HISTOIRE DES PEUPLES BRETONS

 

CHAPITRE VIII. — De l’état social de la Gaule depuis la conquête romaine jusqu’à la révolte de l’Armorique en 409.

 

 

S’IL FAUT en croire quelques historiens, la conquête, en Europe comme en Asie, avant l’invasion des barbares, au Ve siècle, n’aurait guère été qu’une sorte d’extermination qui portait en même temps sur les institutions et sur les hommes ; ou elle ne reconnaissait aux vaincus aucune garantie civile et politique, ou elle substituait aux anciennes formes les formes nouvelles de la cité victorieuse. Le premier système était, en général, celui des conquérants asiatiques ; l’autre peut être appelé la méthode romaine[1].

Or, existait-il réellement une méthode romaine à l’égard des peuples vaincus ; et peut-on induire, par exemple, de ce fait particulier que la ville d’Albe perdit, après sa défaite, ses lois, ses franchises, ses magistrats[2], que telle était la manière d’agir, le système des Romains envers toutes les nations qu’ils subjuguaient ?

Une pareille assertion serait en contradiction avec toutes les données de l’histoire.

Sans doute, pendant la première période de son existence, Rome traita avec rigueur les cités rivales qui lui disputaient la domination de l’Italie. La prudence lui imposait la nécessité d’anéantir la puissance de dangereux voisins dont les efforts réunis pouvaient entraîner sa ruine. Tout territoire conquis était donc occupé soit par des soldats, soit par des habitants choisis parmi la plèbe romaine et qui avait mission de fonder la nouvelle colonie.

Mais, dès que la ville de Romulus eut établi sa domination sur une base solide, elle changea aussitôt de politique[3]. Dès l’année 365 de la fondation de Rome, un sénatus-consulte ordonnait ut cum Cæretibus hospitium publice fieret[4]. Ce système prévalut complètement, et ne cessa d’être appliqué dans les siècles qui suivirent. Les divers peuples de l’Italie, en passant sous la domination romaine, conservaient d’ordinaire leurs franchises et leurs magistrats ; quoique la générosité de la république ne se montrât pas égale à l’égard de tous, comme on peut s’en convaincre dans Tite-Live[5].

Hors de l’Italie, la condition des pays conquis, l’histoire en fait foi, était aussi très diverse. Ici, en effet, l’on rencontre des coloniæ (latines ou romaines), des populi liberi, des civitates fœderatœ, et des provinciæ[6], dénominations qui indiquent clairement divers degrés de dépendance et des modes d’existence différents, sous la domination romaine.

Toutes les provinces, dit M. de Savigny, conservèrent, en grande partie, le régime antérieur à la conquête[7]. Telle était aussi l’opinion de Niebuhr ; et il se proposait d’éclaircir cette matière difficile et jusqu’ici presque entièrement négligée, lorsque la mort vint le surprendre[8]. Ce travail, que l’illustre historien de Rome voulait entreprendre pour tout l’empire, nous allons essayer, malgré notre insuffisance, de l’exécuter ici, en ce qui a rapport à la Gaule.

L’on n’a point oublié comment les Romains s’établirent dans la Narbonnaise, en l’année 635 de la fondation de Rome. Cette province domptée par l’es armes, notée par des trophées injurieux[9], muletée par la perte d’une partie de ses terres et de ses villes[10], se vit dépouiller de ses lois et de son indépendance[11]. Là les vainqueurs, qui voulaient se créer, en quelque sorte, une nouvelle Italie, se trouvaient toujours présents au milieu des vaincus et avaient sans cesse à leur disputer la richesse, la liberté et la terre[12]. La politique romaine s’y montra donc impitoyable. Il lui fallait, à tout : prix, une citadelle d’où elle pût observer les peuples soumis et les contenir dans le devoir[13].

A l’égard des autres nations gauloises, le système adopté plus tard par la république fut tout différent. En effet, Jules César répondant à un discours d’Arioviste qui revendiquait une partie des Gaules, s’exprime ainsi, dans ses Commentaires

Je ne puis admettre que cette contrée appartienne plutôt à Arioviste qu’aux Romains. Q. Fabius Maximus soumit jadis les Arvernes et les Rutènes ; et Rome, leur accordant un généreux pardon, ne les réduisit pas en province et n’en fit pas des tributaires. Or, si l’on s’en rapporte à la priorité du temps, elle est, pour le peuple romain, un juste titre à l’empire de la Gaule. D’un autre côté, si l’on s’en tient au décret du sénat, cette contrée doit être libre, puisqu’il a voulu que, vaincue, elle conservât ses lois[14].

A l’époque où César parlait ainsi, les événements accomplis depuis près d’un siècle imposaient, pour ainsi dire, aux Romains des ménagements plus grands encore que ceux qu’ils avaient gardés jusque-là envers les nations transalpines. La formidable invasion des Cimbres et des Teutons vaincus par Marius, à la porte même de l’Italie, avait révélé aux moins clairvoyants le danger qui menaçait la république. Ce fut pour le conjurer, s’il faut en croire César, que Rome entreprit la conquête des Gaules. Pour n’avoir pas à combattre les Germains en Italie, la prudence exigeait qu’on les rejetât de l’autre côté du Rhin[15]. Or, après avoir donné ce fleuve pour frontière à l’empire, quelle fut la conduite du dictateur à l’égard des Gaulois subjugués ? Nous avons déjà eu occasion de le dire ailleurs, la Gaule conquise dut à la politique ambitieuse du rival de Pompée d’être traitée avec fine bienveillance toute spéciale. Non seulement il n’ôta aux Gaulois ni leurs terres, ni leurs villes, ni les formes essentielles de leur gouvernement[16] ; mais encore, il leur ouvrit les rangs des légions et même les portes du sénat[17]. Lorsque Pompée s’efforçait d’entraîner l’Espagne entière clans son parti, il était indispensable que César ne négligeât rien pour enchaîner les Gaulois à sa fortune. A en juger d’après les Commentaires, la conquête romaine aurait coûté à la Gaule près d’un quart de sa population. Mais dès que ces provinces se furent soumises, peu d’années suffirent, nous l’avons vu[18], pour changer complètement ce triste état de chose. L’agriculture, le commerce, les arts y firent des progrès surprenants ; et les besoins de la consommation étant devenus plus considérables, dès le premier siècle de la conquête, la population des campagnes dut s’accroître rapidement pour y pourvoir, Et, en effet, dans les derniers temps du règne d’Auguste, le vide laissé par la guerre avait été comblé ; l’agriculture s’était enrichie des découvertes faites par les agronomes de l’Italie et de la Grèce, et la Gaule, qui commençait à trouver le fardeau de l’obéissance moins pesant[19], était citée comme l’une des provinces les plus fertiles et les plus florissantes de l’empire[20].

