Inde védique (de 1800 à 800 av. J.-C.)

 

CHAPITRE XIX

 

 

L’Aryavarta. - Triple alliance : prêtres, guerriers, Aryas enrichis. - Nouveaux émigrants. - Extension vers l’est, jusqu’à la Djumna. - Orages et vents divinisés : Pardjania et les Marouts. - Idoles ébauchées. - Agitation védique. - Guerre soudaine. - Appel à Indra. - Divisions intestines. - Les prêtres veulent un roi.

 

DANS le pays nouveau des Aryas, dans l’Aryavarta élargi par la conquête, la vie devenait déjà difficile. Les inégalités sociales s’y accentuaient de plus en plus, la misère s’y étendait, des crimes s’y commettaient sur les routes, que des voleurs infestaient. Il n’y avait presque plus de sécurité. Les princes, enrichis des dépouilles des Dasyous, et grossissant leur fortune aux dépens du peuple, comptaient sur les prêtres pour refréner l’envie, pour atténuer l’effet des misères publiques, pour tenir les Aryas malheureux en respect. Les prêtres, eux, comptaient sur les princes et sur les guerriers pour châtier le peuple, en cas de révolte. Une alliance, inévitable, existait donc entre le brahmane et le kchatriya ; la crainte des explosions populaires faisait l’accord du prêtre et du soldat. Les seigneurs garantiront aux brahmanes une vie facile, large, relativement somptueuse, et les brahmanes, en échange, délégueront aux princes une partie de l’autorité divine que détiennent les ministres des dieux. Un hymne du Rig-Vêda, qui a la va-leur d’un traité, dit que la déesse opulente, mère du jour, accordera une mâle abondance aux nobles seigneurs qui auront comblé les prêtres de présents ; qu’elle donnera la force et la prospérité aux princes qui auront distribué des vaches et des chevaux. Ô riche aurore, s’écrie le poète, naïvement, donne-nous tout ce qu’il nous faut, et même au delà ! Le dieu qui fait le prêtre riche en offrandes, et le guerrier glorieux dans les batailles, veut que le sage, célébrant sa grandeur, se distingue au milieu des mortels par son opulence. Il importe que les prêtres, protégés d’Agni, le dieu éclatant de lumière, possèdent des pâturages remplis de vaches ; il est nécessaire que les prêtres et les guerriers, unis, délivrés de toutes préoccupations matérielles, se manifestent au-dessus des autres hommes par la richesse, par la gloire et par la puissance.

Les hymnes énumèrent complaisamment les cadeaux magnifiques et continuels faits aux prêtres par les princes reconnaissants. Parmi ces offrandes, pour la première fois se trouvent des hommes. C’étaient, probablement, des Dasyous, des prisonniers devenus serfs, ou peut-être, encore, des Aryas dégradés, que les princes offraient aux prêtres. L’auteur d’un hymne dit positivement qu’il a reçu d’un guerrier deux cavales légères, cent vaches, des vivres préparés et des serviteurs couverts d’or, beaux, robustes, fidèles.

L’alliance des prêtres et des guerriers va devenir insuffisante. Il existe, entre les brahmanes et les kchatriyas, une classe d’hommes dont l’importance s’est accrue et qui tient, maintenant, une large place dans le groupe aryen ; ce sont ces Aryas, nombreux, qui, dédaignant la gloire des guerriers, méprisant l’ambition des brahmanes, ont continué, simplement, la tradition védique du père de famille en relation directe avec les dieux, maître dans sa maison, satisfait de vivre, et le disant. Ces Aryas paisibles se sont enrichis, les uns en exploitant leur terre, les autres en se livrant à quelque commerce fructueux.

