Partage du territoire envahi. - Désagrégation de la
confédération aryenne. - Bassin du Gange. - Roudra, maître des vents
purificateurs et terribles. - L’orage-combat. - Œuvres positives du soleil. -
Assemblées. - Premier temple clos. - Influence des noirs Dasyous. - Nouvelle
marche vers l’est. - SOUDAS, comme roi, fit le partage de la terre conquise. Il
semble qu’un certain nombre d’Aryas franchirent alors Un grand nombre d’Aryas étaient restés aux bords immédiats
de Cependant, le passage des Marouts, parfois, est un fléau ; ils renversent les maisons, ils tordent et déracinent les arbres des forêts, ils détruisent les larges récoltes, ils fauchent les hommes à ras de terre, en un éclair. A ces Marouts rapides, formidables, furieux, qui, sur leur route, courbent tout ce qui est sous le soleil, tout ce qui n’est pas abrité, à ces cyclones dévastateurs, les prêtres adressent des paroles suppliantes. Si les Aryas ont péché, ce n’est que par faiblesse humaine ; pourquoi les punir si durement ! Un poète observe que le déchaînement des Marouts se manifeste sous deux formes différentes. Tantôt, grondant au centre de l’orage, ils se précipitent, invisibles, sur la terre qu’ébranlent leurs clameurs ; tantôt, venus de l’horizon, audacieusement, à découvert, on les voit passer, masse irrésistible faite de sables soulevés et d’eaux fouettées en poussière. Autre observation : Les serpents abondent sur les rives du
Gange et de Les hymnes disent deux vœux principaux : ils demandent des vents purificateurs à Roudra, aux Marouts, et des pluies fécondantes au dieu-foudre. L’antique combat d’Indra contre les nuages dérobant les eaux, que les Marouts poussaient vers le pays des Aryas, est maintenant un drame complet, où le dieu remplit son rôle, où interviennent des personnages nouveaux. Le mystère védique entre dans un cadre humain. Jadis, en Sapta-Sindhou, les nuages, outres pleines, brebis à la blanche toison, vaches aux mamelles énormes, poussés de l’ouest à l’est par les Marouts, rencontraient Indra armé de son tonnerre, qui crevait les outres, ou transperçait les brebis, ou fendait les mamelles des vaches, afin que l’eau, ou le sang, ou le lait céleste se répandît sur la terre ; et il pleuvait. Le conducteur des nuages recélant les eaux, c’était Ahi, personnalité vague, à formes changeantes, toujours vaincu par Indra et toujours renaissant. En dramatisant cette idée védique, les chantres donnent à Ahi une forme définitive : c’est un serpent dont le corps vaporeux glisse dans les airs, rassemblant des montagnes de nuages. Ahi n’est plus seul ; il est servi par Çusna, le sec, qui retient les eaux, les refusant à la terre comme un avare, et par Vritra, qui couvre les nuages d’une épaisse vapeur et cache ainsi le trésor dérobé. Indra s’avance, armé, résolu, sûr de lui-même ; il frappe Ahi, le brise, le tue et, vainqueur, répand les ondes, déchaîne les torrents. D’autres personnages vont agir dans ce drame religieux. Le serpent Ahi, le dérobant Vritra et l’avare Çusna ont à leurs ordres les Rakchasas et les Bhoutas, génies nocturnes, monstres insaisissables, faits d’ombre et de laideur, que les poètes seuls ont vus dans leurs rêves d’hallucinés. Indra triomphe de tous ces ennemis, mais non plus comme un dieu mettant en œuvre, et sans effort, sa supériorité incontestable, mais comme un chef, comme un maître, comme un roi affirmant son pouvoir, c’est-à-dire sa force. Il agit en prince souverain. Dans les hymnes qui célèbrent cette victoire, il est dit Arya, vénérable, noble ; Susipra, au beau nez, marque caractéristique de la race aryenne pure ; Kchatriya, guerrier ; Div, paré de vêtements blancs ; Çakra, tout puissant ; Râja, roi. Aucun de ces attributs n’est mystérieux. Un homme très supérieur pourrait être ainsi qualifié. L’imagination aryenne, devenue pesante, s’élève peu
au-dessus des réalités ; la pensée des chantres ne plane plus ; les faits
positifs l’emportent sur les rêveries. Il est probable que les prêtres
s’enivrent moins devant l’autel. La foi religieuse des Aryas, intimidée par
tant de revers, devenue soupçonneuse, réclame des preuves, au moins de
suffisantes démonstrations. Les prêtres, d’ailleurs, désirant s’expliquer les
phénomènes qu’ils ont divinisés et dont ils souffrent, observent, comparent,
étudient. Le premier résultat de cette résolution est la modification
complète de la conception védique d’Indra. Le dieu tout puissant, qui était
l’adversaire des nuages, est en même temps leur père,
leur auteur. Les nuages ne sont que des vapeurs d’eau accumulées ; or ces
vapeurs ne sortent de la terre que lorsque le soleil, Indra, darde ses
rayons. Ces eaux, nées de la chaleur du soleil, sont l’œuvre d’Indra, et l’on
s’explique, maintenant, que le dieu ; père et
maître des ondes, puisse, d’un coup de foudre, les rendre à la
terre d’où il les tira. Indra n’est plus que la puissance météorique du
soleil évaporant les eaux, formant des nuages. Cette affirmation est scientifique.
