PRÉCIS DE L'HISTOIRE DU MOYEN ÂGE

SECONDE PARTIE. — DEPUIS LA PREMIÈRE CROISADE JUSQU'À LA PRISE DE CONSTANTINOPLE PAR LES TURCS OTTOMANS, 1095-1453

 

CHAPITRE ONZIÈME.

 

 

DE L'ITALIE.

De Rome et des Papes avant et pendant le grand schisme. — Communes de Toscane. — Seigneuries lombardes. — Républiques maritimes. — Royaumes de Naples et de Sicile.

 

État du pays. — Les querelles des maisons d'Anjou et d'Aragon, la translation du siège pontifical en France, la révolution aristocratique de Venise, la ruine de la marine pisane, l'élévation des Visconti, et l'oppression presque générale des communes libres ; tous ces événements contemporains font naître, au commencement du quatorzième siècle, de nouveaux intérêts et une politique nouvelle.

Les noms de Guelfe et de Gibelin remplissent l'histoire de ce siècle. Mais ces partis n'ont plus un but unique et déterminé ; on voit, dans le même temps et dans la même contrée, des tyrans guelfes et des républiques gibelines. Le guelfe Alighieri Dante devint un des plus ardents défenseurs de la prérogative impériale, et le gibelin Pétrarque fut l'ami et le partisan du démagogue Rienzi.

Les Guelfes ont pour eux les papes, les rois de France et les princes de la maison Angevine de Naples. Florence est leur centre d'activité et leur dernier asile.

Les Gibelins reçoivent une protection vague des empereurs d'Allemagne, dont l'intervention dans les affaires d'Italie ne sert qu'à donner une couleur légitime aux usurpations des tyrans.

Au milieu des combats sans fin que se livrent les deux partis, des aventuriers ou condottieri, pour la plupart étrangers jusqu'en 1380, tels que le Provençal Montréal, l'Anglais Haukwood (Aucudo), l'Allemand Werner, l'Espagnol Raymond de Cardone, etc., vendent leurs services au plus offrant, et désolent l'Italie par leurs brigandages. Mais aucun de ces chefs d'aventuriers ne doit égaler la haute fortune de Jacques Sforce et de son fils.

Pour mettre quelque ordre dans un tableau aussi confus, nous allons distribuer les faits principaux d'une manière conforme aux grandes divisions géographiques et à l'esprit de l'histoire.

 

§ I. — De Rome et du souverain pontificat.

 

La translation du saint Siège à Avignon, en 1309, fit naître des circonstances qui, mettant en jeu la mutinerie des Romains et l'esprit indépendant du clergé, furent sur le point d'anéantir la puissance temporelle des papes, et d'affaiblir leur autorité spirituelle. L'absence des souverains pontifes livra Rome à l'ambition de ses tribuns : leur retour en Italie donna naissance au grand schisme d'Occident ; il compromit leur suprématie en la divisant, et en la soumettant à des discussions dangereuses.

Conjuration de Rienzi, 1347. — Des légats apostoliques, résidant à Pérouse, gouvernaient les Etats de l'Eglise, mais n'exerçaient sur la capitale du monde chrétien qu'une autorité indirecte. Rome avait conservé quelques institutions républicaines, et des magistrats élus par les citoyens, tels qu'un sénateur annuel, des capitaines du peuple et le conseil municipal des Caporioni. Elle flottait entre l'oligarchie et la démocratie, entre les Gibelins et les Guelfes. Du milieu de cette anarchie, et des derniers rangs du peuple, sortit un tribun audacieux qui prétendit faire revivre l'ancienne république et rendre aux Romains l'empire du monde chrétien.

Nicolas de Rienzi s'empare du gouvernement de Rome et annonce le rétablissement de la république sous le nom de Bon État. Il en fait jurer l'observation aux nobles romains et en propose l'adoption aux villes d'Italie et aux princes de la chrétienté. Il ose citer à son tribunal le pape Clément VI, l'empereur Charles IV, la reine Jeanne de Naples, etc., et s'érige en médiateur des rois. Mais, arrivé au comble du pouvoir, le tribun se rend odieux à tous les partis, aux grands par son inflexible rigueur, au peuple par une vanité puérile. Au moment du danger, il s'évade du Capitole et se réfugie en Hongrie, puis à la cour de l'empereur. Charles IV le livre au pape, qui le fait enfermer dans les prisons d'Avignon.

