PRÉCIS DE L'HISTOIRE DU MOYEN ÂGE

PREMIÈRE PARTIE. — DEPUIS L'INVASION DES BARBARES JUSQU'AUX CROISADES, 395-1095

 

CHAPITRE SEPTIÈME.

 

 

De l'Arabie, de Mahomet et du Koran.

 

§ I. — Etat de l'Arabie avant Mahomet.

 

La population primitive de l'Arabie peut être distinguée en trois races principales, savoir : les Sabéens dans l'Arabie Heureuse, les Ismaélites ou Agaréniens dans l'Hedjâz et une partie du Nedjed, et les Sarrasins au nord du désert. Outre ces trois grandes divisions, les habitans de la péninsule arabique se sont toujours distingués par tribus, dont tous les membres sont censés descendre d'un auteur commun et obéissent à un cheikh supérieur appelé émir. Ces tribus sont sédentaires ou nomades, selon qu'elles habitent les villes ou qu'elles errent dans le désert ; les nomades ou scénites, livrés au commerce de caravane, au brigandage ou au soin des troupeaux, sont connus sous le nom de Bédouins. Les destinées toujours semblables de ces tribus toujours mobiles échappent à l'œil de l'histoire.

Plus connus que leurs voisins, les Arabes sédentaires prétendent à une civilisation très-ancienne. Mais les traditions de ces peuples ont été consignées dans les histoires avec toutes leurs fables. On peut admettre l'existence très-reculée de La Mecque et d'Yatreb (Médine), qui servaient d'entrepôt au commerce de l'Yémen, et dont les cheikhs ou chefs de famille formaient une espèce d'aristocratie républicaine sous la suprématie d'un chérif.

Au midi, l'Yémen était gouverné par des rois d'antique origine qui résidaient à Saana ou Saba. Ces souverains, ayant embrassé le judaïsme au commencement du quatrième siècle, furent dépossédés en 529 par le Négusch d'Abyssinie, qui donna le trône au chrétien Abyat, père d'Abrabah-el-Aschram. Abrahah fit la guerre aux habitans idolâtres de l'Hedjâz qui avaient osé souiller l'église de Saana. Mais il échoua au siège de La Mecque, qui fut défendue par le chérif Abdol-Motalleb, aïeul de Mahomet (570). Deux ans après, les enfants d'Abrahah furent chassés de l'Yémen par Chosroès Nouschirwan, qui rétablit l'ancienne dynastie devenue tributaire des rois Sassanides.

L'idolâtrie était la plus ancienne religion de l'Arabie ; elle avait pour centre le fameux temple de la Caaba à La Mecque. Les mages y portèrent le sabéisme de Zoroastre. Plus tard, des colonies marchandes de Juifs, établies sur la mer Rouge, introduisirent dans cette contrée la religion mosaïque ; et enfin l'Evangile se propagea dans l'Arabie Heureuse avant même que les Sarrasins Gassanides du Nord eussent été convertis par les anachorètes du désert. Ainsi quatre religions régnaient ensemble en Arabie, lorsque Mahomet entreprit de les réunir en une seule.

 

§ II. — Mahomet.

 

Mohammed-Ben-Abdallah était né à La Mecque, l'an 570 de l'ère chrétienne ; il était de la tribu des Koreichites, qui prétendait descendre de Koreich, le plus illustre des douze fils d'Ismaël. Un de ses aïeux, nommé Haschem (qui rompt le pain), avait obtenu la dignité de grand-prêtre de la Caaba, et ces fonctions étaient restées dans la famille des Haschémites avec celle de chérif ou de prince.

Orphelin à cinq ans, et sans fortune, malgré son illustre origine, le fils d'Abdallah passa son enfance auprès de son oncle Abou-Taleb, chérif de La Mecque. Enrôlé à quatorze ans dans une caravane, il fit quelque temps la guerre sur la frontière de Syrie, et revint ensuite dans sa ville natale, où il épousa une riche veuve nommée Kadichah. Les loisirs de l'opulence lui permirent de se livrer à toutes les extravagances d'une imagination exaltée, et il osa concevoir la pensée de réunir tous les Arabes dans une même croyance et sous une seule domination. Il prêcha une religion nouvelle, fondée sur l'unité de Dieu et l'apostolat de Mahomet.

Hégire, 622. — Les progrès de l'islamisme alarmèrent les cheikhs des Koreichites, et surtout Abou-Sophian, nouveau chérit de La Mecque. Mahomet, condamné à mort, se réfugia à Yatreb, suivi de son cousin Ali et de quelques autres disciples. Cette hégire ou fuite est regardée par les Musulmans comme le commencement du règne de Mahomet, et sert encore de fondement à leur chronologie.

Les habitants de Yatreb embrassèrent avec chaleur la querelle des proscrits, et leur cité reçut le nom de Médine (Médinat-al-Nabi) ou Ville du Prophète. Mahomet se mit à la tête d'une petite armée, et entreprit de détruire le commerce de La Mecque, en interceptant les caravanes des Koreichites. Abou-Sophian, battu dans la vallée de Béder, prit sa revanche sur le mont Ohud. Mahomet fit de nouveaux préparatifs et obtint une victoire complète à la bataille du Fossé ou des Nations. Les Koreichites, menacés dans La Mecque, demandèrent une trêve et permirent aux Islamites de visiter la Caaba. Avant d'user de ce droit, le Prophète alla faire la guerre aux Juifs de Caïbar, qui avaient combattu contre lui à la journée du Fosse ; leur ville fut emportée d'assaut, et les habitans massacrés. Mahomet entreprit, après cette vengeance, le pèlerinage de la Caaba, et gagna de nouveaux prosélytes dans La Mecque.