Les hymnes de cette période dénoncent le vif désir qu’éprouvaient les brahmanes d’attirer à eux ces Aryas, puissants par leur fortune et respectés. L’union du prêtre et du père de famille serait aussi irrésistible, dit un chantre, que le sont les vents impétueux, fendant avec force, tels que des troupes d’oiseaux, les plaines de l’air, et couvrant l’horizon. Un hymne à Agni, qui conduit à la fortune par les voies sûres, qui fait traverser le mal impunément, appelle la protection du dieu sur le père de famille et sur le chantre, réunis. Des intérêts identiques stimulant les prêtres, les guerriers et les pères de famille enrichis ; les uns et les autres ayant la préoccupation de se garantir mutuellement la jouissance de leur pouvoir, ou de leur richesse, contre les entreprises d’un peuple irrité, la triple alliance fut un engagement prompt et facile. Une grande satisfaction se manifeste, alors, dans le Rig-Vêda. Il serait si doux de vivre ainsi, entièrement, les cent années de l’existence humaine !

Le pacte d’alliance devait être respecté, parce qu’il était nécessaire. Un conflit entre les prêtres et les guerriers eût certainement détruit les deux pouvoirs. Constamment, en effet, du nord-ouest et de l’ouest arrivaient des groupes d’Aryas, croyant vivre mieux dans cette partie de l’Indoustan qui était devenue comme le territoire central de la nation. Cette émigration continuelle grossissait le nombre tumultueux des misérables, et les inégalités sociales, criantes, s’accentuaient davantage chaque jour. Ces bandes d’Aryas affamés quittaient le Sapta-Sindhou comme subissant une force irrésistible, s’imaginant qu’à l’est de l’Aryavarta, les dieux, par des miracles successifs, assuraient aux hommes une vie toute de joie et toute de gloire.

Les plaines centrales de l’Indoustan, où s’accumulaient ainsi les Aryas, devenaient insuffisantes ; il y avait, dans les parties déjà trop peuplées, comme des poussées de foule. La nouvelle terre aryenne étant couverte d’hommes, chaque émigrant venu de l’ouest prenait la place d’un occupant et, ainsi, de substitution en substitution, des Aryas de la partie orientale de l’Aryavarta se trouvaient rejetés hors de la frontière. Sans que les hymnes de ce moment signalent le moindre mouvement d’exode, aucune sortie préparée, nulle expédition militaire, on voit clairement l’Aryavarta s’agrandir, les émigrants se répandre vers l’est, de plus en plus. Victoires faciles, d’ailleurs, remportées à la pointe de la charrue, occupations successives que consacrent de larges ensemencements. Peut-être y eut-il quelques rencontres, quelques luttes. Un hymne dit une heure de crainte : les dieux sauveurs et secourables sont appelés pour triompher encore d’un parti de Dasyous ; mais ces inquiétudes sont passagères.

Sans se heurter à de sérieux obstacles, les Aryas purent marcher droit devant eux, jusqu’à la première rivière du grand bassin gangétique, jusqu’à la Yamounâ, la Djumna moderne. Aux Marouts tout puissants, véritables dieux du pays des cyclones, les hymnes demandent que les bords de la Yamounâ retentissent du beuglement des troupeaux.

L’exploitation des terres nouvellement prises aux Dasyous est l’œuvre unique, la constante préoccupation, le but exclusif des Aryas. Ces terres étant sèches, brûlées, la pluie fécondante et les vents orageux, divinisés, reçoivent les hommages des chantres. A Pardjania le tempétueux s’adressent les hymnes. Le nuage est nue cavale que saillit le vent ; et lorsque Pardjania fait entendre sa voix, lorsqu’il tonne, la pluie dépose sur les plantes les bermes précieux. C’est Pardjania qui, volant de toutes parts sur son char humide, déchire l’outre des nuages, afin que les collines et les plaines soient inondées : L’orage éclate, la pluie tombe, les herbes croissent, et l’Arya reconnaissant célèbre Pardjania, le dieu qui a rendu la vie aux déserts arides, qui a développé les plantes utiles à l’existence de l’Arya, qui a bien mérité les hommages des mortels. L’hymen fécond de la Terre et du Ciel, par l’orage, est le sujet d’un hymne : Tel que l’écuyer qui, de son fouet, stimule ses chevaux, Pardjania chasse devant lui ses coursiers chargés de pluie ; du ciel, couvert de nuages, sortent de longs frémissements ; les vents soufflent, les éclairs brillent, les plantes croissent, l’air est saturé de germes ; la terre renaît pour tous. Pardjania féconde Prithivi.

