] Il est difficile d’admettre qu’il fût appliqué aux noces du temps de Juvénal, malgré le vers 128 de sa première satire, car il n’aurait pu se dispenser, semble-t-il, d’en faire mention dans cet autre passage de la sixième, vers 202, etc. :

Ducendi nulla videtur

Causa nec est quare cenam et mustacea perdas

Labente officio crudis donanda

(Pourquoi perdre un dîner et ces massepains qu'on distribue vers la fin de la noce aux convives gavés ?)

[49] Voici textuellement ce passage (Apol., 539) : Quippe ita placuerat, in suburbana villa potius ut conjungeremur, ne cives denuo ad sportulas convolarent : quum haud pridem Pudentilla de suo quinquaginta millia nummum in populum expunxisset ea die, qua Pontianus uxorem duxit et hic puerulus toga est involutus. Præterea ut conviviis muftis ac molestis supersederemus, quæ ferme ex more novis maritis obeunda suut.

[50] Comme celui de Varron ap. Non., 247, 18 (Œhler, satire Ménippée, II, 2) : Virgo de convivio abdicatur ideo, quod majores nostri virginis acerbæ aures Veneris vocabulis imbui noluerunt.

[51] II, 501 : (A ce spectacle viennent pourtant la jeune fille, la mère de famille, le mari, les enfants ; la majeure partie du sénat y assiste)

[52] Apulée, Apol., 523, dit : Nam cum undique versum tabulis flagitaretur et quasi insanus ab omnibus obviis teneretur, Pax, inquit ; negat posse dissolvere ; anulos aureos et omnia.insignia dignitatis abjicit ; cum creditoribus depaciscitur. Pleraque tamen rei familiaris in nomen uxoris callidissima fraude confert ; ipse egens, nudus, sed ignominia sua tectus reliquit Rufino huic, non mentior, HS tricies devorandum. — Stewech. ajoute : Fraudem istius Rufini norunt quoque nostri temporis mercatores, quos videmus uxores domum ducere dote lautiore interdum quam vel maritus accipere dignus sit, vel socer potens persolvero, etc. — Voir aussi Digeste, XLII, VIII (IX) : Quæ in fraudem creditorum facta sunt, ut restituantur ; ibid. (dans Ulpien, livre LXXIII, ad edictum), § 14 : Si, quum mulier fraudandorum creditorum consilium iniisset, marito suo eidemque debitori in fraudem creditorum acceptum debitum fecerit dotis constituendæ causa, locum hahet hæc actio. — Voir en outre ibid., 17, § 2 ; 18 ; 25, § 1.

[53] Bull. de l’Inst., 1856, p. 141, 4.

[54] Tacite, Annales, III, 22.

[55] Elle porte, d’après Orelli, 639

Procurator eram Lepidæ moresque regebam.

Dum vixi mansit Cœsaris illa nurus.

Philologus discipulus

[56] Voici le portrait qu’il fait d’Ébutius, homme d’affaires de la veuve Césennia (Pro Cæc., 5, 14) : Quam personam jam cotidiana e vita cognoscitis, mulierum adsentatoris, cognitoris viduarum, defensoris nimium litigiosi, contriti ad regiam, inepti ac stulti inter viros, inter mulieres periti juris et callidi, hanc personam imponite Æbutio (Juges, vous connaissez un de ces personnages si communs dans le monde, complaisant des femmes, solliciteur des veuves, chicaneur de profession, amoureux de querelles et de procès, ignorant et sot parmi les hommes, habile et entendu avec les femmes : voilà Ébutius).

[57] A savoir : Mortua quidem uxore, ex quo filium habebat, durit aliam ; sustulit ex ea filium. Habebat procuratorem in domo speciosum. Cum frequenter essent jurgia novercæ et privigni jussit eum emigrare. Ille trans parietem habitationem conduxit. Rumor erat de adulterio procuratoris et matris familiæ. — Le mari ayant été ensuite assassiné, le soupçon tomba naturellement sur le procureur (Sénèque, Controv., VII, 20, éd. Bursian).

[58] Procurator calamistratus (Sénèque, De matrim., éd. Haase, III, 429)

[59] Saint Jérôme, qui a emprunté ce type, avec beaucoup d’autres, à Sénèque, dit dans une de ses Lettres (54, 13) : Nec procurator calamistratus, nec formosus collactaneus, nec candidus et rubicundus assecla adherant lateri tuo ; puis (ibid., 79, 9) : Non ambulet juxta te calamistratus procurator, non histrio fractus in feminam, non cantoris diabolici venenata dulcitudo, non juvenis volsus et nitidus.

[60] XIII, 12. — Voir aussi ibid., XII, 75, 6, où il dit :

Horum delicias superbiamque

Et fastus querulos, Avite, malo

Quam dotis mihi quinquiens ducena.