La politique du vainqueur d’Actium, à l’égard des Gaulois, fut pleine de modération et d’habileté. Les cent quinze cités de la Gaule conservèrent leur lien de confédération, et le jeune Drusus, en gagnant la faveur des principes du pays, réussit à en assurer la tranquillité[21]. On sait que, sous les successeurs de Tibère, ce ne fut plus sur l’Italie, mais sur les provinces, que s’appuya le gouvernement impérial. La puissance de ces princes ne résidait pas seulement, quoi qu’on eu ait pu dire, dans la fidélité de leurs armées. Ce qui faisait surtout leur force, c’était l’appui que leur prêtaient les chefs gaulois dont ils savaient à propos capter la bienveillance, et dont la fidélité garantissait celle des clans ruraux toujours dévoués à leurs patrons[22]. Ces patrons, auxquels était confié le commandement des troupes auxiliaires attachées à chaque légion, tenaient entre leurs mains le sort des empereurs. Vindex apprit le premier ce secret à la Gaule, en renversant Néron. A partir de ce jour, l’amour de l’indépendance se ralluma dams tous les cœurs, et les hommes riches et ambitieux qui, avant l’arrivée des Romains, s’emparaient ordinairement du pouvoir[23], recommencèrent à s’agiter. Les guerres sanglantes qui s’élevèrent, après la mort de Galba, entre Othon, Vitellius et Vespasien, vinrent ajouter encore à l’énergie de cette réaction nationale. Les députés des cités gauloises, comme aux temps de Vercingétorix, se réunirent pour délibérer sur la révolte ou sur la soumission ; et là, Valentin, l’ardent représentant des Trévires, l’orateur favori de la multitude, ne craignit pas d’invectiver contre la domination de Rome, qu’il peignit sous les couleurs les plus odieuses[24].

La Gaule, à la fin du premier siècle de l’ère chrétienne, avait donc conservé ses assemblées représentatives. Mais quelle était, depuis Auguste, l’autorité de ces  grands corps politiques ? Les documents nous manquent pour résoudre cette grave question. Toutefois, un fait qui se passa dans les Gaules, sous le règne de Titus, nous autorise à croire qu’aucune innovation n’avait eu lieu, à cette époque, dans l’ancienne constitution du pays. La Gaule lyonnaise avait pour lieutenant impérial le propréteur Paulinus dont l’administration avait excité des inimitiés. Les accusateurs de Paulinus ayant sollicité sa mise en accusation près de l’empereur Titus, S. Solemnis, député de la cité des Viducasses, interposa son veto, en déclarant que ceux qui l’avaient élu ne lui avaient donné aucun mandat d’accusation contre le gouverneur de la province lyonnaise, et que, bien loin de blâmer les actes de ce dernier, ils les approuvaient au contraire[25]. Ces paroles arrêtèrent la délibération ; d’où l’on peut inférer, comme le fait observer judicieusement un historien moderne[26], 1° que le contrôle des assemblées générales s’étendait à la gestion des plus hauts magistrats, et que les provinces avaient le droit de les accuser ; 2° que les mandats donnés par les cités à leurs représentants étaient impératifs ; 3° enfin, que le veto d’un membre avait le pouvoir de suspendre une délibération.

De pareils faits réfutent victorieusement les assertions contre lesquelles nous nous sommes élevé en commençant ce chapitre. Le discours adressé par Pétilius Cérialis aux Trévires vaincus, nous donne aussi la mesure des ménagements que home, depuis la conquête, n’avait cessé de garder à l’égard des peuples gaulois. Nulles menaces, en effet, nulles récriminations dans cette harangue. Bien loin de là ; toutes les susceptibilités nationales y sont, au contraire, respectées avec un art merveilleux. Est-ce par un sentiment de convoitise que les Romains ont envahi cette contrée ? Les Gaulois n’imploraient-ils pas le secours de Rome, pour échapper à la servitude ? Quelle a été, après tant de victoires remportées sur les Germains, la conduite des protecteurs de la Gaule ? Ont-ils asservi ses habitants ? Ces derniers ne commandent-ils pas les légions, ne gouvernent-ils pas les provinces, etc.

An surplus, cette magnifique leçon d’Histoire dont Tacite fait honneur au génie de Cérialis, les tyerns, ou principes gaulois, l’avaient, dès longtemps, mise en pratique. Bien que toujours frémissant sous le joug des maîtres étrangers, ils s’étaient laissés circonvenir par les flatteries des conquérants ; et ils restèrent, fidèles à la cause des princes dont les armées défendaient, leurs richesses contre l’avidité germaine[27], jusqu’au jour où ils purent se convaincre que l’empire leur empruntait toute sa force[28], et qu’ils pouvaient briser, sans danger pour le pays, le lien qui l’unissait à l’Italie.

Les révoltes qui éclatèrent sous le faible Gallien ne furent que le résultat de la scission opérée entre les princes des cités et les souverains italiens. Le génie d’Aurélien et les victoires de Probus arrêtèrent quelques instants les progrès de cette première dissolution de l’empire romain[29] ; mais tous les efforts des princes, leurs successeurs, furent impuissants pour restaurer ce vieil édifice qui s’écroulait de toutes parts. La tentative de Dioclétien, qui suivant M. Amédée Thierry, releva la Gaule de sa ruine[30], ne fit, au contraire, que précipiter la crise.

Les écrivains modernes, dans leurs jugements sur l’empire romain, nous paraissent, à de rares exceptions près, n’avoir guère consulté que les écrits des historiens, des poètes et des philosophes de l’époque la plus brillante de la république, où les insipides panégyriques des rhéteurs du IVe et du Ve siècles. Parce que les Gaules étaient l’une des plus riches provinces soumises à la domination impériale, et qu’elles renfermaient quelques grandes villes, des manufactures, des légions, une armée de fonctionnaires et de légistes, l’on s’est représenté l’état de ces provinces comme à peu près semblable à celui où nous les voyons aujourd’hui. De là tant d’hymnes historiques à la gloire d’un régime qui, lorsque les Goths prirent possession du midi, et les Francs du nord des Gaules, avait réduit ces deux contrées à un état de misère et de dégradation sans exemple. Et cependant, rien ne ressemblait moins à notre état social actuel, du moins au point de vue de l’ordre et de la prospérité matérielle, que la situation où se trouvait la Gaule à la chute de l’empire d’occident. M. de Sismondi, historien qu’il ne faut pas choisir pour guide lorsqu’il s’agit d’apprécier les actes des Souverains Pontifes, ou faction générale de l’Eglise sur la société du moyen âge, mais qui, mieux que tout autre peut-être, a su pénétrer au sein des institutions domestiques des peuples, a comparé l’état des provinces gauloises, au Ve siècle, à celui qu’offrent encore aujourd’hui certaines parties éloignées de l’empire russe. , dit-il, se rencontrent quelques familles de princes qui participent à la plus haute civilisation européenne, quelques villes qui connaissent tous les arts et tout le luxe de la France, tandis que les campagnes sont esclaves. De même, dans les Gaules, on trouvait quelques centaines de familles affiliées au sénat de Rome et dont le patrimoine couvrait des provinces entières ; on trouvait cent quinze cités, où le commerce et les arts avaient formé une sorte de bourgeoisie ; mais la terre, n’était cultivée que par des mains serviles, et la grande masse de la population ne participait pas plus aux progrès de l’art social, que si les Druides n’avaient jamais été chassés de leurs bois sacrés[31]. Ainsi donc, tels avaient été dans la Gaule romaine[32] les bienfaits de la civilisation les arts, le luxe, la corruption pour les classes élevées ; et, pour la masse des populations, la servitude et la misère. Le génie administratif de Dioclétien ne fit qu’ajouter à tant de désordres et de souffrances. Lactance a saisi, avec toute la clairvoyance que lui donnait sa haine pour le persécuteur des chrétiens, les désastreuses conséquences, de cette nouvelle politique.

