Aryas du nord-ouest de l’Inde. - Inauguration du cycle
indo-européen. - La péninsule indoustanique. - Europe et Asie. - Monts Ourals
et Indus. - L’Indoustan ; ses limites anciennes et modernes. - Indes
cisgangétique et transgangétique. - Les monts Vindhya. - Aryavarta et Dekhan.
- L’Indien. IL est certain, qu’il existait au nord-ouest de la
péninsule indoustanique, quinze cents ans avant notre ère, une agglomération
d’hommes très importante, de race distincte, formant un peuple parvenu à un
remarquable degré de civilisation. Si d’autres groupes humains s’offrent à l’historien
avec un passé plus lointain que ne l’est celui des Aryas ; s’il faut croire
qu’à l’époque où les Aryas en étaient encore à l’état de société progressive,
déjà les Égyptiens et les Chinois vivaient en nations vieillies, peut-être
pourrait-on dire que le groupe Aryen seul inaugure véritablement, dans l’ancienne
histoire, le cycle auquel nous appartenons, et qu’en conséquence c’est bien
par la vie des Aryas qu’il faut commencer la vaste étude de notre propre vie
historique. Sans rechercher encore si les Aryas du nord-ouest de l’Inde
sont les ancêtres positifs des Européens actuels, sans essayer même de
définir ici ce grand problème qui est la noble passion de nos savants, au
moins doit-on constater que l’Européen comprend très vite l’Arya, parce qu’il
croit sérieusement se reconnaître dans le tableau des premiers temps
védiques, et qu’il écoute comme un doux souvenir d’enfance tout ce que l’on
dit de ce grand passé. La péninsule indoustanique appartient à l’Asie. Les
géographes modernes séparent le continent européen du continent asiatique par
une ligne qui, venant du nord, descend vers la mer Caspienne, contourne les
rives ouest de ce grand lac salé et, formant tout à coup un brutal angle
droit, court jusqu’à la mer Noire. Les côtes de l’Asie Mineure, de Les Monts Ourals qui se dressent, en haute barrière, du
golfe de Kars, dans la mer du Nord, jusqu’aux approches de la mer d’Aral,
sont une démarcation nette, visible, caractérisée. Ce mur isolé est comme une
séparation naturelle, unique, entre l’Europe et l’Asie. On chercherait en
vain, dans cette partie du monde, en excluant les monts Ourals, une montagne
séparative nord-sud : L’Altaï , le Thian-Chan, le Kuen-Lun et l’Himalaya ont,
comme le Caucase, le Taurus, les Carpates, les Alpes et les Pyrénées, des
directions est-ouest, transversales. L’identité de direction des montagnes de
l’Asie et de l’Europe a fait penser que ces parties du inonde pourraient n’en
constituer, au fond, qu’une seule ; l’Europe et l’Asie ne seraient, alors,
que les deux subdivisions d’une grande unité continentale. La limite séparative de ces deux subdivisions — Europe et
Asie — est clairement indiquée par le cours inférieur du Don, par le Volga, l’Oural
et la chaîne des Monts-Ourals : à l’occident de cette ligne, un sol fertile
et favorable aux agglomérations urbaines ; à l’orient, des steppes et des
lacs salés. Le cours des fleuves est variable, la fertilité des
territoires, comme leur stérilité, dépend de l’homme, presque toujours ;
faut-il donc livrer les limites géographiques aux caprices des eaux, à l’inconstance
des humains ? Combien de déserts très vastes ne sont-ils pas, en réalité, les
cendres à peine refroidies d’un foyer de civilisation que l’ignorance ou la
paresse ont laissé s’éteindre ? Ce qui se modifie le moins, c’est le climat,
c’est le cadre matériel d’un territoire, c’est la faculté déterminée de
production du sol, c’est l’alternance et la durée des jours, des nuits, et
surtout des saisons ; c’est le froid et le chaud, la pesanteur et la légèreté
de l’air, faits absolus qui imposent à tout ce qui vit, comme à tout ce qui
végète, des précautions, des habitudes, des meurs fatales. Les vues larges ou
étroites, les spectacles doux ou terribles, les tableaux gracieux ou laids
que l’œil humain a sans cesse devant lui, font l’homme grand ou petit, — dans
sa taille comme dans sa pensée, — doux ou terrible, bon ou méchant. Quoi que
l’homme veuille, et quoi qu’il fasse, le milieu dans lequel il est jeté
détient une somme de forces productives au-delà de laquelle il lui est
impossible de rien obtenir en plus. Les lignes séparatives de milieux
différents donnent seules, en fait, des divisions géographiques positives, et
cela, indépendamment des limites qui frappent les yeux, fleuves, montagnes ou
déserts. Le fleuve Indus coule précisément là où il existe, et où
il existerait peut-être sans lui, une séparation évidente entre deux parties
du monde très dissemblables, entre deux milieux très différents. Les monts
Ourals et le fleuve Indus, ayant le Sir-Daria pour trait d’union, et ainsi
rapprochés, noués à l’étonnant plateau de Pamire, seraient, ensemble, une
séparation géographique suffisamment correcte à l’orient de laquelle s’étendrait
l’Asie, ayant l’Europe à l’occident. Les jardins de Caboul, de Kandahar et d’Hérat
ressemblent, en effet, aux jardins de l’Europe ; les forêts de Dans l’ensemble de l’Asie, l’Inde cisgangétique, — ou
péninsule indoustanique, — est un fait géographique particulier. C’est en