(Voilà ceux, mon cher ami, dont les douces faveurs, les dédains, les caprices sont préférables à une dot d'un million de sesterces.)

[61] VI, 460, et 136, etc.

[62] Sénèque, éd. Haase, III, p. 434 : Nam quid de viris pauperibus dicam, quorum in nomen mariti ad eludendas leges quæ contra cœlibes latæ sunt pars magna conducitur ? Quomodo potest regere mores et præcipere castitatem et mariti auctoritatem tenere qui nupsit ? — S. Jérôme, Lettres, 10 : Unde et pauperes eligunt, ut nomen tantum virorum habere videantur, qui patienter rivales sustineant : si mussitaverint, illico projiciendi.

[63] Voir Jahn, à propos d’un passage de Perse (V, 169, p. 207).

[64] Quem enim Romanorum pudet uxorem ducere in convivium, aut cujus materfamilias non primum locum tenet ædium atque in celebritate versatur ? (Cornélius Népos, préface, 8.)

[65] Naudet, De la noblesse, p. 101.

[66] D’Héliogabale, son biographe (chap. IV) dit : Fecit et senaculum, id est mulierum senatum, in quo ante fucrat conventus matronarum solemnibus duntaxat diebus, et si unquam aliqua matrona consularis conjugii ornamentis esset donata : quod veteres imperatores affinibus detulerunt, et his maxime quæ nobilitatos viros non habuerunt, ne innobilitatæ remanerent (Il installa également sur le Quirinal un mini-Sénat, c'est-à-dire un Sénat de femmes, là où s'étaient tenues autrefois des réunions de matrones, mais uniquement en des occasions solennelles et s'il arrivait que l'une d'entre elles ait reçu les ornements du mariage consulaire ; les anciens empereurs accordaient ceux-ci à leurs parentes, et spécialement à celles qui n'avaient pas épousé un noble, pour éviter qu'elles ne perdent leur rang).

[67] Ulpien, livre II, de censibus (Digeste, I, 9, 12) : Nuptæ prius consulari viro impetrare solent a Principe, quamvis perraro, ut nuptæ iterum minoris dignitatis viro, nihilominus in consulari maneant dignitate ; ut scio Antoninum Augustum Juliæ Mammæœ consobrinæ sum indulsisse.

[68] Dion Cassius, LXXIX, 15.

[69] Ce jurisconsulte dit, livre LXII, ad edictum (Digeste, I, 9, 1) : Consulari feminæ utique consularem virum præferendum nemo ambigit. Sed vir præfectorius an consulari feminæ præferatur videndum. Putem præferri, quia major dignitas est in sexu virili ; puis § 1 : Consulares autem feminas dicimus consularium uxores ; adjicit Saturninus etiam matres, quod nec usquam relatum est, nec usquam receptum.

[70] En ces termes : [Agrippina] in conventu matronarum correpta jurgio atque etiam manu pulsata.... a matre Lepidæ ([Agripinne] mit si bien tout en jeu pour le séduire, que la mère de Lepida lui en fit des reproches dans un cercle de femmes).

[71] Vie d’Héliogabale, chap. IV.

[72] Vie d’Aurélien, XLIX : Quæ sacerdotia senatu auctore meruissent (celles qui auraient, avec l'accord du Sénat, obtenu des sacerdoces).

[73] Ibid. : Calceos mulleos et cereos et albos et hederaceos viris omnibus tulit, mulieribus reliquit (Il interdit à tous les hommes l'usage de chaussures rouges, jaunes, blanches ou d'un vert couleur de lierre, mais il les toléra pour les femmes).

[74] Sénèque, De matrini. — S. Jérôme, éd. Haase, III, 429 : Vocanda domina, celebrandus natalis ejus, etc. — Épictète, Manuel, 40. — Digeste, XXXII, 41 (Scævola) : Uxorem et filiam communem heredes instituit ; et uxoris fidei commisit in hæc verba : peto a te, domina uxor, ne, etc. — Voir aussi Ovide, Tristes, IV, 3, 9 ; V, 5, 1. — Suétone, Claude, 39. — Orelli, 2663. — Renier, Inscript. de l’Algérie, 624.

[75] De Rossi, Inscriptions chrétiennes ; 78 (344) : Dominæ conjugi Tigridi.

[76] Juvénal, VI, 212 ; etc.

[77] Martial, X, 64 :

Contigeris, regina, meos si forte libellos, etc.

(ma reine, si mes livres te tombent sous la main,...)

[78] Nihil tutum est in quod totius populi vota suspirant : alius forma, alius ingenio, alius facetiis, aliusliberalitate sollicitat : aliquo modo vel aliquando expugnatur quod undique incessitur. (Sénèque, éd. Haase, III, p. 420.)

