Décadence de l'Empire romain. — Division de ses provinces. — Tableau de l'administration impériale. — Classification des peuples barbares. — Mœurs des Germains.§ I. — Décadence de l'Empire romain. L'EMPIRE romain avait recouvré sous Théodose sa grandeur et son unité ; mais la mort de ce prince le laissa retomber dans une décadence ou plutôt une dissolution qui ne devait plus s'arrêter ni se ralentir jusqu'à la chute de Rome. Cette crise fut amenée par le concours et l'action commune de causes permanentes et de circonstances accidentelles. Il importe donc de reporter nos regards en arrière pour étudier, d'une part, les principes antérieurs de ruine qui préparèrent la grande catastrophe de l'Empire, et les causes étrangères qui la déterminèrent ; d'autre part, le théâtre où s'engagea la lutte des Romains avec les barbares, et les contrées d'où étaient sortis les agresseurs. Ce tableau parallèle, en opposant à la dégradation des uns les vertus guerrières des autres, expliquera d'avance la chute de Rome et le succès de l'invasion germanique. Le despotisme impérial, né du sein de l'anarchie politique et du pouvoir militaire, conservait les caractères de sa double origine, la corruption et la violence. Aucune institution civile ou religieuse ne tendait à mettre les sentiments des Romains en harmonie avec la forme de gouvernement qui avait succédé à la république, ni à leur donner les vertus tranquilles de la monarchie. L'obéissance était devenue servile, et la résistance légale périlleuse. Le sénat, résigné à l'opprobre, s'était fait un instinct de servitude et de bassesse, et ce corps, dépouillé de ses anciennes prérogatives, ne servait plus qu'à donner une couleur légitime aux caprices de la tyrannie et aux excès de la soldatesque. Les Antonins essayèrent en vain de réhabiliter la vertu. La faveur de ces princes produisit au grand jour des citoyens honorables et lit éclore quelques beaux génies ; mais ni leur suffrage ni leur exemple ne purent faire revivre dans les cœurs le sentiment du devoir et le respect de soi-même. La populace, descendue au dernier degré d'avilissement, ne demandait plus à ses maîtres que du pain et des jeux ; et, dans les rangs élevés, la philosophie d'Épicure, vainement combattue par celle de Zénon, avait flétri toutes les âmes. Impuissante auxiliaire de la morale, la vieille religion de l'Empire n'avait conservé que les honteux exemples de ses dieux et la licence de ses fêtes publiques. Conseillère de vices pour les uns, objet de mépris pour les autres, elle se trouvait désormais sans appui et tombait en ruines de toutes parts. Le christianisme, qui pouvait seul arrêter le débordement des passions criminelles, commençait à répandre sa lumière et ses consolations sur les classes les plus malheureuses de la société. Mais les desseins de la Providence retenaient cette religion divine dans les épreuves de la persécution, et le jour de son triomphe n é-lait pas encore venu. A Rome, le patriotisme avait fait place à l'indifférence du bien public ; dans les camps, les liens de la discipline ; respectés par les subalternes, étaient chaque jour enfreints par les généraux. La garde Prétorienne et les légions de la frontière se disputaient l'honneur de disposer du trône, et le sénat approuvait toujours le choix du plus fort ou du plus prompt. Les usurpations étaient d autant plus fréquentes, que la succession impériale n avait été réglée ni par une loi fondamentale ni par une coutume constante. L'Empire était au plus offrant, et Rome recevait, toujours avec un égal enthousiasme, des Césars de toute origine et de toute nation. L'immense étendue de la domination romaine favorisait l'esprit d'usurpation, et souvent le succès d'une révolte était assuré avant que la nouvelle en fût portée à la capitale. Dioclétien voulut protéger la paix publique contre ces révolutions, en divisant la haute administration des provinces et même la souveraineté, sans toutefois porter atteinte à l'unité de l'Empire. Mais la tétrarchie, imaginée par ce prince et nécessitée par les circonstances, fut une source de guerres civiles. Constantin entreprit de constituer une monarchie régulière et de la mettre à l'abri de l'insubordination militaire. Mais ce grand homme, qui mérita si bien de l'humanité en proclamant la victoire du christianisme, arriva trop tard pour réformer avec succès la constitution de l'État, et