HISTOIRE DES EMPEREURS ROMAINS

 

AUGUSTE

LIVRE TROISIÈME

§ I. Temple de Janus ouvert de nouveau à l'occasion de la guerre de Germanie.

 

 

La paix universelle, attestée et scellée par la clôture du temple de Janus huit ans avant l'ère commune de Jésus-Christ et quatre ans avant la vraie date de sa naissance, avait souffert quelques légères altérations par divers mouvements de guerre, mais qui, loin du centre et sans aucun péril, peuvent n'avoir pas paru a Auguste une raison suffisante de reconnaitre, en rouvrant le temple de Janus, que la paix, son ouvrage et sa gloire, ne subsistait plus.

Parmi ces légers mouvements je compte ceux des Germains pendant l'année 752 de Rome et les deux suivantes[1]. Ils furent aisément soutenus et réprimés par M. Vinicius, qui obtint en conséquence les ornements du triomphe. Mais l'an de Rome 755 la guerre devint sérieuse, et Tibère fut envoyé en Germanie immédiatement après son adoption. Alors on ne peut guère douter que le temple de Janus n'ait été ouvert de nouveau, et il ne fut plus referme jusqu'à la fin du gouvernement et de la vie d'Auguste. La guerre des Germains, un peu calmée au bout de deux ans, fut d'abord suivie de celle des Pannoniens ; et dans le temps précisément que cette dernière finissait, l'autre, qui n'avait été qu'assoupie, recommença avec plus de fureur que jamais, et s'entretint dans sa force jusque sous les premières années de Tibère. Je vais tâcher de rendre compte de ces évènements.

SEX. ÆLIUS CATUS. - C. SENTIUS SATURNINUS. An. R. 755. De J.-C. 4.

Tibère, adopté par Auguste, ayant été chargé sur-le-champ d'aller pacifier la Germanie, où la guerre durait depuis trois ans, partit de Rome lorsque la saison était déjà avancée, puisque la date de son adoption est de la fin du mois de juin. Il ne perdit pas un moment ; il se hâta d'entrer dans le pays ennemi, et, secondé de Sentius Saturninus, homme d'âge et à expérience, père du consul de même nom, qui avait commence l'année courante, il remporta de grands succès. Il nettoya tout le Bas-Rhin, en subjuguant les Caninéfates[2], les Attuariens et les Bructères. Il passa le Veser, et fit rentrer dans le devoir les Chérusques. Cette suite d'expéditions prolongea la campagne jusqu'au mois de décembre. Tibère établit ses quartiers d'hiver au-delà du Rhin près la source de la Lippe, afin d'être en état de reprendre de bonne heure l'année suivante les opérations de la guerre. Pour lui, il vint passer la mauvaise saison a Rome, ne voulant pas s'exposer aux suites d'une trop longue absence, qui pourrait faciliter les moyens de le supplanter et de le détruire dans l'esprit d'Auguste, sur l'affection duquel il ne comptait que faiblement.

CN. CORNELIUS CINNA MAGNUS. - L. VALERIUS MESSALA VOLUSUS. An. R. 756. De J.-C. 5.

Dès le commencement du printemps Tibère retourna en Germanie, et il y poussa la guerre avec beaucoup de vivacité, tant par mer que par terre. Il pénétra dans le cœur du pays avec ses légions : il soumit les Cauques, dompta la fierté des Lombards, qui habitaient alors la Marche de Brandebourg, deçà et delà l'Elbe. En même temps qu'il arrivait aux bords de ce fleuve, sa flotte, qui avait fait le tour des côtés de Germanie, entra dans l'embouchure, et apporta à l'armée de terre toutes sortes de provisions et de rafraichissements.

Il ne parait pas que ces exploits aient coûté de grands efforts ni de grands périls à Tibère. Velleius, qui servait alors sous ce prince, et qui enfle sa narration par les expressions les plus pompeuses qu'il peut imaginer, convient que dans toute cette expédition il ne se donna qu'un seul combat, ou les barbares, ayant voulu surprendre l'armée romaine, furent repoussés et taillés en pièces. Si donc les Germains demandèrent humblement la paix, on doit attribuer leur soumission à l'effroi dont Ils furent frappes par les grandes forces introduites dans leur pays, et par cet appareil formidable d'une armée de terre et d'une flotte combinées. Tibère leur accords la paix qu'ils demandaient, et une seconde fois il eut la gloire de réduire tout le pays depuis le Rhin jusqu'à l'Elbe à reconnaître les lois des Romains, au moins en apparence et pour un temps. Auguste prit à cette occasion le titre d'Imperator pour la quinzième fois, et permit à Tibère de le prendre pour la quatrième. Sentius Saturninus reçut les ornements du triomphe.

M. ÆMILIUS LEPIDUS. - L. ARRUNTIUS. An. R. 757. De J.-C. 6.

Après une partie considérable de la Germanie heureusement soumise en deux campagnes, Tibère se proposa d'étendre ses conquêtes et la domination romaine, en attaquant Maroboduus roi des Marcomans. Ce prince, barbare de nation, mais non d'esprit et de conduite, s'était formé un puissant royaume, moins encore par son courage, qui était grand, que par une politique suivie et soutenue, qui dirigea constamment et habilement toutes ses démarches vers le but auquel aspirait son ambition. Né sur les bords du Mein, d'une des plus illustres familles des Marcomans, les avantages du corps, la hauteur et l'élévation des sentiments, répandaient en lui la noblesse de la naissance. Il y joignit la culture de l'esprit, ayant passé sa première jeunesse à Rome, où Auguste le combla de bienfaits. De retour dans son pays, il s'attira tellement l'estime et l'admiration de ses compatriotes, qu'ils s'empressèrent de l'élire pour leur chef. Mais il voulait devenir un grand roi ; et les Romains, dont la puissance s'établissait par les victoires de Drusus dans toute la partie occidentale de la Germanie, étaient de fâcheux voisins, qui l'empêchaient de s'étendre. Il résolut de s'en éloigner. Il engagea, comme je l'ai marqué en son lieu, les Marcomans et quelques autres peuples de la nation des Suèves, à quitter leur pays natal, qui menaçait la servitude ; et avec cette nombreuse et redoutable colonie il se transplanta dans la Bohème, dont il s'empara par la force des amies. De là, comme d'un centre, il s'arrondit par des conquêtes sur tous les peuples voisins, et il vint à bout en peu d'années de se faire un grand état, qu'il gouvernait avec le titre et la puissance de roi. Il se donna une garde : il tenait sur pied soixante et dix mille hommes d'infanterie et quatre mille chevaux, troupes excellentes par leur courage, et qu'il prit soin d'exercer selon la discipline romaine.

Avec de telles forces, et touchant presque a l'Italie, dont ses frontières n'étaient éloignées que de deux cents milles[3], il pouvait donner de la jalousie aux Romains : et quoique Tibère ait exagéré sans doute, lorsque plusieurs années après il dit de lui, en plein sénat, que ni Philippe[4] n'avait été un ennemi si terrible pour les Athéniens, ni les rois Pyrrhus et Antiochus pour Rome, au moins est-il exactement vrai que, si les Romains, au point de grandeur ou ils étaient, eussent pu avoir quelque puissance a craindre, c'était celle de Maroboduus.

Sa conduite à leur égard n'était pas propre à les tranquilliser sur son compte. Il ne leur faisait point la guerre, mais il témoignait nettement que, s'il était attaque, il avait et le pouvoir et la pleine volonté de se bien défendre. Par les ambassadeurs qu'il envoyait si Auguste et à Tibère, tantôt il prenait le langage de suppliant, tantôt il prétendait traiter d'égal à égal. Les peuples et les particuliers qui se retiraient de l'obéissance des Romains, trouvaient chez lui un asile assuré. En un mot, tous ses procédés annonçaient à ces orgueilleux maîtres de l'univers un rival que les ménagements politiques empêchaient seuls de se déclarer ennemi.

La fierté romaine ne pouvait souffrir que des sujets. Ainsi résolu de le réduire à plier et à recevoir la loi, Tibère forma son plan de guerre contre lui. Il voulait l'attaquer par deux endroits à la fois. Sentius Saturninus avait ordre de traverser le pays des Cattes, et de se frayer un chemin dans la forêt Hercynie pour entrer en Bohème par le côté de l'occident, pendant que lui, avec une autre armée assemblée à Carnonte[5], ville alors très-importante sur le Danube, il livrerait son attaque du côté du midi.

C'en était fait de Maroboduus, si ce projet eût pu s'exécuter. Déjà Tibère d'une part, et Saturninus de l'autre, n'étaient qu'à cinq journées de l'ennemi. Mais alors survint tout d'un coup la révolte des Pannoniens, des Dalmates et de tous les peuples de ces contrées, qui força les Romains de s'occuper d'un danger plus pressant. Il n'eut pas été prudent a eux de s'enfoncer dans la Bohème, et de laisser l'Italie exposée à l'irruption de ces redoubles voisins. Un soin nécessaire fut préféré à un intérêt de gloire : et Tibère ayant conclu un traité avec Maroboduus, qui ne se rendit pas difficile, tourna toutes ses forces contre les Pannoniens et les Dalmates.

