Des Lettres et des Arts en Europe, et surtout en Italie, depuis la fin du treizième siècle jusqu'au pontificat de Léon X. § I. — Réflexions générales. DÈS le milieu du treizième siècle, l'Europe méridionale semblait toucher au moment d'une renaissance universelle. Tout à coup les progrès des lumières s'arrêtent, et, pendant près de deux siècles, la France, l'Angleterre et l'Espagne, divisées par la guerre et bouleversées par les factions, perdent le fruit de leurs premiers efforts et menacent de retomber dans leur récente barbarie. L'Italie seule voit, au milieu de ses discordes civiles, briller les arts de la paix, et se prépare la gloire d'éclairer le monde une seconde fois. La double supériorité du génie et du savoir, si bien acquise à l'Italie, ne fut pas l'effet du hasard. Partagée en un grand nombre de souverainetés, elle offrait, dans toutes ses villes, des cours rivales de magnificence comme d'intérêts, qui se disputaient les talents, et dont les princes tenaient à honneur l'amitié d'un grand poète, d'un savant laborieux, d'un artiste habile. Le mérite, partout recherché, partout accueilli, pouvait braver la persécution et l'envie, changer de séjour sans changer de patrie, sûr de rencontrer toujours, dans le palais hospitalier, des juges éclairés et des protecteurs généreux. C'est ainsi que le Dante proscrit trouva un honorable asile à la cour du grand Cane della Scala, et que Pétrarque, proclamé grand poète à Naples par diplôme, et, couronné au Capitole sous le manteau royal de Robert le Sage, fut réclamé par les papes d'Avignon, justes et indulgents admirateurs de son génie et de ses vers. Les républiques, et surtout Florence, s'associèrent au patronage littéraire des pontifes et des princes. Leurs opulents citoyens s'aperçurent que la richesse, appliquée aux seuls besoins de la vie, est un avantage vulgaire ; ils se sentirent entraînés vers de plus nobles jouissances. L'architecture embellit leurs demeures, la peinture les décora, l'esprit et la science y introduisirent les charmes de la vie sociale. L'histoire littéraire de l'Italie pendant cette période présente deux époques bien distinctes. La première, qui commence à l'exil du Dante (1300) et se termine à la mort de Boccace, en 1375, est marquée par le perfectionnement de la langue italienne et par les ouvrages de trois écrivains immortels. A la seconde appartient la renaissance de la littérature classique ; c'est l'âge de l'érudition. § II. — Littérature italienne. De toutes les langues latines, l'italienne est fixée la première, et bien longtemps avant les autres, par trois hommes de génie, qui eurent, même de leur vivant, quelques heureux imitateurs. Le Dante, dans sa Divine Comédie, donne à l'idiome toscan une énergie dont il ne paraissait pas susceptible ; Pétrarque, dans ses Odes et ses Sonnets, lui prêle la douceur et la délicatesse, et le plie à tous les rythmes de la poésie provençale ; Jean Villani et Boccace rendent les mêmes services à la prose italienne, qui, sous leur plume, devient élégante et noble sans perdre sa naïveté primitive. Le Dante, Pétrarque et Boccace composent le triumvirat du premier siècle littéraire de la moderne Italie.
§ III. — Littérature classique et renaissance des lettres grecques. Les universités se multiplièrent de bonne heure en Italie comme dans le reste de l'Europe. Le grand nombre de celles qui furent instituées pendant cette période historique, si féconde en calamités de toute espèce, prouve que les rois sentirent la nécessité de seconder le mouvement intellectuel qui se faisait sentir de toutes parts. Universités des XIVe et XVe siècles.
En Italie, les écoles furent moins asservies à la scolastique que les Universités de France, d'Angleterre et d'Allemagne. L'étude des lois civiles n'avait pas cessé d'être cultivée à Bologne, à Padoue et dans d'autres villes. Quelques grands jurisconsultes parurent dans le quatorzième siècle.