la sagesse même de ses mesures tourna à la ruine de l 'Empire. Effrayé de l'indiscipline des soldats et de l'ambition des chefs, il sépara l'autorité civile du pouvoir militaire, cassa la garde Prétorienne, et dispersa dans l'intérieur des provinces les armées préposées à la garde des frontières. Mais en voulant prévenir la rébellion, sa politique, à bon droit défiante, ouvrit l'entrée de l'Empire aux barbares, et la translation du siège impérial à Byzance, en 329, prépara la division du monde romain en deux monarchies. Cette grande innovation politique eut lieu à l'avènement de Valens, en 364, et devint permanente après la mort de Théodose le Grand, en 395. Dans l'intervalle de ces deux partages, il éclata, dans le nord de l'Europe, à la suite de l'arrivée des Huns, une commotion violente qui rapprocha les hordes sauvages de l'Asie des tribus barbares de la Germanie, et rompit les barrières qui séparaient la barbarie de la civilisation, les nations idolâtres des nations chrétiennes. Nous allons voir les peuplades guerrières du nord se déborder sur le midi, aller braver les empereurs jusque sous les murs de Rome et de Constantinople, imposer aux deux Césars des tributs onéreux à titre de solde et des généraux de leur nation, s'introduire dans les légions romaines, et, démembrant enfin la moitié de l'Empire, jeter les premiers fondements de l'ordre politique qui subsiste encore en Europe. Partage de l'Empire, 395. — Suivant les dernières, volontés de Théodose, ses deux fils se partagèrent la, vaste succession de ce prince : Arcadius alla régner à Constantinople ; Honorius fixa sa résidence à Milan et ensuite à Ravenne, en laissant à Rome sa dignité de métropole. Le Vandale Stilicon, laissé pour tuteur aux deux frères, exerça toute la puissance souveraine en Occident ; l'Orient fut successivement gouverné par le Gaulois Ruffin, le Goth Gaïnas et l'eunuque Eutrope. Les commencements d'Honorius furent troublés par la courte usurpation du Maure Gildon en Afrique ; Arcadius vit, dès la première année de son règne, ses provinces européennes envahies par les Visigoths. § II. — Division de l'Empire, en 395. Chacun des deux Empires avait été divisé en deux préfectures, les préfectures en diocèses ou vicariats, les diocèses en provinces, et les provinces en cités. Le tableau suivant présente seulement les grandes divisions ;
§ III. — Tableau de l'administration impériale. 1° Dignités de la couronne. — Le service personnel du prince n'était pas assez distinct des charges publiques pour que l'on puisse faire des officiers du palais une classe entièrement à part. Cependant nous rangerons sous un titre particulier : le Grand-Chambellan (præpositus sacri cubiculi) ; les deux Capitaines des Gardes (comites domesticorum) ; le Maître des Offices ; le Questeur ou Chancelier ; le Ministre du Fisc ou du Trésor impérial (comes rerum privatarum), dont les attributions étaient bien distinctes de celles du Comte des Largesses sacrées ou ministre du Trésor public. 2° Administration provinciale. — Chaque préfecture avait un Préfet du Prétoire, chef suprême de l'administration civile, qu'il ne faut pas confondre avec le Préfet de la Ville (Rome ou Constantinople). Les diocèses étaient gouvernés par des Vicaires du Préfet, les provinces par des Présidents ou Consulaires, les cités par des Duumvirs et un Défenseur tirés du sénat municipal des Décurions et nommés par le peuple. 3° Organisation militaire. — Après les Compagnies des Gardes et les Écoles du Palais, venaient les légions et les auxiliaires, qui avaient pour commandants supérieurs : un Maître général de la Milice dans chaque préfecture, un Maître de la Cavalerie et un Maître de l'infanterie, des Ducs et des Comtes militaires, des Préfets légionnaires, etc. 4° Justice. — Le questeur et quelquefois le sénat prononçaient sur les cas particuliers réservés à l'empereur. Pour les affaires ordinaires, elles ressortissaient des divers magistrats, suivant leur nature ou leur importance. On appelait du défenseur aux duumvirs, dès duumvirs au président, du président au vicaire, du vicaire au préfet du prétoire. 