La révolte commença par la Dalmatie, province autrefois tranquille, et qui par cette raison avait d'abord été mise dans le département du sénat. Dans la suite, la levée des tributs et des impôts, que ces peuples souffraient impatiemment, y ayant excité quelques troubles, Auguste, l'an de Rome 741, prit cette province sous son administration. Bientôt Tibère y eut rétabli le calme. Mais comme les exactions duraient toujours, le mécontentement vivait dans le cœur des Dalmates, et ils profitèrent, pour le faire éclater, de l'occasion que leur présentèrent les préparatifs de la guerre centre Maroboduus. Car Tibère, pour former l'armée qui s'assembla à Carnonte, avait dégarni la Dalmatie et la Pannonie ; et Valerius Messalinus, gouverneur de ces deux provinces, était venu le joindre en personne avec la plus grande partie de ses troupes. On fit aussi parmi les Dalmates des levées d'hommes, qui leur firent connaître leurs forces en réunissant sous leurs yeux une nombreuse et florissante jeunesse. Dans ces circonstances, animés par un chef nommé Baton, ils entreprirent de secouer le joug, et au lieu d'aller fortifier l'armée de Tibère, comme ils en avaient ordre, ils se jetèrent sur les Romains restés dans le pays et en massacrèrent un grand nombre. Ce fut là le signal de la révolte, à laquelle s'associèrent aussitôt les Pannoniens sous la conduite d'un autre Baton.

Jamais incendie ne fit des progrès si rapides et si violents. En trè trents. £ogr^nt an massacr^'eDs-peu de temps les rebelles se trouvèrent en armes au nombre de deux cent mille hommes de pied et huit mille chevaux. Distribuant leurs forces avec intelligence, une partie devait tenter le passage en Italie entre Nauporte[6] et Trieste, une autre se déborda dans la Macédoine, le troisième corps demeura dans le pays pour le défendre. Dans le premier mouvement d'une révolte si subite, tout ce qu'il y avait de citoyens romains et de négociants répandus dans la contrée furent égorgés ou faits esclaves, les garnisons taillées en pièces, et les postes qu'elles occupaient emportés. Les villes de Sirmich et de Salones, qui se trouvèrent en état de faire résistance, furent assiégées, l'une par les Pannoniens, l'autre par les Dalmates.

L'alarme se porta jusqu'à Rome. La constance d'Auguste fut ébranlée. On lui entendait dire que si l'on n'y prenait garde on pourrait voir dans l'espace de dix jours l'ennemi au pied des murs de la capitale de l'empire. On fit des levées en diligence : on rappela de toutes parts les vieux soldats aux drapeaux ; les citoyens riches et les dames même eurent ordre de fournir selon leurs facultés les plus robustes de leurs esclaves pour être affranchis et enrôlés. Les sénateurs et les chevaliers romains offrirent à l'envi leurs services, et un grand nombre partirent pour aller payer de leurs personnes. Mais ces secours étaient éloignés et tardifs.

Cecina Severus, qui commandait dans la Mésie[7], accourut le premier, et fit lever aux Pannoniens le siège de Sirmich. Ensuite arriva Messalinus, détaché par Tibère, et il marcha contre Baton le Dalmate, qu'une blessure reçue devant Salones avait obligé d'abandonner pareillement l'entreprise formée contre cette place. Les deux armées se choquèrent, et le Barbare eut quelque avantage. Mais peu après, étant tombe dans une embuscade, il fut battu par Messalinus, a qui cet exploit procura les ornements du triomphe. Enfin Tibère survint, et prit la conduite générale de la guerre, qu'il gouverna selon ses maximes, donnant plus à la prudence qu'à la force, et cherchant à dompter les ennemis par la disette plutôt que de s'exposer à leur fougue impétueuse.

Ce n'est pas qu'il n'eut à ses ordres une puissante armée, quinze légions et un égal nombre de troupes auxiliaires, parmi lesquelles se distinguaient Rhymétalcès et Rhascuporis, frères, rois de Thrace. Mais il ménageait le soldat[8], et jamais aucune occasion de battre l'ennemi, quelque favorable qu'elle fut, ne le tenta, si elle devait couter beaucoup de sang ; toujours le parti le plus sur lui parut le plus glorieux ; il songeait a remplir sa charge plutôt qu'à acquérir une éclatante renommée : jamais les désirs des troupes ne furent la règle de ses conseils ; il voulait que la sagesse du chef dirigeât les mouvements des troupes, faites pour obéir.

Je parle ainsi d'après Velleius, dont le témoignage me parait ici recevable, parce qu'il est conforme au caractère de Tibère, et de plus prouve par les faits. Les dernières paroles de cet historien que j'ai employées donnent à entendre que dans l'armée de Tibère on n'approuvait pas toujours sa lenteur. Auguste lui-même en fut d'abord peu content, et il eut quelque soupçon que Tibère était bien aise de prolonger la guerre, afin de se perpétuer dans le commandement. Voulant donc l'obliger de s'évertuer, il lui envoya l'année suivante Germanicus, alors questeur, à la tête des levées faites à Rome et dans l'Italie. Il comptait et sur l'activité de ce jeune prince, qui était dans la vigueur la plus brillante de l'âge, et sur son cœur droit, franc, généreux, et incapable de s'ouvrir à aucune pensée contraire a son devoir.

Q. CÆCILIUS METELLUS CRETICUS. - LICINIUS NERVA SILIANUS. An. R. 758. De J.-C. 7.

Sous les consuls Metellus Creticus et Nerva Silianus, la témérité de deux lieutenants-généraux, et la perte qu'elle causa aux Romains, firent l'apologie de la circonspection de Tibère.

Cecina Sévérus, qui avait été obligé de retourner en Mésie pour garantir sa province des courses des Daces et des Sarmates, revint cette année contre les Pannoniens, accompagné de Plautius Sylvanus, qui lui avait amené des pays d'outre-mer[9] un puissant renfort. Le corps que commandaient ces deux chefs consistait en cinq légions et en troupes auxiliaires, dont le nombre n'est pas marqué, et parmi lesquelles est désignée seulement la cavalerie thracienne de Rhymétalcé. Ils marchaient sans précaution, se croyant fort éloignés de l'ennemi. Tout d'un coup ils se trouvent enveloppés. Tout plie, tout fuit en désordre, hors les légions. Leur valeur remédia à l'imprudence des généraux, et arrêta la déroute : elles firent ferme d'abord, et ensuite elles avancèrent sur l'ennemi, le rompirent et remportèrent la victoire. Mais ce fut une victoire sanglante, et il y périt non-seulement un grand nombre de soldats, mais beaucoup d'officiers distingués.

Au contraire, Tibère mena prudemment la guerre contre la partie des rebelles qui lui était opposée, et leur coupant les vivres, leur enlevant des postes, il les réduisit à ne pouvoir soutenir la disette et à n'oser accepter la bataille qu'il leur présenta. Ils abandonnèrent le plat pays, et se retirèrent sur une montagne, où ils se retranchèrent.

De son côté, Germanicus vainquit en bataille rangée les Mazéens, peuple dalmate.

M. FURIUS GAMILLUS. SEX. NONIUS QUINTILIANUS. An. R. 759. De J.-C. 8.

La troisième année de la guerre, Tibère commença à recueillir le fruit de sa bonne conduite. Les rebelles, ruinés et consumés par la faim, accables par les maladies, suites de la misère et des mauvaises nourritures, désirèrent la paix ; et ils se seraient tous soumis, s'ils n'eussent été retenus par les auteurs de la révolte, qui craignaient de n'obtenir aucun quartier des Romains. Enfin les Pannoniens se détachèrent. Toute leur jeunesse rassemblée auprès du fleuve Bathinus, mit les armes bas, et se prosterna aux genoux du vainqueur. Des deux principaux chefs de la nation, Baton et Pinnès, l'un avait été fait prisonnier dans quelque action, dont le détail ne nous est pas connu, l'autre se livra lui-même. La Pannonie iut ainsi pacifiée, et il ne s'agit plus que de pousser les Dalmates, qui, de même qu'ils avaient été les premiers à se révolter, furent aussi les plus opiniâtres dans leur rébellion. Il fallut donc encore une campagne pour terminer entièrement la guerre.

Q. SULPITIUS CAMILLUS. - C. POPPÆUS SABINUS. An. R. 760. De J.-C. 9.

Cette dernière campagne ne fut pas la moins laborieuse. Tibère ayant partagé ses troupes en trois corps, dont l'un était commandée par Lepidus, et l'autre par Silanus[10], il se mit lui-même avec Germanicus à la tête du troisième : et ces trois armées se répandirent dans toute la Dalmatie, dont elles firent le dégât, ravageant les terres, brulant les bourgades ; en sorte que les Dalmates n'eurent plus d'autre ressource que de se renfermer dans deux villes qui leur restaient, Andetrium près de Salones, et Arduba. La première de ces deux places fut assiégée par Tibère, et l'autre par Germanicus.

Le siège d'Andetrium fut une opération difficile et pénible. Ceux qui s'y étaient retirés montrèrent tant d'obstination, que, malgré la désertion de Baton leur chef, qui, ne voyant aucune espérance, les abandonna et s'enfuit, ils continuèrent à se défendre, et on n'en vint a bout qu en les forçant l'épée a la main.

Arduba n'aurait pas coute moins de peine a Germanicus, si la division ne se fut pas mise parmi les assiégés. Il y avait dans la place un grand nombre de transfuges, qui, sachant qu'ils n'avaient aucune grâce à attendre des Romains, voulaient résister jusqu'à la dernière extrémité, et périr sur la briche. Au contraire, les naturels du pays inclinaient à se rendre. La contestation dégénéra en un combat en forme : mais ce qui est bien singulier, c'est que les femmes, plus opiniâtres à défendre leur liberté que les hommes, se déclarèrent pour le parti des transfuges contre leurs maris. Les habitants furent les plus forts, et ouvrirent leurs portes aux Romains. Alors les femmes désespérées préférèrent sans balancer la mort à la servitude, et, prenant leurs enfants entre leurs bras, elles se jetèrent avec eux les unes dans des feux qu'elles avaient allumés, les autres dans la rivière qui coulait au pied des murailles.