1353-1377. — Après la fuite de Rienzi, les Romains s'étaient laissé séduire par d'autres démagogues. Le pape Innocent VI entreprend de les ramener par l'influence du proscrit qui avait été leur idole, et envoie Rienzi en Italie avec le légat Albornoz. Le peuple reçoit avec enthousiasme le tribun du Bon État, et le massacre bientôt après, à l'instigation des Colonnes (1354). Albornoz, habile général et grand politique, comprime les factions, réduit les vassaux et les villes rebelles de la Romagne, et, par le rétablissement de la puissance pontificale, aplanit la voie au retour des papes, qui eut lieu en 1377.

Grand schisme d'Occident, 1377-1449. — Après la mort du pape Grégoire XI, qui avait rapporté à Rome le siège pontifical, les cardinaux élurent d'abord Urbain VI, et, révoquant ensuite cette nomination irrégulière, réunirent leurs suffrages sur Clément VII, qui alla résider à Avignon. Dès lors la chrétienté se divisa en deux obédiences, et le schisme d'Occident commença. Sous le double pontificat de Benoît XIII et de Grégoire XII, un concile se tint à Pise pour porter remède à ce désordre. Mais l'élection d'Alexandre V ne fit qu'ajouter un troisième pape aux deux qui se disputaient la tiare (1409).

Conciles de Constance et de Bâle, 1414-1431. — Le successeur d'Alexandre, Jean XXIII, s'étant concerté avec l'empereur Sigismond, indiqua un concile général à Constance. Cette assemblée se proposa, mais en vain, de réformer l'Église dans son chef et dans ses membres, et d'extirper à la fois l'hérésie et le schisme. Elle déposa les trois papes et mit à leur place Martin V. Ce pontife, effrayé des réformes annoncées par le concile, se hâta de le dissoudre ; mais il se vit contraint d'en convoquer un autre, qui se réunit à Bâle sous son successeur Eugène IV (1431). Indépendamment de la réformation des abus, le nouveau concile devait délibérer touchant la réunion de l'Église grecque et des autres communions schismatiques. Pour remplir le premier objet de sa mission, il abolit les annates, les réserves et les expectatives. Mais la hardiesse des réformateurs ayant alarmé la cour de Rome, Eugène prononça la clôture du concile, et indiqua une prochaine réunion des évêques à Ferrare (1437). Cet acte d'autorité occasionna une scission dans l'assemblée. Les membres dissidents continuèrent le cours de leurs délibérations, et se donnèrent pour pape le duc de Savoie, sous le nom de Félix V.

Fin du schisme, 1449. — Le concile de Ferrare, transféré à Florence en 1429, se regarda comme seul légitime, et prononça la réunion des Eglises grecque, arménienne et éthiopienne. Les deux assemblées se séparèrent en 1443, laissant la chrétienté divisée par un second schisme. Enfin le pape Nicolas V, par sa prudence, et l'anti-pape Félix V, par son abdication, rendirent l'union et le repos à l'Église.

Les réformes décrétées par les conciles de Constance et de Bâte n'eurent pas tous les résultats heureux qu'on pouvait en espérer ; cependant elles furent adoptées en tout ou en partie par la France et l'Allemagne. Le clergé français les donna pour base aux libertés gallicanes, par la Pragmatique Sanction de Bourges (1438) ; et la diète d'Aschaffenbourg accepta le Concordat de la nation germanique, rédigé dans des termes plus favorables à l'autorité du saint Siège (1447). L'empereur Frédéric III, qui régnait alors, se prêta avec complaisance aux désirs de la cour de Rome. Curieux de tenir la couronne impériale des mains du pape, il ne répugnait à aucun sacrifice. Son couronnement à Rome, en 1452, lut accompagné d'une renonciation sans réserve aux anciens droits de l'empire sur la ville des Césars.

Depuis ce moment, l'autorité des papes devint véritablement souveraine et absolue dans Rome ; et la conjuration du tribun Porcaro, en 1453, fut un impuissant et dernier effort de la liberté républicaine. Dans la Romagne, de nombreux tyrans affectèrent encore l'indépendance, à Rimini, à Ravenne, à Bologne, à Forli, à Césène et en plusieurs autres lieux.

 

§ II. — Toscane.