Dans le bassin du Gange, où viennent de pénétrer les Aryas, les magnifiques pluies d’orage ne sont pas seulement fécondantes ; elles assainissent aussi l’air, en détruisant les pestilences, nées d’une intolérable chaleur. Les vents, les Marouts robustes, bienfaisants, qui traquent les nuages et les poussent vers les nouvelles terres aryennes, sont, en même temps, des héros qui combattent les ardeurs du ciel, des amis qui détruisent les germes mortels dont l’air est empesté, des dieux qui distribuent la pluie à la terre. Les hymnes aux Marouts se succèdent donc, et se répètent. On offre de grands sacrifices à ces dieux qui viennent, avec régularité, mettre un terme à la chaleur accablante et sauvent l’Arya de la mort en lui donnant de l’eau.

Les dieux védiques sont toujours relatifs aux besoins des Aryas. En Sapta-Sindhou, ils adoraient Agni, le dieu-bûcher donnant sa flamme douce et bienfaisante ; les premiers émigrants préférèrent Indra, le dieu-soleil, le dieu porte-foudre, répandant l’eau que les nuages dérobaient, protégeant ses amis contre les Dasyous ; sur les bords de la Djumna, dans le bassin gangétique, les vœux s’adressent aux Marouts, aux vents terribles : Il ne suffit plus aux Aryas de voir les plantes croître après la pluie ; il est, en outre, nécessaire que des ouragans viennent assainir l’air.

Les Marouts, très nombreux, forment une légion, une troupe divine. Ils soufflent de tous côtés et se manifestent de mille manières, tantôt, couvrant la nue de purs et légers réseaux, tantôt fendant avec force le nuage sous la roue de leur char. Fils de la terre, ils se répandent et grandissent dans l’espace. Ils sont enjoués, taquins ou violents ; ils tourmentent les nuages comme la vague tourmente les vaisseaux ; ils ébranlent jusqu’à des citadelles. Les cyclones qui dévastent les plaines où campent maintenant les Aryas, ne sont que les jeux des Marouts ; devant ces dieux terribles, les forêts frémissent de crainte. Par eux, la terre et les montagnes s’entrechoquent, les orages sentent frémir leurs flancs grossis ; leur voix fait trembler le sommet du ciel, lorsqu’ils se jouent en agitant leurs glaives et se précipitent comme des torrents.

Les prêtres ont adopté la nouvelle divinité ; ils ont hardiment placé les Marouts au sommet de l’olympe védique. C’est aux Marouts que les chantres s’adressent, ce sont les Marouts qu’ils invoquent. Le pouvoir des Marouts est sans limite ; les adorer c’est être fort, riche, puissant. Le prince ou le guerrier qu’ils protègent, ne saurait être ni vaincu ni tué ; il n’a ni chagrin, ni blessure, ni mort à craindre ; ses richesses et sa gloire sont à l’abri. Les Marouts sont généreux et fidèles ; ils donnent et garantissent la fortune ; la force qu’ils peuvent accorder est telle qu’elle excite l’envie ; ils conservent ceux qui les charment par leurs œuvres ; ils veillent sur les troupeaux et sur les moissons de leurs amis ; ils maintiennent la fortune des chefs, ils aident l’homme à traverser heureusement cent hivers.

