Conquête de l'Italie méridionale par les Normands. — Républiques maritimes.§ Ier. — Conquête des Deux-Siciles. État du pays. — Quatre peuples étrangers se disputaient l'Italie méridionale : les Grecs, les Lombards, les Allemands et les Sarrasins. 1° Les empereurs grecs possédaient encore la Fouille et la Calabre, qui formaient le Thème de Lombardie, sous l'autorité précaire d'un catapan ou patrice. Les villes maritimes de la Campanie, Naples, Gaëte, Amalfi, Sorrente, s'étaient érigées en républiques, comme Gênes et Venise, et les richesses de leur commerce les rendaient redoutables à leurs voisins. 2° Les Lombards-Bénéventins avaient conservé leur indépendance après la conquête du royaume de Lombardie. D'abord tributaires des empereurs francs, ils reconnurent parfois la suprématie des autocrates byzantins, et flottèrent ensuite entre leur suzeraineté et celle des empereurs saxons ou franconiens. Depuis l'an 861, le grand-duché de Bénévent avait perdu Capoue et Salerne, qui s'étaient érigées en principautés. 3° Les empereurs allemands, comme successeurs des Carlovingiens, réclamaient l'hommage féodal des princes lombards ; et le mariage d'Othon II avec Théophanie leur avait donné des prétentions sur les possessions grecques d'Italie. Mais leurs expéditions n'eurent jamais de résultat décisif. 4° Les Sarrasins Aglabites d'Afrique avaient commence à se rendre maîtres de la Sicile en 827 k De là ils faisaient de fréquentes, descentes sur les côtes d'Italie, où ils établirent des colonies militaires plus ou moins durables. Les querelles des princes lombards et des républiques campaniennes favorisaient leurs entreprises. Les papes alarmés ne cessèrent d'implorer contre les Infidèles la piété des rois d'Italie, et les combattirent quelquefois eux-mêmes. Léon IV sauva Rome en 846, et Jean X chassa les Sarrasins des bords du Garigliano, en 915. Premiers aventuriers normands, 1006-1027. — Dans les premières années du onzième siècle, quarante pèlerins normands, ayant abordé à Salerne, mirent en fuite les Sarrasins espagnols qui vinrent assiéger cette ville. Rentrés dans leur patrie, ils apprirent à leurs compatriotes qu'il existait au-delà des monts un pays ou les exploits étaient faciles et le butin précieux. Trois cents chevaliers se décidèrent à passer en Italie, sous la conduite de Drengot, Rainulfe, Osmond, et autres aventuriers (1016). Ils échouèrent dans une première attaque sur Bari, et se mirent an service des princes lombards ou des ducs de Naples, mesurant au prix de la solde étrangère leur constance et leur fidélité. Le duc Sergius III, rétabli dans Naples par leur valeur, en ioa5, céda à Rainulfe le territoire d'Aversa avec le titre de comte, qui lui fut confirmé par l'empereur Conrad le Salique ; ce premier établissement des Normands servit de ralliement et d'asile à d'autres aventuriers. Illustration des fils de Tancrède, 1037, etc. — Trois fils de Tancrède d'Hauteville, Guillaume, Drogon et Humfroy, devancèrent leurs antres frères en Italie. Après avoir pris Amalfi pour le prince de Salerne, ils s'enrôlèrent sous les drapeaux du patrice Maniacès et entreprirent avec lui la conquête de la Sicile. Les chevaliers normands se signalèrent dans divers combats livrés aux Sarrasins, et ils auraient achevé la soumission de l'île sans la perfidie des Grecs, qui voulurent les frustrer de leur part du butin. Forcés de déserter la cause de leurs alliés, ils repassèrent sur le continent, et se liguèrent avec le comte d'Aversa et Pandulfe III, prince de Bénévent. Le nouveau patrice Dokéan, qui avait succédé au rebelle Maniacès, fut vaincu à la bataille de Cannes. Peu de temps après, la révolte de ce patrice ayant mis la division parmi, les Grecs, la plus grande partie de la Pouille tomba au pouvoir des étrangers. Dans une assemblée tenue à Melfi en 1043, les conquêtes normandes furent partagées entre les douze principaux