Revue des États scandinaves et slaves, depuis leurs premiers temps historiques jusqu'au milieu du quinzième siècle. § I. — États scandinaves. LES trois royaumes de la Cimbrie et de la Scandinavie, dont l'origine se perd dans la nuit des temps, ne sont révélés à l'histoire avant le douzième siècle que par les émigrations des pirates northmans, et ils n'entrent en communauté de mœurs et d'idées avec l'Europe policée que par leur conversion au christianisme. Encore ces grossiers rudiments de civilisation que leur porta la prédication de l'Évangile ne doivent-ils se développer que par les fréquents rapports que le Danemark aura avec l'empire, et la Suède avec le Danemark. Danemark. — Les rois de Danemark, ne pouvant plus rien entreprendre contre l'Angleterre depuis la conquête de cette île par les Normands neustriens, tournèrent leurs armes contre les Slaves de la Baltique, au commencement du douzième siècle. C'est alors que saint Canut subjugua les Obotrites du Mecklembourg, en 1130, et prépara la grandeur de son fils Waldemar Ier. Ce prince, dont le règne commence à répandre quelque intérêt sur l'histoire de son pays, purgea la Baltique des pirates slaves qui l'infestaient, soumit les princes de Julin et de Rügen, fonda la colonie de Dantzick et le château de Copenhague, intervint dans les augures de, l'Empire, et donna de sages lois à ses peuples (1157-1182). Les fils de Waldemar le Grand, Canut IV et Waldemar le Victorieux, étendirent les conquêtes de leur père et continuèrent à policer les Danois. Le premier contint les Slaves tributaires, et réunit le Holstein à ses États ; Waldemar Il rendit la couronne de Norvège vassale de la sienne, subjugua la Poméranie orientale, et fit ériger ses conquêtes en royaume de Vandalie par l'empereur Frédéric II (1214). Il fit la guerre aux peuples idolâtres de l'Esthonie et de la Courlande, et fonda au milieu d'eux la ville de Revel. Conquérant heureux et législateur éclairé, il aurait assis la grandeur du Danemark sur une base solide, s'il ne fut tombé entre les mains d'un traître qui le jeta dans les fers. Sa captivité fit éclater une insurrection parmi ses sujets slaves ; et, lorsque la liberté lui fut rendue, il n'était plus temps de les ramener à l'obéissance. L'étendard national du Danebrog succomba à Bornhovède, et cette défaite de Waldemar II assura l'affranchissement du Holstein et du Mecklembourg, de Hambourg et de Lubeck (1227). Depuis la mort de Waldemar Il jusqu'à l'élection de Waldemar III, durant l'espace d'un siècle le Danemark est déchiré par des dissensions, toujours renaissantes, qui, sous le règne de Christophe Ier, donnent lieu au démembrement du royaume et des domaines de la couronne. Waldemar III livre l'Esthonie à l'Ordre Teutonique ; mais par le rachat du Holstein et de la Scanie, et par l'acquisition de l'île de Gothland, il rend au Danemark son ancienne importance. Sa fille Marguerite, dernier rejeton de la race danoise d'Odin, porta toute cette puissance dans la maison de Suède, par son mariage avec le roi Haquin de Norvège. Cette princesse, appelée au trône de Suède, devait bientôt réunir sur sa tête les trois couronnes du Nord. Suède. — Avant que les Northmans du Danemark eussent conquis l'Angleterre, les Northmans de la Suède avaient fondé, dans le pays des Slaves, le grand empire de Russie. Mais la péninsule Scandinave, d'où sortirent ces conquérants, était encore sauvage au douzième siècle, et c'est à la sollicitude des papes que les Suédois durent leurs premiers éléments de civilisation, par l'établissement de nombreuses écoles et du monastère de Wodstena, qui l'ut une véritable propagande de la religion et des lumières. Eric le Saint, un des fils