PRÉCIS DE L'HISTOIRE DU MOYEN ÂGE

PREMIÈRE PARTIE. — DEPUIS L'INVASION DES BARBARES JUSQU'AUX CROISADES, 395-1095

 

CHAPITRE SIXIÈME.

 

 

De l'Empire d'Orient, depuis la mort de Théodose, le Grand jusqu'aux conquêtes des Arabes.

 

§ I. — Des empereurs avant Justinien, 395-527.

 

LE fils aîné du grand Théodose, Arcadius, sembla imprimer sa faiblesse à l'Empire byzantin, dont son règne commence l'histoire (395). Il laissa le soin de l'État aux courtisans et aux généraux barbares, qui se détruisirent les uns les autres. Une femme et des eunuques gouvernèrent sous Théodose II (408-450). Pulchérie, sa, sœur, reçut à quinze ans le double fardeau de la tutelle du prince et de la régence de l'Empire. Pour dominer plus aisément Théodose, elle lui inspira la dévotion d'un anachorète et les futiles goûts d'un rhéteur. Aussi l'empereur n'hésita pas à placer sur le trône la fille d'un sophiste, la savante Athénaïs : union bizarre et malheureuse qui ne donna pas d'héritier au trône. Sous ce règne, l'Empire n'éprouva de la part des barbares que deux incursions passagères, et resta en paix avec les Perses, qui se partagèrent l'Arménie avec les Romains. Le mont Taurus fut donné pour ligne de démarcation à l'Arménie romaine et à la Persarménie. Théodose acquit une facile illustration par la publication d'un code qui porte son nom, et qui n'est qu'un recueil d'édits impériaux (438). En 450, le guerrier Marcien succéda au faible Théodose II, par la faveur de Pulchérie. Cette princesse le choisit pour époux, lorsque son âge ne permettait plus l'espoir d'un héritier à la race théodosienne, qui s'éteignait en même temps dans les deux empires, en laissant l'Orient à la merci des intrigues du palais, moins violentes, mais plus ignobles que les révolutions prétoriennes de l'Occident. Pendant près de deux siècles, les empereurs mourront sans héritiers directs, et la dignité impériale se transmettra par.des mariages d'ambition et des adoptions forcées.

La fière contenance de l'époux de Pulchérie déconcerta les prétentions d'Attila, et détourna sur l'Occident les fureurs de ce barbare. Sous le règne de Marcien, l'Église fut tranquille comme l'État. Il n'en fut pas de même sous le Thrace Léon, qui, le premier, dut la couronne à la protection d'un général barbare, et la reçut des mains d'un évêque (457). — Zénon, gendre de ce prince, gouverna l'Empire après lui ; d'abord comme tuteur de son propre fils, Léon II, mort en bas âge, et ensuite comme empereur (474). — Porté à l'Empire par la garde prétorienne des Isauriens, il y fut rétabli par le dévouement de cette milice, lorsqu'un complot tramé par la veuve de Léon Ier eut un moment placé sur le trône le rebelle Basiliscus. Incapable de défendre et de gouverner l'État, Zénon se flatta de rétablir l'unité de croyance dans l'Église ; mais son Édit d'union (hénoticon) ne put concilier les catholiques avec les Eutychiens, et suscita de nouvelles disputes.

491. — Les querelles religieuses se prolongèrent sous le règne d'Anastase, que l'impératrice Ariadne fit élire par le sénat lorsqu'il allait prendre possession du siège patriarcal d'Antioche. Imbu des erreurs d'Eutychès, ce monarque théologien se déclara pour les hérétiques ; et par la déposition du patriarche orthodoxe Macédonius, il donna des prétextes et des fauteurs à la rébellion de Vitalien, qui aspirait à l'Empire. Les désordres excités dans l'Etat par une intolérance coupable furent réparés par d'utiles réformes, telles que l'abolition de certains impôts honteux et vexatoires, de la vénalité des charges, de la garde isaurienne, etc.

Guerre avec la Perse, 502-505. — L'Empire était en paix depuis près d'un siècle avec les rois Sassanides de Perse, dont la domination avait succédé, en 223, à celle des Parthes Arsacides. Le voisinage des Huns nephtalites, établis sur l'Oxus, était à charge aux -Grands Rois, et la nécessité de repousser leurs incursions tournait de ce côté les forces de la Perse. Ils avaient aidé Cabadès à recouvrer sa couronne usurpée par un de ses frères, et comme ce prince ne pouvait leur payer la récompense de ce service, il s'adressa à l'empereur Anastase, qui répondit par un refus. La guerre éclata, et les Perses enlevèrent aux Romains le comté d'Arménie et la Colchide. Anastase profita de, quelques années de trêve pour fortifier la frontière orientale, en même temps qu'il protégeait Constantinople contre les Slaves, en bâtissant le mur qui porta son nom.