chefs, et Guillaume obtint le titre de comte de Pouille, qui devait passer à trois de ses frères. Les empereurs Constantin Monomaque et Henri III s'étant ligués avec le pape Léon IX contre les conquérants français, tout l'avantage resta à ces derniers, qui battirent les Grecs et les Allemands, et firent le pape prisonnier à la bataille de Civitella (1053). Léon IX, pour recouvrer sa liberté, donna l'investiture de la Pouille au comte Humfroy. Robert Guiscard et Roger. — Ces deux héros, fils de Tancrède, étaient venus, dès l'an 1046, s'associer aux exploits de leurs frères. Robert, ayant succédé à Humfroy en 1057, se rendit maître des deux Calabres, s'arrogea la dignité ducale, et se mit ainsi hors de pair parmi les comtes normands. Excommunié par Nicolas II, pour s'être emparé de Troja, il obtint son absolution moyennant l'hommage et un tribut annuel. Le pape ajouta à cette indulgence l'investiture du duché de Pouille et de la Sicile (1059). Ce même pontife venait d'investir Richard d'Aversa de la principauté de Capoue, qui fut enlevée à Pandulfe VI en 1062. Conquête de la Sicile, 1061-1101. —En vertu de la donation pontificale, et à la faveur des discordes qui divisaient les Sarrasins, Robert et Roger forment le dessein de conquérir la Sicile. L'émir Ebn-Temnath leur en offre l'occasion en appelant Roger à son secours contre ses rivaux. La prise de Messine est suivie de nouveaux avantages 5 mais la retraite momentanée de Robert suspend les succès, et réduit son frère à une détresse d'où il ne sort qu'à force d'héroïsme. Au retour du duc de Pouille, les Normands avaient déjà repris l'offensive, et l'union des deux chefs amena la prise de Catane et de Palerme (1074). En peu d'années toute l'île tomba au pouvoir de Roger, qui enleva encore aux Sarrasins le rocher de Malte, alors comme aujourd'hui important par sa position. Ce prince gouverna sa conquête avec une rare habileté, jusqu'en 1101, sous le titre de Grand Comte. C'est ainsi que d'obscurs chevaliers mirent fin à la domination musulmane en Sicile, et que cette ancienne province de l'empire Byzantin et de l'église grecque fut replacée sous la juridiction pontificale. Conquêtes en Terre-Ferme, 1074-1084. — Pendant que Roger achève la conquête de la Sicile, Robert s'applique à mettre sous ses lois toutes les possessions des Grecs et des Lombards. Avec le secours des Amalfitains et du comte normand de Capoue, il assiège son beau-frère Gisulfe II dans Salerne, et se rend maître de cette ville importante (1077). L'année suivante, Bénévent tombe en son pouvoir, et la domination lombarde y finit dans la personne de Landulfe VI (1078). Tournant alors ses armes contre les villes grecques, Guiscard s'empare de Bari, de Tarente et d'Otrante, derniers asiles de la domination byzantine en Italie (1080). 1081-1084. — Robert veut poursuivre ses succès au-delà de la mer. Il va assiéger Durazzo, qu'il prend d'assaut après une grande victoire remportée sur Alexis Comnène et s'avance jusqu'en Thessalie sans trouver d'obstacles. Rappelé en Italie, il fait lever le siège de Rome à l'empereur Henri IV, et ouvre un refuge au pape Grégoire VII. Il reprend ensuite ses projets sur l'empire grec 5 mais, après une victoire navale, la mort surprend ce grand homme à Céphalonie (1084). Après la mort de Robert Guiscard, son second fils, Roger Bursa, fut duc de Pouille au détriment de Bohémond. Mais ni ce prince, ni son fils Guillaume ne soutinrent l'honneur de leur race. La mort de ce dernier livra au fils de Roger Ier, comte de Sicile, la succession de Robert Guiscard, et les possessions des deux branches normandes se trouvèrent ainsi réunies en 1127. Royaume des Deux-Siciles, 1130. — Roger II, tout puissant dans l'Italie méridionale par l'héritage de Guillaume II, prit le titre de roi, dont l'anti-pape Anaclet II, son beau-frère, et ensuite Innocent II, lui donnèrent la confirmation. Malgré