 

Cette riche contrée était encore divisée en autant de républiques que de villes, et la querelle des Guelfes et des Gibelins y conservait toute son énergie. Les communes de l'intérieur, Sienne, Arezzo, Volterra et Pérouse, liées à la politique de Florence, maintenaient sous son patronage leurs institutions populaires. Les villes de la côte maritime, Pise et Lucques, devaient rester fidèles à la cause des Gibelins, jusqu'au dernier moment de leur indépendance.

Le parti gibelin n'aurait pu résister long-temps au parti contraire, sans le génie de Castruccio Castracani, qui sut le relever par ses alliances et par ses victoires. Elu seigneur de Lucques en 1320, après l'expulsion des Guelfes, il se lia avec Galéas Visconti, de Milan, et ces deux tyrans envahirent le territoire des Florentins, qui furent défaits à la bataille d'Allo-Pascio (1325). Deux ans après, l'empereur Louis le créa duc de Lucques et de Pistoie. La mort prématurée de ce guerrier entreprenant sauva la liberté des villes toscanes (1328).

Après la mort de Castruccio, Lucques tombe au pouvoir de Mastino délia Scala, seigneur de Vérone, et se donne ensuite aux Pisans, pour échapper aux Florentins, qui l'avaient achetée de Mastino (1342). Toutefois sa liberté doit survivre à la république de Pise, dont elle venait de solliciter le patronage.

Pise, sans port et sans vaisseaux depuis le désastre de Meloria, ne peut long-temps défendre la Sardaigne contre la maison d'Aragon qui en avait obtenu l'investiture du pape Boniface VIII, en 1294. Un massacre pareil aux Vêpres Siciliennes livre cette île à Jayme II, roi d'Aragon (1323), et les Pisans cèdent à ce prince leurs droits de souveraineté en 1325.

A Florence, les partis guelfe et gibelin se dissimulent sous les noms de Noirs et de Blancs. Les Noirs, dirigés par les Donati, et soutenus par les rois de Naples, dominent presque toujours, et le gouvernement sort rarement des voies démocratiques. Quelquefois l'alliance des nobles et des prolétaires livre le pouvoir à des seigneurs ; mais la tyrannie de Jean de Brienne, en 1342, ramène la république aux formes populaires. Sa situation devient alors plus critique que jamais. Dépeuplée par une peste générale en 1348, et bientôt après assiégée par les troupes de Jean Visconti, elle trouve sa sûreté dans le dévouement des communes guelfes (1350) ; aussi les Florentins emploient leur influence à maintenir l'union entre ces républiques. Mais ils sont eux-mêmes divisés parla rivalité des Arts majeurs et des Arts mineurs, ainsi que par les factions aristocratique et populaire, qui renouvellent dans leurs murs les sanglantes tragédies des Noirs et des Blancs (1376, etc.). Sous le régime des patriciens, dit Muller, Florence fut déchirée par les factions des Guelfes et des Gibelins. Sous le gouvernement des familles plébéiennes, elle vit fleurir dans son sein le commerce et les arts. Sous le règne de la populace, elle devint la proie de magistrats avides qui cherchaient à dissimuler l'obscurité de leur naissance sous les dehors d'un luxe scandaleux.

1406 — Au commencement du quinzième siècle les Florentins assurent à leur république la domination de la Toscane, par la conquête de Pise, que leur livre la trahison du podestat Gabriel Visconti. Le maréchal de Boucicaut garantit ce traité, et prend possession de Livourne pour les Génois, qui, en 1421, vendent ce port à Florence. Cette importante acquisition ouvre la mer aux spéculations commerciales des Florentins.

Du milieu des marchands enrichis par cette voie nouvelle, s'élève une famille puissante par son opulence, son amour des arts et sa popularité. Jean de Médicis, le Père des pauvres, fonde la grandeur de sa maison, et son fils Côme, surnommé le Père de la patrie, est pendant trente-quatre ans l'arbitre de la république (1430-1464). Les honneurs qui furent rendus à son cercueil annoncèrent aux Florentins qu'ils auraient bientôt des maîtres[1].

 

§ III. — Lombardie.

 

Parmi les familles qui avaient usurpé la seigneurie des villes avant la fin du treizième siècle, les plus puissantes étaient celles des Visconti, à Milan, et délia Scala, à Vérone.

