HISTOIRE DES PEUPLES BRETONS

 

CHAPITRE IX. — Exupérantius s’efforce de ramener à l’obéissance les Armoricains révoltés ; expédition de Littorius contre cette confédération. - Les Armoricains assiègent la ville de Tours en 445. - Aétius fait marcher contre eux une armée d’Alains. - Intervention de Saint Germain d’Auxerre. - Les Armoricains combattent contre Attila. - Les Saxons dans la Grande-Bretagne. - Émigration des insulaires dans l’Armorique au Ve siècle. - Récit d’Ermoldus Nigellus. - Colonies bretonnes dans les Gaules et en Espagne. - Alliance des Francs et des Armoricains. - Royaume de France.

 

 

L’ARMORIQUE était libre ; mais il lui fallait lutter sans cesse contre la double attaque des troupes impériales et des Barbares qui infestaient ses côtes. Dès l’année 416, Exupérantius, préfet des Gaules, essaya de ramener les Armoricains à l’unité romaine. Cette tentative, s’il faut en croire l’un des rhéteurs poétiques de cette époque, aurait même été couronnée de quelques succès :

Facundus juvenis Gallorum nuper ab oris

Missus romani discere jura fori,

Cujus Aremoricas pater Exuperantius oras,

Nunc postliminium pacis amare docet,

Leges restituit ; libertatemque reducit

Et serves famulis non sinit esse suis[1].

Cette assertion, vraie peut-être relativement à quelques cités des deux Aquitaines[2], ne saurait s’appliquer à l’ensemble de la confédération. Il est très vraisemblable, en effet, que la seconde, la troisième et la quatrième Lyonnaise réussirent. à se maintenir dans l’indépendance qu’elles avaient su reconquérir en 409. Quoi qu’il en soit, l’histoire nous apprend que Littorius se vit forcé de faire une invasion dans l’Armorique, peu d’années après la pacification dont Rutilius a fait honneur au zèle d’Exupérantius. Sidoine Apollinaire, le seul historien qui ait parlé de cette expédition[3], ne nous apprend pas quel en fût le but ; mais il est à croire qu’il s’agissait de rejeter, de l’autre côté de la Loire, les bandes qui avaient peut-être franchi ce fleuve dans le but de prêter assistance aux. Bagaudes de la Gaule ultérieure réunis sous les ordres de Tibaton[4]. Ce qui est certain, c’est que cette nation mobile et toujours en révolte contre ses princes[5], ne craignait pas, en 445, de pousser ses incursions jusque sous les murs de Tours ; et cette ville serait tombée en son pouvoir, si, Majorien n’était accouru pour la sauver[6]. Comme Littorius, ce vaillant capitaine battit les confédérés et les força à la retraite ; mais il ne réussit pas davantage à faire rentrer dans le devoir ces populations belliqueuses et ennemies de toute discipline[7]. Aétius, furieux d’une résistance[8] qui compromettait le sort de l’empire attaqué à la fois au nord et au midi, prit le parti d’exterminer ce peuple. Il avait établi peu d’années auparavant une colonie d’Alains sur les bords de la Loire, pour tenir en respect les Bagaudes armoricains. Ce fut au chef de ces païens, nommé Eocaric, que le patrice romain confia la mission de châtier l’Armorique[9]. La confédération, attaquée à l’improviste, allait être infailliblement écrasée, lorsque Dieu lui suscita un défenseur dans saint Germain d’Auxerre. La Gaule ne possédait, à cette époque, aucun personnage plus digne de la vénération des peuples, ni plus illustre par ses talents et par son courage. Germain, descendant d’une famille sénatoriale, avait étudié la’ jurisprudence à Rome et plaidé avec un grand succès. Devenu à Auxerre, sa patrie, avec le titre de duc et de commandant des troupes que la révolte de l’Armorique obligeait d’entretenir dans cette province, il y vivait en grand propriétaire gaulois, ne s’occupant guère que de chasse ; quand son service militaire ne l’appelait pas aux armées. Mais Dieu réservait cet homme à de plus hautes destinées. Un jour qu’il entrait, armé de toutes pièces, dans. la basilique d’Auxerre, Amator, évêque de cette ville, vint à lui, et, lui ayant fait déposer ses armes, il le conduisit au milieu de son clergé et le proclama : son successeur.