de Suerker, qui commença à léguer en 1150, contribua avec zèle à policer la nation, et ses bienfaits s'étendirent aux peuples finnois, qu'il convertit par ses victoires. Sa mort réunit le royaume de Gothie à celui d'Upsal, qui était échu à son frère Charles VII. Mais la Suède, déchirée par ses divisions après la mort de ces deux princes, ne forma un seul royaume que sous le règne heureux de Magnus Ladélas, qui le premier prit, en 1279, le titre de roi des Goths et des Suédois. L'ordre de succession élective suivi en Suède fut une source éternelle de divisions et de troubles civils. D'abord le choix de la nation ne sortait pas de la race d'Odin ; mais, à, la longue, les ambitions étrangères parvinrent à se faire jour dans le royaume, et les alliances de la maison royale avec des familles du dehors multiplièrent les prétendants. De ce nombre fut Albert de Mecklembourg, qui, en 1363, fut appelé à la couronne par les États de Suède alors placés sous l'influence de la Hanse teutonique. Ce prince trahit la confiance de la nation en livrant l'île de Gothland au roi de Danemark ; il s'attira la haine de la noblesse en portant atteinte aux privilèges de cet ordre. Pour affranchir le pays de sa tyrannie, les principaux seigneurs, sûrs de l'assentiment du sénat -de Stockholm, offrirent la couronne à Marguerite de Danemark, qui avait épousé le prédécesseur d'Albert (1388). Cette héroïque fille de Waldemar III vainquit Albert, et le fit prisonnier à la bataille de Falkœping, qui amena, en 1389, la réunion, sous un même sceptre, de la Suède, du Danemark et de la Norvège. Union de Calmar, 1397. — Pour consolider dans l'avenir l'union des trois couronnes du Nord, Marguerite assembla une diète générale à Calmar, et y fit jurer, par les députés des trois nations, la fédération perpétuelle du Danemark, de la Suède et de la Norvège. Trois clauses principales furent données pour bases à ce grand acte : le maintien de la succession élective, le séjour alternatif du souverain dans chaque pays, et l'observation des lois particulières de chacun des trois royaumes. Dans cette même diète de Calmar, Éric le Poméranien, neveu de Marguerite, fut reconnu et couronné roi du Nord. Marguerite de Waldemar gouverna jusqu'en 1412 les États réunis par ses armes et par sa politique. Mais après elle les inimitiés nationales relâchèrent, sous Éric, les liens de l'union scandinave, qui fut dissoute en 1448, à la mort de Christophe le Bavarois. Les Suédois se détachèrent alors de la triple alliance, et se donnèrent pour roi Charles VIII Canutson. Les Danois et les Norvégiens restèrent unis, et la maison allemande d'Oldenbourg fut appelée à régner sur les deux nations, par l'élection de Christiern Ier, qui apportait sur le trône l'expectative prochaine du Sleswik et du Holstein, réunis en 1459. § II. — Etats slaves. Comme les principautés slaves de l'Elbe et de la Baltique peuvent facilement être réunies, dans l'histoire, avec les grands Etats qui les entouraient, nous nous arrêterons seulement sur les deux principales nations originaires de la Sarmatie, les Russes et les Polonais. Russie. — Cet empire, dont les commencements avaient été si glorieux, fut démembré en plusieurs principautés, et tomba dans l'anarchie après la mort du sage Iaroslaf, en 1054. Déchiré par les guerres civiles que se faisaient les princes de Kief, de Novogorod, de Rezan, de Suzdal, de Wladimir, de Moscou, etc., il se trouve successivement assailli par les Cumans ou Polovtsi, les Bulgares, les Lithuaniens et les Polonais, jusqu'à ce qu'enfin les Mongols viennent le bouleverser, sous les fils de Gengis-Khan, vers le milieu du treizième siècle. Les divers princes russes deviennent alors