I — LA FONDATION DE
CONSTANTINOPLE ET LES CARACTÈRES DU NOUVEL EMPIRE.
Le 11 mai 330, aux rivages du Bosphore, Constantin
inaugurait solennellement sa nouvelle capitale, Constantinople.
Pourquoi, abandonnant l’ancienne Rome, l’empereur
transportait-il en Orient la résidence de la monarchie ? Outre qu’il avait
peu de goût personnel pour la ville païenne et frondeuse des Césars,
Constantin la jugeait, non sans raison, mal placée pour suffire aux
nécessités nouvelles qui s’imposaient à l’empire. Le péril goth, le péril
perse menaçaient sur le Danube et en Asie ; les fortes populations de
l’Illyricum offraient pour la défense des ressources admirables ; pour
organiser cette défense, Rome était trop loin. Dioclétien déjà l’avait
compris, et lui aussi avait senti l’attraction de l’Orient. En tout cas, le
jour où Constantin fonda la nouvelle Rome,
l’empire byzantin commença.
Par sa situation géographique au point où l’Europe se
rencontre avec l’Asie, par l’importance militaire et économique qui en
résultait, Constantinople était le centre naturel autour duquel pouvait se
grouper le monde oriental. Par l’empreinte hellénique qui la marqua d’autre
part dès sa naissance, par le caractère surtout que lui donna le
christianisme, la jeune capitale différait profondément de l’ancienne et
symbolisait assez exactement les aspirations et les tendances nouvelles du
monde oriental. Aussi bien, depuis assez longtemps déjà, se préparait dans
l’empire romain une conception nouvelle de la monarchie. Au commencement du IVe siècle, au
contact de l’Orient proche, la transformation s’acheva. Du pouvoir impérial,
Constantin s’efforça de faire une autorité absolue et de droit divin. Il
l’environna de toutes les splendeurs du costume, du diadème et de la pourpre,
de toutes les pompes de l’étiquette, de tout le faste de la cour et du
palais. Se tenant pour le représentant de Dieu sur la terre, jugeant qu’en son
intelligence il reflétait l’intelligence suprême, il s’appliqua en toutes
choses à marquer le caractère sacré du souverain, à le séparer de l’humanité
par les formes solennelles dont il l’entoura, à faire, en un mot, de la
royauté terrestre comme une image de la royauté divine.
Pareillement, pour accroître le prestige et la force de
l’institution impériale, il voulut que la monarchie fût une monarchie
administrative, strictement hiérarchisée, exactement surveillée, et où toute
l’autorité serait concentrée entre les mains de l’empereur. Enfin, en faisant
du christianisme une religion d’État, en multipliant en sa faveur les
immunités et les privilèges, en le défendant contre l’hérésie, en le couvrant
en toutes circonstances de sa protection, Constantin donna un autre caractère
encore à l’autorité impériale. Siégeant parmi les évêques, comme s’il était l’un d’entre eux, se posant en
gardien attitré du dogme et de la discipline, intervenant dans toutes les
affaires de l’Église, légiférant et jugeant pour elle, l’organisant et la
dirigeant, convoquant et présidant les conciles, dictant les formules de foi,
Constantin - et après lui tous ses successeurs, qu’ils fussent orthodoxes ou
ariens - réglèrent d’après un même principe les rapports de l’État et de
l’Église. Ce fut ce qu’on appellera le césaropapisme, l’autorité despotique
de l’empereur sur l’Église ; et le clergé oriental, clergé de cour, ambitieux
et mondain, docile et souple, accepta sans protester cette tyrannie.
Tout cela s’inspirait profondément des conceptions du
pouvoir chères aux monarchies orientales, et par tout cela, quoique pendant
un siècle encore — jusqu’en 476 — l’empire romain ait subsisté, quoique,
jusqu’à la fin du vie siècle, en Orient même, la tradition romaine soit
demeurée vivace et puissante, pourtant, autour de la ville de Constantin, la
partie orientale de la monarchie s’aggloméra et prit en quelque sorte
conscience d’elle-même. Dès le IVe siècle, malgré le maintien apparent et théorique de
l’unité romaine, plus d’une fois en fait les deux moitiés de l’empire se
séparèrent, gouvernées par des empereurs différents ; et lorsqu’en 395
Théodose le Grand mourut, laissant à ses deux fils Arcadius et Honorius une
succession partagée en deux empires, la séparation, qui depuis longtemps se
préparait, se précisa et devint définitive. Il y eut dorénavant un empire
romain d’Orient.