En se donnant trois collègues, en divisant l’univers romain en quatre parts, Dioclétien multiplia les armées dans la même proportion, car chacun de ces nouveaux princes s’efforçait de rassembler beaucoup plus de soldats que n’en avaient leurs prédécesseurs, lorsque la république était gouvernée par un seul maître. Le nombre de ceux qui prenaient devint bientôt tellement supérieur au nombre de ceux qui payaient, que les colons, écrasés sous le poids des indictions, abandonnaient leurs terres et que les cultures se changeaient en forêts. Afin que la terreur s’étendit partout, les provinces furent aussi découpées en lambeaux, et une nuée de-m présides et d’officiers subalternes s’abattit sur chaque contrée et presque sur chaque ville. Ce ne furent partout que procureurs du fisc, que maîtres des finances, que vicaires des préfets : race d’hommes auxquels la justice était presque inconnue et qui ne savaient que condamner et proscrire[33].

Il n’est pas douteux, en effet, pour qui ne veut pas chercher dans le passé la justification des errements du présent, que ce système administratif et fiscal, adopté par tous les successeurs de Dioclétien, fut la cause principale de la chute de l’empire d’occident. Dès la fin du IIIe siècle, les agents du fisc, comme une nuée d’oiseaux de proie, dévoraient la substance des provinces ; et telle était leur avidité, que le désert s’étendait incessamment devant leurs pas. Rien de plus douloureux que le tableau que trace Lactance, de la misère des populations à cette époque : tableau reproduit mille fois, mais qu’il nous faut bien placer encore ici sous les yeux des lecteurs :

... Les censiteurs, se répandant dans chaque localité, bouleversaient tout. Vous eussiez dit une invasion  ennemie, une ville prise d’assaut..... Les champs étaient mesurés jusqu’à la dernière motte ; on comptait les pieds d’arbres et les ceps de vigne ; on inscrivait les bêtes ; on enregistrait les hommes. Dans l’enceinte des villes étaient agglomérées la population urbaine et celle des campagnes, tandis qu’au dehors se pressaient des troupeaux d’esclaves. Chaque propriétaire était là avec ses hommes libres et ses serfs. L’on n’entendait que le bruit des fouets et de la torture. Les fils étaient obligés de déposer contre leurs pères, les esclaves fidèles contre leurs maîtres, les femmes contre leurs maris. N’avait-on ni esclaves, ni proches ? l’on était torturé, afin qu’on déposât contre soi-même ; et quand, vaincu par la douleur, on répondait, les bourreaux écrivaient ce qu’on n’avait pas dit. Nulle excuse pour I’âge ou pour l’infirmité. On apportait les malades, les infirmes ; l’âge de chacun était estimé. A ceux-ci, l’on ajoutait des années, à d’autres, l’on en retranchait. Tout était plein de deuil et de consternation... Et encore n’accordait-on pas toute confiance à ces premiers opérateurs. Sans cesse, d’autres étaient envoyés, afin de découvrir plus de matière imposable, et les charges doublaient toujours. Non que ces derniers agents trouvassent quelque chose qui n’eût pas encore été imposé, mais parce que, pour ne pas paraître inutiles, les nouveaux envoyés ajoutaient toujours. Cependant les animaux diminuaient, les hommes mouraient et l’on n’en payait pas moins l’impôt pour les morts, de sorte qu’il était impossible désormais ni de vivre ni de mourir sans payer. Il n’y avait plus que les mendiants dont on ne pouvait plus rien exiger, parce que leur misère et leur dénuement les mettaient à l’abri de toute injure[34].

Ces horribles vexations jetèrent enfin dans le désespoir les colons et tous les petits cultivateurs dont l’état devenait chaque jour plus voisin de la servitude[35]. Armés des instruments de leur profession et poussés par une fureur aveugle, ils abandonnèrent leurs champs. Les laboureurs devinrent des fantassins, les pâtres montèrent à cheval. Ces bandes qui rappellent celles de Marricus et dont nous retrouverons plus tard l’indomptable énergie et le même sentiment national dans les vaillants compagnons de Waroch[36], de Morvan[37] et de Cadoudal, portèrent au loin le carnage et la dévastation. Les rebelles étaient commandés par Ælianus et par Amandus, chrétiens tous deux, s’il faut en croire une antique tradition[38], et qui n’avaient pas craint de revêtir la pourpre impériale. La discipline des légions de Maximien obtint une victoire facile[39] sur cette multitude confuse et mal armée ; mais la Bagaudie, vaincue à Saint-Maur-des-Fossés[40], ne fut pas étouffée. La révolte des provinces armoricaines ne fut, en effet, que le triomphe définitif de cette vieille insurrection nationale qui finit par gagner toutes les classes au Ve siècle, alors que les chefs de clans eux-mêmes ne trouvèrent plus que ce moyen désespéré pour échapper aux menaces de la torture ou à l’épée des barbares. Or, quel était l’état de l’Armorique, lorsque éclatèrent les derniers soulèvements, en 409 ? Avant de répondre à cette question, qu’il nous soit permis de revenir un instant sur nos pas.

