PRÉCIS DE L'HISTOIRE DU MOYEN ÂGE

PREMIÈRE PARTIE. — DEPUIS L'INVASION DES BARBARES JUSQU'AUX CROISADES, 395-1095

 

CHAPITRE NEUVIÈME.

 

 

De la France et de l'Italie, depuis les règnes de Clotaire II et de Rotharis jusqu'au milieu du huitième siècle.

 

§ I. — Décadence des rois mérovingiens en France, jusqu'en 687.

 

LA monarchie mérovingienne, si longtemps agitée par les dissensions civiles, semblait devoir dominer dans l'Occident dès le moment que Clotaire II en avait réuni toutes les provinces sous un même sceptre et dans une paix universelle. Mais la victoire de ce prince avait été aussi le triomphe de l'aristocratie, et les leudes, riches des dépouilles du trône, venaient d'obtenir de la faiblesse des rois l'hérédité des biens dont les avait dotés leur munificence. Le traité d'Andelot garantissait aux seigneurs ostrasiens la transmission successive de leurs bénéfices ; Clotaire Il souscrivit, en faveur des leudes neustriens, la Constitution perpétuelle de Paris (614) ; et l'édit de Bonneuil (616) assura aux seigneurs bourguignons les mêmes privilèges. Ces deux derniers traités furent consacrés par le suffrage des évêques, qui commencèrent alors à prendre part aux affaires publiques.

A côté de celte double aristocratie s'élevait une puissance nouvelle qui devait achever la ruine de la dynastie mérovingienne. Les maires du palais, d'abord simples majordomes de la maison royale, avaient usurpé tous les pouvoirs de l'État. Warnachaire en Bourgogne, et Radon en Ostrasie, s'étaient fait déclarer inamovibles par Clotaire II, du consentement des grands, qui, dès longtemps, concouraient au choix de ces ministres suprêmes, et qui finirent même par s'en attribuer exclusivement l'élection. Aussi, à partir du règne de Dagobert Ier, le gouvernement passa tout entier entre les mains des maires, et c'est alors que commença la période historique des rois fainéants.

628. — Dagobert Ier succède à son père Clotaire II, qui l'avait institué depuis plusieurs années roi d'Ostrasie. Son frère Charibert va se faire reconnaître par les Aquitains, sur lesquels il ne règne que trois ans. Les fils de ce prince défendirent leur héritage contre l'ambition de leur oncle, et l'Aquitaine resta dans cette branche royale avec le titre de duché.

Le règne de Dagobert n'offre d'autre événement remarquable que l'invasion de l'Ostrasie par une tribu de Slaves Vénèdes, qui s'étaient donné pour roi un marchand franc, nommé Samon. Quelque temps après, Judicaël, duc des Bretons, dont les sujets ne cessaient de désoler la France occidentale, vient à Clichy solliciter l'amitié du roi des Francs.

638. — Dagobert meurt après un règne qui avait jeté quelque éclat, mais dont tout l'honneur doit être rapporté aux maires Arnulfe, Pépin de Landen, Ega, et à l'orfèvre saint Éloi, qui administra les finances du roi et présida aux magnificences de la cour.

638-656. — Les deux fils de Dagobert, Sigebert II et Clovis II, succèdent à leur père, le premier en Ostrasie, le second en Neustrie. L'enfance de ces deux princes marque le commencement de cette longue suite de rois mineurs qui fut si fatale à la race de Clovis, et si favorable aux empiétements des maires. Grimoald, qui remplissait cette charge en Ostrasie, eut l'audace de faire disparaître l'héritier que Sigebert laissait en mourant, et de faire proclamer son propre fils (650). Mais l'indignation des Francs fit justice de cette usurpation. Par la mort de son frère, Clovis II réunit les trois royaumes de Neustrie, d'Ostrasie et de Bourgogne, et son ministre Erchinoald exerça en même temps les trois mairies. Afin de conserver celte cumulation de pouvoir après la mort de Clovis II (656), il laissa la royauté indivise entre les trois fils de ce prince, Clotaire III, Childéric II et Thierri III, et gouverna l'État de concert avec la reine-mère Bathilde, dont il seconda la sagesse.