Sous le rapport littéraire, les Italiens sentirent plus tôt que les autres nations le besoin de puiser le savoir dans les sources pures de l'antiquité, et les plus beaux génies mirent leur gloire à étudier et à répandre la connaissance des écrivains de l'ancienne Rome. C'est surtout au poète Pétrarque que l'Europe est redevable de la restauration des lettres classiques ; c'est aussi lui qui, le premier, s'essaya, quoique sans succès, à l'étude de la langue grecque, dont il prit des leçons du moine Barlaam, en 1339 et 1342. Boccace, plus heureux ou plus constant que son ami, fit établir à Florence une chaire de langue hellénique en faveur du Grec Léonce Pilate (1367). Il devint lui-même le premier disciple de ce savant professeur, et Homère, oublié depuis plus de neuf siècles, retrouva un lecteur dans l'Occident. Malgré les efforts et l'influence de Boccace, ce ne fut que vingt ans après sa mort que l'étude de la langue grecque s'établit en Italie de manière à n'y plus être interrompue. C'était le temps où le rapprochement des deux Églises et les progrès des Turcs avaient ouvert des rapports fréquents entre l'Orient et l'Occident. Un envoyé de l'empereur Manuel, Chrysoloras, fit ses premières lectures publiques à Florence vers l'an 1396, et attira dans cette ville la foule des savants empressés de l'entendre. L'enthousiasme excité par Chrysoloras détermina à un exil volontaire les plus savants de ses compatriotes, que les bienfaits des princes et l'admiration publique fixèrent pour toujours en Italie. Bessarion, le plus célèbre de tous, reçut la pourpre romaine en récompense de son mérite. Après la prise de Constantinople, d'autres Grecs, fuyant le joug des Turcs, trouvèrent en Italie une patrie nouvelle qui s'enorgueillit d'adopter les derniers dépositaires du savoir de la Grèce antique. Pour prix d'une hospitalité si généreuse, les Grecs apportèrent aux Italiens les ouvrages, si longtemps ignorés, des orateurs et des poètes d'Athènes, seul trésor que ne leur enviait pas la barbarie ottomane. Les leçons de ces maîtres étrangers formèrent des élèves qui devinrent maîtres à leur tour. La plupart s'attachèrent avec tout le zèle du prosélytisme à la philosophie platonicienne, dont Gemistus Pletho avait été le premier, propagateur, et qui trouva dans les jardins des Médicis une nouvelle Académie. Si cet enthousiasme pour une littérature étrangère fit négliger par les Italiens la langue et la poésie, nationales, il ne refroidit en rien l'ardeur des savants pour une autre littérature qui était également indigène en Italie. A l'exemple de Pétrarque, et d'après ses indications, le Pogge et ses amis se livrèrent avec une avidité incroyable à la recherche des manuscrits latins, et les chefs-d'œuvre du génie littéraire furent tirés de la poudre des cloîtres, dans le même temps que les ouvrages du ciseau des Grecs sortirent des décombres des villes. Alors, par un, bonheur singulier, l'imprimerie et la gravure furent découvertes pour perpétuer les chefs-d'œuvre ou en reproduire l'image. Aux princes de l'Église romaine appartenait l'honneur de présider au rétablissement des lettres dont la religion ne dédaigne pas le secours, et d'encourager les beaux-arts, qui devaient ajouter à la magnificence du culte. Plusieurs papes acceptèrent cette honorable tâche, et l'on peut regarder Nicolas V et Pie II comme les précurseurs de Léon X. Mais ce fut surtout dans sa famille que ce pontife puisa le goût des arts et cette libéralité éclairée qui les rend féconds en prodiges. Le patronage des talents semblait faire partie de l'héritage des Médicis. Après la mort de son père Laurent le Magnifique, Léon X le reçut en partage. PHILOSOPHES HELLÉNISTES
PHILOSOPHES ET ÉRUDITS ITALIENS