La colonie de Narbo-Martius était à peine fondée, qu’on y vit affluer ces essaims d’émigrés volontaires qui, dans un but d’intérêt commercial ou dans l’espoir d’acquérir, à bas prix, de grandes propriétés chez les peuples vaincus, suivaient, pour ainsi parler, à la trace, les armées de la république[41]. On sait que quarante ans après la réduction de l’Asie, quatre-vingt mille Romains y furent massacrés par ordre de Mithridate[42]. Il n’est pas douteux, d’après cela, que la Narbonnaise, située à quelques journées de l’Italie, et dont le sol fertile devait tenter l’avidité des conquérants, n’ait été, de bonne heure, comme repeuplée par eux. Les terres qu’on y avaient confisquées, après la défaite des Cimbres et des Teutons, devinrent la propriété des principaux patriciens de Rome, qui, plus tard, les distribuaient à leurs créatures. L’histoire nous apprend qu’un Pompée possédait, dans la province, un parc de quarante milles de circuit. Un pareil état de chose ne devait pas tarder à porter, ses fruits. Les petits propriétaires, ne pouvant soutenir la concurrence contre les possesseurs de ces immenses domaines, vendirent leurs terres et descendirent dans la classe des simples colons qui, à leur tour, furent remplacés par des esclaves[43]. Avec les cultivateurs libres qui formaient, à proprement parler, le fond de la population gauloise, disparurent nécessairement les mœurs, la langue et les institutions nationales. Quant aux chefs de clans, initiés au luxe et aux jouissances de la vie romaine, la plupart avait déserté les campagnes pour suivre, dans les villes, les théâtres et les académies. On doit concevoir, d’après cela, que ces contrées aient pu, quelques siècles après la conquête, perdre jusqu’à la trace de leur état antérieur ; mais une pareille transformation s’était-elle étendue à toute la Gaule ? Nous ne le pensons pas. Nous croyons, au contraire, pouvoir démontrer qu’une distinction profonde, fondamentale, doit être établie, sons ce rapport, entre les provinces méridionales et celles du centre et du nord de la Gaule ; distinction qui s’est perpétuée, au surplus, dans l’ancienne division de la France, en pays de droit écrit et de droit coutumier[44]. Comme il n’entre pas dans notre plan de nous occuper ici des contrées étrangères à la confédération armoricaine ; nous devons nous borner à étudier l’état social de l’Armorique, depuis la conquête jusqu’à la révolte de 409. Et, tout d’abord, qu’il nous soit permis d’établir d’une manière précise les limites de cette contrée aux diverses époques de son histoire.

On sait que le mot armorique ou armor[45] était une appellation qui, lorsque César entra. dans les Gantés, s’étendait à toutes les contrées limitrophes de l’océan. Mais, à la suite des changements opérés dans l’administration des provinces par Dioclétien, le mot d’Armorique servit à désigner toutes les contrées placées sous le commandement de l’officier chargé de la défense des cotes de la Gaule. Nous lisons en effet, dans Eutrope, que Dioclétien donna à Carausius, qui se trouvait alors à Boulogne[46], la mission de  délivrer les mers des pirates saxons et francs[47] qui infestaient le littoral du tractus Armorique et Belgique. Suivant la notice des Gaules publiée vers la fin du IVe siècle[48], le tractus armoricanus s’étendait sur cinq provinces, savoir : la première et la seconde Aquitaine, la Sénonaise, la seconde et la troisième Lyonnaise[49]. Cette notice nous apprend, en outre, que le duc de l’arrondissement maritime avait, sous ses ordres, les tribuns de la cohorte primæ novæ armoricæ, qui séjournait à Guérande, en Bretagne.

Il peut sembler étrange, au premier abord, qu’un arrondissement maritime s’étende aussi loin, dans l’intérieur des terres, que Bourges ou Troyes. Mais le fait s’explique sans peine, lorsqu’on se souvient que l’intérêt de la défense du pays avait été l’unique origine des divisions militaires qui partageaient la Gaule. Telles étaient les limites de l’Armorique, lorsque éclata l’insurrection qui l’arracha au joug de la domination romaine. Or, jusqu’à quel point cette domination avait-elle pu réussir à implanter ses mœurs et ses institutions chez les peuples du tractus armoricanus ?

Telle est la question qu’il s’agit de résoudre, question d’histoire spéciale, sans doute, mais dont la solution jetterait de vives lumières sur quelques-uns des points les plus intéressants et les moins connus de nos annales.

L’Armorique, dit Procope, est un pays où l’on ne trouve que quelques bourgs habités par des pêcheurs[50]. Située, en effet, sous un ciel trop rigoureux pour des hommes habitués au beau climat de l’Italie, cette contrée dont le sol peu fertile devait d’ailleurs exciter médiocrement l’avarice romaine, dut rester étrangère, pour ainsi dire, au mouvement de la civilisation nouvelle. Là, point d’immenses domaines cultivés par des milliers d’esclaves ; point de grands centres où fleurissent les lettres et les arts. Là, le druidisme n’avait point succombé sous les décrets des empereurs[51], non plus que la langue et les coutumes des ancêtres[52].

Qu’on en juge, en effet, par la scène suivante, que nous empruntons à un poète comique, contemporain de Rutilius, et né comme lui sans doute, dans la province d’Aquitaine.

(QUEROLUS s’adressant au dieu LAR) : Si tu as quelque crédit, ô Lar familier ! fais en sorte que je sois tout à la fois homme privé et puissant.

(Le dieu LAR) : Quelle sorte de puissance désires-tu ?

(QUEROLUS) : Qu’il me soit permis de dépouiller ceux qui ne me doivent rien, de maltraiter les étrangers ; de maltraiter et aussi de spolier mes voisins.

(LAR) : Ha ! ha ! hé ! c’est le brigandage et non la puissance que tu ambitionnes. Cela étant, je ne sais, par Pollux, de quelle manière tu pourrais obtenir ce que tu désires. — M’y voilà pourtant. — Tes souhaits vont être accomplis : va vivre sur les bords de la Loire.

(QUEROLUS) : Hé bien ?

(LAR) : Là, les hommes sont gouvernés par le droit des gens. Là, point de chicanes. Là, les sentences capitales qui émanent du chêne sont écrites sur des ossements. Là aussi, les campagnards portent la parole et les particuliers prononcent des jugements : là, tout est permis ; et Patus y serait ton nom, si tu étais riche. C’est ainsi que s’exprime notre Grèce : Ô solitudes ! ô forêts ! qui peut vous dire libres ? — Je passe sous silence des choses bien plus graves encore ; mais ce que je t’ai appris doit te suffire quant à présent.

(QUEROLUS) : Je ne suis point riche, et n’ai poilu envie de faire l’expérience de cette coutume du chêne ; je ne veux pas de votre législation des forêts[53].