Aveuglé par la prospérité, Mahomet poussa, dit-on, l'imprudence jusqu'à sommer les plus puissants monarques d'embrasser l'islamisme. On ajoute que ses ambassadeurs ayant été mis à mort par un magistrat romain de la Syrie, il osa attaquer l'Empire avec un faible corps de troupes qui battit une armée de 30.000 hommes dans un lieu ignoré appelé Muta.

629. — Des succès plus certains ouvrirent à Mahomet les portes de La Mecque et lui assurèrent la soumission de l'Arabie. L'idolâtrie fut terrassée avec les idoles de la Caaba, et les tribus converties envoyèrent de toutes parts des ambassadeurs de paix au Prophète (630). Les princes de l'Yémen se soumirent comme les émirs du Nedjed.

Mort de Mahomet, 632. — L'ambition de Mahomet n'était pas renfermée dans les limites de l'Arabie. Il allait lui ouvrir une nouvelle carrière, lorsqu'une maladie de langueur le rappela des frontières de la Syrie. Il mourut à Médine sans désigner son successeur. Les cheikhs réunis déférèrent le pouvoir à son beau-père Abou-Bèkre, au détriment d'Ali, cousin et gendre du Prophète. Abou-Bèkre prit le titre de khalife ou vicaire, et fit recueillir les divers écrits qui composent te Koran.

 

§ III. — Le Koran.

 

Pour accréditer sa prétendue mission, Mahomet avait assuré à ses disciples que le Koran était un livre divin apporté du Ciel par l'ange Gabriel. Tout ce qu'il y a de vrai dans cette œuvre de mensonge a été emprunté aux livres saints des Juifs et des Chrétiens, dont le rabbin Abdiah et le moine Bohaïra avaient donné connaissance au législateur des Musulmans. Le Koran est un amas de récits, de visions, de sermons, de préceptes, de conseils, où la vérité se rencontre souvent avec l 'Imposture, le sublime avec l'absurde, et où la plupart des maximes sont combattues par des maximes contraires. Dans cet ouvrage bizarre, qui est tout à la fois le code religieux et civil des Musulmans, il faut distinguer les dogmes et les préceptes.

Dogmes. — Mahomet rejetant la Trinité des Chrétiens, qu'il croyait incompatible avec l'unité divine, reconnaît l'existence d'un Dieu sans compagnon, qui a pour ministres les anges et les prophètes. Les principaux prophètes sont Abraham, Moïse, Jésus, et Mahomet au-dessus de tous les autres, Un fidèle Musulman doit croire à l'immortalité de l'âme, à la résurrection, au jugement dernier, au supplice des méchants et au bonheur des justes. Ces grandes vérités, conséquences nécessaires de la justice de Dieu, ne sauraient s'accorder avec la prédestination, que Mahomet adapta à sa doctrine pour en faire un auxiliaire de l'esprit de conquête.

Préceptes. — Les préceptes dont l'observation est indispensable pour le salut sont : la circoncision, prise dans la loi judaïque ; la prière, que chaque croyant doit faire cinq fois par jour, indépendamment de la prière publique du vendredi[1] ; l'aumône, dont le Koran fixe la mesure la plus étroite au dixième du revenu : les ablutions, qui sont une préparation à la prière ; le jeûne du Ramadan, en mémoire de la retraite de Mahomet sur le mont Hérat, les sacrifices dans quelques occasions solennelles ; et enfin l'abstinence de certaines viandes et de toutes les liqueurs fermentées.

La polygamie est autorisée par le Koran, qui assigne des limites à cette coutume usitée en Asie dès les temps les plus reculés. Outre la faculté d'épouser quatre femmes légitimes, la loi musulmane autorise le Kabin ou mariage par louage.

Le législateur des Arabes s'attacha à inspirer aux sectateurs de sa loi l'esprit de prosélytisme et de conquête. Toutefois il leur recommanda la tolérance envers les peuples du Livre, c'est-à-dire les Chrétiens, les Juifs et les Persans disciples de Zoroastre ; mais cette tolérance a toujours été achetée par une espèce de capitation.

Le prosélytisme des Musulmans donna naissance à l'esprit de controverse. De là les nombreuses hérésies qui les ont longtemps divisés, et le grand schisme qui divise encore les Persans ou Chiites, partisans d'Ali, et les Turcs ou Sunnites, partisans d'Abou-Bèkre et d'Omar.

 

 

 



[1] Le Muezzin y invite les fidèles du haut d'un minaret, en s'écriant : Il n'y a point d'autre Dieu que Dieu, Mahomet est son prophète. En Perse il ajoute : Ali est le lieutenant du prophète, Omar. Osman et Abou-Bèkre, que vos noms soient maudits ! (Jaubert, Voyage en Perse, p. 234.)