Inde védique (de 1800 à 800 av. J.-C.)

 

CHAPITRE V

 

 

Le Sapta-Sindhou. - Les sept rivières : le Sindh, la Vitasta, l’Asikni, le Parouschni, la Vipaça, la Çoutoudri et la Sarasvati. - Limites du Sapta-Sindhou. - Le Cachemire. - La Samoudra. - Le territoire védique. - L’Aryavarta. - Développement national des Aryas. - Les rivières du Pendjab : le Djelum, le Tchinab, le Ravi, l’Hyphase et le Sutledj.

 

LA vallée de la Nerbudda, qui est au sud immédiat des monts Vindhya, sépare le Dekhan de l’Indoustan proprement dit, auquel les monts Vindhya appartiennent, au double point de vue de l’histoire et de la géographie. Pour les Indous, le Dekhan est une terre civilisée ; mais l’Indoustan, limité par les Himalayas, le Gange, l’Indus et la vallée de la Nerbudda, est une terre deus fois qualifiée : elle est dite civilisée et sacrée.

Dans le bassin de l’Indus, exclusivement, s’inaugure la période historique purement aryenne. C’est entre l’Indus et le Gange que se développe et s’achève la période védique. Lorsque les Aryas, sortis du Sapta-Sindhou, s’étendant vers l’est, toucheront au Gange, l’Inde védique sera finie, l’Inde brahmanique commencera.

L’aire géographique purement aryenne, ne saurait encore être tracée définitivement, c’est-à-dire scientifiquement. Le seul témoin qu’il nous soit permis d’interroger sur les actes de la civilisation aryenne, le recueil des hymnes védiques, — les Védas, — ne donne, relativement à cette question spéciale, que de vagues indications : il ne s’y trouve pas un note de montagne, sauf celui de Mûnjavat, et encore cette désignation n’est-elle pas certaine. Les rivières et la Samoudra y sont seules indiquées comme des routes ou des limites.

Si les Védas ne permettent pas de tracer avec une netteté définitive le contour des frontières aryennes, ils éclairent suffisamment le théâtre géographique des premiers Aryas, pour que l’on puisse reconnaître et déterminer des lignes au-delà desquelles l’Arya n’a certainement pas été. L’aire aryenne par excellence, c’est le Sapta-Sindhou ou pays des sept rivières.

Les sept rivières, par lesquelles se justifiait la dénomination du Sapta-Sindhou, étaient, — en allant du nord-ouest vers le sud-est : — le Sindh, la Vitasta, l’Asikni, le Parouschni, la Vipaça, la Çoutoudri et la Sarasvati.

Le Sindh, c’est le Hendou, ou Sindhou, le fleuve Indus, venant de l’Himalaya, original, unique, n’ayant encore reçu les eaux d’aucune rivière affluente. Si le voyageur moderne ne compte plus, à l’est de l’Indus, les sept grandes rivières du Sapta-Sindhou, c’est que le réseau fluvial s’y modifie continuellement. L’Indus, après avoir franchi en torrent résolu les passes himalayennes, après avoir coulé largement dans un pays relativement plat, se creuse un lit étroit entre les monts Soliman et le Brand désert. La lutte constante entre les sables de ce sahara indien et les eaux vives qui courent, de l’est à l’ouest, vers le fleuve, brutalise, tourmente, modifie sans cesse le cours des rivières : l’une se divise en plusieurs canaux qui finiront par se rejoindre ; une autre, qui n’existait pas, se forme de plusieurs canaux innommés soudainement réunis ; celle-ci, recevant tout d’un coup le surplus imprévu d’une source jaillissante, grossit étonnamment ; celle-là, détournée, va se perdre dans les sables qui l’absorbent, et disparaît. L’antique Sapta-Sindhou, le pays des sept rivières est ainsi devenu le pays des cinq rivières, le Pendjab.

La Vitasta védique, c’est le Djelum moderne, ou Djelam, l’Hydaspe des Grecs. — L’Asikni, c’est le Tchinab moderne, ou Tchenab, l’Acésinès ou Sandurophagus classique ; on l’a également nommé Tchandrabhaga. — Le Parouschni, ou Iravati, c’est le Ravi moderne, l’Hyarotis ou Hydraotès des Grecs. — La Vipasa, ou Viasa, ou Bias, ou Beiah, l’ancien Hyphase, a livré ses eaux à la sixième rivière du Sapta-Sindhou, à la Çoutoudri, le Sutledj ou Satledje moderne, l’Hesydrus des Grecs, dont le cours inférieur fut le Sarajou. — La septième et dernière rivière, la Sarasvati, ou Sarsouti, n’est plus ou presque plus visible ; elle a été bue par les sables, ou prise par la Çoutoudri.