[79] Hist. nat., XVII, 245 : M. Messallæ, C. Cassii censorum lustro, a quo tempore pudicitiam subversam Piso gravis auctor prodidit.

[80] Dion Cassius, LIV, 16.

[81] Odes, III, 6, 17 etc. ; 24, 20.

[82] II, 6, 25 ; 32, 49 etc. ; III, 12, 17 ; 13, 23

Hoc genus infidum nuptarum, hic nulla puella,

Nec rida Euadne, nec pia Penelope.

(on ne trouve plus de constance ni dans l'épouse ni dans l'amante ; on ne sait plus aimer comme Pénélope, ni demeurer fidèle comme Evadné).

[83] Comme dans les Amours, par exemple, I, 8, 43 :

Ludunt formosæ, casta est quam nemo rogavit :

Aut, si rusticitas non vetat, ipsa rogat.

(Jeunes beautés, jouissez de vos charmes, celle-là seule est chaste dont personne n'a voulu).

Et ibid., III, 19, mais surtout III, 4, 37 :

Rusticus est nimium quem lædit adultera conjux,

Et notos mores non satis urbis habet.

(C'est n'être qu'un sot que de s'offenser de l'adultère de sa femme : c'est ne pas connaître assez les mœurs de la ville).

[84] Consolations à Helvie, 16, 3, et à Marcie, 24, 3.

[85] De beneficiis, I, 9, 3.

[86] Vespasien, chap. XIII.

[87] Gravibus senatus decretis libido feminarum cœrcita [le sénat rendit, contre les dissolutions des femmes, plusieurs décrets sévères] (Tacite, Annales, II, 85) ; et ailleurs : Auctor fuit senatui decernendi ut quæ se alieno servo junxisset ancilla haberetur.

[88] De Mor. Germ., chap. XIX.

[89] IV, 71 : Depuis longtemps, Sophronius Rufus, je cherche dans Rome entière une jeune fille qui refuse ; et jamais un refus !

[90] Histoire Auguste, Vie de Marc Antonin, chap. XXIII.

[91] Saumaise, sur Tertullien, De pall., p. 301, etc.

[92] Suétone, César, chap. XLIII : Diremit nuptias prætorii viri, qui digressam a marito post biduum statim duxerat, quamvis sine probri suspicione (Il déclara nul le mariage d'un ancien préteur qui avait épousé une femme séparée depuis deux jours seulement d'avec son mari, et cela sans qu'il y eût soupçon d'adultère). — Le même, Tibère, chap. XXXV. Alium et quæstura removit, quod uxorem pridie sortitionem ductam postridie repudiasset (Il destitua un questeur pour avoir répudié le lendemain du tirage au sort une femme qu'il avait épousée la veille).

[93] De Beneficiis, III, 16, 2.

[94] Satires, VI, 223.

[95] Apologétique, 6. — Voir aussi Martial, VI, 7 :

Aut minus, aut certe non plus tricesima lux est,

Et subit decimo jam Telesilla viro.

(trente jours au plus, moins peut-être, se sont écoulés et Thelesina en est déjà à son dixième époux).

[96] Juvénal, Satires, VI, 281 :

Olim convenerat, inquit,

Ut faceres tu quod velles, nec non ego posseni

Indulgere mihi.

(Il avait été convenu, que tu ferais ce que tu voudrais et que j'aurais le droit de vivre à ma guise).

[97] Pétrone, c. XLV, mentionne : Dispensatorem Glyconis, qui deprehensus est, cum dominam suam delectaretur (l'intendant de Glycon, qui s'est fait pincer pendant qu'il était en train de combler d'aise sa maîtresse). — Citons aussi c. CXXVI, ainsi que ces vers de Martial (VI, 39) :

Pater ex Marulla, Cinna, factus es septem

Non liberorum : namque nec tuus quisquam,

Nec est amici filiusve vicini,

Sed in grabatis tegetibusque concepti

Materna produnt capitibus suis furta.

(Sept fois Marulla t'a rendu père, mais tu n'as pas, Cinna, un seul enfant de race libre : car aucun d'eux n'est de toi, ni d'un ami, ni d'un voisin ; tous conçus ou sur des grabats, ou sur des nattes, trahissent par leur physionomie, les infidélités de leur mère).

[98] II, 6, 27-34. — Voir. aussi Sénèque, Controv., V, 33, p. 250, éd. Schott, et Raoul-Rochette, Peinture antique, p. 263, etc.

[99] Germanie, c. XIX : Ergo sæptæ pudicitia agunt, nullis spectaculorum illecebris, nullis conviviorum irritationibus corruptæ (Aussi vivent-elles sous la garde de la chasteté, loin des spectacles qui corrompent les moeurs, loin des festins qui allument les passions).