même temps une forteresse, un camp retranché, quelque chose comme le fief
spécial d’un groupe humain ; une propriété bien close, très défendue. La
péninsule a la forme d’un triangle dont la pointe s’avance hardiment dans
lamer. La base du triangle, au nord, c’est les Himalayas, la chaîne
Indo-Persique et, par un infléchissement au sud-ouest, la triple muraille des
monts Soliman. La mer bat violemment les deux autres côtés du triangle. L’Inde continentale des anciens comprenant, au nord, toute
la masse des Himalayas, s’étendait, à l’ouest, jusques au-delà de Caboul et
prenait le Brahmapoutre comme limite orientale. Pour notre Anquetil du
Perron, l’Inde allait du cap Comorin, pointe sud extrême de la péninsule,
jusques au petit Tibet, au nord, ayant ensuite pour bornes les montagnes de
Candahar, les royaumes d’Assam, d’Ava et d’Aracan. L’Indoustan actuel, ou,
suivant le ternie géographique admis, l’Inde,
fait du golfe du Bengale comme une sorte de mer ouverte au sud, mais à l’est,
au nord et à l’ouest de laquelle se développent des territoires indiens. Les
Indes orientales désignent alors l’ensemble des deux grandes péninsules de l’Asie
méridionale séparées par le Gange, que tout le golfe du Bengale semble
continuer. Dans ce système, la péninsule indoustanique, à l’ouest, jusqu’à l’Indus,
est dite cisgangétique
; l’autre, à l’est, transgangétique. Deux fleuves descendent des Himalayas vers la péninsule
indoustanique : le Gange, se dirigeant vers l’est-sud, portant ses eaux à la
mer du Bengale ; l’Indus, qui va vers le golfe d’Oman, droit au sud. Les monts Vindhya coupent la péninsule triangulaire à son
milieu ; le Gange et l’Indus, arrêtés par cet infranchissable obstacle, vont
se répandre, à droite et à gauche, à l’est et à l’ouest, s’épanouissant en
énormes deltas, et se perdant, plutôt qu’ils ne se jettent, chacun dans un
grand golfe indien. Cet exhaussement brutal des monts Vindhya est une ligne
de démarcation géographique : Au nord de cette barrière, et jusqu’aux monts
Himalayas, les bassins du Gange et de l’Indus forment ensemble l’Indoustan
proprement dit : c’est l’Aryavarta, ou district des Aryas, ou, autrement, l’Aryabhoumi, terre des Aryas, ou encore
l’Aryadêca, pays des Aryas.
— Au sud des monts Vindhya, et jusqu’à la mer, de toutes parts, c’est le
Dekhan, l’antique Dakchinapatha, triangle réduit dont la pointe est dirigée vers la droite pour ceux
qui prient le soleil levant, debout, et le regardant en face. C’est le
Dachinabades des Hellènes. L’île de Ceylan, l’antique Lankâ, l’île du Lion, On pourrait dire que l’Aryavarta est en pleine Asie et que
le Dekhan est en pleine mer océane. L’Indus est la frontière ouest de l’Aryavarta,
limite précise séparant deux terres et deux peuples : Les Afghans, à l’ouest
de l’Indus, remuants, nomades, animés d’une turbulence curieuse, descendront
souvent jusques aux bords du grand fleuve, mais ils ne le franchiront pas ;
ils suivront sa rive droite, allant au sud, ne s’arrêtant qu’à l’extrémité
des bouches déversantes. A l’orient du fleuve, les Indiens demeureront comme
cantonnés, ignorant les jardins de Caboul. Le Gange est, à l’ouest, une
frontière vraie au delà de laquelle, pour l’Indien, c’est l’expatriation. Le
nord est littéralement fermé par l’Himalaya. Par delà cette barrière énorme
pourront se mouvoir les hordes jaunes venues de Chine ; l’Indien ne verra pas
le fléau passer, il n’entendra pas ses retentissantes clameurs ; saura-t-il
même s’il existe un champ de terre solide de l’autre côté de ces montagnes
entassées dont les sommets neigeux touchent le ciel. Lorsque Siva sera devenu
le dieu redouté réclamant une demeure, c’est sur les glaciers éternels de
Keila que l’imagination indienne édifiera son inaccessible palais. Ayant les Himalayas au nord, l’Indus à l’ouest, le Gange à
l’est et la mer des cyclones au sud, l’Indien est le prisonnier de la nature
; une nature riche et généreuse, mais redoutable dans ses fureurs. La mer qui
frappe l’Inde peut-être plus qu’elle ne la défend, est encore un monstre
indompté. La puissance britannique, malgré sa patiente audace, ne sait pas
encore jeter par le travers des fleuves indiens des ponts capables de
résister aux flots torrentueux ; — et si l’ennemi pénètre de force dans ce
territoire vraiment sacré, il y rencontre les marais pestilentiels, les
forêts pleines de fauves, les infranchissables déserts. Cependant, malgré la mer, malgré les fleuves, malgré les
brouillards humides, la magnifique péninsule tentera les conquérants infatués
et les marchands avides : Sésostris, Darius, Alexandre, Tchinguiz-Khan,
Timour, Baber, Nadir-Shab, Napoléon et les Anglais. L’indien, lui, ne
franchira jamais ses frontières ; il demeurera fidèle à son propre
territoire, après avoir donné au monde le spectacle complet d’un peuple né de
lui-même, s’étant fait sa propre civilisation. Ce furent les Perses qui appelèrent Hendou l’Aryavarta. Les Assyriens et les Hellènes adoptèrent cette désignation. Les Aryas nommaient leur pays Djamboudvipa, c’est-à-dire île de Djambou, arbre sacré, ou Soudarçana, belle à voir, ou Bharatavarscha, contrée fertile. |