Ce fut la le dernier exploit de cette guerre. Baton le Dalmate, qui avait encore autour de lui un peloton de gens armés, n'osa plus tenter la fortune, et fit offrir à Tibère de se rendre, moyennant la vie sauve pour lui et pour les siens. Son offre avait été acceptée, il vint dans le camp des Romains, parut devant le tribunal de Tibère avec une noble constance, et interrogé par lui sur les motifs de sa révolte, Romains qui m'écoutez, dit-il, c'est à vous que vous devez vous en prendre. Pour paître vos troupeaux, vous envoyez des loups, et non des pasteurs.

Ainsi fut terminée la guerre des Pannoniens et des Dalmates, que Suétone a qualifiée la plus importante et la plus terrible que les Romains aient eue à soutenir depuis les guerres puniques. C'est beaucoup dire. Les Cimbres et les Teutons menacèrent assurément Rome d'un plus grand danger. Mais il est vrai que dans la guerre dont il s'agit, le nombre et la valeur des ennemis d'une part, et de l'autre leur proximité de l'Italie, pouvaient donner de vives inquiétudes aux Romains.

Auguste en jugea ainsi. Quoique âgé de soixante-dix ans, il se transporta a Rimini, pour être plus voisin des lieux où se faisait la guerre, et plus à portée d'être consulte et de donner ses ordres. Il apporta aussi une très-grande attention à tranquilliser les esprits de la multitude, aisée à s'effaroucher lorsque la terreur s'en est une fois emparée. Par une politique que je suis bien éloigné de louer, il crut devoir se conformer à la prévention superstitieuse du vulgaire en faveur d'une femme qui, ayant trouve le secret de se graver certains caractères sur le bras, se donnait pour prophétesse. Comme il vit que le peuple écoutait cette femme avec enthousiasme, il feignit lui-même d'en être la dupe, et fit les vœux qu'elle prescrivait pour la prospérité des armes romaines.

Ces ménagements lui parurent d'autant plus nécessaires, que les besoins de la guerre l'avaient obligé d'établir un nouvel impôt, consistant dans le cinquantième du prix de chaque esclave qui se vendait. C'était une surcharge qui, ajoutée au vingtième des successions collatérales récemment imposé, à la disette des vivres encore subsistante, aux maux et aux périls de la guerre, pouvait irriter et aliéner le peuple, si Auguste n'eût pris soin de l'adoucir par des complaisances poussées même au-delà des bornes.

L'heureux succès de la guerre remédia à tout, et l'on en eut obligation à Tibère, dont cette grande victoire fut l'ouvrage. Suétone rapporte que, exhorté plusieurs fois par Auguste à laisser une entreprise qui l'exposait à trop de dangers, il persévéra constamment à ne la point quitter, qu'il ne l'eut amenée à une glorieuse fin. Dans la conduite de la guerre, il fit preuve de prudence, d'activité, et, ce qui est bien remarquable dans un caractère tel que le sien, d'humanité et de douceur. Velleius, témoin oculaire, assure que les soins de Tibère pour les officiers malades ou indisposés étaient infinis. Sa voiture et sa litière leur étaient destinées. Sur quoi l'on peut remarquer en passant quel était encore alors chez les Romains dans le service militaire l'éloignement du luxe, et la modicité des équipages, puisque, dans toute une grande armée, il n'y avait point à autre voiture de commodité ni d'autre litière que celles du prince qui en était le général. Velleius ajoute que Tibère prenait sur lui de fournir tous les soulagements qui se rapportent directement au traitement des maladies, secours de la part des médecins et chirurgiens, remèdes, nourritures propres à l'état d'infirmité, et enfin le bain, dont tous les ustensiles avaient été apportés au camp par son ordre, uniquement pour cet usage. Quant à lui, on ne le vit jamais qu'à cheval : toujours il mangeait assis, ainsi que tous ceux qu'il invitait à sa table. Attentif à la discipline[11], il n'en outrait point la rigueur, usant plus d'avertissements et de réprimandes que de châtiments ; dissimulant bien des choses, mais réprimant les abus qui se portaient trop loin, et qui pouvaient devenir contagieux. Quel dommage qu'un prince qui connaissait si bien la vertu lui ait dans la suite préfère le vice et la tyrannie !

La victoire de Tibère soumit aux Romains un grand pays. C'est ce qu'ils appelaient l'Illyrie, comprise entre la Norique et l'Italie, le Danube et la mer Adriatique, la Thrace et la Macédoine. Et ce qui rendit cette victoire extrêmement précieuse à Auguste et à toute la nation, c'est la circonstance de la malheureuse défaite de Varus en Germanie, qui arriva précisément au même temps : en sorte que l'on ne pouvait douter que les Germains vainqueurs n'eussent joint leurs forces a celles des Pannoniens et des Dalmates, si ceux-ci eussent été encore en armes.

On décerna le triomphe à Tibère, qui le méritait bien. On y joignait beaucoup d'autres honneurs ; et plusieurs opinaient dans le sénat pour lui donner quelque surnom glorieux, comme le Pannonique ou l'Invincible. D'autres voulant honorer en lui par préférence une qualité dont il avait bien plus les dehors que le fond et le mérite réel, le surnommaient le Pieux, c'est-à-dire fils plein d'un tendre et respectueux attachement pour l'empereur son père adoptif. Auguste, à qui ne plaisait peut-être pas beaucoup ce grand zèle pour relever Tibère, empêcha qu'on ne lui donnât aucun nouveau surnom. Celui qui lui est réservé après ma mort, dit-il, lui suffira. Il avait raison. Le nom d'Auguste, auquel était attachée la souveraine puissance, effaçait aisément tous ces vains titres d'un honneur sans pouvoir.

Pour ce qui est du triomphe, Tibère lui-même le différa, à cause du deuil amer, ou la défaite récente de Varus avait plonge toute la ville. Il fit néanmoins son entrée avec la robe prétexte et la couronne de laurier, et il monta sur un tribunal qui lui avait été préparé dans le champ de Mars, et autour duquel était rangé tout le sénat. Là il s'assit à côté d'Auguste entre les deux consuls, et après avoir salué le peuple, qui était assemblé pour le recevoir, il fut conduit en pompe au Capitole, et dans plusieurs autres temples, où il rendit ses hommages aux dieux.

Germanicus, qui l'avait bien secondé dans la guerre de Pannonie, et qui était venu apporter à Rome la nouvelle de la victoire, obtint les ornements du triomphe et ceux de la préture, quoiqu'il n'eut été que questeur ; le droit d'opiner dans le sénat immédiatement après les consulaires, et une dispense pour parvenir au consulat avant l'âge prescrit par les lois.

On accorda à Drusus, fils de Tibère, des privilèges du même genre, mais d'un ordre inferieur, parce qu'il était plus jeune : le droit de séance dans le sénat, quoiqu'il ne fut point encore sénateur, et le rang avant tous les anciens préteurs, lorsqu'il aurait exercé la questure.

La joie de la victoire sur les Pannoniens et les Dalmates se faisait à peine sentir des Romains, dans la consternation ou les avait jetés le désastre de Varus en Germanie, le plus sanglant et le plus complet, qu'ils eussent souffert depuis la défaite de Crassus. L'auteur cette cruelle disgrâce, et qui en fut aussi la victime, Germanie. P. Quintilius Varus, paraît avoir été un esprit borné, que les circonstances plutôt que son mérite portèrent à de grandes places. Né d'une famille illustrée par les honneurs, mais dont la noblesse n'était pas ancienne, il fut consul avec Tibère l'an de Rome 793. Il gouverna la Syrie après Sentius Saturninus, auquel il succéda pareillement dans le gouvernement de la Germanie. Caractère doux, modéré, tranquille, ses deux grands défauts et les principales causes de sa perte furent l'amour de l'argent et la crédulité. Il avait fait éprouver son avidité à la Syrie, où il entra pauvre, trouvant la province riche, et d'où il sortit riche, la laissant pauvre. Il n'eut pas belle matière à se satisfaire sur ce point dans la Germanie, destituée alors de tout ce qui est capable de nourrir le luxe et d'irriter la cupidité. Il pilla néanmoins, autant qu'il était possible, ces nations également pauvres et fières, à qui les exactions étaient doublement odieuses, et par le tort qu'en souffraient leurs minces fortunes, et comme preuves d'une servitude qui flétrissait leur gloire.

Pendant qu'il aigrissait ainsi ces courages intraitables, il ne prenait aucune précaution pour se garantir de leur ressentiment. Il s'était mis dans l'esprit le dessein d'adoucir et de policer leurs mœurs, et d'humaniser par les lois ceux que les armes ne pouvaient dompter. Dans cette idée, il traitait la Germanie comme une province paisible, faisant ses rondes, tenant les grands jours, rendant la justice, comme si avec des faisceaux et des licteurs il eut pu imposer a des nations qui jusque-là ne connaissaient guère d'autre droit que celui du plus fort. La douceur d'une police bien réglée avait peu d'attraits pour les Germains. Au contraire, infiniment sensibles, dit Florus dans son style presque poétique, à la douleur de voir leurs armes mangées par la rouille, et leurs chevaux languissants dans l'inaction, ils ne respiraient que la révolte contre un gouvernement si peu convenable à leurs inclinations. La sécurité de Varus leur présentait la plus belle espérance de réussir. Ils n'avaient besoin que d'un chef qui dirigeât l'entreprise, et ils en trouvèrent un tel qu'ils pouvaient le souhaiter.