SEIGNEURIE DE VÉRONE, 1259-1387—Sur les ruines de la maison de Romano, le podestat de Vérone, Mastino della Scala, avait jeté les fondements d'une domination moins oppressive et plus durable que celle des Eccelins (1259). Son petit-fils, le grand Cane, obtint, en 1312, de l'empereur Henri VII, le titre de Vicaire impérial dans la marche Trévisane, ainsi que la seigneurie de Vicence. Les républicains de Padoue lui disputèrent en vain cette ville qui venait de se soustraire à leur puissance ; ils tombèrent eux-mêmes sous le joug héréditaire de Jacques Carrare, en 1318. Mastino II della Scala poursuivit les desseins ambitieux de son père, étendit son influence jusqu'en Toscane par l'acquisition de Lucques, et menaça l'indépendance de Florence, qui dut son salut à l'alliance des, Vénitiens (1336). IL aspirait à la royauté d'Italie ; mais la politique de Venise et la résistance des Visconti firent échouer cette ambition. Après la mort de Mastino II (1351), la famille della Scala déchut chaque jour de sa grandeur ; et Antoine, son dernier héritier, fut dépouillé de toutes ses possessions par Galéas Visconti (1387), qui enleva aussi Padoue à François Carrare (1388). Mais cette ville bientôt reconquise devait passer, ainsi que Vérone, au pouvoir des Vénitiens en 1405.

SEIGNEURIE DE MILAN, 1276-1395. — L'archevêque Othon Visconti, après avoir dépouillé les Torriani de l'autorité publique, gouverna la seigneurie pendant vingt ans, et transmit son puissant crédit à son neveu Mathieu le Grand, qui avait obtenu par ses soins la capitainerie de Milan, de Novare et de Verceil. Cependant les Torriani exilés rentrèrent dans leur patrie, avec le secours des Plaisantins, et les Visconti furent proscrits à leur tour (1302). Ils revinrent bientôt, et Mathieu fut assez adroit ou assez fourbe pour engager les délia Torre dans une sédition ou la plupart d'entre eux périrent (1311). C'est alors que l'empereur Henri VII donna à Mathieu le titre de Vicaire impérial dans la Lombardie. Le chef des Visconti rendit la seigneurie héréditaire dans sa famille, et ses successeurs étendirent leur [puissance dans la haute Italie par les armes et par une politique astucieuse. Jean Galéas ruina la fortune des Scaligers, et réunit à ses États toute l'Italie lombarde depuis la Brenta jusqu'au Tésin. Vérone, Vicence, Padoue, Feltre, Bergame, Brescia, Lodi, Crémone, Verceil, Alexandrie, Parme, Plaisance, Bologne, Fisc, toutes ces cités, alors si florissantes, reconnurent à différents titres les lois du seigneur de Milan. Les rois de France recherchèrent son alliance, et l'empereur Wenceslas lui conféra la dignité ducale (1395).

Maison ducale de Visconti, 1395-1447. — En sa qualité de premier duc de Milan, Jean Galéas peut être regardé comme le second fondateur de la maison de Visconti. Ce grand prince avait terni sa gloire par ses cruautés, ses fils, Jean-Marie et Philippe-Marie, furent cruels sans gloire. Cependant Philippe forma le dessein d'assujettir Florence, qui, comme Venise, avait profilé de la minorité de son frère pour s'agrandir à ses dépens. Il prit à sa solde les plus fameux condottieri de son siècle, tels que François Carmagnole et François Sforce, Torelli et Piccinino. Mais, après de brillants avantages, Carmagnole disgracié arma contre lui les Vénitiens et le duc de Savoie. Vaincu sur l'Oglio, Visconti accepta, en 1418, le traité de Ferrare ; et plus tard, la bataille ou plutôt la mêlée d'Anghiari acheva de renverser ses projets ambitieux. Il mourut en 1447, sans postérité légitime, et sa race finit avec lui.

Maison de Sforce, 1450. — A la mort de Philippe, les Milanais rétablirent le gouvernement républicain sans avoir égard aux réclamations de divers prétendants[2] ; mais ils se trouvèrent dans la nécessité de confier les forces de l'État à François Sforce, gendre du dernier Visconti. Cet heureux aventurier, profitant de sa position et de l'influence vénitienne, s'empara du duché, et commença, en 1450, une dynastie qui devait, après cinquante ans, trouver de redoutables compétiteurs dans les rois de France, descendants d'une fille de Jean Galéas, Valentine de Milan, qui avait apporté à Louis d'Orléans, outre sa dot pécuniaire, la ville d'Asti et la succession éventuelle du duché de Milan stipulée dans le contrat.

