Querelle du Sacerdoce et de l'Empire, ou des Guelfes et des Gibelins, sous la maison de Souabe. — Frédéric Barberousse et Frédéric II. § I. — Depuis l'avènement de la maison de Souabe jusqu'à la paix de Constance, 1138-1183. LE concordat de Worms, de 1122, avait mis fin à la querelle des investitures, mais n'avait pas réconcilié l'Empire et le Saint-Siège, que le testament de la comtesse Mathilde engageait dans d'interminables débats. Toutefois les agitations de l'Allemagne, pendant les règnes de Lothaire II et de Conrad III, ne permirent pas à ces deux princes de suivre aucune entreprise contre la cour de Rome. Bien plus, leur concurrence à la dignité impériale porta Lothaire à souscrire des engagements qui, pour être vagues, n'en donnèrent pas moins à Innocent II des prétentions exagérées. La couronne que la mort de Lothaire rendait vacante ne pouvait entrer que dans l'une des deux puissantes familles qui possédaient tous les grands fiefs de l'Allemagne, si on en excepte la Lorraine. Toutes les deux devaient leur grandeur à Henri IV, qui avait donné, en 1071, le duché de Bavière à Welf, et, en 1080, celui de Souabe à Frédéric de Hohenstaufen. Henri le Superbe, petit-fils de Welf et gendre de Lothaire II, venait d'ajouter à la Bavière les duchés de Saxe et de Toscane ; Conrad, fils de Frédéric, avait aussi agrandi sa maison par l'acquisition du duché de Franconie. C'est entre ces deux concurrents, descendais des Welfs (Guelfes) et des seigneurs de Wiblingen (Gibelins), que va se décider le choix de la diète germanique. De la préférence donnée à l'un d'eux naîtra la querelle des Guelfes et des Gibelins, qui, transportée en Italie, doit associer à ses débats les divisions du sacerdoce et de l'Empire, ainsi que la lutte des républiques italiennes contre les empereurs souabes. Avènement de la maison de Souabe, 1138. — Conrad III, duc de Franconie, est élu empereur par la majorité de la diète sans le concours du peuple. Henri le Superbe ayant refusé de le reconnaître, est mis au ban de l'Empire et dépouillé de ses duchés. La Saxe est donnée à Albert l'Ours, margrave de Brandebourg ; la Bavière, à Léopold d'Autriche. Henri le Superbe étant mort peu de mois après sa disgrâce, sa famille revendique ses droits ; Henri le Lion, son fils, reprend la Saxe, et Welf, son frère, la Bavière. Pour mettre fin à -la guerre civile, la diète de Francfort réintègre Henri dans le duché de Saxe, dont elle distrait le Brandebourg (1142), qui est élevé au rang de fief immédiat de l'Empire. Dix ans après, le successeur de Conrad III fit encore restituer la Bavière à Henri le Lion, en érigeant le margraviat d'Autriche en duché immédiat. Welf III obtint le duché de Toscane, et toute la maison Guelfe parut réconciliée avec la famille de Souabe. FRÉDÉRIC Ier BARBEROUSSE, 1152-1190. — Conrad III étant mort à son retour de la Terre-Sainte, son neveu Frédéric de Souabe lui est donné pour successeur. Ce prince, après avoir pacifié l'Empire, soumis le roi de Danemark à la suzeraineté impériale, et réglé les affaires du royaume de Bourgogne, tourne ses vues sur l'Italie, où il devait trouver tant de gloire et tant de traverses. Expéditions d'Italie. — En mettant à part les républiques de Venise, de Gênes et de Pisé, les trois principales puissances de l'Italie étaient le pape, le roi de Sicile, et les villes libres de la Lombardie. Les empereurs avaient encore des prétentions sur la Pouille et la Calabre ; ils n'avaient pas renoncé à la souveraineté de Rome, et les Lombards ne contestaient pas leurs droits à la couronne de fer. Frédéric Barberousse fut invité à descendre en Italie, 1° par le pape Adrien IV, dont l'autorité temporelle venait d'être anéantie par le tribun Arnaud de Brescia ; 2° par Robert II de Capoue, que le roi de Sicile Roger avait dépouillé de sa principauté ; 3° par les Lodésans, que les Milanais tenaient dans l'oppression après avoir détruit leur ville. Depuis que les évêques de Milan avaient perdu leur puissance, celle cité avait adopté un gouvernement populaire et s'était mise à la tête des villes libres de la Lombardie qui formaient le parti guelfe. Une ligue contraire, dévouée à la cause gibeline, s'était formée sous le patronage do Pavie. 1154. — Frédéric passe les Alpes et descend dans le Piémont. Il s'empare d'Asti et de Tortone, mais n'ose assiéger Milan. Il se dirige vers Rome pour y recevoir la couronne impériale ; mais les portes lui en sont fermées, et il est réduit à se faire couronner dans un faubourg. S'étant replié sur Spolette, l'empereur licencie son armée faute de vivres, et quitte l'Italie avec des menaces de vengeance. Adrien IV, alarmé, offre la couronne d 'Italie à Guillaume Ier, fils du roi Roger, qui venait de succéder à son glorieux père, et que le pape avait naguère voulu détrôner. 