Arminius, jeune homme de la première noblesse des Chérusques, avait toutes les qualités nécessaires pour conduire une conspiration. Brave de sa personne, plein d'un feu qui brillait sur son visage et dans ses yeux, esprit pénétrant, fécond en ressources, et par-dessus tout cela, adroit, rusé, capable de tout dissimuler et de tout feindre, un tel homme avait de grands avantages sur un gouverneur aussi négligent que Varus. Il s'appliqua à fomenter et à accroitre son indolence, sachant que personne n'est plus aisément opprime que celui qui ne craint rien, et que la confiance imprudente est souvent l'origine et l'occasion des plus affreuses calamités. Il avait l'accès libre auprès de lui, non-seulement par son rang et par sa naissance, mais parce qu'il s'était montré jusque-là ami des Romains, ayant servi dans leurs années, et s'y étant comporte de manière à mériter le droit de bourgeoisie romaine et le grade de chevalier. Profitant de ces ouvertures, il s'insinua dans la familiarité de Varus, entrant dans sa façon de penser, et félicitant la Germanie de ce qu'elle allait par son moyen apprendre à connaître les lois et la justice, à terminer pacifiquement les querelles qui auparavant ne se décidaient que par la voie des armes, en un mot à dépouiller la barbarie, et à substituer la politesse à des mœurs rustres et sauvages. Pour appuyer ses discours, il suscitait des Germains qui lui étaient affidés, à feindre des procès entre eux, à les porter au tribunal de Varus, et à recevoir son jugement avec action de grâces. Toutes ces belles apparences éblouirent tellement le Romain, qu'il se comptait chéri des peuples, et se regardait plutôt comme un magistral au milieu de ses concitoyens que comme un général dans un pays suspect et dangereux.

Cependant Arminius formait son plan et prenait ses mesures pour surprendre le crédule Varus, et le tailler en pièces avec ses légions. Il l'avait déjà engage à affaiblir son armée en envoyant de côté et d'autre de petits détachements, qu'il lui faisait demander par les Germains sous divers prétextes, comme pour garder quelque poste, ou pour réprimer des courses de brigands. Lorsque le moment fut venu, la révolte éclata, par les ordres secrets d'Arminius, dans les cantons les plus éloignés ; et les petits pelotons de Romains qui s'y trouvaient dispersés et séparés les uns des autres furent d'abord égorgés. Varus avec trois légions marcha contre les rebelles, et Arminius resta derrière, lui faisant croire qu'il se proposait de lui amener incessamment un puissant renfort. En effet, il avait ses troupes déjà assemblées sous leurs chefs particuliers, mais c'était pour une vue bien différente de celle qu'il donnait à entendre. Il n'eut qu'à les réunir en un seul corps, et à se mettre à leur tête ; et bientôt il rejoignit Varus dans un défilé tout entoure de bois et de montagnes. C'était là qu'il avait résolu de l'attaquer.

Varus pouvait échapper encore, s'il eut daigné écouter un avis qui lui venait de si bonne part, qu'il est inconcevable comment il put le négliger. Ségeste, illustre Germain, ami de Rome, et fait citoyen romain par Auguste, ayant decouvert.une partie au moins du complot d'Arminius, l'avait dénoncé plus d'une fois à Varus, et dans un dernier repas où ils se trouvèrent tous ensemble, il avertit le général romain que le danger pressait, et il lui conseilla de l'arrêter lui-même avec Arminius et les principaux complices pour rompre le coup, et ensuite instruire le procès à loisir, et discerner l'innocent du coupable. Varus s'obstina à se perdre, par un aveuglement qui ne semble pas naturel. Mais il arrive communément, dit Velleius, que Dieu, lorsqu'il veut changer le sort des hommes, pervertit leurs conseils ; en sorte que ceux qui périssent, pour comble d'infortune, paraissent avoir mérité leur disgrâce, et n'être pas moins coupables que malheureux.

Pendant la nuit qui suivit ce repas, Arminius exécuta son projet. Tout d'un coup les Romains, au moment qu'ils s'y attendaient le moins, se virent assaillis par ceux avec qui ils vivaient la veille comme avec des alliés et des amis. Les légions de Varus étaient d'excellentes troupes, et pouvaient passer pour l'élite des légions romaines, par la bonne discipline, par la bravoure, par l'expérience dans le métier de la guerre. Mais que peut la valeur contre des obstacles supérieurs à toutes les forces humaines ; contre la surprise, l'horreur des ténèbres, un pays inconnu, des forêts, des marécages, et une tempête horrible qui survint alors ? Les Romains résistèrent néanmoins avec courage ; et obligés, après une perte très-considérable, d'abandonner leur camp pris et forcé par les Germains, ils se retirèrent sur une petite hauteur, où ils commencèrent à se retrancher. Ce fut pour eux une faible défense. Les vainqueurs ayant poursuivi ces déplorables restes, les attaquèrent avec une nouvelle furie. Varus fut blessé dans ce second combat, et ne voyant aucune ressource, il se perça lui-même de son épée, renouvelant l'exemple de son père, qui s'était fait tuer par un affranchi après la bataille de Philippes, et celui de son aïeul, qui avait fini sa vie de la même manière, sans que nous puissions dire précisément en quelle occasion.

La mort du général acheva de décourager les Romains. Réduits à un petit nombre, enveloppés par les Barbares, fatigués par la difficulté des lieux, pris comme au piège, quand même ils seraient parvenus à se faire un passage en rompant les rangs des Germains, ils ne pouvaient pas espérer d'échapper à leur poursuite, dans une vaste étendue de pays ennemi qu'ils auraient eu à traverser. Le désespoir qui saisit ces braves gens en porta quelques-uns a se tuer de leur propre main, comme avait fait Varus. D'autres aimèrent mieux, en combattant opiniâtrement, se faire tuer par les ennemis. La plupart, vaincus par l'assemblage de tant de maux, et amollis par l'exemple d'un officier considérable nommé Ceïonius, mirent les armes bas, et se rendirent à discrétion. Numonius Vala, lieutenant de Varus, entreprit de se sauver avec la cavalerie. Mais poursuivi, et bientôt atteint par les Germains, il n'eut pas un meilleur sort que l'infanterie qu'il avait abandonnée, et il périt, lui et tous ceux qui l'accompagnaient. Ainsi, les trois légions de Varus furent entièrement détruites, et le petit nombre qui s'en échappât ne mérite pas d'être compté. Le lieu de cette sanglante défaite des Romains est appelé Teutoburgensis saltus[12], que la plupart des savants placent près de Dethmold, dans le comte de la Lippe, non loin du Weser.

Deux légions, restées dans l'ancien camp d'où Varus était parti pour marcher contre les rebelles, auraient couru risque d'être pareillement taillées en pièces. Mais Asprenas, neveu et lieutenant de Varus, sur la première nouvelle du malheur de son oncle, se hâta de faire sortir du pays ennemi ces deux légions, dont il avait le commandement, et ayant regagne les quartiers d'hiver que les Romains occupaient dans la basse Germanie, il tint dans le devoir les peuples de la contrée en-deçà du Rhin, dont la fidélité commençait à s'ébranler. Cette retraite prompte et heureuse lui faisait honneur dans les circonstances, s'il n'en eut terni la gloire par une lâche et injuste avarice. Velleius dit qu'on l'accusa de s'être enrichi des dépouilles des malheureux, en s'appropriant tous les bagages laisses dans l'ancien camp par les trois légions qui avaient péri sous Varus.

Arminius abusa de sa victoire avec toute l'insolence d'un Barbare. Il se fit ériger un tribunal au pied duquel on lui amena les prisonniers romains chargés de chaînes. Il les condamna tous à mort. Les tribuns et les centurions des premières compagnies furent immolés comme des victimes, devant des autels dresses dans les bois. Le commun des soldats périt par la croix ou par la potence. Un jeune Romain d'un nom illustre, Cœlius Caldus, voyant à quel sort il était réservé, étendit sa chaîne, et s'en donna un coup si violent dans la tête, qu'il se brisa le crâne : la cervelle et le sang coula par terre, et il expira sur-le-champ. Les Germains se firent surtout un plaisir cruel de tourmenter ceux dont le ministère était intervenu dans cette odieuse juridiction que Varus avait exercée parmi eux. Ils leur crevaient les yeux, ils leur coupaient les mains. Il y en eut un à qui, après avoir arraché la langue et cousu la bouche, le Barbare qui avait fait une si horrible opération, tenant cette langue dans sa main, criait de toutes ses forces, à diverses reprises : Vipère, cesse enfin de siffler. Le corps de Varus avait été cache et enfoui par ses soldats, qui voulaient lui épargner les insultes des Barbares. Il fut trouvé, déterré, traité de la façon du monde la plus ignominieuse ; et après qu'il eut servi longtemps de jouet inhumain non-seulement à la canaille, mais a quelques-uns des chefs, et entre autres a un neveu de Ségeste, on lui coupa la tête, qui fut envoyée à Maroboduus, et par lui transmise à Rome, où elle reçut les honneurs de la sépulture.

Les drapeaux des légions et deux de leurs aigles tombèrent au pouvoir des vainqueurs ; et ces objets d'un culte religieux chez les Romains essuyèrent de la part d'Arminius toutes sortes de moqueries et d'outrages. La troisième aigle fut sauvée par le courage et la présence d'esprit de celui qui en avait la garde. Lorsqu'il vit que tout était perdu, il l'arracha du bout de la pique qui la soutenait, il la cacha sous son baudrier, et s'enfonça ainsi dans un marais d'où il échappa à l'ennemi.

Les Germains en se retirant laissèrent sur le champ de bataille les témoignages sanglants de leur victoire, je veux dire les corps morts des hommes et des chevaux, les tronçons des épées, des javelines et des piques, un grand nombre de têtes plantées sur des troncs d'arbres, et les instruments des supplices qu'ils avaient fait souffrir a leurs malheureux prisonniers.