tributaires des khans du Kaptschak, et la nation est loin de trouyer le repos sous le joug étranger ; elle est, au contraire, plus divisée que jamais par les querelles des descendants de Rurik, et ses ennemis extérieurs profitent de sa faiblesse pour la morceler encore. Vers l'an 1250, les Lithuaniens, peuple de race lettone, secouent le joug des Russes, sous Ringold, leur premier grand-duc, et s'agrandissent bientôt aux dépens de leurs anciens maîtres. Gédimin, un de ses successeurs, fonde Wilna, qui devient la capitale de la Lithuanie, et, peu de temps après, il enlève aux Russes leur antique métropole de Kief (1320). Les Polonais envahissent de leur côté les provinces méridionales, et, au quatorzième siècle, leur roi Casimir le Grand s'empare de la Russie Rouge, de la Podolie et de la Volhynie. Au milieu de l'anarchie et du chaos qui remplissent l'histoire russe de ce temps, on distingue le règne de Dimitry II, surnommé Donski pour avoir battu les Tartares sur le Don, en 1380, et affaibli par cette victoire la puissance de la Grande Horde. Cependant les Mongols du Kaptschak ne renoncèrent pas à leurs entreprises sur la Russie, et, deux ans après leur défaite, ils vinrent saccager Moscou, qui n'en devint pas moins, réparée par les soins de Dimitry, la première des cités russes. Elle acquit une nouvelle importance sous Wasili II, qui réunit plusieurs principautés à celle dont Moscou était la capitale (1380-1425). Cependant des débris de la Grande Horde s'était formée une domination puissante qui eut pour siège Kasan, et pour fondateur le khan Mahmet. Les Moscovites se trouvèrent engagés dans de fréquents démêlés avec ces nouveaux voisins, et leur capitale fut incendiée par Mahmet, en 1441. Mais ce désastre devait bientôt être vengé par les victoires d'Iwan Ier Wasiliewitsch, qui rétablit l'unité et la gloire de l'empire russe. Pologne et Ordre Teutonique. — Un des plus illustres ducs de la race de Piast, Boleslas III le Victorieux, éleva la Pologne à un degré de puissance qu'elle n'avait jamais atteint avant lui ; mais son vaste héritage fut divisé à sa mort entre ses quatre fils (1139), et l'on vit s'élever en Silésie, à Poznan, à Lublin et à Thorn, quatre principautés indépendantes et presque toujours ennemies. La Pologne, ainsi démembrée, reculade plusieurs siècles vers son berceau. Les Prussiens, encore sauvages et idolâtres, apprirent dès-lors à profiter des dissensions de leurs voisins pour s'enrichir de leurs dépouilles, et leurs incursions désolèrent surtout la Mazovie. Conrad, prince de Thorn, appela à son secours les chevaliers de l'Ordre Teutonique, et céda la ville de Culun au grand-maître Herman de Saltza (1226). Les Teutons, fidèles au vœu qu'ils avaient fait de combattre les Infidèles, s'érigèrent en croisade permanente contre les Prussiens. Ils devinrent bientôt formidables à l'est de la Vistule, par la conquête de la Courlande et par leur union à l'Ordre des Porte- Glaives, qu'un évêque de Riga avait créé dans la Livonie en 1201. Ces deux associations guerrières domptèrent la férocité des Prussiens, et les forcèrent à recevoir le baptême vers la fin du treizième siècle. De nombreux colons, appelés de l'Allemagne, défrichèrent les terres des vaincus ; des villes florissantes, telles que Kœnigsberg, Memel, Marienwerder, s'élevèrent dans leurs forets ; l'Ordre Teutonique, exile de la Palestine, se transporta tout entier sur les bords de la Baltique, et Marienbourg devint, en 1309, la résidence de son grand-maître. Ainsi s'était élevée sur la frontière de la Pologne une puissance plus redoutable pour ce royaume que les Prussiens. Avant même que Sigefroy de Feuchtwangen portât le siège de l'Ordre sur la Vistule, la guerre avait éclaté entre la colonie teutonique et les monarques polonais, au sujet de la possession de Dantzick. Wladislas Loketek, rétabli sur le trône de Pologne après la mort de Wenceslas de Bohême, résista à tous les efforts des Chevaliers, et par la réunion des principautés démembrées depuis 1139, donna un nouveau lustre à la nation polonaise. A l'exemple de Boleslas Chrobry et de quelques autres de ses ancêtres, Loketek prit, en 1320, le titre de roi, qui passa à son fils Casimir III et à tous ses autres successeurs. 