666-670. — A ce maire, qui sut garder le pouvoir avec adresse et en user avec modération, succède l'ambitieux Ebroïn (Éberwin), dont la violence a d'abord pour effets la retraite de Bathilde et la défection de l'Ostrasie. Ce royaume se sépare de la Neustrie et prend pour roi Childéric II, qui se déclare pour les ennemis d'Ebroïn. Une révolution ministérielle, préparée par saint Léger, condamne au cloître Thierri III et son ministre, et la mort de Clotaire III réunit les trois couronnes sur la tête de Childéric II (670), qui ne sait ni se laisser aimer ni se faire craindre.

670-681. — Childéric II ayant été assassiné avec ses enfants, Thierri III est tiré de son monastère, et Ebroïn, rétabli dans sa mairie, se venge de sa disgrâce par des supplices. Les leudes ostrasiens, en haine de ce ministre, rappellent le fils de Sigebert 11, exilé en Irlande ; mais ce malheureux prince n'est placé sur le trône que pour être assassiné (679). Les Francs orientaux abolissent la royauté, et se donnent pour ducs Pépin d'Héristal et Martin, petit-fils de saint Arnulfe. Ces nouveaux champions de l'aristocratie ostrasienne marchent contre Ebroïn, qui les bat à Leucofao. Mais le vainqueur est assassiné l'année suivante (681). Trois maires qui succèdent coup sur coup à Ebroin restent fidèles à sa politique, et s'attachent à réprimer la puissance des grande. Le dernier, nommé Bertaire, méprisant l'amitié et les conseils des Francs, les leudes neustriens persécutés on humiliés se retirent auprès de Pépin, qui, se déclare leur protecteur.

 

§ II. — Domination des maires de la famille d'Héristal, 687-752.

 

Mairie de Pépin d'Héristal, 687-714. — Pépin d'Héristal somme Thierri III, roi de Neustrie, et son maire Bertaire, de réhabiliter dans leurs biens les églises et les seigneurs dépouillés. Sur leur refus, les Ostrasiens attaquent la Neustrie, et remportent la victoire de Testry, qui leur assure la conquête de la France occidentale (687). Pépin se fait donner par Thierri la dignité de Bertaire, dont il délègue les pouvoirs à Norbert ; Norbert ; révolution aristocratique s'accomplit alors en Neustrie comme en Ostrasie. La victoire de Testry transporte la domination des descendants des Saliens aux descendais des Ripuaires, et prépare un changement de dynastie.

687-714. — Pépin d'Héristal, maître absolu dans les deux royaumes, affermit son pouvoir par la défaite des peuples tributaires que les divisions des Francs avaient invités à l'indépendance. Il dispose trois fois de la couronne de Neustrie en faveur de Clovis III, de Childebert III, de Dagobert III, et lègue en mourant la mairie à son petit-fils Théodoald et à sa veuve Plectrude, sans avoir égard à son fils Charles, né d'un mariage illégitime. Plectrude croît assurer son pouvoir en faisant enfermer le fils de sa rivale Alpaïde ; mais Charles, sorti de sa prison, se met à la tête des Ostrasiens, tandis que les Neustriens dépossèdent la veuve et le petit-fils de Pépin, et donnent la mairie à Rainfroy.

Mairie de Charles Martel, 715-741. — Charles commence par la défaite des Frisons cette série d'exploits qui lui acquirent le nom de Martel. Après avoir assuré l'Ostrasie contre les attaques des peuples voisins, il déclare la guerre aux Neustriens, et remporte, à deux ans d'intervalle, les victoires de Vincy et de Soissons (719). Chilpéric II, vaincu, reconnaît pour maire le duc d'Ostrasie, et sa mort laisse bientôt vacante une couronne avilie que Charles fait tomber sur la tête de Thierri IV (720). Rainfroy se réfugie vers la frontière des bretons, et le duc d'Aquitaine, Eudes, subit l'alliance de l'ennemi de sa famille. Les peuples tributaires, profitant des divisions de la France, affectent de nouveau l'indépendance ; mais Charles les réduit l'un après l'autre. La défaite des Sarrasins, à la bataille de Tours, met le comble à sa gloire et à sa puissance (732).