Or, plusieurs conséquences du plus haut intérêt nous paraissent ressortir de ce précieux, document :

La première c’est que, dans les contrées voisines de la Loire, c’est-à-dire, dans l’Armorique, la domination romaine n’existait plus à l’époque où écrivait le poète ; la seconde, que les usages antérieurs à la conquête, le régime des clans ruraux, le jugement des accusés par leurs pairs, les sentences capitales rendues par les Druides, en un mot, tout le droit coutumier de la Gaule, n’avaient point péri avec son indépendance politique.

Avant l’arrivée des Romains, les nations gauloises possédaient un droit civil, des usages consacrés par une longue expérience[54]. Or, il n’est pas si facile qu’on le suppose vulgairement de changer tout à coup les usages d’un peuple, surtout lorsque ce peuple ne parle point la langue et ne professe pas la religion de ses conquérants. Le succès de pareilles entreprises n’est jamais certain. Aussi, n’est-ce point de la sorte que procéda le génie colonisateur des Romains. Ambitieux d’étendre au loin leur domination politique, ils savaient respecter à propos les mœurs et les institutions domestiques des peuples. C’est ainsi que la Gaule découpée, au temps de Jules César, en une foule de petites sociétés rurales que gouvernaient des chefs de clans ou patrons, (véritables seigneurs de fiefs[55]), conserva son antique hiérarchie sociale[56]. Les premiers empereurs, on le conçoit, devaient nécessairement respecter le système de vasselage territorial en vigueur chez les Gaulois[57] ; car, en le renversant, ils eussent anéanti, d’un seul coup, l’existence de l’aristocratie puissante dont ils avaient tant d’intérêt à capter la bienveillance. Plus tard, dans certaines contrées, cet ordre de chose subit sans doute de profondes modifications[58]. Mais l’usage de se recommander à quelque patron puissant était tellement dans les mœurs de toutes les petites nations que Rome avait enserrées dans sa forte unité, que, dans les provinces même les plus romanisées, l’histoire nous montre des villages, des bourgs, des villes entières, se séparant de l’empire, dès la fin du troisième siècle, pour se placer sous la tutelle d’un patron[59]. Le patrocinium dont il est fait si souvent mention dans le code Théodosien, ne fut qu’un retour pur et simple à un état de chose qu’on retrouve, nous le répétons, à une certaine époque de l’histoire, dans toutes les contrées où n’existait pas de pouvoir central fortement organisé[60]. Dans la Gaule et dans l’île de Bretagne où semblent avoir régné ; plus développées que partout ailleurs, des institutions que nous avons coutume de rapporter au système féodal[61], les révoltes furent à la fois plus fréquentes et plus générales[62]. L’épithète de saint Jérôme, fertilis provincia tyrannorum, appliquée à l’une de ces contrées, et que l’autre pouvait assurément revendiquer, nous peint au vif l’état de ces deux contrées. Là, les tierns (ou tyrans) exerçaient encore sur leurs vassaux une domination presque souveraine. Leurs demeures étaient de véritables forteresses où se réfugiaient, dans les moments de danger, les petits cultivateurs groupés autour du manoir, avec leur famille et leurs bestiaux. Quelques-uns de ces châteaux (cum muris et partis) existaient encore dans la deuxième Narbonnaise elle-même, au commencement du Ve siècle, et une inscription recueillie par le P. Sirmond nous apprend qu’ils devaient aussi servir de refuge, en temps de guerre, aux habitants d’alentour (tuitioni omnium)[63]. Ces chefs de clans n’éprouvèrent donc aucune difficulté à rétablir l’ancien régime celtique, en 409. Les magistrats impériaux expulsés des villes et des colonies où régnaient les lois romaines, tout devait, en effet, rentrer dans l’ordre antérieur à la conquête. Le récit de Zozime appuie, en effet, cette assertion.

Comme la plus grande partie des troupes de Constantin étaient alors[64] employées en Espagne, il arriva que les barbares d’outre-Rhin envahirent à leur gré les provinces, et forcèrent les habitants de l’île de Bretagne et certaines nations celtiques à se séparer de l’empire romain, à secouer le joug de ses lois et à vivre selon leurs mœurs. Les Bretons, en effet, prirent les armes, et, voyant qu’il y allait de leur salut, ils parvinrent à mettre leurs villes (πόλεις) à l’abri des insultes de ces barbares. A l’exemple de la Bretagne, toute l’Armorique et les autres cités gauloises proclamèrent leur indépendance ; et, après avoir expulsé les magistrats romains, se constituèrent en une sorte d’état libre[65].

Ainsi donc ce fut, là une révolution purement politique. Quant à l’ancienne organisation rurale, il n’y fut rien changé, car elle était restée intacte dans la plus grande partie des Gaules[66]. Ce fait admis (et toute la suite de ce livre en fera ressortir l’évidence), l’un des problèmes les plus obscurs de l’histoire se trouve éclairci : nous voulons parler de l’origine du colonat.

On sait que cette question, sur laquelle on ne peut invoquer l’autorité des jurisconsultes classiques, puisqu’ils ne connaissaient que des hommes libres et des esclaves, a été résolue de diverses manières par les historiens modernes. Les uns y ont vu une transformation de l’esclavage qui, pour éviter une dépopulation incessante, aurait attaché l’esclave au sol[67] ; d’autres, des transplantations de barbares sur les terres désertes : transplantations fréquentes dans les derniers temps de l’empire, et qui augmentèrent considérablement le nombre des colons, si même elles ne furent pas la seule cause et la seule origine de cette condition[68].

Après M. de Savigny qui, dans ses savantes recherches sur le colonat romain[69], s’est à peu près borné à nous communiquer ses conjectures, M. Guizot s’est demandé, à son tour, s’il n’était pas possible d’arriver sur ce point à une solution précise et vraiment historique[70]. Or, suivant l’illustre historien, il y aurait trois manières différentes d’expliquer, au sein d’une société, la réduction de la population agricole à cet état de quasi-servitude.

1° Ou cet état a été le résultat de la conquête, et alors la population agricole vaincue et dépouillée a été fixée au sol qu’elle cultivait, contrainte d’en partager les produits avec les vainqueurs ;

2° Ou la population agricole a perdu peu à peu sa liberté par l’empire croissant d’une organisation sociale fort aristocratique et qui a concentré de plus en plus aux mains des grands la propriété et le pouvoir ;

3° Ou bien enfin, l’existence, d’une telle classe c’est-à-dire, l’existence des colons est un fait ancien un débris d’une organisation sociale, primitive, naturelle, que n’avaient enfantée ni la conquête, ni une oppression savante, et qui s’est maintenue, en cela du moins, à travers les destinées diverses du territoire.

Cette dernière explication, ajoute M. Guizot, me paraît plus probable, je dirai même, la seule probable.