5° Finances. — Les contributions publiques, perçues par les Collecteurs des cités, passaient par les mains des Préposés du Trésor ou Receveurs provinciaux, et des Comtes des Largesses pour arriver dans celles du Ministre du Trésor public ou Comte des Largesses sacrées. Le revenu de l'Empire provenait de quatre sources, savoir : le domaine public ; les contributions directes, qui comprenaient l'indiction et la capitation ; les contributions indirectes ; et les produits éventuels, tels que les confiscations, les déshérences, les amendes, l'or coronaire, etc. 6° État des personnes. —On distinguait parmi les sujets des empereurs trois principales classes de personnes : 1° celle des Nobles, comprenant les patriciens, les officiers impériaux civils et militaires, les décurions, etc. ; 2° celle des Plébéiens, composée des Curiales ou Possesseurs, des familles militaires, des marchands et des artisans libres ; 3° celle des Esclaves, où l'on peut faire rentrer aussi les affranchis et les colons tributaires. § IV. — Division géographique et ethnographique du Nord. Les pays situés au-delà du Rhin, du Danube, de la mer Noire, du Caucase et des monts Altaï, étaient divisés par les Anciens en trois grandes contrées d'inégale étendue, savoir : la Germanie, la Sarmatie et la Scythie. 1° Scythie. — Cette contrée attendait depuis le Rha ou Volga jusqu'à la mer Orientale, que les Anciens ne connaissaient que de nom, et depuis les monts Imaüs ou Altaï jusqu'à la mer Septentrionale, dont les Grecs ni les Romains n'avaient aucune notion. 2° Sarmatie. — La Sarmatie, ou plutôt la Slavonie, comprise entre la Baltique et le Pont-Euxin, la Theiss et le Volga, se divisait en Dacie, Petite Scythie et Sarmatie européenne. 3° Germanie. — Elle comprenait tout le pays situé entre le Rhin, le Danube, la Theiss, la Vistule, le golfe Baltique et la mer d'Allemagne. On y rattachait aussi la Chersonèse cimbrique ou Danemark et la Scandinavie. Cette division du monde septentrional nous permet de rapporter à trois familles dominantes les diverses nations qui, à des époques différentes, envahirent les contrées méridionales de l'Europe et de l'Asie. 1° Famille Scythique. — Elle comprend les Huns ou Hiong-non, peut-être les Alains, les Bulgares, les Avares, les Hongrois ou Madgiares, les Turcs, les Mongols ou Tatares, etc. 2° Famille Sarmate ou Slave. — Nous diviserons les tribus de cette race en trois classes : Les Slaves méridionaux, Bosniens, Serviens, Croates, Esclavons, Dalmates modernes, etc., qui s'établirent entre la Save et la mer Adriatique ; Les Slaves occidentaux ou Vénèdes, tels que les Polonais, les Bohémiens, les Moraves, les Poméraniens, les Wilses, les Obotrites, les Lusaciens, etc., qui se fixèrent entre l'Elbe et la Vistule, la Baltique et les monts Krapaks ; Les Slaves septentrionaux ou Sédentaires, qui, réunis aux Finnois ou Tchoudes de la Baltique orientale, ont forme la nation russe primitive. On pourrait ranger dans cette classe les Livoniens, les Lettons pu Lithuaniens, et les anciens Prussiens. 3° Famille Germanique. — L'aspect topographique de la Germanie nous présente les nombreuses peuplades de la nation teutonique placées, dans l'ordre suivant : Au midi, les Allemanni ou Allemans, confédération formée de diverses tribus où dominaient les Suèves ou Souabes ; et à côté des Allemanni, les Bavarois on Boiariens, chassés de la Bohême par les Marcomans ; A l'est, les Marcomans, les Quades, les Hermundures et les Hérules ; hors de la Germanie, les Gépides et les Goths ; A l'ouest, les Francs, qui comprenaient dans leur confédération les Saliens, les Sicambres, les Bructères, les Cattes, les Chamaves, etc., et sur la côte de l'Océan, les Frisons. Au nord, les Vandales, les Bourguignons, les Rugiens et les Lombards, tribus de la nation des Suèves, et dont l'émigration laissa la place aux Vénèdes ; au nord-ouest, les Angles et les Saxons. Les Cimbres et les Scandinaves, la plupart d'origine germanique, restèrent étrangers à la grande irruption des barbares, mais ils devaient plus tard faire à eux seuls une invasion sous le nom de Northmans. § V. — Mœurs des Germains. Les mœurs et les coutumes-des anciens peuples du Nord ne peuvent nous intéresser qu'en raison de l'influence qu'elles ont exercée sur les institutions des sociétés nouvelles, nées du sein même de l'invasion barbare ; et comme l'Empire romain d'Occident n'a guère reçu à demeure, dans ses provinces, que des conquérants sortis de la Germanie, il nous importe surtout de connaître les mœurs guerrières de cette nation et les usages publics dont elle a imprimé la trace dans la législation actuelle de l'Europe romaine. Les