737-741. — A la mort de Thierri IV, Charles Martel laisse vaquer le trône, pour accoutumer les Neustriens à se passer d'un roi comme les Ostrasiens : sa puissance n'en reçoit aucun accroissement ; mais c'est un moyen de faire oublier la source d'où elle découle. Parmi les actes de souveraineté qu'exerça ce grand homme, le plus remarquable fut sans doute la distribution des bénéfices dont il dépouilla les églises pour les assigner, à titre de précaires ou d'emphytéoses, aux guerriers qui avaient partagé sa fortune. Cette atteinte portée aux droits du clergé n'empêcha pas Grégoire III de voir un protecteur de l'Église dans le sauveur de la chrétienté. Ce pontife, menacé par Luitprand, roi des Lombards, implora l'appui du duc d'Ostrasie, mais la mort simultanée de Grégoire et de Charles Martel prévint une intervention qui aurait peut-être avancé la ruine de la monarchie lombarde.

Mairie de Pépin le Bref, 741-752. — Charles, en mourant, avait disposé de la France en faveur de ses enfants. La mairie d'Ostrasie échoit à Carloman, celle de Neustrie à Pépin. Un troisième héritier, nommé Grippon, répudie une portion inégale et s'en va cherchant partout des ennemis à ses frères, jusqu'à ce que sa mort mette un terme à ses intrigues. Pépin et Carloman font cesser l'interrègne en proclamant Childéric III, qui, comme les autres rois fainéants, ne prend aucune part au gouvernement. Ils assemblent, en 743, les conciles de Leptines et de Soissons, pour réformer les églises d'Ostrasie et de Neustrie. Les ducs tributaires sont contraints de reconnaître leur autorité, et les Allemands perdent leur existence politique à la suite d'une défaite où leur duc Leutfried expie la protection qu'il avait accordée à Grippon (748). La retraite de Carloman au Mont-Cassin livre l'Ostrasie à son frère (747). Dès-lors Pépin aspire ouvertement à la dignité royale, et après avoir mis dans ses intérêts les grands, le clergé et le pape Zacharie, il fait déposer Childéric par l'assemblée du champ-de-mars. Le dernier des Mérovingiens va finir ses jours dans un cloître ; et le nouveau roi, légitimé aux yeux des peuples par l'élection nationale et par la cérémonie du sacre, commence une dynastie nouvelle pleine de grandeur, de confusion et de misère (752).

 

§ III. — De l'Italie sous les derniers rois lombards et sous les premiers papes souverains.

 

Rois lombards. — La querelle entre les conquérants lombards et les dominateurs grecs de l'Italie ne cessait que par intervalles. Suspendue par la politique d'Agilulfe et les victoires de Rotharis, elle devait se ranimer à la faveur de l'anarchie qui bouleversa la dynastie bavaroise, fondée en 653 par Aribert, neveu de Théodelinde. Cette famille, livrée d'abord à la merci des grands vassaux, fut, dès la seconde génération, dépouillée par un due de Bénévent (662). Grimoald, usurpateur du trône de Pertharite, releva un moment la monarchie, qu'il sut défendre contre les Francs et contre les Grecs. Tous les efforts de l'empereur Constant II échouèrent contre Bénévent, et la bataille de Formies obligea ce prince de porter à Syracuse le siège de l'Empire, qu'il avait voulu rétablir dans Rome (663). Le fils de Grimoald ne put soutenir sa fortune, et le retour de Pertharite, en 672, rendit à la maison de Bavière une couronne qu'elle devait perdre, et recouvrer encore. Ansprand ne la reconquit que pour la transmettre à son fils Luitprand, dont le règne surpassa tous les autres en durée et en prospérité (712-744). La réforme de l'État et la répression des grands vassaux en remplit la première moitié ; l'autre, plus intéressante, retint Luitprand engagé dans la querelle religieuse qui donna naissance au pouvoir temporel des papes et ruina la puissance impériale en Italie.