1158-1162. — L'empereur reparaît en Italie. Pour mieux assurer ses droits, il tient une diète à Roncaglia, dans laquelle quatre jurisconsultes, professeurs de l'école de Bologne, décident que le pouvoir absolu appartient aux successeurs des Césars, et que l'empereur est maître des biens et de la vie de ses sujets. Les villes guelfes ne tiennent aucun compte de cette décision servile, et se préparent à la défense, soutenues par le pape Alexandre III. Mais ce zélé propugnateur de la liberté italienne est obligé de se retirer en France par suite de la prise de Crème, tombée au pouvoir de Frédéric. Après trois ans d'hésitation, ce prince assiège et prend Milan, qui est détruite de fond en comble (1162). Cette terrible exécution épouvante les communes lombardes, qui se soumettent et reçoivent les podestats de l'empereur. Première ligue lombarde, 1164-1183. — Une association de villes se forme dans la Vénétie pour l'affranchissement de l'Italie. Alexandre III revient à Rome, et les confédérés bâtissent en son honneur la ville d'Alexandrie, pendant que les Milanais relèvent leurs murailles. L'armée impériale abandonne l'Italie. Frédéric envoie l'archevêque de Mayence à la tête d'une armée pour occuper la Toscane et la Romagne. Mais ce prélat échoue au siège d'Ancône (1174), et l'empereur en personne ne peut s'emparer d'Alexandrie. Deux ans après il en vient aux mains avec les Milanais près de Lignano ; mais la défection imprévue de Henri le Lion, peu de jours avant la bataille, ayant affaibli son armée, il perd, avec la victoire, l'espoir de rétablir son autorité (1176). Paix de Constance, 1183. — Réfugié à Pavie, Frédéric demande une trêve au pape Alexandre. Elle est conclue à Venise en 1177, et changée en paix définitive à la diète de Constance. Ce traité célèbre assure l'indépendance aux villes lombardes, sauf la haute suzeraineté de l'empereur. Le parti guelfe triomphe sous les auspices du Saint-Siège ; mais les hostilités particulières recommencent entre les cités rivales, aussi bien qu'entre les nobles et les plébéiens. Affaires d'Allemagne, 1180. — Henri le Lion, atteint du crime de félonie pour avoir déserté les drapeaux de l'empereur, est mis au ban de l'Empire à la diète de Wurtzbourg. Bernard de Brandebourg est élu duc de Saxe, et Othon de Wittelsbach, duc de Bavière ; une partie de la Westphalie est donnée à l'archevêque de Cologne. Henri ne conserve que les alleux de Brunswick et de Lunebourg, qui furent immédiatisés en 1235, en faveur d'Othon, petit-fils du Lion. § II. — Depuis la paix de Constance jusqu'à la seconde ligue lombarde, 1183-1226. 1190. —Après avoir fait élire son fils Henri roi des Romains, et assuré à ce prince la succession des Deux-Siciles par son mariage avec Constance, fille de Roger II, Frédéric Barberousse part pour la croisade et meurt en Cilicie. Henri VI mécontente les vassaux allemands par la constitution de Gelnhausen, qui devait rendre la couronne impériale héréditaire, et réunir le royaume de Sicile a celui de Germanie 5 il exaspère les Siciliens par d atroces cruautés sur les partisans de l'usurpateur Tancrède et du comte Jourdan, derniers rejetons des conquérants normands. Toutefois le Cyclope — c'est le nom que les Siciliens donnaient à leur tyran — reste maître d'un royaume qui doit être son tombeau et celui de sa race. Il meurt empoisonné en 1197, au moment où il préparait une croisade, et sa femme qui le suit de près, laisse son fils Frédéric sous la puissante tutelle du pape Innocent III. Innocent III, 1197-1216. — Cet émule de Grégoire VII anéantit l'autorité des empereurs dans Rome, y maîtrise l'esprit républicain, suscite des ennemis à Philippe de Souabe, frère et successeur de Henri VI, fait élire après lui Othon IV de Brunswick, excommunie ce prince, qui refusait de restituer les allodiaux de Mathilde, et meurt après avoir assuré la couronne impériale à son pupille. FRÉDÉRIC II, 1212-1250. — Fidèle à ses engagements envers Innocent III, il public en 1213 la célèbre constitution d'Égra par laquelle il renonce aux allodiaux de la Grande Comtesse, et prend la croix deux ans après à la diète d'Aix-la-Chapelle. Frédéric ayant rétabli la paix publique et réduit à l'impuissance la maison guelfe, va recevoir à Rome la couronne impériale des mains d'Honorius III. Il renouvelle à ce pontife les promesses jurées à Innocent. Mais le peu d'empressement qu'il met à les exécuter, et des démonstrations alarmantes contre l'autorité des papes et l'indépendance des villes, donnent l'éveil au parti guelfe d'Italie. § III. — Depuis la seconde ligue lombarde jusqu'à la Jin de la maison de Souabe, 1226-1268. Seconde ligue lombarde, 1226. — Les Milanais font un appel aux communes de Lombardie, et quinze d'entre elles adhèrent à la confédération. Frédéric les met au ban de l'Empire, mais à cet anathème politique Grégoire IX répond par trois excommunications, et force enfin l'empereur à partir pour la Palestine. Pendant son absence on prêche une croisade contre lui-même. Son fils Henri et son beau-père Jean de Brienne se joignent au pape et aux Lombards. Frédéric revient rétablir l'ordre et publie une loi sur la paix publique, que le prédicateur Jean de Vicence fait jurer à la plupart des villes (1235). 