Conquête de l'Angleterre par les Northmans Danois et les Normands Français. — Alfred le Grand et Guillaume le Conquérant.§ Ier. — Première période de l'invasion danoise, et règne d'Alfred le Grand. A la suite des guerres qui divisèrent, l'heptarchie saxonne, l'inégalité primitive des sept royaumes avait amené entre eux des rapports de supériorité et de subordination. Wessex, Mercie et Northumberland dominaient sur les autres États rendus tributaires, lorsque Egbert le Grand, élu roi de Wessex en 800, modifia cet ordre de choses. Il fit passer à l'état de sujets les peuples tributaires de Kent, d'Essex, de Sussex et d'Est-Anglie, et soumit au tribut les royaumes indépendants de Mercie (812) et de Northumberland (827). Depuis ce moment, l'Angleterre peut être considérée comme ne formant plus qu'une seule monarchie. Cette révolution promettait un heureux avenir à une nation que sa position géographique semblait mettre à l'abri de toute invasion étrangère. Mais ce qui devait la protéger fut la première cause de sa ruine, et la monarchie anglo-saxonne se trouva destinée à subir tour à tour le joug des Northmans du Danemark, qui la démembrèrent, et celui des Normands Neustriens, qui surent la conquérir et la conserver. Les descentes des Danois, commencées en 793, reprises sous Egbert en 832, et ralenties par ses victoires, devinrent plus fréquentes et plus terribles lorsque, après la mort d'Ethelwolf en 857, le partage du royaume et les divisions des princes ouvrirent l'Angleterre, comme la France, aux pirates du Nord. Dans cette île, plus tôt encore que sur le continent, les Northmans formèrent des établissements durables, et, secondés par l'alliance des Gallois et des Écossais, ils subjuguèrent d'abord le Northumberland et l'Est-Anglie, et enfin tout le royaume. Règne d'Alfred, 871-900. Un grand homme retarda pour un siècle ce résultat futur de l'invasion danoise. Alfred, le plus jeune des fils d'Ethelwolf, élevé à Rome sous les yeux du pape Léon IV, apporta sur le trône de Wessex les vertus d'un sage et les qualités d'un héros. Sept ans de revers et d'infortunes lui apprirent à vaincre et à régner. Tout semblait perdu pour lui, lorsque la victoire d'Edington, en Devonshire, lui rendit les États qu'il avait hérités de ses frères, et ceux que leurs défaites avaient livrés aux étrangers (878). Les Danois de l'Est-Anglie et du Northumberland reconnurent Alfred pour souverain, et embrassèrent le christianisme à l'exemple de leur roi Gudrun. Dès-lors les Northmans d'outre-mer tournèrent pour un temps leurs courses vers d'autres contrées. Devenu paisible possesseur de ses États, Alfred s'appliqua à les mettre à l'abri des attaques étrangères et à civiliser la nation anglo-saxonne. Londres, agrandie et fortifiée, devint la capitale et l'arsenal maritime du royaume. Les navires construits dans son port servirent à la défense des côtes ou furent employés aux besoins du commerce. La prospérité commença à renaître sous ce prince, qui savait protéger la paix publique par son épée et par ses lois. Pour faciliter la marche de l'administration et la distribution de la justice, Alfred renouvela la division du royaume en comtés (county, shire), centuries (hundred) et décuries (decennary) ; les lois d'Ina, d'Offa, d'Éthelbert, furent recueillies et améliorées, le clergé, honteux de son ignorance, se livra à l'étude pour plaire à un monarque qui fondait des écoles et appelait dans ses États les savants étrangers, enfin Alfred put espérer que la civilisation de l'Angleterre serait le fruit de ses efforts. Mais ses grandes pensées périrent avec lui, et l'émule de Charlemagne ne fut pas plus heureux que son modèle. Paix intérieure