PRÉCIS DE L'HISTOIRE DU MOYEN ÂGE

PREMIÈRE PARTIE. — DEPUIS L'INVASION DES BARBARES JUSQU'AUX CROISADES, 395-1095

 

CHAPITRE DIXIÈME.

 

 

État de l'Église depuis la mort de Théodose jusqu'à Charlemagne.

 

§ I. — Propagation du christianisme.

 

AVANT l'invasion des Barbares, qui devait amener de nouvelles nations dans le sein de l'Église, et ouvrir le Nord à sa lumière, le christianisme se soutenait péniblement en Perse, florissait en Ethiopie et en Arménie, et dominait dans toutes les provinces de l'Empire romain. Toutefois les vérités de l'Évangile y trouvaient encore des adversaires parmi les disciples de l'école platonicienne et les païens ou habitants des campagnes. Mais depuis que la prédication chrétienne avait cessé d'être périlleuse dans les pays de la domination romaine, les apôtres de la foi commençaient à la répandre au-delà des frontières septentrionales. On eût dit que la religion de paix et de miséricorde allait à la rencontre des Barbares pour adoucir leurs mœurs féroces, et leur inspirer quelques sentiments d'humanité en faveur des nations qu'ils venaient subjuguer.

Parmi les peuples qui détruisirent l'Empire romain, les uns étaient chrétiens avant l'invasion du sixième siècle, les autres le devinrent plus tard. Dans la première classe on peut compter les Goths, convertis dès le quatrième siècle par leurs évêques Théophile et Ulphilas ; les Hérules, les Suèves, les Vandales, et même les lombards, dont la conversion partielle ne nous a pas été racontée par les historiens. Ces diverses tribus, appelées au christianisme par des missionnaires ariens, n'adoptèrent la foi catholique de Nicée qu'après leur établissement dans l'Empire : les Suèves sous Cariarie, après l'an 551, les Visigoths sous Récarède, en 587 ; les Lombards sous Agilulfe, vers 602. Les Hérules, les Vandales et les Ostrogoths restèrent constants dans l'arianisme pendant toute la durée de leur domination.

Dans la classe des Barbares qui reçurent le christianisme après l'invasion, il faut comprendre les Bourguignons, les Francs, les Scots de l'Irlande et de la Calédonie, les Anglo-Saxons, et divers peuples de la Germanie. Les Bourguignons, convertis en 433 par un évêque arien de la Gaule, se firent catholiques sous Gondebaud et Sigismond, de 499 à 517. Les Francs, à l'exemple de Clovis, reçurent le baptême comme une condition de la victoire de Tolbiac, et devinrent tout à la fois chrétiens et orthodoxes (497).

Vers le temps où les Saxons commençaient à proscrire la foi dans la Grande-Bretagne, un Écossais, saint Patrick, la propagea, dit-on, en Irlande, dans cette Île des Saints d'où devaient sortir tant de zélés apôtres, entre autres saint Colomban, qui répandit le christianisme dans la Calédonie et ensuite sur les bords du Rhin. La conversion des Anglo-Saxons fut un des bienfaits de saint Grégoire. Ce grand homme, qui signala son pontificat par tant de réformes et d'améliorations ecclésiastiques, confia cette grande mission au moine saint Augustin, qui baptisa, en 596, le roi de Kent, Ethelbert, et jeta à Cantorbéry les fondements de l'ancienne église d'Angleterre. C'est des îles Britanniques que sortirent, dans les septième et huitième siècles, les courageux missionnaires qui allèrent achever, dans la Germanie, l'ouvrage commencé par saint Rupert, premier évêque de Salzbourg. Colomban, Kilian, Wilfrid, Willebrord, y furent les précurseurs de saint Boniface, ce grand apôtre des Germains qui termina par le martyre une vie toute vouée à la religion (755).

