PRÉCIS DE L'HISTOIRE DU MOYEN ÂGE
PREMIÈRE PARTIE. — DEPUIS L'INVASION DES BARBARES JUSQU'AUX CROISADES, 395-1095
CHAPITRE ONZIÈME.
État des lettres et des arts, depuis Théodose jusqu'à Charlemagne.L'INVASION des peuples du Nord, qui sépare l'antiquité des temps modernes, interrompit le cours déjà rétrograde de la civilisation grecque et romaine. Mais le débordement de la barbarie ne pouvait pas être aussi rapide que la marche des phalanges germaniques. En Orient, la protection des Césars byzantins soutint la culture des lettres déchues ; en Occident, l'Eglise en recueillit dans son sein quelques déplorables débris. C'est de cette décadence et de ces ruines que se compose toute l'histoire littéraire des cinquième, sixième, septième et huitième siècles. § I. — Chute de la philosophie Néo-Platonicienne. Dès le premier siècle, de l'ère chrétienne, plusieurs philosophes grecs avaient entrepris de propager la morale et la théorie religieuse de Platon, et imaginé un système d'interprétation allégorique dans lequel ils rattachaient tous les dogmes de celte philosophie et de celle de Pythagore et d'Aristote aux anciens mystères religieux. Ils fondirent tous les systèmes dans un éclectisme universel, et l'école d'Alexandrie, où ils établirent leur empire, opéra l'alliance intime de l'esprit grec et du mysticisme oriental. Cette secte des nouveaux Platoniciens s'étant déclarée l'ennemie du christianisme, fut proscrite par Constantin, qui fit fermer, en 324, ses écoles d'Alexandrie et de Rome. Tirée de l'obscurité et rétablie dans ses premiers honneurs par la protection de l'empereur Julien, elle professa de nouveau, dans le musée d'Alexandrie et à Athènes, l'éclectisme philosophique d'Ammonius-Sac-cas et de Plotin. La tolérance des empereurs chrétiens souffrit longtemps qu'on enseignât dans ces deux villes des doctrines contraires à l'Évangile. Mais le pillage du Sérapion, sous le premier Théodose (390), et le massacre d'Hypatie, sous Théodose II (415), ayant frappé de mort l'école alexandrine, le néo-platonisme se concentra dans Athènes, où le génie de Syrianus et de Proclus lui rendit son ancien éclat. Les disciples de ces deux philosophes soutinrent l'honneur de leur secte jusqu'à l'édit de 529, par lequel l'empereur Justinien ordonna la clôture de la dernière école d'Athènes, et acheva la ruine du polythéisme, que les Platoniciens avaient entrepris de rétablir. PLATONICIENS DE L'ÉCOLE D'ATHÈNES.
§ II. — Littérature sacrée. Le besoin de défendre la religion chrétienne contre ses nombreux ennemis, et le désir de lui donner des prosélytes parmi les esprits éclairés, avaient forcé les docteurs de l'Église à étudier la religion, qu'ils voulaient propager, l'idolâtrie, qu'ils entreprenaient de détruire, et la philosophie païenne, qu'il fallait convaincre d'impuissance et d'erreur ou asservir aux doctrines de l'Évangile. De là naquit la littérature ecclésiastique, qui embrasse dans son ensemble l'apologétique, l'exégèse ou interprétation critique, la dogmatique, la polémique, la morale religieuse, l'éloquence de la chaire, et l'histoire sacrée. On a donné le nom de Pères de l'Église aux auteurs qui, dès les premiers temps du christianisme, consacrèrent leurs travaux à la défense et à l'exposition de la foi. L'Orient et l'Occident, la langue grecque et la langue latine, produisirent également des hommes de génie qui, joignant un vaste savoir à une piété courageuse, ajoutèrent un nouveau lustre à la gloire littéraire de la Grèce et de Rome, lorsqu'ils croyaient seulement remplir les devoirs de chrétiens et de ministres de la parole divine. La période historique des empereurs théodosiens vit briller encore, au milieu de ses désastres, quelques rayons de la gloire du quatrième siècle, de ce siècle illustré par les Athanase, les Eusèbe, les Basile, les Grégoire, les Chrysostome, les Lactance, les Hilaire, les Ambroise, les Augustin, qui l'ont fait regarder comme l'âge d'or de la littérature ecclésiastique. Après cette époque, les lettres sacrées, et surtout l'éloquence de la chaire, furent entraînées dans la décadence universelle, et les seuls docteurs de la foi qui méritent le titre de Pères de" l'Église furent, en Occident, le pape saint Grégoire ; en Orient, saint Jean Damascène. Dans ces temps d'ignorance et de barbarie, la plupart des écrivains ecclésiastiques s'appliquèrent à raconter les évènements relatifs à la religion, ou la vie des saints que l'Église honore. De là l'histoire mixte et la biographie sacrée. PÈRES ET DOCTEURS DE L'ÉGLISE GRECQUE.
HISTORIENS ECCLÉSIASTIQUES GRECS.
PÈRES ET DOCTEURS DE L'ÉGLISE LATINE.
HISTORIENS ECCLÉSIASTIQUES LATINS.
POÈTES CHRÉTIENS LATINS.
§ III. — Littérature latine. Le dépérissement des lettres latines fut plus rapide et plus général que la décadence de la littérature grecque, parce que l'invasion fut universelle dans l'Occident, et que la chute de cet Empire laissa la langue latine et ses écrivains à la merci de la barbarie. La poésie, plus étroitement liée au polythéisme que tous les autres genres, changea d'objet et de nature après Claudien, qu'on peut regarder comme le dernier poète du paganisme. La corruption du goût fut moins sensible dans la poésie que dans la prose. POÈTES LATINS PROFANES.
