De l'Empire grec et de la domination musulmane.§ I. — Empire grec. État de l'Empire. — Entouré de toutes parts de nations barbares encore mal assises et souvent ébranlées ou déplacées par des secousses subites, l'Empire est exposé à des assauts continuels et à des invasions fréquentes. A l'ouest les Slaves de l'Illyrie, harcelant l'Épire et la Macédoine, donnent la main aux Bulgares, que le Danube protège et que le mont Hémus ne peut arrêter. Dans les contrées laissées désertes par les Avares, vont se succéder les Hongrois et les Petchénègues, qui sauront se faire jour à travers la Bulgarie pour venir ravager les provinces grecques. Au nord de la mer Noire, les Russes menaceront Constantinople de leurs flottes et de leurs armées, et subjugueront les Turcs Khozares, ces fidèles alliés de l'Empire dont ils défendaient la frontière caucasienne. Plus tard, une autre race de Turcs, les Seldjoucides franchiront le mont Taurus, et, plus heureux que les khalifes, apporteront en-deçà de cette barrière la domination musulmane. Nous avons vu les Sarrasins, maîtres de la Sicile, disputer aux Lombards les provinces grecques d'Italie, et céder cette proie à d'autres conquérants. Leurs succès dans l'Archipel seront encore moins durables. Si nous jetons les yeux sur la cour de Byzance et sur l'état moral de la nation, nous ne rencontrons partout qu'abjection et misère. Depuis la mort d'Héraclius jusqu'à l'avènement des Comnènes, pendant l'espace de quatre cent quarante ans, les annales byzantines présentent une succession uniforme de crimes rarement interrompue par l'apparition de quelques princes guerriers, plus rarement encore par celle d'un prince vertueux. Au milieu de révolutions sans intérêt et d'usurpations sans grandeur, une superstition universelle dégrade le culte et la morale publique, en donnant matière aux plus indécentes querelles, et en servant d'instrument à la politique. Querelles religieuses. — Depuis qu'Irène avait fait rétablir le culte des images par le second concile général de Nicée, en 787, la secte des Iconoclastes s'affaiblissait chaque jour sans désespérer de sa cause. Relevée par Théophile, elle fut proscrite par sa veuve Théodora pendant la minorité de son fils Michel III (842). Le succès de son zèle orthodoxe animant cette princesse contre l'hérésie, elle fit la guerre aux Pauliciens, qui remplissaient le Pont et l'Arménie, et fit couler le sang de cent mille sectaires. Schisme de l'Eglise grecque, 861-1054. — Le fils de Théodora, poussé au vice par les conseils et les exemples de son oncle Dardas, s'irrite des remontrances du patriarche Ignace, et fait asseoir sur le siège de Constantinople le savant Photius, son capitaine des gardes[1]. Un concile approuve ce changement ; mais le pape Nicolas Ier excommunie l'intrus, qui l'excommunie à son tour. Bientôt la fin tragique de ses deux protecteurs, en 867, laisse Photius sans appui, et Basile le Macédonien l'exile et rétablit Ignace. Le huitième concile œcuménique donne à cet acte de justice la sanction de son autorité, et mécontente le saint Siège en soumettant les Bulgares récemment convertis à la juridiction de Constantinople (869). La mort d'Ignace, en 877, lait rendre à Photius la dignité patriarcale, et le pape Jean VIII le reçoit à sa communion, espérant ; par cette indulgence, Je faire renoncer an gouvernement de l 'Église bulgare. Son attente fut trompée, et, depuis ce moment, la division éclata entre les pontifes romains et les patriarches de Constantinople. Cette malheureuse querelle aboutit, en 1054, à la séparation complète des deux Églises. Guerres avec les Russes, 865-1046. — Les pirates délia Scandinavie, transplantés sur les côtes du Pont-Euxin, n'avaient pas renoncé à leurs habitudes, et la mer, qui les séparait des richesses de Byzance, devait tenter leur courage aventureux. Les premiers conquérants de Kief, Ascold et Dir, descendirent le Borysthène en 865, et l'apparition de leurs navires devant Constantinople y troubla les plaisirs de Michel III. Les flottes russes pénétrèrent encore deux fois dans le Bosphore, en 904 et 