La gloire des anciens dieux pâlit. Indra, sans la terre, ne serait rien ; et
sans le ciel, les dieux existeraient-ils ? C’est avec recueillement que
désormais le poète chantera le Ciel et Le déplacement continuel des tribus védiques ne laisse pas aux prêtres le temps de choisir un point spécial pour y dresser l’autel de pierre, tracer autour du sanctuaire les limites de l’enceinte sacrée. Les ministres des dieux officient lit où les hasards de la conquête les mènent, et le culte, très simplifié, est devenu public. Les dieux aiment la quantité des holocaustes, la solennité des rites, la multitude des assistants. La piété des Aryas faisait les assemblées religieuses très suivies. La longue souffrance supportée depuis la première sortie du Sapta-Sindhou a grandement atténué l’ardeur de la foi aryenne, mais un irrésistible besoin d’adoration pousse encore le peuple vers l’autel, alors même qu’il se surprend i douter, sinon de la puissance, au moins de la bonne volonté des dieux. Lorsque les horreurs de la guerre, les angoisses de la famine, ou les affres de la mort épouvantent les hommes, l’adoration semble être la naturelle, l’inévitable manifestation de leur affolement. La peur donne la foi, comme le vide donne le vertige et la fièvre le tremblement. Lorsqu’une violente crainte frappe le cerveau, et que nul secours n’apparaît dans la quantité des choses possibles, la pensée malade se tourne vers le mystérieux, s’élève vers l’inconnu, cherche, interpelle, feint de voir, feint d’entendre un sauveur, croit voir, croit entendre un dieu secourable répondre à son vœu, et l’homme de s’humilier devant cette puissance, comme pour la compromettre en sa faveur. C’est l’adoration. La piété des Aryas est aussi profonde que leur peine est grande : Les mains chargées d’holocaustes, fléchissant le genou, ils invoquent les dieux, dans les batailles, dans les mêlées, dans les temps de disette et les jours de misère. Les assemblées populaires, très nombreuses, qui se formaient devant un autel improvisé, inquiétaient les chantres. Cette innovation, œuvre des circonstances, modifiait les rapports établis entre les prêtres et le peuple. L’officiant, maître des fidèles, donnant des ordres et imposant ses dieux, était devenu comme le serviteur de la foule. Déjà quelques Aryas, se donnaient des divinités spéciales ou formulaient, à leur usage personnel, des prières que les brahmanes n’étaient même pas appelés à sanctionner. Tracer rigoureusement le cercle d’une enceinte sacrée dans laquelle des privilégiés seuls seraient admis, c’est été heurter de front, et dangereusement, la démocratie aryenne. Le Rig-Vêda laisse voir cette préoccupation du prêtre très tourmenté. Et c’est alors que l’idée se manifeste de dégager, du culte public livré au peuple, certaines cérémonies, certains sacrifices qui ne pourront être célébrés que mystérieusement, loin des foules, en présence de quelques initiés. La tradition védique justifiera suffisamment cette prétention. C’est, en effet, assemblés dans une caverne obscure et vaste, que les antiques Pitris découvrirent le premier feu, enfantèrent l’aurore : Les premiers sages, antiques et justes, stimulés par les joies du sacrifice, avec les Dêvas, s’en furent à la recherche de la lumière cachée ; et, réunis en un lieu obscur, ils ont, par leur saintes prières, enfanté l’aurore. Renouvelant l’œuvre mystérieuse des antiques Pitris, les brahmanes védiques viennent de concevoir l’architecture d’un temple clos. Disséminés sur les deux rives de Le succès de Soudas, devenu roi des tribus aryennes, n’était pas le résultat d’une victoire. C’est après une bataille sanglante qui avait laissé les Dasyous et les Aryas épuisés, que l’habile politique s’était emparé, simplement, des territoires abandonnés. Les Dasyous, battus, ne s’étaient pas très éloignés, et les Aryas, ayant précipité leur retraite après la bataille, apprenant qu’une tribu védique tenait le terrain disputé, et croyant à une victoire de Soudâs, étaient revenus. Les deux races ennemies, lassées, se retrouvaient donc en face l’une de l’autre, mais animées d’un grand désir de tranquillité. Des relations existaient cependant entre des