Il faut remarquer que plusieurs de ces savants personnages étaient tout à la fois poètes, historiens et philosophes. Nous ne citerons comme poètes que Louis Pulci, mort vers l'an 1487 ; Laurent de Médicis, en 1492, et Boiardo, en 1495. Leurs ouvrages annoncèrent le retour des Italiens à la poésie. La littérature classique fit d'abord peu de progrès en France, en Angleterre et en Espagne, et les lumières de Florence ne jetèrent quelques rayons dans ces contrées qu'à la fin du quinzième siècle, lorsque les esprits se furent désabusés des querelles scolastiques. Peu d'années après la prise de Constantinople, en 1458, Grégoire Tiphernas fit entendre le premier dans Paris les accents de la muse ionienne ; mais cet enseignement n'eut pas de suite, et jusqu'à la création du Collège de France par François Ier, on peut dire que les lettres grecques furent complètement ignorées en France. En Angleterre, trois élèves de l'école de Florence réussirent, non sans opposition, à introduire l'étude du grec dans l'université d'Oxford, sous le règne du premier Tudor. Dans les autres parties des connaissances humaines, les Anglais citent à peine quelques noms dignes d'être connus : tels sont le poète Chaucer (1400) et le jurisconsulte Fortescue (1481). En Espagne, la poésie, dégagée de l'influence arabe et de l'imitation provençale, prit un caractère plus libre, plus original. Elle devint véritablement nationale sous le règne de Jean II de Castine. Santillane, Jean de Mena et Jorge Manrique fixèrent la langue et les divers rythmes poétiques. Ce pays dut la renaissance des bonnes études à un illustre professeur de Salamanque, Antoine de Lebrija, mort en 1522, dont les efforts furent puissamment secondés par le cardinal-ministre Ximénès, protecteur éclairé des talents. § IV. — Littérature française. Malgré la protection bienveillante que les rois Jean et Charles V accordèrent aux lettres, la France compte peu d'auteurs célèbres sous le règne des premiers Valois. Pourtant la langue vulgaire fut adoptée de préférence à la latine par les poètes et les historiens. Mais les écrivains furent peu nombreux, et parmi eux aucun n'eut assez de génie pour ennoblir et fixer la langue française. Bien que les deux-dialectes romans qu'on parlait en France eussent été cultivés les premiers de tous, néanmoins le provençal dégénérait déjà en patois, et le français devait arriver à sa perfection après tous les autres idiomes latins. Plusieurs bons Mémoires, parmi lesquels on distingue ceux de Duguesclin, d'Olivier de la Marche, et surtout ceux de Commines ; les Chroniques de Froissard, de Monstrelet et de Juvénal des Ursins ; quelques poésies peu remarquables, des fabliaux et des mystères, telles sont les richesses littéraires de la France pendant les quatorzième et quinzième siècles. HISTORIENS
POÈTES
§ V. — Beaux-Arts. 1. Depuis que les premiers architectes de Pise et de Florence avaient ramené l'art à la noble simplicité de l'architecture grecque, de nombreux monuments s'étaient élevés en Toscane, à Venise, et dans la Lombardie. Au commencement du quinzième siècle, le Florentin Brunelleschi surpassa tous ses devanciers, et porta le dernier coup au genre gothique, qui régnait encore hors de l'Italie. Alors on construisit des édifices pompeux consacrés à la religion, à l'utilité publique ou à la vanité. Les marchands de Venise, de Florence et de Gênes, habitaient des palais élégants, pendant que des citadelles massives servaient encore de demeure aux plus grands rois de la chrétienté. ARCHITECTES ET SCULPTEURS
2. La peinture suivit les progrès de l'architecture, ou plutôt ces deux arts marchèrent toujours de front. Les créateurs de la peinture moderne furent aussi des architectes habiles. Il paraît que Cimabué et Giotto eurent peu d'imitateurs dignes d'eux pendant le quatorzième siècle ; mais, dans les premières années du siècle suivant, l'art s'enrichit d'une découverte inappréciable dont la gloire appartient aux Pays-Bas. Hubert Van Eych et Jean de Bruges, son frère, inventèrent la peinture à l'huile, qui devait donner plus de perfection au coloris et prolonger la durée des ouvrages. Ils doivent être regardés comme les fondateurs de l'école flamande.