En Orient, le christianisme fit de nouveaux progrès dans les provinces romaines et hors des limites de l'Empire. Justinien porta le dernier coup au polythéisme philosophique des villes et à l'idolâtrie des campagnes. Au-delà du Caucase, les Lazes et les Abasges venaient de demander des pasteurs spirituels à Justin Ier, et la protection des empereurs fut le prix de leur conversion. Pendant le siècle suivant les chrétiens de la communion nestorienne propagèrent l'Évangile dans l'intérieur de l'Asie, et Olopen alla fonder une église hétérodoxe dans la Chine, en 636.

 

§ II. — Revers du christianisme.

 

Les conquêtes du christianisme en Asie furent pour la plupart imparfaites et de courte durée, et c'est dans cette contrée que l'Église de Jésus-Christ rencontra ses deux plus grands fléaux, l'hérésie et le mahométisme.

Hérésies. — Les premiers chrétiens donnèrent le nom grec d'hérésie à des opinions religieuses contraires soit au texte des évangiles, soit à la tradition de l'Église. On peut en réduire les nombreuses variétés à cinq divisions bien distinctes.

Les hérésies philosophiques, qui embrassent les G nos-tiques, les Cérinthiens, les Manichéens, les Priscillianistes, etc.

Les hérésies de mœurs des Nicolaïtes, des Carpocratiens, des Montanistes, des Valésiens, des Origénistes, etc.

Les hérésies relatives à la nature de J.-C., qui attaquaient le christianisme dans sa base. Ces erreurs furent professées sous différentes formes par les Monarchiques, les Ariens, les Nestoriens, les Monophysites, les Eutychiens et Jacobites, les Monothélites, etc.

Les hérésies de controverse, parmi lesquelles nous ne citerons que celles des Pélagiens, ennemis du péché originel et de la grâce, et des Prédestinations, qui donnèrent dans l'excès contraire.

Enfin les hérésies de formes, dont les sectateurs, fidèles aux dogmes de la foi, s'écartèrent de l'unité ecclésiastique en attaquant l'ordre établi dans l'Église. Tels furent les Donatistes en Afrique, et les Iconoclastes dans l'Empire grec.

Mahométisme. — Avant que Mahomet prêchât sa funeste doctrine, les mages de la Perse, secondes par le zèle des rois Sassanides, avaient opprimé et presque étouffé la religion chrétienne dans les pays où dominait le culte des astres. L'Alcoran y triompha à la fois du Zend-Avesta et de l'Évangile, et ses disciples armés, après avoir répandu l'erreur et la servitude dans toutes les provinces asiatiques et africaines de l'Empire romain, devaient assaillir, dans des temps et avec des succès différents, les trois péninsules méridionales de l'Europe. L'Église n'a jamais pu guérir la plaie immense que les armes musulmanes lui avaient faite. Elle fut plus heureuse contre l'hérésie, qu'elle pouvait combattre avec ses armes naturelles, l'autorité et la persuasion.

 

§ III. — Conciles et Juridiction.

 

Les Conciles ou Synodes sont des réunions légitimes d'évêques et de docteurs assemblés dans le dessein de défendre l'unité de l'Église et la pureté de la foi, de régler ou réformer la discipline et la juridiction spirituelle, et de juger les évêques. On distingue trois espèces de conciles, suivant le nombre, la qualité et les pouvoirs des membres qui les composent, savoir : les conciles généraux ou œcuméniques, les nationaux et les provinciaux. Nous n'indiquons ici que ceux de la première classe qui se sont tenus depuis la mort du grand Théodose jusqu'à la fin du huitième siècle.

Le concile d'Éphèse, troisième concile général, tenu en 431, sous le pontificat de Célestin Ier et le règne de Théodose II, condamna l'hérésie de Pélage et celle des Nestoriens, qui refusaient à la sainte Vierge le titre de Mère de Dieu.

Le concile de Chalcédoine, convoqué en 451 par Marcien, à la sollicitation du pape saint Léon, excommunia les Eutychiens, qui ne voyaient dans Jésus-Christ qu'une seule personne et une seule nature. Cette assemblée prépara le schisme de l'Église grecque, en décernant au siège de Constantinople le même rang qu'à celui de Rome.