PIÉMONT. — Les prétentions des ducs de Savoie sur ce pays dataient du règne de l'empereur Henri IV, qui, vers l'an J 098, investit le comte Humbert II des marches de Suze et de Turin, et lui permit de prendre le titre de marquis d'Italie. Les successeurs d'Humbert eurent à défendre leurs droits contre les princes, les évêques et les communes du Piémont ; et malgré l'appui des-empereurs, qui nommèrent plusieurs d'entre eux vicaires de l'Empire en Italie, ils ne parvinrent à dominer dans le Piémont que sous le règne d'Amédée VII, par la cession que leur en fit le comte de Provence, Louis Ier d'Anjou, en 1381. Un autre comte-roi de Provence, Louis III d'Anjou, abandonna, par le traité de Chambéry, en 1419, le comté de Nice au pacifique Amédée VIII, le SaIomon.de son siècle, qui venait d'être élevé à la dignité ducale par l'empereur Sigismond (1417), et qui, après sa retraite à Ripaille, fut élu pape, sous le nom de Félix V, par la faction dissidente du concile de Bâle. Dès-lors la domination de la maison de Savoie, solidement établie eji Italie, acquit une importance et une étendue toujours croissantes.

MONTFERRAT. — Le Montferrat, dont la réunion au Piémont a été achevée en 1814, avait eu, depuis son origine au dixième siècle, des marquis héréditaires de la race d'Aleran. Cette famille, tant .illustrée par les croisades, fut remplacée, en 1306, par une branche des Paléologues, qui eut pour chef Théodore, fils de 1'empereur Andronic et d'Yolande de Montferrat. Une autre Yolande, fille de ce même Théodore, porta des droits éventuels à la succession du marquisat dans la maison de Savoie, par son mariage avec le comte Aimon le Pacifique, en 1330. Mais ces droits ne devaient être exercés que long-temps après l'extinction des Paléologues, survenue en i533.

FERRARE. — La branche italienne de la maison d'Este, dès longtemps séparée de la tige guelfe, possédait la seigneurie de Ferrare sous la suzeraineté des papes, par suite de la litigieuse donation de Mathilde. Le bâtard Borso d'Este, ayant usurpé le droit héréditaire de ses frères légitimes, fut nommé duc de Modène et de Reggio par l'empereur Frédéric III, en 1452, et le pape Paul Il l'investit en 1471 du duché de Ferrare, qui rentra cette même année dans la descendance légitime, par l'avènement d'Hercule Ier.

Plusieurs autres familles exerçaient une pleine souveraineté dans les contrées riveraines du Pô et dans la moyenne Italie. La plus considérable fut celle des Gonzague à Mantoue, fondée par Louis de Gonzague, qui se fit proclamer capitaine du peuple, en 1328, après l'expulsion des Buonaccolsi. Son petit-fils François obtint de l'empereur Sigismond le titre de marquis (1433), qui devint ducal un siècle plus tard.

Les Bentivoglio dominèrent long-temps à Bologne, depuis l'an 1415 ; les Pics, à La Mirandole ; les Malespina, à Massa ; les Grimaldi, à Monaco, etc.

 

§ IV. — Républiques de Venise et de Gênes.

 

Ces deux puissances rivales, maîtresses du commerce du Levant qui avait fait leur fortune, prirent un intérêt secondaire aux querelles de l'Italie. Cependant Venise combattit souvent la prépondérance des Visconti, intervint dans les affaires des Marches, et acquit des possessions en terre ferme. Gênes, déchirée par les factions des Doria et des Spinola, ne put trouver le repos sous le gouvernement d'un seul, et Simon Boccanegra, son premier doge (1339), éprouva les premiers effets de cette inconstance qui remplit la république de troubles pendant les intervalles de ses guerres avec Venise. Plusieurs fois, fatiguée de ses agitations, elle se reposa sous le patronage des Milanais ou des Français, et sacrifia ses véritables intérêts à des inimitiés domestiques et à des influences étrangères.

L'activité commerciale de ces deux républiques fut la source de leur prospérité et de leurs sanglantes querelles.