L'histoire civile avait eu, dans Ammien Marcellin, le dernier interprète digne d'elle. On ne vit plus après lui que d'acides chroniqueurs, avec lesquels il ne faut pas confondre quelques auteurs qui, s'attachant plus spécialement au récit des choses saintes, nous ont transmis néanmoins de précieux détails sur les évènements politiques de leur temps. HISTORIENS ET CHRONIQUEURS LATINS.
Les plus précieux et les plus authentiques monuments de l'histoire des cinquième et sixième siècles sont les lettres des personnages qui jouèrent un rôle important dans l'État ou dans l'Église. Nous en possédons plusieurs recueils d'un grand intérêt. ÉPISTOLOGRAPHES LATINS.
La philosophie péripatéticienne fut suivie de préférence par les Pères de l'Église, qui l'opposèrent au nouveau platonisme. Boèce dut à cette étude une partie de son illustration. Il fut le plus grand philosophe et le seul mathématicien de cette époque en Occident. Tandis que les lettres étaient de plus en plus délaissées, quelques hommes se dévouèrent à la conservation des débris de l'antiquité k l'explication de ses chefs-d'œuvre et à l'enseignement d'une langue qui dégénérait en un idiome barbare. ÉRUDITS ET GRAMMAIRIENS LATINS.
§ IV. — Littérature et sciences grecques. La littérature grecque, liée aux destinées de l'Empire byzantin, revêtit la couleur de la société dont elle était l'expression, et la dégradation des esprits y suivit celle des caractères. Les lettres profanes et sacrées déclinèrent de concert, jusqu'au moment où elles devaient périr ensemble. Toutefois deux branches essentielles des connaissances humaines, l'histoire et la jurisprudence, furent quelque temps encore cultivées avec succès ; mais l'éloquence devint muette, même pour la louange, et la poésie s'éteignit, pour ne plus renaître, avec tous les autres arts d'imitation. Les derniers poètes de Byzance s'efforcèrent de ranimer au milieu de la Grèce chrétienne les fictions du polythéisme ; mais cette tentative inopportune ne produisit que de serviles imitations des anciens. Condamnée à chercher des formes nouvelles et des ornements inconnus, la poésie sembla se condamner au silence plutôt que de parler une autre langue que celle d'Homère. L'époque de Justinien fut remplie par les épigrammatistes. POÈTES GRECS.
ÉPIGRAMMATISTES.
La décadence des lettres donna naissance au roman, genre d'ouvrage inconnu aux siècles classiques, et destiné à devenir, dans le moyen âge et dans les temps modernes, l'expression vivante des mœurs sociales. ROMANCIERS GRECS.
De la servitude et de la corruption du Bas-Empire sortirent quelques compositions historiques supérieures à tous les ouvrages littéraires de cette époque. Au premier rang des historiens byzantins il faut placer Zozime et Procope de Césarée. HISTORIENS BYZANTINS.
Les travaux des géographes byzantins de cette époque peuvent servir à l'intelligence de leurs devanciers. L'un d'entre eux, Cosmas Indicopleustès, étendit le domaine de la science. GÉOGRAPHES
La philologie, née dans l'école d'Alexandrie, produisit plus de lexicographes que de véritables grammairiens. PHILOLOGUES.
Nous avons parlé ailleurs de la jurisprudence romaine qui fut si florissante sous Justinien, et dont la plupart des monuments furent écrits en latin. Il nous reste cependant quelques commentaires grecs des lois latines de Byzance. JURISCONSULTES.
Quelques grands médecins écrivirent sur leur art ; mais la science ne fit aucun progrès remarquable depuis l'époque des Antonins jusqu'à celle des Abbassides. MÉDECINS.
Presque tout ce que nous savons des connaissances mathématiques de l'antiquité, nous le devons à l'école d'Alexandrie. S'il est vrai que Diophante ait vécu dans le cinquième siècle, cette époque est celle de l'invention de l'algèbre. MATHÉMATICIENS, PHYSICIENS, etc.
§ V. — Beaux-arts. Les arts du dessin étaient déjà en pleine décadence, lorsque l'invasion des Barbares vint achever leur anéantissement. Cette époque vit tomber plus de temples qu'elle ne fonda d'églises. Mais aussi, pendant qu'un zèle aveugle livrait à la destruction des monuments païens, chefs-d'œuvre de l'architecture classique, la religion chrétienne séparait des magnificences du culte aboli, et conservait ainsi les plus beaux restes de l'antiquité. Elle avait déjà élevé, sous Constantin, quelques églises d'une médiocre beauté ; il s'en éleva d'autres sous les empereurs théodosiens. Mais les seuls monuments sacrés de cette époque qui méritent d'être cités pour leur hardiesse ou leurs dimensions colossales, sont la Rotonde de Ravenne et Sainte-Sophie de Constantinople. Un roi barbare et un empereur, Théodoric et Justinien, attachèrent leurs noms à ces derniers ouvrages de l'art. Après eux le bouleversement de l'Occident et l'instabilité du pouvoir impérial en Orient ne permirent pas aux princes d'entreprendre de longues constructions. Les invasions des Musulmans, ennemis des images, et les fureurs des Iconoclastes, portèrent une atteinte irréparable aux beaux-arts, et particulièrement à la peinture et à la sculpture, dont la dégradation avait précédé depuis longtemps celle de l'architecture. Un genre nouveau, injustement flétri du nom de gothique, prit naissance durant cette période. On en rencontre quelques indices avant l'invasion des Barbares. |