A nos yeux, cette opinion ne fait pas l’objet d’un doute. Assurément, nous ne contestons pas que des transplantations fréquentes de barbares sur les terres désertes, de l’empire, aux derniers jours de sa décadence, n’aient considérablement augmenté le nombre des colons : les textes sont formels à cet égard[71] ; mais nous ne saurions admettre que ces transplantations aient été la seule origine du colonat. Tout ce que César nous rapporte de l’organisation de la plèbe chez les Gaulois ; tous les rapprochements que nous avons pu faire entre les coutumes de ce peuple et celles des tribus primitives de la Grèce, de l’Italie et de file de Bretagne, ont confirmé à nos yeux la conjecture de M. Guizot. Le colonat est donc, dans notre opinion, un fait ancien, un débris d’organisation sociale propre à toutes les petites nations divisées en clans ou en tribus.

Plusieurs siècles avant l’invasion des barbares, la classe des colons avait été détruite, en partie, dans certaines contrées de l’empire et remplacée par des esclaves[72] ; mais l’Armorique, nous croyons l’avoir démontré, échappa à cette calamité. M. de Sismondi n’a point hésité à admettre ce fait comme avéré, encore bien que la plupart des preuves qui militent en sa faveur lui fussent inconnues[73]. Parmi ces preuves, il en est une que nous ne voulons pas passer sous silence, au risque de fatiguer la patience de nos lecteurs. Berroyer et Laurière[74] remarquent qu’il y a des coutumes où il semble que les communes n’aient jamais été connues comme dans celles de l’Anjou et du Maine[75]. , ajoutent-ils, les servitudes furent peu en usage ; et, ce qui pourrait autoriser ce qu’on avance ici, c’est qu’on remarque que les Angevins, ayant pris pour coutume les établissements de Saint- Louis,  ont eu le soin d’en retrancher tout ce qui regardait les servitudes de corps.

Or, quelle peut être la cause de cette différence entre les usages des trois provinces d’Anjou, du Maine et de Bretagne (car cette dernière était dans le même cas), et ceux des contrées qui les avoisinent ? Les deux jurisconsultes que nous venons de citer expliquent cette anomalie de la manière suivante : Ces pays ayant passé entre les mains des seigneurs étrangers, comme étaient les rois d’Angleterre et les ducs de Guyenne, ces princes n’avaient garde de réduire dans une servitude universelle des sujets qui étaient en un pays éloigné d’eux..., dans la crainte qu’ils ne se jetassent sous la protection du roi de France[76].

Mais cette hypothèse ne supporte pas l’examen de la critique. Il est infiniment plus croyable que, si ces trois provinces réussirent à échapper au dur régime qui pesait sur le reste des Gaules, c’est qu’elles faisaient partie de cette confédération armoricaine où régnait le droit des nations et où les campagnards eux-mêmes étaient comptés pour quel que chose dans la cité.

Arrêtons-nous ici. — De tout ce qui précède, il résulte :

1° Que la Gaule, après la conquête romaine, conserva la plupart de ses institutions, et que, encore bien que, dans les derniers temps de l’empire, l’administration civile, comme l’administration municipale, fût devenue complètement romaine, les coutumes nationales ne cessèrent d’être en vigueur et de régler tous les rapports qui existaient entre les chefs de clans et leurs vassaux ;

2° Que, dans l’Armorique, où le druidisme était encore plein de vie, les mœurs romaines ne purent se propager comme dans les contrées gauloises voisines de l’Italie ; ce qui explique l’état de révolte permanente où vécurent les Armoricains ; à partir spécialement du règne de Dioclétien, jusqu’à la grande insurrection de 409 ;

3° Que l’Armorique, avant réussi à défendre son indépendance contre les armées impériales et contre les Barbares, avait seule conservé, lorsque l’empire s’écroula, ces mœurs féodales que Montesquieu et les jurisconsultes de son école font dériver exclusivement des anciens usages de la Germanie : — fait capital que la sagacité de M. Naudet avait entrevu[77] ; et qui nous donne la solution, si vainement cherchée par tant d’historiens, de l’un des problèmes les plus intéressants de notre histoire, savoir pourquoi la féodalité eut pour berceau le centre plutôt que le midi ou le nord de la Gaule[78] ?

Il nous reste maintenant à examiner quel fut le sort de l’Armorique depuis le jour de son affranchissement jusqu’au célèbre traité qui livra aux Francs orthodoxes cette belle monarchie des Gaules convoitée vainement, depuis tant d’années, par les Barbares ariens.

 

 

 



[1] Le Huërou, Instit. mérovingiennes, c. 10, p. 199.

[2] Voyez Histoire de la propriété en Occident, par E. Laboulaye. T. I, p. 94. — Tite-Live, I, 38.

[3] Essai sur l’histoire de France, par M. Guizot, premier Essai.

[4] Tite-Live, L. V, c. 4. Cum Cæretibus hospitium publice fieret, quod sacra populi romani et sacerdoces recepissent, etc.

[5] Lanuvinis civitas data sacraque sua reddita cum eo... Aricini Nomentanique et Pedani eodem jure, quo Lanuvini, incivitatem accepti... In Veliternos, veteres cives romanos, quod toties rebellassent, graviter sævitum... Tiburtes Prænestinique agro maltati. (Tite-Live, L. VIII, c. 24.)

[6] A Scaldi incolunt... Nervii liberi... Suessiones liberi... Lingoties fæderati, Helvetii, Coloniæ. (Pline, IV, 17.)

[7] Hist. du droit romain au Moyen-âge, T. I, c. 2, §. 7.

[8] Hist. du droit romain au Moyen-âge. T. I, c. 2, § 7, note A.

[9] Cicéron, orat. pro Fonteio : Modo bello domiti, modo triumphis ac monumentis notati...

Ces trophées furent élevés à la gloire de Pompée, vers la frontière d’Espagne.

[10] ... Modo ab senatu agris urbibusque mulctati sunt. (Cicéron, pro Fonteio.)

[11] Respicite finitimam Galliam quæ in provinciam redacta, jure et legibus commutatis... perpetua premitur servitute. (Cæsar, de Bell. Gall., L. VII, 67.)

[12] Les peuples asservis ou exterminés dans l’antiquité, l’ont été presque toujours par des conquérants qui cherchaient une patrie et s’établissaient sur le sol conquis. Après la guerre, les Romains rentraient dans Rome. L’asservissement et l’extermination ne se font ni tout d’un coup, ni de loin. Il faut que les vainqueurs, toujours présents au milieu des vaincus, aient sans cesse à leur disputer la richesse, la liberté et la terre. (Guizot, Essai, p. 6.)

Observations pleines de justesse.

[13] Cicéron, pro Fonteio.

[14] Cæsar, de Bell. Gall., L. I, c. 45.