[100] Satires, VI, 87 : Je vais t'étonner plus encore, elle a renoncé aux Jeux et à Pâris.

[101] Silves, III, 5, 15.

[102] On voit des femmes brillamment parées courir aux spectacles où la foule se porte.

[103] Tertullien, Des spectacles, chap. XXV : Imo in omni spectaculo nullum magis scandalum oceurrit, quam ipse ille mulierum et virorum, accuratior cultus. Ipsa consensio, ipsa in favoribus aut conspiratio aut dissensio inter se de commercio scintillas libidinum conflatullant. Nemo denique in spectaculo ineundo (quidquam ?) prius cogitat nisi videri et videre (quel scandale plus criant dans tous ces spectacles que le luxe des parures, que ce mélange des sexes assis sur les mêmes degrés, que ces cabales prenant parti pour ou contre, réunion où s'allument les feux de la concupiscence ? Ajoutez à cela que la première pensée qui conduit au théâtre, c'est de voir et d'être vu). — Dans un conte d’Apulée (Métamorphoses, VI, 16), Vénus demande de l’huile cosmétique, parce que, dit-elle, me necesse est indidem delitam theatrum deorum frequentare (je veux m'en servir avant de paraître au théâtre de l'Olympe). — Voir aussi Plutarque, Consol. ad uxorem, chap. IV, p. 619.

[104] Hist. nat., XXXIII, 3, 63. — Tacite, Annales, XII, 56. — Dion Cassius, LX, 33.

[105] Juvénal, Satires, VII, 143.

[106] Ibid., VI, 350.

[107] Dittricus, De cathedris feminarum romanarum, p. 14, etc.

[108] Satires, XI, 201 etc.

[109] Ovide, Art d’aimer, I, 135, etc.

[110] Le même, Amours, III, 2.

[111] Cyprien, ad. Donat., p. 5, éd. d’Oxford : Qum pudica forsitan ad spectaculum matrona processerat, de spectaculo revertitur impudica. — Lactance, Institut., XX, 6, 30.

[112] Voir Becker, Gallus, II, 3, 151, etc. — Digeste, I, 6, 2 : Divus quoque Hadrianus Umbriciam quamdam matronam in quinquennium relegavit, quod ex levissimis causis ancillas atrocissime tractasset.

[113] Martial, III, 86 : Je t'ai prévenue et avertie, femme chaste, de ne pas lire cette partie libertine de mon petit livre ; et pourtant tu la lis. Mais, si malgré ta chasteté, tu vas voir Panniculus et Latinus, mes vers ne sont pas plus indécents que leurs mimes : lis-les donc.

[114] Pline le Jeune, Lettres, VII, 24.

[115] Quadrigarii, scenici, xystici, arenarii (Tertullien, Des spectacles, chap. XXII).

[116] Satires, VII, 78-113.

[117] Suétone, Octave, chap. XLV : Histrionum licentiam ita compescuit, ut Stephanionem togatarium, cui in puerilem habitum circumtonsam matronam ministrasse compererat, per trina theatra virgis cæsum relegaverit (Il réprima avec tant de rigueur la licence des histrions, qu'il fit battre de verges sur trois théâtres, Stéphanion, et l'exila ensuite, parce qu'il avait appris que cet acteur se faisait servir par une matrone, vêtue en jeune garçon, et rasée autour de la tête, comme un esclave). — Hist. Auguste, Vie de Pertinax, chap. XIII : Circa uxoris pudicitiam minus curiosus fuit, quum palam citharœdum illa diligeret (Il ne s'intéressa pas beaucoup à la fidélité de sa femme, qui pourtant le trompait ouvertement avec un citharède).

[118] Satires, VI, 73-77. — Voir aussi Martial, XIV, 215.

[119] Satires, VI, 379-397.

[120] Sénèque, Qu. nat., VII, 32, 3 : Privatum urbe tota sonat pulpitum, in hoc viri, in hoc feminæ tripudiant, mares inter se uxoresque contendunt, uter det latus illis (Rome entière retentit des danses auxquelles se livrent les deux sexes sur des théâtres privés. Le mari, la femme, se disputent chacun leur partenaire).

[121] Dion Cassius, LVII, 21, et Tacite (Annales, IV, 14), qui parle d’un bannissement des histrions en l’an 23.

[122] Dion Cassius, LX, 22 ; 28 ; 31. — Tacite, Annales, XI, 4 ; 36.

[123] Suétone, Domitien, chap. III et X.- Dion Cassius, LXVII, 3. — Aurelius Victor, Césars, 11, 7 ; Épitomé, 11, 1.

[124] Hist. Auguste, Vie de Marc Antonin, chap. XXIII.