Après la mort d’Amator, Germain, malgré sa résistance, fût, en effet, élevé à l’épiscopat. A partir de ce jour, le nouvel évêque donna l’exemple des plus sublimes vertus. Il ne vivait que de pain d’orge, pétri, de ses propres mains, couchait sur la cendre, ne buvait jamais de vin. Un cilice, une grossière tunique avaient remplacé le brillant costume du commandant impérial. Sa femme n’était plus, que sa sœur, son patrimoine appartenait aux pauvres. Tel était l’homme dont les Armoricains réclamèrent l’intervention i pour arrêter les ravages des Barbares. Germain revenait de la Grande-Bretagne, où il avait fait un second voyage avec Sévère, évêque de Trèves, dans le but de confondre, encore une fois, le pélagianisme qui relevait la tête, lorsque les députés de l’Armorique le rencontrèrent. Malgré toutes les fatigues qu’il venait d’éprouver, le saint vieillard n’hésita pas à se mettre en marche pour aller trouver le roi des Alains. Devant ce peuple si belliqueux, s’écrie un biographe, devant ce roi ministre des idoles, se présente un vieillard, seul, mais plus fort et plus puissant qu’eux tous par le divin secours du Christ. Il emploie d’abord les supplications à l’aide d’un » interprète ; mais, voyant que Eocaric refuse de l’écouter, il lui adresse de vifs reproches, saisit d’une main la bride de son cheval, et arrête, dans ce lieu même, l’armée entière avec le chef[10].

Etonné de cette hardiesse, plein d’admiration pour le prélat dont la vue seule lui imprimait le respect, le chef barbare consentit à retourner sur ses pas et à laisser en paix les Armoricains, jusqu’à ce que l’empereur eût prononcé sur leur sort. Qui pourrait s’étonner, après de semblables traits, que les peuples portassent uniquement leur confiance sur les évêques ? A qui donc, au milieu de tant de, misères privées et publiques ; les opprimés pouvaient-ils recourir, sinon à ces hommes de foi inébranlable, qui ne sortaient de, leur soli. .rude cénobitique que pour se dévouer au salut de leurs fières, et dont les vertus exerçaient tant d’empire sur les Barbares eux-mêmes ? Il faut le reconnaître, les hommes et les choses de ce temps devaient paraître bien misérables, en comparaison .de l’Église et de l’épiscopat !

Cependant, pour accomplir jusqu’au bout sa mission, S. Germain s’était rendu en Italie ; et là, il avait arraché à l’empereur le pardon des rebelles. Maison apprit bientôt que les Armoricains avaient pris de nouveau les armes. Ce qui arriva de cette nouvelle insurrection, l’histoire ne le dit pas ; mais, comme il n’est. plus fait mention, dans la suite, des Alains d’Eocaric, il est à croire qu’ils furent chassés ou exterminés : par les troupes confédérées. L’invasion des Gaules, par Attila, rie permit pas au patrice Aétius de tirer vengeance de tant d’insultes. Le roi des Huns, après avoir passé le Rhin et saccagé les principales villes des Gaules, s’était mis en marche vers la Loire. A cette nouvelle, Aétius, avec une incroyable célérité, traverse les Alpes, court à Arles, entraîne Théodoric, et parvient à rallier contre l’ennemi commun toutes les petites nations qui, dès cette époque, avaient, en quelque sorte, pris possession des Gaules[11]. Francs, Sarmates, Armoricains, Létiens, Burgondes, Saxons, Ripuaires, Ibrions, combattirent aux plaines catalauniques contre le fléau de Dieu[12]. La composition seule de cette étrange armée peut donner une idée exacte de l’état de l’empire romain à cette époque. Ce nom n’était plus qu’un vain simulacre. La puissance était tout entière aux mains de ceux dont l’épée venait de vaincre les hordes d’Attila.