tribus qui s’étaient jadis détestées ; des alliances effectives avaient uni des chefs Aryas à des chefs Dasyous ; enfin, une partie relativement importante des vaincus était demeurée sur les champs envahis, acceptant en quelque sorte la domination des vainqueurs. Les influences de la race noire et de la race jaune se font vivement sentir. La poésie devient brutale. Les Dasyous se moquant ouvertement des cérémonies religieuses, les prêtres ne manquent pas de dénoncer aux dieux ces insensés qui blâment les honneurs rendus aux divinités védiques ; mais les guerriers et les princes, les kchatriyas surtout, adversaires naturels des brahmanes, riaient de ces moqueries. L’autorité suprême de Soudâs, soutenue par les prêtres,
portait ombrage aux divers chefs de tribus qui avaient dû subir cette
royauté. Ces derniers, pour secouer un joug pénible, ayant accepté le secours
éventuel de chefs Dasyous, se déclarent indépendants de leur suzerain. Les
tribus se morcellent ; la monarchie aryenne, à peine ébauchée, se dissout, et
le corps sacerdotal sent sa force s’évanouir. Pour reconstituer la nation,
pour la faire revivre, pour imposer à la race aryenne le rôle prépondérant
qu’elle semble dédaigner, les prêtres entonnent résolument des chants de
guerre. Ils surexcitent l’ardeur des guerriers, ils évoquent l’ambition des
princes, ils promettent au peuple, après la conquête, des butins magnifiques,
des terres merveilleuses, une vie paisible, un bonheur complet. Ils prêchent
un dernier effort devenu nécessaire : Il faut franchir, en masse, Sous la conduite des chantres, et vraisemblablement prêts
à obéir à un chef suprême, les Aryas passent L’engagement fut presque immédiat. Les Dasyous cruels assaillirent les Aryas. Un hymne, évidemment improvisé pendant la bataille, dit l’épouvante des prêtres, l’ardeur de la lutte. Indra et Varouna seuls sont capables de sauver l’armée aryenne environnée de si grands dangers. Les Dasyous redoublent d’efforts ; leurs traits pleuvent sur les étendards aryens. Indra et Varouna ne frapperont-ils pas ces adversaires ? ne les obligeront-ils pas à se disperser ? Les dieux demeurent inactifs. Les Aryas sont vaincus. La victoire des Dasyous dut s’achever pendant la nuit, alors que Varouna, soleil éteint, retourne, invisible, de l’occident à l’orient. C’est à Varouna que les prêtres attribuent la défaite des tribus aryennes. On a demandé aux sages la cause du désastre, et les sages ont répondu que Varouna ; l’aveugle Varouna en est l’auteur. Quel péché si grand a donc commis l’Arya, pour que Varouna, dans sa colère, ait pu frapper ses chantres d’un tel coup ? Le prêtre, innocent et empressé, questionne Varouna lui-même. Si le châtiment est juste, s’il est mérité, si les prêtres se sont rendus coupables de quelque faute, que Varouna tienne compte de la faiblesse humaine et qu’il sauve l’Arya qu’il a livré au Dasyou. Imprudemment venus entre le Gange et Indra et Agni sont invoqués. La prière est l’unique ressource des vaincus. Le prêtre supplie les dieux de ne point souffrir que l’infâme domine l’Arya. Pourquoi les divinités védiques, bonnes et puissantes, associées, pourquoi Indra et Agni surtout, auteurs de toutes vies et de toutes morts, ne frapperaient-ils pas, soudain, le chef des Dasyous, ce mortel insensé, fort et heureux dans le mal ? D’un trait, les dieux peuvent le percer ; pourquoi ce miracle ne se fait-il pas ? Les dieux n’entendent donc plus les prières aryennes ? Les paroles des prêtres restent sans effet. Les guerriers ne croient plus à l’intervention favorable d’Indra ; les chefs s’impatientent dans leur humiliation ; le peuple, désillusionné, n’obéissant qu’à son instinct, s’agite et se dérobe. La retraite est une fuite générale, désordonnée. Les Aryas, en masse, repassent Le service rendu aux Aryas par la rivière sacrée est un
fait positif ; ses ondes torrentueuses sont une protection sûre contre les
Dasyous. L’intervention des dieux tels qu’Indra, Varouna, Agni et Roudra, ne
fit jamais absolument démontrée, un acte de foi interdisant tout examen ;
mais cette intervention fut-elle certaine, il est également certain que les
caprices des dieux sont redoutables. |