1333-1370. — CASIMIR III, justement surnommé le Grand, suspendit les hostilités avec les Teutons par le traité de Kalisch, qu'il n'observa pas longtemps (1343). Il signala son règne par des victoires sur les Bohémiens, les Tartares, les Lithuaniens et les Russes. Après avoir reculé les limites de ses États jusqu'au Borysthène, il donna le premier un code de lois à ses peuples, restreignit l'autorité absolue des rois de Pologne, associa la noblesse au pouvoir législatif, améliora la condition des paysans, et vivifia le commerce par les privilèges qu'il prodigua aux Juifs. Ce grand homme fut le dernier prince de la race de Piast. La nation polonaise, assemblée pour donner un successeur à Casimir, déféra la couronne à son neveu Louis, roi de Hongrie, de la maison d'Anjou. On vit alors le premier exemple des capitulations royales, si célèbres depuis en Pologne sous le nom de Pacta conventa. JAGELLONS, 1386. — Une fille de Louis le Grand, Hedwige, élue pour succéder à son père, porta la couronne de Pologne dans la maison des princes de Lithuanie par son mariage avec Wladislas Jagellon, qui embrassa le christianisme et le fit prêcher à ses sujets encore barbares. Cette union réconcilia deux nations longtemps rivales, et la Lithuanie, transformée en grand fief de la Pologne, éleva ce royaume à un degré de puissance alarmant pour les Russes et pour les chevaliers Teutons. De son côté, l'Ordre Teutonique arrivait alors à sa plus grande prospérité. A l'acquisition de l'Esthonie, qu'il avait faite en 1347, il ajoutait la Nouvelle Marche de Brandebourg et la Samogitie, qui mettaient sous ses lors toute la côte de la Baltique depuis l'Oder jusqu'au golfe de Finlande. La guerre ayant éclaté entre le roi de Pologne et le grand-maître, Jagellon remporta, en 1410, la victoire de Tanneberg, qui commença la décadence de l'Ordre. Wladislas VI, fils de Jagellon, conclut à Brzesc, avec les Chevaliers, un traité de paix perpétuelle qui rendit au royaume de Pologne la Samogitie et la Sudavie (1436). L'élection de ce prince au trône de Hongrie, après la mort d'Albert d'Autriche, allait donner un nouvel éclat à sa couronne héréditaire ; mais le désastre de Varna, où Wladislas périt en combattant les Turcs, intercepta les nouvelles destinées de la dynastie jagellonne (1444). Traité de Thorn, 1466. — La Pologne, ayant dès-lors reporté toutes ses vues d'agrandissement vers la Baltique, prit sous sa protection les Prussiens, toujours disposés à secouer le joug des Teutons (1454). Elle se trouva ainsi engagée dans la guerre la plus animée qui ait jamais ensanglanté les bords de la Vistule, et qui se termina par la paix de Thorn. Ce traité célèbre, conclu entre le roi Casimir IV et le grand-maître Louis d'Erlichshausen, réunit la Prusse occidentale à la couronne de Pologne, et l'Ordre Teutonique ne conserva sa souveraineté sur les Prussiens orientaux que sous la condition de l'hommage. La Pologne devint alors plus que jamais la puissance prépondérante du Nord, et la domination teutonique déclina rapidement jusqu'à l'émancipation de la Livonie en 1521, et la sécularisation luthérienne du duché de Prusse en 1525. |