J'ai déjà remarqué que lorsque ce désastre fut su à Rome, la douleur y fut extrême. Auguste en donna l'exemple, et peut-être passa-t-il les bornes, et ne se souvint-il pas assez, soit de la majesté de son rang, soit de l'obligation où est le prince de rassurer son peuple dans les disgrâces par un air de sérénité qui ne les dissimule pas, mais qui en fasse espérer le remède. Non-seulement Auguste prit le deuil et laissa croitre sa barbe et ses cheveux, mais entrant dans des espèces de transports, il criait souvent : Varus, rends-moi mes légions. Je ne puis croire ce qu'ajoute Suétone, qu'il poussait les choses jusqu'à l'excès frénétique de se heurter la tête contre les murailles. Son affliction ne fut point passagère. Tant qu'il vécut, le jour de la défaite de Varus fut pour lui tous les ans un jour de tristesse et d'amertume.

L'effroi dans les premiers moments marcha de pair avec la douleur. On s'imaginait que les Germains allaient passer le Rhin et se répandre dans les Gaules, ou même qu'ils pénétreraient en Italie, et viendraient jusqu'aux murs de Rome. Auguste fit faire la garde dans la ville. Il en chassa tout ce qu'il y avait de Germains, et cassa une compagnie de gardes qu'il avait de cette nation. Peu à peu on se rassura. On apprit que la Gaule demeurait tranquille, que la rive gauloise du Rhin était bien défendue, et que Punique exploit des Germains depuis leur victoire avait été le siège de la forteresse d'Aliso[13], dont la garnison, après une belle résistance, avait fait une sortie vigoureuse l'épée à la main, et s'était ouvert un passage pour rejoindre les légions romaines. D'ailleurs l'hiver approchait, et donnait nécessairement du relâche[14].

Alors on pensa plus tranquillement aux moyens de réparer la perte que l'on avait faite en Germanie, et l'on résolut d'envoyer de nouvelles troupes sur le Rhin. La difficulté fut de les lever. Le peuple était revenu de la crainte d'une invasion : mais l'impression terrible de la valeur et de la férocité des Germains durait encore, et personne ne voulait s'enrôler pour aller attaquer dans leur pays des ennemis si redoutables. Il fallut qu'Auguste fit des exemples de sévérité contre les plus opiniâtres, et en punit plusieurs par confiscation de biens, par flétrissures ignominieuses, et quelques-uns même par la mort.

Le choix d'un général ne lui coûta aucun embarras. Il ne pouvait jeter les yeux que sur Tibère, et personne n'était plus capable de l'acquitter dignement d'un emploi si difficile et si périlleux.

Auguste employa aussi les ressources de la religion, et voua de grands jeux, avec cette clause remarquable, qui avait été autrefois employée dans la guerre des Cimbres et dans celle des alliés : SUPPOSÉ QUE LA RÉPUBLIQUE REVINT EN UN MEILLEUR ÉTAT. Ainsi se passa la fin de cette année, qui est le temps où Auguste connut et punit les désordres de sa petite fille, Ovide, qui en était peut-être complice, relégué, comme tout le monde sait, à Tomes en Scythie, sur les bords du Pont-Euxin.

P. CORNELIUS DOLABELLA. - C. JUNIUS SILANUS. An. R. 761. De J.-C. 10.

Tibère partit au printemps pour la Germanie, et il y soutint toute sa gloire. Sachant que la principale cause du malheur de Varus devait être imputée à la témérité et à la négligence de ce chef imprudent, il crut devoir redoubler de vigilance et de circonspection. Au lieu que jusque la sa pratique avait été d'être lui seul son conseil, et de prendre son parti sans consulter personne, il changea de méthode, tint souvent conseil, et ne fit lien que de l'avis des principaux officiers. Attentif à empêcher que le luxe ne s'introduisit dans son armée, lorsqu'il se prépara à passer le Rhin, il régla le nombre et la nature des équipages que chacun pourrait avoir selon son rang ; et afin que son ordonnance fut exactement observée, il ne se fia qu'à lui-même du soin de l'exécution, et il se tint sur le bord du fleuve, et visita tous les bagages à mesure qu'ils passaient. Et il montrait l'exemple de la simplicité sévère qu'il prescrivait aux autres. Car tant qu'il fut au-delà du Rhin, il ne prit jamais ses repas autrement qu'assis sur le gazon : souvent il lui arrivait de passer les nuits sans tente. Il donnait chaque jour régulièrement ses ordres pour le lendemain, avec injonction expresse à quiconque croirait avoir besoin de quelque éclaircissement, de s'adresser directement à lui seul, à quelque heure que ce fut du jour ou de la nuit. Il tint la main très exactement à l'observation de la discipline : il renouvela et remit en usage certaines punitions militaires qui avaient été pratiquées anciennement et que l'on ne connaissait plus ; et il nota d'ignominie le commandant d'une légion, pour avoir envoyé quelques-uns de ses soldats à la chasse au-delà du Rhin avec un de ses affranchis.

Une armée si bien gouvernée n'avait point à craindre de surprise de la part des barbares. Tibère ne se contenta pas d'assurer à l'empire, suivant les ordres qu'il avait reçus, la possession du Rhin ; mais, jugeant que pour ôter l'envie aux Germains de passer en Gaule il était nécessaire de porter la guerre dans leur pays, il y entra avec de grandes forces, et, marchant en bon ordre, ne négligeant aucune des précautions que la prudence exige, il parcourut toute la contrée, en fit le dégât, ravagea les campagnes, brûla les bourgades, mit en fuite tous ceux qui osèrent l'attendre ; et, après avoir ainsi rétabli la réputation des armes romaines, il ramena sans aucune perte ses légions dans les quartiers d'hiver en deçà du Rhin.

M. ÆMILIUS LEPIDUS. - C. STATILIUS TAURUS. An. R. 762. De J.-C. 11.

Sous les consuls Lepidus et Taurus il passa de nouveau le Rhin, ayant avec lui Germanicus, et il réitéra les mêmes ravages que l'année précédente. Les Germains, en ne se montrant nulle part en corps d'armée, s'avouèrent vaincus. Arminius sentait bien qu'il avait affaire à un général tout autre que Varus.

Tibère tint la campagne jusqu'à la fin de la belle saison, et, y ayant célèbre des jeux pour honorer le jour natal de l'empereur, comme il eût pu faire en pays ami, il revint tranquillement en Gaule, sûr d'avoir rempli les intentions d'Auguste, qui ne désira jamais d'étendre sa domination au-delà du Rhin, et qui regardait ce grand fleuve comme une barrière naturelle entre l'empire romain et les fibres nations établies au-delà.

En effet on ne peut douter qu'Auguste ne fut parfaitement satisfait de la conduite de Tibère, lorsqu'on lit dans Suétone en quels termes il lui écrivait. Mon cher Tibère, lui disait-il[15], au milieu de tant de difficultés, et pendant qu'il s'introduit un si grand relâchement parmi les gens de guerre, je ne pense pas que jamais personne ait pu se gouverner avec plus de prudence que vous avez fait. Tous ceux qui ont servi sous vos ordres vous en rendent le témoignage, et vous appliquent l'éloge qu'Ennius a donné au célèbre Fabius. Ils assurent qu'un seul homme par sa vigilance a rétabli les affaires de la république.

Auguste n'avait eu d'abord, comme je l'ai remarqué ailleurs, nulle inclination à aimer Tibère. Mais, charmé des grands services qu'il le voyait rendre à la république, il parait qu'enfin il lui donna sincèrement son amitié. Voici des paroles qui respirent la tendresse aussi-bien que l'estime. Soit qu'il me survienne quelque affaire qui demande des réflexions sérieuses, ou a quelque chagrin qui me tourmente, je regrette l'absence de mon cher Tibère, et je me rappelle ce que Diomède dit d'Ulysse dans Homère : Avec un tel second je me promettrais de me tirer du milieu d'un incendie : car il est homme d'une prudence exquise. Lorsque j'entends dire que vous êtes extenué par les fatigues continuelles, que les dieux m'exterminent si je ne frissonne de tout le corps ! Je vous prie de vous ménager, de peur que, si vous veniez à tomber malade, votre mère et moi nous n'expirions de douleur, et que le peuple romain ne coure risque de voir renverser son empire. Peu importe que ma santé soit bonne ou mauvaise, pourvu que vous vous portiez bien. Je prie les dieux qu'ils vous conservent pour nous, et qu'ils permettent que vous jouissiez à présent et toujours d'une parfaite santé, s'ils n'ont pas pris le peuple romain en haine.

Auguste ne s'en tint pas à des paroles. Il prouva à Tibère son estime et sa confiance par des effets bien réels. Car il le fit presque son égal et son collègue : et sur sa demande, les consuls, en vertu d'un décret du sénat, portèrent une loi qui fit autorisée par les suffrages du peuple, et qui ordonnait que Tibère aurait dans toutes les provinces du partage de l'empereur et sur toutes les armées la même autorité dont jouissait Auguste. Ce fut avec cet accroissement de dignité et de pouvoir que Tibère revint à Rome, pour y célébrer le triomphe qui lui était décerné depuis longtemps, et que le malheur de Varus l'avait obligé de différer. Il triompha des Illyriens et des Pannoniens sous le consulat de Germanicus.

GERMANICUS CÆSAR. - C. FONTEIUS CAPITO. An. R. 753. De J.-C. 12.

La pompe de ce triomphe fut magnifique. Les principaux chefs des peuples vaincus y parurent charges de chaines : les lieutenants du vainqueur, qui avaient obtenu a sa recommandation les ornements de triomphateurs, l'accompagnèrent revêtus de ces éclatantes récompenses de leurs services. Auguste présida à la cérémonie, assis vraisemblablement dans la tribune aux harangues : et lorsque Tibère fut arrivé à la place publique, avant que de tourner vers le Capitole, il descendit de son char, et vint faire hommage de toute sa gloire à son père en se mettant à ses genoux. Il donna ensuite au peuple un repas à mille tables, et une gratification de trois cents sesterces[16] par tête.