Cependant quelques hymnes vont encore à Agni. Il est des poètes qui ne peuvent se résoudre à abandonner le dieu bon des premiers temps. Çà et là, dans le Rig, se glissent quelques mots de regret, de révolte même, et l’on y remarque la trace de pénibles hésitations, de doutes désolants, de consciencieuses craintes ; un prêtre, tourmenté par l’Agni lumineux qui est dans son cœur, entend ses oreilles bourdonner, voit son œil se troubler, sent que son âme s’égare dans l’incertitude. Que doit-il dire ? Que doit-il penser ?

Le corps sacerdotal s’est cuirassé d’une hiérarchie rigoureuse. Le clergé védique se compose d’ordonnateurs et d’obéissant. Les Marouts, étant des dieux nécessaires, sont des dieux imposés. Désormais, tous écarts d’imagination seront des fautes ; la pensée perdra tout droit au libre essor ; il y aura des règles, des limites, des lisières et des baillons. Le rêve étant comme interdit, l’immatériel s’estompera, s’effacera, disparaîtra pour faire place à la forme visible et palpable. Les dieux, engaînés dans un corps réel, deviendront des idoles, et on les parera. La pure divinité védique est morte ; le fétiche naît. Vienne un Dasyou, un nègre effronté, adroit, artiste, et de ses mains, avec la pointe de sa flèche, dans un tronc d’arbre, il ébauchera le dieu décrit par le chantre des Marouts ; ainsi se produira la sculpture grotesque des pagodes : Sur les épaules des Marouts reposent des glaives ; dans leurs bras sont placés la foudre et les attributs de la vigueur ; sur leurs têtes, brillent des aigrettes d’or ; leurs carquois sont remplis de traits ; leurs corps sont chargés de riches ornements ; des bracelets ceignent leurs jambes ; des colliers se balancent sur leurs poitrines ; il n’est pas jusqu’aux ondulations des ondes purifiantes qui ne soient figurées sur leurs chars.

Le culte est profondément modifié. Les manifestations extérieures prennent une allure nouvelle. Les offrandes témoignent de la piété des fidèles ; le respect dû aux prêtres et aux dieux s’affirme par un geste consacré. Le mortel qui veut honorer le dieu, qui le célèbre dans le sacrifice en lui présentant son offrande, doit élever ses mains d’une certaine manière, vénérer le pontife en prenant une certaine attitude. Hors de l’enceinte sacrée, comme devant l’autel, le ministre des dieux se distingue des princes, des guerriers, des riches Aryas et du peuple ; il porte une coiffure spéciale, et ses cheveux, tressés en forme de crête, sont penchés du côté droit.

Une sorte de fièvre religieuse s’est emparée des chantres. Les sacrifices sanglants sont repris : le victimaire étend la peau de l’animal immolé, comme la terre est étendue sous le soleil. L’agitation est générale. Des périls imaginaires hantent l’esprit des Aryas surmenés. La peur de la pauvreté se répand comme une monomanie ; l’insomnie énerve l’Indou. Les prêtres voient partout de mystérieux complots menaçant leur autorité : Contre les méchants qui peuvent avoir, comme dans un jeu cruel, conçu quelque mauvais dessein, contre les trames injustes qui peuvent avoir été tissues, et qu’ils ignorent, les prêtres invoquent les dieux qui les délivreront de toutes intrigues en les éventant.

Ce n’est pas que le patté d’alliance soit rompu. Les hymnes disent la loyauté avec laquelle les engagements réciproques sont respectés ; les dieux aux larges regards sont également invoqués en faveur des prêtres et des princes. Les maisons des grands et des chantres ont la même importance. Les prêtres font des vaux sincères pour les grands et pour leurs amis ; ils supplient les dieux de n’abandonner ni les seigneurs, ni les poètes qui les chantent. Mais les chefs de tribu se sont multipliés ; il est peu de guerriers dont la vaillance fut remarquée un jour de combat, qui n’ait réclamé une part de pouvoir. On a l’impression, en lisant le Rig-Vêda, d’un morcellement excessif. Des seigneuries très nombreuses se sont formées ; innombrables sont les tribus védiques. Il n’est plus possible d’embrasser, de tenir sous un seul regard l’ensemble de la féodalité aryenne, de maintenir l’unité d’action indispensable au succès définitif des alliés. Il est arrivé, par exemple, qu’aux limites sud-est de l’Aryavarta, des chefs de tribu, à la tête de bandes armées, ont attaqué des Dasyous pour s’approprier leurs dépouilles, tandis que la nation védique croyait jouir d’une entière paix. Ces entreprises individuelles semblent réussir ; elles valent à leurs auteurs une popularité bruyante, tant les jeunes Aryas aiment les batailles maintenant.