II — LA CRISE DE
L’INVASION BARBARE.
Durant la longue période d’histoire, qui va de 330 à 515,
deux crises graves, en ébranlant cet empire, achevèrent de lui donner sa physionomie
propre. La première est la crise de l’invasion barbare.
Depuis le Ille siècle, sur toutes les frontières, sur le
Danube comme sur le Rhin, les barbares de la Germanie pénétraient
par une lente infiltration sur le territoire romain. Les uns, par petits
groupes, y venaient comme soldats, ou s’y établissaient comme laboureurs ;
les autres, par tribus entières, attirés par la sécurité et la prospérité de
la monarchie, y sollicitaient des concessions de terres, que leur accordait
volontiers le gouvernement impérial. Les grands mouvements de peuples, qui
sans cesse se produisaient dans ce monde germanique si instable,
précipitèrent cette poussée des Barbares et finirent par la rendre
redoutable. Sous leur ruée, au Ve siècle, l’empire d’Occident succomba et on put croire
d’abord que Byzance ne supporterait pas mieux que Rome leur choc formidable.
En 376, fuyant devant les Huns, les Wisigoths étaient
venus demander à l’empire un asile et des terres. Deux cent mille d’entre eux
furent établis au sud du Danube, en Mésie. Ils ne tardèrent pas à se révolter
; un empereur, Valens, fut tué en essayant de les arrêter, dans les plaines
d’Andrinople (378)
; il fallut, pour les dompter, toute l’énergie habile de Théodose. Mais, lui
mort (395), le
danger reparut. Alaric, roi des Wisigoths, se jeta sur la Macédoine ; il ravagea
la Thessalie,
la Grèce
centrale et pénétra jusque dans le Péloponnèse, sans que le faible Arcadius (395-408) — toutes
les troupes d’Orient se trouvant en Occident — réussit à l’arrêter ; et quand
Stilicon, appelé d’Occident au secours de l’empire, eut cerné les Goths à
Pholoé, en Arcadie (396),
il aima mieux les laisser échapper et s’entendre avec leur chef. Dés lors,
pendant quelques années, les Wisigoths furent tout-puissants dans l’empire
d’Orient, renversant les ministres d’Arcadius, imposant leur volonté au
prince, commandant en maîtres dans la capitale, troublant l’État par leurs
révoltes. Mais l’ambition d’Alaric l’entraînait davantage encore vers
l’Occident ; en 402, il envahissait l’Italie ; il y revenait en 410,
s’emparait de Rome, et, par l’établissement définitif des Wisigoths en Gaule
et en Espagne, le péril qui menaçait l’empire d’Orient se trouva conjuré.
Trente ans plus tard, les Huns entraient en scène.
Fondateur d’un vaste empire, qui allait depuis le Don jusqu’à la Pannonie, Attila, en
441, franchissait le Danube, prenait Viminacium, Singidunum, Sirmium,
Naïssus, et menaçait Constantinople. L’empire, sans force, dut consentir à
lui payer tribut. Malgré cela, en 447, les Huns reparaissaient au sud du
Danube. De nouveau on, négocia. Mais le péril demeurait grand, et on put
croire que la catastrophe était proche, quand, en 450, l’empereur Marcien (450-457) refusa
courageusement le tribut. Cette fois encore la chance sourit à l’empire d’Orient.
Attila porta ses armes en Occident ; il en revint vaincu, affaibli, et peu
après, sa mort disloqua l’empire qu’il avait fondé (453).
Dans la seconde moitié du Ve siècle, les Ostrogoths, à leur tour,
entraient en lutte avec l’empire, qui dut les prendre à son service, leur
accorder des terres (462)
et combler leurs chefs d’honneurs et d’argent. Aussi les vit-on, en 474,
intervenir jusque dans les affaires intérieures de la monarchie : ce fut
Théodoric qui, à 1a mort de l’empereur Léon (457-474), assura le triomphe de Zénon sur
le rival qui lui disputait le trône. Désormais, les barbares furent plus
exigeants que jamais. Vainement, on essaya d’opposer leurs chefs les uns aux
autres (479) :
Théodoric pilla la
Macédoine, menaça Thessalonique, demandant toujours
davantage, obtenant en 484 le titre de consul, menaçant Constantinople en
487. Mais lui aussi se laissa tenter par l’attrait de l’Italie, où, depuis
476, l’empire d’Occident s’était écroulé et qu’habilement Zénon lui proposait
de reconquérir. Une fois de plus, le péril se détournait.