les efforts de l'empereur Lothaire II et des Pisans, il se maintint dans ses possessions, se rendit maître de Naples en 1139, lutta avec avantage contre les forces navales de l'empereur Manuel, forma des établissements en Afrique, où il acheva la ruine des Zéirites par la prise de Tripoli et de Mahadié, et fonda sur des institutions utiles une puissance qui allait bientôt passer à des princes d'une autre famille. § II. — Républiques maritimes. Les conquêtes des Normands avaient fait disparaîtra les républiques campaniennes de Naples, d'Amalfi, de Gaëte, pendant que trois autres cités de l'Italie, enrichies comme elles par le commerce de la mer, consolidaient leur indépendance, et commençaient à faire sentir à leurs voisins leur importance politique. Ces républiques naissantes étaient Venise, Gènes et Pise. Venise. — Depuis que les Vénitiens, en se donnant un duc, avaient annoncé l'intention de se gouverner eux-mêmes, les empereurs grecs n'avaient conservé qu'un patronage honorifique sur des républicains qui s'avouaient sujets de l'empire pour mieux assurer leur liberté. Charlemagne obtint d'eux des sermons stériles, et l'autorité de ses descendants ne dépassa jamais les Lagunes, à moins qu'on ne regarde comme un acte de souveraineté la charte par laquelle le roi Guy confirma, en 891, les privilèges dont Venise était dès longtemps en possession. Depuis cette époque jusqu'au milieu du siècle suivant, la Seigneurie ne posséda sur le continent que les terres riveraines des deux Piaves, et le commerce vénitien fut souvent à la merci des Narentins qui possédaient trois zoupanies en Illyrie et les principales îles de l'Adriatique. Mais vers l'an 959, sous le dogat de Pierre Candiano III, l'enlèvement des fiancées vénitiennes par des pirates Istriotes donna lieu à une rupture hostile avec les États slaves de l'Illyrie. D'abord les forbans de Narenta et de Capo-d'Istria furent rendus tributaires, et bientôt les villes grecques de la côte illyrienne, Zara, Trieste, Pola, Trau, Raguse, Spalatro, toujours menacées ou rançonnées par les rois croates et dalmates, demandèrent à Venise une protection que Byzance ne pouvait plus leur donner. Le doge Urséolo II leur imposa des podestats vénitiens, et prit le titre de duc de Dalmatie (997). Dès-lors la république domina sur la mer Adriatique ; mais ses divisions intestines, et surtout la rivalité des Morosini et des Caloprini, retardèrent les progrès de sa puissance pendant le onzième siècle. Les croisades devaient lui ouvrir une vaste carrière. Gênes et Pise. — Ces deux républiques naquirent de l'anarchie qui commença en Italie après la déposition de Charles le Gros, en 888. C'est à cette année que les Génois rapportent l'origine de leurs consuls, de leur sénat, de leur assemblée du peuple, et de toutes leurs anciennes formes municipales, que le roi Bérenger II reconnut par une charte de l'an 958. Pise se donna dans le dixième siècle des institutions à peu près les mêmes, et, comme Gênes, elle chercha sa prospérité dans le commerce maritime. Les premiers ennemis que ces deux cités eurent à combattre furent les Sarrasins ; Gênes fut pillée par ces pirates en 936, et Pise en 1005. C'est par ces deux désastres que commence l'histoire de leur prospérité. 1017. — Le besoin de s'unir contre l'ennemi commun fit conclure la première alliance connue entre les Génois et les Pisans. Leurs flottes attaquèrent d'abord la Sardaigne, qui servait de rendez-vous et d'asile aux Musulmans. Les Pisans la conquirent deux fois sur Mougheit, roi de Dénia et de Majorque, et en restèrent maîtres en 1050. Les Génois s'établirent dans la Corse, dont la possession était nécessaire à leur sûreté. Mais les deux républiques ayant élevé des prétentions opposées sur ces deux grandes îles, il s'ensuivit de longues guerres, qui, après un siècle et demi, devaient amener la ruine de la puissance pisane. |