Cependant, tandis que ces événements se passaient dans les Gaules, la Grande-Bretagne était envahie de tous côté. Trahis par les Saxons dont ils avaient imploré l’assistance contre les Pictes et les Scots, les insulaires se virent réduits à chercher un asile, les uns dans les montagnes du Cornwall et de la Cambrie, les autres, au-delà des mers, chez les peuples de la pointe occidentale des Gaules, d’où leurs ancêtres étaient primitivement sortis[13]. Gildas, le seul historien national qui fasse mention de cet établissement des Bretons insulaires au milieu des landes de la péninsule armoricaine, ne nous a laissé aucun détail sur la manière dont s’accomplit cette transmigration, ni sur les conditions que durent imposer les anciens possesseurs du sol aux exilés qui venaient y implorer un refuge. Mais un moine du IXe siècle, dont les récits poétiques n’ont pas été dédaignés par la plus savante critique, nous a transmis sur cet événement quelques faits pleins d’intérêt. Ces faits, encore bien que la partialité de l’historien pour les Francs y perce à chaque ligne, nous paraissent d’autant plus précieux, qu’Ermoldus, ainsi qu’il nous l’apprend lui-même, avait fait, avec l’empereur Louis le Débonnaire, la campagne de 818, et pu recueillir, dans les monastères où il s’arrêtait, des traditions vivantes encore, pour ainsi dire, sur l’établissement des Bretons dans cette contrée. Or, voici, suivant le poète, comment les insulaires s’y établirent, à une époque dont il nous est impossible de préciser la date.

Traversant les mers sur de frêles barques, ce peuple, ennemi des Francs, était venu des extrémités du monde chercher un asile dans les Gaules. Pauvres et suppliants, ils furent jetés par les flots sur les rivages qu’occupaient alors les Gaulois ; et, comme l’huile sainte du baptême avait coulé sur leur front, on leur donna des terres, et ils purent même s’étendre dans le pays. Mais à peine avaient-ils obtenu de jouir des douceurs du repos, qu’ils allument des guerres meurtrières et présentent à leurs hôtes du fer pour tout tribut, le combat pour toute reconnaissance. Les Francs étaient alors occupés » dans des guerres plus importantes. Aussi, la conquête de ce pays fut-elle ajournée durant un si grand nombre d’années, que les Bretons, couvrant tout le pays, ne se contentèrent plus du territoire, où, pauvres et fugitifs, ils étaient  venus chercher un refuge[14].

Cette émigration, dont la date, si l’on en jugé d’après les paroles d’Ermoldus, devait coïncider avec celle de l’établissement des Saxons dans l’île de Bretagne[15], n’est pas la première dont l’histoire fasse mention. Dès le règne de Constantin le Grand, suivant Guillaume de Malmesbury, une colonie de Bretons insulaires se serait établie dans la péninsule armoricaine :

Constantin ayant été proclamé empereur (par les légions de la Bretagne), fit une expédition sur le continent où il emmena une troupe considérable de Bretons ; et comme,  grâce à l’appui de ces Bretons, la victoire couronna toutes les entreprises du prince et plaça promptement le pouvoir entre ses mains, il voulut reconnaître tant de services et de fatigues, en établissant les insulaires dans une certaine contrée des Gaules où leurs descendants, dont la population s’y est accrue d’une manière prodigieuse, se retrouvent encore aujourd’hui, ayant à peu près les mêmes mœurs et parlant presque la même langue que leurs ancêtres[16].

Ce passage, nous le savons, a été vivement attaqué naguères, et les reproches d’ignorance et d’ineptie n’ont pas été épargnés à l’historien anglais ; mais peut-être se fût-on un peu moins hâté de formuler un jugement empreint d’une telle sévérité, si l’on s’était rappelé que, suivant les historiens contemporains, l’armée avec laquelle Constantin battit Maxence était, en grande partie, composée de Bretons[17]. Or, est-il donc si incroyable qu’après sa victoire, Constantin, prince né et élevé dans file de Bretagne, ait concédé des terres à perpétuité aux soldats qui l’avaient accompagné ?

Quoi qu’il en soit, un fait paraît certain, c’est que, vers les dernières années du IVe siècle, le tyran Maxime abandonna une partie du territoire de l’Armorique[18] aux insulaires qui avaient combattu pour sa cause, et que ceux-ci ne revinrent jamais dans leur pays[19].