1236-1241. — La paix ne pouvait être de longue durée. L'empereur reparaît en Italie, appelé par Eccelin III de Romano, podestat de Vérone et chef du parti gibelin en Lombardie. Padoue tombe au pouvoir de ce tyran, et Frédéric remporte une grande victoire sur les Milanais à Corte-Nova (1237). La plupart des villes font leur soumission. Mais le pape relève le courage des Guelfes en leur donnant pour auxiliaires les républiques de Venise et de Gênes, et en excommuniant l'empereur, qui venait de donner la couronne de Sardaigne à son fils naturel Entius, au mépris des droits que le Saint-Siège s'attribuait sur cette île. Déposition et mort de Frédéric II, 1245-1250. — Innocent IV, successeur de Grégoire, indique un concile général à Lyon, et y cite l'empereur, que la voix publique accusait de plusieurs impiétés. Frédéric n'ayant point comparu, le pape le dépose sans demander l'avis de l'assemblée et sans avoir égard à la généreuse intervention de saint Louis. Les trois électeurs ecclésiastiques décernent la couronne impériale à Henri Raspon, dernier landgrave de Thuringe, puis à Guillaume, comte de Hollande. Cependant Frédéric continue la guerre en Italie. La cause gibeline triomphe un moment à Florence ; mais l'empereur échoue au siège de Parme (1248), et, l'année suivante, Entius est battu par les Bolonais à Fossalta, pendant qu'un autre fils de l'empereur est défait en Allemagne par l'anti-césar Guillaume. Frédéric II, consumé de chagrin, se retire dans ses États de Naples, et meurt à Fiorenzuola (1250). On ne peut refuser à ce prince la plupart des qualités qui font les grands hommes ; mais elles furent obscurcies par des défauts et des faiblesses. Grand interrègne, 1250-1273. — A la mort de Frédéric II commence le grand interrègne allemand qui dura jusqu'à l'élection de Rodolphe de Habsbourg. Conrad IV, fils de Frédéric II, élu roi des Romains, dispute l'Empire à Guillaume et les Deux-Siciles à Mainfroy. Une mort prématurée l'empêche de faire triompher ses justes prétentions (1254). Son fils Conradin lui succède dans les duchés de Souabe et de Franconie. Mais, trop jeune pour faire valoir d'autres droits, il voit le titre d'empereur passer, en 1257, de Guillaume à deux étrangers, Alfonse X de Castille et Richard de Cornouailles, pendant que son oncle Mainfroy usurpait le royaume de Sicile. Lorsque cet usurpateur eut été détrôné par un autre, le fils de Conrad IV alla disputer sa couronne à Charles d'Anjou. Mais, la fortune ayant trahi son courage, le dernier héritier de la maison de Souabe périt sur un échafaud (1268). Le patrimoine allemand de cette famille, qui comprenait la Souabe, la Franconie et l'Alsace, devint alors la proie de toutes les ambitions locales, et du démembrement qu'il subit sortirent les principautés de Bade, de Wurtemberg, un grand nombre de seigneuries immédiatisées, quatre souverainetés ecclésiastiques, quelques cantons libres, et plusieurs villes impériales. A la faveur des désordres qui suivirent la mort de Frédéric II, les rois de Danemark, de Pologne et de Hongrie, et les vassaux du royaume de Bourgogne, abjurèrent la suzeraineté de l'Empire. Les grands vassaux allemands, déjà en possession de tous les droits régaliens, s'emparèrent encore des. domaines qui composaient la dotation de la couronne. Au milieu de cette anarchie on voit les faibles s'unir contre les puissans, et de ce besoin de défense mutuelle résultent trois espèces de ligues : 1° la Hanse teutonique ou Ligue hanséatique (1241) ; 2° la Confédération des villes du Rhin (Burgfrieden) vers l'an 1255 ; 3° les Ganerbinats (Gan-Erbschaften) ou Traités de succession et de défense réciproques. Les trois archevêques de Mayence, de Cologne et de Trèves, le roi de Bohême, le duc de Bavière, comte palatin, le duc de Saxe et le margrave de Brandebourg, qui jouissaient depuis longtemps du droit de prétaxation, ou de première élection, s'arrogent, après la mort de Guillaume, le privilège exclusif d'élire l'empereur. Telle est l'origine des sept électeurs dont la puissance territoriale et les attributions souveraines constituent dès-lors l'empire germanique en corps fédératif. |