après Alfred, 900-978. — Édouard l'Ancien, fils d'Alfred, prit le titre de roi d'Angleterre, qu'ont porté tous ses successeurs. Sous son règne, et durant six autres règnes consécutifs[1], l'Angleterre n'eut rien à redouter des Northmans Scandinaves ; mais les Danois naturalisés sur le sol anglais inquiétèrent souvent le royaume en s'armant pour la cause des prétendants que faisait naître l'irrégularité de la succession royale. L'ordre public fut aussi troublé par l'ambition des moines, qui s'ingérèrent dans des affaires publiques, et furent sur le point de faire abolir le clergé séculier. § II. — Seconde période de l'invasion danoise, et fin de la dynastie saxonne, 978-1066. Pendant la minorité d'Éthelred II, les Danois d'outremer recommencèrent leurs attaques. Le succès d'une, première descente engagea les rois de Danemark et de Norvège, Suénon et Olaf, à tenter la conquête de l'Angleterre ; mais l'or des vaincus les désarma, et les Anglo-Saxons subirent l'impôt du Danegeld (argent des Danois), au prix duquel ils venaient d'acheter une paix honteuse (1001). Dans l'espoir de s'affranchir de ce tribut, Ethelred ordonna, pour le jour de la Saint-Brice, le massacre des Danois établis dans ses États ; mais cette nouvelle lâcheté appela de nouveaux malheurs sur l'Angleterre. Suénon reparut avec une nombreuse armée ; et, après quelques années d'hostilités, il força le monarque saxon à se réfugier en Normandie auprès de son beau-frère Richard II, et se fit proclamer lui-même roi d'Angleterre (1014). Canut le Grand, 1015-1036. — A la mort de Suénon, son fils Canut lui succède dans sa conquête comme dans ses États héréditaires. Deux ans après, Édouard II, fils d'Éthelred, ayant été assassiné, il se fait reconnaître roi de toute l'Angleterre par un wittenagemot composé de Danois et de Saxons. Son mariage avec la veuve d'Éthelred lui concilie les vaincus et désarme le duc de Normandie. Par une politique sage et généreuse, il rétablit les lois d'Alfred, si chères à la nation, confond les Danois et les Saxons dans la dispensation des faveurs, et donne sa fille au comte Godwin, dont la popularité égalait l'illustration guerrière. Les Anglais, dévoués à ce grand prince, le servent avec fidélité, et contribuent à la conquête de la Norvège, qui est un moment réunie au Danemark. Canut, en mourant, laisse trois couronnes et trois fils. Deux règnent successivement sur l'Angleterre, et font détester à leurs sujets insulaires la domination danoise ; mais leur mort prématurée rend le trône libre, et les Saxons reviennent au sang de leurs anciens rois. Édouard le Confesseur, fils d'Éthelred II, occupe vingt-cinq ans le trône avec bonheur, sinon avec gloire. Son règne n'est troublé que par des hostilités passa- gères avec les Écossais et les Gallois, et par une révolte du comte Godwin, qui exerçait sous le dernier roi saxon la même influence que Hugues le Grand sous les derniers Carlovingiens. Edouard, élevé en Normandie, avait apporté en Angleterre la langue et les habitudes des Normands français. En prodiguant à ces étrangers les charges civiles et les dignités ecclésiastiques, il leur livrait d'avance l'Angleterre. § III. — Conquête de l'Angleterre par Guillaume de Normandie, 1066-1087. Édouard le Confesseur étant mort sans en fa ns et sans héritier prochain, il s'élève deux prétendants à la couronne, Harold, fils de Godwin, et Guillaume le Bâtard, duc de Normandie. Le premier se l'ait élire par les grands de la nation ; le second invoque un prétendu testament d'Edouard, et fait prononcer le pape en sa faveur. Les Normands français se liguent contre Harold avec les Norvégiens. Mais les deux attaques n'ayant pu se faire de concert, le roi Halfager est vaincu, et périt à la bataille de Stansford. Bataille d'Hastings, 1066. — Guillaume débarque dans le comté de Sussex avec une armée de soixante mille hommes. Harold perd la vie à la mémorable bataille d'Hastings, qui décide du sort de l'Angleterre. Le vainqueur va se faire couronner à Londres, et reçoit les serments du clergé et des chefs de la nation. 