Peu d’années après cette colonisation, dit Guillaume de Malmesbury, un certain Constantin[20] (le Tyran), également séduit par le titre d’empereur, entraîna sur le continent le peu de soldats qui restaient dans l’île de Bretagne. Mais ces deux usurpateurs, jouets des caprices de la fortune, périrent de mort violente l’un sous le règne de Théodose, l’autre par ordre d’Honorius. Des troupes qui les avaient suivis, une partie fut taillée en pièces, une partie prit la fuite et se réfugia auprès des Bretons continentaux[21].

A ce qui précède, nous ajouterons que ceux des insulaires qui avaient franchi les Pyrénées avec les lieutenants de Maxime[22], ou, avec Gérontius, sous Constantin le Tyran, fondèrent en Espagne des établissements dont l’existence est encore attestée au VIIe siècle[23]. Nul doute que ces émigrés bretons n’aient été mêlés, durant tout le cinquième siècle, aux bandes de Bagaudes dont nous avons eu occasion de raconter les exploits, et que les cités de l’Armorique ne les aient comptés au nombre de leurs défenseurs. Et, en effet, l’histoire nous montre Riothime, chef ou conan des Britones placés sur la Loire, remontant ce fleuve à la tête de douze mille hommes, pour combattre Euric et ses Wisigoths, ennemis tout à la fois de l’empereur Anthémius et des Armoricains orthodoxes[24]. Cette confédération, alors que l’empire tombait en ruines de tous côtés, soutint, par son indomptable énergie, la gloire du nom romain, éclipsée depuis la mort de Majorien. L’ensemble admirable avec lequel les villes les plus éloignées du centre de la république concouraient aux actes qui intéressaient l’union fédérale tout entière, indique suffisamment en quelles mains reposaient alors le pouvoir. Chefs temporels et, en même temps, directeurs spirituels de leurs cités, les évêques des provinces armoricaines y exerçaient une sorte de royauté. De là, en grande partie, le succès d’une double lutte de près d’un siècle contre les Romains et contre les Barbares : succès qui valut à l’Armorique, restée indépendante, la glorieuse capitulation dont un historien du VIe siècle nous a conservé le souvenir ; et à laquelle Clovis, converti à la foi catholique, dut la possession du plus beau royaume qui soit au monde[25].

Les Visigoths ayant envahi le territoire de l’empire romain, dit Procope, s’étaient rendus maîtres de toute l’Espagne et de celles des provinces des Gaules qui sont situées au-delà du Rhône. A cette époque, les Romains avaient pour auxiliaires les nations armoricaines qui confinaient avec les Francs. Ces derniers, espérant qu’il leur serait facile, à la faveur des changements politiques qui avaient eu lieu chez leurs voisins, d’imposer à ces peuples le joug de leur domination, exercèrent d’abord des ravages dans l’Armorique ; mais ils durent bientôt y faire la guerre dans toutes les formes. Pendant toute sa durée, les nations armoricaines firent preuve d’un grand courage et se montrèrent alliés fidèles des Romains. Enfin, les Francs, ne pouvant rien obtenir par la force, offrirent leur alliance aux Armoricains, en leur proposant de la cimenter par la réunion des deux peuples en un seul : ce qui fut accepté, attendu que les uns et les autres professaient la religion chrétienne. Cette fusion accrut beaucoup la puissance de ces nations. Quant aux troupes romaines qui tenaient, garnison aux extrémités des Gaules, ne voyant aucune voie pour retourner à Rome, et ne voulant pas se retirer chez les Ariens, leurs ennemis, elles remirent sans résistance, aux Francs et aux Armoricains, leurs étendards et les territoires qu’elles étaient chargées de garder[26].

Ainsi donc, l’alliance des Francs., des Armoricains et des romains catholiques releva l’empire des Gaules au profit d’un petit chef de bandes germaniques. Ici, devrait se terminer l’histoire des peuples gallo-armoricains. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’à une époque très reculée, des colonies sorties de l’Armorique allèrent peupler les rivages opposés de l’île de Bretagne, et que l’histoire de ces tribus émigrées se lie intimement à celle de la péninsule gauloise où l’épée des conquérants saxons, comme on l’a vu plus haut, força les insulaires à venir chercher un asile. Notre tâche serait donc incomplète si, avant de dérouler les annales des Bretons continentaux, nous ne jetions un coup d’œil rapide sur les révolutions dont la Grande-Bretagne fut le théâtre, et sur les institutions qui y régnèrent jadis : institutions d’autant plus intéressantes à étudier, qu’elles différaient peu des coutumes de la métropole, et que nous les retrouvons, à peine altérées, clans l’un des plus anciens et des plus précieux manuscrits que nous possédions sur l’histoire de la Bretagne armoricaine[27].