A l’exception du Djelum ou Vitasta, aucune des sept rivières du Sapta-Sindhou, remontée, ne pouvait ouvrir à l’Arya un territoire nouveau, désirable.

Le Djelum vient du Cachemire. Une légende bouddhique attribue cette rivière aux effets d’une violente convulsion. Il y avait, dit la légende, un très grand lac aux pieds de l’Himalaya. Le pèlerin Madhyantiko qui contemplait un jour ce lac, assis sur un rocher, fit céder la terre sous le poids de ses méditations ; le sol s’entrouvrit, une faille de quatre-vingts lieues de long se produisit, à travers laquelle les eaux du lac se précipitèrent en se dirigeant volontairement vers l’Indus. Un fleuve nouveau venait de naître, et les vallées merveilleuses du Cachemire ne sont que le fond du lac mis à sec. La légende bouddhique laisse voir un fait vrai : la route à suivre, sur ce point, pour sortir du Cachemire, surplombe de cent cinquante pieds la faille légendaire au fond de laquelle gronde l’Indus.

Les hymnes védiques parlent de la Samoudra comme d’une mer où va se perdre l’Indus. C’est une question en plein débat que celle de décider si la Samoudra védique désigne la mer d’Oman, ou simplement le delta du fleuve, remonté jusqu’au point où les débordements annuels couvrent tout le bas pays.

S’il est permis d’émettre quelques doutes sur l’occupation réelle du Cachemire par les premiers Aryas, il est au moins certain qu’ils ne furent pas plus au nord. Bien que l’on puisse constater, en outre, la présence de quelques types aryens à l’ouest de l’Indus, on peut cependant affirmer que, durant toute la période védique, le fleuve demeura comme une frontière, à l’est de laquelle le gros des Aryas resta résolument cantonné. S’il est enfin difficile de préciser exactement la limite méridionale du territoire primitif des Aryas de l’Inde, on peut sans hésitation refuser de descendre jusqu’au sud des sables du grand désert, qui ne fut pas franchi. Quant à l’accroissement du territoire védique vers l’est et à sa limite extrême, l’histoire des Aryas védiques est close lorsque le Gange est atteint par eux. Les Védas ne citent le Gange qu’une fois, et l’on peut dire que les héros de la période védique ne virent pas les affluents méridionaux du grand fleuve. Le théâtre védique serait donc limité à l’ouest par l’Indus, à l’est par la Djumna, — deux cents lieues environ, — au nord par les Himalayas, au sud par le désert, — cinquante lieues environ.

La terre védique, c’est le Sapta-Sindhou, avec la Sarasvati comme frontière orientale, durant toute la période de formation de la nationalité aryenne. La nationalité aryenne étant formée, l’extension des Aryas vers l’est étant devenue nécessaire, la victoire ayant donné aux conquérants la terre indoustanique qui va de l’Indus à la Djumna, il faut franchir la Sarasvati, il faut aller jusqu’au grand affluent du Gange, jusqu’à la Djumna, si l’on veut parcourir en entier, de l’ouest à l’est, la grande terre védique, l’Aryavarta.

A la vue des Aryas, la Terre était fermée au nord, à l’ouest et au sud par les Himalayas, l’Indus et le désert ; un seul horizon leur paraissait ouvert, du côté de l’orient. Les trois limites du nord, de l’ouest et du sud étaient à ce point acceptées par l’Arya, que voyant le soleil tomber au couchant, le soir, son esprit ne concevant pas la possibilité d’autres terres au-delà de l’Indus, il s’imaginait que l’astre, simplement éteint, sombre, voilé, revenait à l’est du Sapta-Sindhou chaque nuit, traversant une seconde fois, obscur, invisible, le firmament noir.

Sur les cartes modernes, l’antique Sapta-Sindhou, ou Heptapotamie, pays des sept rivières, est devenu Pentapotzmo, Pancapa, Pendjab, pays des cinq rivières : deux des anciens et principaux affluents de l’Indus se sont taris ou se sont mêlés à d’autres eaux.

Les cinq rivières du Pendjab actuel sont : le Djelum, le Tchinab, le Ravi, l’Hyphase et le Sutledj, qui se réunissent toutes dans le canal du Pantchanada se donnant à l’Indus.