[15] Paulatim autem Germanos consuescere Rhenum transire, et in Galliam magnam eorum multitudinem venire, populo romano periculosum videbat ; neque sibi homines feros ac barbaros temperaturos existimabat, quin, cum omnem Galliam occupassent, ut ante Cimbri Teutonique fecissent, in provinciam exirent, atque inde Italiam contenderent. (Cæsar, Bell. Gall., L. I, 33.)

[16] Nous en trouvons la preuve dans César : Erant apud Cæsarem, ex equitum numero, Allobroges duo fratres... His domi ob has causas amplissimos magistratus mandaverat (Cæsar), atque eos extra ordinem in senatum legendos curavevat (Cæsar, Bell. civ., III, 59.) Ainsi, il fallait tout le crédit de César pour faire entrer ces deux princes allobroges dans le sénat de leur cité : extra ordinen. L’ancienne organisation politique n’y avait donc point été bouleversée.

[17] V. plus haut, ch. VI.

[18] V. plus haut, c. VII.

[19] Hirtius, L. VIII, c. 49. Itaque, honorifice civitates appellando, principes maximis præmiis alliciendo... defessam tot adversis præliis Galliam, conditione parendi meliore, facite in pace continuit.

[20] Pline, Hist. nat., L. XIV, 2, 3, 6, 9 et sqq.

[21] Drusus... Gallorum primoribus... convocatis, motum subditorum præoccupavit. (Diodore, L. LIV.)

[22] Voir plus haut, c. 5.

[23] ... In Gallia a potentioribus atque his qui ad conducendos homines facultates habebant, vulgo regna occupabantur, qui minus facilem eam rem in imperio nostro consequi poterant. (Cæsar, Bell. Gall., L. II, c. 1.)

[24] ... Galliarum civitates in Remos convenere. Treverorum legatio iliic operiebatur, acerrimo instinctore belli Tullio Valentino. Is, meditata oratione, cuncta magnis imperiis objectari solita, contameliasque et invidiam in populum romanum effudit, turbidus miscendis seditionibus et plerisque gratus vecordi facundia. (Tacite, Hist., IV, 68.)

[25] Solemnis iste meus proposito eorum restitit, provocatione scilicet interjecta, quod patria ejus, cum inter cæteros legatum eum creasset, nibil de accusatione mandasset, immo contra laudasset. (Marm., Laud. V. abbé Lebœuf, Mém. acad. des Inscrip., T. XXXII.)

[26] V. l’Histoire de la Gaule sous la domination romaine, par M. Amédée Thierry. T. II, p. 115.

[27] Tacite, IV, 73. Eadem semper causa Germanis transcendendi in Gallias : libido arque avaritia, et mutandæ sedis amor ; ut, relictis paludibus et solitudinibus suis, fecundissimum hoc solum vosque ipsos possiderent.

[28] Tacite, Ann., III. Nihil validum inexercitibus nisi quod externum.

[29] M. Le Huërou, dans les quelques mots qu’il a jetés, en passant, sur le règne des trente tyrans, a parfaitement saisi le caractère de ces insurrections : Le règne de ces princes, dit-il, ne fut autre chose qu’un premier démembrement de l’empire. (Institutions mérovingiennes, p. 110.)        

[30] Histoire de la Gaule sous la domination romaine, T. II, p. 484.

[31] De Sismondi, Hist. de France, T. I, p. 48-49.

[32] Nous appellerons ainsi les contrées de la Gaule désignées au Ve siècle sous le titré des sept provinces.

[33] Lactance, De Morib. pers., VII, apud Baluz.

[34] Lactance, De Morib. persec., 23.

[35] Omnia pene Galliarum servitia in Bagaudiam conspiravere. (Prosper Aquit, in chr.)

[36] Comte de Vannes, l’un des libérateurs de la Bretagne armoricaine, au VIe siècle.

[37] Comte de Léon et roi suprême de la Bretagne, sous Louis le Débonnaire.

[38] Vita sancti Baboleni.

[39] Levibus prætiis domuit. (Eutrope, IX, 20.)

[40] Duchesne, T. I, p. 661.

[41] Sénèque, in consolat. ad Helvian, c. 6.

[42] Memnon, apud Photium, c. 32. — Valère Max., IX, 2.

[43] Columelle, de Re Rust., L. I, c. 7.

[44] Nous traiterons cette question importante dans un second ouvrage.

[45] Les Bollandistes, dans le T. II, de Janvier s’expriment ainsi : Ar quidem Britannice, latine vero littus ; mor vero mare appellatur ; inde vocabulum armor quasi vicinia seu proxima regio mari, hoc est, maritima lingua britannico dicitur appellata. Ar n’a jamais été pris au sens de littus dans aucun des dialectes continentaux ou insulaires ; ar, préposition, signifie sur ; on dit encore, en Bretagne, l’Armorique de Plouguerneau, l’Armorique de Landeda, dans le sens de littoral de Plouguerneau, etc.

[46] Carausius qui, vilissime natus in extremo militiæ ordine, famam egregiam fuerat consecutus, cum apud Bononiam per tractum Belgiæ et Armoricæ pacandum mare accepisset, quod Franci et Saxones infestabant, etc. (Eutrope, Hist., L. IX.)

[47] Ceci nous explique pourquoi cette côte reçut le nom de littus saxonicum.

[48] Dom Bouquet, T. I, p. 122-123.

[49] Extenditur tamen tractus armoricani et nervicani limitis per provincial quinque, Aquitanicam primam et secundam, Senoniam, secundam Lugdunensem et tertiam. (Ex notit. Imper. occ.)

[50] Procope, infr. cit.

[51] Voir plus haut, c. 4.

[52] Voir plus haut, c. 3 et 5.

[53] Querolus, Scène II, act. 1.

[54] Voir le savant travail de M. Pardessus, sur l’origine de nos coutumes. T. X des nouveaux Mém. acad. des Inscriptions.

[55] Libanius emploie le mot de δεσπότες pour qualifier ces seigneurs ou patrons de vicus.

[56] In Gallia non solum in omnibus civitatibus,... sed pene etiam in singalis domibus factiones sunt... idque ejus rei causa antiquitus institutum videtur, ne quis ex plebe contra potentiorem auxilio egeret. (V. plus haut, c. 5.)

[57] V. plus haut, c. 5, § II.

[58] Ce fut seulement lorsque l’institution des décurions eut atteint son entier développement que s’opérèrent ces modifications. Au Ve siècle (dans la Gaule méridionale, il est vrai), les plus petites localités avaient des décurions. Quæ enim sunt non modo urbes, sed edam municipia atque vici, ubi non quot curiales fuerint, tot tyranni sint ? dit Salvien, de Gub. Dei, L. V, c. 4.