 

 

 



[1] Rut. Itin, édit. Barthii., p. 11. — Exuperantius, anno circiter 416, Armoricos qui a Romanis defecerant, ad officium reducere tentavit. (D. Bouquet, Rec. des hist. de Fr., T. I, p. 629.)

[2] Dubos, Histoire de l’établissement de la monarchie française, T. I, L. II, c. 5, p. 367, éd. in-12.

[3] Sidoine Apollinaire, carm. VII, v. 246 et sqq.

[4] Chron. Prosper.

[5] Erric. in vit. Germ.

[6] Sidoine Apollinaire, car. 5, paneg.

[7] Err., Vit. sancti. Germ. L. V, ap. Vales., not. Gall., p. 43.

[8] Offensus emin superba insolentia regionis pro rebellionis præsumptione. (Const. in Vit. Sancti Germ.)

[9] Const. in Vit. S. Germ., L. II, c. 50. — Le moine Erricus, qui a mis en vers le récit de Constantius, s’exprime ainsi :

Magna salus patriæ, nomen fuit Aetius illi ;

Pertæsus tumidæ mores et crimina gentis,

Vastandam rigidis tamen permisit Alanis.

Rexerat his Eochar quovis crudelior urso, etc.

[10] Constant, in Vit. S. Germ., L. II, c. 5. — Pagi ad Baron, ann. 435.

[11] Sid. Apollinaire, Carm., v. 328 et sqq. Jornandès, de rebus Get., c. 30. — Grégoire de Tours, L. II, c. 7.

[12] A parte vero Romanorum tanta patricii Aetii providentia fuit, ut, undique bellantibus congregatis, adversus ferocem et indisciplinatam multitudinem non impar occurreret. His enim adfuere auxiliatores Franci, Sarmatæ, Armoricani, etc. (Jornandès, de Reb. Get., c. 50. )

[13] Voir plus haut, c. 2.

[14] Ermoldi Nigelli Carm., de Vit. Lud. pii., Cant. III, vers. 9 et sqq.

[15] On lit dans le fragment d’Histoire de France publié par Pithou, à l’année 917 : Juxta Normannos habitationem habent britanui qui pulsi à Britannica insula dudum à Saxonibus, eamdem regionem quam modo incolunt, sibi vindicantes, appellavere a sua gente Britanniam  quæ prius Cornu-Galliæ dicebatur.

[16] Constantinus (Magnus) ab exercitu imperator consalutatus, expeditione in superiores terras indicta, magnam manum Britannorum militum abduxit ; per quorum industriam, triumphis ad vota fluentibus, brevi rerum potitus, emeritos et laboribus funetos, in quadam parte Gallia, ad occidentem, super littus Oceani locavit ; ubi hodieque posteri eorum manentes, immane quantum coaluere ; moribus linguaque non nihil a nostris Britonibus degeneres.

[17] Vid. Zozime, Hist., L. II, c. 15, et incert. pan., c. 2, 3, 25. — Les assertions de l’écrivain auquel nous avons fait tout à l’heure allusion, nous offrent un exemple frappant des incroyables erreurs où peuvent être entraînés les meilleurs esprits, lorsqu’ils cèdent à cette manie de dénigrement sceptique presque générale au XVIIIe siècle, et que Fréret crut devoir foudroyer au sein même de l’académie des inscriptions. (Voir aux pièces justificatives une dissertation complète sur la colonisation de la Bretagne armoricaine.)

[18] Histoire du Bas-Empire, T. IV, p. 139-140, éd. Saint-Martin. Lebeau ayant prétendu que la colonisation de l’Armorique, par les Bretons insulaires, ne remontait qu’à l’invasion saxonne dans la Grande-Bretagne, M. de Saint-Martin, dont la science en histoire n’était pas moins vaste qu’en philologie, plaça la note suivante au bas de la page qui renfermait les assertions ci-dessus indiquées.