[125] Galien, De prognosi ad Epiq., p. 457, K. XIV, 631.

[126] Quintilien, Inst. or., I, 2, 8 : Omne convivium obscenis canticis strepit, pudenda dictu spectantur (Ils sont témoins de nos amours et de nos passions les plus infâmes ; il n'est point de repas qui ne retentisse de chants obscènes) ; comme, par exemple, les vasa adulteriis cælata mentionnés par Pline l’Ancien (Hist. nat., XIV, 140).

[127] Plutarque, Qu. conv., VII, 3, 4, 4.

[128] Juvénal, XI, 162, etc.

[129] Ovide, Art d’aimer, I, 229 etc.

[130] Nam M. Luculli uxorem Memmius suis sacris initiativit. Menelaus ægre id passus divortium fecit. Quamquam ille pastor Idæus Menelaum solum contempserat, hic noster Paris tam Menelaum quam Agamemnonem liberum non putavit (Memmius ayant initié la femme de M. Lucullus à ses propres mystères. Ménélas se fâche et divorce. Mais le pasteur d'Ida n'avait outragé qu'un des deux frères. Le Pâris d'aujourd'hui s'en est pris à la fois à Ménélas et à Agamemnon). (Ad Atticum, I, 18, 5.) Voir aussi Martial, I, 62, 5, et Lucille, Épigr., 9 (Anthologie de Jacobs, III, 30.)

[131] Pontiques, 17, 75-90.

[132] Amours, I, 4, 19 : Sans que je recoure à la parole, l'expression de mes sourcils t'expliquera ma pensée ; tu la liras sur mes doigts, tu la liras aussi dans quelques gouttes de vin répandues sur la table.

[133] Ibid., 31 : Lorsque tu appelleras sur la tête de ton mari tous les maux qu'il mérite, exige qu'il boive lui-même le vin qu'il t'aura versé ; puis, tout bas, demande à l'esclave le vin que tu préfères.

[134] Art d’aimer, 1, 575 : Empare-toi le premier de la coupe qu'ont touchée ses lèvres, et du côté où elle a bu, bois après elle.

[135] Ovide, Pontiques, 16, 241, etc. ; 225, etc. ; 17, 75-90.

[136] Valère Maxime, II, 1, 2 : Feminæ cum viril cubantibus sedentes cænitabant ...... Quod genus severitatis ætas nostra diligentius in Capitolio quam in domibus suis conservat, videlicet quia magis ad rem pertinet deorum quam mulierum disciplinam contineri (Dans les repas les hommes avaient l'habitude de se tenir couchés et les femmes d'être assises ...... Ces mœurs sévères, notre âge les conserve avec plus de soin au Capitole que dans les maisons particulières. C'est probablement que les déesses ont à cœur plus que les femmes le maintien de la discipline).

[137] Annales, XVI, 34 : Illustrium virorum feminarumque cœtus frequentes egerat ([Thraséas] avait réuni un cercle nombreux d'hommes et de femmes distingués).

[138] Ovide, Art d’aimer, 1, 67 etc. ; III, 387 etc. ; Remèdes d’amour, 627. — Properce, II, 23, 5 ; III, 32, 11.

[139] Comme Bagoas, d’après le nom seul, dans Ovide, Amours, II, 2.

[140] Ovide, Art d’aimer, II, 209 ; voir aussi Amours, III, 11, 17.

[141] Juvénal, VI, 349, dit à ce sujet :

Jamque eadem summis pariter minimisque libido,

Nec melior silicem pedibus quæ conterit atrum

Quam quæ longorum vehitur cervice Syrorum.

(Grandes dames ou plébéiennes, toutes se valent ; celle qui marche à pied sur le pavé boueux n'a pas moins de vices que celle qui se fait porter sur les épaules de ses longs Syriens).

[142] Dion Cassius, LVII, 15. — Lipsius (Elect., I, 8) mentionne des exemples de femmes qui, sans être de condition sénatoriale, firent, à des époques diverses, usage de la litière.

[143] Suétone, César, chap. 43.

[144] Le même, Domitien, chap. 8.

[145] Plutarque, de Curiositate ; chap. XIII, p. 522 A.

[146] De Beneficiis, I, 9, 3 : Rusticus, inhumanus ac mati moris et inter matronas abominanda conditio est, si quis conjugem suam in sella prostare vetuit et vulgo admissis inspectoribus perspicuam ferri undique (Il n'y a qu'un rustre, un homme grossier et de mauvaise compagnie, perdu d'honneur chez les matrones, qui puisse vouloir l'empêcher de se donner en spectacle dans une litière découverte, exposée aux regards de tous les curieux). — De remed., 16, 7, éd. Haase, p. 457 : Duc (uxorem)... non quam in patente sella circumlatam per urbem populus ab omni parte asque quam maritus inspexerit.