Le repos de l'Eglise, la tranquillité des provinces et la paix du dehors, ne furent point troublés pendant le règne de Justin le Thrace. Mais la sûreté d'un soldat parvenu demandait quelques victimes, et l'ambitieux Vitalien perdit la vie sur l'échafaud. Justin Ier, en acceptant la soumission des Lazi, peuple tributaire de la Perse, provoqua une rupture dont sa mort ne lui permit pas de voir les suites. Il légua l'empire et la guerre à son neveu Justinien.

 

§ II. — Règne de Justinien, 527-565.

 

Guerre de Perse, 528-532. — Cabadès fait attaquer lés ouvriers romains qui bâtissaient une forteresse en avant dB Dara. Mais Bélisaire, préfet d'Orient, vole au secours de cette place, et commence par une victoire son immense renommée. Les Perses vaincus se détournent sur l'Arménie, et menacent la Syrie. Bélisaire ramène ses troupes vers Antioche ; et, malgré la perte d'une bataille, il sauve la Syrie et sa métropole. Sittas, envoyé pour remplacer ce général, ne peut faire lever le siège de Martyropolis. Mais la mort imprévue de Cabadès change la politique de la cour de Ctésiphon. Chosroès Nouschirwan, menacé sur son trône par un frère déshérité, prête l'oreille à des propositions de paix. Un traité d'amitié perpétuelle ne fait que suspendre la guerre (532).

Guerre d'Afrique, 533-534- — Justinien, ayant formé le dessein de reconquérir les provinces romaines tombées au pouvoir des barbares, tourne d'abord ses vues sur l'Afrique. Il prend pour prétexte l'usurpation de Gélimer, qui venait de détrôner Hildéric. Les Vandales, amollis par le luxe et par le climat africain, devaient être facilement subjugués.

Bélisaire va débarquer près de Sullecte, et marche sur Cartilage, dont il s'empare après une victoire. Une seconde bataille, gagnée à Tricaméron, met en son pouvoir le royaume et le roi des Vandales. Le vainqueur de l'Afrique est rappelé à Constantinople, où il fait une entrée triomphale, suivi de son royal prisonnier.

Guerre Gothique, 534, etc. — Après ce grand exploit, Bélisaire est chargé de la conquête de l'Italie, et commence avec gloire une guerre que Narsès acheva avec plus de bonheur. (Voyez chap. IV.)

Pendant que la domination des Goths succombait en Italie, elle était ébranlée en Espagne par l'imprudence du roi Athanagilde, qui implora le secours de Justinien contre son compétiteur Agila (552). Le patrice Libérius prit possession de Valence, de Cordoue, et de toute la Bétique orientale, dont les Romains de Byzance conservèrent une partie jusqu'en 624.

Deuxième guerre de Perse, 540-562. — Excité à la guerre par les Arméniens et par les Ostrogoths, Chosroès rompt la paix avec les Romains. Les Perses envahissent la Syrie, et en sont chassés par Bélisaire. Dans le même temps, les Lazi se donnent à Chosroès, qui entreprend, sans succès, de créer une puissance navale dans la mer Noire. Les habitans de la Colchide, menacés d'être transplantés hors de leur patrie, reviennent aux Romains, et contribuent à l'expulsion des Perses (555). La guerre languit plusieurs années encore, et se termine par la paix de 56a, qui rétablit les anciennes limites des deux empires.

Invasion des Bulgares, 559. — Les Bulgares, réunis aux Slaves du midi, passent lé Danube sur la glace et envahissent la Thrace, conduits parle féroce Zaber-Khan. Bélisaire, disgracié, sort de sa retraite, se met à la tête des gardes et des citoyens armés, bat les barbares et les rejette au-delà du Danube.

Mort de Justinien, 565. — Bélisaire, faussement accusé d'avoir conspiré contre l'empereur, et dépouillé de ses biens, n'avait survécu que de quelques années a sa dernière disgrâce. Justinien termina, quelques moi s a près la mort de ce héros, un règne plein de gloire, de fautes, de scandales et de malheurs : de sanglantes séditions nées dans l'Hippodrome, des tremblements de terre qui. renversèrent des villes entières en S57, et la peste qui dépeupla l'Europe en 543, tous ces fléaux, joints à ceux de la guerre, protestent contre la prospérité que semblent supposer des conquêtes brillantes.

La grande gloire de Justinien repose sur les travaux de législation qui furent entrepris sous son règne. Il avait chargé le questeur Tribonien de recueillir et d'abréger les divers monuments de la jurisprudence romaine. Cette immense compilation, faite trop à la hâte, produisit eu peu d'années quatre publications successives : 1° Le Code (528), recueil en XII livres de constitutions impériales ; 2° les Institutes (533), qui réduisirent en principes élémentaires, à l'usage des écoles, tout le système des lois romaines ; 3° les Pandectes ou Digeste (533), compilation en L livres des Codes grégorien, hermogénien, théodosien, et de deux mille traités de jurisprudence ; 4° les Novelles ou Authentiques (534 et 565), recueil de lois récentes rendues par Justinien. Tous ces codes s'accordent à reconnaître pour souveraine et absolue la volonté de l'empereur.

 

§ III. — Depuis la mort de Justinien jusqu'aux derniers empereurs Héraclides, 565-711.