Teutons ou Germains tiraient leur nom (Teutsch) de Tuist, fils de la Terre (Herthe), qu'ils regardaient comme leur mère commune, et qui était leur principale divinité. Ils offraient aussi une espèce de culte à Mars, à Hercule, à Mercure, comme au Soleil, à la Lune et au Feu. Des fontaines et même des arbres recevaient 'de ces peuples grossiers un hommage superstitieux. La nation teutonique était divisée en un grand nombre de tribus qui avaient leur gouvernement particulier, et dont les plus faibles s'unissaient en confédérations. Il paraît que les Saxons avaient des rois héréditaires, descendants d'Odin. Chez les autres peuplades, les rois étaient élus dans les familles les plus illustres ; le commandement militaire était le prix du courage, le pouvoir royal était limité par l'autorité des principaux, et par l'assemblée du peuple qui se tenait à la nouvelle ou à la pleine lune. Ces assemblées exerçaient le pouvoir législatif et rendaient aussi la justice comme nos anciens Champs-de-mai. A l'exception de la trahison et de la lâcheté, tous les crimes et délits s'expiaient par des amendes payées en nature. C'est dans les réunions générales de la tribu que se décidait la guerre. Quelquefois aussi de simples guerriers d'une bravoure éprouvée y proposaient des expéditions particulières qui habituaient les jeunes gens aux dangers et à la discipline. Ces heere-zog, ou conducteurs d'armée, n'avaient sur leurs compagnons volontaires que l'autorité de l'exemple et des récompenses. Leurs libéralités se répandaient particulièrement sur un petit nombre de leudes ou fidèles qui s'étaient dévoués à leur personne, et qui devaient mourir pour les défendre ou pour les venger. A peine sortis de l'adolescence, les Germains étaient présentés à l'assemblée publique, où ils recevaient des mains de leur père ou de celles d'un guerrier connu le bouclier et la tramée. Dès ce moment, émancipés par les armes, ils passaient dans les rangs des hommes de guerre (Herimans), et se devaient à la patrie. Si la paix retenait leur valeur oisive, ils se préparaient aux fatigues militaires par l'exercice de la chasse, dédaignant également les soins de la famille, qu'ils laissaient aux femmes, et les travaux des champs, que supportaient les esclaves. L'agriculture, ainsi méprisée, devait languir et peu produire. D'ailleurs rien n'attachait au sol des possesseurs précaires qui ne pouvaient tenir de domaine en propre. Pour ne pas détourner les hommes du goût des combats, et pour maintenir avec l'égalité des fortunes l'égalité des droits, les magistrats distribuaient, tous les ans, à chaque bourgade, à chaque famille, le lot qu'elle devait cultiver. Dans la nécessité ou se trouvait souvent une tribu de changer de résidence, il fallait ne rien laisser derrière soi. Le Germain remplaçait aisément l'habitation abandonnée ; une cavité souterraine ou une hutte de terre suffisait à toute sa famille et a ses animaux domestiques. Les vêtements de ces barbares étaient aussi simples que leurs demeures ; ils portaient des habits serrés, dont l'usage devait un jour faire abandonner la toge et la robe romaine. Sévères dans leurs mœurs, les Germains ne connaissaient pas la polygamie, ou du moins ils n'en permettaient le privilège qu'aux rois et aux grands, comme marque d'honneur. Le futur époux achetait le consentement du père de la fiancée ; celle-ci apportait en dot une armure complète, et recevait en douaire le morgengab ou présent du lendemain. L'hospitalité, religieusement observée chez ces peuples, y dégénérait souvent en ostentation et en débauches. Pour faire honneur, à l'étranger, on invitait les amis et les voisins à un festin dont tout le luxe consistait dans une abondance prodigue. Les affaires privées et publiques se traitaient souvent dans ces grossières orgies ; plus souvent la fête se changeait en rixe sanglante. Lorsque le jeu succédait au banquet, la vie des convives n'était plus en danger, mais leur liberté était compromise ; car les Germains s'attachaient avec tant de fureur aux hasards de la fortune, qu'ils jouaient souvent leur personne quand ils n'avaient plus rien à perdre. Telle fut cette nation avec laquelle Rome se trouva engagée dans une lutte constante depuis l'invasion des Teutons et des Cimbres, qui faillirent renverser la République, jusqu'à celle des Goths et des Hérules, qui détruisirent l'Empire d'Occident. |