Les mœurs védiques, telles que les prêtres les ont rêvées, touchent suivant eux à la perfection : Les princes, respectés, craints, sont quelquefois aimés, et la jeunesse, vigoureuse, obéissante, domptée, forme le rempart vivant de la nation. Les œuvres de la paix s’épanouissent. La poésie reprend ses droits.

Les hymnes ne sont plus seulement des invocations ou des prières ; il en est qui sont indépendants de tout sentiment religieux. Un poète chante l’aurore, déesse antique et toujours jeune, prévoyante, immortelle, se dressant au-dessus des mondes et annonçant l’astre immortel, se renouvelant sans cesse chaque matin, faisant, d’une marche uniforme, tourner sa roue dans la même voie. Elle projette ses blanches clartés ; elle découvre son corps à l’orient ; elle se dévoile, ainsi qu’une beauté couverte de parures ; elle se lève et se montre, comme la femme qui sort du bain, jalouse de plaisir, toujours jeune, précédant la lumière du soleil, son époux. Sans voiles, faisant de la clarté, elle s’étend d’une extrémité à l’autre de la terre. — L’inspiration est devenue lourde, traînante, essoufflée ; les images, répétées, ne sont qu’un jeu dé mémoire, un emprunt continuel aux chants antiques. Le poète, cependant, s’efforce de rajeunir sa fantaisie, et s’il ne peut donner une œuvre éclatante, du moins prouve-t-il que toute sève poétique n’est pas absolument épuisée, qu’une certaine fermentation est encore en lui.

Mais, de nouveau, les hymnes cessent d’être pacifiques ; aux œuvres dédiées à l’aurore succèdent des invocations à Indra. C’est qu’un cri de guerre a retenti. Ou bien les Aryas qui descendaient vers le sud-est ont rencontré les Dasyous redoutables, ou bien les Dasyous ont vigoureusement attaqué les Aryas. Toute la gloire d’Indra resplendit. Il ne s’agit pas de flatter le dieu-foudre pour obtenir son secours, mais d’impressionner le peuple, de l’animer, de l’exciter, de le mettre en courage, en le faisant croire à l’efficace protection du dieu. Le prêtre, lui, n’a plus la foi. L’a-t-il jamais eue ? Indra est tout : joies parfaites, bonheurs complets, pluies favorables, richesses inattendues, évènements miraculeux, tout dépend d’Indra, chef élu des divinités. Quand il est question de combat, c’est Indra que les dieux choisissent pour chef ; et celui qui a tout créé vient, grand, terrible, puissant, accompagné d’une escorte vaillante, balançant son tonnerre. Unique dompteur des Dasyous, gardien des hommes purs, Indra brise, vainc, et ses victoires sont retentissantes. Ce retour bruyant au culte d’Indra, dès qu’un danger menace la nation, est caractéristique. Il en était ainsi lorsque les Aryas vivaient en Sapta-Sindhou ; il en fut de même à chaque exode.