941, sous le règne du grand-prince Igor, fils de Rurik, et les empereurs Léon le Philosophe et Constantin Porphyrogénète les éloignèrent par le feu grégeois et par des promesses. Constantinople courut un plus grand danger lorsque Swiatoslaf, vainqueur des Khozares, des Petchénègues, des Hongrois et des Bulgares, voulut établir sa nation sur la rive droite du Danube. Mais Jean Zimiscès régnait alors à Byzance ; sa valeur chassa les Russes de la Thrace, et dicta la paix au Grand-Prince (972). Saint Wladimir fit aussi la guerre à l'Empire, et rechercha ensuite l'alliance de l'empereur Basile II, dont il épousa la sœur (988). Converti au christianisme à la suite de ce mariage, il s'appliqua à policer sa nation par l'Évangile, et attacha la Russie à l'Église grecque. Dès-lors les relations des Russes avec Byzance furent toujours amicales, si l'on en excepte une expédition malheureuse d'Iaroslaf (1046). Les longues divisions qui suivirent le règne de ce prince ne permettaient plus aux Russes de se répandre au dehors, et leurs guerriers mercenaires s'enrôlèrent sous les drapeaux byzantins. Guerres avec les Bulgares. — Nicéphore le Logothète avait péri en combattant leur roi Crum, un des plus féroces dévastateurs de l'empire (811). — Lorsque les Bulgares eurent reçu de Constantinople la lumière de la foi (865), leurs incursions devinrent moins fréquentes. Cependant Siméon, le plus grand de leurs rois, alla deux fois assiéger la capitale de l'empire, entre les années 888 et 927. Après lui, le royaume bulgare fut frappé au cœur par l'invasion de Swiatoslaf, et le prince qui aurait pu en relever la gloire ne put qu'en retarder la chute. Vingt-six campagnes, offensives ou défensives, remplirent le règne de Samuel (988-1014). Il eut la gloire de résister à l'empereur Basile. II, qui soutenait alors avec honneur le rang où les exploits de Nicéphore Phocas et de Zimiscès venaient de replacer le trône d'Orient. Samuel laissa à son fils Wladislas l'honneur de défendre jusqu'au dernier soupir l'indépendance de sa nation. La Bulgarie fut alors réunie à l'empire (1019). Guerres contre les Sarrasins. — Depuis leurs revers éprouvés devant Constantinople pendant le règne de Léon l'Isaurien, les Musulmans ne s'étaient plus montrés devant cette capitale, et leur domination n'avait pas fait de nouveaux progrès. Ils recommencèrent leurs entreprises sur terre et sur mer au neuvième siècle. Vers le même temps que les Sarrasins d'Afrique s'établissaient en Sicile, des exilés de Cordoue s'emparèrent de l'île de Crète (824). Ce point d'appui donné à leurs flottes leur inspira plus d'audace, et les provinces maritimes de l'Empire furent de plus en plus exposées aux déprédations de leurs pirates. Le patrice Nicétas releva l'honneur de la marine grecque sous Basile Ier et fit éprouver aux Sarrasins de grands dommages dans l'Adriatique et l'Archipel ; il sauva Raguse, contribua à la délivrance de Bari et chassa du Péloponnèse les troupes de l'émir Saïd. Peu d'années après, le thalassiarque Nasar obtint de brillants avantages dans les parages de la Sicile et vengea sur les Musulmans la destruction récente de Syracuse. Sur terre, l'Asie mineure fut plusieurs fois envahie par les armées des khalifes de Bagdad, et, en 838, l'empereur Théophile vit avec douleur la ruine d'Amorium, sa ville natale. Dans le siècle suivant, Nicéphore Phocas rétablit l'honneur des armes impériales. Général de Romain II, il reconquit la Crète ; empereur, il chassa les Infidèles de Chypre, de la Cilicie, et s'avança en vainqueur jusqu'aux bords du Tigre (963-969). Zimiscès marcha sur ses traces ; mais la mort arrêta le Vainqueur de l'Orient dans la conquête de la Syrie (976). Les victoires de ces deux empereurs ne furent pas poursuivies par leur successeur Basile II, dont la vie entière se consuma en exploits contre les Bulgares. Son gendre, l'empereur Romain Argyre, reporta la guerre en Asie, et ses succès, réparant un premier revers, ébranlèrent le khalifat de Bagdad, déjà tant épuisé par ses divisions. La domination romaine semblait relevée en Orient. Mais pendant que