Ainsi l’invasion barbare avait glissé le long des
frontières de l’empire d’Orient, ou ne l’avait entamé que passagèrement ; si
bien que la nouvelle Rome restait debout ; comme grandie de la catastrophe où
s’abîmait l’ancienne Rome et, par là, encore davantage rejetée vers l’Orient.
III — LA CRISE
RELIGIEUSE.
L’autre crise fut la crise religieuse.
On a quelque peine, aujourd’hui, à comprendre l’importance
qu’eurent, au IVe
et au Ve
siècles, toutes ces grandes hérésies, arianisme, nestorianisme, monophysisme,
qui troublèrent si profondément l’Église et l’empire d’Orient. On y voit
volontiers de simples querelles de théologiens, s’acharnant en discussions
compliquées sur des formules subtiles et vaines. En réalité, elles eurent un
autre sens et une autre portée. Elles ont recouvert, plus d’une fois, des
intérêts et des oppositions politiques, qui devaient avoir, sur les destinées
de l’empire, de longues conséquences. Elles ont eu, par ailleurs, une
importance capitale pour fixer, en Orient, les rapports de l’État et de
l’Église, pour déterminer aussi les relations entre Byzance et l’Occident ;
et par tout cela elles méritent d’être attentivement étudiées.
Le concile de Nicée (325) avait condamné l’arianisme et
proclamé que le Christ était de même essence que Dieu. Mais les partisans
d’Arius n’avaient point fléchi sous l’anathème, et le IVe siècle avait été rempli par la
lutte ardente - où les empereurs mêmes prirent part passionnément - entre les
adversaires et les défenseurs de l’orthodoxie. L’arianisme, vainqueur avec
Constance au concile de Rimini (359), avait été écrasé par Théodose au concile de
Constantinople (381), et, dès ce moment,
s’était marqué le contraste entre l’esprit grec, épris de métaphysique
subtile, et le clair génie de l’Occident latin, l’opposition entre
l’épiscopat oriental, docile aux volontés du prince, et la ferme et hautaine
intransigeance des pontifes romains. Le débat qui, au Ve siècle, s’engagea sur l’union des
deux natures — la nature humaine et la nature divine — dans la personne du
Christ, accentua encore ces divergences et troubla l’empire d’autant plus
gravement que la politique se mêla à la querelle religieuse. En effet, de
même que les papes, en Occident, fondaient, avec Léon le Grand (440-462) la
monarchie pontificale, les patriarches d’Alexandrie, avec Cyrille (412-444) et
Dioscore (444-451),
tentaient alors, en Orient, d’établir une papauté alexandrine. Et par
ailleurs, à la faveur de ces troubles, les vieilles oppositions nationales,
les tendances séparatistes toujours vivantes trouvaient, dans la lutte contre
l’orthodoxie, une occasion propice de se manifester et mêlaient ainsi
étroitement au conflit religieux les intérêts et les visées politiques.
En 428, depuis vingt ans, Théodose II régnait à Byzance (408-450), sous la
tutelle de sa sœur Pulchérie. Éternel mineur, il passait son temps à peindre,
à enluminer ou à copier des manuscrits : ce qui lui a valu le surnom de Calligraphe. Si son souvenir cependant
subsiste dans l’histoire, c’est parce qu’il a fait bâtir la puissante
enceinte de remparts qui, durant tant de siècles, protégea Constantinople, et
parce que, dans le Code Théodosien, il a fait réunir les constitutions
impériales promulguées depuis Constantin. Mais, tel qu’il était, il devait,
en face des querelles de l’Église, se montrer étrangement faible et
impuissant.