[147] Juvénal, VI, 246-267 ; voir aussi 421. — Martial, VII, 67.

[148] Juvénal, VI, 429 etc. — Sénèque, Lettres, 95, 20. Non minus pervigilant, non minus potant, et oleo et mero viros provocant ; æque invitis ingesta visceribus per os reddunt et vinum omne vomitu remetiuntur, etc.

[149] Juvénal, VI, 242-245.

[150] Le même, II, 53 : Peu de femmes luttent, peu de femmes mangent les boulettes de viande des athlètes.

[151] Le même, VI, 398-412.

[152] Suétone, Octave, chap. 84.

[153] A Helvie, 19, 2.

[154] Josèphe, Antiquités judaïques, XX, 11, 1.

[155] Philostrate, Vies des sophistes, II, 30.

[156] Sénèque, à Helvie, 14, 2.

[157] Tacite, Annales, II, 55 : Nec Plancina se intra decora feminis tenebat, sed exercitio equitum, decursibus cohortium interesse (Plancine, de son côté, oubliant les bienséances de son sexe, assistait aux exercices de la cavalerie, aux évolutions des cohortes).

[158] Dion Cassius, LIX, 18.

[159] Annales, III, 33 : Non imbecillum tantum et imparem laboribus sexum, sed si licentia adsit, sævum, ambitiosum, potestatis avidum : incedere inter milites, habere ad manum centuriones ; præsedisse nuper feminam exercitio cohortium (Plancina), decursu legionum. Cogitarent ipsi quotiens repetundarum aliqui arguerentur, plura uxoribus objectari ; his statim adhærescere deterrimum quemque provincialium, ab his negotia suscipi, transigi ; duorum egressus coli, duo esse prætoria, pervicacibus magis et impotentibus mulierum jussis, quæ Oppiis quondam aliisque legibus constrictæ, nunc vinclis exsolutis domos, fora, jaco exercitum regerent (Leur sexe n'était pas seulement faible et incapable de soutenir la fatigue : il devenait, quand on le laissait faire, cruel, ambitieux, dominateur. Elles se promenaient parmi les soldats ; les centurions étaient à leurs ordres. [Plancine] avait présidé naguère aux exercices des cohortes, à la revue des légions. Le sénat savait que, dans tous les procès de concussion, la femme était la plus accusée. C'était à l'épouse du gouverneur que s'attachaient d'abord les intrigants d'une province ; elle s'entremettait des affaires, elle les décidait. A elle aussi on faisait cortège en public ; elle avait son prétoire, et ses ordres étaient les plus absolus, les plus violents. Enchaînées jadis par la loi Oppia et par d'autres non moins sages, les femmes, depuis que ces liens étaient rompus, régnaient dans les familles, dans les tribunaux et jusque dans les armées).

Juvénal aussi dit, dans sa huitième satire (vers 128) :

. . . . . . . . . .Si nullum in conjuge crimen

Nec per conventus et cuncta per oppida curvis

Unguibus ire parat, nummos captura Celæno ; etc.

(...... si ta femme est sans reproches et ne songe pas à courir les chefs-lieux et les villes, comme une Celano aux ongles crochus, pour accrocher de l'argent ......).

[160] Quintilien, Inst., I, 6, dit : In parentibus vero quam plurimum eruditionis esse optaverim. Nec de patribus tantum loquor (Pour ce qui est des parents, je voudrais en eux beaucoup de savoir ; et ici je ne parle pas seulement des pères).

[161] Silves, II, 7, 83.

[162] II, 281 : Il y a pourtant quelques femmes instruites, mais elles sont bien rares ; les autres ne savent rien et veulent paraître savantes.

[163] Lettres, IV, 19.

[164] Ovide, Art d’aimer, III, 479 :

Munda sed e medio consuetaque verba, puelle,

Scribite ; sermonis publica forma placet.

Ah ! quotiens dubius scriptis exarsit amator,

Et nocuit forme barbara lingua bonæ !

(Faites qu'il espère et craigne en même temps, et qu'à chaque refus ses espérances s'accroissent et ses craintes diminuent. Vos réponses doivent être d'un style pur, mais simple et familier: les termes usités sont ceux qui plaisent le plus. Que de fois une lettre alluma dans un cœur un amour jusque-là hésitant et douteux !)

[165] Pline le Jeune, Lettres, I, 16, 6 : Qui uxorem, quam virginem accepit, tam doctam politamque reddiderit (Pour avoir su donner à sa femme, qu'il a épousée, si jeune, tant de culture et de finesse).

[166] VI, 185 etc. — Martial, X. 68.

[167] IV, 1160, etc.