deux femmes, Zoé et Théodora, indignes filles de Basile II, prostituaient la pourpre, au gré de leurs passions, à un changeur de monnaies, à un calfateur de navires ou à des courtisans débauches, il s'élevait au-delà de l'Euphrate un ennemi nouveau, également formidable aux khalifes de Bagdad, et aux empereurs de Byzance. Guerre contre les Turcs Seldjoucides, 1063-1074. —Ces nouveaux Musulmans, après avoir détruit la domination des Gaznévides en Perse, et pris les khalifes Abbassides sous leur tutelle, attaquèrent l'empire grec, et lui enlevèrent l'Asie mineure. (Voyez le § II.) Cette invasion jeta l'alarme dans la chrétienté, et y prépara les esprits aux guerres saintes. Avènement des Comnènes, 1081. — Depuis la fin de la dynastie macédonienne, en 1028, l'histoire byzantine avait ajouté au dégoût qu'elle inspire une complication de règnes qui fatigue sans fruit la mémoire, Parmi les princes que des intrigues de cour ou la faveur militaire placèrent sur le trône, on distingue le vertueux Isaac Comnène, qui ne paraît que pour annoncer les hautes destinées de sa famille (1056). — Son neveu Alexis, après avoir délivré Nicéphore Botoniate de deux compétiteurs, le détrône lui-même, et se met à sa place. L'histoire de sa race va se perdre dans celle des Croisades. § II. Empire musulman. Depuis la révolution qui avait renversé les Ommiades du trône de Damas, l'empire mahométan se trouvait divisé en deux khalifats, et les émirs d'Afrique s'étant rendus indépendants, le plus puissant d'entre eux finit par s'arroger le titre et les honneurs de Commandeur des Fidèles. Le nombre des khalifats fut aussi porté à trois. TABLEAU DES TROIS KHALIFATS.KHALIFES OMMIADES.756-788. — Abdérame Ier, premier khalife d'Occident. Ses guerres contre les partisans des Abbassides affermissent son trône et lui font perdre la Septimanie. Il transplante en Espagne les sciences et la magnificence des Arabes. 788-822. — Hescham Ier et Al-Hakkam Ier. Troubles intérieurs, et progrès des Chrétiens sous Alphonse le Chaste, roi d'Oviedo. 822-852. — Abdérame II, le Victorieux. Il fait alliance avec l'empereur Michel le Bègue contre le khalife de Bagdad. 844. — Les Northmans pillent Lisbonne, Cadix, Séville, etc. 851. — Victoire sur Ordogno, roi de Léon. 852. — Mohammed Ier. Sous son règne l'Espagne musulmane est déchirée par des divisions intestines et par la guerre étrangère. Le prince Al-Moundhir repousse les Chrétiens et réprime les deux révoltes de Mousa et de Ben-Hafsoun, qui devaient renaître sous les règnes suivants. Alphonse le Grand, roi de Léon, s'agrandit aux dépens des Maures. 886-912. — Anarchie sous Al-Moundhir et Abdallah. 912-961. — Abdérame III, le Grand. Il relève la puissance et la gloire du khalifat. 912. — Victoire des Musulmans sur les Chrétiens, au Val-de-Jonquera. 939. — Le roi Ramire II, après de brillants succès, perd la sanglante bataille de Simancas, qui amena la paix en 942. 944. — La rébellion des Béni-Hafsoun est étouffée, après avoir duré 80 ans. 950. — Abdérame se fait reconnaître khalife dans le Mogreb en Afrique. Alliance avec Constantin VII. Magnificence d'Abdérame III. 961-779. — Règne paisible de Al-Hakkam II. 975-1009. — Hescham II. Brillantes victoires de l'hadjeb Mohammed-Almanzor sur les Chrétiens. 986. — La ville de Barcelone tombe pour la dernière fois au pouvoir des Musulmans. 998. — Défaite et mort d'Almanzor à Medina Cœli. Décadence du khalifat d'Espagne. 1009.- Mohammed-al-Mahadi détrône Hescham II. Le khalifat tombe en proie aux rebelles et aux usurpateurs. 1031. — Déposition de Hescham III, dernier khalife. Démembrement du khalifat de Cordoue. 1010. Rme de Murcie ; 1010 : Badajoz ; 1013 : Grenade ; 1014 : Saragosse ; 1015 : Majorque ; 1021 : Valence ; 1023 : Séville ; 1026 : Tolède ; 1031 : Cordoue. AFRIQUE.L'Afrique avait reconnu les khalifes Abbassides ; mais les émirs y régnèrent bientôt en souverains, et l'autorité des Commandeurs des Croyants fut réduite à la suprématie spirituelle, qu'ils perdirent en 958. 788. — Édris-ben-Edris fonde la dynastie des Edrissites dans la Mauritanie. — Fez devient sa capitale. 