Nestorius, patriarche de Constantinople, enseignait que
dans le Christ il fallait séparer la personne divine et la personne humaine,
que Jésus n’était qu’un homme devenu Dieu, et il refusait en conséquence à la Vierge l’appellation de Theotokos (mère de Dieu). Cyrille d’Alexandrie saisit
avec empressement cette occasion de diminuer l’évêque de la capitale et,
soutenu par la papauté, il fit au concile d’Éphèse (431) solennellement condamner le
nestorianisme ; après quoi, imposant sa volonté à l’empereur, il régna en
maître sur l’Église d’Orient. Quand Eutychès, quelques années plus tard,
exagérant la doctrine cyrillienne, fit de plus en plus disparaître la nature
humaine dans la personne divine (ce fut le monophysisme), il trouva de même. pour le défendre,
l’appui du patriarche d’Alexandrie Dioscore, et l’assemblée connue sous le
nom de brigandage
d’Éphèse (449),
sembla assurer le triomphe de l’Église d’Alexandrie.
Contre ces ambitions croissantes, l’empire et la papauté
également inquiets se coalisèrent. Le concile de Chalcédoine (451) fixa,
conformément à la formule de Léon le Grand, la doctrine orthodoxe sur l’union
des deux natures et marqua tout ensemble la ruine du rêve alexandrin et le
triomphe de l’État, qui dirigea en maître le concile et établit plus
fortement que jamais son autorité sur l’Église d’Orient.
Mais les monophysites condamnés ne s’inclinèrent point
devant la condamnation : ils continuèrent longtemps, en Egypte, en Syrie, à
constituer des Églises à tendances séparatistes, grave danger pour la
cohésion et l’unité de la monarchie. Rome, par ailleurs, malgré sa victoire
sur le terrain du dogme, dut accepter en frémissant l’extension de pouvoir du
patriarche de Constantinople, qui devint, sous la tutelle de l’empereur, le
vrai pape de l’Orient. C’était le germe de graves conflits. En face de la
papauté, toute-puissante en Occident, et aspirant à s’affranchir de
l’autorité impériale, l’Église d’Orient devenait une Église d’État, soumise à
la volonté du prince, et qui, de plus en plus, par la langue grecque dont
elle faisait usagé, par ses tendances mystiques hostiles à la théologie
romaine, par ses vieilles rancunes contre Rome, tendait à se constituer en un
organisme indépendant. Et par là encore, l’empire romain d’Orient prenait une
physionomie propre. C’est en Orient que s’étaient tenus les grands conciles,
en Orient qu’étaient nées les grandes hérésies ; et l’Église d’Orient enfin,
fière de la gloire de ses grands docteurs, les saint Basile, les Grégoire de
Nysse, les Grégoire de Nazianze, les Jean Chrysostome, persuadée de sa
supériorité intellectuelle sur l’Occident, de plus en plus inclinait à se
séparer de Rome.
IV — L’EMPIRE ROMAIN D’ORIENT A LA FIN DU Ve ET AU COMMENCEMENT DU VIe SIÈCLE.
Ainsi, vers le temps des empereurs Zénon (474-491) et
Anastase (491-518),
apparaissait la conception d’une monarchie purement orientale.
Depuis la chute, en 476, de l’empire d’Occident, à
l’empire d’Orient demeurait le seul empire romain. Et, quoiqu’il conservât, à
ce titre, un grand prestige aux yeux des souverains barbares qui s’étaient
taillé des royaumes en Gaule, en Espagne, en Afrique, en Italie, quoiqu’il
réclamât toujours sur eux de vagues droits de suzeraineté, en fait, par les
territoires qu’il possédait, cet empire était surtout oriental. Il comprenait
la péninsule des Balkans tout entière, à l’exception de la partie nord-ouest,
l’Asie Mineure jusqu’aux monts d’Arménie, la Syrie jusqu’au delà de l’Euphrate, l’Égypte et la Cyrénaïque. Ces
pays formaient 64 provinces ou éparchies, réparties entre deux préfectures du
prétoire : celle d’Orient (diocèses de Thrace, Asie, Pont, Orient, Egypte) et celle
d’Illyricum (diocèse
de Macédoine). Quoique l’administration de l’empire fût toujours
organisée sur le modèle romain et fondée sur la séparation des fonctions
civiles et militaires, le pouvoir impérial y était devenu de plus en plus
absolu, à la façon des monarchies orientales ; et, depuis 450, la cérémonie
du sacre lui donnait, par surcroît, le prestige de l’onction sainte et de
l’investiture divine. La sollicitude intelligente de l’empereur Anastase
assurait à cet empire des frontières solidement défendues, de bonnes
finances, une administration plus honnête. Et le sens politique des
souverains s’efforçait de rendre à la monarchie l’unité morale, en essayant,
fût-ce au prix d’une rupture avec Rome, de ramener les dissidents
monophysites. Ce fut l’objet de l’édit d’union (Henotikon), promulgué en 482 par Zénon,
et qui eut pour premier effet d’amener le schisme entre Byzance et Rome :
pendant plus de trente ans (484-518), avec une âpre intransigeance, les papes et les
empereurs, Anastase surtout, monophysite convaincu et passionné, se
combattirent ; et au cours de ces trubles, l’Empire d’Orient acheva de se
constituer en un corps séparé.