§ VI. — Découvertes. Quelques-unes des inventions que nous allons rappeler ici sont antérieures aux deux derniers siècles du moyen âge ; mais c'est pendant cette période qu'elles ont reçu leurs plus importantes applications. 1. Le papier de linge commençait à devenir commun peu de temps avant que l'imprimerie fût découverte. 2. L'imprimerie, connue des Chinois dès l'an 932, fut découverte en Europe quelques années avant la prise de Constantinople. On avait inventé d'abord la gravure en bois. Vers l'an 1436, Jean Guttemberg, de Mayence, imagina les caractères mobiles. On attribue la découverte de la fonte à Schœffer de Gernsheim (1452). Fust, associé à Guttemberg, prêta son nom plébéien au gentilhomme de Mayence, dont il seconda utilement les efforts ; et des presses de ces premiers typographes sortirent les premiers exemplaires de la Bible et du Psautier (1457). L'imprimerie fut bientôt perfectionnée en Italie, et lentement introduite dans les autres contrées. Les Juntes et les Manuces publièrent les éditions principes des classiques. On compte 1.303 auteurs imprimés entre les années 1457 et 1500. 3. La gravure en cuivre fut peut-être inventée par Maso Finiguerra, orfèvre de Florence, en 1460. Peu d'années après, nous la voyons cultivée en Allemagne avec plus de succès qu'en Italie. Les premiers essais d'Albert Durer appartiennent au quinzième siècle. 4. La poudre à canon était encore le secret de quelques alchimistes, lorsque les Maures espagnols l'employaient dans les sièges. Premier usage du
canon en Espagne, à la défense de Niebla par Ben-Obéid, 1257 ; des mousquets
avant l'an 1432. Invention des bombes par Malatesta de Rimini, vers 1450. Les
mines pratiquées par les Gênois en 1487. L'ignorance de la chimie retarda le perfectionnement de la poudre, et l'usage des armes à feu ne devint général qu'à la fin du quinzième siècle. Pendant longtemps les chevaliers le repoussèrent, semblables à ces héros d'Homère dont la valeur loyale dédaignait les armes qui blessent de loin. Cependant les armes à feu prévalurent, et il fallut alors modifier les règles de la tactique et de la stratégie, surtout dans ce qui concerne l'attaque et la défense des places. Ainsi devinrent impuissants les hauts remparts, les tours, les créneaux, les mâchicoulis, qui protégeaient contre la justice des lois les insolents vassaux et les bourgeois turbulents du moyen âge. La féodalité disparut sans retour avec les libertés municipales. L'artillerie, qui détruisit les tyrannies subalternes, devait assurer le triomphe de la civilisation en donnant la science pour auxiliaire à la valeur, et en rendant impossible une nouvelle invasion des Barbares. 5. La boussole, connue des marins provençaux sous le nom de Marinette, fut adoptée dans toute l'Europe et perfectionnée par les Anglais pendant le cours du XVe siècle. Cet instrument pouvait seul donner les moyens de tenter de longues navigations ; et ce n'est que par le secours de l'aiguille aimantée que les Espagnols et les Portugais ont découvert l'Amérique et les Indes. FIN DE L'OUVRAGE |
[1] C'est pendant cette période que florissaient les historiens grecs Pachymère, 1310, et Jean Cantacuzène, 1357 ; l'Arabe Aboulféda, 1331 ; le Persan Chefféreddin, 1424 ; et l'Égyptien Makrizi, 1422.
[2] Nous ne pouvons donner la date précise de plusieurs autres Universités dont la création se rapporte à cette période.