1067. — Pendant que le conquérant visitait la Normandie, les Saxons, déjà aliénés par la spoliation de ceux qui avaient embrassé la cause d'Harold, sont poussés à la révolte par la tyrannie des régents et les vexations des vainqueurs. Mais Guillaume va rétablir l'ordre et effraie les vaincus par le massacre d'Exeter. Cependant une insurrection générale éclate dans les provinces. Les Anglo-Saxons, soutenus parles Écossais, les Danois, les Gallois et les Irlandais, prennent les armes sous les comtes Edwin et Morkar. Un descendant de Cerdic, l'Etheling ou prince royal Edgar, est reconnu pour roi au nord de l'Humber et dans les marches Galloises. Mais Guillaume vient à bout de tous ses ennemis, fait la loi à Malcolm III, roi d'Écosse, et se montre inexorable dans ses rigueurs contre les vaincus. Tous les prélats anglais sont déposés, et les biens de toute la nation sont compris dans une confiscation générale qui donne matière à la création de 62.500 fiefs immatriculés dans le Doomsday-Book ou grand terrier du royaume. La dépouille des déshérités sert à doter les chevaliers normands, qui se trouvent tous enveloppés dans les liens de la vassalité à l'égard de la couronne. Parla le gouvernement de l'Angleterre devient purement féodal, mais d'une féodalité modifiée au profit de la couronne. 1078-1087. — Le Conquérant venait de châtier quelques seigneurs qui avaient conspiré contre lui, lorsqu'il fut appelé dans ses États héréditaires par la défection des Manceaux, qui s'étaient donnés au comte d'Anjou, et par la révolte de son fils Robert, qui voulait s'approprier la Normandie. Il réussit à réduire tous ses ennemis ; mais Robert, excité par Philippe Ier, renouvela ses prétentions en 1084, et résista avec succès à son père. Guillaume voulut s'en venger sur le roi de France, mais la mort vint l'arrêter pendant qu'il marchait sur Paris. Des trois fils qu'il avait eus de Mathilde de Flandre, Robert, l'aîné, fut frustré de la couronne et obtint seulement la Normandie, qu'il perdit ensuite ; Guillaume, surnommé le Roux, se saisit du trône, où s'assit après lui son frère, Henri Ier, troisième fils du fondateur de la dynastie normande d'Angleterre. L'île des Anglo-Saxons, conquise par l'habileté et le courage de Guillaume le Bâtard, écrasée sous sa tyrannie, venait de subir le joug le plus dur et le plus humiliant. Elle avait vu ses habitans dépouillés de leurs biens, privés de tous leurs droits, voués à l'outrage ; une race d'étrangers altiers mise en possession de toutes ses richesses, seule libre, seule honorée ; une langue étrangère parlée dans le palais des rois, dans les châteaux, dans les cours de justice, qui devait laisser dans l'idiome national des traces ineffaçables de la conquête. Toutefois cette langue servait de véhicule à des formes de politesse et à des éléments d'une civilisation nouvelle, dont les vaincus eux-mêmes devaient un jour profiter ; et l'Angleterre, désormais en rapport direct avec le continent, acquérait une nouvelle importance. Ennemie et rivale de la France par la position féodale de ses nouveaux rois, elle soutiendra son rôle avec gloire, et compromettra plus d'une fois les destinées de cet empire. |
[1] Athelstan, 925 ; Edmond Ier, 941 ; Edred, 946 ; Edwi, 955 ; Edgar le Pacifique, 959 ; Edouard le Martyr, 978.