L’histoire nous fait connaître comment les Bretons furent confinés peu à peu dans les montagnes du pays de Galles, et comment un grand nombre d’entre eux furent obligés d’abandonner leur patrie, chassés par diverses nations saxonnes. C’est alors qu’ils passèrent la mer pour s’établir dans la partie la plus occidentale de la Gaule, à laquelle ils donnèrent le nom de Petite-Bretagne, afin de la distinguer de leur ancienne patrie. Ils y trouvèrent d’autres compatriotes qui y étaient déjà venus pour diverses causes, soit comme fugitifs, soit comme conquérants, ou bien encore comme stipendiés des Romains, qui leur avaient à ce titre concédé quelques territoires. Il n’existe, il est vrai, aucun témoignage contemporain qui atteste clairement ces premières transmigrations ; mais elles sont relatées dans tous les auteurs du moyen-âge ; et on voit par les écrits de Gildas, de Bède, de Nennius et de quelques autres écrivains, que c’était une opinion reçue dès le VIe siècle, c’est-à-dire, moins de deux cents ans après l’époque dont il s’agit.

.... On est certain, par l’autorité de Sidoine Apollinaire, que les Bretons étaient déjà puissants à la fin du Ve siècle, sur les bords de la Loire. Les auteurs ecclésiastiques et les légendaires, qui écrivaient avant le XIe siècle, fournissent, sur les Bretons, des détails très circonstanciés. Il est impossible de croire qu’ils sont tous controuvés.... On sait d’ailleurs que vers la fin de leur empire, les Romains étaient dans l’usage d’abandonner des territoires aux Barbares cantonnés dans les provinces, pour les garder et les défendre.... Gildas et Bède disent tous les deux que les Bretons amenés par Maxime ne revinrent jamais dans leur patrie... Il me semble difficile de contester ou de révoquer en doute les conséquences qu’on est en droit de tirer de ces autorités, qui sont appuyées d’ailleurs par un passage très remarquable du code théodosien, dans lequel on voit que le tyran Maxime avait effectivement concédé des terres à perpétuité aux guerriers qui l’avaient accompagné. » (Voir aux pièces justificatives cette dissertation de M. de Saint-Martin, insérée in extenso.)

[19] ... Insula.... ad Gallias magna comitante satellitum caterva, Maximum imperatoriis insignibus, quæ nec decenter usquam gessit, non legitime, sed ritu tyrannico, initiatum mittit. Exin Britannia, omni armato milite, militaribusque copiis, rectoribus linquitur immanibus, ingenti juventute spoliata (quæ, comitata vestigiis supradicti tyranni, domum nusquam rediit), et omnis belli usus ignara penitus, duabus primum gentibus transmarinis vehementer sævis Scotorum a Circione, Pictorum ab aquilone, calcabilis, multos stupet gemitque per annos. (Bib. vet. patr., T. XII, p. 195, éd. Galland.)

[20] Constantinus ex infima militia, propter solam spem nominis sine merito virtutis eligitur. (Orose, L. VII, c. 40.) Procope dit, au contraire, qu’il avait une illustre origine, ούκ άφανή άνδρα, ce qui s’accorde avec l’opinion des bardes gallois qui prétendent que ce tyran était fils d’un certain Cynvor (ou grand comte). — V. Owen Cambrian biography.

[21] Succedentibus annis, Maximus, homo imperio aptus, si non contra fidem ad tyrannidem anbelasset, quasi ab exercitu impulsus, purpuram induit : statimque in Galliam transitum parans, ex provincia omnem pene militem abrasit. Constantinus quidam non mulio post ibidem, spe nominis imperator allectus, quidquid residuum erat militaris roboris exhausit. Sed alter a Theodosio, alter ab Honorio interfecti, rebus humanis ludibrio fuere. Copiarum quæ illos ad bella secutæ fuerant, pars occisa, pars post fugam ad superiores Britannos concessif. (W. Malmesb.)

[22] Gildas a dit, à propos de Maxime : ET UNAM ALARUM AD HISPANIAS, alteram ad Italiam extendens, et thronum iniquissimi imperii apud Treveros statuens, etc. (Gildas, loc. cit.)