Depuis que Tibère eut quitté la Germanie, il ne s'y passa rien de mémorable, et un intervalle de calme y régna jusqu'à la mort d'Auguste. Les Romains tenaient pourtant de grandes forces sur le Rhin, huit légions partagées en deux corps d'armées qui occupaient les deux provinces de la Gaule Belgique, que l'on appelait la haute et basse Germanie. Germanicus, âgé alors d'environ vingt-huit ans, reçut au sortir du consulat le commandement de toutes ces forces, les plus considérables qui se trouvassent réunies en aucune partie de l'empire. Il n'en fallait pas moins pour maintenir d'une part la tranquillité dans les Gaules, et de l'autre imprimer de la terreur aux Germains. Ce jeune prince commença l'exercice de son emploi par le cens ou dénombrement des Gaules, et il y travaillait lorsque Auguste mourut.

Mais avant que de parler de la mort d'Auguste, il me reste a reprendre tous les faits qui, dans les dernières années de son empire, n'ont point eu de rapport aux guerres de Germanie et de Pannonie.

Quoique ce prince eut toujours été d'une santé très-délicate, les soins qu'il prit de la ménager, surtout par une grande sobriété, lui conservèrent assez de forces jusqu'à la fin, pour ne point trainer une vieillesse languissante et oisive. Il se procura des adoucissements, mais il ne fut jamais réduit à l'inaction.

Âgé de soixante-dix ans, il commença ne se plus rendre si assidu aux assemblées du sénat, et il permit à cette compagnie de décider bien des affaires en son absence. On conçoit bien que ce n'étaient pas les plus importantes. Quatre ans après il s'affranchit du cérémonial gênant des salutations tumultueuses et des repas publics. Il pria les sénateurs de ne plus se donner la peine de venir exactement lui rendre des devoirs en son palais, et de trouver bon qu'il se dispensât de se trouver avec eux aux repas de compagnie. L'an de Rome 764 au mois de septembre duquel il devait entrer dans sa soixante-quinzième année, ne pouvant plus que très-rarement aller au sénat, il fit attribuer à son conseil privé la même autorité dont jouissait tout ce grand corps.

Nous avons vu que dès les commencements de son administration, il s'était donné quinze conseillers, tirés du nombre des sénateurs, qui changeaient tous les six mois. Ce conseil ne décidait que les affaires urgentes, et préparait seulement celles qui étant de plus grande conséquence devaient être rapportées à toute la compagnie assemblée. Dans l'occasion dont je parle, Auguste prit vingt conseillers au lieu de quinze, et étendit à un an la durée de leur service. Mais le changement essentiel est celui que j'ai marqué d'abord, et consiste en ce que par un décret du sénat il fut dit et statué, que les ordonnances que rendrait Auguste assisté de Tibère, des deux consuls, de ses deux petits-fils, Germanicus et Drusus, et du conseil des vingt, auraient la même force que si elles étaient émanées du sénat. Il exerçait dès auparavant cette autorité par le fait. Il fut bien aise d'avoir un titre en bonne forme ; et depuis ce temps il gouverna l'empire sans presque sortir de sa chambre, et souvent même dans son lit.

Ce décret portait une diminution notable aux droits du sénat. Auguste affaiblit pareillement ceux du peuple, que son successeur devait bientôt anéantir. L'an 768 de Rome les assemblées pour les élections des magistrats ayant été troublées par des factions, l'empereur nomma lui-même à toutes les charges ; et dans les années suivantes, il recommandait au peuple ceux à qui il destinait les magistratures, comme avait fait le dictateur César.

Son zèle pour la réforme des abus se soutint toujours dans une constante activité, et les guerres ne l'empêchèrent pas d'y travailler, parce qu'elles roulaient Tibère, qui en soutenait le poids avec capacité et avec succès. Il fit surtout les derniers efforts contre le célibat, qu'il avait déjà attaqué à diverses reprises, et dont l'usage se perpétuait dans Rome au mépris de ses ordonnances. On osait même murmurer hautement contre ces lois ; et l'an de Rome 760, dans les jeux auxquels l'empereur assistait, les chevaliers romains lui portèrent leurs plaintes contre la sévérité des peines imposées au célibat, et le pressèrent à grands cris de les révoquer. Auguste voulant leur faire honte de leur demande, ordonna qu'on lui amenât sur-le-champ les enfants de Germanicus, qui étaient déjà en assez grand nombre, quoique ce jeune prince ne fut que dans sa vingt-quatrième année ; et prenant quelques-uns de ces tendres enfants entre ses bras, mettant les autres sur les genoux de leur père, il les montrait aux chevaliers et invitait la jeunesse romaine à suivre un tel exemple.

Il fit plus, il commanda peu après à tout l'ordre des chevaliers de se présenter devant lui, partagés en deux bandes, ceux qui étaient maries d'un côté, et de l'autre ceux qui ne l'étaient pas. Le nombre des derniers ayant de beaucoup passé les autres, il fut saisi d'indignation. Il commença par louer beaucoup ceux qui dans un honorable mariage élevaient des citoyens pour la république. Mais ensuite il invectiva avec véhémence contre les célibataires. Si vous vous autorisez, leur disait-il, de l'exemple des vestales, vivez donc comme elles, et soumettez-vous à la même peine, en cas que vous manquiez à l'observation d'une exacte continence. Ce n'était pas le plan de ces hommes dérangés, qui ne craignaient dans le mariage, que l'embarras des soins domestiques et de l'éducation des enfants, et qui n'aimaient dans l'état auquel ils demeuraient attachés, que la liberté de se livrer sans frein à toutes sortes de désordres.

Un pareil système de conduite irritait Auguste avec raison ; et bien loin de révoquer ou d'adoucir les peines auxquelles il l'avait précédemment assujetti, il en ajouta de nouvelles par une loi que portèrent les consuls Papius et Poppeus[17]. Une circonstance bien singulière, et qui fait voir combien l'abus auquel voulait remédier Auguste était répandu, c'est que les deux consuls porteurs d'une loi si rigoureuse contre le célibat, n'étaient mariés ni l'un ni 'autre. La loi fut appelée de leur nom Papia Poppœa, et est très-célèbre dans le droit romain. C'est aux jurisconsultes qu'il appartient d'en expliquer en détail, autant qu'il est possible, toutes les dispositions. Il me suffit d'observer que cette loi, selon Tacite[18], avait deux objets : l'un de punir les célibataires ; l'autre d'enrichir le trésor public, au profit duquel elle confisquait les successions collatérales et les legs qui pouvaient regarder les citoyens non mariés.

Il renouvela en 762 les lois contre les devins et les astrologues, pestes publiques, qui, par des espérances trompeuses, irritent la cupidité des hommes, et portent également le trouble dans l'état et dans les familles. Il employa pour en désabuser les peuples un moyen plus efficace que les lois : ce fut d'en témoigner lui-même beaucoup de mépris. Pour faire voir combien il craignait peu, par rapport à ce qui le regardait personnellement, les prédictions des astrologues, il rendit public et fit afficher dans Rome son thème natal, c'est-à-dire un état de la position des astres telle qu'elle était au moment de sa naissance.

Les faiseurs de libelles diffamatoires sont une autre espèce d'hommes très-pernicieuse à la société. L'attention d'Auguste à les réprimer fut surtout excitée par les excès auxquels se porta en ce genre Cassius Sévérus, orateur célèbre, mais qui abusait de son esprit et de ses talents pour déchirer par des écrits sanglants tout ce qu'il y avait de plus illustre dans Rome en hommes et en femmes. C'était un caractère naturellement caustique et mordant. Il avait beaucoup de force dans son style, une urbanité toujours mêlée d'amertume ; et dans ses discours il était moins gouverné par le jugement et par le sens, que par l'emportement de sa bile. S'il accusait, ce n'était pas le zèle de la justice qui paraissait l'animer, mais le plaisir de nuire. Grands dieux, s'écriait-il dans son plaidoyer contre Asprenas, je vis, et je m'applaudis de vivre, puisque je vois Asprenas accusé[19]. Parole que Quintilien blâme avec beaucoup de raison, comme la marque d'un caractère malfaisant, tout à fait capable d'indisposer et d'aliéner les juges. Mauvais cœur, esprit de travers, il est digne d'avoir le premier corrompu la noble simplicité de l'éloquence latine, et de s'être rendu l'introducteur et le patriarche du mauvais goût.

Auguste souffrit longtemps l'insolence de ce déclamateur, en qui la bassesse de l'origine égalait la pétulance de la langue, et qui, dans certaines occasions, ne l'avait pas épargné lui-même. Comme on l'exhortait à le punir, il répondit que dans une ville pleine de vices la liberté de la satire était un mal nécessaire. Mais Cassius s'enhardissant par l'impunité, et poussant sa médisance effrénée au-delà de toute mesure, Auguste se crut obligé d'y mettre ordre. Il déclara les auteurs de libelles diffamatoires soumis à la peine de la loi contre les crimes de lèse-majesté, loi ancienne, qui jusque-là n'avait eu pour objet que les actions les plus nuisibles à l'état, telles que les séditions, les trahisons contre la patrie, les défaites arrivées à la république par la faute des généraux. Auguste, en y comprenant les écrits et les discours injurieux, fit un bien, mais qui devint une source d'injustices et de cruautés tyranniques sous ses successeurs. Cassius accusé en vertu de cette loi, fut jugé par le sénat en corps, qui, après un serment solennel de rendre une exacte justice, le condamna à être relégué dans l'île de Crète.

Le penchant à la satire est un vice dont on ne se corrige point. Cassius, dans son exil, continua l'exercice du dangereux talent qui le lui avait mérité, et nous verrons sous l'empire de Tibère, comment par cette conduite il aggrava son infortune.