La révolution qui rétablit, en 1261, l'empire grec à Constantinople, avait donné aux Génois la supériorité dans la mer Noire, où les ports de Tana (Azof) et de Cana devinrent les principaux entrepôts de leur commerce ; mais les Vénitiens prédominaient encore dans l'Archipel, et le traité qu'ils conclurent, en 1347, avec le sultan mameluk Hassan-Naser, leur assura le monopole de l'Egypte et de l'Inde.

Guerre de Caffa, 1350-1355. — Les Génois, maîtres de Caffa (Théodosie), s'étant brouillés avec les Tartares, bloquent la mer d'Azof et interceptent ainsi le commerce des Vénitiens avec le port de Tana. La guerre éclate entre les deux nations. Les Vénitiens, malgré l'alliance des Aragonais et de l'empereur Cantacuzène, perdent la bataille navale de Gallipoli, et Constantinople, menacée par les vainqueurs, ferme ses ports aux vaincus (1352). Ce revers et cette défection n'empêchent pas le pavillon vénitien de tenir la mer, et les Génois sont battus à leur tour devant Cagliari ; mais leur amiral Paganino Doria rétablit leur supériorité par la victoire de la Sapienza, qui fut suivie d'une paix avantageuse (1355).

Le sénat de Venise s'était vu forcé de demander la paix pour prévenir les suites de la conjuration de Marin Faliero, qui avait entrepris de renverser l'aristocratie.

Affaibli par ses défaites et menacé par ses ennemis domestiques, le gouvernement vénitien n'osa pas soutenir une lutte inégale avec Louis de Hongrie, et céda à ce prince l'Istrie et la Dalmatie (1357).

Guerre de Chiozza, 1378-1381. — Cette guerre, qui mit en feu tonte l'Italie, commença à l'extrémité de la Méditerranée et devait se terminer dans les lagunes de Venise. Elle eut pour cause l'occupation de Ténédos par les Vénitiens, et la conquête de Chypre par les Génois. Venise eut pour elle le roi Pierre de Lusignan et Barnabo Visconti ; Gênes mit dans ses intérêts l'empereur grec, le roi de Hongrie, la reine de Naples, les Carrares et les Scaligers. Les Génois, vaincus près des ruines d'Antium, triomphants devant Pola, s'emparèrent de Chiozza, et Pierre Doria rejeta avec dureté les soumissions du doge Contarini. La république de Venise allait s'exiler dans l'île de Crète, lorsque, par des prodiges de patriotisme et d'audace, Victor Pisani fit prisonnières dans Chiozza l'armée et la flotte génoises (1380). Cette victoire sauva l'existence de Venise, mais ne répara point les pertes de la république ; et la paix de Turin, qui réconcilia les deux puissances, ne fut avantageuse qu'à leurs alliés (1381).

Venise avait perdu dans cette guerre tous ses domaines de terre ferme. Elle chercha bientôt à les remplacer aux dépens des Scaligers et des Carrares. Dans le partage de la dépouille d'Antoine délia Scala, elle obtint la marche de Trévise (1387) ; et Padoue, d'abord soumise à son influence, puis attaquée à force ouverte et enfin trompée par des promesses de liberté, fut définitivement réunie à la seigneurie de Saint-Marc en 1405. François Carrare eut le sort que Venise réservait aux ennemis qu'elle craignait encore après leur défaite. Trois de ses fils furent égorgés après lui. Tout le sang des Carrare avait paru nécessaire à la politique de Venise.

Guerre de Baruth, 1403. — Depuis la paix de Turin, les Génois n'avaient cessé d'être en révolution jusqu'au moment où ils se donnèrent au roi de France Charles VI, qui leur envoya le maréchal de Boucicaut (1401). Ce gouverneur, après avoir rétabli la tranquillité dans la ville par des mesures rigoureuses, fit une expédition dans le Levant,-pilla les comptoirs des Vénitiens à Baruth, et remporta sur eux une victoire navale ; mais cette rupture n'eut pas d'autres suites.

1405-1421—Pendant que Boucicaut acquérait aux Génois l'île d'Elbe et le port de Livourne, les Vénitiens se rendaient maîtres du golfe de Corinthe parla prise de Patras et de Lépante. Plus tard ils enlevèrent le Frioul au patriarche d'Aquilée (1420) ; et, dans le même temps, Gênes, qui n'avait pu supporter ni la domination des Français, ni celle du marquis de Montferrat, fut soumise à Philippe Visconti par le condottiere Carmagnole (1421).