 

565-579. — Justinien laissa à son neveu Justin II l'Empire, qu'il tenait de son oncle Justin Ier. La disgrâce de Narsès facilita aux Lombards la conquête de l'Italie (Voyez chap. IV). Vers le même temps, les Avares et les Turcs envoyèrent des ambassadeurs à Constantinople. Justin refusa avec fierté l'alliance que les premiers voulaient lui imposer, et se ligua contre les Perses avec le khan des Turcs, dont l'amitié ouvrit aux Romains le commerce de l'Asie centrale. La guerre ayant éclaté entre Justin et Chosroès au sujet de la Persarménie, les Perses envahirent de nouveau les provinces romaines ; mais la mort de l'empereur et celle du Grand Roi ralentirent un moment les hostilités.

578-610. — Tibère, adopté par Justin, se montra digne de ce choix. Pendant qu'il repoussait les Avares dans la Dacie, ses généraux, Justinien et Maurice, remportaient sur les Perses les victoires de Mélitène et de Constantine. Maurice obtint en récompense la fille de Tibère et l'espoir de l'Empire ; mais moins heureux comme empereur que comme général, il ne put maintenir ses avantages. Le satrape Bahram, après avoir vaincu les Turcs, allait pénétrer clans l'Asie mineure, lorsqu'il fut battu parles Romains. Rappelé après sa défaite, il se révolta contre le roi Chosroès II, qu'il réduisit à chercher un asile dans l'Empire. Le généreux. Maurice rétablit son ennemi, et obtint par un traité la restitution des conquêtes de Bahram (591). Il s'appliqua ensuite à détruire la puissance des Avares, que Priscus défit dans cinq batailles ; mais l'armée victorieuse se révolta, et proclama le centurion Phocas, pendant qu'une faction chassait Maurice de sa capitale et ouvrait les portes à l'usurpateur, en 602. Phocas préluda- à ses tyrannies par le massacre de toute la famille impériale, et appela sur lui la haine et le mépris des peuples. Son : gendre Priscus se mit à la tête d'une conspiration, et invita l'exarque d'Afrique à le dé trôner. Héraclius arriva avec la flotte de Carthage, et vengea la mort de Maurice. Il fut proclamé empereur par la reconnaissance publique.

Héraclius, 610-641. — Des revers accablants, de glorieux faits d'armes et de nouveaux revers marquèrent le commencement, le milieu et la fin du règne d'Héraclius.

Première période de revers, 610-611. — Chosroès II, qui avait pris les armes pour venger la mort de Maurice, son bienfaiteur, refuse l'amitié d'Héraclius, déjà maître de la Mésopotamie ; il envahit la Syrie, et livre aux flammes Antioche, Damas et Jérusalem. Il annonce le dessein de substituer la religion des Mages à celle de l'Evangile. Le satrape Sain parcourt en vainqueur l'Égypte et la Cyrénaïque ; puis, revenant sur ses pas, il pénètre dans l'Asie mineure, et s'empare de Chalcédoine.

614. — Les Avares, alliés des Perses, s'avancent jusque sous les murs de Constantinople (619). — Héraclius, réduit à la possession de sa capitale et de quelques provinces maritimes, veut transporter le siège de l'empire à Carthage ; mais le patriarche s'y oppose, et les libéralités de l'Église sauvent l'Etat.

Période de gloire, 622-632. — L'empereur, par une résolution hardie, transporte le théâtre de la guerre au-delà du mont Taurus ; une victoire remportée à Issus signale sa première expédition. L'année suivante, il va débarquera Trébizonde, fait alliance avec les Turcs Khozares, et force Chosroès à défendre ses propres frontières. Les Avares sont taillés en pièces devant Constantinople, en 626. Héraclius, renforcé par quarante mille Khozares, reprend toutes ses villes perdues, et marche sur Ctésiphon après avoir battu les Perses à Mossoul. Il dicte la paix à Siroès, qui venait de détrôner son père, en 628. — Ce traité termine la longue querelle des deux empires, qui vont se trouver engagés dans une lutte nouvelle avec les Arabes.

IIe période de revers, 632-641. — Héraclius, attaqué par les Musulmans, n'ose se commettre en personne aux hasards de cette guerre. L'Empire perd la Syrie et l'Egypte ; et l'empereur, déchu de sa gloire, finit misérablement son règne entre une dispute théologique et une guerre religieuse (641). (Voyez le chap. VIII).

Empereurs héraclides, 641-711. — Il suffira de présenter la suite chronologique de ces princes, dont les noms souillent plus que tous les autres les annales byzantines : Héraclius Constantin, empoisonné en 641 ; — Héracléonas, son frère, mutilé (641) ; — Constantin II, assassiné à Syracuse, après une expédition désastreuse en Italie (668) ; — Constantin III Pogonat, mort en 685 ; — Justinien II, détrôné et mutilé (695) ; — Léonce et Absimare Tibère, usurpateurs, massacrés ; Justinien rétabli par les Bulgares, puis décapité (711).