Je ne sais si l'on doit louer ou blâmer Auguste de la nouvelle rigueur qu'il ajouta à la condition des exilés. Il parait que, sous le gouvernement républicain, ceux à qui l'on avait interdit le feu et l'eau, avaient la liberté de se retirer où bon leur semblait. Auguste avait déjà introduit l'usage de les fixer souvent à un certain lieu. Mais de plus, sachant que plusieurs exilés rendaient leur peine fort légère, soit par la licence qu'ils prenaient de s'écarter du séjour qui leur était déterminé, soit par la bonne chère et les autres douceurs de la vie, il fit ordonner qu'a l'avenir ceux a qui le feu et l'eau auraient été interdits seraient transportés dans des îles à cinquante milles de distance au moins de la terre ferme[20], et il réduisit le nombre des esclaves ou affranchis que pourrait avoir un exilé a vingt, et la quantité de bien qu'il lui serait permis de posséder à cinq cent mille sesterces.

Un règlement fort sage, et tout-à-fait utile aux provinces, est celui que fit Auguste au sujet des éloges que les gouverneurs se faisaient donner par les peuples soumis à leur puissance. Souvent, après les avoir vexés par des rapines, ou ils extorquaient d'eux encore par de nouvelles vexations des décrets d'approbation et d'action de grâces, ou ils tâchaient de les mériter par une molle indulgence, et ces bons témoignages servaient aux coupables de moyens de défense contre les accusations que l'on eut pu leur intenter à Rome. Auguste, qui avait à cœur et le bonheur des sujets, et l'honneur de l'empire, voulut obvier a une fraude qui servait d'encouragement pour commettre l'injustice, et de rempart après qu'on l'avait commise ; qui rendait le gouvernement excessivement odieux, ou au contraire en avilissait la majesté. C'est pourquoi il défendit aux villes et aux peuples des provinces de faire aucun acte, aucun décret en faveur des magistrats romains, ni pendant le temps de leur gestion, ni avant soixante jours écoulés depuis qu'elle serait expirée.

Parmi tant d'abus qu'Auguste tâchait de détruire, il en est un auquel il se crut oblige de céder. Il avait défendu aux chevaliers romains de se battre comme gladiateurs. Mais la fureur pour ces misérables combats était telle, que l'on méprisait la flétrissure imposée par la loi. Auguste aima donc mieux lever la défense, pensant que l'exemple de la mort sanglante de quelques-uns serait plus puissante que la crainte de l'ignominie. Il se trompa. C'est un mauvais moyen pour remédier au vice, que de lui lâcher la bride. Le concours des spectateurs, attirés par des noms illustres, l'autorité des magistrats qui donnaient les jeux, le consentement de l'empereur, toutes ces circonstances augmentèrent le mal et le perpétuèrent. Nous verrons sous les empereurs suivants, non-seulement des chevaliers, mais des sénateurs, et jusqu'à des femmes, braver la honte et le danger attaches a ces combats également infamants et inhumains.

Voilà ce que nous fournit de plus mémorable le gouvernement civil d'Auguste, pendant que Tibère fut occupé à conduire les guerres de Pannonie et de Germanie.

L'an de Rome 764 eut pour consuls Plancus et Silius.

L. MUNATIUS PLANCUS. - C. SILIUS. An. R. 764 – De J.-C. 13.

Sous ces consuls, Auguste se fit renouveler encore pour dix ans la puissance impériale, dont la dernière prorogation expirait à la fin de cette année. Il fit pareillement proroger la puissance du tribunat à Tibère, qu'il traitait en tout sur le pied de son successeur désigné. L'année précédente, en recommandant Germanicus au sénat, il avait recommandé le sénat même à Tibère, comme au chef futur de l'empire. Il lui faisait prendre partout, au sénat, au conseil privé, la prééminence sur les consuls. Il partagea avec lui les fonctions de la censure ; et ils achevèrent ensemble le dénombrement du peuple romain, qui se trouva comprendre quatre millions cent trente mille citoyens.

Drusus, fils de Tibère, fut aussi élevé en honneur par Auguste. Il avait été questeur l'an de Rome 762, cinq ans avant l'âge prescrit par les lois. Cette année 764, il fut désigné consul pour entrer en charge trois ans après, sans passer par les degrés intermédiaires de l'édilité et de la préture. Germanicus avait joui des mêmes prérogatives. C'est ainsi qu'Auguste, en accumulant les honneurs sur la tête de Tibère, établissait solidement les droits et la puissance de celui qu'il destinait a lui succéder. Il s'y prenait a temps : car il mourut l'année suivante, qui eut pour consuls deux de ses parents, Pompeius et Apuleius.

SEX. POMPEIUS. - SEX. APULEIUS. An. R. 765. De J.-C. 14.

Le grand âge d'Auguste et la diminution de ses forces donnaient déjà depuis quelques années beaucoup à penser aux Romains. Et leurs idées étaient différentes. Les uns se repaissaient de l'espérance chimérique de voir rétablir la liberté républicaine. Quelques-uns craignaient une guerre civile, d'autres la souhaitaient. Le plus grand nombre s'occupait beaucoup du caractère des maîtres qu'ils allaient avoir.

Agrippa Posthume, qui se présentait le premier à leur esprit comme le plus proche de l'empereur par le sang, puisqu'il était son petit-fils ; Agrippa, courage féroce, et de plus aigri par l'ignominie de l'exil, n'avait d'ailleurs ni l'âge ni l'expérience nécessaires pour soutenir le fardeau du gouvernement. Tibère était dans la grande maturité de l'âge, puisqu'il passait cinquante ans : il avait fait ses preuves de capacité dans la guerre. Mais on craignait en lui l'orgueil et la dureté héréditaires dans la maison des Claudes, et on disait que bien des traits de cruauté lui échappaient, quelque soin qu'il prit de les étouffer. On ajoutait qu'il avait été nourri dans la maison impériale dès l'enfance ; que dès sa jeunesse les consulats et les triomphes avaient presque prévenu ses désirs. Que, pendant les années même qu'il avait passées à Rhodes, couvrant un véritable exil sous l'apparence d'une retraite volontaire, il n'avait roulé dans ses sombres pensées que vengeance, que dissimulation, que débauches secrètes. On n'oubliait ni Livie, ni Germanicus et Drusus. La hauteur despotique de la mère, disait-on, s'unira aux vices du fils pour nous faire éprouver tous les maux de la servitude. Il nous faudra devenir les esclaves d'une femme et encore de deux jeunes ambitieux, qui se réuniront pour écraser la république, en attendant qu'ils la déchirent par leurs divisions.

Cependant la santé d'Auguste dépérissait, et quelques-uns soupçonnaient que le crime de sa femme y avait part : comme si un vieillard dans sa soixante et seizième année, d'une complexion naturellement très-faible, avait besoin de poison pour mourir. Dion raconte, mais comme un simple bruit, que Livie, qui savait qu'Auguste aimait les figues, en avait empoisonné quelques-unes sur l'arbre, et que, cueillant pour elle-même et mangeant de celles qui étaient saines, elle en avait présenté d'infectées à l'empereur.

Comme nul crime n'est suppose commis gratuitement, on prête à Livie un motif, et l'on prétend qu'elle eut des alarmes au sujet de la succession de Tibère à l'empire. Il est vrai que des auteurs d'un très-grand poids attestent que dans les derniers temps la tendresse d'Auguste se réveilla pour son petit-fils Agrippa, jeune prince peu aimable, mais qui après tout n'avait été convaincu d'aucun crime ; qu'il s'en ouvrit à Fabius Maximus, et se plaignit à lui de la nécessité où il se voyait de prendre pour héritier le fils de sa femme, pendant qu'il en avait un de son sang. Ce qui peut jeter quelque doute sur la vérité de ce récit, c'est que l'on y ajoute une circonstance qui n'a nulle probabilité. Tacite et Dion racontent qu'Auguste se transporta avec Fabius dans l'île de Planasie, où vivait en exil son malheureux petit-fils ; qu'il s'attendrit avec lai ; qu'il y eut beaucoup de larmes répandues de part et d'autre ; et qu'en conséquence ceux qui s'intéressaient pour Agrippa espérèrent qu'il retiendrait dans le palais de son aïeul. J'avoue que ce voyage me semble inventé à plaisir. A qui paraîtra-t-il croyable qu'Auguste ait pu aller de Rome dans une île voisine de la Corse sans que Livie en ait rien su ? Car, selon mes auteurs, elle n'en fut instruite que par l'indiscrétion de Fabius, qui révéla ce secret à sa femme Marcia, et celle-ci à Livie.

Les inventeurs du conte, quels qu'ils soient, ne l'ont pas laissé en si beau chemin. Livie, dit-on, fit une querelle à Auguste sur ce qu'il lui avait caché ses desseins par rapport à Agrippa. Si vous voulez, lui dit-elle, rappeler votre petit-fils, pourquoi me rendre odieuse, moi et toute ma famille, à celui dont vous prétendez faire votre successeur ? Auguste eut beaucoup de chagrin de ce que le mystère était découvert ; et lorsque Fabius vint pour le saluer le matin, en lui souhaitant le bon jour, selon l'expression familière que retenaient encore les Romains, même avec leurs maîtres, l'empereur lui répondit : Adieu, Fabius. L'indiscret confident entendit ce que signifiait cette parole avec laquelle les anciens saluaient pour la dernière fois leurs morts, après les avoir enfermés dans le tombeau. Désespéré, il retourna sur-le-champ à sa maison, rendit compte de tout à sa femme, et lui dit qu'après l'infidélité qu'il avait faite à Auguste, il ne pouvait plus vivre, et de fait il se tua. A ses funérailles, la désolation de Marcia fut extrême, et on l'entendit s'écrier qu'elle était la cause de la mort de son mari. Pline termine le tout en attribuant à Auguste des inquiétudes sur les desseins de Tibère et de Livie.