[168] X, 35, 15 et VII, 69. — Voir aussi Lucien, De mercede cond., 36.

[169] C. I. Gr., 4725, 27, 29, 30 et 31.

[170] Recueil des inscriptions, II, p. 350.

[171] Satires, VI, 434-456, où le scholiaste ajoute : Statiliam Messalinam insectatur, quæ post quatuor matrimonia diverso exitu soluta postrerno Neroni nupsit. Post quem interemptum et opibus et forma et ingenio plurimum viguit. Consectata est ûsum eloquentiæ usque ad studium declamandi.

[172] XI, 19 : Tu me demandes, Galla, pourquoi je ne veux pas t'épouser ? C'est que tu es puriste, et que ma mentule fait souvent des solécismes.

[173] Sénèque, Consolations à Helvie, 17, 4 : Utinam quidem virorum optimus, pater meus, minus majorum consuetudini deditus, voluisset te præceptis sapientiæ erudiri potius quam imbui !... propter istas quæ litteris non ad sapientiam utuntur sed ad luxuriam instruuntur, minus te indulgere studiis passus est (Plût au ciel que, moins attaché aux usages de ses ancêtres, ce père, le meilleur des époux, n'eût pas borné à une légère teinture votre étude de la philosophie... L'exemple des femmes, pour qui les lettres sont un moyen de corruption plutôt que de sagesse, força mon père à modérer votre passion pour l'étude).

[174] Musonius Rufus, exe. e manuscr. Flori ; Jean Damascène, dans Stobée, Florileq., éd. Meineke, IV, 222, 38, etc.

[175] Stobée, ibid., et p. 216.

[176] Plutarque, Conjug. præc., c. XVIII, p. 145.

[177] Voir à ce sujet ce que Plutarque (Pompée, chap. LV) dit de Cornélie, femme de ce dernier.

[178] Sénèque, à Marcie, 4 et 5.

[179] Plutarque, Poplicola, c. XVII, extr.

[180] Dion Cassius, LXXV, 15.

[181] Philostrate, Vies des sophistes, II, 30.

[182] Le même, Apollonius de Tyane, éd. K., p. 3, 2.

[183] De theriac. ad Pisonem, p. 458, K., XIV, p. 218.

[184] Épictète, Fragments, 53, éd. Dubner.

[185] Lucien, les Fugitifs, 18.

[186] Lucien, De merc. cond., 36 et 32.

[187] Juvénal, VI, 511, etc.

[188] Juvénal, VI, 532, etc. — Tibulle, I, 3, 23, etc.

[189] Josèphe, Antiquités judaïques, XVIII, 3, 4.

[190] Minucius Felix (Octavius, p. 67, Muralt, p. 37), dit : Ubi autem magis a sacerdotibus quam inter aras et delubra conducuntur stupra, tractantur lenocinia, adulteria meditantur ? Frequentius dehique in ædituorum cellulis quam in ipsis lupanaribus flagrans libido defungitur. — De même Tertullien : Si adjiciam.... in templis adulteria componi, inter aras lenocinia tractari, in ipsis plerumque ædituorum et sacerdotum tabernaculis, sub iisdem vittis et apicibus et purpuris thure flagrante libidinem expungi (Si j'ajoutais... c'est dans les temples que se concertent les adultères, que c'est entre les autels que se traitent les marchés infâmes, que c'est le plus souvent dans les cellules mêmes des gardiens du temple et des prêtres, sous les bandelettes, les bonnets et la pourpre, que la passion s'assouvit), etc. (Apologétique, chap. XV) ; puis, dans un autre passage, il fait parler ainsi l’Idolâtrie personnifiée : Sciunt luci mei et mei montes et vivie aquœ ipsaque in urbibus templa quantum evertendæ pudicitiæ procurernus.... sciunt homines venenarii, sciunt magi, quot pellicatus ulciscar, quot rivalitates defendam, quot custodes, quot delatores, quot conscios auferam. Sciunt etiam obstetrices quot adulteri conceptus trucidentur (Je procure mainte occasion à l'adultère. Mes bois sacrés, mes montagnes, mes eaux vives, et aussi les temples des villes, savent combien j'aide à ruiner la pudicité... Sans parler des tragédies, les empoisonneurs, les magiciens, savent combien de séductions je venge, combien de rivalités j'écarte, combien de gardiens, de délateurs, de complices je supprime. Elles savent aussi, les sages-femmes, combien de conceptions adultères sont immolées). (De pudicitia, chap. V.)

[191] Art d’aimer, I, 75, etc.

[192] Josèphe, Antiquités judaïques, XX, 8, 11 ; 11, 1.

[193] Tacite, Annales, XVI, 6.

[194] Josèphe, Antiquités judaïques, XVIII, 3, 5. — Voir aussi Tacite, Annales, II, 85.