Origine de la souveraineté pontificale, 726, etc. — Rome, comme les autres cités de l'Italie grecque, était gouvernée par des ducs subordonnés à l'exarque de Ravenne. Mais les papes, pasteurs spirituels de cette ancienne métropole de l'Empire, y tempéraient, par l'autorité de leur caractère, le despotisme des officiers impériaux. Un édit de Léon l'Iconoclaste vint changer cet état de choses et mettre l'Italie en feu après avoir troublé tout l'Orient.

En vertu des ordres de la cour, la guerre est déclarée aux saintes images dans les provinces de l'Exarchat. Le pape Grégoire II s'indigne de ces profanations, et le peuple se soulève contre les lieutenants de l'empereur, qui sont chassés de Rome et de Naples. A Ravenne, les habitans massacrent l'exarque Paul et ouvrent leurs portes à Luitprand, qui s'empare de là Pentapole. C'est en vain que le pape veut empêcher les sujets italiens de Byzance de se soustraire à la souveraineté impériale ; il est forcé de se mettre lui-même à la tête du mouvement insurrectionnel, afin de prévenir les plus grands désordres et de sauver la suprématie honorifique de l'empereur. Il se forme ainsi à Rome, sous l'autorité du pape, une espèce de république dont le territoire s'étendait de Viterbe à Terracine, et de Narni à Ostie.

Venise, 697, etc. — Une autre république venait de se former en Italie aux dépens de l'Empire grec. Douze bourgades, peuplées par les habitans de la Vénétie, que l'approche des Barbares avait fait fuir dans les Lagunes, s'étaient réunies, en 697, sous l'autorité d'un duc ou doge, en vertu d'une délibération publique. Cette dignité avait été conférée à Paoluccio Anafeste par une assemblée générale tenue dans l'île d'Héraclée. Comme Rome, Venise respecta la souveraineté des empereurs byzantins sans se soumettre à leurs volontés, et les deux républiques naissantes se réunirent aux Grecs pour chasser les Lombards de Ravenne.

729-744. — Le nouvel exarque Eutychius, après avoir repris la Pentapole sur Luitprand, s'allia avec ce prince pour aller réduire les Romains. Mais Grégoire II para le coup qui le menaçait, en détachant le lieutenant de l'empereur du roi des Lombards (731). Grégoire III ayant irrité Léon par l'excommunication des Iconoclastes, cet empereur prépara un dernier armement ; mais sa flotte fut détruite par une tempête dans le golfe Adriatique. Depuis ce temps Rome n'eut plus rien à craindre de Constantinople, et les éléments de discorde qui semblaient préparer de nouveaux déchirements à la malheureuse Italie disparurent par la mort du pape et de l'empereur, descendus la même année dans la tombe, où Luitprand allait bientôt les suivre (741 et 744).

Fin de l'Exarchat, 752. — Grâce à l'habileté du pape Zacharie ou à la modération du roi Ratchis, second successeur de Luitprand, l'Italie jouit de quelques années de repos. Mais lorsque ce prince eut quitté le trône pour le cloître, et résigné la couronne à son frère Astolphe, le nouveau roi des Lombards suivit une politique différente et se déclara tout à la fois l'ennemi des Grecs et des Romains. Après avoir enlevé l'Istrie à l'empire d'Orient (751), il s'empara de la Pentapole, et mit fin à l'exarchat de Ravenne par la prise de cette, ville, l'année même où les Francs élisaient un roi qui allait bientôt lui ravir sa conquête, et dont le fils devait détruire la domination des Lombards.

L'exarque Eutychius, réfugié à Naples, cessa de gouverner l'Italie grecque. Dès-lors les ducs impériaux, sous la suprématie du patrice de Sicile, exercèrent une autorité presque indépendante à Naples, à Gaëte, à Bari et dans les autres possessions italiennes de la cour de Byzance, que l'empereur Constantin Copronyme venait de diviser en thèmes de Sicile et de Calabre.