[23] On lit dans la collection des conciles d’Espagne, par Loaisa, p. 138, 143, 154, à la date de l’an 569 : Ad sedem Britonum ecclesia ; quæ sunt intra Britones una cum monasterio MAXIMI et quæ in Asturiis suit XIII.

Au VIIe siècle, un décret de Wamba, roi des Goths, venait confirmer ce qui avait été précédemment établi :

Britonacenses teneat ecclesias quæ in vicino sunt intra Britones una cum monasterio MAXIMI usque in flumine Ove. (Loc. cit.)

Aucun historien contemporain n’a fait mention de l’établissement de ces Bretons en Espagne (et je ne sache pas qu’aucun écrivain moderne en ait parlé jusqu’ici). Mais en est-il moins incontestable que des colonies bretonnes aient existé, il y a treize siècles, de l’autre côté des Pyrénées ?

[24] Une lettre de Sidoine Apollinaire à Riothame nous apprend que ce prince habitait sur la Loire. Lebeau (Éd. de M. de Saint-Martin, T. VII. p. 38) et M. Fauriel ne doutent pas que ce Riothame ne fut un des chefs qui régnaient alors sur la Bretagne continentale. Jornandès, qui ignorait probablement que des Bretons se fussent établis dans les Gaules, les fait venir de la Grande-Bretagne. Une circonstance a dû surtout faire tomber l’historien dans l’erreur, c’est l’embarquement de cette petite armée. — On verra ailleurs qu’en 470, l’île de Bretagne, saccagée par les Barbares, bloquée, pour ainsi dire, par leurs vaisseaux, ne pouvait songer à secourir les empereurs dont elle n’avait cessé, au contraire, d’implorer l’assistance. Voici, au surplus, le texte même de Jornandès :

Rex Riothimus cum XII millibus veniens, in Biturigas civitatem, Oceano a navibus egressus, susceptus est.

(Jornandès, de reb. Get., c. 45.)

[25] Gibbon, malgré ses préventions anticatholiques, a été forcé de reconnaître la légitime influence des évêques au Ve siècle :

.... Les richesses et les droits de juridiction de ces prélats, leur caractère sacré, l’inamovibilité de leur office, leur éloquence et leurs assemblées provinciales, les rendaient toujours respectables, souvent dangereux. Le progrès de la piété augmenta leur influence, et on peut attribuer, en quelque façon, l’établissement de la monarchie française à l’alliance d’une centaine de prélats qui commandaient dans les villes révoltées ou indépendantes des Gaules.

(Gibbon, Hist. de la déc. De l’emp. rom., c. 38.)

Le même historien assimile, non sans quelque raison, la situation de Clovis et celle d’Henri IV, rois de France tous les deux grâce à leur conversion.

[26] Militarem operam Romanis tunc navabant Arborychi : quibus Germani, ut pote finitimis et a veteri reipublicæ forma digressis, cum legem ac jugum vellent imponere, primum prædati, deinde recto marte aggressi sunt, agente omnis belli prurigine. Generositatem et in Romanos benevolentiam testati Arborychi, rem in bello gessere fortiter. Nihil vi proficientes Germani, illos ad societatem et affinitates jungendas invitarunt : quibus Arborychi libenter assensi sunt, quod Christiani utrique essent. Eo pacto in unam coaliti gentem, potentissimi evaserunt. Alii vero romani milites, qui erant in extrema Gallia stationarii, cum nec Romani redire possent neque ad hostes arianos desciscere, se ipsi cum signis et regionem quam Romanis ante servabant, Arborychis ac Germanis permiserunt. — Ce passage étant très important, nous avons cru le devoir donner en latin, langue comprise par un plus grand nombre. L’on trouvera le texte grec dans dom Bouquet, Rec. des hist. de Fr., T. II, p. 30 et 31.

[27] Le comité des chartes et chroniques, près le ministère de l’instruction publique, a voté, dans sa séance du 9 Décembre dernier, la publication du cartulaire de Redon, que nous avions sollicitée. C’est, en partie, dans ce monument, que nous avons puisé les données principales de notre Histoire des peuples bretons, ouvrage qui suivra celui-ci.