[59] V. Cod. Theod., XI, t. 24, de patrociniis vicorum. L. I. — V. Etiam Legg., 3, 4, 6, ejusdem tit. — Hæc ibid. (L. III.) leguntur : Quicumque ex tuo officio vel ex quocumque hominum ordine vicos in suum detecti fuerint patrocinium suscepisse, constitutas luent pœnas...

[60] M. de Montlosier, dans un ouvrage fort mal apprécié par les historiens français (M. Guizot excepté), a fait judicieusement observer que l’institution du patrocinium est bien antérieure au IIIe siècle. Ce ne fut là, en effet, comme le mot l’indique, qu’un retour au patronat antique.

[61] Gibbon, qui avait jeté un regard assez profond sur les coutumes antiques, croyait que plusieurs des institutions que nous avons coutume de rapporter au système féodal, venaient originairement des barbares Celtes. (V. Gibbon, Hist. de la décad. de l’emp. rom., ch. 13, p. 215. — Éd. Buchon.)

[62] La plupart des tyrans du IIIe et du IVe siècles appartenaient à la Gaule ou à la Bretagne.

[63] Sirm., notit. ad Sid. Apoll., p. 59. — Sid. Apollinaire, Ep. V. 14. — Fauriel, Hist. des Gaules, I, p. 559.

[64] Au moment de la révolte de l’Armorique.

[65] Zozime, l. VI, c. 5, in fine.

[66] Les paraiges du pays messin rappellent, d’une manière frappante, l’ancienne organisation des gentes de l’Italie et des clans bretons ou gaulois (Voir la préface dont M. de Golbéry a fait précéder le T. II de sa traduction de Niebuhr). M. Dupin, procureur-général à la cour de cassation, nous a révélé, l’an dernier, l’existence d’un faite aussi intéressant que curieux sur les mœurs agricoles d’un canton de la Nièvre. Voici la description que donne de ce ménage des champs un ancien juriste du pays cité par le savant magistrat :

Selon l’ancien établissement du ménage des champs, en ce pays de Nivernois, lequel ménage des champs est le vrai siège et origine des bordelages, plusieurs personnes doivent être assemblées en une famille pour démener ce ménage qui est fort laborieux, et consiste en plusieurs fonctions en ce pays, qui, de soi, est culture malaisée : les uns servants pour labourer et pour toucher les bœufs, animaux tardifs.... ; les autres pour mener les vaches et les juments en champs ; les autres pour mener les brebis et moutons ; les autres pour conduire les porcs.

Ces familles, ainsi composées de plusieurs personnes qui, toutes, sont employées chacune selon son âge, sexe et moyens, sont régies par un seul maître qui se nomme maître de communauté, élu  à cette charge par les autres, va aux affaires qui se présentent ès-villes ou ès-foires et ailleurs ; a pouvoir d’obliger ses parsonniers en choses mobilières qui concernent le fait de la communauté, et lui seul est nommé ès-rôle des tailles et subsides. (Voir plus loin le chapitre où il est traité des coutumes de l’île de Bretagne.)         .

Il ne reste aujourd’hui de l’antique institution agricole de Nivernais que la communauté des Jault, dans la commune de Saint-Benin-des-Bois, arrondissement de Clamecy. On s’étonne, dit M. Dupin, qu’un régime si extraordinaire, si exorbitant du droit commun actuel, ait pu résister aux lois de 1789 et 1790, à celle de l’an XI, sur les successions, et à l’esprit de partage égalitaire poussé jusqu’au dernier degré de morcellement... Et cependant, telle est la force des mœurs, quand elles sont bonnes, que cette association s’est maintenue par l’esprit de famille et la seule force des traditions, malgré toutes les suggestions des praticiens amoureux de partages et de licitations.

On sait que, dans la Bretagne armoricaine, l’usement à domaine congéable a aussi résisté à la double atteinte des révolutions et des légistes. (Voir l’Essai sur l’histoire de la Bretagne armoricaine, p. 214 et suiv., Paris. — Lenormand.)

[67] Arg., L. VII, c. Th. de Tiron.

[68] V. Histoire de la propriété en Occident, par E. Laboulaye, T. I, p. 116.

[69] Ueber die Rœmischen colonat, VI, 273, 320.

[70] Histoire de la civilisation en France, T. III, p. 309.

[71] V. Cod. Th., XI, tit. 1, 12, 31 ; — et une loi d’Honorius récemment découverte par M. Amédée Peyron :

Scyras, barbaram nationem... imperio nostro subegimus. Ideoque damus omnibus ex prædicta gente hominum agros proprios frequentandi ; ita ut omnes sciant susceptos non alio jure quam colonatus apud se futuros, nullique licere ex hoc genere colonorum ab eo cui semel attributi fuerint, vel fraude aliqua abducere, vel fugientem suscipere, pœna proposita quæ recipientes alienis censibus adscriptos vel non proprios colonos insequitur.

Opera autem eorum terrarum domini libera esse sciant, ac nullus sub acta peræquatione vel censui subjaceat : nullique liceat velut donatos eos a jure census in servitudinem trahere, urbanisve obsequiis addicere.

[72] Salvien, de Gub. Dei., V, 6.

[73] La langue gauloise disparut... Phénomène toujours rare dans l’histoire et qui ne s’explique que par l’esclavage. En effet, les esclaves qui avaient remplacé les anciens paysans rassemblés parmi des races différentes et amenés souvent de pays lointains, étaient obligés d’apprendre le latin, seule langue commune pour s’entendre les uns avec les autres, ou pour comprendre les ordres de leurs maîtres... La langue des vainqueurs fut cependant repoussée par la 3 Lyonnaise et l’Armorique, où la race des paysans avait mieux maintenu son indépendance et conservé jusqu’à nos jours le bas-breton, et par les deux Germanies qui ne renoncèrent jamais à l’usage de la langue teutonique. (Sismondi, T. I, p. 83-86, Hist. de Fr.)

[74] Bibliothèque des coutumes, par Berroyer et Laurière, Paris, M DCXCIX, in-4°, p. 23.

[75] Les auteurs auraient pu ajouter : et de la Bretagne.

[76] Bibliothèque des coutumes, par Berroyer et Laurière, Paris, M DCXCIX, in-4°, p. 21.

[77] Malgré toutes les observations de Mably, on ne peut pas disconvenir que les usages antiques n’aient été en bien des points le fondement et le modèle des usages postérieurs... Les vassaux, sont copiés d’après les ambactes et les compagnons. (cf. Naudet, Mém. Ac. des Inscript., T. VIII, p. 425, 1827.)

[78] Voir plus haut c. 6. — On comprend que nous parlons ici de la féodalité telle qu’elle est comprise par la plupart des jurisconsultes, de la féodalité parvenue à ses derniers développements.