Le IIe concile de Constantinople, en 553, déclara contraire à la foi la doctrine enseignée dans les Trois, Chapitres. C'est ainsi qu'on désigna les ouvrages de trois évêques, suspects de nestorianisme.

Le IIIe de Constantinople, en 680, sévit contre les - Monothélites ou partisans d'une seule volonté en Jésus-Christ, et condamna la mémoire d'un pape et de six patriarches.

Le IIe concile de Nicée, assemblé par l'impératrice Irène en 787, rétablit le culte honoraire des images que Léon l'Isaurien avait proscrites, et excommunia les Iconoclastes.

Les conciles étaient en même temps des assemblées législatives et des tribunaux ecclésiastiques. C'est principalement sur leurs décisions que s'est formée la juridiction spirituelle de l'Église. Celte juridiction suivit l'ordre de la hiérarchie sacrée, et ses variations tournèrent presque toujours à l'avantage des souverains pontifes. Au temporel, la juridiction ecclésiastique émana du trône. A l'exemple de Constantin, les empereurs, et après eux, les rois barbares, se départirent du droit de juger les ministres de la religion, et l'Église eut ses tribunaux particuliers. Dans la suite, les empiétements de la juridiction épiscopale, et la difficulté de lui assigner des limites précises, firent naître entre les deux pouvoirs d'interminables querelles.

 

§ IV. — Ordres religieux.

 

C'est dans l'Orient et avant le christianisme qu'il faut chercher les causes et l'origine de la vie monastique. Elle naquit de l'abus du mysticisme, et commença dans le désert. On regarde saint Paul l'Ermite comme le premier anachorète chrétien. Saint Antoine donna une règle uniforme aux solitaires de la Thébaïde, qui se rapprochèrent ainsi de la vie commune ou cénobitique. La discipline monastique fut transportée en Syrie par les disciples de ce saint anachorète, et plus tard saint Basile l'introduisit dans les solitudes du Pont, pendant que saint Martin instituait dans la Gaule la plus ancienne communauté de cénobites.

La règle des moines égyptiens fut apportée en Provence, au commencement du cinquième siècle, par saint Honorât et saint Cassien, qui fondèrent, l'un à Lérins, l'autre à Marseille, deux monastères d'où sortirent de savants apôtres de la foi chrétienne et de la vie cénobitique, entre autres saint Patrick, premier fondateur des colonies monastiques de l'Irlande. Les associations religieuses suivirent en Occident des règles différentes jusqu'au moment où l'ordre des Bénédictins soumit tous les monastères latins à sa discipline.

Cet ordre fameux doit son origine à saint Benoît de Nursia, qui, en 529, établit sur le mont Cassin une société de cénobites, destinée à devenir le chef-lieu d'une immense congrégation. La règle donnée par ce saint à ses compagnons prescrivait le travail des mains et l'étude, et les soumettait aux trois vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. Approuvée par saint Grégoire en 595, elle se répandit rapidement dans toutes les provinces de l'Église latine. D'importants services rendus par les Bénédictins à la religion, à l'humanité et aux lettres, recommandèrent ces religieux à la vénération des fidèles. Les monastères devinrent des séminaires de prédicateurs qui allaient porter la foi aux Barbares, et reculer, avec elle et par elle, les limites de la civilisation. Les forêts et les landes les plus stériles furent défrichées par les moines et converties en riches campagnes. Enfin c'est par leurs soins que furent transcrits et conservés les chefs-d'œuvre de l'antiquité grecque et romaine. Tant de bienfaits durent exciter parmi les contemporains une reconnaissance qui se manifesta par des libéralités souvent excessives, et la dotation des monastères surpassa bientôt le patrimoine des Églises. Ces biens devaient porter des fruits salutaires. Lorsque, plus tard, les ordres religieux s'emparèrent de l'enseignem.ent public, leurs richesses contribuèrent à attirer les hommes de génie dans le sein de la science, et les communications fréquentes entre les divers monastères donnèrent du mouvement et de l'unité au monde intellectuel.