Enfin, de plus en plus, la civilisation de l’empire
prenait une couleur orientale. Même sous la domination de Rome, l’hellénisme,
dans tout l’Orient grec, était demeuré vivace et fort. De grandes et
florissantes cités, Alexandrie, Antioche, Ephèse, étaient le centre d’une
culture intellectuelle et artistique remarquable. Dans leur rayonnement, en
Egypte, en Syrie, en Asie Mineure, avait pris naissance une civilisation toue
pénétrée des traditions de la
Grèce classique. Constantinople, enrichie par son fondateur
des chefs-d’œuvre du monde grec, devenue par là le plus admirable des musées,
n’entretenait pas moins puissamment les souvenirs de l’antiquité hellénique.
Par ailleurs, au contact de la
Perse, le monde oriental s’était réveillé et avait repris
conscience de ses traditions anciennes ; en Egypte, en Syrie, en Mésopotamie
; en Asie Mineure, en Arménie, le vieux fond traditionnel reparaissait et
l’esprit oriental réagissait sur les pays jadis hellénisés. Par haine de la Grèce païenne, le
christianisme encourageait ces tendances nationales. Et du mélange de ces
traditions rivales naissait, dans tout le monde oriental, une activité
puissante et féconde. Economiquement, intellectuellement, artistiquement, la Syrie, l’Egypte,
l’Anatolie avaient, au IVe
et au Ve
siècles, une importance particulière dans l’empire : l’art chrétien y
préparait lentement, par une succession d’essais et de recherches savantes,
l’apogée magnifique que marqueront les chefs-d’œuvre du vie siècle ; et, dès
ce moment, il apparaissait comme un art essentiellement oriental. Mais tandis
que, dans les provinces, se réveillaient ainsi les vieilles traditions
indigènes et l’humeur séparatiste jamais oubliée, Constantinople aussi préludait
à son rôle futur, en accueillant, en combinant les éléments divers que lui
apportaient les civilisations diverses, en coordonnant les tendances
intellectuelles rivales, les procédés et les méthodes artistiques différents,
de façon à en faire sortir une civilisation originale.
Ainsi semblait s’achever l’évolution qui entraînait
Byzance vers l’Orient ; et on pouvait croire près de se réaliser la
conception d’un empire purement oriental, gouverné despotiquement, bien
administré, solidement défendu, se désintéressant politiquement de l’Occident
pour se replier sur lui-même, et n’hésitant point, pour retrouver en Orient
son unité religieuse, à rompre avec Rome et à constituer, sous la tutelle de
l’État, une Église presque indépendante de la papauté. Malheureusement pour
le succès de ce rêve, cet empire, à la fin du Ve siècle et au commencement du VIe, était
dans un état de crise redoutable. Depuis 502, les Perses avaient recommencé
la guerre en Orient ; en Europe, les Slaves et les Avars commençaient leurs
incursions au sud du Danube. A l’intérieur, le trouble était extrême. La
capitale était agitée par les querelles des factions du cirque, les Verts et
les Bleus ; les provinces, mécontentes, ruinées par la guerre, écrasées
d’impôts, cherchaient toutes les occasions de manifester leurs revendications
nationales ; le gouvernement était impopulaire ; une puissante opposition
orthodoxe combattait sa politique et fournissait un prétexte commode aux
révoltes des ambitieux, dont la plus grave fut en 514 celle de Vitalien ;
enfin, le souvenir persistant de la tradition romaine, entretenant l’idée de
l’unité nécessaire du monde romain, de la Romanie,
ramenait sans cesse les esprits vers l’Occident. Pour sortir de cette
instabilité, il fallait. une main vigoureuse, une politique nette, aux vues
précises et fermes. Le règne de Justinien allait l’apporter.
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