[195] Annales, XIII, 32.

[196] Hist. ecclés., VI, 19.

[197] Suidas, à l’art. Origène.

[198] Voir aussi De Rossi, Roma sotterranea christiana.

[199] Strabon, I, 7, p. 297.

[200] Sextus l’Empirique, 739, 29, copié par Hippolyte, Réfutat., IV, 4.

[201] Horace, Épodes, 5. — Ovide, Amours, 1, 8. — Properce, IV,. 5. — Martial, IX, 29. — Lucien, Dial. meretr., 4.

[202] Conj. præc., 5 et 48.

[203] Apol., 448.

[204] Voir aussi Josèphe, Antiquités judaïques, VIII, 2, 5.

[205] Lucien, Philopseudès, 34.

[206] Lucien, Philopseudès, 16. — Voir aussi Apulée, Métamorphose, II, 39, et Philostrate, Apollonius de Tyane, I, 8.

[207] Lucien, Alexandre, 3, 11, 39, 42.

[208] Vies des sophistes, II, 5,

[209] Φώς τής οίxίας, lumen domus. C. I. Gr., III, 6184.

[210] Tacite, Annales, VI, 10.

[211] Ibid., XV, 64 ; XVI, 10, etc., 30, etc.

[212] Le même, Histoires, I, 3.

[213] C. I. Gr., III, 5757. — On ne sait point à quelle époque ; peut-être en l’an 19, sous Tibère.

[214] Une épitaphe en vers grecs dans l’Anthologie grecque, IV, p. 256 (epigr. adeop. 658), témoigne d’un autre dévouement pareil.

[215] Tacite, Annales, XVI, 34.

[216] Pline le Jeune, Lettres, VII, 19.

[217] Ibid., IX, 13.

[218] Orelli, 4636 (Rome).

[219] Ibid., 4860 (Rome).

[220] Voir Orelli, 2,742 (ou Fabretti, 31, LIX, concernant la femme d’un centurion) ; 4,530, épitaphe de celle d’un affranchi de Marc-Aurèle ; Gruter, 748, 4 ; 1,141, 1 ; Bull. de l’Inst., 1862, p. 220 (univiriæ.... virginali suæ, pro castitate), inscription trouvée à Pouzzoles. — Inscriptions de l’Algérie, 1,987 : D. m. Geminia ingenua univira, conservatrix, dulcissima mater, omnium hominum parens, omnibus subveniens, innocens, castissima, præstans, rarissima, v. annis LXXXI, etc. — Anthologie grecque, IV, 252, adeop. 641, 5. — Letronne, Recherches, p. 374. — Tertullien, Exhortation à la chasteté, 13 ; sur la monogamie, 1, 7. — Histoire Auguste, les trente Tyrans, chap. XXXII. — S. Jérôme, adv. Jovin.

[221] Orelli, 2,677.

[222] Aulu-Gelle, XII, 1 et 17 (externæ et barbaræ nationis).

[223] Marini, Insc. Alb., p. 100 (Rome).

[224] Orelli, 4,623 (Pise).

[225] Henzen, 7,388 (Bénévent). — Ou bien : Ego tu mi quod facere debuisti, mi qui faciat nescio. (Bull. de l’Inst., 1862, p. 62.)

[226] Orelli, 4,662 (Narbonne).

[227] Orelli, 4,626, etc. (Rome et Pola).

[228] Henzen, 7,385 (Rome).

[229] Orelli, 4,530 (Rome).

[230] Henzen, 7,386.

[231] Orelli, 7,382 (Rome).

[232] Pline le Jeune, dans ses Lettres (II, 20), raconte que Regulus ayant demandé à Véranie malade : Quo die, qua hora nata esset ? Ubi audivit, componit vultum, intendit oculos, movit labra, agitai digitos, computat, nihil nisi ut diu miseram exspectatione suspendat. Habes, inquit, climactericum tempus, sed evades (Il s'assied tout prés de son lit, lui demande le jour, l'heure de sa naissance. A peine a-t-il entendu la réponse, qu'il compose son visage, tient les yeux fixes, remue les lèvres, compte sur ses doigts, sans rien dire, après avoir longuement tenu en suspens l'esprit de la pauvre malade : Vous êtes, dit-il, dans votre année critique, mais vous en réchapperez).

[233] Orelli, 4,775 (Rome).

[234] Orelli, 4,639 (Rome).

[235] Ibid., 4,649 : Anicia P. J. Glycera fui. Dixi de mea vita satis. Fui probata, quæ viro placui bouc, qui me ab imo ordine ad summum perduxit honorem.

[236] Voir pour celles-ci De Rossi, Inscr. chrét., 62, 98 et 99.