800. — Ibrahim-ben-Agleb, chef de la dynastie aglabite, dans l'Afrique Carthaginoise et la Tripolitaine. — Kaïroan, capitale. 827, etc. — Conquête de la Sicile et de Malte par les Aglabites. La Sicile devient le centre d'opérations des flottes musulmanes qui vont déposer, sur les côtes d'Italie et d'Illyrie, des troupes de pirates et d'aventuriers. 868. — Toulun, gouverneur d'Égypte, fonde dans cette province une dynastie indépendante. 908. — Obéidaflah détrône les Aglabites et les Edrissites, en 909. Il est le chef de la race des Fatimites et le premier Mahadi ; mort en 934. 944. — L'arabe Zéiri fonde la ville d'Alger (al-Djézaïr) et se rend maître du pays environnant dont les khalifes Fatimites lui accordèrent la possession héréditaire et où sa famille régna jusqu'en 1143, époque où Roger lui enleva une grande partie de la côte, et les Almoravides la ville d'Alger. KHALIFES FATIMITES.953-975. — Moëz-Ledinillah, premier khalife. 968. — Conquête de l'-gypte par Djéwhar. Fondation du Caire (el-Kahira), qui devient la résidence des nouveaux khalifes. 980. — Conquête de la Syrie sous le règne d'Azis-Billah. 996-1021. — Hakem, petit-fils de Moëz, veut établir un nouveau culte et s'en faire la divinité. Il persécute les Chrétiens, et détruit leurs églises. Druzi fonde la secte mystique des Druzes, qui existe encore. 1036-1094. - Règne de Mostanser-Billah. Il aspire au khalifat universel et réunit ceux du Caire et de Bagdad, qui furent de nouveau divisés après lui. Le khalifat du Caire se prolongea jusqu'à l'an 1171, où il fut aboli par Saladin. KHALIFES ABBASSIDES.750-754. — Aboul-Abbas, premier khalife Abbasside. 762. — Fondation de Bagdad, sous Abou-Giafar-Almanzor. 775-784. — Mohammed Mahadi ; sa générosité et sa magnificence. 780. — Guerre avec l'empire grec. Haroun s'avance jusque devant Chalcédoine. 786-809. — Haroun-al-Raschid succède à son frère Al-Radi. Ses huit expéditions contre les Romains orientaux. L'empire musulman parvient à son plus haut degré de splendeur. Magnificence de la cour. Eclat des lettres. 813-833. — Al-Mamon ; ses vertus, ses talents, sa tolérance. Il éclaire ses peuples et les rend heureux. 838. — Guerre d'Amorium, dans l'Asie mineure, sous Motassem. 841. — Introduction des esclaves turcs dans la garde des khalifes. Prétentions et désordres de cette milice qui favorise l'insubordination de plusieurs émirs d'origine turque. La plupart des successeurs de Motassem périssent d'une mort tragique. 890. — Origine de la secte anti-sociale des Karmates. Elle excite la guerre civile et désole les provinces pendant un siècle. 934-940. — Khalifat de Rhadi. 935. — Mohammed-Ibn-Rayek, 1er Émir-al-Omrah. Il s'élève de toutes parts des dynasties indépendantes qui ne laissent au khalife que la ville de Bagdad, avec la suprématie spirituelle. La plus dangereuse pour les khalifes fut celle des Buides, qui joignit au gouvernement de la Perse la possession du grand-émirat. 997-1028. — Mahmoud le Gaznévide élève un puissant empire dans la Perse, sur les ruines de plusieurs dynasties provinciales. Il s'empare d'une partie de l'Inde. Les communications des Musulmans avec les Indous donnent naissance à l'hindoustani, idiome moderne de l'Inde, qui a pris la place du sanscrit, devenu la langue savante du pays. 1028. —Massouh succède à son père Mahmoud sous le khalifat du juste Kader-Billah. Seldjoucides. 1038. — Les Turcomans se révoltent contre Massouh, et renversent la domination des Gaznévides sous leur chef Togrul-Beg, petit-fils de Seldjouk, qui se fait proclamer sultan à Nischabour. Il se rend maître de Bagdad en 1055, et dépouille le dernier Buide, Malek-Rahim, de la dignité d'Emir-al-Omrah. Alp-Arslan, son successeur, fait la guerre à l'empereur Romain Diogène, et s'empare de l'Arménie et de la Cappadoce (1071). 1073-1092. — Sous le règne de Malek-Schah, les Seldjoucides achèvent la conquête de l'Asie mineure et de la Syrie. Mais leur vaste empire se divise à la mort de ce grand prince, et on voit se former les sultanies de Roum, d'Alep, de Damnas et de Kerman, tributaires de la Perse. |