Tout cela me parait fort mal imagine. Auguste y fait un personnage pitoyable : le voyage dans l'île de Planasie est visiblement une fable ; et les défiances d'Auguste par rapport à Livie sont démenties, comme nous le verrons bientôt, par les dernières paroles de cet empereur mourant. Au reste, je soumets et le fait et mes réflexions au jugement du lecteur. Pour moi, je m'en tiens à ce qui est certain et avéré.

La maladie d'Auguste se déclara par un affaiblissement de l'estomac et des intestins. Il en fut attaqué pendant qu'il accompagnait Tibère partant pour l'Illyrie, où il l'envoyait, soit, comme dit Velleius, afin qu'il affermît la paix dans un pays qu'il avait conquis, soit comme le fait entendre Tacite, afin que les provinces et les troupes s'accoutumassent à le reconnaître pour le successeur de l'empire.

Auguste le conduisit jusqu'à Bénévent, et ce fut pour lui, malgré son incommodité, un vrai voyage de plaisir. Il se promena le long de la côte délicieuse de Campanie et dans les îles voisines. Il séjourna quatre jours entiers dans celle de Caprée, goûtant la douceur d'un plein repos, et se livrant à toutes sortes d'amusements. Lorsque pour y aller il passait à la vue de Pouzzoles et devant le golfe qui tire son nom de cette ville, un vaisseau d'Alexandrie arrivait dans le moment. Tous ceux qui montaient ce vaisseau firent à Auguste une espèce de fête. Revêtus de robes blanches, portant des couronnes, offrant de l'encens, ils le comblaient de bénédictions et de louanges, criant a haute voix et a diverses reprises que c'était par lui qu'ils vivaient, qu'ils lui devaient la sûreté de la navigation, que leur liberté et leurs fortunes étaient des bienfaits qu'ils tenaient de sa sagesse et de sa bonté. Ces acclamations si touchantes pour un bon prince le réjouirent beaucoup ; et il donna à chacun de ceux qui l'accompagnaient quarante pièces d'or, en leur faisant jurer qu'ils n'emploieraient cette somme à aucun autre usage qu'acheter des marchandises du vaisseau d'Alexandrie.

Pendant le séjour qu'il fit à Caprée, il se procura plusieurs petits divertissements de cette espèce. Ainsi il distribua, entre autres menus présents, à toutes les personnes de sa cour, des toges romaines et des manteaux à la grecque, à condition que les Grecs porteraient la toge, et les Romains le manteau. Il assista assidument aux jeux et aux exercices de la jeunesse de nie, colonie grecque, et qui conservait encore dans les mœurs de ses habitants des traces de son ancienne origine. Il régala aussi toute cette jeunesse, permettant et même exigeant qu'elle se divertit avec une entière liberté, et sans être aucunement gênée par sa présence : et le repas finit par livrer au pillage toutes les viandes et tous les desserts qui étaient restés sur les tables. En un mot, il n'est aucune manière de se réjouir innocemment dont il ne s'avisât : soit que, se sentant défaillir, il voulût faire diversion a son mal, soit qu'il suivit simplement l'impression d'une gaité douce qui lui était naturelle.

De Caprée il passa à Naples, toujours plus incommode. Cependant il voulut voir les jeux institues dans cette ville en son honneur pour être célébrés tous les cinq ans, et il y demeura d'un bout à l'autre. Il acheva ensuite sa route jusqu'au terme qu'il s'était propose, c'est-a-dire jusqu'à Bénévent, ou Tibère prit congé de lui.

Pendant qu'Auguste retournait vers Rome, son mal alla toujours croissant : et enfin il devint si violent, qu'il ne lui permit pas de passer Nole. Il fallut succomber et se mettre au lit. Aussitôt Livie dépêcha un courrier à son fils, qui à peine avait eu le temps d'entrer en Illyrie. Tibère revint en toute diligence, et, si nous en croyons Velleius et Suétone, il eut un grand et sérieux entretien avec Auguste. Tacite dit qu'on ne sait point avec certitude s'il le trouva encore vivant. Car tous les chemins étaient gardes exactement par les ordres de Livie, et il ne se répandait de nouvelles que celles qu'elle avait dictées.

Auguste ne fut pas longtemps malade au lit, et il attendit la mort très paisiblement. Le dernier jour de sa vie, après s'être informé si la situation où il était ne causait point déjà quelque tumulte au dehors, il se fit apporter un miroir, et ordonna qu'on lui ajustât les cheveux, et que l'on tâchât de remédier à la difformité de ses joues pendantes des deux côtés. Il fit alors entrer ses amis, et, les voyant autour de son lit, il leur demanda s'il ne leur semblait pas avoir bien joue son rôle dans la comédie de la vie humaine ; et tout de suite il ajouta un vers grec, qui contenait la formule par laquelle finissaient ordinairement les comédies : Battez des mains, et applaudissez tous avec joie. Après cet adieu comique, il commanda que tout le monde sortit, et il expire tout d'un coup entre les bras de Livie, en lui disant : Livie, conservez le souvenir d'un époux qui vous a tendrement aimée. Adieu pour jamais. Il avait toujours souhaité une mort douce ; et le bonheur qui l'avait accompagné pendant toute sa vie ne se démentit point encore dans ses derniers moments.

Il mourut à Nole le dix-neuf du mois d'août, dans la même chambre où son père Octavius était mort. Il avait vécu soixante et seize ans moins trente-cinq jours, né l'an de Rome 689, le vingt-deux septembre : ou plutôt, si l'on a égard à l'année de confusion qui précéda la reformation du calendrier par César, et qui fut de quatre cent quarante-cinq jours, on trouvera qu'il avait soixante et seize ans accomplis, et au-delà, lorsqu'il mourut.

La durée de sa puissance, si on la commence avec le triumvirat, dont il se mit en possession le vingt-sept novembre de l'an de Rome 709, sera de cinquante-cinq ans neuf mois, moins quelques jours. Si on date de la bataille d'Actium, qui le rendit seul maître de l'univers, cette bataille s'étant donnée le deux septembre 721, on attribuera à Auguste près de quarante-quatre ans d'exercice de la souveraineté. Mais nous avons observe que la vraie époque de son empire est le sept Janvier de l'année de son septième consulat[21], qui est la sept cent vingt-cinquième de Rome, et ainsi nous dirons qu'il a gouverné comme prince et empereur pendant l'espace de quarante ans sept mois et treize jours. Tout le reste n'est qu'usurpation manifeste et tyrannie.

 

 

 



[1] Velleius en parlant de ces mouvements se sert d'une expression emphatique : immensum exarserat bellum. Mais c'est un écrivain flatteur, qui veut relever les exploits de Vinicius, aïeul de celui à qui il dédie son ouvrage. Nous avons déjà parlé, d'après Dion, sous l'an de Rome 727, de quelques légers exploits de ce même Vinicius contre les Germains.

[2] Peuple qui occupait une partie de l'île des Bataves. Les Attariens habitaient les bords de la Lippe ; les Bructères, entre le Rhin et la rivière  d'Ems.

[3] Soixante-six lieues.

[4] TACITE, Annales, II, 63.

[5] Cette ville est ruinée depuis longtemps. Il faut en chercher les vestiges, selon l'opinion de Cellarius, près de Haimbourg, au-dessous de Vienne et au-dessus de Presbourg.

[6] Ober Laubach.

[7] Contrée qui s'étendait depuis le confluent de la Save et du Danube jusqu'au Pont-Euxin.

[8] VELLEIUS, II, 115.

[9] C'est ainsi que s'exprime Velleius, ex transmarinis procinciis. J'entends la Bithynie, et partie de l'Asie proprement dite.

[10] C'et ainsi que ce lieutenant de Tibère est nommé par Dion. On pourrait soupçonner qu'il y a une légère erreur dans ce nom, et qu'il faut lire Silvanus ou Sylvanus, dont nous avons parlé plus haut ; et qui, selon une inscription rapportée par Pighius, mérita dans cette guerre les ornements du triomphe.

[11] VELLEIUS, II, 114.

[12] TACITE, Annales, I, 60.

[13] Fort bâti par Drusus, près la rivière nommée autrefois Aliso, et aujourd'hui Alm, qui se jette dans la Lippe.

[14] Il y a apparence que la défaite de Varus arriva sur la fin de l'automne. C'est le sentiment de Bucherios.

[15] SUÉTONE, Tibère, 21.

[16] Trente-sept livres dix sous.

[17] Ces deux consuls furent substitués le premier juillet à ceux qui avaient commencé l'année, et leurs noms entiers étaient M. Papius Mutilius, Q. Poppœus Secundus. Le dernier ne doit point être confondu avec l'un des consuls ordinaires de la même année, qui portait le même nom de famille, mais avec un prénom et un surnom différents. Celui-ci se nommait C. Poppœus Sabinus.

[18] TACITE, Annales, III, 25.

[19] QUINTILIEN, XI, 1.

[20] Les îles de Rhodes, de Cos, Lesbos, et de Sardaigne, quoiqu'elles ne fussent pas dans la distance prescrite par la loi, pouvaient néanmoins servir de lieux d'exil. Dion dit qu'il ignore le motif de cette exception. On peut soupçonner que le prince avait voulu se réserver par la loi même la faculté de traiter plus doucement ceux des exilés qu'il jugerait à propos de favoriser.

[21] Cette époque est ainsi déterminée dans une inscription trouvée à Narbonne, et rapportée par Juste-Lipse dans son commentaire sur Tacite, l. I, c. 9.