La grande alliance des prêtres, des guerriers et des seigneurs, œuvre essentielle de pais intérieure, par laquelle toutes les tribus de l’Aryavarta oriental s’étaient confédérées, se rompit dès que la nécessité de guerroyer apparut. Des opinions entièrement opposées se produisirent, violentes, irréconciliables. Les querelles aboutirent à une rupture qui mit en présence, au sein même de la nation, des adversaires armés. Indra fut appelé à combattre non seulement des étrangers, mais des membres de la famille aryenne ; sa force généreuse, conservatrice, qui augmente et qui défend la richesse, est invoquée contre tous les ennemis, indistinctement, qu’ils soient parents ou étrangers. La guerre civile complique la guerre aux Dasyous. Les prêtres s’adressent à tous les princes védiques, des bords de la Djumna aux bords de l’Indus, de l’extrême sud à l’extrême nord : Il faut, dit un hymne, que toutes les forces arrivent, de l’Occident comme du Septentrion, du Midi comme de l’Orient.

Il règne partout une confusion triste. Il est difficile de distinguer le prince fidèle à l’alliance, du prince décidément révolté. Des hésitations, des craintes et des inerties compromettent le succès de l’entreprise nationale. Il faudrait qu’un chef suprême, revêtu d’une grande et inattaquable autorité, réunissant toutes ces forces dispersées, pût, par ce témoignage de sa valeur personnelle, rendre au peuple la confiance qu’il a perdue. De même qu’Indra, au moment de la bataille, fut élu pour commander aux autres dieux, ainsi les prêtres voudraient qu’un homme fût désigné pour commander aux autres hommes. Ils demandent donc un prince qui, brillant comme le soleil, Arya fort et opulent, vainqueur dans les combats, dominateur des nations, riche en présents et en terres, détruira les ennemis. Les prêtres voyant leur propre autorité très ébranlée, désirent un roi qu’ils sacreraient et qui affermirait leur puissance, leur garantirait le respect, la quiétude, le bonheur dont ils jouissaient paisiblement.

Pendant que les prêtres et les princes hésitent, les foulés, toutes levées, impatientes, veulent agir. Les guerriers, en armes, n’entendent pas reculer. Il faut marcher. Il faut vaincre. L’armée aryenne franchira-t-elle la Djumna, hardiment ? ou bien, s’engagera-t-elle dans les forêts qui sont à la droite de la rivière, en suivant son cours vers le sud ? Les premières étapes seront très pénibles ; mais Indra, qui jadis protégea les pères, voudra certainement, par sa force immense, transporter les fils heureusement au delà des passages les plus dangereux. La rage désordonnée des premiers Dasyous .rencontrés surexcite la colère des guerriers. L’invocation suprême est prononcée : Indra, sage, enfant de la force, viendra, avec tous les dieux, donner la victoire aux Aryas. C’est au nom de l’humanité, au nom de Manou que la guerre commence.

Une immédiate application est faite du système nouveau que les chantres vont imposer. Un prince est désigné, dont l’autorité s’élève au-dessus de l’autorité des seigneurs. C’est une sorte de généralissime, maître des Aryas, guide et stratège, indiquant les routes à prendre, les manœuvres à exécuter, commandant l’armée le jour de la bataille. Les hymnes proclament le pouvoir de ce chef suprême, suppliant Indra de le protéger, soit qu’il se repose dans sa maison, soit qu’il marche à l’ennemi. Mais, déjà préoccupé, le chantre qui vient de faire un roi, redoutant son œuvre, se hâte d’affirmer l’importance supérieure du prêtre dont l’intervention, seule, est capable, par le guerrier très brave et bien choisi, d’assurer la victoire aux Aryas. — Il n’est point de force, point de résistance, point d’audace déployée par le Dasyou qui puisse fléchir Indra, lorsque Indra a répondu à la voix du prêtre. — C’est par le sacrificateur qu’Indra terrasse les superbes Dasyous. — Qui donc, hormis le prêtre, a jamais connu Indra ? Quel prince l’a mesuré, ce dieu ? Les hauteurs d’Indra sont vertigineuses ; insondables sont les profondeurs d’Indra ! Le prêtre, seul, sait le dieu.