1415-1441—Carmagnole, ayant abandonné la cause du duc de Milan, passe au service des Vénitiens et les engage à signer une ligue offensive avec les Florentins six fois vaincus, contre les Milanais et les Génois. Cet habile général enlève à Philippe Visconti un grand nombre de villes, et fait céder le Bressan à la république par le traité de Ferrare (1428) ; mais vaincu à son tour près de Soncino par François Sforce, il paie de sa tête cette défaite suspecte de trahison (1432). Une paix de quelques années suspend les hostilités, et pendant cet armistice les Génois se détachent du duc de Milan pour retomber dans l'anarchie. La guerre, qui se rallume entre Venise et Visconti, n'amène aucun nouveau résultat, et se termine en 1441. La république conserve le Bressan, Bergame, Crème et Ravenne, dont la réunion était due à la politique guerrière de Foscari.

1453. — Constantinople, menacée par les Turcs, implore le secours de Venise 5 mais, soit manque de temps, soit imprévoyance, soit plutôt que la vieillesse et le chagrin eussent amorti l'infatigable énergie du doge Foscari, les galères de la république arrivèrent trop tard pour sauver la capitale de l'Orient. La chute de l'Empire grec ébranla la puissance de Venise ; son commerce en souffrit d'abord moins que sa puissance ; mais le jour de sa ruine n'était pas loin.

 

§ V. — Royaumes de Naples et de Sicile.

 

Les Vêpres Siciliennes avaient séparé les Deux-Siciles, et la réconciliation des maisons d'Anjou et d'Aragon ne put opérer une réunion stipulée parles traités. Frédéric d'Aragon resta maître de l'île que son frère Jayme avait consenti à restituer, et la branche des rois dont il fut la souche prit si bien racine en Sicile, que tous les efforts des souverains de Naples ne purent jamais l'en arracher.

1309-1343. —En-deçà du Phare, Robert le Sage, successeur de son père Charles le Boiteux, épuisa vainement les ressources de son royaume et de son comté de Provence pour reconquérir la Sicile. Plus heureux sur le continent d'Italie, il y exerça une puissante influence, par le moyen du parti guelfe dont il fut le chef, et il soutint avec honneur, quoique sans éclat, ce rôle difficile.

1343-1382. —Robert avait pris possession de la couronne au détriment de son neveu Charobert, roi de Hongrie, qui pouvait invoquer en sa faveur le droit de représentation. Le mariage de Jeanne de Naples avec André de Hongrie devait confondre les droits des deux branches ; mais cette union n'enfanta que des crimes, dont André fut la première et la plus innocente victime (1345). Jeanne Ire avait préludé par le meurtre de son mari aux malheurs et aux scandales qui remplirent les quarante années de son règne. La justice divine permit enfin que le sang qu'elle avait versé retombât sur elle, et sa mort ouvrit une lutte désastreuse entre Louis Ier d'Anjou, son fils d'adoption, et Charles de Duras, son héritier naturel.

1382-1435. — Cette querelle devait durer plus long-temps que la branche royale de Duras, et plus long-temps-encore que la seconde maison d'Anjou qui l'avait suscitée. Jeanne II, dernière héritière des Duras, la compliqua, en adoptant tour à tour Alphonse le Magnanime, roi d'Aragon et de Sicile, et Louis III, duc d'Anjou et comte de Provence.

1435. — Après la mort de Louis et de Jeanne II, René d'Anjou se porta pour champion des droits de sa famille ; mais l'inconstance et la faiblesse de ce prince ne pouvaient prévaloir sur le génie et la puissance du roi d'Aragon. Alphonse V resta donc maître paisible du royaume et le laissa dans sa famille ; mais la maison d'Anjou allait bientôt transmettre ses prétentions au roi de France, et la succession de Naples devait mettre en jeu toute la politique européenne.

 

 

 



[1] L'année d'après (1465), Louis XI autorisa Pierre de Médicis à porter trois fleurs de lis dans ses armoiries.

[2] L'empereur Frédéric III, comme suzerain ; Alfonse V d'Aragon, institué héritier par Philippe-Marie ; Charles d'Orléans, petit-fils de Jean Galéas ; François Sforce, mari de Blanche, fille naturelle de Philippe-Marie.